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Les enfants perdus

En lisant Lunar Park de Bret Easton Ellis
Le rapport liant le Bret Easton Ellis qui écrit Lunar Park et le Bret du livre qui raconte sa vie de romancier célébrissime et plein aux as en train d’essayer de se refaire, me rappelle curieusement celui qu’entretient Marcel Proust avec le Narrateur de la Recherche. Je sais bien que le rapprochement peut sembler « limite », mais l’idée m’en est venue hier soir en lisant la suite de Lunar Park, qui joue du dire-plus de la fiction en faisant de cette pseudo-chronique autobiographique un roman brassant le même type d’observations que Moins que zéro, Les lois de l’attraction ou Zombies, avec ce même regard sur ce qu’on pourrait dire les enfants perdus de nos sociétés nanties et avachies, et cette même musique de détresse, qui expliquent sans doute l’extraordinaire retentissement de ces livres. Aussi et comme chez Proust: cette façon de projeter la mémoire devant soi au lieu de s'y mirer le dos tourné.
Des pages 50 à 109, le narrateur de Lunar Park raconte essentiellement comment il replonge dans la dope (sans le reconnaître, avec toute la mauvaise foi typique de l’accro), et comment se distendent les liens l’attachant à Jayne (qui le surveille fébrilement), à Robby (qui le fusille du regard), à la petite Sarah dont l’oiseau de peluche n’est pas content non plus, ou au chien qui le juge grave lui aussi. Une fête démente de Halloween, où affluent les amis de l’écrivain, les voisins, les parents des mômes du quartier et les étudiants shootés du campus où Bret donne un atelier d’écriture, est l’occasion de détailler ce mircocosme oscillant, comme toute l’Amérique, entre conformisme extrême et défonce, suavité et violence, infantilisme des adultes et sombre regard des enfants.
Or ce qu’il y a là de plus intéressant qu’une peinture de mœurs, c’est qu’un roman couve, avec quelqe chose d’aussi inquiétant que ce qu’on sent bouillir à la surface du cratère où s'est enfoncée la première machine infernale tombée du ciel, dans La guerre des mondes que justement je regardais d’un oeil en lisant Lunar Park, dans sa version initiale de  Byron Haskin, si délicieusement années 50. Au passage, j’ai d’alleurs été saisi par l’incroyable ressemblance entre le reporter se précipitant vers la faille avec son micro et le Bret Easton Ellis des années 80 : même profil aquilin et même grand front à même mèche léchée, même cravate et même œil à vrille - bref tout porte à croire que Bret Easton Ellis est la réincarnation d'une série B de 1952...
Enfin, le rapprochement entre Bret et Marcel trouve un autre motif à la page 108 de Lunar Park, lorsque le narrateur léchote le brillant des lèvres de son étudiante Aimee Light, auquel il trouve un parfum qui le « ramène très loin ». Et de préciser : « C’est comme ces petites mandarines chez Proust ». Alors, bonne élève, Aimee de corriger : « Vous voulez dire madeleines ». Mais  lui d’insister : « Ouais, comme ces petites mandarines »...
Et c’est exactement cela, le roman : c’est cette façon de réinventer la réalité, plus vraie que vraie, qui fait que les madeleines d’hier sont les mandarines d’aujourd’hui…  

 

Commentaires

  • Oui, la référence à Proust est très présente dans ce livre, ainsi qu'à d'autres oeuvres comme Œdipe Roi, La chute de la maison Usher, Bartleby le scribe, Dr Jekyll et Mr Hyde (ainsi que je l'ai noté dans ma critique de ce livre, sans l'expliciter pour laisser au lecteur le loisir de trouver lui-même, mais après tout j'aurais peut-être dû le faire)...
    Tout le monde a parlé d'un démarquage de Stephen King mais l'ambition de Bret Easton Ellis est bien supérieure. C'est sa grande force ici de porter avec lui toute une mythologie, comme les romans de Faulkner portent en eux la Bible, mais sans en avoir l'air... et c'est la faiblesse de la critique de ne pas s'en apercevoir.

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