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  • Celles qui calment le jeu

    recensement,listes
    Celui dont la seule présence apaise / Celle qui reste près de toi même quand elle n’est pas là / Ceux qui lèvent les yeux pour ne pas tomber / Celui qui se retire en forêt dont il sait le silence plein de cris des carnages continuels mais c’est la vie que voulez-vous / Celle qui a entendu parler de la Prière du Cœur sans trop savoir de quoi il s’agit alors qu’il y a Internet un peu partout non mais des fois / Ceux qui ne trouvent pas que la story de l’enfant Jésus soit très efficace au niveau développement personnel sauf à focaliser le message multiculturel des rois mages mais rois de quoi ça reste à discuter pour faire sens / Celui qu’émeut toujours le moindre geste d’abandon / Celle qui n’ouvre sa porte qu’aux colporteurs dont elle a vérifié la traçabilité personnelle du double point de vue du casier et des maladies sexuellement transmissibles / Ceux qui rayonnent même en cas de panne générale de secteur / Celui qui a établi le Top Ten des livres à conseiller aux Cadres de l’Entreprise sans oublier le Goncourt qui leur permette de dire deux trois mots dans leurs moments de représentation / Celle qui fréquente le confessionnal du Père Amédée qui a le don de la remettre en forme autant qu’une Piste Santé / Ceux qui se font à eux-mêmes des cadeaux dont ils ne manquant pas de se remercier par écrit / Celle qui fait toujours le signe de croix avant d’accomplir le sacrifice de son métier d’amour / Ceux qui disent (sans trop y croire) qu’il vaut mieux être piétiné que piétiner ceux qu’ils piétinent sans le vouloir (disent-ils) / Celui qui convoite la console Louis XIV de Maman pour se consoler de ce que sa sœur Edmée à mis à l’abri pendant sa retraite au couvent de Saint Frusquin / Celle qui se dit qu’elle sera comprise après comme il en fut de cet Henri Beyle dit Stendhal / Ceux qui affirment qu’ils n’ont pas que ça à faire à ceux qui leur demandent le chemin de la Concorde alors qu’on est du côté République, etc.

    Peinture : Georges de La Tour

  • Ceux qui songent avant l'aube

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    listesPublie.net accueille les listes de JLK. François Bon présente l'ouvrage.

     

    L’énumération est un fondement de la littérature : qu’on aille dans la Bible, avec l’inventaire du temple dans Exode, ou les généalogies, et qu’on aille chercher de quelles civilisations, de quels textes hérités. Et quel bonheur et quel émerveillement nous prend encore à Seî Shonagon et ses Notes de chevet, la capacité du coup d’entrer dans l’an 1000 du vieux Japon, et de s’y trouver comme en plein voisinage avec le médecin ivrogne, les ponts qui sont beaux et ceux qui le sont moins, les bons usages et les choses qui vous mettent en colère, comme ce crissement du cheveu pris dans la pierre à encre.

    L’énumération est toujours resté une marge active de la littérature. Parce que c’est ce que nous faisons dans nos cahiers, dans notre documentation du monde. C’est la première construction de langage pour construire et déplacer le regard. Il y en a chez Novarina, chez Perec et Roubaud, des poètes comme Bernard Bretonnière.

    Maintenant, Jean-Louis Kuffer. Que je n’ai jamais rencontré. Au départ, juste la curiosité d’un blog de critique littéraire tenu en Suisse, donc un écart, des découvertes, une attention à des auteurs qui comptent, Nicolas Bouvier le premier, évidemment, ou la découverte de Popescu, sa Symphonie du Loup.

    Mais nous tous, côté blogs, à mesure qu’on découvre l’outil et la force d’Internet, on évolue. La critique s’ouvre à la photographie, aux scènes du quotidien, aux réactions d’humeur. Le blog de Jean-Louis Kuffer a gagné en arborescence, en étalement : on parle d’une musique, d’un ciel. On y développe des correspondances.

    Et puis ses Ceux qui. Au début, un exercice un peu discret, de fond de blog. On survolait. Je m’y suis pris vraiment lorsque j’ai lu celui qui s’est intitulé Ceux qui se prennent pour des artistes. Tout d’un coup, un malaise : on reconnaît toutes les postures. La phrase est incisive, contrainte. Elle va de saut en saut dans toutes les postures du rapport qu’on a chacun à notre discipline.

    Celui qui, celle qui, ceux qui, dans mes ateliers d’écriture, je me sers fréquemment d’un texte de Saint-John Perse (le chapitre IV d’Exil) qui fonctionne sur ce principe, en l’appliquant à la généalogie de chacun, mais une généalogie sans noms propres ni chronologie. Les résultats toujours sont impressionnants : la peau du monde, les silhouettes qui le portent.

    Avec des effets connexes : peu importe, dans Saint-John Perse, qu’on comprenne ou pas. Ainsi, dans les énumérations de JLK, la phrase Celui qui a rencontré Dalida au temps où elle devint Miss Egypte devient signifiante même sans rien savoir de la protagoniste. Ainsi, et là c’est déjà dans Seî Shonagon, la juxtaposition d’éléments forts, de haute gravité, ou à teneur politique, voire subversive, et d’éléments qui tout d’un coup provoquent le rire, ou la seule légèreté (Ceux qui vivaient aux oiseaux en 1957).

    J’ai donc demandé et obtenu de Jean-Louis Kuffer qu’on développe ici ses Ceux qui. La preuve qu’une énumération tient, c’est quand sa propre table des matières devient elle aussi une prouesse de langage. Voir l’extrait feuilletable. Mais Dans une idée d’oeuvre ouverte, et la volonté de la questionner sur publie.net : à mesure que JLK continuera son écriture, on réactualise le texte initial, et vous disposez toujours de la dernière version dans votre bibliothèque personnelle. Mais aussi, que le texte édité (pour contrer le principe d’enfouissement du blog, ce que j’ai nommé fosse à bitume), renvoie en étoile aux archives du blogs non reprises dans la sélection de l’auteur (30 chapitres, quand même) ou à celles qui s’y ajouteront...

    Et bonne visite du site en développement infini de Jean-Louis Kuffer, la rubrique de ses Celui qui, celle qui, ceux qui (mais attention, il y en a de dissimulés ailleurs dans le site). Et qu’une lecture aussi vigoureusement salutaire nous arrive des ciels suisses n’est pas neutre : on s’en réjouit ici.

    François Bon

    Ceux qui songent avant l’aube l’énumération comme arme pour dire le monde Jean-Louis Kuffer 2008-10-29 80 5,50 euros publienet_KUFFER01 publie.net. http://www.publie.net

  • Ceux qui ont un grain

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    Celui qui est fou de sa folle / Celle que la musique habite / Ceux qui se réfugient dans les postures viriles / Celui qui évite les excès de sensibilité / Celle qui a décelé la démence de sa belle-mère dans sa façon de refaire la vaisselle qu’elle l’estime incapable de faire briller / Ceux qui ne comprennent pas les petits gestes complices et les grimaces qui unissent ces deux dingues dont la maison est pourtant bien tenue / Celui qui apprend des airs d’opéras aux ouvriers de l’équipe de nuit / Celle  qui conseille à ses enfants de danser ce qu’ils n’arrivent pas à dire / Ceux qui établissent les normes comportementales de la mère moderne socialement intégrée / Celui qui se la joue père sévère au risque de la violenter quand elle le regarde de son air mutin / Celle qui se fait interner de force par des gens aux sourires suaves / Ceux qui conseillent aux bien portants de garder les enfants à l’écart pour leur bien / Celui qui prétend qu’un véritable artiste ne peut qu’être fou tout en gérant son divorce des plus lucratifs avec cette dingue de Miranda / Celle qui entretient avec ses enfants une relation affective que l’Association des Parents Responsables a clairement condamnée / Ceux qui récusent l’idée selon laquelle la folie est une forme de norme alors qu’elle n’exprime que le rejet de celle-ci / Celui que la honte submerge en écoutant raconter celle qui revient de là-bas au fil d’un récit clair et net / Celle qui avait en effet besoin de se reposer et qui se repose maintenant de son repos forcé / Ceux que leur douce folie retrouvée fait le bonheur des enfants, etc.

    Dessin de Friedrich Dürrenmatt pour ses enfants.

  • Ceux qui filent doux.

    listes,recensement

    Celui qui se met à parler en état de coma dépassé et dit alors des choses jamais entendues sur les temps qui courent / Celle qui a vu le monde changer avec tant de violence qu’elle s’est construite une nacelle d’osier dans le grand sycomore où elle attend l’Ennemi avec son Missel / Ceux dont les voitures blindées processionnent sur l’autoroute du vendredi soir jusqu’aux Zones de Résidence Privilégiée (ZRP) où ils passeront un week-end en toute sécurité sauf attaque terroriste inappropriée / Celui qui traduit le désarroi de l’époque au moyen de graphes numérisés dont il vend les monotypes à des prix qui lui permettent de rouler Jaguar / Celle qui se fait virer du département d’histoire parce qu’elle ne donne pas de celle-ci une image assez optimiste / Ceux qui baissent la voix en parlant élévation spirituelle comme s’ils étaient entourés d’un cordon sanitaire / Celui qui se pique d’échapper aussi bien à la tartuferie d’affectation idéaliste qu’au mercantilisme larvé / Celle qui s’entretient avec ses chiens dans un langage évoquant celui des prophètes de l’Ancien Testament / Ceux dont on peut définir la qualité de parvenus par leur propension à l’étalage illimité / Celui qui aime rappeler à sa bru qu’on a commencé de faire cuire dans des cuirs et des peaux qui ne sont devenus que bien plus tard des pots alors un peu d’humilité damoiselle Isabeau / Celle qui a appris ce matin à l’école que le butor butit sans se douter que l’oiseau et l’écrivain ne butissent point de concert ni que le chevreuil rote et que la souris chicote / Ceux qui savent d’expérience que la librairie est le cimetière des vivants et des morts et ne portent pas plus le deuil des uns que des autres, etc
    Image: Michael Sowa.

  • Ceux qui restent fervents

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    Celui qui perce le secret des changements / Celle qui demande à son oncle de lui foutre la paix avec ses guerres et ses révolutions / Ceux qui sentent monter en eux un geyser d’énergie renouvelable / Celui qui en appelle à un exorcisme collectif / Celle qui retrouve celui qui n’a pas osé se déclarer trente ans plus tôt / Ceux qui mènent plusieurs vies de front dans un contexte indécis / Celui qui file à une réunion d’actionnaires à la veille de fêter ses 30 ans / Celle qui aperçoit une main tenant un livre par l’entrebâillement de la porte de son voisin / Ceux qui remballent leurs amis fidèles à leurs idéaux démodés / Celui qui espère que l’accident d’avion de la nuit dernière va doper les ventes de son dernier thriller intitulé L’Accident d’avion de la nuit dernière / Celle qui se demande comment doper les addictions de son lectorat féminin de centre gauche / Ceux qui veulent être là à l’heure où il le faut / Celui qui pense encore qu’un recueil de poèmes peut changer notre vie / Celle qui relit Tchékhov avec le sentiment réconfortant de se savoir en train de relire Tchékhov au lieu de s'envaser devant la télé / Ceux qui se réjouissent d’entendre une voix nouvelle mais pas forcément djeune / Celui que n’en finit pas d’émouvoir un sursaut inattendu de vraie ferveur / Celle qui pense que tous les avis se valent y compris le sien / Ceux qui n’ont pas renoncé à se trouver surpris et même pris par un roman / Celui qui vit englué dans les temps maudits que tous voudraient oublier / Celle qui caresse la main du vieil homme endormi sur son livre / Ceux qui ont connu le vieil homme qu’on a retrouvé mort sur son livre dans le square voisin, etc.

    Peinture: Thierry Vernet, Crépuscule sur Olivone.

  • Ceux qui élèvent le débat

     

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    Celui qui se débat dans l’absence de débat / Celle qui mène le débat dans son jacuzzi où elle a réuni divers pipoles / Ceux qui font débat d’un peu tout mais plus volontiers de rien / Celui qui ne trouve plus à parler qu’à son Rottweiler Jean-Paul / Celle qui estime qu’un entretien fissa vaut mieux que deux tu l’auras / Ceux qui ont la nostalgie des conversations des années 67 à 76 environ / Celui qui essaie de se rappeler au réveil le contenu de la dernière conversation réelle qu’il a eue dans le cadre du Club de Réflexion de l’Entreprise, qui n’existe évidemment que dans ses rêves / Celle qui n’est jamais d’accord avec celle qu’elle voudrait faire croire qu’elle est / Ceux qui ne parlent plus que pour ne rien dire / Celui que le mobbing de la cheffe de projet rend de plus en plus lucide et déterminé à frapper un jour un grand coup au moyen (par exemple) du yatagan de collection qu’il serre dans son attaché-case de garçon au-dessus de tout soupçon en dépit de ses ongles rongés jusqu’à l’os / Celle qui se sent prise dans la nasse de l’amour omnipotent de ses parents adoptifs impotents dont elle change les couches en fredonnant des airs cambodgiens / Ceux qui mènent le débat en tenant leurs kalas à portée de main en cas de contradiction patente / Celui qui est toujours d’accord avec le dernier qui le contredit mais n’en pense pas moins / Celle qui dit toujours Cela-fait-débat-faut-qu’on-travaille-la-question et s’énerve quand on lui demande de fixer une séance / Ceux qui estiment qu’une bonne guerre vaut mieux que la paix des cimetières où le débat s’enlise entre les survivants frustrés d’ils ne savent plus bien quoi / Celui qui savoure sa poule de mer / Celle qui est jalouse des pattes d’ours de l’entraîneur de son jules /Ceux qui carburent à l’eau plate afin d’optimiser leur chance de désamorcer le faux débat / Celui qui est tellement habitué à dissimuler son opinion qu’il ne sait plus ce qu’il défend au juste / Celle qui croit élever le débat en citant le plus souvent Levinas / Ceux qui font avancer le débat en invoquant l’heure du cocktail / Celui qui estime que le débat sur le voile dévoile l’impossibilité du vrai débat que toutes les parties se voilent / Celle qui affirme que le parlé de son senti ne traduira vraiment son exister que si elle lâche la bride à son refoulé jusqu’au cri primal s’il le faut malgré les minces cloisons du bureau / Ceux qui devisent volontiers avec les oiseaux invisibles de la serre où cohabitent les positions philosophiques les plus variées, etc.     

     

    Image: Philippe Seelen      

  • Ceux qui mélangent les genres

    recensement,listes
    Celui qui lit debout dans les librairies / Celle qui sait tout Emily Dickinson par cœur / Ceux qui se flattent d’avoir découvert Au-dessus du volcan dans sa première édition jaune / Celui qui s’est identifié à Zorba le Grec au point de s’amputer du pouce droit / Celle qui lit la partition de Tosca dans son bain moussant biodégradable aux agents tensio-actifs non ioniques / Ceux qui compensent leur apathie sexuelle en se passant un bon vieux ZZ Top plein tube dans leur ferme écolo / Celui qui apprend les horaires des trains de nuit par coeur / Celle qui martèle le torse de Victor en l’appelant mon salaud mon salaud / Ceux qui prétendent qu’ils vivent dans un angle mort du Temps / Celui qui s’est inventé un passé de militant de l’ETA pour se faire accueillir chez les intellos qu’il rançonne ensuite avec méthode / Celle qui dissimule ses accointances avec l’Eglise de scientologie section Liechtenstein / Ceux qui ont fondé le Groupe de Réconfort du département Gestion de Fortunes de la Banque Nahum / Celui qui se fait masser les pieds par son neveu naturopathe entiché de la famille Le Pennpour des motifs biorythmiques  / Celle qui rappelle à ses amies de la Société Gurdjieff que le Maître a prouvé son indépendance d’esprit en pénétrant à cheval dans une église catholique / Ceux qui se disent en recherche au chalet Le Joyeux Randonneur / Celui qui aimerait plastiniser le corps de son beau-père le géant chauve foudroyé dans l’exercice de sa fonction de maître-nageur à la piscine de Rivebelle / Celle qui appelle les loups à la lisière de la forêt / Ceux qui disent qu’ils vont bientôt partir pour attendrir ceux qui restent / Celui qui dit NON au nouvel esprit de l’Entreprise / Celle qui court tous les matins pieds nus dans l’Allée des Fusillés / Ceux qui sont tancés par le Doyen parce qu’ils se touchent pendant le cours de chimie de Mademoiselle Leblanc / Celui qui est fier de son manteau à col de loutre / Celle qui se rappelle le beau temps de l'Occupation où elle ne piochait rien / Ceux et celles qui rêvent de revivre à l’époque de Sissi impératrice / Celui qui considère qu’apparaître dans un journal est plutôt déshonorant / Celle qui se demande l’impression que cela fera au village de voir son nom dans la page des morts / Ceux qui nettoient chaque matin les sols de la centrale thermique d’Uppsala / Celui qui incinère son chien Boubi en sanglotant à l’insu de ses voisins sans cœur / Celle qui se ronge les ongles en écoutant plus ou moins du Monteverdi sur Espace 2 / Ceux qui se souvient de cela que le nom de Monteverdi désigne une voiture de luxe aussi cool que la Facel-Vega / Celui qui a juré à Suzanne qu’il me lui demanderait plus jamais de le faire à l’italienne tout en restant ferme sur sa position philosophique ostensiblement transgressive inspirée par le marquis de Sade / Celle qui se demande qui est réellement, question sexe, son chef de file de la Section Pharmacologie de l’Institut Bayer & Bayer / Ceux qui ont refilé la Maladie à celles qui ne s’y attendaient pas de si tôt / Celui qui estime que sa mère est trop soumise à l’évêque Ledru bien connu pour ses captations d’héritages / Celle qui cède chaque matin à son penchant pour les douceurs de la pâtisserie de la rue Monbijou / Ceux qui s’impatientent de voir se rétablir la Sainte Inquisition / Celui qui est toujours furieux / Celle qui croit que son ventre est plein d’une tumeur / Ceux qui ne supportent pas la joie des autres / Celui qui récolte la monnaie oubliée des automates / Celle qui jouit des insinuations qu’elle sème / Ceux qui redoutent les instruits / Celui qu’obsède le Complot / Celle qui ne voit que le beau côté des choses / Ceux qui observent leur voisinage au moyen de lunettes d’approche / Celui qui se dit l’Epée du Seigneur / Celle qui fait semblant de claudiquer pour qu’on la prenne en stop / Ceux qui envoient des lettres aux journaux / Celui qui ricane de tout / Celle qui ment pour ne pas décevoir / Ceux qui mutilent les animaux / Celui qui se croit remplaçable sans en tirer les conséquences  / Celle qui hume les aisselles des soutiers sardes / Ceux qui notent les numéros de plaque des automobilistes en faute / Celui qui aime nager en apnée / Celle qui joue du piano à minuit / Ceux qui aiment voir brûler les maisons / Celui qui se flatte de ne pas jouir / Celle qui rêve d’un Monsieur posé / Ceux qui se plaignent à l'approche des vacances, etc.

  • Ceux qui voyagent immobiles

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    Celui qui file plein sud sur son tricycle à voile rouge / Celle qui réclame des centimes d’euros aux  voyageurs de l’Eurostar tous plus ou moins richissimes à ce que lui a dit un autre mendiant de Milano Centrale/ Ceux qui ont perdu le nord en courtisant de jeunes accordéonistes des Sudètes /  Celui qui sait par la voyante Alvina que celui qui lui fera la peau un jour funeste vit au Tyrol sans se douter qu’il travaille pour la compagnie FrecciaRossa sur l’Express Milano-Firenze et que c’est lui qui vient de lui offrir ce vendredi treize novembre une serviette rafraîchissante avec une onction suave / Celle qui fait un rêve assez érotique dans un wagon-salon du Train des Ruines et se réveille soudain dans une micheline belge à l’hygiène douteuse / Ceux qui se rappellent Les Nuits florentines de Heinrich Heine en subissant la tonitruance d’une disco de merde à l'albergo d'à côté / Celui qui sent ce matin qu’il a rendez-vous avec lui-même au Palazzo Strozzi et que ce sera cette fois ou jamais / Celle qui gendarme le breakfast des sept punks japonais qui se sont pointés à  l’auberge de jeunesse de Fiesole à point d’heure et beurrés / Ceux qui se sont brouillés sur une aire d’autoroute vers Empoli en 1997 et retrouvés douze ans plus tard à la cafète de la Villa Camerata avec pas mal de cheveux blancs en plus l’un et l’autre / Celui qui fait les tombes étrusques avec sa nouvelle fiancée chypriote / Celle qui se goinfre de ricciarelli pour se consoler du lapin que le bel  Orlando lui a posé cet après-midi sur le Campo de Sienne / Ceux qui estiment que l’Italie reste un pays mieux appareillés que les nations du nord des Alpes pour le rapprochement sentimental des jeunes gens des deux sexes dont la séduction ne s’impose pas au premier regard / Celui qui envoie des e-mails d’abord insultants puis carrément menaçants à sa directrice de thèse de la Faculté des lettres de Pise que son refus de céder à ses charmes contre expertise favorable fait également invoquer les Droits de l’Homme et la tradition des Médicis / Celle qui dit à ses amies du Michigan qu’on voit bien à l’arrondi des fesses de son David que Michel-Ange avait des tendances / Ceux qui passent des jours entiers dans les cybercafés de la Via Faenza / Celui qui profite de sa ressemblance saisissante avec l’acteur américain Sean Penn pour se faire photographier en compagnie d’étudiantes danoises aux jardins Boboli, et plus si liquidités / Celle qui rêvait d’un époux banquier pour sa fille Laura qui s’est entichée d’une officière de police de Pérouse  au caractère ombrageux / Ceux qui jouissent béatement de la vue des hautes terres d’Asciano baignant dans la brume orangée d’arrière-automne malgré l’odeur d’œufs pourris des bains de San Giovanni dont la modicité du ticket d’entrée (10 euros) vaut pourtant la mention : à découvrir / Celui qui fait semblant de ne pas reconnaître celui qu’on dit le Delon italien au bar du Sheraton de Bologne tout en se flattant d’être toujours accueilli comme le Pavarotti  canadien par le sommelier Girolamo / Celui qui rédige un article sur le subtil Manganelli à son petit pupitre de la cellule de la prison de Massa qu’il partage avec un parricide de Pontassieve grand amateur d’ail cru / Celle qui préfère les masseurs de Bologne aux brasseurs de Cologne / Celui qui prétend que le cynisme du Commendatore machiste  Berlusconi est admis par les femmes mûres et les hommes qui-en-ont à proportion de  sa haine déclarée des intellectuels et de ses performances sexuelles supposées /  Celle qui affirme tranquillement que la muflerie reluisante du Cavaliere n’a pas d’égale en Europe en dépit des efforts de celui qu’elle appelle l’hongre agité de l’Elysée / Ceux qui posent avec les Grands comme autant de Guignols de l’info qui rencontrent leurs modèles à la cafète de Canal + et constatent que la plupart sont d’une taille en dessous de Jean-Pierre Foucault ou le type du TJ de Midi sur F1 enfin tu vois qui avec son camembert ventriloque / Celui qui a regardé les chaînes télévisées italiennes pendant un mois au terme duquel il certifie que les Français du public et du privé accusent un sérieux retard en matière de vertigineuse vacuité et d’agressive stupidité que les saillies satiriques très soft mais élégantes d’un Federico Fellini et les charges plus hard et jetées  d’un Pippo Delbono annonçaient avant d’être apocalyptiquement dépassées par les programmes de Silvio Nullo  / Celui qui pardonne tout à l’Italie pour son art de la table qui réduit la cuisine bavaroise ou suisse allemande à de la recette de rôti de hamster nappé de sauce de gland / Celle qui dit qu’elle préfère un pape allemand à David Beckham avec une candeur qui honore le curé de son village /  Ceux qui aiment ce qu’il y a d’africain en Italie tout en célébrant la fusion de l’apollinien  Pétrarque et du dionysiaque Caravage, etc.

     

    Image: l'écritoire de JLK sur un banc de marbre mussolinien de la gare de Milano Centrale.

     

  • Ceux qui ont du mal

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    En mémoire de Louis Soutter (1871-1942)


    Celui qui baise les mains des pauvres / Celle qui vaque nue à ses occupations ménagères sans se soucier de ses voisins malais / Ceux que paralyse la stupeur dans les jardins de la clinique / Celui qui s’échappe de l’angoisse par des vocalises / Celle qui vend les aquarelles de son frère dans les auberges de l’arrière-pays où commence de se répandre la rumeur que ça pourrait valoir quelque chose plus tard / Ceux qui estiment que le peintre excentrique de l’asile voisin ne devrait pas être autorisé à fréquenter l’église publique / Celui que la Mélancolie étreint depuis l’âge de sept ans / Celle qui prie debout sur le mur du cimetière / Ceux qui n’ont pas été avertis par leur tuteur de la mort de leur père / Celui qui s’achète des cravates voyantes par lots de cent / Celle qui raffole des tenues démodées de son cousin au melon prune / Ceux qui reçoivent les factures des cadeaux onéreux que leur envoie leur neveu Thompson / Celui qui demande volontiers l’impossible même si ce n’est pas français / Celle qui lance une rose bien rose à son ami soliste de l’Orchestre du Kursaal / Ceux qui disent qu’ils ne croient plus en Dieu d’un ton menaçant / Celui dont l’encre noire fait exploser le bouquet de fleurs de la tante Bluette / Celle qui a photographié le tableau de son père avant de le revendre à un prix surfait / Ceux qui se demandent qui est ce gros type élégant à Panama qui vient rendre visite au dingo de l’asile / Celui qui peint des Christs que les paroissiens trouvent trop tristes / Celle qui prend sur ses genoux son grand fils de 33 ans aux sanglots spasmodiques / Ceux qui confisquent le crucifix de la folle qu'ils revendent à la Bonne Puce / Celui qui n’ose pas dire à sa logeuse qu’il n’a jamais connu la Femme au sens biblique / Celle qui pose en deuil pour son frère divorcé dont l’ex se dit veuve / Ceux qui donnent des leçons de musique (guitare Fender et pianola) au fils du jardinier / Celui qui se dit le descendant de Goya par sa mère et par le noir dont il broie lui-même les pigments / Celle qui se sent peu de chose à côté de son cousin marchand de couleurs en gros et vice-président du parti radical / Ceux qui estiment que c’est vers 1904 que le violoniste dingo, qui arrêtait l’Orchestre de la Suisse Romande (OSR) pour lui faire écouter tel ou tel passage de Beethoven, a raté sa carrière d’interprète pour se lancer dans celle de peintre halluciné / Celui que sa scléose de la choroïde empêche de plus en plus de voir ce qu'il peint au doigt / Celle qui a surmonté le handicap consécutif à l'amputation de sa main droite par le recours à la gauche dont procède l'évolution de sa sculpture à partir de 2017 / Ceux qui écoutent toujours du Beethoven en dépit de leur surdité complète / Celui qui a rencontré la Femme de ses Rêves en pratiquant l'auto-stop dans l'arrière-pays jurassien / Celle qui endure la meurtrissure finale / Ceux qui s'éloignent sur le chemin de fine poussière nacrée / Celui qui caresse le ballon d'enfant qu'il a chipé au petit-fils de l'organiste Ysaïe / Celle qui entend marcher les Lunaires au plafond de la guérite de douanier qu'elle appelle  la Basilique des Lois / Ceux qui se retrouvent dans l'arrière-monde pour y jouer au Nain Jaune, etc.   

    Images: Peintures et dessins de Louis Soutter. Louis Soutter, vers 1940.

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  • Ceux qui stressent un max


    medium_Canard.3.JPGCelui qui se dit overbooké / Celle qui est toujours en conférence / Ceux qui anticipent la gestion du burn out / Celui qui se prétend mobbé par les RH / Celle qui s’éclate au niveau de l’organigramme / Ceux qui occultent la question fumée dans le bureau des créatifs / Celui qui frise l’overdose relationnelle (dit-il) / Celle qui se réfugie dans les plans biodiversité / Ceux qui affirment que quelque part le Système est le Système / Celui dont le neveu Sam a fait du Guide du jeune manager son livre-culte / Celle qui assume ses pulsions d’exécutrice (dit-elle) / Ceux qui déconstruisent leur névrose / Celui qui se prétend fondamentalement décalé / Celle qui entend recentrer ses plans baise sur des critères utiles / Ceux qui ont de bonnes vibes avec la Bourse / Celui qui prévoit un Espace Méditation dans son nouveau loft de la rue du Meunier / Celle qui prévient que sa tolérance a des limites raciales / Ceux qui estiment que le fondé de pouvoir Hornuss est juste bon à jeter / Celui qui pense qu’un drapeau devant sa villa Ma Coquille est tout simplement un devoir / Celle qui se demande où va l’argent de la quête à Notre-Dame / Ceux qui participent au rallye des cadres précarisés / Celui qui est connecté même quand il concourt à la Patrouille des Glaciers / Celle qui estime qu'on ne change pas une équipe qui fraude / Ceux qui tombent sous le couperet de la clause d'indexation que les Américains appellent le reset d'un ton d'initiés / Celui qui estime que l'aspect structurel de la fraude l'exonère de tout état d'âme à caractère moral ou plutôt moralisant / Celle qui n'a jamais cru que l'augmentation du prix du pétrole était dû à la demande chinoise / Ceux qui sont amis sur Facebook sans se douter qu'ils sont ennemis partout ailleurs / Celui qui s'est fait passer pour Sonia sur Skype où il a dragué un Lionel cachant une Nadja / Ceux qui se sont connus à l'époque de l'effondrement de la bulle des subprimes et se sont quittés à la veille  de la faillite mondiale de 2013 en laissant deux enfants qui ne seront pas forcément à l'abri du besoin / Celui qui se détend d'une journée à l'UBS en chantant Helwa y Baladi à la manière de Dalida / Celui qui s'efforce une fois par semaine de tuer son boss au squash / Celle qui reçoit les prêtres pédophiles en confession dans son cabinet de psy tendance Lacan / Ceux dont les femmes de ménage chinoises montrent des exigences proportionnées à l'état momentané du marché / Celui qui fait marche arrière sur le piéton qu'il a laissé agonisant afin d'éviter des requêtes d'invalidité à son entreprise propriétaire de la Mercedes / Celle qui ne trouve qu'un message d'erreur quand elle tape TIBET sur l'ordinateur de son bureau de Pékin / Ceux qui considèrent que les orages extraordinaires qui s'ouvrent le ventre sur la ville de Shangai préfigurent une fin du monde dont le cinéma américain devrait s'inspirer, etc.   

  • Ceux qui se retrouvent à Thélème

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    Celui qui noue sa lavallière tandis que le bâtiment se lézarde / Celle qui prie le poète d’avertir le Grand Echevin de l’effondrement prochain de la tour-labyrinthe / Ceux qui ne voient rien même en rêve / Celui qui a toujours fui les palaces / Celle qui photographie les fenêtres de partout / Ceux qui éteignent la lumière de la Room 4701 pour mater les parois de verre de l’autre face du Sheraton / Celui qui se rappelle la première nuit de son premier reportage à Kairouan à l’hôtel des Aghlabides qu’on disait le Hilton du bled / Celle qui se cherche du Chanel 5 à la boutique du Hilton de Montréal et forcément le trouve et l’offre à son amie Monique Proulx dont elle vient de lire Homme invisible à la fenêtre / Ceux qui classent leurs souvenirs d’incendie par degré d’intensité émotionnelle / Celui qui a pleuré toute la nuit lorsque son cheval Pompon est resté coincé dans le paddock en feu / Celle qui a eu sa première intuition de la ville-monde en regardant Brazil puis en lisant La ville concentrationnaire de J.G. Ballard / Ceux qui savent exactement dans quelle boutique du Mont-Royal on peut encore trouver des plumes Shaeffer à large bec et de l’encre verte / Celui qui a rencontré le linguiste Eugène Nicole en 1981 au 75e étage du Hyatt’s de Houston où ils ont abordé l’œuvre délicate de Charles-Albert Cingria sous des angles diamétralement opposés avant de fraterniser au niveau du vécu / Celle qui se demande si le nom de Malcolm de Chazal dit quelque chose au concierge malgache et découvre en lui un fin connaisseur de l’œuvre de J.M.G Le Clézio / Ceux qui reconnaissent le Goncourt afghan au Salon du livre du centre des congrès Bonaventure où les rencontres de foot amènent plus de monde à l’ordinaire que les plumitifs même un peu connus  / Celui qui cherche « tout un livre dans un seul hôtel» dont les coursives évoqueraient un paquebot à quai le long de la rue Sainte-Catherine / Celui qui a la sensation qu’une seule moquette court de son loft du Ve aux couloirs de Roissy et de là au lobby du Sheraton de Toronto où il est appelé à participer à un round up informel sur les produits structurés pris en charge par la filiale canadienne de sa boîte qui lui demandera des comptes sur un tout autre sujet Top Secret / Celle qui bossait son violoncelle dans sa chambre toute blanche du Takanawa Prince Hotel de Tôkyo lorsque l’inquiéta le premier signe de la Crise qui la foudroya au concert de Sapporo /  Ceux qui dans une grande ville genre New York cherchent toujours le village et dans le village la bouquinerie où trouver du Carver ou du Flannery en V.O. / Celui qui a retrouvé l’ambiance de l’enfer de Dante dans les couloirs de la gare routière de Times Square dont les ombres se font chasser toute la nuit d’un étage souterrain à l’autre / Celle qui regrette de ne pouvoir offrir un vrai cappucino à l’écrivain français malgré son efficience reconnue de relationniste du groupe / Ceux qui se sont rencontrés au Salon du Premier roman et se sont perdus de vue après leur querelle violente au Salon de Toulouse / Celui qui ne sait plus très bien si Réjean Ducharme est toujours vivant ou toujours caché / Celle qui se fait courtiser par un attaché de presse censé s’occuper plutôt du dernier Interallié dont elle sait qu’il ne peut le kiffer / Celui qui imagine qu’il y a autant d’étages sous terre que dans le ciel et que c’est là-dessous que s’écrit la vraie littérature et que se terrent les vrais lecteurs dans une sorte d’Abbaye de Thélème fréquentée par des gens normaux / Celle qui arrive enfin à serrer Philippe Djian à la cafète où malgré le tintamarre ambiant elle lui fait dire des choses limites (pour sa revue féministe) sur la demande sexuelle effective de ses lectrices / Ceux qui parlent des non-dit de Paul Celan en surveillant les allées et venues de l’envoyé du Monde / Celui qui s’est réjoui à la première alerte en se disant « enfin » sans savoir pourquoi mais avec la sourde conviction qu’un ancien Prix Médicis ne pouvait cramer dans un incendie même pas criminel / Celle qui te regardait lire des mangas sadiques dans le métro de Tokyo avec l’air de se demander si tu étais un acheteur possible de la nouvelle Encyclopédie du bricolage qu’elle représentait pour un salaire de nettoyeuse coréenne / Ceux qui prétendent que la Ville cesse en ses zones défoncées genre Bronx alors que le roman ou le cinéma y survivent prétendent les mêmes / Celui qui rêve d’un livre sur RIEN où TOUT y serait / Celle qui ose dire tout haut que l’album de photos de ses dernières vacances avec Renaud aux Maldives vaut largement le dernier Marc Levy qu’elle a lu làbas et dont elle ne se rappelle rien / Ceux qui communiquent via leurs blogs et ne savent plus trop quoi se dire quand ils se retrouvent au Congrès des blogueurs de Palaiseau / Celui qui a pressenti l’extension de la ville-monde en se perdant dans les rues-librairies de Tôkyo / Celle qui met en garde celui qui réduit son projet de roman à l’énonciation de la ville en invoquant son seul désir de lectrice de ne pas se faire chier en lisant un non-roman sur une non-ville / Ceux qui ne s’intéressent plus qu’aux romans dont ils se souviennent du nom des personnages genre Charlus au Sheraton de San Francisco draguant les petites putes du quartier glauque d’à côté, Elizabeth Costello sous la pluie de Melbourne où elle retrouva sa sœur Blanche dans l’hôtel qu’on leur avait réservé, ou Moravagine à l’Hôtel Helvetia de Salonique où je retrouvai sa chambre puant le fauve à près d’un siècle de distance / Celui qui n’aurait pas vraiment compris la démarche de François Bon, dans L’incendie du Hilton, s’il n’avait pas croisé la même année le fantôme de Walter Benjamin, avec son compère Philip Seelen, du côté de Collioure où ils lancèrent leur projet de Panopticon dont la première étape serait Sao Paulo en 2010, Ceux qui vivent dans les hôtels et meurent seuls, etc.

     

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  • Ceux qui pètent les plombs

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    Celui qui fracasse son laptop dont la boîte à messages ne répond plus / Celle qui renonce à ses périodes de méditation créatrice / Ceux qui se demandent comment en finir avec le mobbeur en chef de l’Entreprise / Celui que stupéfie la dextérité avec laquelle son épouse Béatrix règle en mode économie le climatiseur avant de déclencher le volet automatique d’aération du garage / Celle qui se tient aux commandes de son 4x4 Honda comme s’il s’agissait d’un B52 / Ceux qui ne supportent plus de voir leurs sept enfants dîner avec leurs casques audio / Celui qui gère la toilette intime des paraplégique de la Clinique du Futur / Celle qui constate que son compte en banque fond à proportion inverse de la propension ambulatoire de Raoul qu’elle estime un faux chômeur typique sans oser le lui dire à cause de son Browning / Ceux qui ne communiquent plus que par notes écrites / Celui qui préférerait la prison à un divorce en bonne et due forme qui lui coûterait un max / Celle dont le bec matinal a le mordant d’un décapsuleur / Ceux qui ont conscience de vivre dans un complexe immobilier spécialement prévu pour l’agrément des cadres supérieurs et en conçoivent une dépression de nature complexe voire supérieure / Celui qui compare la disposition des jardins du complexe immobilier à un ratodrome / Celle qui développe secrètement le syndrome de la tueuse d’enfants en garderie / Ceux qui ont appris à mettre les objets hors circuit sur simple injonction mentale / Celui qui a dissimulé le paquet de chevrotine au fond de son placard de la salle des maîtres / Celle qui rêve d’un geste déplacé du prof de sport qu’elle puisse enfin casser définitivement / Ceux qui s’efforcent de ne plus obéir à la logique du mieux offrant pour retrouver le sentiment grisant de la liberté de consommer en grande surface / Celui qui se pend juste après s’être surpris à trouver paradisiaque l’hôtel Le Paradis de Lanzarote où il gagné une semaine de séjour au jeu du Coup de Chance / Celle qui remarque les pieds nus du pendu à la fenêtre du studio voisin de l’hôtel Le Paradis dont le silence sonore des couloirs l’effraie depuis son arrivée avec sa brute de Bulgare plein aux as / Ceux dont les servomécanisme intégrés se dérèglent les nuits d’orage / Celle qui pose au cours de sculpture du fils McPherson sans se douter qu’il l’a désignée comme victime sacrificielle à son dieu Jugula très avide de sang / Ceux qui ont tout fait pour refouler leurs pulsions autodestructrices sans se douter qu’ils disparaîtraient dans un tsunami fatal à beaucoup de leurs congénères qui hier encore positivaient à mort, etc.

    Image:Philip Seelen

  • Ceux qui veillent

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    Celui qui note tout de ce qui touche au poids du monde tant qu’au chant du monde / Celle qui était présente ce jour-là où 40.000 Tutsis furent assassinés entre le jour et la nuit mais que sa mémoire a abandonnée / Ceux qui estiment que les massacres de Sétif relèvent de la vieille histoire et d’ailleurs est-ce qu’on sait seulement ? / Celui qui veut savoir à tout prix quitte à faire des esclandres en classe / Celle qui a montré Shoah à ses dix-huit petits-enfants bravant parfois l’agacement de leurs parents et autres proches adeptes du tournons-la-page / Ceux qui dirent plus-jamais-ça en 1945 et prétendent que rien ensuite n’a été comparable / Celui qui perpétue la posture des indignations sélectives / Celle qui estime que « leur » devoir-de-mémoire est un gadget médiatique de plus et que ce sont plus que jamais les violents qui l’emportent / Ceux qui en sont restés à la première version du massacre de Katyn pour ne pas gâter leur souvenir de compagnons de route du Parti / Celui qui n’a pas fait carrière dans la désinformation pour se laisser intimider aujourd’hui par des renégats tous azimuts / Celle qui a toujours invoqué le Règlement de la Croix-Rouge pour taire ce qu’elle savait / Ceux qui ont tout inventé de ce qu’ils ont été contraints d’avouer sous la torture / Celui qui ne se voyait pas devenir kapo et qui l’est pourtant devenu / Celle que son goût pour la délation pourrait transformer en ange exterminateur dans les situations plus favorables qu’une démocratie avachie / Ceux qui ont mal au monde sans imaginer le millième du mal qui se fait dans le monde, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui optimisent le challenge

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    Celui qui leur dit « à plus » en pensant probablement : si jamais, voire : le moins possible / Celle qui estime qu’avec les Palestiniens les Israéliens vont dans le mur / Ceux qui font valoir la dangerosité potentielle de l’érection des minarets dans nos cantons ruraux surtout à cause des valets de ferme et des enfants monoparentaux / Celui qui parle volontiers de citoyen lambda en s’excluant visiblement de cette caste improbable / Celui auquel son ex reproche d’instrumentaliser le plaisir qu’il lui a indéniablement procuré du point de vue strictement clitoridien dont elle a maladroitement fait état sur le plateau de Delarue / Celle qui s’inquiète de la traçabilité de l’allergie que sa fille Maude manifeste à l’endroit des chauves en épluchant les rendez-vous figurant sur le carnet d’adresses de Jean-Fabrice / Ceux qui travaillent au casting de leur prochain brunch / Celui qui rebondit aux propos de sa psy qui lui propose de purger son relationnel du côté bi / Celle qui parle de réactualiser ses référents / Celle qui se plaint de ne pas impacter la libido de Mike au point de se demander si vraiment il est Str8 / Ceux qui ne te trouvent pas seulement grave mais carrément grave grave / Celui qui mise à fond sur l’écosociétal / Celle qui te demande si quelque part tu ne sais pas où tu en es enfin tu vois ce qu’elle veut dire ? / Ceux qui envoient un signal fort à leurs voisins échangistes qui laissent leurs partenaires parquer sur les cases libres du proprio sans se demander ce qui se passerait si tout le monde faisait pareil / Celui qui pratique la novlangue des connectés avec un max de malice / Celle qui est en train de booster l’idée d’un Espace Poésie au niveau de l’Entreprise / Ceux qui ont une nouvelle feuille de route au niveau du ressenti sensuel, etc.
    Peinture: Terry Rodgers.

  • Ceux qui repartent d'un bon coup de pied

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    Celui qui se lance dans des études supérieures de marché / Celle qui épouse un funambule de la finance / Ceux qui vont démarcher leur méthode de développement impersonnel / Celui qui se met à aider au ménage à trois / Celle qui aborde le troisième âge en quatrième vitesse / Ceux qui redécouvrent les bonnes choses du bon vieux temps comme le goût du clou de girofle dans le rôti de bonne-maman à l’époque de Ronald Reagan / Celui qui apprend l’alphabet braille pour au cas où / Celle qui désespère de s’exprimer en espéranto / Ceux qui ont quitté les ordres pour faire comme tout le monde / Celui qui lit L’Enfer de Dante en version bilingue dans le funiculaire montant au Paradiso-Kulm / Celle qui conserve un souvenir mitigé de sa maîtresse de couture qui sentait le rance et lui disait des choses dures (mais justes) sur ses dons de fileuse de mauvais coton / Ceux qui ont perdu leur jeunesse sous la coupe de parents adoptifs qui les avaient accueillis pour de l’argent et plus si dispositions / Celui qui de deux choses l’une en a toujours choisi une autre plus marrante / Celle qui te voue aux gémonies sans bien savoir de quoi il s’agit en somme / Ceux qui relativisent tout même l’amour que tu portes à ta mère qui te fait invoquer ton droit de ne pas venir bosser quand elle te veut près d’elle à jouer du Schikaneder sur son pianola / Celui qui entonne un chant païen pour bien montrer à son voisin quaker que chacun son opinion et Dieu pour tous / Celle qui se met à crier dans le tunnel dont elle rêve dans le train qui traverse un tunnel de ce rêve récurrent / Ceux qui posent leur voix et ne retiennent rien / Celui qui ne voit pas plus loin que son pied-de-nez / Celle qui ne sait plus où donner de la bête / Ceux qui n’ont pas moufté au décès de la poétesse M. dont l’œuvre a été traduite dans toutes les langues nordiques du fait des relations de son ex très introduit en haut-lieu et dont on dit qu’il lui a pourri la vie mais sait-on jamais avec les poétesses et les diplomates bulgares ? / Celui qui demande franchement au flûtiste indien s’il est plutôt top ou plutôt bottom ? / Celle qui faufile la réparation du frac du prochain lauréat du Nobel de littérature dont elle n’a rien lu mais qui présente si bien / Celle qui savait plusieurs pièces de Racine par cœur mais que le tsunami n’a pas épargnée pour autant / Ceux qui ont entendu parler de la manie du nouveau coursier malgache de lire des poèmes durant les pauses mais ne veulent pas le savoir du moment qu’il est juste café au lait, etc.
    Peinture: René Myrha

  • Ceux qui sont bien ensemble

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    Celui qui aime bien l’amitié et la châtie bien pour cela même / Celle qui détecte ses futurs vrais amis en un quart de seconde / Ceux qui font l’amitié comme d’autres font la gueule / Celui que stimule le pessimisme de son ami commissaire de la criminelle / Celle qu’a adoptée la cuisinière extra de son amie / Ceux qui s’impatientent de se retrouver dans cette maison dont le climat leur ressemble / Celui qui découvre que son prétendu ami calculait le profit qu'il pouvait tirer de lui/ Celle qui observe ceux qui manipulent celui qu’elle aime / Ceux qui s’éloignent ensemble des faux culs / Celui qui peint des citrons dans le jardin de ses amis du Frioul / Celle qui se prélasse dans le lit nuptial de ses amis Barker / Ceux qui se retrouvent vingt-cinq ans après aux îles Lofoten où ils avaient pratiqué l’échangisme sans s’en rendre compte / Celui qui a été touché par l’amicale intransigeance avec laquelle son ami Jack parle de son couple dans son roman à clefs / Celle qui a redécouvert son conjoint dans le film de son ami Kaurismäki / Ceux qui ont fait le vide autour d’eux pour ne garder qu’une paire d’amis infréquentables mais sincères / Celui qui n’a plus que des amis homos et noirs / Celle qui préfère les otaries / Ceux qui prétendent avoir 376 amis dans le comté d’Altamont / Celui qui fait lire à tout le monde le journal intime de celui qu’il disait son ami et qu’il a photocopié pendant son séjour de l’été dernier à la Résidence / Celle qui ne supporte plus les allusions mesquines de ses prétendues amies du Groupe Poterie de la paroisse de Champel / Ceux qui aiment leur amitié sans se demander à quoi elle tient, etc

    Image: Import/Export, d'Ulrich Seidl

  • Ceux qui ont connu la fée Miam Miam

     

    Truie.jpgCelui qui fantasme sur son corps de rêve depuis l’effondrement des Twin Towers / Celle qui était majorette à Charleville au temps de Dutroux / Ceux qui la paient avec des peluches / Celui qui lui a conseillé d’évoquer des « doigts de fée » dans ses petites annonces / Celle qui lui a proposé de faire un lesboshow avant de s’apercevoir de son inconséquence en matière de gestion / Ceux qui l’on fait danser nue dans la robe du faux cardinal / Celui qui lui a juré qu’il caserait ses poèmes romantiques en se réservant un pourcentage en cas de succès monstre / Celle qui l’a mise en garde contre les premières atteintes de la mélancolie lourde / Ceux qui ont fait interdire le club des Pyromanes du Sexe dont elle était la doyenne / Celui qui croit que ses résultats au bac + vont lui valoir un prix spécial / Celle qui voudrait te convaincre que moins boire est un plus / Ceux qui ont pressenti qu’un destin tragique ferait connaître la vamp de la rue des Potiers surtout qu’un journaliste connu créchait dans le voisinage / Celui qui trouve aux travelos brésiliens une humanité nettement plus marquée qu’aux poétesses protestantes des cantons romands / Celle qui ne sort que rasée / Ceux qui lancent l’Atelier d’écriture des dominatrices coiffées en brosse / Celui qui demande à Miam Miam de lui faire un rapport sur les goûts des académiciens belges de plus de 66 ans qu’il classera de toute façon CONFIDENTIEL / Celle qui a fait  à Miam Miam une réputation de sainteté qu’elle estime tout à fait outrée et peut-être même préjudiciable au rayonnement de la sainte attitrée du quartier des Abattoirs /  Ceux qui travaillent au nouveau logiciel en 3 D qui leur fera goûter à la maison et en toute sécurité  hygiénique à l’Xtase selon Miam Miam, etc. 

    Peinture: Lucian Freud

     

  • Ceux qui vous dévisagent en silence

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    Celui qui refuse de garder un secret / Celle qui a honte de la bosse de son père / Ceux qui ont un goût de cendre dans la bouche / Celui qui renvoie à sa tante Astrid le pyjama jaune qu’elle lui a offert pour ses quarante ans / Ceux qui estiment que l’employé Bobilier ne tient pas ses promesses / Celui qui cherche Dieu sous le manteau (selon son expression) / Celle qui te houspille parce que tu ne lui donnes que deux euros devant l’Eglise du Saint-Rédempteur / Ceux qui se rappellent la belle époque des Chaussettes noires et plus précisément les paroles de Dactylo Rock / Celui qui fume des Havane avec son beau-père dont il ignore le passé de fasciste argentin / Celle qui se rengorge comme le pigeon bleu des voisines nourri au foie gras périgourdin / Ceux qui se sont connus à la Ligue de la lecture de la Bible avant l’effondrement de la maison de paroisse qui a coûté la vie à la chatte siamoise de Mademoiselle Billeter / Celui qui a fauché les Nike du fils adoptif de ton ami Amilcar dans les vestiaires du FC Nantua / Celle qui en pince pour un serrurier au chômage amateur de Neil Diamond / Ceux qui ont besoin d’un fond de Beaujolais quotidien pour ne pas désespérer / Celui qui sait par cœur l’hymne patriotique du Yemen / Celle qui s’est offerte au postier du quartier des Mouettes sans résultat probant / Ceux qui prétendent avoir vu Alberto Moravia à l’aéroport de Monrovia / Celui qui ne voyage que pour lui-même avec une valise violette / Celle qui recouvre tous ses livres de papier pergamin / Ceux qui ont lu L’Ethique de Spinoza à la même époque mais en ont tiré des conclusions diamétralement opposées tout en partageant un goût vif pour la baudroie / Celui qui aime les oignons crus et les écrits tardifs de Tacite / Celle qui collectionne les effigies du Président Enver Hodja que son cousin a traité d’inverti au bowling de Gyrokäster / Ceux qui ont renoncé à leurs ambition de meilleurs haltérophiles du demi-canton / Celui qui choisit une fois pour toutes de voter chrétien-social modéré / Celle qui sacrifie à la Marie Brizard pour se consoler des inattentions de son jeune voisin taxidermiste / Ceux qui se réfugient dans l’élevage de visons, etc.

    Image: En l'Arbonie, de Jephan de Villiers.

  • Ceux qui étendent le domaine de la lutte


     

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    Celui qui écrit seul dans un phare désaffecté / Celle qui se réjouit d’aborder Plotin avec ses petits crevés / Ceux qui prennent tout leur temps pour faire ce qu’ils aiment dans une maison bien tenue / Celui qui range son atelier en écoutant du Vivaldi / Celle qui récurait le dortoir des séminaristes annamites à l’époque où Marguerite n’était pas encore Duras / Ceux qui accomplissent leur devoir civique avec la gravité des esclaves récemment libérés / Celui qui remet ses compteurs vitaux à zéro / Celle qui se remplit d’énergie en marchant le long de la mer aux poumons tonitruants / Ceux qui ne savent plus où ils en sont et se l’avouent et se sentent alors un peu mieux et parlent entre eux et c’est reparti mon fifi / Celui qui est paralysé par l’hésitation / Celle qui n’en peut plus de ne pas être écoutée / Ceux qui se taisent pour ne pas déranger / Celui qui préfère ses fantasmes à son esseulement et s’en retrouve plus seul encore c’est fatal / Celle qui tourne en rond dans la cage d’ascenseur de son cœur qui monte et descend comme un dément / Ceux qui sont d’autant plus vrais qu’ils n’ont aucune idée du faux / Celui qui se perd dans la Toile en espérant s’y retrouver par défaut / Celle qui a trop peu d’humour pour se risquer sur Facebook sans se blesser / Ceux qui ont trop de bons sens pour compter leurs amis / Celui qui voit l’avenir de Facebook dans le bistrot d’à côté / Celle qui écrit à ses 1777 amis et n’en a plus que 1666 quand elle a fini / Ceux qui se demandent comment donner plus de sens à leur vie sans se demander pourquoi / Celui qui parle trop vite pour s’entendre lui-même / Celle qui se dispute avec son conjoint sur le thème d’une morale plutôt innée ou plutôt acquise tandis que leur fils Kevin évalue la résistance bioéthique du chimpanzé Bono au moyen d’un fer à souder / Ceux qui ont tout misé sur leur visibilité sociale sans mesurer ses effets sur les bandes des quartiers défavorisés / Celui que la jobardise généralisée ne désarme pas du tout au contraire cher Hubert /  Celle qui lit Joseph de Maistre pour énerver sa mère végétarienne et adepte des Valeurs de Progrès / Ceux qui luttent pour ne pas se décourager de lutter / Celui qui te dit va voir en Afrique chaque fois que tu te plains de ce qui se passe dans ce canton à vrai dire épargné par la grande criminalité mais où les petites crapules pullulent en toute impunité / Celle qui trouve tous les jours une nouvelle cause à défendre sur son site garantissant le remboursement des causes perdues / Ceux qui estiment que la montée en puissance de la Chine remet en cause les fondamentaux de l’extension du domaine de la lutte, etc.

     

     

    Image: Philip Seelen

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Ceux qui écoutent le Temps passer

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    Celui qui sait par cœur toutes les notes de La Flûte enchantée / Ceux qui voient la musique en couleurs et notamment Messiaen et Debussy mais aussi Dutilleux et Arvo Pärt / Celui qui échappe au canard du doute à lèvres de vermouth en se repassant le 4e Concerto brandebourgeois / Celle qui se rappelle l’ami disparu avec lequel on écoutait le Göttingen de Barbara / Ceux qui te répètent qu’ils te reçoivent 5 sur 5 et dont le regard dit tout le contraire / Celui que Vivaldi met en joie alors qu’il n’est qu’épicier non mais t’y comprends quelque chose ? / Celle qui sait les pouvoirs érogènes des ragas de l’Inde / Ceux qui ne se doutent pas qu’ils ont l’oreille absolue et ne semblent pas en souffrir à vue de nez / Celui qui écoute le doux murmure des nonnes à la sieste / Celle qui prête son oreille à un mendiant aveugle qui lui sourit en entendant tomber la pièce / Ceux qui sont à l’écoute des démunis aux heures réglementaires / Celui qui fait semblant de ne pas entendre son heure sonner / Celle qui entend ce que lui disent les lèvres du sourd-muet aussi salace que bien foutu / Ceux qui laissent dire en souriant comme le bourreau qui retient le couteau pour le plaisir / Celui qui mâche du chewing-gum alors que la chanteuse de fado mime le désespoir de celle que son macho plaque pour une Islandaise rousse mais friquée de passage au Barrio Alto / Celle que son père richissime veut absolument faire opérer pour qu’elle devienne le soprano dramatico de ses rêves / Ceux qui écoutent la radio des voisins mais baissent la voix pour critiquer leurs émissions à la con / Celui qui a ce qu’on appelle deux voix dont il use parfois dans les soirées récréatives / Celle qu’on appelle le rossignol de la ZUP / Ceux qui dérogent à leur vœu de ne jamais manger d’oiseau en se tapant de temps en temps un bonne paire de cailles tirées les dimanches de brume / Celui qui entend la musique de l’ascenseur sans se douter que c’est du Monteverdi First Class / Celle qui laisse s’épancher la concierge avant de lui faire comprendre que son appareil audio n’est pas branché / Celle qui sait la partition de Violetta par cœur mais n’a pas encore trouvé l’homme qui la fera souffrir come dans La Traviata / Ceux qui n’écoutent que leur courage hélas peu causant chez des retraités finlandais en saison morte, etc.
    Image : Alexandre Sokourov.

  • Ceux qui font tache

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    Celui qui se trouve exclu du club de foot à cause de la couleur de sa langue /Celle qui lit Tacite dans le jardin public plein d’enfant chinois / Ceux qui murmurent des mélopées chamaniques au milieu des baigneuses / Celui qui s’exprime très très lentement à la radio du matin au point de décontenancer l’animatrice Super Girl / Ceux qui sont tolérés en dépit de leur propension à la rêverie non recyclable / Celui qui affiche par trop sa joie de vivre aux yeux de la surveillante de l’orphelinat / Celle qui sent qu’elle ne sert plus à rien dans le journal féminin qui ne jure plus que par le fun / Ceux qui sont expulsés des bars de jeunes cadres dynamiques non fumeurs / Celui à qui l’euphorie générale fout le cafard / Celle qui découvre l’histoire de son pays dans les livres qu’on ne lit plus à l’école / Ceux qui se mettent à dissimuler leur culture dite élitaire / Celui qui n’est plus reçu à la piscine des nageurs politiquement coordonnés / Celle qui se signale toujours par quelque extravagance stylistique du genre « j’infère ceci des arguments suaves du redoux préalpin aux moiteurs sensuelles des biotopes » / Ceux qui dérogent à la convivialité positive / Celui qui met les pieds au mur du son dans le quartier des abuseurs bruyants / Celle qui refuse d’ingérer le yaourt officiel du Parti des écologue de droite socio-démocrate / Ceux qui cherchent à plaire aux oiseaux des hautes branches / Celui qui installe un Totem devant sa piscine à sacrifices que dissimule un mur de parpaing chaulé / Celle qui porte un chapeau vert à l’imitation des dames d’un roman oublié / Ceux qui ont passé du maximalisme hard au minimalisme ultrasoft genre Delerm édulcoré tout bio / Celui qui te dénonce au motif que tes cheveux blonds et tes yeux verts lui inspirent des pensées illicites / Celle qui découvre avec horreur la collection Signe de Piste dont son grand-oncle Ange-Marie, cette probable tante refoulée, faisait son miel avant d’entrer à la Légion puis de s’égarer chez les Franciscains / Ceux qui dansent sur le volcan virtuel / Celui qui est allé tellement loin dans le simulacre qu’il a fini par devenir le clone de lui-même à l’époque où il faisait figure de garçon rangé plein d’avenir / Celle qui fait collection d’hommes lesbiens dont elle dispose les scalps sur le manteau de sa cheminée design / Ceux qui ont un couteau spécial pour s’échapper de la nasse du conformisme ambiant / Celui qui hante les clairières philosophiques avec un calepin sur lequel il note ses pensées à la musicalité volatile / Celle qui se sent petite naine futile dans le stade où les Giants nietzschéens affrontent les Rangers néo-kantiens, etc.

    Image: Philip Seelen

     

  • Ceux qui prennent le train de nuit

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    Celui qui se retrouve seul sur le quai / Celle qui est sensible au kitsch étrange de la gare d’Helsinki / Ceux qui se reconnaissent aux gestes familiers des accros de machines à sous / Celui qui aime le vent froid passant sur la plage déserte d’Ibiza / Celle qui observe les hommes partageant leur condition d’hommes / Ceux qui se retrouvent au pied de la Tour d’Hercule / Celui qui trouve sa paix en répétant les mêmes gestes à longueur de journée / Celle que fascine le vol des martinets dans le ciel orageux de Cortone / Ceux qui errent à travers bois sur des chemins en pente / Celui qui se dit étudiant en chinois à Malmö / Celle qui trouve une odeur de pierre sèche au corps du soutier Marcello / Ceux qui se réveillent à l’Amen de l’abbé Chalandon / Celui qui contemple la mer à Ostende sur la chaise roulante conduite par la Danoise au tchador / Celle qui voit les jeunes ouvriers wallons se jeter sur l’automate à bonbons / Ceux qui se demandent dans quel cimetière ils reposeront / Celui qui se retrouve seul le premier soir à l’orphelinat des mères incendiaires / Celle qui constate que l’hiver son amour devient haine / Ceux qui s’éloignent les uns des autres comme des étoiles dans le ciel froid / Celui dont on a traité la vocation artistique aux électrochocs / Celle dont les yeux pers ont troublé divers gars du bourg / Ceux qui s’endorment dans le cinéma désert / Celui qui ne comprend rien au train de l’existence / Celle qui aime qu’on l’aime même dans des draps douteux / Ceux qui sentent l’âge les éloigner de leur corps / Celui qui s’efforce en vain de tromper le temps / Celle qui endure la vulgarité de l’homme qu’elle préfère à tous les rustres du cargo / Ceux qui se demandent quand la vie changera enfin / Celui qui lape un gras potage avant de mâcher du gibier sous le lourd ciel de novembre / Celle qui contemple la pluie verticale de la nuit à Manchester City / Ceux qui ne surent jamais combien ils furent aimés / Celui qui s’endort de force pour oublier son désir / Celle qui s’offre à la caresse du vent du désert / Ceux qui se rappellent les poings de boxeurs des arbres taillés du boulevard / Celui que le chant du merle aide à supporter sa condition de chômeur en fin de droit / Celle qui aime servir des cafés serrés aux matinaux de la Gare centrale / Ceux qui ont une salive de consistance intensément sexuelle, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui en ont vu d’autres

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    Celui qui va remplacer son épouse infidèle par un chihuahua / Celle qui entend des voix dans le Bois du Sourd / Ceux qui n’ont pas de secret pour leur jardinier créole / Celui qui se dit incapable de tuer une femme tout convaincu qu’il soit qu’elle n’a pas d’âme / Celle qui ne supporte pas les succès de sa mère au karaoké / Ceux qui résistent au fou-rire qui les menace d’éclater à l’approche de l’homme-toupie / Celui qui a fait de la luge avec Bashung en 1965 du côté du Ballon d’Alsace / Celle qui a été initié à la calligraphie par un maître dont les gardes rouges ont coupé les mains / Celle qui laisse crever tous ses bonsaïs en s’adonnant à sa passion du jeu de go / Ceux qui écrivent leurs poèmes en marchant et le disent volontiers à la radio ou à la télé sans qu’on le leur demande / Celui qui a une malle pleine d’inédits comme Fernando Pessoa (dit-il) / Celle qui estime que la griserie de l’acrobatie aérienne vaut l’écrasement final / Ceux qui ont été persécuté sous Ponce Pilate sans qu’on se souvienne d’eux / Celui qui a connu le voile noir dans son bombardier survolant la Cochinchine / Celle qui s’est jurée de ne plus envoyer de pyjamas de Noël à ses neveux ingrats / Ceux qui tâtonnent dans la nuit moite à la recherche d’un corps éventuel / Celui qui démarche ce qu’il appelle des vitamines de bonheur / Celle qui prétend qu’un paon n’a aucune conscience de lui-même en dépit de son apparente fierté à l’instant de faire la roue dans la cour de la porcherie du voisin bègue / Ceux qui écrasent leur cigare dans les reste de l’omelette norvégienne en souriant à leurs hôtes pacsés à Noël dernier / Celui qui ne rêve même plus de pénétrer dans la rue morte à bord de l’auto à neuf places / Celle qui dit au beau Marco qu’il sera son butin de fin de soirée sans se douter qu’à minuit à pile il se transformera en statue de pierre ponce / Ceux qui font du rollerskate sur les tuiles de vent du glacier d’Arolla / Celui que son beau-père a oublié sur une aire d’autoroute sans se rappeler dans quel Etat / Celle auquel l’éthéromane demande de ne pas le déranger dans son lait de brume / Ceux qui ont échangé leur sang au bord de la rivière aux écrevisses et sont morts la même année sans le savoir, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui prennent la tangente

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    Celui qui éventre le divan de sa cousine défunte à la recherche du magot de l’oncle arménien / Celle qui porte le deuil à ravir / Ceux qui estiment que le lait nuit à leur libido / Celui qui bécote les photomatons de ses catéchumènes / Celle qui se demande si son ami Valentin n’est pas un Bachelor potentiel / Ceux qui feront tout pour que l’anniversaire de Cindy soit un flop / Celui qui prend tous les soirs sa tisane antipalu sur la véranda de son bungalow d’Awala en Guyane / Ceux qui lancent des appels au secours que personne n’entend / Celui qui dit trouver l’inspiration de ses raps dans la contemplation des tanches / Celle qui dit pas touche à mes tchoutches en tchatchant / Ceux qui ont (disent-ils) les narines en stéréo à force d’y sniffer grave / Celui qui s’adonne aux périples périphériques / Celle qui s’inflige l’itinéraire drastique à genoux sur le macadam de la chapelle au cimetière / Ceux qui comme Alphonse de Châteaubriant en 1939 crurent déceler l’ «immense bonté du visage d’Hitler» / Celui qui menace ses amis d’écrire un roman sur son impossibilité d’écrire / Celle qui a conservé tous les disques de Gloria Lasso / Ceux qui insinuent que c’est Bob Littell qui a écrit le livre de son fils / Celui qui s’est promis d’écrire un poème sur les vaincus à la fin de la semaine / Celle qui aime sortir nue sous sa pelisse de ragondin et parcourir ainsi la rue des Abattoirs / Ceux qui vont passer une semaine aux Moluques pour se ressourcer au niveau du senti / Celui qui pense que son collègue Dulaurier a mérité quelque part sa tumeur au menton / Celle qui laisse un message à la secrétaire de Frédéric Beigbeder à qui elle se propose de raconter la fugue de sa tortue Samantha / Ceux qui prétendent qu’y se la pètent dur à Marrakech / Celui qui lit des romans de Jane Austen à sa marraine aveugle de Brisbane / Celle qui mire les abricots le long de l’autoroute / Ceux qui aiment s’aimer en écoutant du Johnny Cash dans leur Mobilhome garé le long du canal des Maures / Celui qui fera ce dimanche sa cure de chocolat noir / Celle qui dit qu’elle prend son pied en lisant Thomas d’Aquin dans le métro de Montréal / Ceux qui se sont connus dans un billard de Bilbao, etc.

    Aquarelle JLK: Partie de billard à Bilbao, 2004.

  • Ceux qui se lâchent dans le jacuzzi

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    Celui qui affirme que la lecture de Michel Onfray équivaut à une cure de wellness / Celle qui affirme que seule la cure de phosphate pourrait aider Michel Houellebecq à positiver / Ceux qui voient en l’eau plate un substitut économique aux romans de Marc Levy / Celui qui s’est fait tatouer la Joconde sur le gland / Celle qui estime qu’un peu de surréalisme aide à vivre / Ceux qui essaient de revendre la litho de Jeff Koons le représentant en train de lécher Cicciolina qui leur a quand même coûté 85.ooo dollars / Celui qui recycle sa collection de la Transavantgarde italienne devenu obsolète avec la Crise / Celle qui a modélisé les étrons d’Inès de la Fressange en résine bleue sans être sûre sûre de l’authenticité de leur origine mais elle se la coince /Ceux qui n’osent plus dire qu’ils aiment le cinéma de Bergman / Celui qui a tout Joyce chez lui et t’a juré qu’il passait ses nuits sur Finnigon’s Wait / Celle qui se fait faire un creaming à la Kristeva / Ceux qui te proposent d’aller travailler nos relations dans l’Espace Freud / Ceux qui apprécient la human touch de la nouvelle émission Nous on lit pas / Celui qui retire toutes ses photos des archives médiatiques pour vivre l’expérience de Michaux / Celle qui se retrouve seule dans un ascenseur avec Beigdeber qu’elle confond avec Benchetrit / Ceux qui regrettent que Sartre ne soit plus là pour nous dire QUE FAIRE / Celui qui estime qu’à l’époque de Céline et Bernanos un Dantec ou un Houellebecq eussent juste fait les chiens écrasés de la NRF / Celle qui a posé pour Balthus alors qu’elle allait sur ses vingt-sept ans / Ceux qui ont affiné leur art de parler des livres qu’ils n’ont pas lu, etc.

  • Ceux qui fantasment

     

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    Celui qui se verrait bien invité par Carla Bruni à lui chanter une romance de sa composition style Domenico Modugno de la grande époque  / Celle qui aimerait qu’un homme reconnaisse ses prémonitions en matière d’éruptions volcaniques  / Ceux qui partagent le culte secret d’Arielle Dombasle gainée de latex violet / Celui que la forme physique d’Obama incite à reprendre ses exercices de musculation / Celle qui a vécu douze ans dans une forêt suisse en attendant un Robin des Bois consentant / Ceux qui commandent du viagra en espérant refaire chambre commune avec leur épouse / Celui qui traite ses collègues inspecteurs de sinistres avec le même paternalisme ironique que Leo Kress dans la série policière bavaroise Le Renard / Celle qui dissimule ses yeux globuleux derrière une paire de lunettes noires à la Garbo / Ceux qui font des randonnées entre hommes à la Roche de Solutré pour évoquer leurs bons souvenirs de Tonton dont chacun prétend qu’il l’a plus ou moins rencontré une fois ou l’autre  / Celui qui se fait appeler Sailor par la serveuse du bar Le Derby qu’il appelle familièrement «ma Lula» en dépit de sa cinquantaine de fausse blonde luttant contre le surpoids / Celle qui rêve de connaître un métis au sens biblique / Ceux qui estiment que les habitants des cantons de l’Est ont une prédisposition pour la perversité criminelle à la Dutroux / Celui qui déplore l’extinction de l’espèce des jeunes filles à nattes érotiques / Celle dont l’idéal masculin reste le Sacha Distal des années chabada  / Ceux qui cherchent à monter dans la même télécabine que Johnny au départ du Zauberberg de Gstaad / Celui qui pose à l’écolo concerné en espérant emballer la présidente ad interim du Groupe de protection des mulots de Touraine / Celle qui se fait photographier en petite tenue avec son fiancé gendarme en grand tenue / Ceux qui se qualifient de Jouets Sexuels sur le réseau Meetic, etc.

     

    Image: Philip Seelen.  

  • Ceux qui manquent à la lumière

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     Celui qui est enfant prodigue de naissance / Celle qui laisse sa lumière en partage aux vivants ou supposés tels / Ceux qui se retrouvent pour se retrouver eux-mêmes / Celui que toute mésentente tracasse / Celle qui raccommode les amitiés déchirées / Ceux qui se demandent pardon / Celui qui renoue avec son double de vingt ans / Celle qui se rend à la soirée des ex avec le sourire / Ceux qui se revoient de 7 en 14, de 14 en 18 , de 39 en 45 et même au delà / Celui que son besoin de paix fait déposer tout orgueil / Celle qui aspire à la bonne réciprocité / Ceux qui s’oublient à la lumière de leur mémoire / Celui qui relit ce matin des pages de L’Echelle de Jacob de cet adorable catho réac que fut le paysan philosophe Gustave Thibon / Celle qui découvre les secrets de sa mère dans ses écrits de veuve / Ceux qui se sentent plus proches de beaucoup de morts que de peu de vivants / Celui que vivifie le verbe universel que se disputent les cultures et les religions et les églises et les sectes et les facs de théologie et d’athéologie / Celui qui se dit qu’il n’est personne d’autre qu’une personne / Celle dont la seule présence pacifie les fous furieux que nous sommes dans la Maison jaune du monde immonde / Ceux qui se réfugient sur le trottoir pour en fumer une avec leur ennemi juré / Celui qui sifflote hello le soleil brille brille brille dans la purée de pois de ce jeudi de l’Ascension mal barré pour un week-end de rêve / Celle qui sent que l’amour est plus fort que son ressentiment / Ceux que l’aveu délivre / Celui qui se délie de son serment de ne plus jamais serrer la main de son frère ennemi encore plus frère qu’ennemi / Celle qui fait confiance à la nature humaine sans être sûre que la nature soit humaine / Ceux qui agissent selon leur cœur avec l’aide d’un comprimé d’Aspirin Cardio 100 à 15 balles 60 la boîte de 90 / Celui que les fêtes religieuses de sa confession familiale émeuvent toujours pour Dieu sait quelle raison que la Raison ignore en dépit des dernières avancées des neurosciences et tout le toutim / Celle qui a gardé le sourire malgré le mal qui la rongeait / Ceux qui ne trouvent que le silence pour exprimer ce qu’ils ressentent devant ce cercueil, etc.
    Image : L'ubac, huile sur toile, JLK.

  • Ceux qui donnent le change

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    Celui qui a racheté une plage avec son parachute doré pour y établir son bidonville perso / Celle qui gêne un peu les familiers de l’intéressé en se prétendant la fille préférée de Jacques Chazot / Ceux qui lancent une nouvelle secte dans laquelle ils recueillent les déçus de la Scientologie qu’ils se promettent d’essorer par des moyens encore plus scientifiques / Celui qui est entré au couvent des Ursulines rasées en se prévalant de son diplôme de sociologue et son état de veuf pacsé / Celle qui se torche d’être sans-papiers/ Ceux qui ne sourient pas à leur bourreau pour lui enlever l’illusion qu’ils sont meilleurs que lui / Celui qui ne lit même plus les lettres qu’il s’envoie / Celle qui se raconte son prochain roman dans l’eau du bain qui en a refroidi / Ceux qui ont gardé leur soutane après l’avoir jetée aux orties mais on ne sait jamais / Celui qui a décidé d’en finir avec la vie sans trop savoir laquelle / Celui qui s’est donné un jour par semaine pour connaître un peu de la condition de l’auteur en période de vaches maigres / Celle qui écrit des poèmes sur les SDF auxquels elle donne toujours quelques centimes d’euros s’ils ont vraiment l’air d’en avoir besoin / Ceux qui se disent chercheurs et trouvent depuis des lustres le bon moyen de renouveler leur Bourse / Celui qui s’est fait connaître en tant que poète du Nouveau Zen alors qu’il n’en a rien à braire du vide de son verre/ Celle qui se lamente volontiers de ses succès outrageants aux jeux de casino qui l’empêchent finalement d’être reconnue en tant que poétesse mystique / Ceux qui se disent à l’écoute des humbles qui n’écoutent pas vraiment leurs conseils tarifés / Celui qui sait que la fin du tunnel risque de déboucher sur une vallée de larmes en espérant qu’il ne manquera pas le début du dernier épisode des Experts / Celle qui craint d’entrer en retraite où on lui a dit qu’on n’avait plus de vraies vacances / Ceux qui ont l’air de s’excuser de reposer dans leur cercueil en dépit des efforts consentis par les employé de l’Espace Funétique, etc.

    Image: Philip Seelen


  • Ceux qui s’attardent sur le quai

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    Celui qui a connu l’Amour fou l’année de ses onze ans  et n’a jamais rien admis ensuite en dessous de cette totalité dans sa vie d’homme plutôt lesbien et passionné d’ornithologie / Celle qui a lu tout Guy des Cars dans ses traductions en suédois /Ceux qui aiment être palpés par la réflexologue Davidson / Celui que la peinture de Francis Bacon fascine sans le combler autant que Goya et Soutine dans la filiation des bouchers féeriques dont le patron reste Rembrandt / Celle qui entretient des rapports secrets et sacrés avec ce qu’elle appelle son Divin Bouton / Ceux qui se disent croyants pour en imposer à l’assemblée des retraités en recherche / Celui qui gerbe sur le futon blanc de la cantatrice balte aux ongles verts / Celle qui attend les barbares et le Saint-Esprit en fumant des Pall Mall / Ceux qui ont un cœur mais évitent de le montrer par timidité / Celui qui aime converser un jour avec un penseur style scout genre Michel Serres et le lendemain avec un rebelle renard à la Michel Foucault / Ceux qui croient savoir à quel type de derrière rebondi ils peuvent faire sentir leur érection matinale dans le métro bondé sans se prendre un pain sur la gueule ou un coup de boule dans les parties / Celui qui se met en colère quand on se gausse de son plan Je Bois Mon Urine Tous les Matins / Celle qui dit volontiers qu’elle lit Tchouang-tseu pour la seule sonorité du nom / Ceux qui vont nus dans les fourrés du Bois de la Gaule / Celui que sa libido défaillante a rendu moins sévères en matière de mœurs déviantes / Celle qui prétend que les homos sont plus intelligents que les hétéros tout en convenant que son panel d’observation manque de base scientifique /Ceux qui s’estiment élus sans savoir par Qui mais quand même par Quelqu’un qui les a repérés dans la masse /  Celui qui ne sait trop quoi dire à Godot quand celui-ci se pointe enfin et s’excuse du retard avant de  lui proposer un confit d’oie à Sarlat / Celle qui se dit la Sagan russe post-post-moderne / Ceux qui attendent la sortie de la messe pour faire la peau à celui qui les a déshonorés en possédant celle qui est respectivement leur fiancée et leur sœur, etc.

  • Ceux qui veillent

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    Celui qui a tenu la main de l’ami toute la nuit de Noël pour l’aider à faire face au crabe / Celle qui reste immobile dans son fauteuil Voltaire à se rappeler les bons moments d’une vie d’amour / Ceux qui se taisent après que le feu s’est éteint / Celui qui se fera tranquillement oublier de ceux qui se prétendent ses amis / Celle qui se relève la nuit pour écouter le silence du fleuve / Ceux qui reposent côte à côte sans dire rien que de temps à autre I love you ou me too / Celui dont on entend le cliquetis de la machine à écrire Olivetti de la cour de la maison romaine au septième étage de laquelle reste allumée la lampe de sa mansarde où il recopie son essai sur Cola di Rienzo / Celle qui s’arrête dans la rue de midi pour écouter un fado diffusé en sourdine par le transistor du très beau garagiste / Ceux qui s’aiment dans le train de nuit au rythme du tagadam parfois dominé par les cris de la voyageuse / Celui qui lisait De l’inconvénient d’être né lorsque retentit la détonation dans la chambre voisine où créchait l’étudiant en philosophie Zoran auquel il avait promis de lui rendre le livre sans trop tarder / Celle qui aime passer des nuits blanches avec ses amants noirs / Ceux qui attendent ils ne savent quoi sans fuir pour autant / Celui qui n’ose pas dire à sa mère qu’il n’en peut plus de la voir se priver de sommeil alors que rien ne le calme mieux que de la voir dormir / Celle qui est amoureuse de son locataire philosophe en dépit de leur différence d’âge de trente ans et du fait qu’elle n’a rien compris au livre de ce M. Merleau-Ponty (quel joli nom !) qui reposait sur sa commode et dans lequel elle a guigné / Ceux qui sourient à leurs souvenirs des lendemains de Noël en enfance, etc.
    Image : Philip Seelen