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Bret Easton Ellis

  • Panique à Lunar Park

    Bret Easton Ellis à la Star'Ac

    A La Désirade, ce samedi 10 décembre. – C’est pendant les pubs de la Star’Ac que j’ai commencé de lire Lunar Park, hier soir, avec un retard qui doit venir des quelques papiers dédaigneux que j’avais lus à gauche et à droite, disant à peu près : pas terrible, déballage narcissique, ragots de pipole, ces choses-là. Ce qui m’étonnait un peu, de la part de Bret Easton Ellis, et d’ailleurs André Clavel m’avait plutôt mis l’eau à la bouche - André Clavel qui est un vrai lecteur, lui. Mais les choses qui doivent se faire se font, et lire Lunar Park pendant les pubs de la Star’Ac est une bonne façon de cumuler les plaisirs du prime, n’est-il pas ?
    Ce qui est sûr, c’est que les 50 premières pages de Lunar Park, qui m’ont bientôt scotché par-delà les pubs, tout en reluquant de loin tel duo d’adorables baleines (Magali et Liza Minelli) ou tel combat de jeunes coqs (Jérémie et Pascal au coude-à-coude assassin), c’est qu’il faut être bien distrait (ce que sont hélas beaucoup de mes consoeurs et frères) pour ne pas saisir vite la haute malice et la vigueur panique de cette fausse autobiographie jouant avec tous les standards médiatiques du monde actuel pour les « retourner » en quelque sorte.
    Bret Easton Ellis raconte en somme comment il est devenu un personnage de Breat Easton Ellis en devenant le romancier multimillionnaire auteur des livres de Bret Easton Ellis, de la même façon que son père, qu’il dit haïr pour de bonnes raisons (on en découvre les premières traces dans les terrifiantes nouvelles de  Zombies), lui a inspiré le personnage de Pat Bateman d’ American Psycho après avoir été ce personnage « dans la vie »
    On sait que Pat Bateman, le protagoniste d’American Psycho, est un yuppie psychopathe, voisin de Tom Cruise dans son appart de Manhattan, qui ramène des meufs chez lui pour les tringler avant de les tronçonner. Ces mauvaises manières ont fait dire, par les Ligues féministes américaines, que Bret Easton Ellis était forcément misogyne pour imaginer de tels « comportements inappropriés ». Ce que ces dames, et beaucoup de critiques distingués avec elles, n’ont pas vu, c’est que Patrick Bateman ne tuait qu’en imagination. Cela change-t-il quoi que ce soit ? Si fait : cela distinguait ce roman de l’hystérie apathique aux coups de sonde dostoïevskiens (Norman Mailer l’a écrit lui aussi) d’un snuff polar banal jouant sur le goût de la violence et du sexe gore. Il y avait, autrement dit, un élément critique là-dedans qui relevait d’autre chose que de la démagogie au goût du jour. Ce qu’on n’a pas assez compris, depuis Less than zero, c’est que Bret Easton Ellis est le médium d’une certaine réalité américaine, qu’il vit et traduit avec une porosité rare et une intelligence instinctive de pur romancier bien faite pour déstabiliser pas mal de nos confères et soeurs et les pitbullettes des Ligues de vertu.
    Le combat faisait rage entre Jérémie et Pascal (en duo de vrais mecs hormonés se coulant des regards je t’aime-je-te-tue à n’en plus pouvoir) quand je suis arrivé à l’évocation, dans Lunar Park - après la « descente aux enfers de la drogue » du romancier et la « main tendue » de Jayne, mère de son fils Robby (lui prétendait que c’était plutôt le fils de Keanu Reeves qui fréquentait Jayne à la même époque, mais le test a prouvé le contraire) vers laquelle il revint du « bout de la nuit » - des lendemains du 11 septembre (ils se sont mariés cette année-là) où l’on a commencé de voir, dans toutes les villes d’Amérique, des attentats à tous les coins de rue, et les cadavres innocents s’amonceler jusqu’à la hauteur des derricks, et la peur de tout et l’horreur absolue : « Jayne voulait élever des enfants doués, disciplinés, poussés vers le succès, mais elle redoutait à peu près tout : la menace des pédophiles, des bactéries, des 4 x 4 (nous en avions un), des armes à feu, de la pornographie et du rap, du sucre raffiné, du rayonnement ultraviolet, des terroristes, de nous-mêmes »…
    L’humour embusqué de Bret Easton Ellis, dans sa ressaisie de la paranaoïa collective de l'Amérique de Bush,  n’est pas très éloigné de celui de Michel Houellebecq, en plus fou, et sa fantaisie de fictionnaire mimant les délires contemporains est bien plus riche d’observations virtuelles et actuelles que ne le disent ses détracteurs distraits, comme il en va d’un Maurice Dantec. Mais percevoir cela suppose une certaine attention, pour ne pas dire un certain manque de préjugés…
    Madame Public a finalement préféré les langueurs mâle de Jérémie aux raucités de fauve blessé de Pascal, le dinar a de nouveau pissé un max à la Star Ac et tout est bien: comme le dit et le répète Nikos, c’est en allant jusqu’au bout du truc qu’on se dépasse à tous les niveaux du machin, mais ce soir je ne regarderai pas Super Seniors à la télé romande : il y a quand même des limites à l’obscénité…

  • Les enfants perdus

    En lisant Lunar Park de Bret Easton Ellis
    Le rapport liant le Bret Easton Ellis qui écrit Lunar Park et le Bret du livre qui raconte sa vie de romancier célébrissime et plein aux as en train d’essayer de se refaire, me rappelle curieusement celui qu’entretient Marcel Proust avec le Narrateur de la Recherche. Je sais bien que le rapprochement peut sembler « limite », mais l’idée m’en est venue hier soir en lisant la suite de Lunar Park, qui joue du dire-plus de la fiction en faisant de cette pseudo-chronique autobiographique un roman brassant le même type d’observations que Moins que zéro, Les lois de l’attraction ou Zombies, avec ce même regard sur ce qu’on pourrait dire les enfants perdus de nos sociétés nanties et avachies, et cette même musique de détresse, qui expliquent sans doute l’extraordinaire retentissement de ces livres. Aussi et comme chez Proust: cette façon de projeter la mémoire devant soi au lieu de s'y mirer le dos tourné.
    Des pages 50 à 109, le narrateur de Lunar Park raconte essentiellement comment il replonge dans la dope (sans le reconnaître, avec toute la mauvaise foi typique de l’accro), et comment se distendent les liens l’attachant à Jayne (qui le surveille fébrilement), à Robby (qui le fusille du regard), à la petite Sarah dont l’oiseau de peluche n’est pas content non plus, ou au chien qui le juge grave lui aussi. Une fête démente de Halloween, où affluent les amis de l’écrivain, les voisins, les parents des mômes du quartier et les étudiants shootés du campus où Bret donne un atelier d’écriture, est l’occasion de détailler ce mircocosme oscillant, comme toute l’Amérique, entre conformisme extrême et défonce, suavité et violence, infantilisme des adultes et sombre regard des enfants.
    Or ce qu’il y a là de plus intéressant qu’une peinture de mœurs, c’est qu’un roman couve, avec quelqe chose d’aussi inquiétant que ce qu’on sent bouillir à la surface du cratère où s'est enfoncée la première machine infernale tombée du ciel, dans La guerre des mondes que justement je regardais d’un oeil en lisant Lunar Park, dans sa version initiale de  Byron Haskin, si délicieusement années 50. Au passage, j’ai d’alleurs été saisi par l’incroyable ressemblance entre le reporter se précipitant vers la faille avec son micro et le Bret Easton Ellis des années 80 : même profil aquilin et même grand front à même mèche léchée, même cravate et même œil à vrille - bref tout porte à croire que Bret Easton Ellis est la réincarnation d'une série B de 1952...
    Enfin, le rapprochement entre Bret et Marcel trouve un autre motif à la page 108 de Lunar Park, lorsque le narrateur léchote le brillant des lèvres de son étudiante Aimee Light, auquel il trouve un parfum qui le « ramène très loin ». Et de préciser : « C’est comme ces petites mandarines chez Proust ». Alors, bonne élève, Aimee de corriger : « Vous voulez dire madeleines ». Mais  lui d’insister : « Ouais, comme ces petites mandarines »...
    Et c’est exactement cela, le roman : c’est cette façon de réinventer la réalité, plus vraie que vraie, qui fait que les madeleines d’hier sont les mandarines d’aujourd’hui…  

     

  • De la tendresse


     

    De Lunar Park à La promesse de l’aube

    A La Désirade, ce mardi 13 décembre. – Il est toujours déprimant de lire de mauvais livre, et comme je m’en suis « fait » deux aujourd’hui, c’est avec un sentiment de reconnaissance presque amicale que je retrouve, ce soir, Lunar Park de Bret Easton Ellis, dont la lente descente dans le tragique diffuse une espèce de tendresse désemparée qui me touche infiniment. Jamais je n’avais senti, chez cet écrivain, une telle attention au monde dans lequel nous vivons et une telle protestation, une telle précision dans l’observation de la démence ordinaire et une telle honnêteté dans la façon de s’impliquer dans le tableau.
    Hier soir, en relisant le magnifique début de La promesse de l’aube de Romain Gary, j’ai éprouvé ce même sentiment de totale affection que peut nous inspirer un livre bon (je ne dis pas un bon livre, mais un livre bon), quand l’écrivain, vautré au milieu des phoques de Big Sur, se rappelle les mises en garde de sa mère, quand il était petit garçon, contre Totoche le dieu de la bêtise avec sa tête d’intellectuel primaire, Merzavka le dieu des vérités absolues debout comme un cosaque sur des monceaux de cadavres, ou Filoche le dieu de la mesquinerie vociférant des « sale juif sale pédé sale nègre » dans sa loge de concierge - et le père phoque regardait ce type rêver sur le rivage du Pacifique, chaque mot de ces phrases saines et libres sonnant aussi juste que la phrase saine et libre de Bret Easton Ellis détaillant sa fureur et son désarroi.
    La littérature sérieuse se reconnaît, me semble-t-il, à ces ondes de tendresse qu’elle diffuse, proportionnées aux ondes d’effroi qu’elle capte en même temps. La réelle attention n’est supportable qu’avec ce flux de tendresse. Ce qu’il y a de poignant et en crescendo, dans Lunar Park, est de voir comment l’écrivain découvre la réalité de la souffrance et du mal qu’il a pressentie dans ses livres sans en mesurer l’exacte conséquence, et qu’il vit désormais dans sa chair même, soudain rattrapé par les fantômes de son imagination médiumnique…

  • La vérité de Lunar Park

    Bret Easton Ellis et la lettre à la petite cousine
    Et maintenant que va devenir Magalie, princesse de la Star Ac et des mal aimés ? Comment va-t-elle gérer son million et son vécu quotidien ? Qu’adviendra-t-il de cette étoile de la France d’en bas montée au Ciel de la Réussite ? Quels lendemains pour elle et quels surlendemains ?
    Telles sont les questions que je me posais en achevant la lecture de Lunar Park de Bret Easton Ellis, qui ne parle en somme que de cela : de ce qui nous attend en réalité malgré tout ce que nous fantasmons en lisant et relisant la lettre de notre petite cousine Magalie.
    C’est Céline, évidemment, qui jugeait du roman dans sa massive tendance comme relevant de la lettre à la petite cousine, et le déballage de la romance contemporaine ne ferait que le conforter dans son jugement.
    Or ce que je trouve admirable, arrivé au bout de la lecture de Lunar Park, c’est que ce livre troublant et poignant, féroce et délicat, peut-être le plus beau que j’aie lu cette année avec Le siège de l’aigle de Carlos Fuentes, Le maître de Colm Toibin, Cosmos incorporated de Maurice G. Dantec et les nouvelles de Judith Herman ou celles de William Trevor, subvertisse absolument le genre du tout-dire privé en faisant de la vie de Bret Easton Ellis une fiction romanesque où tout ce qui est raconté relève de l’affabulation, du point de vue de l’anecdote privée (la femme, les enfants, les nannies, le chien, etc.) pour mieux traiter le thème, en somme très jamesien (et la psychologie surfine du romancier se rapproche en effet de James autant que du Philip Roth d’ Opération Shylock) du double et des relations entre les multiples niveaux de ce que nous appelons la réalité.
    Il y a dans ce livre un engagement personnel, un mélange de souffrance réelle (ou plutôt de compréhension de la souffrance, de la solitude et des malentendus interpersonnels) et d’humour supérieur, qui relèvent de la meilleure littérature. Et qui, mieux que Bret, pourrait à présent nous parler de Magalie et des siens ?

  • Lunar Alien



    Des messages positifs

    Je savais, quand la Lune m’a réveillé tout à l’heure, que j’avais reçu des messages, et tout de suite je me suis connecté, non sans jeter un coup d’œil aux boîtes des enfants.
    Les enfants reposaient. Chacune dans la boîte où son Ami respectif l’avait déposée pour la nuit, selon le contrat. Chacune vêtue de sa nuisette. Chacune avec son sourire de fée. La brune et la blonde. Déconnectées pour la nuit, mais chacune avec son kit de survie à portée de main.
    Voyaient-elles les traces dans leur sommeil ? Leur sourire m’incitait à le penser. Et voyaient-elles les taches de sang le long des traces ? Un message m’a conseillé de penser que non. La pièce attachée du message précisait : votre enfant est votre Client. En cas de stress, doublez la dose.
    Je ne dormais pas : je voyais les traces des peluches filer vers Neverland, et les taches de sang des enfants disparus de la semaine dont les avis de recherche figuraient dans le Quotidien Bleu. J’étais serein en contemplant les pentes enneigées, la plaine immaculée du lac gelé et le ciel éclairé de l’intérieur au-dessus des montagnes. Je savais que l’équipe de soutien psychologique était prête à intervenir à tout moment si je flanchais. D’ailleurs j’étais trop occupé pour me laisser aller : un message m’avait ordonné de corriger l’aspect de mon dessin d’ornithorynque, et je n’avais qu’à obtempérer.
    Votre ornithorynque a l’air dérangé, disait le message, et c’était vrai. Cela risque de provoquer un trauma chez les enfants, précisait la pièce attachée. Et du coup je me suis lancé dans la correction : j’y passerai toute la nuit s’il le faut, mais je lui rendrai son aspect normal.
    Votre rôle est de normer vos enfants, me rappela un message ultérieur, et faites attention à leurs petites attaques de cellulite : prévenir est la règle.
    Lucy aussi sourit dans son rêve, avec son air constructif de toujours, surtout depuis qu’elle se montre intraitable en matière d’hydrates de carbone. Avec elle nos Clientes sont en sécurité. Je veux dire : avec elle et le nécessaire antistress.
    Dans le rêve célibataire de la Lune, nos enfants sont sans âge, et nous veillons sur elles, la blonde et la brune. Nous vaincrons tous le temps. Le kit de survie (Zoloft, Lufa, Celexa, Paxil) nous permet d’assurer. Un nouveau message m’encourage à modéliser le dernier état de mon ornithorynque et de m’en tenir là. Et la pièce attachée me fait encore plus de bien : je positive à mort...