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littérature - Page 30

  • Gallimard gallimarde

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    Le Goncourt à Gilles Leroy pour Alabama Song, et le Renaudot à Daniel Pennac pour Chagrin d'école

    C'est finalement à l'un des moins «attendus» des cinq derniers papables du Goncourt qu'est revenu hier le plus convoité des prix littéraires français avec la désignation, après 14 tours et par 4 voix contre 2 à Olivier Adam, d'Alabama Song, du journaliste écrivain Gilles Leroy, paru au Mercure de France. Evoquant à la première personne la vie passionnée de Zelda Fitzgerald, épouse d'un des plus grands écrivains américains du XXe siècle, l'auteur reprend la thèse de certains biographes estimant que Zelda fut la victime, à bien des égards, du vampirisme de son génial conjoint. A l'évidence, Gilles Leroy a fait plus que s'imprégner de la riche documentation (notamment la correspondance très significative) existant à propos du couple le plus brillant de la bohème artistique de l'entre-deux-guerres américain: il s'est véritablement coulé dans le personnage dont il module la voix en faisant alterner les inflexions de la brillantissime fille à papa de Montgomery, celle de l'artiste inaccomplie (elle rêvait de devenir la plus grande danseuse de son temps, comme Scott avait résolu d'être le plus grand romancier de tous les temps...) et celles de la femme vieillissante, souffrant de schizophrénie et promise à une mort atroce dans les flammes...
    En décernant le Goncourt à Gilles Leroy, les jurés de l'Académie «offrent» au grand public un roman joliment ficelé sur une destinée aventureuse et glamour à souhait. A ce thème rebattu, l'essayiste Pietro Citati vient pourtant de donner, dans La mort du papillon, paru chez Gallimard (!) un nouvel éclairage plus incisif et profond, où justice est rendue aux deux parties... Ce qu'on peut regretter, surtout, c'est que l'élément «anecdotique» ait prévalu une fois de plus dans un choix dont ont été écartés des écrivains plus engagés ou originaux, tels Michèle Lesbre ou Olivier Adam, sans parler de moult «oubliés» des premières sélections, tels François Emmanuel ou Hubert Haddad...
    Si le Goncourt à Gilles Leroy a étonné, le Renaudot attribué à Daniel Pennac a plus encore surpris du seul fait... qu'il ne figurait pas sur la sélection. Son Chagrin d'école, plaisant autoportrait d'un cancre en lequel on ne saurait deviner un futur auteur à la faconde stylée et aux succès répétés, intéresse à la fois par son propos autobiographique et par le regard que l'ex-enseignant, venu au roman par les sentiers buissonniers du polar gouailleur, jette sur les affres de l'école. Le livre rend aussi un bel hommage à certains profs «éveilleurs» autant qu'à sa mère centenaire, qui continue de s'inquiéter de son avenir (!), faisant écho à la variation pédagogique de Comme un roman.
    Quant au Prix Renaudot de l'essai, il a été décerné à Olivier Germain-Thomas pour Le Bénarès-Kyoto, récit d'un périple évoquant, avec moult péripéties, la traversée asiatique d'un «étonnant voyageur» à la joyeuse érudition.
    Gilles Leroy. Alabama Song. Mercure de France. Daniel Pennac. Chagrin d'école. Gallimard. Olivier Germain-Thomas. Le Bénarès-Kyoto, Le Rocher.

    Des jurés sous influence ? 

    Et c’est ça que vous appelez le meilleur de la littérature française en train de se faire? Voilà la question que le lecteur attentif serait enclin à lancer aux jurés respectifs de l’Académie Goncourt et du Prix Renaudot au vu des deux romans qui viennent d’obtenir les deux distinctions les plus cotées de l’automne littéraire. Un tant soit peu au fait des dessous de l’édition parisienne et de ses réseaux d’influence, l’impudent poussera le bouchon plus loin: plutôt que Gilles Leroy et Daniel Pennac, n’est-ce pas la seule maison Gallimard que vous avez primée par deux fois?, étant entendu que le Mercure de France où paraît le Goncourt est une filiale de la puissante maison, déjà triomphante l’an dernier avec Les Bienveillantes de Jonathan Littell, préalablement consacré par le public et l’Académie française… Ce qui frappe en tout cas, c’est que les deux lauréats de cette année apparaissent comme les bénéficiaires chanceux de tractations tordues: 14 tours (!) au final du Goncourt après l’éviction de «favoris» dont le handicap tenait au nom de l’éditeur: P.O.L. pour Marie Darrieussecq, Sabine Weispieser pour Michèle Lesbre, Stock pour Philippe Claudel et L’Olivier pour Olivier Adam (finaliste «à la Poulidor»). Souvent controversés pour la dépendance directe liant les jurés aux trois principales enseignes littéraires parisiennes (Gallimard, Grasset et Le Seuil, alias Galligrasseuil), les deux premiers grands prix de cette année trahissent une fois de plus un malaise évident. On ne dira pas pour autant que le Goncourt et le Renaudot 2007 sont sans intérêt ou promis à l’insuccès. Au contraire. Mais que penser d’une «course» privilégiant a priori les concurrents en fonction de leur appartenance à telle ou telle écurie?

    Ces articles ont paru dans l'édition de 24Heures du 6 novembre 2007

     

  • La question humaine

    0dc1351ecae6aaa2e59d2cc14394a954.jpgRetour sur un roman de François Emmanuel, adapté au cinéma
    On se rappelle l’effroi que suscitèrent les attitudes et les propos d’Eichmann lors de son procès : au lieu de la bête immonde présumée, le personnage apparut sous les traits d’un blême bureaucrate qui affirmait n’avoir jamais fait qu’obéir aux autres et aux consignes techniques de rigueur. Celles-ci dirigent également le psychologue spécialisé en ressources humaines qui raconte, dans La question humaine, comment il a été amené à enquêter sur la dégradation des facultés mentales du directeur de la firme d’origine allemande qui l’emploie. Sous prétexte de « restructuration », il travaille lui aussi dans la « sélection » et l’ « évacuation », et le fait est que le vocabulaire de son investigation entre en consonance de plus en plus troublante avec celui des exécuteurs de la Solution finale.
    Sans comparer l’incomparable, François Emmanuel n’en montre pas moins que certains termes « propres » du langage technique illustrent la même façon expéditive de résoudre liquidation de masse ou gestion du personnel… Or, loin de s’en tenir à une démonstration, le romancier incarne ses observations de telle façon que l’on se sent piégé au même titre que ses personnages.

    François Emmanuel, La question humaine. Stock, 2000. Réédité en poche. Adapté au cinéma en 2007 par Nicolas Klotz.

  • Nietzsche au matin

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    C’est le matin et je suis plein de joie de vivre. On aurait des raisons de désespérer (trop de souffrance pour trop de gens) mais on se sent cependant l'élan de faire quelque chose, au moins aussi bien sinon mieux qu’un singe. Nietzsche appelait de ses vœux un surhomme qui fît mieux que le singe, mais il sentait aussi, par son intuition de la faiblesse, que son appel à la sélection (même au sens spirituel) était une pensée dangereuse. Lui qui a tout fait pour que l’homme cesse de se leurrer s’est lui-même leurré par manque (je crois) de réalisme. Lui qui a si bien pressenti l’avènement du dernier homme (l’homme encarté du Bancomat) aurait sûrement rejeté Hitler au premier regard, car il restait une âme sensible en dépit de son génie surpuissant (donc très exposé) et il aurait trouvé Mussolini, et Goebbels, et Lénine, et Staline, et Ceausescu non moins repoussants, je présume… N'empêche qu'il n'a pas compris le réalisme du Christ.

    Image: Nietzsche, par Edvard Munch

  • La famille coco-facho

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    Après un immense succès en Italie, Mon frère est fils unique de Daniele Luchetti prélude aux coups de rétroviseurs du 40e anniversaire de mai 68.
    Ceux qui ont aimé Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana, chronique attachante des années 1966 à 2003 en Italie, devraient être également touché par Mon frère est fils unique, qui brasse une matière sociale et politique proche en s’attachant à une situation particulière intéressante: à savoir la cohabitation, dans une même famille, de deux frères aux positions politiques diamétralement opposées.
    Sur la base d’un roman d’Antonio Pennacchi qui avait 18 ans en 1968 et a lui-même adhéré très jeune au parti néofasciste MSI, dont il a été expulsé avant de passer par diverses factions d’extrême-gauche, le film scénarisé par Daniele Luchetti assisté de Sandro Petraglia et Stefano Rulli (cosignataires de Nos meilleures années) nous transporte dans une famille populaire de Latina désespérant d’être relogée dans un immeuble moins insalubre. Le fils aîné, Manrico (Riccardo Scamarcio), est un beau jeune homme qui fait craquer les nanas et s’impose en leader syndicaliste du PCI avant de dériver vers l’action violente. Brillant et charmeur, le révolutionnaire ne manque d’agacer son frère cadet, le teigneux et boutonneux Accio, qui a renoncé au séminaire avant de se laisser entraîner par un marchand ambulant fort en gueule dans les réunions et les opérations de commando des néofascistes. Du genre rebelle « au carré », impatient de s’opposer aux brimades des siens, Accio n’est « fasciste » que par esprit de contradiction, et son évolution témoignera d’une ouverture généreuse dont son frère aîné terroriste sera le premier bénéficiaire.
    Les dogmes et la vie
    Du personnage à la fois gouailleur et attachant du roman picaresque de Pennacchi, contrastant pour le moins avec le cliché du « facho » bas de plafond, Daniele Luchetti a fixé le portait cinématographique en choisissant un acteur vif à souhait en la personne d’Elio Germano. Entre les deux frères oscille en outre la belle et incisive Francesca (Diane Fleri) dont l’évolution marquera elle aussi une distance croissante par rapport aux dogmes idéologiques.
    Déclaré pompeusement « d’intérêt culturel national » par les instances officielles de la péninsule, Mon frère est fils unique a certes valeur de témoignage substantiel et souvent truculent « à l’italienne », sur une époque souvent réduite à des clichés enjolivés ou dramatisés à outrance. La charge portée sur les débats où tout le monde pérore en même temps, ou la caricature du chœur de camarades chantant un Hymne à la joie aux paroles révisées style agit-prop, n’en font pas pour autant une satire « révisionniste » trop complaisante. Si la forme du film reste finalement assez sage, dans le genre du feuilleton sensible et intelligent à la manière de Nos meilleures années, nul doute qu’il « sonne » juste et rend bien, sans démagogie, le climat d’une époque où souvent, entre familles à l’ancienne et tribus hirsutes, la jeunesse ne faisait que se chercher un lien ou une communauté.
    • Sur les écrans romands
    • Antonio Pennacchi. Mon frère est fils unique ou la vie déréglée d’Accio Benassi. Traduit de l’italien par Jean Baisnée. Le Dilettante 2007,448p.

    878f575ac7957974f92760702916ea9d.jpgUn quarantième rugissant ?

    De quoi sera faite la vague annoncée de publications, romans, essais, films et autres documents qui devrait déferler en 2008 pour commémorer le quarantième anniversaire de mai 68 ? Les « anciens combattants » vont-ils y aller de leur air de la nostalgie désenchantée, ou verra-t-on se développer de nouveaux récits sur une époque qui a diffusé, presque en temps réel, ses mythes plus ou moins narcissiques et ses légendes, par « icônes » et autres figures « cultes », voire « cultissimes », interposées ?

    Le film de Daniele Luchetti, à l’image du livre d’Antonio Pennacchi dont il s’inspire, séduit par la distance prise par rapport à la terrible rhétorique d’époque, masquant souvent la volonté de puissance ou le ressentiment des contestataires des deux bords sous de beaux discours. Mais verra-t-on jamais une nouvelle Education sentimentale, en littérature ou au cinéma, cristalliser la « substantifique moelle » de ces années ?

    58efa2747451c00f7607cb136f686a8d.jpgCe qui semble à l’heure qu’il est, et notamment au vu des agréables et non moins excellents « feuilletons » que représentant Nos meilleures années ou Mon frère est fils unique, c’est qu’on en reste à une vision certes plus nuancée que naguère mais jamais en rupture avec certain consensus, qu’un Pasolini (notamment dans ses Lettres luthériennes)  fut des seuls à rompre dans l’Italie des années de plomb.

    Le quarantième sera-t-il rugissant ou ronronnant ?

     

     

  • Une amitié salvatrice

    3b93e7b8a20243e84fa826f5e7677e4e.jpg Serge Merlin porte Le neveu de Wittgenstein de Thomas Bernhard avec une intensité sensible prodigieuse.
    L’extraordinaire émotion théâtrale que nous vaut ces jours la représentation du Neveu de Wittgenstein de Thomas Bernhard dans l’interprétation tantôt désopilante et tantôt bouleversante de Serge Merlin, touche, à partir de la perception tragi-comique de notre chère et putain de condition humaine, à tous les registres de l’expression, de la douceur délicate à l’invective explosive, en passant par les nuances pathétiques ou grotesques d’un récit que la pudeur de l’écrivain fait avancer masqué.
    On réduit souvent Thomas Bernhard à sa posture (indéniable) d’imprécateur, alors que c’est aussi un inégalable chroniqueur de sa vie et de son époque fracassées, dont les récits « autobiographiques » récemment réunis en un volume (notamment L’Origine, La Cave, Le Souffle, Le Froid, Un Enfant *) cristallisent la substance douloureusement compulsive et la formidable musique.
    Le neveu de Wittgenstein, sous-intitulé Une amitié, se rattache à cette confession d’un enfant du XXe siècle marquée par les relents du nazisme et le désastre de l’après-guerre autrichien, la tuberculose et la rage folle d’échapper à la mouise et à le crétinerie récurrente des philistins ; surtout : par l’émotion partagée avec quelques «êtres vitaux » dont le grand-père, une femme jamais nommée et, ici, un rejeton rejeté de la milliardaire clique des Wittgenstein, passionné de musique et de littérature, d’art et de philosophie. Si ce récit, publié en 1982 et dont le déclencheur remonte à 1967 dans un hôpital viennois où l’auteur séjournait pour l’ablation d’une tumeur au thorax, n’est pas explicitement destiné au théâtre, sa tournure de monologue à vrilles plus ou moins frénétiques en fait un objet vocal et dramatique aux ressources exceptionnelles, ainsi que le prouve Serge Merlin de toute l’âme de son corps dans la version scénique que lui ont finement retaillée Bernard Levy, par ailleurs metteur en scène, et Jean-Luc Vincent, dans une scénographie et des lumières magnifiquement accordées de Giulio Lichtner et Jean-Luc Chanonat.
    abdb0e5e1bb6bdfda8f7bc65bb41d244.jpgDès la première évocation des retrouvailles de Thomas Bernhard et de son ami Paul Wittgenstein, respectivement encagés au Pavillon Hermann du service de pneumo-phtisiologie de la Baumgartnerhöhe, et dans le Pavillon Ludwig de l’asile psychiatrique du Steinhof, séparés par un grillage plein de trous, le rire se mêle à l’effroi et à l’émotion plus tendre. De la même façon, le comique, parfois énorme (la charge contre les promenades à la campagne et la nature en général, ou le morceau d’anthologie sur les prix littéraires qui sont autant d’occasion pour les philistins de « chier » sur la tête des artistes), l’effroi (la solitude de Paul le paria, ou le désespoir de Thomas le suicidaire) et l’émotion (la fin déchirante où Thomas se reproche sa lâcheté devant la mort annoncée de Paul) se fondent en unité dans la musique de cet hymne joyeusement funèbre à l’amitié et à ce qui nous sauve de tout ce qui pèse sur le corps de nos âmes...
    Lausanne, Théâtre de Vidy, Le neveu de Wittgenstein. Coproduction Chaillot/Vidy. Salle de répétition, jusqu’au 18 novembre.Tlj à 19h30, dimanche à 18h30. Lundi relâche. Durée 1h3o. Loc : Payot librairie et 021 619 45 45
    (*) Thomas Bernhard. Gallimard, coll. Biblos, 505p.

    2169e3f05b6ec2af29fdeab7e41e5a80.jpgImages: Mario del Curto

  • Nostalgie omnibus

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    A propos du Canapé rouge de Michèle Lesbre

    Les livres que nous emportons en voyage nous en font faire d’autres et à n’en plus finir, et c’est ainsi qu’en me baladant récemment de Delft aux confins de la Frise je n’ai cessé de multiplier les horizons en alternant la lecture de Vertiges de W.G. Sebald, qui nous replonge dans l’Italie de Stendhal ou l’Allgaü de l’écrivain lui-même, et celle du Canapé rouge de Michèle Lesbre dont la protagoniste se remémore un voyage en Sibérie, à la recherche d’un homme qu’elle a aimé, en alternance avec les stations auprès d’une vieille dame à laquelle elle raconte des vies de femmes hors du commun, de la rebelle bretonne Marion du Faouët à Milena Jesenska, laquelle nous fait retrouver le docteur K. de Sebald…
    Le canapé rouge est un beau livre de tendresse rêveuse et de nostalgie, évoquant ce sentiment de détresse vécu par toute une génération frustrée des lendemains qui chantent. Vieille chanson déjà que celle de la « déprime des militants », et l’on pourrait craindre la scie convenue en suivant Anne sur les traces de Gyl, son amant de jeunesse refusant d’obtempérer et parti sur les bords du lac Baïkal vivre selon son utopie persistante. Mais la musique des âmes et d’une écriture suffit à nous toucher , de vague en vague et de cercle en cercle, au fil d’une remémoration en douces spirale amorcée par la phrase délicatement proustienne relançant le voyage en omnibus à travers l’immensité russe : « La plupart du temps je m’éveillais très tôt, à l’aube naissante. Pins et bouleaux émergeaient à peine d’un océan de brume dans lequel le train courait en aveugle, où flottaient quelques essaims d’isbas grises dont le bois usé par le gel et le brutal soleil d’été ressemblait à du papier mâché. Une lumière mate s’éclaircissait peu à peu, jusqu’à découvrir un ciel vertigineux que je poursuivais du regard et qui se réfugiait à l’horizon. Quel horizon ? Tout semblait lointain, inaccessible, trop grand ».
    La lecture elle-même est au cœur de ce livre oscillant entre un canapé rouge, où la femme encore jeune lit des récits de vie à la vieille Clémence ci-devant modiste, et le bord de Seine et les lointains russes où se croisent, tous plus ou moins spectraux, divers hommes des divers temps vécus par la narratrice, laquelle nous renvoie, la lisant, à nos divers temps et amours, comme dans les reflets de reflets d’un miroir en mouvement…
    8adf22c1092851e5aaedaa64df676ec7.jpgMichèle Lesbre. Le canapé rouge. Sabine Wespieser, 148p.

    Nota bene: Le Canapé rouge figure sur la dernière liste des ouvrages candidats au Prix Goncourt. 



  • Le Dyable de la rhétorique

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    Du style de François Meyronnis, De l’extermination considérée comme un des beaux-arts et de la pensée mamour...

    François Meyronnis se voudrait un styliste stylé. Cela lui fait vomir à la fois Michel Houellebecq et Jonathan Littell qu’il rassemble sous la bannière d’Andy Warhol qui écrivait que « le style n’est pas vraiment important ». Le style de Michel Houellebecq et le style de Jonathan Littell sont-ils vraiment importants ? Peut-être pas autant que les styles de Flaubert Gustave ou de Morand Paul, mais la question est-elle là ? Il faudra y revenir avant Noël.
    Dans l’immédiat ce qu’il faut, c’est citer le styliste stylé en son ouvrage récemment paru, intitulé De l'extermination considérée comme un des beaux-arts. C’est la fin du livre, nous sommes un peu flagadas, mais déchiffrons encore cette dernière sentence : « La noblesse de l’événement est le seul milieu de l’amour ». Pour éclairer cette chute admirable, il faut pourtant, en bons talmudistes, revenir aux deux phrases qui précèdent: « Sous la seule forme d’un sentiment, l’amour n’est qu’une amorce. On aurait tort de la prendre pour la chose. D’autant qu’ainsi elle tourne vite à son contraire ».
    Vertiginieux, n’est-il pas ? Mais ceci est encore éclairé par ce qui précède immédiatement trois phrases plus haut : «La singularité exclut le tassement sur un Moi-je. Non seulement elle n’empêche pas l’amour; mais encore lui donne-t-elle toute son ampleur. La noblesse d’une autre singularité oblige la mienne. Je ne cherche pas ailleurs une morale, ce qui fait de moi un monstre. En un éclair, trois mots s’interchangent et illuminent sans fin leur intrication : amour-noblesse-pensée ».
    Dans Le Général Dourakine dont nous avons tous nourri notre philosophie, la Comtesse de Ségur annonce en somme le styliste stylé, en plus limpide, prônant elle aussi l'amour, la noblesse et les jolies pensées de l'heure du goûter. Cependant le défaut de la Comtesse est de ne s’être point mêlée plus gravement de littérature et de n’avoir point justement taxé de Diable son compatriote le littérateur Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski, dont la perversité des Démons ne fait pourtant aucun doute aux yeux des petite chanteurs à la croix de bois que nous sommes tous restés « au fond ».
    Blague à part, le procès qu’intente le styliste stylé François Meyronnis aux littérateurs sans style (enfin, attendons Noël) que sont selon lui Michel Houellebecq et Jonathan Littell équivaut bel et bien, en somme, à celui qui a été fait à Dostoïevski pour cause de Stavroguine, dont la perversité intrinsèque menace aujourd'hui encore de contaminer notre amour, notre noblesse et notre pensée.
    En exergue de l’essai stylé intitulé De l’extermination considérée comme un des beaux-arts, qui postule en gros que La possibilité d’une île de Michel Houellebecq et que Les Bienveillantes de Jonathan Littell participent de l’action perverse du Diable contemporain que nul ne voit avancer masqué à la seule exception stylée de François Meyronnis himself, on lit cet exergue saisissant : « Plus le Diable a, plus il veut avoir ». La profondeur de cette pensée nous fait vaciller sur nos échasses d’hommes-creux. Nous recopions derechef sur le marbre durable: « Plus le Diable a, plus il veut avoir. » L’oncle Picsou n’a qu’à bien se tenir et nous autres, avatars multitudinaires du «dernier homme» conduits à l’abattoir par les mauvais bergers Michel et Jonathan, nous allons y penser avant Noël...
    François Meyronnis. De l’extermination considérée comme un des beaux-arts. Gallimard, coll. L’Infini, 190p.

    Image ci-dessus: Dadò.

  • Ce cher fou de Platonov


    A la Grange de Dorigny, Gianni Schneider signe sa meilleure mise en scène avec un Platonov merveilleusement servi par Roland Vouilloz et ses camarades.
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    Un cliché tenace assimile l’œuvre d’Anton Pavlovitch Tchekhov, et notamment son théâtre, à une suite de tableaux doux-acides de la province russe pré-révolutionnaire où des personnages plus ou moins ratés ou revenus de tout, entourés de femmes plus ou moins mélancoliques, distillent leurs velléités et leurs regrets sur fond de mélancolie et d’ennui. Cette image éclate à la découverte des premiers récits virulemment satiriques du jeune écrivain, et Platonov, sa première pièce jetée sur le papier au tournant de sa vingtième année, révèle également un observateur cinglant de la société et des comportements humains, dont un humour irrésistible pimente des dialogues merveilleusement vifs, témoignant d’une incroyable maturité chez le jeune auteur. Il est vrai que celui-ci avait « vu du pays », comme on dit, dès son enfance de prolétaire évoquant celle des gosses de Dickens, et que son œil de clinicien (il finira sa médecine en 1884) s’exerce déjà avec une absolue netteté, laquelle n’empêche aucunement la plus amicale compréhension.
    L’ondoyant Platonov, évoqué à un moment donné comme l’incarnation de la jeunesse russe indécise et jouisseuse, est ainsi le plus fieffé tombeur, et se dit lui-même la dernière des crapules, mais on ne l’en aime pas moins en dépit de ses frasques et des dégâts qu’il fait sur son passage, jusqu’au (presque) suicide de sa propre épouse, qu’il se réjouit surtout de n’avoir pas le souci d’enterrer…
    Si Platonov n’a pas, et de loin, la perfection formelle des Trois sœurs (déjà montée par le metteur en scène lausannois) ou de La cerisaie, le « matériau » psychologique (plus que la chancelante trame dramatique) qu’il propose à l’homme de théâtre n’en est pas moins riche, et particulièrement dans le jeu des relations entre Platonov et les femmes, qui constitue d’ailleurs l’axe majeur de l’adaptation d’Olivier Zuchuat travaillée par Gianni Schneider.
    dcbc83ca1530deff35e10ba9ea763ed9.jpgUn pari casse-cou
    Celui-ci a choisi de servir Platonov à ses acteurs « tout nus », si l’on peut dire, en les faisant jouer sans le moindre accessoire sur un damier de jeu d’échecs. Celui-ci correspond d’ailleurs à la première scène de la pièce, et toute celle-ci se déroulera en fonction de ce choix scénographique parfaitement adapté, comme un ballet de figures en confrontation.
    De ce parti pris relevant du défi, le metteur en scène tire une relecture de Platonov certes partielle, mais tout à fait cohérente, qui doit beaucoup à l’équipe de comédiens réunie par Schneider, à commencer par Roland Vouilloz dans le rôle-titre, dont le crescendo de l’interprétation vaut à elle seule le déplacement. Or ce formidable comédien n’est pas seul : il y a ensuite Juliana Samarine en générale encore jeune (veuve de général plus exactement), dont le jeu époustoufle également par sa netteté cinglante et sa malice pince-sans-rire. Et Juliana Samarine non plus n’est pas seule, car Shin Iglesias étincèle non moins, de même que les grands « pros » Edond Vuilloud et Jacques Probst, en vieux ciselés à la fine gouge, et l’équipe entière, à savoir encore Sandra Gaudin et Jean-Paul Favre, Mathieu Loth, Geneviève Pasquier et Julien Schmutz.
    Bel « objet » théâtral, cette réalisation est également très maîtrisée du point de vue visuel, autant par sa scénographie (signée Eleni Kaplani et Gianni Schneider), ses lumières (Laurent Junod) et ses éléments musicaux (Jean Rochat), ses costumes (Lara Voggensperger) et ses incrustations vidéo (Eugene Dyson). Enfin, comme le public « marche » à fond, notre conseil final suivra le mouvement : marche !
    Lausanne, Grange de Dorigny, jusqu’au 11 novembre. Loc : 021 692 21 24

  • Une maison du cinéma à Lausanne

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    Vinzenz Hediger, le nouveau patron de la Cinémathèque suisse, est attendu en septembre 2008 à Lausanne.

    L’annonce de la nomination de Vinzenz Hediger a été fort bien accueillie par l’actuel directeur Hervé Dumont, mais ne laisse de poser maintes questions. Quelle sera l’orientation de sa politique en matière de gestion de ce fabuleux patrimoine ou dans l’animation publique de la maison de Montbenon, considérée comme un lieu trop peu attractif? Premier éclairage.
    – Quelle image, à l’heure d’en devenir le directeur, avez-vous de la Cinémathèque suisse?
    – La Cinémathèque suisse possède une des plus grandes collections au monde, aussi et particulièrement en ce qui concerne les fonds «non-film» (ndlr: affiches et photos), assemblés en grande partie par André Chevalier. L’institution est une ressource culturelle de tout premier ordre, avec un énorme potentiel de rayonnement. Mais elle est, hélas, trop peu connue en Suisse. Une perception qu’il faudra changer…
    D’aucuns reprochent à l’institution de n’être pas un lieu suffisamment ouvert au public, aux échanges, aux débats, tout comme à la production suisse et romande. Envisagez-vous de l'animer de façon plus significative et de donner plus de visibilité à la production helvétique ? Et de quelle façon?
    – Il ne fait aucun doute que j’envisage la Cinémathèque comme lieu d’échange et de débats publics sur le cinéma, sur l’audiovisuel et ses liens avec les autres domaines de la culture. Ceci concerne aussi bien le cinéma romand que le cinéma mondial. L’instrument principal de cette ouverture sera une «Maison du cinéma» au cœur de Lausanne, un lieu ouvert où l’on montre des films, où le public se rencontre pour en discuter (mais aussi pour bien manger et boire), où l’on présente des expositions mettant en valeur les riches collections d’affiches et de documents. Un bel endroit où les spécialistes tiendraient leurs colloques et mèneraient leurs recherches, un lieu, enfin, comme il en existe déjà à Copenhague et bientôt à Amsterdam.
    – Les réalisateurs de nos régions, qui trouvaient le meilleur écho auprès d’un Freddy Buache, se sont parfois plaints du manque d’écoute et d’accueil de l’actuel directeur. Pensez-vous offrir une meilleure visibilité au cinéma suisse et romand?
    – J’ai été profondément marqué par les films suisses des années?70, que mes parents m’ont emmené voir. Plus tard, comme critique de cinéma, j’ai toujours porté une attention vive aux cinéastes suisses, et je continuerai de le faire dans mon futur travail.
    – Lausanne est le siège de «foyers» culturels vivants. On se rappelle aussi la collaboration significative d’un Freddy Buache aux Editions L’Age d’Homme, de rayonnement international. Pensez-vous associer la Cinémathèque à d’autres institutions par des échanges?
    – Vu que le cinéma est de plus en plus présent dans les autres domaines de la culture, soit dans le théâtre, ou l’on adapte des films de Lars Von Trier et d’autres plutôt que de cultiver le répertoire classique, soit dans les arts plastiques où des artistes comme Douglas Gordon empruntent leur inspiration au cinéma, alors que des cinéastes comme Chantal Akerman ou Harun Farocki se réinventent à travers des installations vidéo, il me paraît tout à fait naturel que la Cinémathèque cherche la proximité et la coopération avec d’autres institutions culturelles.
    - Fernand Melgar a qualifié Hervé Dumont, d’«homme de l’ombre», en reconnaissant son grand travail sur le fonds et sa préservation, tout en appelant de ses vœux un «homme de la lumière» qui redonne envie au public de fréquenter la Cinémathèque…
    – Il est facile de sous-estimer le travail qu’Hervé Dumont a fait pour la Cinémathèque. Avec un lobbying discret mais efficace, il a jeté les bases politiques pour tout le futur développement de la maison. Le nouveau directeur en hérite, et s’il sera en position de devenir «homme de la lumière», c’est sans doute aussi grâce au travail préparatoire d’Hervé Dumont…

    Budget à revoir urgemment
    Le jour même où il annonçait la nomination de Vinzenz Hediger, Olivier Verrey, président du conseil de fondation de la Cinémathèque suisse, reconnaissait que le budget de fonctionnement de celle-ci (5 millions de francs par année) reste largement insuffisant pour son fonctionnement. Qu’en pense le nouveau directeur?
    «Je suis tout à fait d’accord avec Olivier Verrey. Avec une collection de plus de 70 000 titres, la Cinémathèque suisse dispose d’un budget qui ne représente qu’un tiers de celui du Nederlands Filmmuseum, dont la collection compte 45 000 titres. L’institution souffre donc d’un sous-financement dramatique par rapport à la valeur de ses collections, mais aussi par rapport à ce qui est de rigueur dans d’autres archives de films européens. Ceci concerne surtout les travaux de restauration. La Cinémathèque suisse ne dispose que des moyens financiers pour quatre restaurations de film par an, et ceci grâce à Memoriav. Elle ne peut donc, actuellement, pas financer de restaurations avec son budget annuel. La Cinémathèque française, par contre, restaure 200 films par an, et elle dispose d’un budget de 23 millions d’euros (plus de 32 millions de francs suisses). C’est un écart qu’il faudra combler, au moins en partie…»


    Né en 1969 à Menziken, dans le canton d’Argovie, Vinzenz Hediger enseigne actuellement à l’Université de la Ruhr à Bochum. Il est l’auteur de deux ouvrages importants sur le cinéma, dont un sur le documentaire en Suisse, et de maintes contributions dans des revues étrangères. Egalement critique de cinéma du quotidien Neue Zürcher Zeitung , il a siégé au conseil de fondation de Pro Helvetia ainsi qu’au sein de la Commission fédérale du cinéma. Vinzenz Hediger est marié et père d’un petit garçon.

    Cet entretien a paru dans l'édition de 24 Heures du 29 octobre 2007

  • Le Cabaret TasteMot à la fête

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    Lectures et spectacles : le nouveau Crachoir lausannois.
    Soirée d’ouverture avec Pamela’s Parade et une douzaine de comédiens.
    Les lectures publiques foisonnent en Suisse romande, de manière souvent dispersée et sans liens entre elles. D’où l’idée de « fédérer » de multiples forces en un lieu convivial qui relancerait le mémorable Crachoir de l’Arsenic animé naguère par Domenico Carli. Celui-ci fait d’ailleurs partie de l’équipe fondatrice du Cabaret Tastemot - avec Martine Corbat, Pierre-Louis Péclat, Ahmed Belbachir, Michel Sauser et JLK -, lancé demain soir au Théâtre 2.21 avec une Spam Session des musiciens de Pamela’S Parade modulant des textes publiés chez art&fiction.
    En deuxième partie : une douzaine de comédiens romands (dont Martine Corbat, cheville ouvrière du TasteMot, caroline Althaus pour La Cie François Marin, Georges Brasey, Lionel Frésard, Gaëlle Graff (voix et violoncelle), Jacques probst et Emmanuel Vuilloud, Marie-Aude Guigbnared du Théâtree n flammes, Julien onti (flûtes) et Frank Semelet) déploiera un florilège de textes d’auteurs romands, de Blaise Cendrars à Jean-Marc Lovay en passant par José-Flore Tappy, Pierre-Louis Péclat et Adrien Pasquali, Philippe Jaccottet, Gustave Roud et JLK.
    A préciser que la salle 2 du 2.21 se prête à « taster » de la papille et du gosier…


    Dans la foulée, l’affiche de la première saison s’annonce à la fois riche et d’un niveau « pro » garanti, avec des soirées consacrées à Antonin Moeri (Bingo sera lu par Salvatore Orlando) et Marius Daniel Popescu (le 29 novembre), Jacques Roman (en janvier), Catherine Safonoff, des auteurs jurassiens, Anne-Sylvie Sprenger ou Jacques Chessex, chaque lecture-spectacle pouvant s’enrichir d’ajouts et autres improvisations. Par la suite, le TasteMot se propose d’essaimer en Suisse romande, notamment à Genève et Yverdon-les-Bains.
    Lausanne. Théâtre 2.21, le 25 octobre, à 21h.

    Entrée libre. Contacts : 079 662 65 59 ou 021 311 65 40.

  • Le loup et le papillon


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    JLK et Marius Daniel Popescu invités de Michèld058a2b6d8ad9bdf49509d70e03c8eb7.jpge Durand-Vallade, ce soir à 20h. Reprise lundi à 01h. 

    La Suisse Romande peut décidément relever fièrement la tête et considérer les incroyables richesses qu’elle recèle… Photographes, peintres, musiciens, comédiens, écrivains, chercheurs, politiciens… Souvent discrets, toujours passionnés, ces femmes et ces hommes font notre pays avec conviction. Connus ou pas, accompagnés d’un invité de leur choix, ils sont chaque soir les hôtes de Devine qui vient dîner pour une heure d’entretien convivial, bienveillant et impertinent, et nous donnent l’occasion de parcourir un chemin de vie, connaître une œuvre, rencontrer une passion, d'envier une relation d’amitié… Au quotidien, des rencontres surprenantes et inattendues, une occasion unique de découvrir ou redécouvrir toute l’intelligence d’un pays. (RSR)

    http://devine.rsr.ch

     

  • Sweet scruffy Bobby

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    La saga de Dylan selon François Bon

    On se dit d’abord qu’il attige la moindre, François Bon, en commençant de lire sa chronique biographique de Bob Dylan, quand il se demande par exemple comment il est « donné à un garçon de vingt et un ans d’incarner, avec seulement l’écriture et la voix, cette secousse historique d’un monde», avant d’évoquer, à propos des récentes Chronicles du sexa, l’écrivain nomade avant la lettre que fut Jehan Froissart… Mais dès qu’on s’y coule, dans ce grand livre chaleureux et charpenté à fines chevilles, la crainte d’un excès d’emphase, s’agissant d’un mythe et plus encore, pour toute une génération et plus encore, s’efface dans la matière d’un roman qui m’a aussitôt rappelé l’Amérique lyrique de Thomas Wolfe (pas le Tom Wolfe aux guêtres blanches : le géant de Look homeward, Angel) ou, plus près de nous, et dans cette autre filiation, les romans de jazz d’Alain Gerber. D’emblée, comme celui-ci, François Bon rappelle ce que fut pour nous autres «petits provinciaux», et plus encore que lui les contemporains exacts de Dylan qui ont découvert les premiers rockers (Bill Haley & his Comets, Elvis ou Buddy Holly notre premier deuil avant James Dean…) ce que fut cette Amérique rêvée sur nos transistors puis avec la première TV en noir et blanc, merveilleusement évoqués dans le Radio Days de Woody Allen (cité par FB), entre autres emblèmes mythologiques des fifties finissantes.
    « C’est soi-même qu’on recherche», écrit François Bon à la première ligne de son introduction, « et c’est en se cherchant soi-même qu’on trouve Bob Dylan installé. Vieux compagnon, compagnon sombre. Parfois énervant, toujours instable. Ce n’est pas le meilleur côté de nous-mêmes, celui par quel il nous touche ».
    Et comme c’est vrai, me dis-je à l’instant en écoutant nasiller le Dylan de 64 sur All I really want do to, qui m’évoque un vieux frangin d'Amérique à drôle de dégaine, combien touchant en effet avec ses yeux bleus et sa gueule d’ange mal coiffé tombé de nulle part.
    Or le nulle part d’où débarque le futur Dylan (dont le pseudo découle à la fois de la lecture de Dylan Thomas et de la contraction de deux autres pseudos possibles) fonde entre Duluth, le nulle part des migrants et des mines,  et Minneapolis, première vraie ville du jeune Bob,  la préhistoire « épique » du récit-roman de François Bon, clair et vif, nourri de diverses bios antérieures mais porté par un ton et des traits personnels, éclairé de surcroît par l’ « autre bout », puisque FB cite volontiers les Chronicles, à découvrir dans la foulée se promet-on...
    Mais bon, là, je n’en suis qu’à la page 105 et j’ai déjà l‘impression d’avoir traversé un bout de siècle, alors que Robert Allen Zimmermann, Shabtai Zisel ben Avraham de son nom hébreu, n'en est lui qu'à jeter sur le papier son premier Song to Woody à la gloire du vrai clochard céleste que fut Woodie Guthrie, dans la foulée duquel s’engage le nouvel Ariel du folk en colère – et c’est sur Song to Woody que s’ouvre aussi bien le triptyque de la dernière compil parue cette année sous une belle couve rouge sang de poète, sobrement intitulée Dylan... (A suivre)
    e2739e908343d9930bc794c2ea76758d.jpgFrançois Bon. Bob Dylan, une biographie. Albin Michel, 485p.

  • Dans le fleuve du Temps

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     Schoorl, ce samedi 20 octobre. – La vieille angoisse d’avant l’aube m’avait repris devant la mer encore noyée dans le noir du nord, une bribe de phrase m’était revenue de la confusion d’un dernier rêve… Eh oui, quand on s’est adossé au fleuve du Temps… Je me suis alors rappelé où nous nous trouvions avec L. dont la mère s’était réfugiée sur une île proche dans une période difficile de sa vie, puis une première clarté s’est délayée dans l’obscur et, comme posées dans la brume, les bêtes en sommeil réapparurent de loin en loin, et le tableau d’une infinie douceur se recomposa tout entier comme un désert aux couleurs montant peu à peu, le vert blanchi de givre des polders, de loin en loin les éclats de miroir de l’eau gelée, là-bas les taches de rouille des petits étangs affleurant le brouillard d’où surgissaient à peine les ailes d’un moulin à l’ancienne, la ligne orangée du levant et le bleu laiteux de la grande toile pure de cette aube, tout proche maintenant ce cheval immense semblant scruter ces deux matinaux, ces flocons de laine des moutons de loin en loin, de temps à autre un vol d'oiseaux migrateurs s’arrachant au petit canal jouxtant le sentier spongieux, enfin cet inimaginable dromadaire bougeant lentement dans la lumière irréelle de ce nouveau jour où notre pas  s’accordait à celui du Temps…

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    La phrase « Eh oui, quand on s’est adossé au fleuve du Temps », est tirée du deuxième recit, All’estero, du recueil Vertiges, de W. G. Sebald  qui  m’a  accompagné durant ce voyage de Delft à Harlingen. 

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  • Le silence de Hölderlin

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    Lecture d'Achever Clausewitz, de René Girard (5) 

    Tristesse de Hölderlin

    -          BC évoque la résistance à mener par de la l’effondrement d de l’institution de la guerre.

    -          RG affirme qu’une résistance individuelle est vaine.

    -          Relève que les Evangiles ont une « intuition formidable du mimétisme ».

    -          Importance à cet égard des récits apocalyptiques, occultés puis oubliés.

    -          Rappelle « le temps des païens » cité par Luc.

    -          Les Evangiles nous disent que le réel n’est pas rationnel mais religieux.

    -          Evoque le ratage des juifs, malgré les prophètes, et le ratage des chrétiens à travers l’Holocauste.

    -          Cite la demande de pardon de Jean Paul II à Yad Vashem et y voit un signe des temps, un geste sublime.

    -          Deux cercles : la vie du Christ qui se termine par la Passion. Et l’histoire des hommes qui se termine par l’Apocalypse. Le second cercle est contenu dans le premier.

    -          « L’esprit apocalyptique n’a rien d’un nihilisme : il ne peut comprendre l’élan vers le pire que dans les cadres d’une espérance très profonde ».

    -          Laquelle ne peut faire l’économie d’une eschatologie.

    -          Comment Luc constate que la violence réconcilie les ennemis après la Passion : « Et à partir de ce jour-là, Pilate et Hérode qui étaient des ennemis devinrent amis ».

    -          Que « la mauvaise violence est unanime contre le Christ ».

    -          Cite la première Epître de Paul aux Thessaloniciens, le plus ancien texte du NT, moins de 20 ans après la crucifixion.

    -          Paul en appelle à la patience des croyants, affirmant que le système va s’effondrer de lui-même.

    -          Satan sera de plus en plus divisé contre lui-même : c’est la loi mimétique de la montée aux extrêmes. »

    -          Ce mimétisme est contagieux, qui va atteindre la nature elle-même.

    -          Matthieu annonce que « l’amour se refroidira chez le grand nombre ».

    -          Le temps des païens » est à considérer comme « un lent retrait du religieux ».

    -          On va en outre vers l’effacement de toute distinction entre le naturel et l’artificiel.

    -          Paul aux Thessaloniciens : « Quand les hommes se diront : paix et sécurité ! C’est alors que tout d’un coup fondra sur eux la perdition ».

    -          Le Christ dit qu’il n’est pas venu apporter la paix.

    -          En fait il met un terme à la volonté de dissimuler les mécanismes de la violence.

    -          « La révélation judéo-chrétienne met à nu ce que les mythes ont toujours tendance à taire ».

    -          Le paradoxe est que le christianisme provoque la montée aux extrêmes en révélant aux hommes cette violence.

    -          « Tel est l’avenir affolé du monde, dont les chrétiens portent la responsabilité. Le Christ aura cherché à faire passer l’humanité au stade adulte, mais l’humanité aura refusé cette possibilité. »

    -          RG reconnaît « un échec foncier ».

    -          Mais la proximité du chaos n’exclut pas, selon lui, l’espérance.

    -          BC souligne le fait que la démarche de RG s’inscrit dans une perspective darwinienne

    -          RG affirme qu’on ne peut entrer en relation avec le divin que dans la distance.

    -          Et que seule la médiation du Christ permet cette proximité-distance.

          Un dieu « tout proche et difficile à saisir ».

    -          RG en vient alors à Hölderlin.

    -          Son œuvre l’habite depuis longtemps.

    -          Hölderlin se retire pendant 40 ans à Tübingen.

    -          Beaucoup moins hanté par la Grèce qu’on ne l’a dit. RG le voit « effrayé par ce retour au paganisme qui hante le classicisme de son époque ».

    -          Son  âme  oscille entre la nostalgie et l’effroi.

    -          Cite le poème Patmos.

    -          Qui annonce le retour du Christ beaucoup plus que celui de Dionysos.

    -          Le Christ « se retire au moment même où il pourrait dominer ».

    -          C’est le silence de Dieu qui se donne à entendre dans le silence du poète, selon RG,

    -          Hölderlin devient de plus en plus chrétien, à mesure qu’il se retire du monde.

    -          Lui-même, notamment avec Goethe, a vécu le mimétisme de manière intense, « un maniaco-dépressif d’une intensité inouïe ».

    -          « Grâce à Hölderlin, ce grand mendiant de l’affection des autres, j’ai compris que la folie de Nietzsche était liée à l’apothéose de Wagner ».

    -          Cite le choc que produit sur Nietzsche la lecture des Mémoires écrits dans un souterrain de Dostoïevski.

    -          Hölderlin choisit le retrait pour dépasser le mimétisme.

    -          S’il hésite entre Dionysos et le Christ, son choix s'affirme. 

    -          Hölderlin perçoit la différence essentielle entre la promiscuité divine et la présence de Dieu.

    -          RG affirme qu’il n’y a qu’une bonne proximité, se réduisant à l’imitation du Christ.

    -          « Malgré toute la pression qu’exercent sur lui la mode et ses amis, le poète pressent la vérité : Dionysos, c’est la violence, et le Christ c’est la paix ».

    -          Evoque alors la conversion  de Hölderlin au catholicisme.

    -          Et remarque une fois de plus que « la destruction ne porte que sur ce mon de ; pas sur le Royaume ».

    0e530dff645d51a9f92ac88c7c381f14.jpg          Le Royaume est «ce que Pascal appelait l’ordre de l’esprit, passage nécessaire vers l’ordre de la charité ».

    -          Le modèle mimétique nous fait sans cesse retomber dans l’enfer du désir.

    -          Les grands écrivains ont compris cette loi : Proust, Dostoïevski, Cervantès, Stendhal, notamment.

    -          Evoque ensuite les bons modèles qui nous rendent plus libres, et les modèles-obstacles qui nous enchaînent au mimétisme.

    -          « Echapper au mimétisme, étant donné ce qu’est devenue son emprise croissante, est le propre des génies et des saints ».

    -          Au risque de régression, RG oppose la recherche d’une médiation…

    -          Que BC définit comme « médiation intime »

    -          En revient à l’imitation du Christ, qui ne consiste pas à en être fasciné mais à s’effacer devant lui.

    -          « L’identification suppose une aptitude singulière à l’empathie ».

    -          Une excessive empathie est mimétique, mais l’excessive indifférence l’est autant.

    -          RG évoque alors la réserve polie, l’accueillante distance de Hölderlin dans sa tour, avec ses visiteurs.

    -          RG finit par évoquer le mythe fondateur védique de Purusha, l’homme archétypal mis à mort par une foule de sacrificateurs. Or que représente cette foule, puisque cet homme est primordial ?

    -          « De ce meurtre, on voit sortir tout le réel. »

    -          Un mythe fondateur « tellement vieux que la violence en est sortie »

    -          « C’est la conception védique, absolument apaisée, de ces choses ».

    -          RG lui voit une parenté avec la sortie pacifique du mimétisme que signifie la retraite de Hölderlin.-         
     

    2e7763f22dbf3e956123c18de4a9b194.jpgRené Girard, Achever Clausewitz. CarnetsNord, 363p.

     

  • Le blues d’Alain Gerber

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    Balades en jazz à travers une passion. Miles vient de paraitre
    « Rien ne vaut l’enfance, une fois qu’on a été dispensé de jeunesse », écrit Alain Gerber pour qui l’enfance de l’art s’oppose pour ainsi dire à celle du premier âge, et dont la seconde naissance date de décembre 1958, lorsqu’un de ses profs de Belfort lui révéla soudain le jazz.
    a4f70a41acef7395990e5385944ed1f2.jpg«Tout ce que l’enfance fait mine de vous promettre, mais vous refuse avec acharnement – par exemple la bienheureuse ignorance, l’irresponsabilité et son corollaire, le goût du merveilleux», précise-t-il, « tout cela et davantage, le jazz me l’a offert en même temps que je me délivrais d’un coup de mes illusions passées ».
    A cette découverte, et surtout à l’aura mythologique de sa jeunesse de Vitellone belfortin, Alain Gerber a consacré ses deux premiers livres, d’un lyrisme rappelant celui de l’immense Thomas Wolfe (à ne pas confondre avec le Tom Wolfe du Bûcher des vanités), La couleur orange et Le Buffet de la gare. L’on y découvre notamment que le jazz fut pour le garçon, bien plus qu’une passion « parmi d’autres », l’expression la plus pure de toute une Amérique rêvée où les écrivains, de Faulkner à Hemingway, Scott Fitzgerald ou Ring Lardner, faisaient figure de personnages vivants autant que de révélateurs d’un « nulle part » plus habitable que l’ordinaire des jours.
    « J’ai découvert au mois de décembre 1958, grace à Henri Baudin, The Man I Love de Miles Davis, Thelonius Monk, Milt Jackson, Percy Heath et Kenny Clarke, comme un chant tombé des étoiles, une eau lustrale versée sur moi du plus haut de la plus haute sphère, écrit Alain Gerber, qu’on sait l’un des plus grands connaisseurs français de la Chose. Pourtant ce n’est pas en spécialiste qu’il compose ces Balades en jazz : plutôt en amateur, au sens de celui qui aime. « J’ai tenté de faire croire le contraire (non sans un certain succès parfois, au oint d’en avoir tiré l’essentiel de ma subsistance) mais je n’ai jamais rien compris à cette musique, ou si peu ». Il dit avoir écouté The Man I Love des centaines de fois, sans en venir à bout. Autant dire qu’il parle du jazz comme d’un incompréhensible amour, dont le blues serait l’une des expressions les plus caractéristiques à cet égard, le blues qui « parle en images à ceux qui n’en comprennent pas les paroles ».
    a4ed0eaf6d42ac64e9db3a00288a2701.jpgQu’on en se figure pas pour autant une passion pure entretenue les yeux au ciel, car le jazz a tantôt un « charme de gouttière » et tantôt une volubilité hugolienne (comme certaines pages de Gerber d’ailleurs, notamment quand il évoque le Chat qui pêche o ù il rencontre Stan Getz, son dieu tombé de son piédestal, pour un petit concert privé qui le marque à vie), tantôt se mue en confidence lancinante avec Chet Baker, qui vit sa dérive mortelle loin de nous et nous rejoint de sa double voix: « J’écoutais cette musique refaire le monde à son image, marcher toute seule quand la ville dort, marcher derrières les bruits de ses pas, traverser en dehors des clous, mêler son haleine au brouillard, ramasser les mégots de la nuit ».
    Qu’il évoque New York ou les projections cinématographiques du jazz (plus que le Bird de Clint Eastwood, Honkytonk Man, où le jazz parle comme par allusion, au deuxième degré), les figures de Duke Ellington ou de Martial Solal, Louis Armstrong qui est un roman à lui seul (Alain Gerber l’a d’ailleurs écrit), du Paris jazzy de Henri Crolla, de John Lewis « minimaliste prodigue » ou de Kenny Clarke, parfait escort drummer qui « déteste les solos de tambour » mais habite le secret des dieux, Alain Gerber est essentiellement lui-même dans ces Balades en jazz, essentiellement écrivain, poète à sa façon de sanglier des Vosges, du genre vieux môme qui emportera ses jouets dans sa tombe vu que la mort, c’est connu, à un vieux faible pour le jazz.
    Alain Gerber. Balades en jazz. Folio Senso (Inédit), avec une quinzaine de photos du meilleur choix, 141p.

    Alain Gerber vient de publier un nouveau roman consacre  a Miles Davis, sous le titre de Miles, chez Fayard.

  • Dame de coeur et de cran

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    La consécration littéraire suprême du Prix Nobel de littérature rend (enfin!) justice à Doris Lessing.

    C’est une figure majeure de la littérature romanesque anglo-saxonne du XXe siècle qui a été honorée hier avec l’attribution du Prix Nobel de littérature à Doris Lessing, âgée de 87 ans et «nobélisable» depuis des décennies. Le choix a surpris car le nom de Doris Lessing, souvent cité naguère, ne paraissait plus d’actualité alors qu’on donnait pour favoris des auteurs plus «jeunes» tels que l’Américain Philip Roth, le Mexicain Carlos Fuentes, le Péruvien Mario Vargas Llosa, l’Israélien Amos Oz ou le poète français Yves Bonnefoy, notamment. Doris Lessing s’est dite «ravie» autant que surprise «Ça fait 30 ans que ça dure», a-t-elle déclaré. «J’ai remporté tous les prix en Europe, tous ces foutus prix. Cette fois, c’est un flush royal», a-t-elle commenté en usant d’un terme de poker
    Ce franc-parler n’étonne guère dans la bouche de Doris Lessing qui, sous des airs de petite dame au regard doux et intense, dissimule l’énergie indomptable d’une femme qui en a vu de toutes les couleurs avant de publier son premier roman.
    Pétrie de chair et de sang, l’œuvre de Doris Lessing puise en effet sa substance dans une vie engagée à tous les sens du terme. Ainsi la romancière a-t-elle roulé sa bosse de Perse, où elle est née au lendemain de la Grande Guerre (en 1919), en Rhodésie raciste où elle grandit au milieu des plantations de son père (un univers qu’elle décrit notamment dans ses Nouvelles africaines, en passant par Salisbury où elle fit ses premiers pas de jeune fille au pair et Londres où, en 1949, elle émigra avec son fils Peter après deux divorces et maintes tribulations relatées dans les grands cycles romanesques des Enfants de la violence et son chef-d’œuvre, Le carnet d’or.
    Communiste en ses jeunes années, Doris Lessing a partagé les désillusions des militants de sa génération, rompant avec le PC en 1956 lors de l’écrasement de l’insurrection hongroise sans renoncer jamais à son combat contre l’injustice. Au début des années 90, ainsi, elle consacrait un livre-cri à la condition tragique du peuple afghan, dans Le vent emporte nos paroles. Dans La terroriste, en outre, datant de 1985, Doris Lessing avait analysé avec pénétration la dérive d’une jeune femme dans la violence politique sous l’effet d’un ressentiment personnel à caractère névrotique. Plus récemment, après le roman poignant consacré à un rejeton «monstrueux», intitulé Le cinquième enfant, la romancière s’est lancée dans un vaste cycle ressortissant à la science-fiction avec les cinq tomes de sa Canopus in Argos, dans la filiation visionnaire et critique d’un Orwell, où les relations entre hommes et femmes se trouvent réinvesties après les observations pénétrantes nourrissant maintes nouvelles mémorables, L’habitude d’aimer ou Notre amie Judith. La romancière s’est toujours défendue, au reste d’entretenir aucune haine sectaire «En ce qui me concerne, me confiait-elle ainsi en 1990, je suis incapable d’établir des hiérarchies en fonction de ces barrières si artificielles que sont les sexes, les races ou les religions, Ce qui m’importe est la qualité d’un individu, voilà tout!»

    Le Nobel de littérature consacre une Mère courage

    Le comité du Nobel de l’Académie de Stockholm a-t-il fait preuve de gâtisme en décernant son Prix de littérature 2007 à Doris Lessing, romancière anglaise de 87 ans, qui incarne la rébellion humaniste et féministe du XXe siècle alors que nous vivons aujourd’hui, à ce qu’il semble, une nouvelle ère d’expansion mondialisée? Et quel sens, d’ailleurs, peut bien avoir un prix de littérature, dans un univers neuf voué aux avancées de la technologie et de la performance tous azimuts ?

    La crédibilité du Nobel de littérature est-elle avérée du fait que le lauréat «touche» 10 millions de couronnes suédoises (environ 1 million de nos francs)? Absolument pas, et moins encore dans le cas de Doris Lessing, qui s'en bat l’œil (elle me l’a dit). Ce que signifie le prix Nobel de littérature est autrement important: il dit qu’une vieille femme aujourd’hui peut être reconnue pour le caractère vivifiant de ce qu’elle laisse à l’humanité du point de vue de ce qu’elle a vécu, observé, souffert, espéré et magnifiquement exprimé.

    La noblesse du Nobel n’a rien de spécialement suédois ou occidental: elle parie pour un idéal commun des habitants de la planète Terre, toutes traditions confondues. De 1901 à nos jours, les écrivains messieurs ont certes été privilégiés par rapport aux dames, et les pays riches par rapport aux pauvres. N’empêche: voici la Mère courage de partout, qui pourrait être aujourd’hui Birmane, alors même que ses livres sont purs de tout esprit partisan. Doris Lessing incarne l’éthique de la ressemblance humaine, avec autant de réalisme tragique que d’espoir réaffirmé. A celui-ci, puisse le Nobel donner de nouvelles ailes...

  • Ceux qui n’ont pas de badge

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    Celui qu’une perspective d’augmentation de 0,7% de son salaire d'employé au Service des Automobiles retient de se jeter par la fenêtre / Celle qui hésite à se faire une nouvelle estafilade sous le sein gauche / Ceux qui se frottent aux troncs de trembles dans la clarté lunaire / Celui qui fait la gueule lorsque lui apparaît enfin les reflets bleu pâle et violets de la glace de l’Alaska dont il rêvait depuis 1733 / Celle qui murmure à l’extrême bord du quai luisant de rosée où passera tout à l’heure le NightExpress / Ceux qui s’estiment lésés par les dernières décisions du Pouvoir Central en matière de zoomanie / Celui qui endosse sa tenue de camouflage d’ornithologue avec une sorte de jouissance guerrière / Celle qui brûle son bouquet de mariée devant le portrait de son père en tenue de champion de golf / Ceux qui se rappellent leur traversée du désert en 4x4 / Celui qui sait tout de l’histoire du sel / Celle qui voit partout des complots du sionisme international / Ceux qui se brossent les dents avec du sable / Celui qui révèle au public des Journées de Poésie de Wildheim qu’écrire un poème équivaut pour lui à se jeter du haut de la Tour de Fer / Celle qui pense que chaque caillou qu’elle ramasse au bord du fleuve contient une âme qu’il lui incombe de délivrer par quelque psalmodie dans la brume / Ceux qui poussent leurs épouses dévouées à la morosité par manque de romantisme et de sexe il faut bien le dire nom de bleu / Celui qui attendait Marion devant la vitrine de l’Heureuse Attente, rue de Rennes, sans se douter qu’elle venait de découvrir qu’il n’était pas le père / Celle qui estime qu’on ne peut pas prêter sa machine à coudre à une surnuméraire malgache / Ceux qui aperçoivent la deux-chevaux verte de leur période rose dans la lumière orange de l’automne lyonnais, etc.

    JLK: AutoFace I, huile sur toile, 2007. Photo Philippe Seelen.

  • Le silence de Grünewald

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    En lisant Comme la neige sur les Alpes, premier poème de D'après nature de W.G. Sebald

    Il s’agit de quelqu’un qui sent en lui cohabiter Hitler et le Christ. Plus exactement il peint « les cris, les vociférations, les gargouillements, les chuintements d’un spectacle pathologique, dont son art et lui-même, il le savait bien, faisaient partie.

     Ainsi continue le poème :

    « La posture de panique

    visible dans toutes les figures

    de l’œuvre de Grünewald, la tête renversée

    qui dégage la gorge et souvent expose le visage

    a une lumière aveuglante,

    est la manière paroxystique qu’ont les corps de dire que

    la nature ne connaît pas d’équilibre,

    mais enchaîne à l’aveuglette

    les expériences brutes,

    et comme un bricoleur insensé

    démantèle ce qu’elle vient à peine de créer. »

    et plus loin ceci encore :

    « L’oiseau noir qui dans son bec

    apporte sa collation à saint

    Antoine dans son coin de désert

    est peut-être celui au cœur de verre

    qui depuis toujours

    vole vers nous,

    celui dont un autre saint homme

    des derniers jours annonce

    qu’il chiera dans la mer,

    laquelle se mettra à bouillir et s’asséchera,

    et la terre tremblera et la grande cité

    à la tour de fer sera en flammes

    et le pape sera dans une barque

    et les ténèbres se feront et

    là où le coffret noir tombera,

    une poussière grise et jaune

    recouvrira le pays. »

    208968ab56e8b42a6330bf8d77c22d88.jpgAinsi roule le poème, dont la première pierre est un visage inconnu, le tien, le mien, celui de Grünewald ou celui de son ami peut-être amant Mathis Nithart, roulant d’un tableau l’autre, tantôt à petite moustache et tantôt auréolé, tout l’homme remplissant finalement le retable.

    Un certain jour de mai cinq mille paysans, hutus ou tutsis tudesques, se firent massacrer « dans l’étrange bataille de Frankenhausen », après quoi, ayant appris la nouvelle,  Grünewald ne sortit plus de chez lui.

    « Mais il entendit le bruit des yeux

    Qu’encore longtemps on continua de crever

    Entre le lac de Constance

    Et la forêt de Thuringe.

    Des semaines durant, en ces temps-là,

    Il porta un bandeau noir

    Sur le visage ».

    Or comment ne pas penser, à ce moment de scruter le temps, à Hölderlin se retirant du monde ?

    W.G. Sebald. D’après nature. Traduit (admirablement) de l’allemand par Sibylle Muller et patrick Charbonneau. Actes Sud, 88p.
  • Des essaims d’essors

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    Sur une formule de Peter Sloterdijk. Contre le nihilisme.

    Un ami très cher, et d’autant plus cher qu’ils sont rares, ces amours d’amis vivants (les morts sont plus nombreux) avec lesquels il est encore possible de parler par les temps qui courent dans le désert flouté des gens qui courent, ce frère avéré m’envoie cette image qu’il a prise de mes couleurs avec, au dos, cette citation d’ Ecumes de Peter Sloterdijk dont il est un constant lecteur : « Lorsqu’une grande exagération a fait son temps, des essaims d’essors plus discrets s’élèvent ».

    Je sais bien que Sloterdijk pense à autre chose en désignant cette « grande exagération », mais sa formule retentit aussitôt en moi comme une relance de ferveur à batailler contre le nihilisme au goût du jour et, parmi les équivoques de celui-ci, contre l’opinion mortifère selon laquelle plus rien ne se fait aujourd’hui en matière d’art et de littérature.

    Un maître à penser  local me taxait récemment d’esprit petit-bourgeois pour cela seulement que je me suis permis de trouver « lugubre » le Désenchantement de la littérature de Richard Millet, dont je partage une partie des sévères constats (sévères par exigence légitime, je ne le sais que trop) mais en rejette le manque de générosité et de nuances, plus encore l’attitude consistant pour notre génération à retirer l’échelle derrière elle.

    Le même constat désenchanté a été tiré, il y a quelques années, dans un vaste et fol essai aussi formidablement intéressant qu’injuste dans sa conclusion (selon laquelle la littérature cesserait d’exister après 1960), intitulé L’Homme seul et paru à L’Age d’Homme sous la plume de notre ami Claude Frochaux. Or celui-ci est un véritable écrivain, comme l’est aussi Richard Millet, et les écrivains doivent parfois recourir à des grandes exagérations pour être ce qu’ils sont. Philippe Sollers exagère lui aussi plus souvent qu’à son tour, jusque dans ses récentes Guerres secrètes où il constate que plus personne ne lit aujourd’hui. Mais Sollers fait lire, tandis que le maître à penser cantonal ne veut lire que ce qui le conforte dans son déni de toute création vivante l’autorisant à taxer de petit-bourgeois tout ce qui prétend échapper à son nihilisme de notable dont le cul s’est posé une fois pour toutes sur la commode des Arts et des Lettres.

    Au reste je ne craindrai pas de défendre la paire de pantoufles réelles du petit-bourgeois, autant que l’état réel de petit-bourgeois me sied, tel en tout cas qu’il était vécu par l’un de mes maîtres à sentir, Vassily Rozanov, génial prophète de la fin de la littérature « littéraire », au sens d’un culte de caste non vécu dans sa culotte, si j’ose dire, Rozanov estimant que la littérature lui était essentiellement une sorte de pantalon, et le plus seyant serait le mieux, lui chauffant bien les jambes et la boutique, une seconde peau s’il vous plaît, un objet cher de sa vie privée à côté de sa chère femme et de sa chère mère, et de là des soupirs, des prières, des éclats, des pleurs, la main sur le piano ou le samovar, des notes prises dans la rue des prostituées, des conversations avec la droite et la gauche, des confitures savourées à la fenêtre, une voix murmurant dans la nuit – enfin tout ce qui semble insignifiant à notre fourrier du prêt-à-penser embourgeoisé au pire sens (au sens donc de Léon Bloy) qui de la littérature ne voit que les Grands Noms.

    L’image des essaims d’essors m’enchante. Trois livres merveilleux, très différents l’un de l’autre (Regarde la vague de François Emmanuel, Le Cheveu de Vénus de Mikhaïl Chichkine, La Symphonie du Loup de Marius Daniel Popescu), me sont apparus comme autant d’essaims d’essor poétique en cet été indien, et j’y resonge avec reconnaissance tous les jours. Plus tôt en Suisse romande : La corde de mi d’Anne-Lise Grobéty ou Revenez, chère images, revenez, de Rose-Marie-Pagnard. Plus récemment enfin le fulgurant et bouleversant Demeure le corps de Philippe Rahmy.

    Mais j’en vois partout et de toutes les couleurs. En lisant Guerres secrètes je vois les efforts d’essors du meilleur Sollers, et je me rappelle alors ma lecture de cet été d’Artefact de Maurice G. Dantec, livre bancal selon moi mais témoignant de quel fantastique effort d’essor lui aussi, et je lis Dantec et continuerai de le lire  avec la même espèce d’amitié occulte que je lis La littérature à contre-nuit de l’intempestif Juan Asensio. Celui-ci a beau rejeter Sollers ou Todorov et leurs essors respectifs : cela m’est égal, mais ce n’est pas que tout soit égal, au contraire, c’est que les uns et tant d’autres (je pense aux essors de Patrick Modiano, de Pascal Quignard, de Michel del Castillo, d’Alina Reyes, de Linda Lê, de Georges-Olivier Châteaureynaud, d’Alain Nadaud…) incarnent ces essaims d’essors dans la littérature en train de se chercher et de se faire, frayant peut-être la voie de celle de demain.

    « La Sphère Une a implosé », constate Sloterdijk après Nietzsche. « Mais quoi, les écumes vivent. Si les mécanismes de la récupération par les globes simplificateurs et les totalisations impériales sont percées à jour, cela n’explique justement pas pourquoi les hommes devraient jeter par la fenêtre tout ce qu’ils considéraient comme grand, animant et précieux. Dire que le Dieu nocif du consensus est mort, c’est reconnaître les énergies avec lesquelles on reprend le travail – ce sont forcément les mêmes que celles qui étaient absorbées par l’hyperbole métaphysique. Lorsqu’une grande exagération a fait son temps, des essaims d’essors plus discret s’élèvent » (*)

    Peter Sloterdijk. Ecumes,Sphères III, p. 20. Maren Sell, 2003.

    Richard Millet. Désenchantement de la littérature, Gallimard, 2007.

    Claude Frochaux. L’Homme seul. L’Age d’Homme, 1996. Repris en Poche Suisse.

    Photo: Philippe Seelen.

  • Le loup sur les ondes

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    Marius Daniel Popescu fait l’unanimité de Lectures croisées et de La Librairie francophone.

    En principe, l’émission intitulée Lectures croisées, produite et réalisée sur Espace 2 par Louis-Philippe Ruffy, propose un débat critique contradictoire où il arrive souvent que les fers se croisent entre Sylvie Tanette, qui a des goûts affûtés et bien arrêtés, et le sieur JLK, pas moins têtu dans les siens.

    Or voici que, pour aborder trois livres de la rentrée romande, après un préambule consacré au thème que j’ai lancé récemment dans la page Livres de notre journal, sous le titre Déclin ou transition, à propos de l’état actuel de l’édition et de la littétarure romande, une pleine unanimité s’est faite autour de La Symphonie du loup de Marius Daniel Popescu, qui a fait la même unanimité des libraires à l’enseigne de la Librairie francophone, sur les chaînes associées par France-inter.

    Je l’ai écrit et répété : La Symphonie du loup est un événement littéraire. Parce que son auteur est conducteur de bus ? Nullement, à cela près que mener à bout une telle chronique romanesque alors qu’on a tous les jours 60 tonnes d’humanité à transbahuter à travers Lausanne et environs, relève de la performance.

    Mais La Symphonie du loup ne se borne pas à un exploit « sportif » : c’est une extraordinaire prise de parole, d’abord par la voix d’un vieil homme revenu de deux guerres et resté indomptable devant le Parti unique de Ceausescu, qui raconte la mort accidentelle de son fils, plus indomptable encore, à son petit-fils, l’auteur lui-même, dans un premier récit qui se déploie à travers tout le livre au rythme de l’enterrement du père. Ensuite, en alternance avec le prodigieux déferlement des récits « roumains », le fils devenu père, à Lausanne, apprend le monde et les mots à ses deux petites filles, avec une attention tendre qui englobe la présence de la mère et se module sur une voix plus intimiste

    Il y a du conteur-musicien gitan chez Popescu, qui brosse un tableau de la Roumanie en déglingue avec un sens du symbole social et politique vécu qui coupe court à toute argumentation idéologique. Ce qu’est le communisme, ce que sont les serviteurs du Parti unique, on le voit par le comportement des gens, qui seraient sans doute aussi serviles dans notre radieux pays. Celui-ci est d’ailleurs vu  avec la même lucidité chaleureuse par Popescu, pour qui tous les humains sont pareils.

    c8b72dd85797866d0149f3e36ee3e04a.jpgAinsi que le dit bien Sylvie Tanette dans Lectures croisées, l’un des grands intérêts du livre tient à la situation particulière de cet exilé atypique, qui n’est nulle part et partout chez lui, et dont le regard reste d’une totale liberté et d’une même porosité . Son livre est à la fois un rituel d’observation et d’écriture, d’une poésie à ras l’objet, qui transfigure le quotidien avec une sorte de ferveur sacrée, sans l’édulcorer. C’est en outre une saga au souffle tonifiant, ponctuée de scènes inoubliables. Les premières sept pages, évoquant l’annonce faite à l’adolescent , en train de pêcher dans une rivière, de la mort de son père et le bain que lui donne sa grand-mère, dans lequel il verse les premières larmes de sa vie, sont à pleurer aussi bien. Et la scène du train fou ! La scène du cheval crucifié par les ouvriers ! La scène de l’avortement ! Tant d’autres…  

    D’aucuns, dans ce pays où l’on « freine à la montée », comme me le disait mon ami Thierry Vernet, et les mêmes qui jurent au ciel qu’ils aiment les « étrangers », n’ont pas manqué de snober ou de dénigrer Popescu. Moi qui suis son ami, je me suis souvent demandé si l’énergumène, car énergumène il est assurément, parviendrait à mener son grand projet à bon port. La Symphonie n’est pas sans défauts, comme tout ce qui vit surabondamment, et quelques pages auraient pu être élaguées, mais après en avoir vécu l’apparition comme un grand bonheur personnel de lecteur, alors que si peu de voix nouvelles surgissent autour de nous, comment ne pourrais-je me réjouir de voir ce livre accueilli avec reconnaissance, et bien au-delà de nos étroites largeurs, pour son souffle si vivifiant ?        

    RSR, Espace 2, Lectures croisées, aujourd’hui  4 octobre à 11h. Reprise à 19h. La Librairie francophone, samedi sur RSR et dimanche sur France-inter. Marius Daniel Popescu a été nominé pour le prochain prix Wepler, attribué le 12 novembre. Invité à l’émission Devine qui vient dîner du 23 octobre, sur RSR 1, j’y ai également invité MDP.

  • Faulkner à la trace

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    William Faulkner. Une vie en romans, par André Bleikasten

    « Il y a une énigme Faulkner », écrit André Bleikasten, qui connaît pourtant son œuvre comme sa poche puisqu’il fut l’un de ses éditeurs dans la collection La Pléiade. Ce qu’il entend alors touche plutôt l’homme et les personnages publics qu’il a joués, avec pas mal de légendes forgées de toutes pièces. Mais en savoir plus sur les tenants de son alcoolisme effréné (pas du tout inventé) et les aboutissants d’un mariage immédiatement désastreux nous en apprendra-t-il beaucoup sur l’univers de l’un des plus grands romanciers du XXe siècle ? Ce que révèle en tout cas ce formidable bouquin, qui nous fait rencontrer l’homme à travers les masques superposés de ses personnages, d’un roman à l’autre, c’est la cohésion secrète et l’osmose constante entre l’univers romanesque de Faulkner et sa propre vie, laquelle ne donne pas pour autant la clef de l’œuvre.  Une biographie est l’histoire d’une écriture, affirmait Nabokov, mais nous voyons également, ici, le sieur Billy, mal vu de ses concitoyens, « inventer » le Vieux Sud et déployer une inoubliable frise de personnages aussi « réels » que lui-même. Du premier scandale de Sanctuaire au prix Nobel, en passant par le cinéma et une vingtaine de romans passés au peigne fin, cette traversée de la planète Faulkner fera date.     

    05937696865c377c624ec8e57322d074.jpgEditions aden, coll. Le cercle des poètes disparus. 728p.

    Deux autres biographies à lire « en miroir », s’agissant de deux grands poètes contemporains qui partagèrent leur vie, leurs tribulations et une part de leur univers intérieur, viennent également de paraître dans cette collection de qualité supérieure, consacrées respectivement à Sylvia Plath et Ted Hughes.

     

  • Au Café des années bohème

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     Le nouveau roman de Patrick Modiano, Dans le café de la jeunesse perdue, nous plonge dans une rêverie existentielle dont Paris est le décor magique.

    On croit avoir saisi l’essence des romans de Patrick Modiano en évoquant les airs de la nostalgie qui s’en dégagent, avec une atmosphère très particulière, à la fois nette et vaguement mélancolique, propice à la rêverie comme le sont certains lieux écartés qui « diffusent », et qu’on retrouve avec des variations depuis La place de l’étoile, premier ouvrage remontant à 1968, dans Villa triste et Rue des boutiques obscures, notamment, et dans une vingtaine d’autres livres de la même eau claire-obscure, quelque part entre les ciels mouillés de Simenon et le pavé sec (comme le scotch) de Sagan, avec quelque chose de proustien dans le choix des noms et la musique des titres.

    Dans le café de la jeunesse perdue en est un nouvel exemple, dont l’exergue parodiant les premiers vers de la Divine comédie de Dante est emprunté à Guy Debord : « A la moitié du chemin de la vraie vie, nous étions environnés d’une sombre mélancolie, qu’ont exprimée tant de mots railleurs et tristes, dans le café de la jeunesse perdue ».

    Ladite mélancolie s’incarne ici dès l’apparition au Condé, café situé dans le quartier de l’Odéon, fermant tard et réunissant la clientèle « la plus étrange », d’une femme semblant « fuir quelque chose » et pénétrant toujours dans l’établissement par sa porte la plus étroite dite « la porte de l’ombre ». Le premier portrait de cette créature encore jeune, se tenant d’abord à l’écart puis se mêlant à la table la plus animée pour s’y taire ou lire Horizons perdus, bientôt surnommée Louki par la compagnie, se trouve esquissé par un étudiant de l’Ecole supérieure des Mines plus ou moins impatient de s’entendre recommander de s’en carapater sous peine d’assommante carrière, témoin réservé, voire timide, du petit théâtre bohème où se croisent des traîne-patins et des écrivains, tel le dramaturge Adamov au « regard de chien tragique », ce Bowing dit Le Capitaine qui tient un livre d’or de tous les déplacements de la clientèle, ou ce soi-disant « éditeur d’art » qui va le relayer dans l’office de la narration avec la précision maniaque d’un détective, ce qui lui va comme un gant puisque détective il est en effet, enquêtant sur la disparition d’une certaine Jacqueline Delanque, épouse d’un certain Choureau, enfuie de ce bref malentendu conjugal pour devenir Louki…

    Comme le plus souvent chez Modiano, le semblant d’enquête policière en cache une autre, plus essentielle ou exactement : plus existentielle. Loin de s’en tenir à tel cliché de la nostalgie des sixties, style jeunesse « existentialiste » finissante, le roman nous entraîne ainsi, de la rive gauche « artiste », en d’autres lieux de solitude et de dèche moins décorative d’où viennent aussi bien Jacqueline, sa mère et sa camarade Jeannette Gaul dite Tête de mort et se roulant volontiers dans la « neige »…

    N’en disons pas plus, car il faut laisser le lecteur « écouter » Modiano, entre Schubert et Tchékhov, avant la noire conclusion de ce livre doux et dur, fluide et poreux, dans lequel on entre par une porte sombre et qui nous laisse au seuil d’un « ailleurs » éperdu…

    Patrick Modiano. Dans le café de la jeunesse perdue. Gallimard, 148p.  

     

    Modiano en dates

    1945           Naissance  à Paris, le 30 juillet. Fils d’Albert Modiano, Juif originaire d’Alexandrie et préfigurant les personnages de son fils…

    1957           Mort tragique de son frère Rudy, auquel il dédiera ses premiers livres.

    1967           Publie La place de l’étoile, son premier roman, avec l’appui de Raymond Queneau, ami de la famille.

    1970           Epouse Dominique Zehrfuss

    1972           Les Boulevards de ceinture, Grand Prix du roman de l’Académie française.

    1974           Lacombe Lucien. Film en collaboration avec Louis Malle.

    1978           Rue des Boutiques obscures, Prix Goncourt.

    2002           Bon voyage. Film en collaboration avec Jean-Paul Rappeneau.

    2005           Un pedigree. Récit à caractère autobiographique.

    Cet article a paru dans l'édition de 24 Heures du 2octobre 2007.

  • Le grain de Millet

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    Deux livres nouveaux, entre aigreur et saveur.

    Romancier reconnu mais posant à l’incompris, styliste impeccable jusqu’à l’affectation, essayiste ombrageux aux prises de position de plus en radicales dans leur catastrophisme, éditeur enfin qui accompagna (notamment) Jonathan Littell et ses Bienveillantes, Richard Millet vient de publier deux ouvrages illustrant à la fois ses hautes qualités d’écrivain et sa discutable dérive dans un négativisme teigneux dont lui seul, estime-t-il, ressort blanc comme le chevalier de l’immaculée lessive.

    S’il y a du bon à prendre dans les observations de son Désenchantement de la littérature, à propos de la dégradation de la langue en général, sous l’effet du « langage mortifère de la communication », et du déclin de la littérature actuelle en particulier, force est de s’inscrire en faux contre son manque total de nuances (cela même qui fait le sel de toute littérature vivante) et de générosité.

    Egaré dans ses vaticinations idéologiques de pseudo-prophète, Richard Millet nous revient en beauté avec L’Orient désert, récit de voyage spirituel non moins qu’érotique d’un homme blessé, aux sources chrétiennes du Liban meurtri de son enfance, et jusqu’en Cilicie où le poigne la nostalgie de son baptême «dans une petite église de granit à clocher-mur, au plus haut d’un village de Corrèze », pays de ses romans, et qui écrit enfin: « On ne peut que se taire, dans une manière d’innocence »…   

     

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    Richard Millet. Désenchantement de la littérature. Gallimard, 66p. L’Orient désert. Mercure de France, 223p.          

     

  • « Quand tu donnes je donne »

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     RENCONTRE Youssou N’Dour évoque son nouvel album, avant la présentation, à New York, de Retour à Gorée, le film  de Pierre-Yves Borgeaud qu’il a inspiré en mémoire de ses ancêtres esclaves.  

    On le voit à l’écran dans Retour à Gorée, et l’homme est exactement le même au naturel, en jeans rapiécés dans le lobby de ce palace parisien : Youssou N’Dour est resté la simplicité même en dépit de sa gloire mondiale, de son « empire » et de son rôle emblématique dans la défense universelle des droits de l’homme. Très présent au Sénégal, il y a lancé au printemps 2007 une première mouture de son nouvel opus sous le titre d’Alsaama Day (« bonjour le jour », en mandingue), redéployé pour sa diffusion mondiale sous le titre de Rokku Mi  Rokka, signifiant « quand tu donnes je donne » en langue pulaar. La touche mauresque et peul est d’ailleurs accentuée par la présence de feu le guitariste Ali Farka Touré, alors que la chanteuse Neneh Cherry rejoint Yousou pour l’irrésistible Wake up sur lequel s’achève l’album, probable tube à venir…    

    -          Comment présenteriez-vous votre dernier album à… un sourd ?

    -          D’abord, je lui donnerais une carte du Sénégal pour lui expliquer la traversée des Peuls du sud à l’ouest et au nord du pays et lui montrer qu’en cette zone, partagée entre le Sénégal, la Mauritanie et le Mali, s’enracinent des musiques comme le blues ou le reggae. La danse pourrait lui faire voir ensuite ce que je raconte dans ce disque, qui remonte aux sources du rythme. La langue peut aussi être un obstacle à la compréhension de ce que je dis, comme la surdité, mais mon « message » passe d’abord par le rythme. Enfin, je dirais à « votre » sourd qu’il est beaucoup question, dans Rokku mi Rokka, de la vie de mon pays.

    -          Pourriez-vous évoquer le dernier morceau de ce nouvel opus, intitulé Wake up ?

    -          J’y parle, précisément, à mes frères Africains. En premier lieu, j’exprime la nouvelle réalité de L’Afrique qui se réveille et commence à parler : à parler d’elle-même et à se parler, entre Africains. En outre, j’y affirme que, par rapport au monde, l’Afrique n’a plus à se justifier d’être réduite au cliché d’un continent dévasté par le sida, la pauvreté et la guerre, mais doit se montrer fière de sa façon de percevoir le monde et de faire avancer les choses à sa façon, avec son énergie et sa joie de vivre.

    -              Beaucoup d’artistes et d’écrivains africains sont déchirés, par rapport à leur pays d’origine, qu’ils soient en exil politique ou cherchent la notoriété en Occident. Est-ce pourquoi vous êtes resté au Sénégal ?

    -          L’Afrique est un continent contradictoire, et beaucoup d’écrivains se sont expatriés pour fuir les dictatures et continuer d’exprimer l’opposition et l’espoir de leur communauté. Si j’ai eu la chance de pouvoir exporter ma musique, je ne l’ai jamais conçue hors de son environnement vivant. Il me semblait plus important de parler d’abord aux Africains, quitte à en devenir ensuite le porte-voix. Si je voyage beaucoup et trouve des sons ailleurs qu’en Afrique, celle-ci est ma vraie mesure : elle m’apaise. C’est là que j’ai mon cœur.

    -          De là le côté « racines » de votre dernier disque ?

    -          En fait, j’ai toujours été « roots », mais le fait d’avoir voyagé m’a sans doute aidé à mieux « sentir mes racines ». Je suis un griot, qui a beaucoup parlé jusque-là de la vie moderne. Mais à présent je trouve intéressant de remonter à nos sources.   

    -          Dans le film de Pierre-Yves Borgeaud, ce retour se fait de façon plus large et profonde, aux sources de l’esclavage et du jazz. Qu’est-ce qui vous y a amené ?

    -          C’est d’abord la rencontre avec le jazz, au Festival de Cully, à l’initiative de Moncef Genoud, et ensuite avec Emmanuel Gétaz qui voulait donner une suite aux concerts. J’ai pensé alors qu’il serait beau de faire ce voyage à la fois musical et historique aux origines du jazz. Avec Pierre-Yves, en lequel j’ai senti que je pouvais avoir confiance et qui était si discret avec sa caméra, nous avons vécu une aventure humaine magnifique et je suis content que le film rayonne et parle à tous  les publics, au-delà des amateurs de jazz. Je reviens à l’instant d’Angleterre où il a été très bien accueilli.

    -          Quels personnages ont compté le plus dans votre formation personnelle et votre vision du monde ?

    -          Le premier est Nelson Mandela, qui m’a beaucoup marqué et appris, à la fois par son combat politique et, lorsqu’il a laissé le pouvoir alors que tant s’y sont accrochés, par sa stature humaine, notamment dans sa lutte le sida. Peter Gabriel m’a aussi apporté énormément, autant pour son intérêt à ma musique que par son engagement au service des droits de l’homme, en me permettant de mieux incarner ces valeurs que je sentais en moi, représentant mon idéal humain.       

     

     

    Youssou N’dour en dates

    1959                       Naissance à Dakar, le 1er octobre. De religion musulmane, dans la tradition soufi.

    1985                      Concert pour la libération de Mandela, auquel il consacre une chanson, au stade de l’Amitié de Dakar.

    1994                      Succès planétaire de 7 Seconds, avec Neneh Cherry, (2 millions d’exemplaires).

    1996                      Prix du meilleur artiste africain.

    1998                      Musique du film d'animation Kirikou et la sorcière et de La Cour des Grands, hymne de la Coupe du monde de football disputée la même année en France.

    1999                      Artiste africain du siècle.

    2005                      Grammy Award pour Egypte, meilleur album de musique du monde. Youssou N’dour est ambassadeur de bonne volonté de l’Unicef et du BIT. Il a mis sur pied une maison de production, le studio Xippi, et le groupe de presse Futurs Médias.

    2007                      29 octobre : sortie de Rokku Mi Rokka. Novembre : présentation de Retour à Gorée à New York.

    Ci-dessus: la dernière porte, à Gorée, que passaient les esclaves.

    Cet entretien a paru dans l'édition de 24Heures du 1er octobre 2007.

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  • ISSUE DE SECOURS

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    Dans le TGV, ce 26 septembre. – En lisant Dans le Café de la jeunesse perdue de Patrick Modiano, aussitôt je suis touché de retrouver une voix, à la fois une respiration et comme un murmure, une musique qui me ramène certaine matinée de printemps du coté de la rue Legendre, dans ce que Modiano appelle l’« arrière-pays » de Paris, ou rue Pascal une après-midi d’automne, où je rejoignais mon hôtel miteux à rideaux de velours de théâtre pour y poursuivre la lecture des Palmiers sauvages de Faulkner, rue Fontaine que je descendais à point d’heures après une soirée chez Alain Gerber ou de l’autre côté de la Butte où le roman se perd aussi, enfin partout où, loin des lieux « à visiter », l’on se trouve dans ces zones neutres, comme les appelle aussi Modiano, qui diffusent cette espèce de musique, sous un ciel blanc, que jamais je n’ai entendue telle chez aucun autre auteur.
    Une fois de plus je suis entré dans un livre de ce romancier avec le sentiment de me retrouver dans un univers intime et vaguement inquiétant, comme un refuge cerné d’ombre aux personnages un peu tremblés, ou floutés comme on dit aujourd’hui, quelque part entre les somnambules hyperréels de Simenon et les rêveurs apparement plus chics encanaillés de Sagan.
    Modiano entre Simenon et Sagan : je n’y avais jamais songé, mais cela me vient à l’instant de déchiffrer ici, sur la vitre du TGV Lyria de Lausanne à Paris, l’inscription : ISSUE DE SECOURS, et du coup je songe à Monsieur Monde, à des figures pressées s’en allant sous de merveilleux nuages comme il n’y en a qu’à Paris, ou à la même façon de fuir de Louki, dans ce dernier livre de Modiano, qui fleure elle aussi Paris avec son mélange de délicatesse et d’équivoque, son côté peuple et son aristocratie naturelle.
    Le monde de Modiano, comme celui de Simenon ou celui de Sagan, est tellement typé, par l’atmosphère qu’il diffuse et vaporise (le mot est de l’écrivain lui-même), qu’on pourrait conclure au cliché en lisant mal : Modiano « fait du Modiano », comme d’aucuns disent que « du Tchékhov » se réduit à une mélancolie décadente de villes d’eaux, ce qui est non seulement un cliché mais tout faux, car le vrai Tchékhov est à la fois plus noir et plus tonique, plus foisonnant et plus virulent que maints auteurs apparemment plus « réalistes », et de même les romans de Modiano sont-ils plus vivants et vibrants qu’il n’y paraît de prime abord, non réductibles en tout cas au cliché de la nostalgie, et pire: de la nostalgie rétro.
    En quoi cette vitre est-elle une ISSUE DE SECOURS ? Je me le demande. Est-elle la seule cassable de la rame ? Je l’ignore. En lisant Dans le Café de la jeunesse perdue, que Modiao situe dans le quartier de l’Odéon, je me rappelle un matin de soleil, en mai 68, au café Condé qui n’existe pas mais dont je me souviens néanmoins très bien. Il y avait là Jean Babilée le danseur et Arthur Adamov, une jeune femme qui se tenait à l’écart et un étudiant qui était peut-être Modiano, d’autres encore et la tenancière française au nom algérien - surtout je me rappelle ce rayon de soleil gris dans lequel nous avions l’air d’avoir tous le même âge des anges des bars du ciel, et je me dis alors que si j’écris un papier sur ce tendre et beau livre je l’intitulerai Au Café des années bohèmes
    Patrick Modiano. Dans le café de la jeunesse perdue. Gallimard, 148p.

  • Une rentrée cache l'autre

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    EDITION ROMANDE Nos éditeurs accusent le coup de la déferlante française. Avec une offre à la baisse mais qui reste riche et variée. Aperçu sélectif.

    Quels livres publiés en Suisse romande sont-ils à recommander ces temps prochains ? Après l’impossible exercice consistant à trier dans la masse des 727 nouveaux romans de la rentrée française, la tâche du chroniqueur est nettement plus facile. Hélas, pourrait-on dire, car l’édition romande s’étiole (lire encadré) et fait de moins en moins le poids sur le marché du livre. Autant dire que la tâche des « passeurs », consistant à repérer des livres originaux qui ne « marcheront » pas de manière aussi probable que Zaïda, le dernier pavé romanesque d’Anne Cuneo paru chez Campiche et déjà présenté en ces colonnes.

    96792f81571f6fdcc20dc20567036a03.jpgA la même enseigne, dans un registre d’observation et d’expression très vif et fouaillant le « quotidien » de 2001, Antonin Moeri nous revient avec son neuvième livre, après Le sourire de Mickey, intitulé Juste un jour et passant au scanner verbal, sur fond de « monde nickel dominé par l’urgence et la proximité », un quatuor familial en séjour dans le paradis programmé d’une station de sports d’hiver. Il y a du Houellebecq, en moins nihiliste et en plus nuancé, chez cet ironiste walsérien qui a l’art de prendre les lieux communs au piège de sa lucidité, et de jouer avec l’oralité de manière nouvelle.

    On rit également à faire blêmir Calvin, loin des langueurs nombrilistes de l’âme romande, avec La Vie Mécène de Jean-Michel Olivier, à paraître à L’Age d’Homme et constituant un portrait à multiples reflets d’un affairiste genevois de haute volée, viveur et grand intuitif en matière d’art et de musique, bienfaiteur prodigue du club de foot local et de moult institutions et créateurs. Sans être un roman à clef, cette satire menée au pas de charge ne manquera pas de faire quelques vagues au bout du lac.

    Dans le même club des « quinquas », Serge Bimpage propose, à L’Aire, avec Pokhara, le récit d’une virée au Népal réunissant deux vieux copains, dont les retrouvailles scellent un double bilan de leurs trajectoires respectives et de la vie en général, jusqu'au dénouement émouvant. Emotion aussi, mais sans rien de commun, dans le nouveau roman d’Asa Lanova, paru chez Campiche sous le titre de La nuit du Destin, quête existentielle et spirituelle de belle écriture, et dans le Journal de Bagdad d’Elisabeth Horem, représentant la part « brute » du roman Shrapnels.

    cf20485dfd3b808ed6e00b63a4f4482b.jpgSi la relève juvénile brille par son absence, le deuxième roman d’Angel Corredera (37 ans) à L’Aire, après une entrée remarquée en littérature avec La confrontation, était attendu et tient ses promesses dans une narration beaucoup plus ouverte qui explore, en perspective cavalière, le monde de la fin des « seventies ». De son côté, également à L’Aire, Loyse Pahud évoque les années 60-75 dans le récit choral de Casse-tête. Plus directement autobiographique et enjouée, La vallée de la jeunesse d’Eugène, publiée à La Joie de lire, revisite une enfance et une adolescence partagées entre la Roumanie d’origine de l’auteur et sa découverte du monde, par le truchement de vingt objets qui lui ont fait du bien ou du mal.

    Digressions et varia

    e4f9c3c137df8a04de0eb3a2f1bcd2c1.jpgComme souvent, « nos » écrivains brillent autant sinon plus dans l’essai digressif que dans le roman, mais c’est entre les deux genres que Jean-Bernard Vuillème module la narration très originale d’Une île au bout du doigt, paru chez Zoé où le nomadisme cher à Bouvier rebondit. De la même façon, Jil Silberstein, à L’Age d’Homme, combine profession de foi  personnelle et variations littéraires dans La neuvième merveille. Chez le même éditeur, entre autres publications débordant largement nos étroites frontières (avec la poésie complète de D.H-Lawrence, La paix soit avec vous de Vassili Grossman ou Les contes de l’Arbalète de G.K. Chesterton), les « fans » de Georges Haldas retrouveront ses fameux carnets (2005) avec Paroles nuptiales. Sous le signe de l’ « état de poésie », les éditions Empreintes promettent, en fin d’année, de nouveaux recueils d’Antonio Rodriguez et de Matthias Tschabold, et L’Aire propose un recueil du Lausannois Pierre Katz, sous le titre d’Angoisses.

    Forcément partiel, cet aperçu ne saurait s’achever sans faire mention, pour les vingt ans des éditions Noir sur Blanc, au rayonnement également international, de la parution de Balthazar, l’autobiographie de Slawomir Mrozek, et d’un superbe recueil de nouvelles d’auteurs de l’ancienne « autre Europe », Bienvenue à Z., titre éponyme de Mikhaïl Chichkine. Ce dernier, qui domine la rentrée française avec son génial Cheveu de Vénus (Fayard) avait marqué le dernier Salon du livre de Genève avec La Suisse russe, captivant aperçu de la découverte de notre pays par les écrivains du sien, auquel fait écho aujourd’hui Vivre en Russe de Georges Nivat.4b82687b7c77fc97216bd70754b48c36.jpg Au même rayon des regards croisés, rappelons enfin la publication, en mai dernier chez Metropolis, d’un épatant Petit guide de la Suisse insolite, sous la plume de Mavis Guinard. Autant dire que la rentrée ne se fait pas à un mois près…  

     

    Déclin ou transition ?

    La rentrée littéraire romande n’est plus ce qu’elle était il y a une vingtaine d’années, où l’on pouvait annoncer chaque automne une centaine de titres nouveaux, rien qu’en littérature, témoignant d’une vitalité remarquable de nos écrivains autant que de nos éditeurs, dont le travail était suivi par une quinzaine de « passeurs » fidèles dans les journaux et à la radio, et par un public attentif.

    Une édition littéraire comme nous l’avons connue au XXe siècle, de sa première « refondation » autour de Ramuz, puis avec Mermod et les grands clubs de la Guilde et de Rencontre, ensuite avec Vladimir Dimitrijevic et Bertil Galland, et la pléiade de leurs pairs plus jeunes (Marlyse Pietri, Michel Moret, Bernard Campiche), existera-t-elle encore dans vingt ans ?

    La question se pose à la fois du fait de la fin de carrière des plus âgés, la modification de la donne du marché du livre en Suisse romande et la relève à peu près inexistante, tant des éditeurs que des auteurs.

    Une édition vivante, dans une province comme la nôtre, ne se fait pas qu’avec des subventions mais avec ces entrepreneurs « visionnaires » que sont les vrais éditeurs, agissant en terrain socio-économique et culturel favorable, pour un public disponible. Or ces conditions, réunies jusque-là, ne le seront probablement plus demain, sauf miracle. Mais ce déclin est-il irréversible et fatal. Pour l’édition romande littéraire telle que nous l’avons connue, la chose est probable. Cela signifie-t-il la mort de la littérature dans ce pays ? Sûrement pas, mais qui pourrait dire comment le « biotope » se renouvellera ? Ramuz le disait en évoquant les grands moments de culture et de civilisation: cela dépendra des hommes. Et tant qu’il y aura des hommes…     

    Cette présentation a paru dans l'édition de 24Heures du 25 septembre 2007.     

    POST SCRIPTUM

    766041a1f55f5341fc47c9ec590da8d4.jpgUn livre absolument magnifique m'est arrivé ce midi, que j'ai lu d'un souffle en une heure, et que je relirai trois fois avant d'en écrire quoi que ce soit. Il s'agit du deuxième ouvrage de Philippe Rahmy, après Mouvement par la fin, portrait de la 159d0fa365f3c3db52b39d5fe6ecd039.jpgdouleur, paru chez Cheyne en 2005. En soixante pages étincelantes, belles à pleurer mais sans une once d'auto-compassion ou de ressentiment tournant à vide, Demeure le corps sublime le chaos et la catastrophe avec une puissance verbale extraordinaire, alternant le cri et le blues, l'imprécation et la supplique enfantine. Philippe Rahmy, né à Genève en 1965, est-il un auteur romand et fait-il encore partie de la relève ? On s'en bat l'oeil, mais on se l'arracherait aussi bien de ne pas lire Demeure le corps

     

  • Le silencieux volubile

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    Hommage à Marcel Marceau

    La disparition de Marcel Marceau ne manquera pas, comme le préfigurait hier le déferlement d’hommages officiels, amicaux ou pseudo-amicaux, de susciter un feu d’artifice d’images plus « poétiques » les unes que les autres, le qualifiant tantôt de « magicien du silence », de « funambule des étoiles » faisant clignoter son bip-bip ou d’ambassadeur silencieux de l’humanité bavarde.

    Le personnage de Bip, que le Juif alsacien né Marcel Manguel  inventa au lendemain d’une affreuse guerre où il fit lui-même acte de résistance au côté de son frère, alors que leur  père pris en otage mourrait à Auschwitz, est devenu une sorte de cliché, comme le petit prince de Saint-Exupéry ou, avant eux, le Pierrot lunaire de la tradition théâtrale populaire auquel Jean-Louis Barrault prête sa mine fardée dans Les Enfant du Paradis de Marcel Carné. Pourtant, dès que Marceau réapparaissait sur scène, ledit cliché redevenait image vivante et signifiante.  

    Simplicité enfantine, épure de l’expression et du geste, langage immémorial et universel chorégraphiant l’homme de toujours et de partout: tels étaient les composants de l’art de Marcel Marceau, qui eut le premier mérite de rafraîchir et de populariser la pantomime remontant à l’Antiquité occidentale tout en essaimant dans toutes les cultures. Parmi ses sources personnelles, les comiques du cinéma américain (à commencer par Charlot, mais également Buster Keaton dans ses vacillements et ses grimaces) ont compté, autant ensuite que l’observation directe de la comédie humaine. Plus profondément, sa parole silencieuse, il l’a expliqué, relaya le mutisme sidéré des revenants des camps de la mort, sans que cela se perçoive pour autant dans ses « récits ». Ceux-ci avaient atteint une perfection classique qui ne se renouvelait guère que par le frémissement d’une présence. La magie de la représentation, et l’émotion incarnée,  bien moins perceptible à la télévision, passaient alors jusque dans la énième répétition de ses séquences les plus célèbres, de l’homme marchant contre le vent (repris par Michael Jackson) à la plus symbolique et « incontournable » cage de verre.

    « Marcel c’est l’homme du mystère », disait Raymond Devos de Marceau, dont il hérita, malgré sa bedaine et sa faconde, une part de la grâce dansante. Plus épuré, comme les personnages d’un Beckett ou d’un Giacometti, l’homme de Marceau pratiquait la pantomime comme  « un art qui hypnotise », selon la propre expression de l’artiste. Celui-ci avait hésité entre diverses formes d’expressions avant de suivre  les cours de théâtre du mythique Charles Dullin et de trouver, à cette enseigne, sa voie chez le mime Etienne Decroux. En fondant sa propre compagnie, il avait inscrit au répertoire des mimodrames et des pantomimes tels que Le Manteau d’après Gogol, Le Joueur de flûte, Paris qui rit, Paris qui pleure. C’est cependant avec Bip qu’il aura fait le tour du monde et qu’il restera dans toutes les mémoires.

    Son héritage se perpétue en outre doublement, à la fois par l’enseignement qu’il dispensa en fondant en 1978 son Ecole internationale de mimodrame, fort de la conviction qu’un art qui ne se transmet pas est amené à mourir, et par les multiples hommages que constituent d’innombrables citation, bien au-delà de la seule pantomime muette, dans les cirques et les théâtres, de Zouc au clown Pic, entre tant d’autres - partout où le rire et l’émotion continuent de nous parler tandis que Marcel Marceau lui-même à cessé de se taire…

    Cet hommage a paru dans les éditions de 24Heures et de La Tribune de Genève du 24 septembre 2007.

  • La sincérité jusqu'où ?

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    Un échange épistolaire sur la publication des carnets intimes. Le cinéaste Richard Dindo commente L’Ambassade du papillon de JLK

    Kriegstetten, Hôtel Sternen, ce 22 janvier 2007. - je reçois ce message de Richard Dindo, à propos de L’Ambassade du papillon, qui me touche beaucoup par sa franchise: «Cher Jean-Louis, j’ai lu ces derniers jours avec grande intérêt, je dirais même avec passion, vos « Carnets », car comme vous savez, j’ai toujours était un fanatique de la littérature autobiographique. Dites-moi tout de suite ce qu’est devenue la fille de votre éditeur, son destin m’a fendu le coeur. J’espère qu’elle est toujours vivante et qu’elle va de nouveau bien. J’ai constaté par ailleurs que nous avons été marqué par les mêmes écrivains, encore que certains dont vous parlez je ne les connais que de nom, dont Antunes, Onetti, Gadda et Cingria. J’aime beaucoup comment vous parlez de votre femme et de vos filles, de votre mère, frère et beau-frère et j’aime ce que vous dites sur l’écriture et la lecture. J’aime beaucoup aussi votre goût de l’amitié et de la conversation amicale et finalement votre générosité. Des choses qui me sont plutôt inconnues. Je ne me suis toujours intéressé qu’aux femmes, les hommes m’ont toujours un peu ennuyé. Vous n’êtes pas loin finalement de penser pareil. Seule chose qui m’a un peu dérangé par moments: certaines citations sur votre premier roman, des louanges de vos amis, m’apparaissent un peu trop narcissiques. Je trouve aussi que vous allez un peu trop loin dans votre critique du caractère de Chessex. Une critique sans doute justifiée, mais à mon avis il ne fallait pas publier tous ces détails, je veux dire qu’il ne fallait pas aller au bout de cette critique. Ça devient trop humiliant pour l’autre, objectivement humiliant. Vous le mettez trop à nu à mon goût, ça m’a gêné. N’oubliez pas que les artistes ne sont pas des gens comme les autres, leur grain de folie fait partie de leur génie, il ne faut pas les juger psychologiquement, ni moralement, ni même politiquement, sinon on ne s’en sort plus. Je trouve votre « Journal » incroyablement honnête et sincère, parfois presque un peu trop honnête. J’ai toujours l’impression qu’il faut savoir garder des secrets dans la vie et ne pas tout dire ce qu’on pense. La grandeur est dans ce qu’on arrive à cacher, ce que les autres ne sauront jamais de nous, ce qu’on ne sait pas soi-même et ce qu’on ne veut peut-être même pas savoir et surtout dont on ne veut pas que les autres le sachent. La vraie dimension des gens et des choses restera toujours leur part cachée, laissée à l’imagination. L’intelligence ultime se trouve aux frontière du non-dit et de l’indicible, dans cette part non seulement maudite des choses, mais tout simplement absente qui se trouve toujours ailleurs et qui reste introuvable. On n’a pas toujours besoin de tout dire pour être honnête, à vrai dire je n’aime pas trop ce culte de l’honnêteté de chez nous, ce moralisme protestant dont je me méfie et que j’essaye d’exterminer dans mes films par la rigueur, la distance, la laconie, la réduction impitoyable à ce que je considère être l’essentiel. Ce qui n’exclut pas l’émotion, au contraire, émotion et analyse, à travers la beauté du langage, voilà ce qui m’intéresse. Mais tout cela vous le savez aussi bien que moi et vous le faites souvent comprendre d’une manière très belle et très touchante. Je sais bien qu’un « Journal » n’est pas un roman épuré, réduit à l’essentiel, mais des notes prises du jour au jour dans l’improvisation et le chaos du quotidien. Dans l’ensemble je suis très en phase avec vous. Ayant remarqué que vous aimez beaucoup Jean Genet aussi, je vous enverrai prochainement mon film sur lui, qui s’appelle Genet à Chatila. Je vous souhaite une bonne semaine, bien à vous, Richard.»

    Cette lettre m’a beaucoup intéressé, plus que tous les compliments sur L’Ambassade du papillon. Ce que Dindo me dit sur notre part cachée, et de la pudeur qu’il faut préserver, est tout à fait vrai, mais je vais tâcher de lui dire mon sentiment à ce propos. Voici d’ailleurs ce que je lui ai répondu: «Cher Richard, La petite fille est morte le 21 décembre 2000. J’en raconte la fin atroce dans mes carnets de cette année. Le petit garçon a retenu les parents en vie, qui se battent depuis contre le CHUV pour obtenir justice après deux erreurs médicales caractérisées. Les hiérarques de l’Administration se sont conduits comme des brutes, mais le procès civil est en train d’aboutir, qui ne ressuscitera pas l’enfant. Voilà. Pour le caractère extrême, à certains égards, de ces carnets, je vous donne entièrement raison, sans regretter rien. J’ai été comme ça à ce moment-là, obsédé par certaines choses qui me paraissent aujourd’hui dérisoires, et ressentimental autant que je suis sentimental. Ils ont paru obscènes à certains, d’autres les ont trouvé pudiques. Je n’en sais rien. Sur Chessex, vous avez raison, mais moi aussi. J’ai raconté l’animal dans notre amitié et dans sa trahison. Il est comme ça et je trouvais intéressant de le montrer comme ça, sans le juger vraiment pour autant. Par la suite, j’ai dit le pire bien de certains de ses livres, et du mal de ceux qui me paraissaient trichés. Je ne serai plus jamais ami avec lui, pas à cause de moi mais pour l’attitude qu’il a eue envers Bernard Campiche lors de la maladie de la petite fille. A la sortie de L’Ambassade du papillon, il m’a traîné dans la boue en appelant à mon interdiction professionnelle. Je ne lui en veux pas. Lorsque j’ai dit ce que je pensais d’un de ses derniers livres, il m’a dit que j’étais son meilleur lecteur. Ainsi de suite. Je ne suis pas dupe. Honnête? Je ne sais pas. Vous l’êtes sûrement plus que moi, parce que vous avez plus lutté que moi et que vous êtes n’êtes pas un dépravé moralisant comme je l’ai été jusqu’à ma rencontre de celle qui a changé ma vie. Pour le narcissisme, vous avez encore raison, comme ceux qui ont parlé d’un plaidoyer pro domo. Mais tout cela je le vis, comme l’amitié vertigineuse avec mon ami le Roumain, qui a failli finir dans le sang après avoir fait beaucoup souffrir ma douce. Pourtant je ne regrette rien de rien. J’essaie de ne plus faire de mal à ceux que j’aime et j’essaie de ne faire que ce que j’aime, donc les aléas de la vie sociale ne me touchent plus guère. Ces derniers temps, j’ai été content de vous rencontrer. A l’instant je suis seul dans ma chambre du Sternen à Kriegstetten après avoir assisté à l’ouverture des Journées de Soleure. Je vous remercie de la parfaite franchise de votre mot et vous enverrai à mon retour Les passions partagées, qui a d’autres qualités et d’autres défauts. Je vais aller racheter le Journal de Frisch que je ne trouve plus et me réjouis de voir votre film. Je travaille actuellement au troisième recueil de mes carnets qui s’intitulera Le souffle de la vie »…

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  • Polyphonie chorale

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    EMMANUEL François. Regarde la vague. Seuil 2007.

    - Exergue d’Henry Bauchau : « Je sais que je ne suis qu’un lierre, je sais que je ne suis qu’un lien, j’étreins mon arbre et je ne le connais pas ».
    - Généalogie des Fougeray : Père et mère décédés.(Georges et gabriela) Six enfants (Marina, Olivier, Pierrot )décédé), Grâce , Alexia et Jivan (adopté)

    - LA VEILLE

    - Jivan. Arrive à Chavy en voiture.

    - Avec la sensation retrouvée de communier avec la beauté.

    - Ressent encore la « main noire » de Noah sur son cœur. Noah qu’il vient de quitter. Se rappelle le père. Sa mère silencieuse.

    - Pense qu’ils seront tous là. Y compris Alexia toujours en mission.

    - Olivier a investi la grange pour son mariage.

    - Les chevaux d’Olivier apparaissent.

    - Tout de suite un flux mental impérieux. Musique intime.

    - Il est question d’un tableau, signé Micha. Crépuscule sur la mer. Emporté par Grâce.

    - Va déposer son bagage avant de chercher Alexia à l’aéroport de Cherbourg.

    - Aperçoit ses neveux. Hyacinthe la farouche. Qui lit Moi qui n’ai pas connu les hommes.

    - Elle a un « sourire perdu ».

    - Alexia. Rêve qu’Olivier brusque leur père.

    - Elle a été mariée à Nathan

    - Consigne ses rêves dans un cahier de moleskine pour son psy. Lequel est « obnubilé par le sexe ».

    - Rien de cela dans ses souvenirs du père.

    - Elle travaille dans l’humanitaire.

    - Se rappelle l’Afrique.

    - Elle a un petit garçon prénommé Ulysse.

    - Grâce. Genre bourgeoise d’intérieur.

    - Elle a été opérée d’un cancer du sein.

    - En pince pour son chirurgien russe.

    - Toute délicatesse et fragilité forte.

    - Jivan. Raconte l’arrivée d’Alexia. Une ombre dans son regard.

    - Le questionne sur Noah.

    - Lui dit seulement de la tête : non, non, non.

    - Elle lui dit que Noah lui aurait plombé la vie. Evoque le « mal noir des femmes ».

    - Il cherche les « écorchées de la vie2.

    - Marina. Note un geste affectueux de son prof de piano aveugle.

    - Qui l’a beaucoup aimée. Et lui sourit "A quoi sourient les aveugles ? »

    - Elle l’interroge sur Hyacinthe, sa fille taiseuse.

    - Il la dit « un être tendu, magnifique, mais qu’il ne faut pas perdre ».

    - Non pas feu dormant mais comme elle « feu noir ». Et lente à céder…

    - Alexia . - Retrouve la famille réunie dans la cuisine de la ferme.

    - Avec la vieille Lili.

    - Olivier est absent. Il a voulu que les femmes s’habillent en bleu, la mariée (enceinte) en blanc.

    - Elle dérogera.

    - Jivan parle avec Marina de l’enquête sur la disparition du père en mer.

    - Son corps introuvable après le retour du bateau.

    - Le sourire de Marina dénote « la force souveraine, la puissante impassibilité des Fougeray ».

    - Le fils d’Olivier, Gil, ne sera pas là. Zone à Paris.

    - Le petit Ulysse parle anglais.

    - La TV déverse ses images tragiques qui lui rappellent « la geste sanglante » du monde.

    - Grâce l’interroge sur Nathan.

    - Grâce qui ne peut se lâcher. Coincée.

    - Marie-Doune, fille aînée de Marina, la cuisine sur son job.

    - Jivan. Il entre dans le bureau du père. Dont il se dit qu’il n’a jamais été pour lui que l’enfant indien de la mère, adopté après la perte de Pierrot.

    - Olivier. Pense à ses attelages. Cinq pour le mariage. Qui feront l’image « dream ».

    - Un fou de chevaux. Homme à femmes aussi.

    - Lynn est angoissée, mais c’est elle qui le soutient.

    - Désire que l’action soit « ronde ».

    - Le mec qui assure en apparence. Mais qu’on sent fêlé.

    - Marina. A son tour dans le bureau du père. A la recherche d’une photo de jeune fille. Mihaela, liaison secrète du père.

    - Elle a contacté la jeune femme. Pour l’inviter.

    - Conversation touchante entre les deux femmes.

    - Se rappelle les derniers mots de son père sur le tarmac de Caen.

    - Lui a dit rêver d’une « fin légère ». Elle a 46 ans.

    - Jivan. Assiste à la colère d’Olivier contre le fils du traiteur.

    - Observe ses trois sœurs de loin.

    - Constate que ce qui les unit est plus fort que ce qui les distingue.

    - Lui n’est pas de leur sang.

    - Le rire à distance d’Alexia le glace.

    - Scène à forte valeur visuelle, proprement cinématographique.

    - Tout se déroulant comme un film intérieur à multiples points de vue alternés.

    - Grâce. Se rappelle le prénom de son docteur. Sergueï.

    - Y pense avec bonheur et gêne à la fois.

    - Alexia. Lit Ulysse avec Ulysse.

    - Il exige ce livre pour s’endormir.

    - Hyacinthe entre pendant la lecture.

    - Lui adresse un sourire doux.

    - Le mutisme d’Hyacinthe engage Alexia à lui dire qu’elle la comprend, mais la jeune fille s’esquive.

    - Olivier. Il lui faut appeler Lynn. Qui est encore à l’hôtel.

    - Dans sa chambre, avise un trou noir dans le miroir.

    - Lui rappelle ses « crises ».

    - Suit un traitement médical. Violence latente en lui.

    - Lili lui reproche d’en vouloir trop.

    - Jivan. Alexia lui a parlé de la dernière lettre, « magnifique », du père.

    - Alexia voudrait lui dire ce que le père désirait transmette, mais Jivan n’écoute pas.

    - Il aimerait lui parler d’autre chose.

    - Elle subodore que c’est de Noah. Parle de « saleté d’amour ».

    - Alors lui se braque.

    - Grâce. Se rappelle la pesante présence sexuelle de Franz.

    - La seule fois qu’elle pousse un cri, c’est en pensant à Sergueï.

    - Franz le prend pour lui…

    - Marina. Rejoint Hyacinthe. Se rappelle comme l’enfant a été laissée à Chavy.

    - Une fille hors du commun. Sauvage.

    - Songe au « petit corps d’avant l’autre corps »…

    - Alexia. Jivan lui a demandé si elle-même a jamais connu l’amour.

    - Jivan. Se retrouve seul dans son ancienne chambre. Repense au temps où Alexia l’appelait dans la sienne.

    - Olivier. Tout à ses pensées terre à terre d’homme pratique.

    - S’est disputé violemment. S’est déstressé en picolant trop.

    - Ulysse. - Dernière image de cette première partie, du petit garçon courant en rêve et murmurant « catch him, catch him ».

    - Tout cela très beau, très doux, très musical et pictural en même temps. L’espace admirablement « construit » par les voix.

    - 2. LE JOUR

    - Olivier. Auprès de la splendide Lynn, Olivier Fougeray sera « le grand maître du dream », yes sir.

    - Marina. Voit son tour cette image de la famille aux cinq tilburys.

    - Grâce. Pense aux absents et aux morts. Toute fière que son couple ait tenu, avec Franz et les jumelles.

    - Alexia. Son point de vue est plus narquois sur le « grand film » d’Olivier.

    - JIVAN. Se rappelle, sur son tilbury, l’enterrement de sa mère, et le père alors « seul au monde ».

    - ALEXIA. Réagit aux formules du sacrement religieux. Pensées grinçantes dans la chapelle.

    - JIVAN. Son regard est plus serein. Sent une joie en lui.

    - Se rappelle que cette famille blanche l’a adopté à l’autre bout du monde, à l’orphelinat de Cochin.

    - MARINA. Lutte contre l’ennui de la messe. Se rappelle un voyage en Suisse avec le père. Qui lui a transis divers objets préhistoriques. Comme un legs personnel. Leur secret.

    - GRÂCE. Au moment de l’échange des anneaux, reprend le fil du récit, qui glisse d’un personnage à l’autre, sans aucun accroc.

    - ALEXIA. A présent Jivan rit. On s’est retrouvé sur la route. On prendrait bien la tangente au lieu de rejoindre le vin d’honneur…

    - GRÂCE. Joue son rôle de femme organisée au vin d’honneur.

    - OLIVIER. Ne pense qu’aux images objectivées de la fête. Pensées érotiques au passage, quand le frôle Dolly avec laquelle il a souvent fait Oli-Dolly.

    - L’auteur rend parfaitement tout ce qui se passe en deça des mots, dans le for de chacun. Toutes les sensations, observations, impressions, gestes, échanges de regards, tout enrichit le récit.

    - ALEXIA. Glisse d’un groupe à l’autre. Tout ça rappelle un peu Dolce Agonia de Nancy Huston, en moins chargé existentiellement mais en plus musical.

    - Une voix chaude s’adresse à elle. Un homme en noir en lequel elle reconnaît un beau jeune homme de jadis.

    - MARINA. Un homme lui parle pendant qu’elle observe sa Hyacinthe à une fenêtre.

    - Se dit que sa fille lui a échappé comme son mari, parti pour une plus jeune.

    - JIVAN. Se revoit enfant dans une fête pleine de monde. Comment on l’a arraché à sa honte dans les rires partagés. Comment il « faisait bébé » avec Alexia.

    - ALEXIA. Reconnaît le bel homme à la voix grave. Le fils d’un ouvrier polonais qui venait à la maison.

    - Il se passe quelque chose entre leurs regards.

    - GRÂCE. « Grâce avait l’impression que chacun était à sa place dans la polyphonie du monde ».

    - Tout à fait le sentiment qui se dégage du livre aussi.

    - Elle sent que quelque chose s’est passé en elle.

    - Comme si elle était prête pour l’amour. Elle pense à ses morts et se dit qu’elle ne pourra plus parler qu’é Sergueï.

    - MARINA. Surprend, avec stupéfaction, une conversation entre Jivan et Hyacinthe la muette.

    - Mais sa fille se tait dès que cette intimité est troublée.

    - Elle s’effondre dans un divan.

    - JIVAN. Constate l’effondrement de sa sœur aînée. A qui il confie qu’Hyacinthe perçoit la vente envisagée de la maison comme une sorte de fin du monde. Lui aussi en est très affecté.

    - Jivan est impressionné par Marina qui incarne la « tranquillité souveraine » des Fougeray.

    - MARINA. Dit à Jivan qu’elle a laissé Hyacinthe à Chavy pour la commune sauvagerie de l’enfant et de son grand-père.

    - OLIVIER. Lynn le panse comme un cheval fou.

    - La remarque d’une invité, à propos de l’absence de son fils Gil, l’a piqué au vif.

    - ALEXIA. Observe les convives avec ironie. Des conversations nourries par le « consumérisme ambiant » qui « finiraient par communier au dernier tohu-bohu médiatique, l’époque était d’un conformisme affligeant ».

    - JIVAN. Fait parer sa vieille tante Lucia pour qu’elle lui raconte un peu plus de détails de son adoption.

    - Se demande pourquoi on l’a choisi lui.

    - Aimerait élucider le mystère d’une petite cicatrice en croix à son bas-ventre.

    - Se rappelle son retour adulte à Cochin.

    - La vieille femme qu’il a baisée une nuit et un jour durant.

    - MARINA. Eprouve le besoin de quitter les convives et de se retrouver seule.

    - Se rappelle le tableau de Micha.

    - Se rappelle les jeux de lumière du tableau auxquels son père l’a rendue attentive.

    - Son père qui aimait dire « regarde la vague »…

    - ALEXIA. Regarde l’homme noir la regarder. Loin l’un de l’autre, « chacun comme une image pour l’autre, un rêve ou un rêve de rêve ».

    - MARINA. Retrouve Hyacinthe en rêve.

    - Puis se rend dans sa chambre où elle tombe sur un cahier noir, écrit par son père.

    - Qu’elle commence à lire.

    - Et tout aussitôt le récit se charge d’une nouvelle gravité.

    - Le père évoque son besoin d’écrire (p.94)

    - « Ici, j’écris comme on parle seul, à Dieu peut-être, si ce mot a un sens, et non pas ce Dieu de Gabriela que je n’ai jamais vraiment compris, mais plutôt à cet inconnu de moi, qui demeure sans image, effacement même de l’image, et prend ma main quand je la tends vers l’ombre ».

    - Evoque son père et sa génération de héros.

    - Note que « plus rien ne nous unit que le sentiment de la foule »

    - ALEXIA. Ecoute l’éloge débile d’Olivier par un sien ami.

    - Olivier est quasiment un étranger pour elle.

    - Se dit qu’il doit la trouver « bien roulée » et par trop idéaliste.

    - Remarque que le discours de l’ami a fait l’impasse sur l’existence de Gil.

    - Gil qui erre à Paris entre squats et asiles de nuit.

    - Le Père. - Devient un élément constitutif du récit.

    - Evoque ses relations avec la fidèle Lili. « Lili est la charge infatigable du temps.

    - Evoque ses souvenirs de bonheur « dans le temps ».

    - Très belles séquences.

    - Se rappelle son enfance, Gabriela, ses enfants à travers les années.

    - « Ce sont les fragments de mon archéologie ».

    - Très belle mise en abyme du roman, avec la voix si proche de l’absent.

    - OLIVIER. – Son complexe quand on lui demande un discours. « Rien à voir avec le père ».

    - Se sent « grand piteux misérable.

    - Voudrait se reposer sur Lynn.

    - Raconte le dressage de Takia par Lynn.

    - Lui aussi « grand cheval indomptable ».

    - En parlant il avise une silhouette noire à la porte.

    - Redoute que ce soit on fils Gil.

    - Journal du père. –  Evoque son âge. 75 ans. Qu’il ne sent guère.

    - Evoque les petits vieux de son âge. « Ils ssont devenus des vieux enfants qui jouent à des jeux et dansent autour des tables au moindre mirage de la lucarne d’abondance ».

    - « Je crois que c’est l’inaccompli de nos vies qui nous rend si oeu aptes à partir ».

    - Se reproche de n’avoir jamais su parler à Olivier.

    - Evoque le Dieu de Gabriela, sa femme, qu’il n’a jamais compris.

    - « Mais l’Ange a toujours eu pour moi un autre visage, j’aurais dû grandir dans un monde où le vent, le fleuve, le feu portent la parole sacrée, où le ciel nous recouvre, où le terrible et le doux se confondent ».

    - JIVAN. – Pense à Noah, qui lui dit ne pas le mériter. Se sent à la fois elle et lui quand ils font l’amour.

    - Journal du Père. – Evoque ses enfants petits. Revoit Pierrot, son fils disparu dont la mort l’a terrassé.

    - « C’est l’encombrant privilège de la vieillesse que de mélanger les générations, comme le rêve qui ne s’embarrasse pas du temps » (p. 105)

    - ALEXIA. – Remâche son agacement envers Hubert, qui la cherche sur le thème de la psychanalyse.

    - Rend magnifiquement ce passage dansé et dansant de l’un à l’autre des personnages, dans le vacillement de la danse.

    - Journal du père. – Evoque les « chambres du temps » qu’il a parcourues en étudiant les grottes du magdalénien.

    - « Rien ne m’a plus appris ou désappris que ces chambres du temps. Tout y était sacré, même et surtout l’animal mis à mort, sa mort exigeant de rendre par les rites ce qui lui était ôté. »

    - Suit une méditation amère sur notre perte du sacré.

    - « Nous qui avons accumulé un savoir immense sur le monde, nous ne savons plus être dans le monde »

    - Il a mesuré « l’étendue du désastre auquel la modernité nous expose ».

    - Les filles le trouvent un très, très vieil homme ».

    - ALEXIA. – Remarque à son tour cette femme, une étrangère vêtue de noir qui lui rappelle quelque chose.

    - Cette présence annonce une bascule de la fête.

    - Journal du père. – Il aimerait rappeler ses enfants et leur dire ce qu’i n’a jamais su leur dire.
    - Se rappelle à la fois la pudeur des Fougeray à l’égard des choses graves.
    - Pense à Hyacinthe, la jeune indomptable.
    - MARINA. – Se trouve soudain surprise par sa fille, en train de lire le journal du père.
    - L’apostrophe sur un ton inquisiteur : « Comment tu l’as eu, ce cahier ».
    - Ce qui provoque la fureur muette de sa fille.
    - Elle s’enfuit à la fois honteuse et mécontente d’elle.
    - ALEXIA- S’étonne de voir Marina « comme elle ne l’avait jamais vue ».
    - Mais sa sœur se dérobe, prétendant qu’il ne s’est rien passé.
    - JIVAN. – Noah l’appelle de nouveau sans qu’il sache d’où. Elle le supplie de ne pas la rejeter.
    - Trois mots sur son portable : Miyako est morte.
    - Lui rappelant leur rencontre, dont la vieille Japonaise fut témoin.
    - Jivan lui lisant des auteurs japonais, et Noah, servante de Miyako, y assistant un jour.
    - Se rappelle la beauté de Noah quand il lisait Pluie d’orage d’Inoué.
    - Avec la mort de Miyako ils redeviennent « orphelins du monde »
    - Il hésite avant de lui répondre.
    - OLIVIER. – Songe à la beauté lisse, de magazine, de Lynn – une beauté pour tous qu’il aimerait pour lui seul.
    - Se sent jaloux et inquiet.
    - Voudrait la tenir et la posséder rien que pour lui.
    - Comme quand il la possédait au fond du box de son cheval.
    - MARINA. – Voit en cette femme vêtue de noir un « oiseau de malheur ».
    - Se rappelle les mots du journal de son père à son propos.
    - Elle l’aborde et lui propose une promenade.
    - Se retrouvent sur la plage.
    - Mihaela désirait la rencontrer depuis des années.
    - La rencontre avec Alexia, ménagée par le père, à Genève, a tourné court.
    - Mihaela se sent marquée du sceau de l’étrangère.
    - La question lancinante: pourquoi le père s’est-il laissé prendre par la mer.
    - GRÂCE. Se rappelle que « tout doit disparaître ». Ce que lui a communiqué le notaire avec sa « sale petite voix »
    - Elle attend toujours, fébrilement, le docteur V.
    - Son jardin secret.
    - Elle a 41 ans. Se donne encore « 15 ans de beauté »
    - ALEXIA. Monte au grenier pour lire Ulysse à Ulysse.
    - Elle aimerait lui transmettre la magie légendaire de son enfance.
    - Il y a là un cerf-volant. Le dragon de Pierrot que son père a violemment arraché des mains de Jivan.
    - Toute la tristesse de son père refluée dans ce souvenir
    - Ulysse : « Hey look, mum, look, her comes the music ».

    LA NUIT

    - JIVAN. – Alexia l’a invité à l’inviter à danser.
    - Pense à Noah qui revient.
    - Va la laisser attendre un peu.
    - ALEXIA. – Durant la valse avec Jivan, elle se rappelle leurs rapports d’enfants et d’ados, au bord de l’inceste.
    - Ils n’ont jamais vraiment fait l’amour, quoique presque.
    - Jivan est resté pour elle une sorte de « garde du corps ».
    - OLIVIER. – On glisse ensuite vers Olivier.
    - Qui se sent ,dansant avec Lynn, « dans l’œil du cyclone».
    - Jivan. Revenu seul dans la cour, il pense à Noah et tremble de la perdre
    - MARINA. – Dans la nature endiablée avec Mihaela, mais elle sent que le contact ne se fera pas vraiment, tout occupée qu’elle est mentalement par Hyacinthe et l’épisode du cahier.
    - GRÂCE. – Se retrouve en face de Sergueï qui vient de débarquer avec sa femme.
    - On sent comme un malaise de jalousie entre les deux femmes.
    - Mais l’attention se reporte ailleurs, Olivier venant de provoquer un esclandre. Il vient en effet de brutaliser Hyacinthe.Alexia. – Voit ressurgir la « vieille chose de la famille ». On pense évidemment à l’épilepsie.
    - JIVAN. – La violence d’Olivier lui fait revivre une scène de violence opposant le père et Olivier. Il avait alors pensé « c’est la guerre », ou plus précisément « ils sont dans la guerre »
    - Il a vu Hyacinthe partir vers la mer.
    - OLIVIER. – Ne peut soutenir le regard de Lynn. Pour sa défense, il explique à Alexia qu’Hyacinthe « le cherche », comme son fils Gil.
    - ALEXIA. – En espérant que le bal reprenne, elle pense à l’ »ancestrale violence des hommes envers les femmes »
    - MARINA. – « Voit » le corps de sa fille, qui a filé vers la mer, au pied de la falaise.
    - Se rappelle Hyacinthe à sa naissance, qu’elle a failli perdre.

    - ALEXIA. – Sur la piste de danse, retrouve le fils du Polonais Milan, un personnage de son enfance qui lui rappelle qu’elle aimait soigner les oiseaux blessés.

    - Elle ressent une attirance, tout en pressentant un probable malentendu : « Un début fulgurant sans doute, puis assez vite une sorte d’embourbement ».

    - MARINA.- Descend à la plage à travers les rochers.

    - Et là, voit flamber la petite maison sauvage d’Hyacinthe, héritée de son grand-père.

    - La voit ensuite là-bas sur la plage et court pour la rejoindre.

    - Et retrouve bientôt « sa grande jeune fille toute molle au milieu du combat ».

    - Tout cela très fort, avec des éléments quasi faulknériens. Une grande force d’évocation très physique et sensible à la fois.

    - GRACE. – Gamberge devant la repro de La lutte avec l’ange, que son père aimait fort.

    - Vera lui raconte Louxor. Bavardage mondain.

    - Sergueï n’en a plus que pour Frantz.

    - Se rend compte qu’elle a fantasmé dans le vide et annonce qu’elle va s’étendre.

    - MARINA.  – Augustino l’aveugle, et son ami Tam, se pointent en voiture sur la plage.

    - ALEXIA. – Se rappelle la première apparition de Milan.

    - MARINA. – Voit Augustino s’éloigner avec Hyacinthe. Une complicité particulière les attache. Augustino lui a conseillé de ne pas trop s’inquiéter.

    - OLIVIER. – Il aimerait maintenant que Lynn lui accorde la moindre attention, dont on sent que sa crise l’a déstabilisée

    - JIVAN. – Son portable grelotte. Tout lui semble avoir retrouvé la douceur de l’espoir.

    - Le romancier rend admirablement le décor, l’espace et la « musique » de la soirée, avec son concert de voix distribuées sur divers plans.

    - MARINA. – Se retrouve vers le brasier de la cabane. Voit de loin la Mercedes de Tam et Augustino, qui ont pris Hyacinthe en charge.

    - JIVAN. – Il a l’impression que Noah l’appelle de tout près. En fait elle est là, qui implore son pardon et dans les bras de laquelle il se jette.

    - GRACE. – Finalement n’est pas allée se coucher.

    - Décide de ne plus accorder un regard à Sergueï.

    - Rejoint Olivier qui a un drôle de sourire.

    - Et qui tombe soudain en transe épileptique.

    - Grace s’en remet à Frantz, l’homme fort

    - MARINA – Est restée près du brasier. Pense qu’elle s’est toujours protégée de la vie.

    - Ensuite rejoint Agustino dans sa voiture. Qui lui explique la douleur d’Hyacinthe.

    - Qui voudrait savoir absolument ce qu’« ils » ont fait à Pachou.

    - Ainsi appelle-t-elle son grand-père chéri.

    - Augustino : « On n’enseigne plus le vide dans le monde, ce monde est devenu trop plein ».

    - OLIVIER. – Sous sédatif, il voudrait que Lynn comprenne.

    - Se rappelle Black Beauty.

    - Se demande s’il arrive aux juments de pleurer.

    - Se rappelle un traumatisant souvenir d’enfance.

    - Enfermé avec « la bête » par son père.

    - Alexia. – Passé minuit. Sent que Mihaela voudrait lui parler.

    - Elle l’a rencontrée déjà, notamment à Brasov.

    - Mihaela - lui montre la photo d’un petit garçon, qui lui rappelle aussitôt Pierrot.

    - Un garçon de 12 ans prénommé Martin.

    - Fils naturel du père on le comprend.

    - Mais déjà le taxi de Mihaela est prêt à l’emmener…

    - JIVAN. – Si mon souvenir est bon, Jivane signifie le vivant en serbo-croate.

    - Jivan et Noah fond un grand tour autour de Chavy.

    - « Qui es-tu pour me tuer d’amour, toi ? »

    - Cela finit par une étreinte passionnée, dans le vent et les clameurs de la mer.

    - OLIVIER. – Se rappelle la punition paternelle. Sa peur d’enfant. La bête crainte et les bottes de papa au soupirail.

    - A toujours été considéré comme la tête brûlée des enfants.

    - GRACE – Pallie l’incurie de Lynn, et Lili apporte les noyaux de cerises chauds. « son éternel petit sac guérisseur ».

    - Ma mère-grand pratiquait de même : cataplasme dégoûtants à la purée grise et oreillers pleins de noyaux de cerises.

    - Elle voit Sergueï partir avec sa tigresse, sans regret.

    - Crois ensuite Alexia la « merveilleusement intelligente », avec laquelle elle ne peut plus parler qu’en leurs enfance dans leurs lits jumeaux , tournées « chacune vers leur grand mur noir ».

    - ALEXIA. – Fin de bal fellinien en plus sombre, sur du Leonard Cohen.

    - Se rappelle que sa mère après la mort de Pierret a proposé de donner les vêtements de celui-ci au fils du Polonais.

    - Se rappelle son père pleurant Pierrot.

    - Se rappelle l’arbre arraché.

    - Danse avec Milan Oposzewski avec un double sentiment d’accord physique et de distance, comme si elle dansait ailleurs dans ces bras protecteurs.

    - Pleure en se rappelant l’expression du médecin, « assommé par la barre ».

    - MARINA. – A son tour de réagir au « vieux mélancolique ».

    - Lynn, à côté d’Olivier, a un visage défait par « cet ahurissement morne de ceux qui n’attendent plus rien ».

    - On voit d’avance le joli couple…

    - On voit le couple d’Alexia et de Milan danser seul et semblant vivre quelque chose rien qu’à lui.

    - Alexia voudrait échapper à Milan, mais les chansons de Cohen ajoutent au sortilège. Pourtant il lui dit lui-même qu’elle est une femme seule et qu’il sera toujours ainsi.

    - Elle n’en pleure que plus.

    - JIVAN. – Le silence revenu sur les lieux, Noah lui parle d’elle, non sans difficulté. Lui raconte sa « vieille envie de détruire », liée à ce que lui a fait subir son beau-père attoucheur.

    - Comment Miyako l’a désenvoûtée.

    - Et comment Miyako a choisi Jivane comme lecteur « pour sa seule voix ».

    - Comment elle lui a recommandé de ne pas détruire cet homme au « cœur immense ».

    - Or Jivane sait maintenant qu’elle va repartir sans approcher sa « famille bourgeoise ». (p.172)

    - Tout ça est d’une extrême douceur et d’une grande force en même temps.

    - Me rappelle Hugo Claus mais en plus tendre et en plus mélodieux.

    - Me font sourire ceux qui prétendent que la littérature est morte.

    - C’est qu’ils ne l’aiment pas ou ne savent plus lire.

    - ALEXIA. – L’au revoir se fait sans aucune démonstration. Juste.

    - « Il s’en va lentement par le Chemin des Bêtes. »

    - MARINA. – Cinq heures du mat. Pluie d’été.

    - Resonge au « trésor de transmission » du journal de son père.

    - Va voir dans la chambre d’Hyacinthe, qui sort, et où elle ne voit trace du cahier toilé. Pense que sa fille l’a brûlé.

    - « Paix sur vous ».

    - Jivan rentre tout trempé.

    - JIVAN – Voit en Marina la réincarnation de leur mère.

    - « C’est toi qui veille », pense-t-il.

    - Sur son portable s’inscrivent les lettres d’un poème de Lorand Gaspard : « Nous fouillerons les pierres claires jusqu’à l’extrême limite de l’obscur ».

    - Puis s’inscrit le mot amour, que Noah n’a jamais prononcé.

    - GRÂCE. – Repense à ce que Vera lui a dit en aparté, à la place de Sergueï qui n’a pas osé, dit-elle : qu’il faudra tout enlever, avec un « faux regard de compassion ».

    - OLIVIER. – Tout apaisé auprès de Lynn qui, finalement, n’a pas l’air fâché.

    - Lili lui a dit que les gens ne s’étaient aperçus de rien.

    - ALEXIA. – Réalise que Milan n’est venu que pour elle.

    - Revit la mort occultée de Pier rot.

    - La conclusion de cette partie apartient à Ulysse : « Day’s coming, mum, day’s coming ».

    Le Lendemain

    - Jivan. Séance avec le notaire. Qui annonce que le partage ne se fera pas avant des mois.
    - Olivier s’impatiente.
    - Grâce écoute plus que les autres.
    - Le temps est comme suspendu dans la maison.
    - Jivan pense que quelque chose va peut-être se dire.
    - Marina. – Alexia et elle se forcent à être présentes, tandis qu’Olivier s’impatiente et que Jivan est ailleurs.
    - Alexia. – Déclare qu’elle ne s’intéresse qu’à un objet et pas du tout à l’argent: le tableau de Micha, qui n’est plus sur le mu, la Grande marine au couchant. En souvenir de ses rêveries d’enfant et de son père.
    - Grâce le prend mal.
    - Jivan. Observe la réaction de Grâce, qui accuse Alexia d’avoir toujours fait ce qu’elle voulait et de n’aimer personne.
    - Une déchirure se fait alors entre les frères et sœurs. Grâce a dit ce qu’il ne fallait pas selon le code de pudeur du clan.
    - Se pose incidemment « la terrible question de ce qui les liait encore ».
    - Mais Grâce, Jivan le sait, sera blessante sans aller jusqu’à la querelle.
    - L’ombre de la mère veille sur le maintien du lien entre les Fougeray.
    - Marina. – Grâce se fait jérémiante pour expliquer qu’elle a fait restaurer à réencadrer le tableau à ses frais.
    - Rappelle en outre tout ce qu’elle a fait pour la maison.
    - Grâce la prévenante terre à terre.
    - Olivier la remercie pour la noce.
    - Grâce. – Mais Grâce de récuser ce soutien et de dire un peu plus de ce qu’elle ne voudrait pas dire…
    - Jivan. – Alors Alexia de sortir une lettre du père, dont elle lit quelques fragments. Il y est question de son legs, non pas d’objets mais de ce qu’il estime important de transmettre é chacun.
    - Et Grâce de balbutier, puis de s’excuser.
    - Tout cela très juste et très émouvant.
    - Marina.- Sur quoi le notaire range ses affaires.
    - Et comme Olivier fait mine lui aussi de s’en aller, lui aussi, Marina et Alexia l’enjoignent de rester.
    - Suit « un incroyable silence ».
    - Olivier. – Se rappelle que Lynn l’attend pour leur voyage de noces. S’agit de pas manquer l’avion pour les îles.
    - Jivan. – Marina évoque ce qui restera, ou pas, après le partage.
    - Elle réclame soudain l’attention d’Olivier à propos d’Hyacinthe.
    - Elle évoque ce qui manque du père, qu’on oubliera bientôt. Mais qu’Hyacinthe continue à sa façon.
    - Alexia. – Guette la réaction d’Olivier, l’étenel « enfant fautif ».
    - Jivan. – Sur quoi Marina se lève, annonçant que Lili a préparé un frichti pour ceux qui resteraient encore.
    - Sur quoi les uns et les autres se lèvent.
    - Alexia. – Se demande pourquoi elle a lu ce bout de lettre.
    - Elle voit les mômes heureux, et là-bas Grâce un peu perdue, visiblement touchée, « cruellement accablée ».
    - Femme blessée.
    - Puis elle surprend un conciliabule entre Marina et Lili. Celle-ci se voyant proposé de l’emploi par celle-là, et le refusant.
    - Tout cela noté avec une précision proustienne (les servantes de Proust)
    - Jivan. – Alexia l’entraîne vers la mer.
    - L’a percé à jour : « Tu l’as revue, n’est-ce pas ? »…
    - Ulysse patauge dans la vague.
    - Suit l’image du père se prenant les pieds dans les cordages, avec toute la mer autour de lui.
    - Olivier. – Se retrouve « dans le bleu ». Bleu de l’espoir que tout s’arrange aux îles.
    - « Rien de grave », se dit-il en repensant à la soirée avec le besoin de se rassurer.
    - Se dit qu’en vacances Lynn se laisse « ouvrir » facilement.
    - Ce genre de pensées simples…
    - Pense aussi à la vente et à un « crédit de raccord ».
    - Alexia. – Lit un rapport professionnel.
    - Ecrit, non sans hésiter, quelques mots à Milan : « C’est vrai, les enfants ne s’endorment pas facilement ».
    - Et la vie continue.
    - Marina. – En voiture avec Hyacinthe et sa cadette Maya, Marina se demande : « Nous sommes-nous retrouvées, ma petite Hya ? »
    - « Et quel cette part aveugle, quel corps en nos corps, dans la nuit de nos corps ? »
    - Grâce. – Sa conclusion délicatement émouvante.
    - Grâce ou la fidélité et la « petite besogne ».
    - Que sa mère disait « la plus courageuse de toutes mes filles ».
    - Grâce qui me rappelle tant ma petite mère.
    - Jivan. - Et cela finit comme cela a commencé, sur la vague de Jivan.
    - Le dernier mot du roman étant : lumière.
    - Un roman des lumières du cœur.
    - « Si le roman n’est pas mort, écrivait Georges Nivat, c’est que l’homme ne l’est pas. »
    - Ni le poète, ni le médium d’un chacun. A mes yeux le plus beau livre lu ces semaines, avec celui de Mikhaïl Chichkine. Beaucoup moins ample certes, mais d’une justesse sans faille, d’une musique prousto-woolfienne, d’une mélancolie et d’une générosité égales.
    - François Emmanuel. Regarde la vague. Seuil, 2007.

  • L'humanité du loup

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    Jean-Claude Lebrun, dans L'Humanité du 30 août 2007, signe le premier grand article consacré à La symphonie du loup de Marius Daniel Popescu. Merci camarade !

    Les éditions Corti viennent de procéder à un deuxième tirage du livre. A écouter: entretien de l'auteur avec Alain Veinstein, sur France-Culture. La Symphonie du loup a été sélectionée pour le Prix de la Librairie des Abbesses de Montmartre.



    Le souffle des grands

    C’est de Suisse que nous provient l’un des romans les plus remarquables de cette rentrée. Par l’ampleur de la vision, par la qualité d’écriture, loin au-dessus de ce qui s’annonce comme le quotidien de l’actualité littéraire automnale. En quatre centaines de pages époustouflantes, le Roumain d’origine Marius Daniel Popescu fait entendre une tonalité nouvelle dans l’espace romanesque francophone. Composition magistrale, images à couper le souffle, profusion du sens : ce livre fera trace, à n’en pas douter. Dans une ville de Suisse, un homme gagne sa vie en col- lant des affiches publicitaires. Il a dans les trente-cinq ans, est marié à une employée d’une agence de voyages. Le couple a deux petites filles. Une existence sans relief apparent, pareille à celles d’une foule de citoyens de la Confédération. Mais on apprendra tout cela plus tard. Le récit s’ouvre en effet sur une scène du passé, vingt et un ans en arrière, alors qu’on se prépare à enterrer le père de cet homme, mort après un accident sur une route de province de sa patrie. Une voix raconte cette journée particulière, remonte les années, revient aux préparatifs rituels de la cérémonie, laisse entrevoir une maison, une rue, une ville, un dénuement immense, un pays comme à l’abandon, mais aussi des humains se serrant les coudes. Cette ouverture, en même temps limpide et sombre, d’une puissante beauté, annonce les thèmes du récit et touche déjà au vif des choses. Celui qui parle est aujourd’hui âgé de quatre-vingt-dix-huit ans et il est le père du mort d’alors. Il s’adresse ici à son petit- fils exilé en Suisse, faisant resurgir le « pays de là-bas », cette Roumanie de Ceaucescu – dont le nom ne sera ici jamais prononcé. Il est ainsi des mots qui « ne devraient pas exister ». Le petit-fils est arrivé il y a onze ans. Depuis lors il colle des affiches. Et il écrit. Des dizaines de carnets s’entassent chez lui, à côté de livres roumains et français. Des textes sont stockés dans l’ordinateur. Au récit du grand-père il ajoute maintenant le sien. Parfois à la première personne. Plus souvent à la deuxième ou troisième. Il a vécu déjà tant de vies. Dans cette Suisse où il s’est finalement installé, il se perçoit d’ailleurs comme « une sorte de touriste intégré dans le pays ». Il se rappelle une enfance d’évidences simples. Une petite maison, une route poussiéreuse, des chats, des cerisiers, une rivière de laquelle revenaient les Tziganes avec leurs charrettes de bouteilles, « comme le vitrail ambulant d’un monastère ». Mais aussi, à la fois lointain et omniprésent, le « parti unique », instance dont on se méfiait et se jouait. Il y avait eu ensuite le lycée, les deux années d’armée et celle sur un chantier en forêt, puis l’examen d’entrée en faculté et les études supérieures de sylviculture. Puis la chute du régime. Et donc le nouveau commencement dans le « pays d’ici » : après le monde du parti unique, celui de « la publicité unique ». Un fantastique tableau se compose, juxtaposition de séquences du passé et du présent. Toujours au plus près des êtres et des choses. Énumérant à la façon du nouveau roman la multitude des objets qui, mieux que les mots, racontent la vie d’avant et celle de maintenant. L’on y sent passer aussi les ombres de Chagall, de Kafka et de Ramuz. La légèreté et le rêve, la drôlerie et l’absurdité, la lucidité et la lourde angoisse… Tandis que des évocations associant réalisme et fulgurantes échappées baroques suggèrent une proximité d’esprit avec le grand artiste de la civilisation danubienne, Emir Kusturica. C’est un roman à la fois profus et ramassé, intime et épique, chargé de multiples résonances, que nous propose Marius Daniel Popescu. La Roumanie du « socialisme réel » s’y trouve campée avec une inventivité et une force peu communes. Des détails de la narration naît la grandeur du tableau. De la multiplicité des personnages se dégage une âme collective dont l’écrivain se présente comme l’un des dépositaires. À la fois accusateur et nostalgique des petits et grands moments de résistance. Peintre du froid et de la boue, mais aussi de la chaleur entre les hommes et d’une possible pureté face à la vie. En l’espèce les ingrédients constitutifs d’une oeuvre marquante.
    LA SYMPHONIE DU LOUP, de Marius Daniel Popescu, Édition José Corti, 400 pages, 22 euros.

    82db6ae59582e62538d0f745c42f541e.jpgLecteur de tous les pays, lisez la rubrique littéraire de L'Humanité: http://www.humanite.fr