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Jeu Papou

  • Les escholiers


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    L’auteur masqué (27)

    Ce texte est tiré des premières pages de l'extraordinaire nouvelle de Nicolas Gogol, intitulée Vij, du nom du chef des gnomes russes dont les paupières sont si lourdement plombées qu'elles tombent jusque par terre. Cherchez la ressemblance avec ceux qui s'aveuglent. En attendant, personne n'a identifié Gogol dont le style se reconnaît pourtant à 33 verstes, même en traduction (ici, dans la Petite Bibliothèque Ombres, de Louise Viardot).

    « Dès que la cloche du séminaire, qui était pendue à la porte du couvent des frères, à K., se mettait en branle, on voyait arriver de toutes les parties de la ville des groupes d’écoliers. Les grammairiens, les rhétoriciens, les philosophes et les théologiens se rendaient aux classes avec leurs cahiers sous le bras.
    Les grammairiens étaient encore des enfants; en marchant, ils se poussaient les uns les autres, et se disaient des injures d’une voix de fausset. Ils avaient presque tous des habits sales et déchirés, et leurs poches étaient toujours remplies de mille brimborions, tels qu’osselets, sifflets de plume, croûtes de pâtés, et jusqu'à des jeunes moineaux auxquels il arrivait de pépier dans le silence de la classe, ce qui attirait quelque fois sur leur possesseur des coups de férule ou même une bonne cinglée de verges en cerisier. Les rhétoriciens marchaient avec plus de gravité; leurs habits avaient moins d’accrocs, mais en revanche ils portaient presque toujours sur leurs visages quelques ornements dans le style des figures de rhétorique, un œil au beurre noir ou une lèvre toute boursouflée. Ceux-là devisaient entre eux et juraient d’une voix de ténor.
    Les philosophes et les théologiens parlaient une octave plus bas, et n’avaient rien dans leurs poches que des brins de tabac noir. Ils ne faisaient jamais de provisions, car ils dévoraient dans l’instant tout ce qui leur tombait sous la main. Ils sentaient tous la pipe et l’eau-de-vie, et de si loin que plus d’un artisan, allant à sa besogne, s’arrêtait et flairait longtemps l’air comme un limier. »

  • L’enfant et la rivière

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    L’auteur démasqué (26)

    Ce poème est tiré de La fable du monde de Jules Supervielle, ainsi que l'a trouvé Lamkyre qui en sera dûment récompensé(e) selon les règles non écrites du Jeu papou.

     



    De sa rive l’enfance
    Nous regarde couler :
    « Quelle est cette rivière
    Où mes pieds sont mouillés,
    Ces barques agrandies,
    Ces reflets dévoilés,
    Cette confusion
    Où je me reconnais,
    Quelle est cette façon
    D’être et d’avoir été ? »

    Et moi qui ne peux pas répondre
    Je me fais songe pour passer aux pieds d’une ombre.

  • Vus du ciel

    medium_Fargue.jpg
    L’auteur démasqué (25)

    Ce fragment de prose est tiré de Débat dans l'azur de Léon-Paul Fargue, auteur injustement oublié du Piéton de Paris. Je l'ai tiré du recueil de Vulturne, réuni à Epaisseurs  dans la collection Poésie de Gallimard. Lisez donc Chanson du plus léger que la mort: "Nous sommes les hommes sans murailles ! Nous montons en choeur dans la musique !" Tonique ! Et compliment à Tristan S. à V. qui sait que lire Léon-Paul Fargue n'oblige pas forcément à lire Nicolas Fargues...

    Hachure !
    Est-ce que tu n’en as pas assez d’être une hachure entre les hachures ?
    Homme !
    Tu n’en as donc pas ton soûl d’être un homme parmi les hommes ?
    Grouillis des poux de mer sur la plage des rues.
    Bâtonnets sautant à cloche-pied, vers de pierre, jeux de jonchet en délire, aïe donc, les dragons chargent sur la chair en filoselle, les chapeaux, les gants, les cannes, les sacs endormis dans le blanc d’œil, goitres assommés, crapauds en deuil, accordéons éculés face au ciel !
    Monte un peu. Suis-moi. Colle donc, nom de Dieu ! Là, te voilà bien avancé, maintenant. Crois-tu que c’est beau à voir de là-haut ? Crois-tu que c’est grand’chose ?
    Ah ! vous n’alliez pas loin, les hommes.
    Vois-tu de là-haut comment ça rampe ?
    Comprends-tu, maintenant, comment ça foisonne ?
    Alors, pourquoi tant d’histoires ?

  • L’ennui d’écrire


    medium_Renard.jpgL’auteur démasqué (23)


    L'auteur de cet extrait, identifié par Bona Mangangu, est Jules Renard, dans son roman L'écornifleur. Un régal de vacherie placide. Dans le même genre, on lira le portrait d'Eloi, homme de lettres, dans le recueil de Nos frères farouches. Jules Renard est trop souvent réduit à Poil de carotte ou à ses croquis animaliers. C'est très bien. Mais son Journal est une mine de notations acides et de croquis plus tendres. Un tout grand "petit maître" à lire et relire

    « Que c’est embêtant d’écrire !
    Passe d’écrire des vers ! On peut n’en écrire qu’un à la fois. Ils se retrouvent, et à la fin du mois on joint les bouts. Et puis il y a la rime qui sert de crochet pour tirer, hisse ! hisse ! jusqu’à ce que le vers se rende, se détache.
    Passe même d’écrire une petite nouvelle. C’est court comme une visite de jour de l’an. Bonjour, bonsoir, à des gens qu’on déteste ou qu’on méprise. La nouvelle est la poignée de mains banale de l’homme de lettres aux créatures de son esprit. Elle s’oublie comme une relation d’omnibus.
    Mais c’est un roman ! un roman complet avec des personnages qui ne meurent pas trop vite.
    Mes jeunes confrères me l’ont dit : « Tu réussis les petites machines, mais ne t’attaque jamais é une grosse affaire. Tu manques d’haleine. »
    J’en conviens, j’ai besoin de souffler à la troisième page, de prendre l’air, de faire une saison de paresse ; et quand je retourne à mes bonshommes, j’ai peur, comme si je devais renouer avec une maîtresse devenue grand-mère pendant mon absence, comme si j’allais traîner des morts sur une route qui monte ».

  • Le dernier adieu

    medium_Roud0001.JPGL’Auteur démasqué (22)

    Cet extrait est tiré de Requiem de Gustave Roud, que personne n'a identifié.

    Non pas cette neige d’une nuit sous le pâle soleil rose, ou le regard au lacs de mille signes déchiffre avec ennui les feintes, les chasses, les famines de tant de bêtes glacées ! Qu’ai-je à faire de ces traces trop pareilles à celles des hommes ? Elles s’en vont toutes vers la tanière et vers le sang.
    La neige a d’autres signes. Son épaule la plus pure, des oiseaux parfois la blessent d’un seul battement de plume. Je tremble devant ce sceau d’un autre monde. Ecoute-moi. Ma solitude est parfaite et pure comme la neige. Blesse-la des mêmes blessures. Un battement de cœur, une ombre, et ce regard fermé se rouvrira peut-être sur ton ailleurs (…)

    Mais tu sais bien qu’il n’y a pas de repos.

    Est-ce que tu te souviens encore ? Les pauses miséricordieuses parfois qui venaient rompre cette obsession de l’éternité, les musiques, les visages et soudain, sur le sable même de la rive absolue, le dernier adieu du temps… La lumière change comme une voix. Elle n’est plus le témoin sans force d’une agonie. Elle redevient soleil, ce long rayon vivant qui s’agenouille au bord des draps dans un fauve reploiement d’ailes. Tu soulèves une main. Tu lui tends l’inquiète main des mères qu’elles glissent à la nuque de leurs petits garçons hors d’haleine. Il la pose au creux de ses paumes chaleureuses, dore et détend les doigts qu’il r amène à leur repos. Tes mains dorment dans l’ombre. Là-bas la première abeille de l’année frôle une vitre et fuit. Une abeille, un rayon, quel adieu plus léger ?
    Mais déjà ton oreille est close et sur ces lèvres scellées, l’absence dessine le lent sourire sans réponse qui ne s’effacera plus.

  • Le dernier adieu

    medium_Masque.4.jpgL’auteur masqué (22)

    De quel auteur est cette prose? Celle ou celui qui le découvrira recevra un livre et un numéro gratuit du journal littéraire Le Passe-Muraille.

    Non pas cette neige d’une nuit sous le pâle soleil rose, ou le regard au lacs de mille signes déchiffre avec ennui les feintes, les chasses, les famines de tant de bêtes glacées ! Qu’ai-je à faire de ces traces trop pareilles à celles des hommes ? Elles s’en vont toutes vers la tanière et vers le sang.
    La neige a d’autres signes. Son épaule la plus pure, des oiseaux parfois la blessent d’un seul battement de plume. Je tremble devant ce sceau d’un autre monde. Ecoute-moi. Ma solitude est parfaite et pure comme la neige. Blesse-la des mêmes blessures. Un battement de cœur, une ombre, et ce regard fermé se rouvrira peut-être sur ton ailleurs (…)

    Mais tu sais bien qu’il n’y a pas de repos.

    Est-ce que tu te souviens encore ? Les pauses miséricordieuses parfois qui venaient rompre cette obsession de l’éternité, les musiques, les visages et soudain, sur le sable même de la rive absolue, le dernier adieu du temps… La lumière change comme une voix. Elle n’est plus le témoin sans force d’une agonie. Elle redevient soleil, ce long rayon vivant qui s’agenouille au bord des draps dans un fauve reploiement d’ailes. Tu soulèves une main. Tu lui tends l’inquiète main des mères qu’elles glissent à la nuque de leurs petits garçons hors d’haleine. Il la pose au creux de ses paumes chaleureuses, dore et détend les doigts qu’il r amène à leur repos. Tes mains dorment dans l’ombre. Là-bas la première abeille de l’année frôle une vitre et fuit. Une abeille, un rayon, quel adieu plus léger ?
    Mais déjà ton oreille est close et sur ces lèvres scellées, l’absence dessine le lent sourire sans réponse qui ne s’effacera plus.

  • Les voix de la nuit




    L’auteur démasqué (20)


    Ces poèmes sont très évidemment tirés de l'oeuvre magnifique du poète grec Constantin Cavafy, ou Cavafis selon les traducteurs... Fred a (enfin) identifié celui-ci pour sauver l'honneur gravement menacé de la tribu papou.

    VOIX

    Voix sublimes et bien-aimées
    De ceux qui sont morts, ou de ceux
    Qui sont perdus pour nous comme s’ils étaient morts.

    Parfois, elles nous parlent en rêve ;
    Parfois, dans la pensée, le cerveau les entend.

    Et avec elles résonnent, pour un instant,
    Les accents de la première poésie de notre vie –
    Comme une musique qui s’éteint, au loin, dans la nuit.


    LA VILLE

    Tu as dit : « J’irai par une autre terre, j’irai par une autre mer.
    Il se trouvera bien une autre ville, meilleure que celle-ci.
    Chaque effort que je fais est condamné d’avance ;
    et mon cœur – tel un mort- y gît enseveli.
    Jusqu’à quand mon esprit va-t-il endurer ce marasme ?
    Où que mes yeux se tournent, où que se pose mon regard,
    Je vois se profiler ici les noirs décombres de ma vie
    dont après tant d’années je ne fais que ruines et gâchis. »

    Tu ne trouveras pas d’autres lieux, tu ne trouveras pas d’autres mers.
    La ville te suivra partout. Tu traîneras
    dans les mêmes rues. Et tu vieilliras dans les mêmes quartiers ;
    C’est dans ces mêmes maisons que blanchiront tes cheveux.
    Toujours à cette ville tu aboutiras. Et pour ailleurs – n’y compte pas –
    il n’y a plus pour toi ni chemin ni navire.
    Pas d’autre vie : en la ruinant ici,
    dans ce coin perdu, tu l’as gâchée sur toute la terre.

  • Haine de la poésie



    L’Auteur démasqué (19)

    Ce texte est extrait d'une prose du poète Franck Venaille, intitulée Haine de la poésie et datant de 1979. Je l'ai tiré de la monographie, assortie d'une anthologie, que François Boodaert à consacrée à Venaille sous le titre de Je revendique tous les droits, parue à l'enseigne de Jeanmichelplace/poésie en 2005. Personne n'a identifié ce texte d'un poète trop souvent inaperçu quoique des plus remarquables, à (re)découvrir assurément.  

     

    « Comme arrachées d’un livre voici des feuilles, des pages, voici la part féminine des mots qui m’entourent. Qui parle ? D’où vient cette voix ? Et qui se cache derrière ce visage ? Je le sais à peine. Ne connais pas son nom. C’est une silhouette, un homme, quelqu’un que l’on rencontre, que l’on croise et sur lequel jamais on ne se retourne : des phrases, comme arrachées à un livre.
    On ne sait rien de lui. Simplement je peux vous dire que l’été dernier on le voyait au Café Armandie chaque fin d’après-midi venir s’asseoir à une table de la terrasse où il se reposait. Souvent il portait sa main droite à la hauteur de sa vésicule. Un tic. Peut-être autre chose. A ceux qui s’étonnaient de la fréquence de ce geste il répondait simplement « j’ai mal parce que j’écris ».
    Je ne connais pas son nom. Mais je sais qu’il travaille régulièrement à son bureau. Il s’entoure de livres. Il se protège avec des livres. Lorsqu’il va mal il ferme la porte de cette pièce, de ce lieu de fiction, et s’en va dans les rues maudissant l’écriture. Puis il revient. S’installe à sa place et demande pardon : comme arrachées d’un livre.
    Un livre. Tenez. Kierkegaard raconte qu’étant enfant il demandait parfois à son père l’autorisation de sortir. Le vieil homme refusait, lui offrait cependant de le prendre par la main et de faire une promenade en parcourant en tous sens le parquet de la pièce. Alors, tout en marchant, le père décrivait – passants, voitures, fruits des étalages – tout ce qu’ils voyaient et saluait ses connaissances. Il semblait à l’enfant qu’au cours de la promenade le monde sortait du néant, que son père était Dieu et lui-même son favori… »

  • Le dandy s’encanaille


    L’auteur démasqué (18)

    L'auteur de cet extrait d'Hécate et ses chiens, paru en 1954 chez Flammarion, est Paul Morand. Joël l'a finalement identifié. Récidiviste notoire... 


    « Je m’étais tracé un plan d’inconduite et le suivais pas à pas. Sans précautions je m’enfonçais délibérément et jusqu’au cou dans la bourbe. J’avais fini par savoir fort bien comment m’y prendre, ayant acquis le coup d’œil du vieux renard. Mon endurcissement audacieux me faisait peur. Je n’allais plus à faux. Je jouais serré. J’agissais vite. Je ne restais pas longtemps sur le lieu de mes exploits et passais ailleurs. En des temps records, je savais choisir, séduire, gâter mes proies favorites, les immoler, passer à d’autres bons morceaux.
    Je me liai avec ces désoeuvrés cosmopolites qu’on rencontre partout, lords du spleen, usiniers nordiques aux mœurs flottantes comme leurs yachts, dames russes dont la religion seule était orthodoxe. Notre centre d’opération et de ravitaillement se trouvait dans le palais du correspondant de la plus grande agence américaine de presse (lequel devait mourir peu après. Assassiné), un palais de Mille et une Nuit, pavé d’albâtre.
    Je tremblais d’y fréquenter, sans pouvoir m’en empêcher. J’avais un goût chaque jour plus profond pour ce que les mauvaises mœurs apportent d’anxiété ; certaines poursuites crapuleuses me laissaient le cœur et l’estomac en suspens, comme le lecteur d’un feuilleton policier. Terrorisé par le scandale possible, je savourais cette angoisse. Déplaisir conscient, plaisir secret. La violence que je faisais à mon naturel honnête était sans doute la forme inversée de cette contrainte chère à tous les réformés. « Enfin, me disais-je, la fantaisie est entrée dans ma vie ! »

  • Le livre rêvé


    L’auteur démasqué (17)

    L'auteur de ce passage célébrissime du Temps retrouvé est évidemment Marcel Proust. Didier l'a identifié avant minuit. Récidiviste, il recevra donc deux livres par la petite poste. Il est en revanche exclu des trois tours prochains du jeu papou.

    « Que celui qui pourrait écrire un tel livre serait heureux, pensais-je ; quel labeur devant lui ! Pour en donner une idée, c’est aux arts les plus élevés et les plus différents qu’il faudrait emprunter des comparaisons ; car cet écrivain, qui d’ailleurs pour chaque caractère en ferait apparaître les faces opposées pour montrer son volume, devrait préparer son livre minutieusement, avec de perpétuels regroupements de forces, comme une offensive, le supporter comme une fatigue, l’accepter comme une règle, le construire comme une église, le suivre comme un régime, le vaincre comme un obstacle, le conquérir comme une amitié, le suralimenter comme un enfant, le créer comme un monde sans laisser de côté ces mystères qui n’ont probablement leur explication que dans d’autres monde et dont le pressentiment est ce qui nous émeut le plus dans la vie et dans l’art. Et dans ces grands livres-là, il y a des parties qui n’ont eu le temps que d’être esquissées, et qui ne seront sans doute jamais finies, à cause de l’ampleur même du plan de l’architecte. Combien de grandes cathédrales restent inachevées ! On le nourrit, on fortifie ses parties faibles, on le préserve, mais ensuite c’est lui qui grandit, qui désigne notre tombe, la protège contre les rumeurs et quelque temps contre l’oubli. Mais pour en revenir à moi-même, je pensais plus modestement à mon livre, et ce serait même inexact que de dire à ceux qui le liraient, à mes lecteurs. Car ils ne seraient pas, selon moi, mes lecteurs, mais les propres lecteurs d’eux-mêmes, mon livre n’étant qu’un de ces verres grossissants comme ceux que tendait à un client l’opticien de C*** ; mon livre grâce auquel je leur fournirais le moyen de lire en eux-mêmes».


  • Dans cette lumière volée



    L’auteur démasqué (16)

    Ce passage est un extrait du Passage, précisément, extrait du dernier livre d'Antoine Volodine, Nos animaux préférés, paru en janvier 2006 au Seuil. Personne n'a identifié cette prose pas vraiment typique, il est vrai, de la manière volodienne...

    « Si tout va bien, un ciel naîtra de la mer un quart d’heure après le rivage. Tu ne pourras plus avancer, tu devras te cacher dans le reste des vagues, c’est par l’intérieur des nuages que tu accéderas au reste des vagues. Tu devras construire le passage, c’est dans la ruine du reflet que tu le découvriras, dans la ruine des eaux déjà impropres à porter l’idée de navires, dans la ruine du jour sans voyage et sans soleil. C’est dans la ruine du reflet que tu dissimuleras la dernière balise. C’est dans la dernière balise que tu feras mine de flotter, car il faudra continuer à feindre, face au vent déjà décharné de ses souvenirs d’albatros, de mouettes rieuses, éteint. Face à ce vent qui aura abdiqué, tu adopteras la politique de l’épave, la stratégie de l’épave qui a tes faveurs depuis toujours ».

    (…)

    « Et c’est sur cette lumière-là, non navigable, fictive, que tu façonneras le passage, dans cette lumière volée, dans la misère orgueilleuse de cette lumière volée ».

  • A la Grâce de Dieu


    L’auteur démasqué (15)

    Ce texte est tiré de La belle lurette, roman autobiographique d'Henri Calet. La seule désignation du nom de celui-ci est considérée comme suffisante, ce soir de pluie, par le jury unanime du jeu papou.  

    « Défense de laisser les enfants jouer dans les cours. Défense de mettre des oiseaux et des fleurs aux fenêtres. Défense de laisser circuler les chiens librement. Défense de laver le linge aux fontaines. Sous peine de congé immédiat. »
    Chaque bâtiment de la Cour de la Grâce de Dieu – je trouve l’appellation amusante – avait son panneau mural. Maman habitait une chambre du sixième étage, le dernier. Escalier K.
    Nous étions là des centaines entassés, grands et petits, dans nos puanteurs et sans fleurs, avec nos tares et sans oiseaux.
    Dans les couloirs mi-obscurs la senteur lourde de la merde était partout, et celle – plus insinuante – aigrelette de l’urine. Le dégoût s’étalait sur les murs… Merde… Merde… en grandes lettres ou en arabesques, et surtout aux chiottes, écrit du bout du doigt… Merde… Merde…
    C’est vrai, on en était pleins jusqu’à la gorge. Un enlisement et un étouffement lents.
    L’entrée de la cour était barrée par le regard oblique et raide du concierge : un vieillard assis qui avait une voix couverte, étrange, lointaine. Dans ce concierge, c’était un va-et-vient glaireux et il n’avait qu’à secouer son ventre replié sur ses cuisses pour qu’aussitôt les glaviots lui montassent aux lèvres. Il les mâchonnait longtemps avant de les cracher par le vasistas ».

  • Là-bas en enfance



    L’auteur démasqué (14)

    L'auteur de cet extrait d'Enfance est Nathalie Sarraute, que notre ami Bona a identifié sans peine.

    « Je suis assise près de maman dans une voiture fermée tirée par un cheval, nous cahotons sur une route poussiéreuse. Je tiens le plus près possible de la fenêtre un livre de la bibliothèque rose, j’essaie de lire malgré les secousses, malgré les objurgations de maman : « Arrête-toi maintenant, ça suffit, tu t’abîmes les yeux… »
    La Ville où nous nous rendons porte le nom de Kamenetz-Podolsk. Nous y passerons l’été chez mon oncle Gricha Chatounovski, celui des frères de maman qui est avocat.
    Ce vers quoi nous allons, ce qui m’attend là-bas, possède toutes les qualités qui font « les beaux souvenirs d’enfance »…

  • L’herbe de Whitman



    L’auteur démasqué (13)

    Cet extrait de poème est tiré de la deuxième séquence d'Au tombeau d'Apollinaire, du poète américain Allen Ginsberg (1926-1997). Je l'ai tiré de l'excellente monographie consacrée au grand poète beatnik par Jacques Darras, dans la collection Poésie de Jean-Michel Place. Personne n'a découvert l'identité de cet auteur naguère "culte". Sic transit gloria mundi & Shame on you...


    « Ici à Paris je suis ton invité chère ombre amicale
    La main absente de Max Jacob
    Le jeune Picasso m’apportant un tube de Méditerranée
    Moi-même assistant au banquet rouge et vieux de Rousseau
    J’ai mangé son violon
    Merveilleuses fêtes au Bateau-Lavoir qui n’ont jamais été mentionnées
    Dans les livres scolaires d’Algérie
    Tzara au bois de Boulogne expliquant l’alchimie des couscous
    mitrailleurs
    Il pleure en me traduisant en suédois
    Elégant cravate mauve et pantalon noir
    Une douce et tendre barbe émerge de son visage comme la
    Mousse tapissant les murs de l’Anarchie
    Il parlait interminablement de ses querelles avec André Breton
    Un jour il l’aida à retailler sa moustache dorée
    Le vieux Blaise Cendrars m’a reçu dans son cabinet de travail
    Et à voix basse me parle de l’immense Sibérie
    Jacques Vaché me pria d’examiner sa terrible collection de pistolets
    Pauvre Cocteau attristé parle du merveilleux Radiguet d’antan
    A sa dernière pensée je me suis évanoui
    Rigaut avec une lettre d’introduction à la Mort
    Et Gide vanta le téléphone et d’autres remarquables inventions
    E principe nous étions d’accord bien qu’il baratinât sur
    Le linge de corps mauve
    Malgré cela il but au goulot de l’herbe de Whitman intrigué
    Par les amants qui se nomment Colorado
    Princes d’Amérique arrivant les bras chargés de shrapnels et
    De base-ball
    Oh Guillaume le monde si facile à combattre semblait si facile
    Savais-tu que les grands classiques politiques envahiraient
    Montparnasse
    Sans un seul brin de laurier prophétique pour verdir leurs
    fronts
    aucune pulsation verte dans leurs oreillers aucune feuille ne
    reste de leurs guerres – Maïakovski est arrivé et s’est révolté… »

    Ginsberg as youngster

  • Terre des livres


    L’auteur démasqué (12)

    L'auteur de ce poème, tiré de Récitatif, réédité avec Amen et La tourne dans la collection Poésie/Gallimard, est évidemment Jacques Réda, qui vient de publier un nouveau recueil de proses chez Gallimard, sous le titre de Ponts flottants. Stéphane M. est le douzième lauréat du jeu papou. L'innombrable tribu l'applaudit à tout rompre.

    Longtemps après l’arrachement des dernières fusées,
    Dans les coins abrités des ruines de nos maisons
    Pour veiller les milliards de morts les livres resteront
    Tout seuls sur la planète.
    Mais les yeux des milliards de mots qui lisaient dans les
    nôtres,
    Cherchant à voir encore,
    Feront-ils de leurs cils un souffle de forêt
    Sur la terre à nouveau muette ?
    Autant demander si la mer se souviendra du battement
    de nos jambes ; le vent,
    D’Ulysse entrant nu dans le cercle des jeunes filles.
    Ô belle au bois dormant,
    La lumière aura fui comme s’abaisse une paupière.
    Et le soleil ôtant son casque
    Verra choir une larme entre ses pieds qui ne bougent plus.
    Nul n’entendra le bâton aveugle du poète
    Toucher le rebord de la pierre au seuil déserté,
    Lui qui dans l’imparfait déjà heurte et nous a précédés
    Quand nous étions encore à jouer sous vos yeux,
    Incrédules étoiles ».

  • Ô douce nuit

    L’Auteur démasqué (11)

    Ce fragment édifiant est extrait du livre à paraître d'Alina Reyes, Le carnet de Rrose. Un (ou une) karateka l'a identifié, ce qui est méritoire vu que le texte était inédit. Je reviendrai sur ce petit livre dense à la saveur de figue de barbarie.

    « Agenouillée devant son trésor, je suis une enfant devant le sapin de Noël, droit, luisant, et si joli, avec ses boules pleines de promesses. Dans mon cœur je prie papa Noël, j’espère avoir été assez gentille pour mériter mon cadeau. Je tire la langue, les yeux baissés, pour qu’il y dépose son hostie. Quand sa chair si délicate et odorante, sa peau si fine touchent mes papilles si sensibles, alors je le regarde dans les yeux et nous entrons vraiment en communion. Qui m’a donné cette bouche, Qui lui a donné cette tige qui s’y glisse, Qui nous a donné ces yeux humides et brillants ? Douce nuit, sainte nuit, laisse-moi toujours connaître l’union parfaite dans l’amour, et m’y fondre. »

  • La parade des intellos


    L’Auteur démasqué (10)

    Ce texte est extrait du recueil de Charles Bukowski intitulé Le capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau, illustré par Robert Crumb et publié chez Grasset en 1999. Nul n'a résolu cette énigme, pourtant à la portée de n'importe quel traîne-patins...


    « Hummm… Je me sens quelque peu bizarroïde ce soir. Je pense à Maxime Gorki. Pourquoi ? Je l’ignore. Sinon qu’il me semble que Gorki n’a jamais existé. Alors que, pour d’autres écrivains, aucun doute, ils ont fait leur tour de piste. Tourgueniev ou D.H. Lawrence, par exemple. Dans le cas d’Hemingway, j’oscille entre la perplexité et la certitude. Certes, il est passé parmi nous, mais seulement par épisodes. Bon mais Gorki ? Il a écrit des choses fortes. Avant la Révolution. Mais tout de suite après il s’est affadi. Il n’avait plus grand-chose sur quoi planter ses crocs. A l’image des pacifistes qui ont besoin d’une guerre pour reprendre du poil de la bête. Ils sont quelques-uns comme ça à avoir fait la preuve de leur talent au cours de manifestations contre la guerre. Mais une fois qu’elles ont pris fin, ils se sont retrouvés sans emploi. Prenez la Guerre du Golfe, un groupe de romanciers et de poètes avait mijoté une grade manif contre Bush : discours et poèmes en ordre de marche. Ils étaient fins prêts. Mais, soudain voilà que la guerre s’arrête. La manif est reportée d’une semaine. Sauf qu’ils vont, dans l’entre-deux, s’empresser de déclarer forfait. Car une seule chose les avait motivés : parader en tête, Plastronner sur le devant de la scène. La guerre leur est nécessaire, Dans leur genre, ils me font penser à l’Indien qui danse pour que tombe la pluie. Moi aussi, je suis contre les guerres. Je l’ai été longtemps avant que le pacifisme devienne chicos, le must absolu, en un mot la propriété des intellos. Au fond, je subodore du louche sous le courage des neuf dixièmes de ces professionnels de l’anti-guerre comme je doute du bien-fondé de leur motivations. Entre Gorki et ces gens-là, quoi de commun ? Ne vous cassez pas la tête, ça n’en vaut pas la peine… »

    Bukowski au jacuzzi, vu par Crumb.

  • Si j'étais riche...

    L'Auteur démasqué (9)


    Cet extrait ravissant est évidemment tiré de L'Institut Benjamenta, de Robert Walser, disponible dans la collection L'Imaginaire de Gallimard, avec une préface de Marthe Robert. Bruno seul l'a identifié mais s'est abstenu de donner ici la réponse pour couper au délit d'initié gravement puni dans le jeu papou. Il recevra néanmoins un livre de la collection Harlquin propre à le distraire de trop sévères études à Bâle sur le Rhin.


    « Si j’étais riche, je ne voudrais nullement faire le tour de la terre. Sans doute, ce ne serait déjà pas si mal. Mais je ne vois rien de bien exaltant à connaître l’étranger au vol. Je me refuserais à enrichir mes connaissances, comme on dit. Plutôt que l’espace et la distance, c’est la profondeur, l’âme qui m’attirerait. Examiner ce qui tombe sous le sens, je trouverais cela stimulant. D’ailleurs je ne m’achèterais rien du tout. Je n’acquerrais pas de propriétés. Des vêtements élégants, du linge fin, un haut-de-forme, de modestes boutons de manchettes en or, des souliers vernis pointus, ce serait à peu près tout, et avec cela je me mettrais en route. Pas de maison, pas de jardin, pas de valet. (…) Et je pourrais partir. J’irais me promener dans le brouillard fumant de la rue. L’hiver et son froid mélancolique s’accorderaient merveilleusement avec mes pièces d’or ».

  • Les aubes nécessaires


    L’Auteur démasqué (8)

    Ce texte est extrait de Merci de Daniel Pennac, paru chez Gallimard en 2004. Joël a identifié l'Auteur, mais  comme il est récidiviste notoire, le jeu papou lui sera interdit pour trois tours. En revanche il recevra le livre promis. 

    « Ô le bonheur des petits matins quand l’idée vous fait jaillir du lit… Parce que ce n’est pas le coq qui vous réveille, ni le passage des poubelles… Ce n’est pas non plus la perspective du prix ou l’ambition de laisser une trace… C’est l’urgence de ce petit coup de burin auquel vous songiez en vous endormant… cette touche d’ocre rouge dans le coin droit de votre toile, là-haut… Voilà ce qui vous fait sauter du lit ! Le son entêtant d’une note qui promet l’harmonie… ce petit rien de plume, une virgule, peut-être, une simple virgule… une nuance essentielle… le minuscule de l’œuvre… trois fois rien… juste la nécessité… Dieu de Dieu, la beauté de ces aubes nécessaires, dans la maison qui dort… »

  • Les bonnes adresses

    L’Auteur démasqué (7)

    Ce texte est extrait des Histoires sanglantes de Pierre jean Jouve, première partie du volume de nouvelles intitulé La scène capitale, paru au Mercure de France et réédité dans la collection L'Imaginaire de Gallimard ? L'Ornithorynque en a identifié l'Auteur. Ce qui se dit dans sa langue véhiculaire: he got it !

    « Il avait dans sa poche des adresses de maisons. La ville était chaude autour de lui et remplie de fumée d’automobiles, de sorte qu’il respirait très mal, et pensait aux maisons en mouillant de sueur le cuir de son chapeau. Ses pieds étaient d’ailleurs en plomb. Il tâtait au fond de sa poche et en retirait des prospectus alléchants avec des cartes de visite. Madame Hélène, 19, rue Lauriston, reçoit de 14 heures à 2 heures du matin : relations mondaines, artistiques et discrètes. Non, cette Hélène-là, impossible. Une visite s’impose à Marguerite Delorme ; ses relations mondaines, ses dernières créations et son écran lumineux. Super-cuisses. Pas encore. Voir Andrée : relations électriques, massage sous l’eau par dames. Peut-être. Académie du parfait amour ; Maison de la Botte de Paille. Application quotidienne de la science moderne. Art ! Progrès ! Surprise ! Serpents animés, tableaux vivants, natures mortes… »

  • La vibration de lire


    L’Auteur démasqué (6)

    Ce texte est extrait du livre de Louis Calaferte intitulé Les fontaines silencieuses, paru à L'Arpenteur. Personne n'a trouvé la bonne réponse.

    « Cet incomparable émoi que de se baigner dans la lecture. Eau salvatrice – où reprendre force et conscience ; où retrouver ce qui est racine nous appartenant ; d’où surgir à neuf pour d’irrépressibles envolées. – Celui-ci, qui a donné son talent à ma voix secrète ; ses idées confortent les miennes ; sa sensibilité en tout m’identifie et, par surcroît, m’enseigne, me convie en m’aidant à devenir libre davantage, c’est-à-dire plus audacieux, plus fondé sur moi-même, mieux préparé aux essences de la Vie. – Lecture qui me fait Force. – Son souvenir, capable de métamorphoser les plus pénibles instants de misère morale. Tel livre, ce jour-là, accompagna notre détresse ; nous fit la surmonter, nous tirant vers ce réel absolu qu’est l’imaginaire, où réside toute capacité d’épanouissement. – Livre de jadis qui sait encore, a retenu qu’il faisait dehors, dans la rue, chaud ou froid,terreux ou ensoleillé ; de quel vert étaient les feuillages des arbres du jardin public ; quelle saveur troublante et enfantine imprégnait le regard entr’aperçu de la jeune fille aux jambes fines. – Livre de la vibration. Livre de la coloration. Livre de la révélation. Livre de la totalité d’être. Sans cesse je suis à ta recherche, moi, éternelle jeunesse de l’initiation. »

  • La noisette du sentiment

    L'Auteur démasqué (5)

    Ce texte est extrait de Talent de Jacques Audiberti, étourdissante suite de proses parue à la LUF en 1947. Nul n'a identifié l'Auteur, ce qui me fait insister virulemment sur la nécessité de relire ce merveilleux écrivain, auteur notamment de Monorail, Marie Dubois ou du bouleversant Dimanche m'attend, tous publiés chez Gallimard, sans parler de son théâtre et de sa poésie. 

    Les hommes mangent les poissons et les anges mangent les hommes.
    Certains affirment les Anges venir des poissons et les Chérubins des oiseaux. Les Trônes viendraient des membres, les Dominations de la réflexion. Et les Archanges, les splendides archanges aux grandes ailes pareilles à des toitures tavillonnées de couteaux vermeils, les archanges qui mangent à mort le galet des plages solaires et le blé des lunes assyriennes, les archanges ne sont pas issus des anges, mais des astres.
    Les divers ordres de nature dévient les uns des autres par le don et l’effort de la volonté. Mais ils se dévorent les uns les autres pour que soit assumée sans fin la palpitation vivante du grand Seigneur reclus à former ce monde.
    Les Principautés viennent de la chaleur et de l’espérance. Les Puissances viennent de la faiblesse et de la pitié. La nageoire, soudain, pousse sur l’os aride et l’œil, comme un fruit, germe sur le bambou. Les sucs se hâtent dans les conduits. La mer, toute surprise, un jour, voit s’ouvrir un caillou qu’elle croyait compact et d’où sort, qui sourit à la matinée bleue, un alérion replié qui ne se hâte à se déplier. Des sauces épaisses ruissellent des commissures. Les fourchettes à trois dents s’enfoncent, circonspectes, dans la chair des substances, bouillonnantes, soudain, à l’endroit de la piqûre. Des santés sont portées. Cana débouche la bordelaise. Un rayon contourne et galonne une cruche. Violent la noisette et fracturent la pomme les plus belles mains qui jamais sauvèrent et bénirent l’air. La noisette du sentiment, la pomme d’Adam.    

  • L’Auteur démasqué (4)


    Ce texte est tiré de Plume d'Henri Michaux. Il n'a été identifié qu'avec l'aide d'un moteur de recherche, au déni des règles élémentaires quoique non écrites du jeu papou. Nul ne recevra donc de récompense.

    Un fromage lent, jaune, à pas de chevaux de catafalque, un fromage lent, jaune, à pas de chevaux de catafalque, circulait en lui-même comme un pied du monde. C’était plutôt une énorme mamelle, une vieille meule de chair et, accroupie se tenait sur une région immense qui devait être terriblement moite.
    Sur la gauche descendait la cavalerie. Il fallait voir les chevaux freiner sur leurs sabots de derrière. Ces cavaliers si fiers ne remonteraient donc jamais ? Non, jamais.
    Et le chef faisait force gestes de protestations, mais sa voix était devenue si petite qu’on se demandait qui aurait accepté de tenir compte de ce qu’il disait, comme si un grain de riz s’était mis à parler.
    Enfin ils parurent s’embourber et on ne les revit plus. Puis, tout à coup, comme un déclic, comme un débrayage se fit dans l’énorme chose molle et des débris rejetés de tous côtés se forma après un certain temps un ruban si long que toute la cavalerie aurait pu passer à grande allure.

  • L’Auteur démasqué (3)

    La cuisson du riz


    Ce texte est signé Marguerite Duras. Il est extrait de l'intéressant album, très richement illustré, que Jean Vallier a publié sous le titre de Marguerite Duras, La vie comme un roman, chez Textuel. 


    Ecoutez, le riz, voilà comment il faut le faire, une fois pour toutes retenez ce qu’on vous dit. D’abord pour tous ces plats il faut du riz dit « parfumé » en sac de plastique, sans marque, qu’on achète dans les boutique d’alimentation vietnamiennes. Même ce riz il faut le laver. Raison de plus de laver l’autre riz, celui qui a une marque, qui est bien empaqueté et vanté à la Télé ! Il faut le laver à plusieurs eaux, le frotter dans les mains sous l’eau pour enlever le reste de son qui l’enrobe et la poussière et l’odeur du sac de jute – l’odeur dite de « cargo » - qui est celle de pétrole. Oui, sentez le riz pas lavé et sentez le riz lavé, vous verrez la différence. Laver le riz entre quatre et sept fois pour être sûr. Pour le cuire, voici : mettez le riz lavé dans l’eau froide. Et dans les proportions – sacrées – suivantes : 2 hauteurs d’eau pour une hauteur de riz. Pour 4 cm de riz mettez 8 cm d’eau froide : Tout est là. Faites bouillir le riz et puis mettez-le sur un diffuseur au feu le plus doux qui soit. Couvrez la casserole bien hermétiquement. Au bout de quelques minutes regardez le riz. Mettez un tout petit peu d’eau froide, remuez le riz, aplanissez et remettez le à cuire. C’est très rapide – En tout 5 minutes ou peut-être moins. En Indochine on le fait dans des pots de terre cuite. On n’y touche pas pendant la cuisson. Contre le fond du pot il se forme une sorte de galette de riz brûlé que les enfants mangent avec de la mélasse. Encore un conseil. N’achetez jamais de riz glacé…

  • Le cimetière des oiseaux

    L’Auteur démasqué (2)

    Ce texte est tiré du Jugement dernier, premier chapitre du Lotissement du ciel de Blaise Cendrars, paru dans le 12e tome des Oeuvres rééditées chez Denoël. Personne n'a identifié l’Auteur avant Minuit. Conformément à la règle du jeu papou, le lauréat suivant recevra deux livres.

    « Personnellement, ce qui me frappe le plus chez les oiseaux ce sont leurs yeux avec leur regard d’outre-monde ou d’outre-tombe, car où est le cimetière des oiseaux ? N’avez-vous jamais été frappé de ce regard impersonnel, voire d’éternité que l’Oiseau ne fait pas peser sur vous mais avec lequel il vous transperce comme si vous n’étiez pas opaque et qu’il visât derrière vous votre âme, votre ombre et qu’il s’entretînt, prêt aux épousailles, prêt à s’envoler dans l’immortalité, avec votre double ou à crever pour les manger les yeux de votre ange gardien ? Il n’y a pas plus étranger à ce monde que l’oiseau, car où est le cimetière, l’ossuaire des oiseaux ? »

  • Le grand match


    L’Auteur démasqué

    Ce texte est tiré de Passe-Temps II, de Paul Léautaud, paru au Mercure de France. Joël Perino, qui l'a identifié, recevra deux livres pour l'avoir désigné.

    C’est la Vie, la chère Vie, avec un grand V, pour sûr, que j’appelle ainsi. Je vous le demande : quel nom pourrait convenir mieux à l’agréable existence que nous menons, et quand je dis : que nous menons… c’est plutôt : qui nous mène, qu’il faudrait. Compétitions sur toute la ligne, ambitions de toutes sortes, brillantes et pas chères, mille départs à chaque instant vers des buts qu’on se plaît à croire différents, tout à la va-vite, hommes et choses, idées et œuvres, paroles et gestes, désirs et actions, oui, la vie d’aujourd’hui, énervée, surexcitée et trépidante, c’est bien là le grand match, l’unique et général match, le suprême et le définitif. On a beau faire, chercher à tirer au flanc, prétexter des blagues : un père mort ou une mère retrouvée, on en est tous, bon gré mal gré, les uns commençant à s’entraîner, les autres roulant déjà loin, et c’est un tel train qu’il semble parfois qu’on entende, tout autour de soi, le vaste et prodigieux psss… de la vie qui file, file – ah ! à ne la rattraper jamais.