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Ce cher fou de Platonov


A la Grange de Dorigny, Gianni Schneider signe sa meilleure mise en scène avec un Platonov merveilleusement servi par Roland Vouilloz et ses camarades.
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Un cliché tenace assimile l’œuvre d’Anton Pavlovitch Tchekhov, et notamment son théâtre, à une suite de tableaux doux-acides de la province russe pré-révolutionnaire où des personnages plus ou moins ratés ou revenus de tout, entourés de femmes plus ou moins mélancoliques, distillent leurs velléités et leurs regrets sur fond de mélancolie et d’ennui. Cette image éclate à la découverte des premiers récits virulemment satiriques du jeune écrivain, et Platonov, sa première pièce jetée sur le papier au tournant de sa vingtième année, révèle également un observateur cinglant de la société et des comportements humains, dont un humour irrésistible pimente des dialogues merveilleusement vifs, témoignant d’une incroyable maturité chez le jeune auteur. Il est vrai que celui-ci avait « vu du pays », comme on dit, dès son enfance de prolétaire évoquant celle des gosses de Dickens, et que son œil de clinicien (il finira sa médecine en 1884) s’exerce déjà avec une absolue netteté, laquelle n’empêche aucunement la plus amicale compréhension.
L’ondoyant Platonov, évoqué à un moment donné comme l’incarnation de la jeunesse russe indécise et jouisseuse, est ainsi le plus fieffé tombeur, et se dit lui-même la dernière des crapules, mais on ne l’en aime pas moins en dépit de ses frasques et des dégâts qu’il fait sur son passage, jusqu’au (presque) suicide de sa propre épouse, qu’il se réjouit surtout de n’avoir pas le souci d’enterrer…
Si Platonov n’a pas, et de loin, la perfection formelle des Trois sœurs (déjà montée par le metteur en scène lausannois) ou de La cerisaie, le « matériau » psychologique (plus que la chancelante trame dramatique) qu’il propose à l’homme de théâtre n’en est pas moins riche, et particulièrement dans le jeu des relations entre Platonov et les femmes, qui constitue d’ailleurs l’axe majeur de l’adaptation d’Olivier Zuchuat travaillée par Gianni Schneider.
dcbc83ca1530deff35e10ba9ea763ed9.jpgUn pari casse-cou
Celui-ci a choisi de servir Platonov à ses acteurs « tout nus », si l’on peut dire, en les faisant jouer sans le moindre accessoire sur un damier de jeu d’échecs. Celui-ci correspond d’ailleurs à la première scène de la pièce, et toute celle-ci se déroulera en fonction de ce choix scénographique parfaitement adapté, comme un ballet de figures en confrontation.
De ce parti pris relevant du défi, le metteur en scène tire une relecture de Platonov certes partielle, mais tout à fait cohérente, qui doit beaucoup à l’équipe de comédiens réunie par Schneider, à commencer par Roland Vouilloz dans le rôle-titre, dont le crescendo de l’interprétation vaut à elle seule le déplacement. Or ce formidable comédien n’est pas seul : il y a ensuite Juliana Samarine en générale encore jeune (veuve de général plus exactement), dont le jeu époustoufle également par sa netteté cinglante et sa malice pince-sans-rire. Et Juliana Samarine non plus n’est pas seule, car Shin Iglesias étincèle non moins, de même que les grands « pros » Edond Vuilloud et Jacques Probst, en vieux ciselés à la fine gouge, et l’équipe entière, à savoir encore Sandra Gaudin et Jean-Paul Favre, Mathieu Loth, Geneviève Pasquier et Julien Schmutz.
Bel « objet » théâtral, cette réalisation est également très maîtrisée du point de vue visuel, autant par sa scénographie (signée Eleni Kaplani et Gianni Schneider), ses lumières (Laurent Junod) et ses éléments musicaux (Jean Rochat), ses costumes (Lara Voggensperger) et ses incrustations vidéo (Eugene Dyson). Enfin, comme le public « marche » à fond, notre conseil final suivra le mouvement : marche !
Lausanne, Grange de Dorigny, jusqu’au 11 novembre. Loc : 021 692 21 24

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