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Bernard Pivot le passeur

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À propos des Grands Entretiens réunis, par Gallimard et l’INA, sur 10 DVD : avec Albert Cohen, Françoise Dolto, Georges Dumézil, Marguerite Duras, Louis Guilloux, Marcel Jouhandeau, Claude Lévi-Strauss, Vladimir Nabokov, Georges Simenon, Marguerite Yourcenar + un  ouvage tiré des Archives du Monde, réunissant des articles sur les écrivains concernés, des textes de ceux-ci et autres entretiens parus dans Le Monde. 

 

C’est une belle contribution à la mémoire du XXe siècle littéraire que représente le coffret réunissant dix grands entretiens de Bernard Pivot avec quelques-uns des derniers « monstres sacrés » de la littérature et des sciences humaines.

Pour évoquer ce coffret riche de conversations diversement intéressantes et parfois inénarrables (à commencer par le numéro de prestidigitateur verbal d’un Nabokov), j’avais envie d’aller à la rencontre du plus jovial des interlocuteurs d’écrivains, débarqué à Paris en 1958 avec le rêve d’y devenir chroniqueur sportif, et engagé au Figaro littéraire sur sa bonne mine frottée d’excellence connaissance... des vins.

L’homme, après une belle carrière de passeur, actuellement académicien Goncourt, n’a rien perdu de sa vivacité et de sa bonhomie. La rencontre date de ce 28 janvier 2010, à Paris.

 

-         Y a-t-il un livre, ou un écrivain, qui vous ait marqué dans vos jeunes années.

-         En fait, je l’ai dit et répété,  j’ai très peu lu en mon adolescence. Les premiers livres que j’ai lus, avec une conscience de ce qu’est un livre et de ce qu’on appelle la littérature, c’est Les enfants du bon Dieu d’Antoine Blondin, vers 18 ans. Avant, j’avais pas mal lu jusqu’à l’âge de dix ans, malgré le peu de livres que nous avions en ces temps de  guerre, et par la suite j’ai surtout joué au football. Tout de même, un auteur qui m’a charmé, dans ma jeunesse, c’est Félicien Marceau, avec Bergère légère, Capri petite île, Les élans du cœur, des choses comme ça ; et puis Aragon, pour ses poésies d’amour. Donc je ne peux pas dire qu’il y ait un livre, à cette époque, qui m’ait bouleversé. Les auteurs que je vous ai cités, mais aussi Vialatte ou Camus, n’ont cessé ensuite de m’accompagner. Ce qui est curieux, dans mon parcours atypique, c’est que j’étais plus intéressé par le style des écrivains que par le contenu de leurs livres. Si j’avais écrit, j’aurais voulu écrire comme Blondin. À savoir : raconter avec humour, et une certaine drôlerie, les chagrins de la vie. Cela étant, l’auteur que j’ai découvert à huit ou neuf ans et qui ne m’a jamais quitté, c’est La Fontaine. Je vivais alors dans une ferme et le fait que des animaux parlent m’a stupéfié, surtout des animaux inconnus. J’ai mémorisé beaucoup de fables, et je les apprenais crayon en main, comme je l’ai fait toute ma vie, notant les mots dont je ne savais pas le sens, que je découvrais ensuite dans mon Petit Larousse avant d’en émailler mes rédactions, surprenant parfois l’instituteur par un usage plus ou moins fantaisiste.

-         Quand et comment êtes vous devenu un vrai lecteur ?

-         À partir du moment où, en 1958, j’ai été engagé par le Figaro littéraire, après quoi  je me suis mis à lire comme un fou. Je n’avais rien lu de Céline, ni de Yourcenar ni des écrivains dont on parlait à l’époque, j’avais tout à rattraper. Je rêvais d’un poste à L’Equipe, mais le hasard m’a fait devenir courriériste littéraire au Figaro, grâce à ma connaissance du vin et au bon souvenir que le rédacteur en chef avait de Lyon et du Beaujolais… C’est ainsi que j’ai commencé de courir après l’information littéraire et de converser avec les écrivains, comme je n’ai cessé de le faire.

-         Quelles rencontres vous ont marqué en vos débuts ?

-         J’ai rencontré Michel Tournier alors qu’il était encore éditeur. J’aimais beaucoup aller dans son bureau, chez Plon, recueillir des informations, et puis j’ai été ébloui lorsqu’il a publié son premier livre, Vendredi ou les limbes du Pacifique. N’ayant aucun préjugé je m’amusais autant à rencontrer Robert Merle que Robbe-Grillet. J’ai aussi rencontré Jérôme Lindon, éditeur du Nouveau Roman, qui m’a dit un jour qu’il n’y avait rien de plus triste qu’un best seller qui ne se vend pas… Par ailleurs, j’aimais bien parler des coulisses de la vie littéraire, des élections à l’Académie ou des dessous des prix littéraires.

-         Comment vous est venu le désir de la télévision ?

-        On est venu me chercher. Des écrivains avaient dit, à Jacqueline Baudrier qui cherchait quelqu’un, que je pourrais peut-être faire l’affaire, et c’est comme ça qu’est né Ouvrez les guillements, lancé sans maquette et sans répétition, en direct. C’était une émission assez éclatée, avec des interventions de Michel Lancelot sur la science fiction, André Bourin et Gilles Lapouge sur la littérature ou Jean-Pierre Melville sur le cinéma. L’exercice a duré un peu moins de deux ans, jusqu’à la fameuse réforme de l’ORTF. Ensuite, quand Marcel Jullian m’a appelé sur la Deuxième chaîne, j’ai proposé tout naturellement une émission thématique, pour pallier la dispersion d’Ouvrez les guillemets, et ce fut Apostrophes.

-        On parle toujours de l’impact inégalé d’Apostrophes. À quoi l’attribuez-vous ?

-         Si l’on en parle avec une certaine nostalgie, c’est que l’heure de passage (21h45) était favorable, qu’il y avait plus de grandes figures littéraires qu’aujourd’hui.  Les Yourcenar, Simenon, Duras, Cohen, étaient des mythes vivants, et c’est évidemment  ce qui m’a amené aux grands entretiens.  Par ailleurs, le fait que je n’aie pas fait d’études supérieures de lettres facilitait ma complicité avec le grand public. Mon statut de provincial pas vraiment de la paroisse parisienne faisait que j’étais une sorte de téléspectateur averti plus qu’un intellectuel ou qu’un écrivain. Et puis il y avait le sérieux du travail. Les écrivains et le public me faisaient confiance, parce que je lisais les livres dont je parlais. Pierre Nora a écrit, assez justement, que j’étais devenu l’interprète de la curiosité populaire.

Cohen4.jpg-        Vous avez évoqué les « monstres sacrés » de l’époque. Quels critères ont déterminé vos choix pour les grands entretiens, . à commencer par Albert Cohen ?

-        Comme j’adorais Belle du Seigneur, et qu’Albert Cohen refusait toute interview, je n’ai cessé d’insister jusqu’à ce qu’un de vos confrères proche de l’écrivain, Gérard Valbert, permette enfin cette rencontre mémorable. Quant à Duras, c’était un monument vivant, et Nabokov représentait l’un des plus grands  écrivains du XXe siècle. En revanche, j’ai échoué dans mes tentatives de rencontrer René Char, Cioran ou Julien Gracq. Aujourd’hui, je regrette tout particulièrement qu’il n’y ait aucun document substantiel sur René Char. Je regrette beaucoup, aussi, de n’avoir pas fait de tête-à-tête avec Romain Gary.

-        Mais vous vous êtes amplement rattrapé avec Soljenitsyne !

-        Oui, j’ai suivi tout son itinéraire d’exilé. Cela a commencé à la parution de L’Archipel du Goulag, en 1974, qui a donné lieu à un débat très vif où Alain Bosquet et Max-Pol Fouchet se sont déchaînés ! Puis il a été viré de l’URSS et je l’ai accueilli une première fois sur le plateau d’Apostrophes. Ensuite je suis allé lui rendre visite aux Etats-Unis, puis je l’ai reçu à son retour d’Amérique et, après la chute du mur de Berlin, je lui ai rendu une dernière visite dans sa datcha proche de Moscou. Tout ce temps-là, il est resté le même, humainement très agréable et d’une grande précision au travail.

-        Comment vous êtes-vous préparé à ces rencontres ?

Duras.jpg-        Par un très grand travail. Vous pouvez vous imaginer qu’interroger un Georges Dumézil, sans aucune connaissance préalable de la linguistique, n’est  pas une sinécure. Pareil pour un Lévi-Strauss. Mais je tenais à de tels entretiens à caractère scientifique, qui touchent quand même de près à la littérature et à l’anthropologie. On ne quittait pas le domaine du langage et des mots, et c’était touchant d’entendre Dumézil évoquer sa rencontre du lendemain avec le dernier locuteur d’une langue en voie de disparition sur terre…Ce qui m’intéressait, aussi, c’était de parler de ce qui fonde la recherche de ces grands savants, sans entrer dans le détail. Rencontrer Dumézil, adorable dans son contact personnel, au milieu des ses livres empilés et débordant littéralement de partout, reste aussi un grand souvenir. Là-dessus, j’aurais eu plus de peine à rencontrer un Einstein, faute de compétence… Question travail, même si j’avais un assistant précieux en la personne de Pierre Boncenne, jamais  je n’ai travaillé sur des fiches établies par d’autres.

simenon16.JPG-        Et Simenon ?

-        Le souvenir de notre deuxième entretien, à Lausanne, reste marqué par une émotion particulière puisqu’il venait de publier Le Livre de Marie-Jo, consacré au suicide de sa fille. C’était un homme très simple, et je me souviens qu’à un moment donné il a enclenché un magnétophone sur lequel était enregistrée la voix de Marie-Jo. J’en ai eu le souffle coupé…

-         L’an passé ont paru deux livres, de Richard Millet et Tzvetan Todorov, établissant un bilan catastrophiste de la littérature française. Qu’en pensez-vous ?

-         S’il n’y a plus guère de grands écrivains tels que ceux dont nous parlions tout à l’heure, nous avons quand même un Le Clézio couronné par le Nobel de littérature, notamment. Je pense qu’il faut toujours être prudent en la matière. Stendhal, de son vivant, ne fut reconnu que par un Balzac, et peut-être sommes-nous aussi myopes. Cependant je pense qu’effectivement nous ne sommes pas dans une période de plein emploi du roman, si j’ose dire, qui nous mette dans l’embarras pour attribuer le Goncourt. Nous ne sommes plus dans les grandes années du XIXe ou même de l’entre-deux guerres. Le roman se porte bien en apparence, en tout cas il abonde plus que jamais, mais on peut se demander aussi s’il n’y a pas une fatigue du genre, autant chez les lecteurs que chez les critiques et chez les auteurs ? Je me pose la question, mais je n’ai pas de réponse…

-         On a vu, ces dernières années, des romans de francophones accéder aux plus grands prix, d’Alain Mabanckou à Dany Laferrière, en passant par Nancy Huston et Marie Ndaye ? Ce phénomène vous réjouit-il ?

-         Bien entendu, et d’autant plus qu’une certaine mode privilégie plutôt les auteurs étrangers, à commencer par les Anglo-saxons. J’ai d’ailleurs toujours tâché de rester attentif aux littératures de la francophonie, même si d’aucuns ont trouvé cette attention insuffisante, mais c’est le fait du centralisme parisien de l’édition…

-          En tant qu’académicien Goncourt, êtes-vous exposé à de fortes pressions ?

-         Bien entendu, mais je m’en suis toujours prémuni farouchement, et les gens savent mon sale caractère en la matière, et ce n’est pas d’aujourd’hui. Les auteurs auxquels il est arrivé de m’appeler directement sont tombés sur un os, et les doléances des éditeurs s’arrêtaient à mon assistante.

-         A  contrario, on a souvent parlé du manque d’indépendance de certains membres de l’Académie Goncourt…  

-         C’est vrai que certains jurés, naguère, votaient systématiquement pour leur éditeur, mais ce n’est plus le cas à l’heure qu’il est.

-         Quels livres de  la cuvée  2009 vous ont-ils particulièrement intéressé ?

-         La vérité sur Marie de Jean-Philippe Toussaint, La Délicatesse de David Foenkinos, ou le roman de Laurent Mauvignier, Des hommes, et les Listes de Charles Dantzig

-         Des grandes rencontres que vous avez faites, laquelle vous a marqué le plus ?

Pivot3.jpg-         Celle d’Alexandre Soljenitsyne, c’est évident, qui n’était pas qu’un grand écrivain mais un acteur majeur du XXe siècle. Je me suis trouvé devant quelqu’un qui avait participé directement au renversement d’un régime dictatorial et qui était, aussi, un homme rayonnant, d’une stature et d’une présence exceptionnelles. Mais j’ai beaucoup apprécié, aussi le fait d’être reçu par Marguerite Yourcenar. Enfin, j’ai été très touché de retrouver, lors de ma dernière visite à Georges Simenon, qui avait tant écrit et roulé sa bosse, un homme  brisé par la mort de son enfant. Je me rappelle cette dernière visite comme un choc. Pas un choc lié à la seule littérature mais à la vie même.

-         Quels auteurs aimez-vous relire ?

-         La correspondance de Voltaire, et les pamphlets de Paul-louis Courier, hélas introuvables aujourd’hui. J’aime beaucoup revenir aussi à Rousseau, à cause de son style, et cela m’arrive souvent de reprendre une pièce de Molière et, hop, d’en relire une ou deux scènes… enfin, la correspondance de Céline, de Flaubert ou de Madame de Sévigné m'enchantent également. Je trouve ces écrits, lancés au fil de la plume, parfaits de naturel et de style…

 

 

Monstres sacrés sur un plateau

 Retrouver sur-le-vif dix mythes vivants des lettres et de la pensée du XXe siècle: voici ce que propose un coffret récemment édité par les éditions Gallimard et l’INA, qui réunit, en autant de DVD,  les Grands entretiens de Bernard Pivot avec Albert Cohen, Françoise Dolto, Georges Dumézil, Louis Guilloux, Marguerite Duras, Marcel Jouhandeau, Claude Lévi-Strauss, Vladimir Nabokov et Georges Simenon. En complément, un ouvrage collectif paraît à l’enseigne des Archives du Monde, réunissant des articles consacrés aux invités de Pivot, entre autres textes de ceux-ci et entretiens parus dans le journal Le Monde. Si cet ensemble de dix face-à-face, enregistrés entre 1975 et 1987, n’est pas exhaustif, n’incluant pas LA rencontre majeure du « roi Lire » avec Alexandre Soljenitsyne (24 ans de fréquentation et 5 émissions, que documentent 7 heures d’enregistrement sur un DVD séparé), ni les rencontres avec Etiemble, Umberto Eco ou J.M.G. Le Clézio, notamment, ce choix n’en est pas moins représentatif, varié, dense et tout à fait accessible au public le plus large.

Les grands entretiens de Bernard Pivot. Coffret de 10 DVD et un ouvrage inédit de 264p. Gallimard, INA et Le Monde.

 

Ces papiers ont paru dans l'édition de 24 Heures du 13 février, 2010, en version émincée.

 

 

Commentaires

  • Passionnant! Merci JLK. Il y a beaucoup à méditer dans cette interview. Je retiens le passage où il évoque une possible fatigue du genre romanesque...Oui et non, dans le sens où compte avant tout la voix. Et quand elle a quelque chose à dire, le genre d'expression (roman ou autre) reste un amplificateur comme un autre. Mais je crois comprendre ce que veut dire BP. Il pense à cette fabrique de romans parfaits, produits d'une recette aussi parfaite qu'insipide. Je ne donnerai pas de noms

  • Pivot n'est pas un homme de culture, mais une bête de télé. "Les Yourcenar, Simenon, Duras, Cohen, étaient des mythes vivants, et c’est évidemment ce qui m’a amené aux grands entretiens.": Vous avez tout Pivot dans cette phrase ridicule. Réponse bâclée, lieu commun. Pour ma part, je ne crois pas que ces gens aient été des mythes vivants. Mais c'est vrai que de leur temps, il y avait plus de lecteurs, et des lecteurs moins formatés. Ce qui fait que l'écrivain avait un statut qui n'était pas exactement celui du "people" (quant à celui du mythe...
    Pivot fait partie de ceux qui ont apporté "le mythe", c'est à dire la starification à contre sens et la peopolisation (euh... ça se dit ?). Je crois qu'il est l'un des premiers à avoir brandi le label terrifiant :"vu à la télé". Le premier aussi à parler d'abord de la vente d'un bouquin. J'aime bien le regard un peu condescendant, le regard d'ainé indiscutable que Guilloux pose sur lui, dans l'émission qui lui est consacrée.
    Pivot ne fut finalement, qu'un triste faiseur d'opinion parmi d'autres. Qu'il finisse à l'académie Goncourt en dit long sur le monde des lettres françaises. Comme on disait à l'époque...

  • La vanité "vue sur un blog", monsieur Solko. Votre commentaire est méprisant pour ce passeur et vous me semblez vouloir parler au nom du peuple alors que Pivot, justement, avait l'humilité de son côté et c'est pour cette raison qu'il a fait lien entre ceux qui lisaient peu (ou pas) et les grands écrivains.

  • Fichtre, cher Solko, vous voici bien sévère et péremptoire dans vos jugements contre ce pauvre Bernard Pivot, qui n’a vraiment pas mérité ça, lui qui fut bel et bien un passeur, sans morgue ni prétention. Faiseur d’opinion ? Sûrement pas ! Rien chez lui du donneur de leçon ou du pédant, pas plus que du snob mondain ou du bateleur de bas étage. Dans ses papiers actuels du Journal du Dimanche, rien non plus du prescripteur sentencieux, mais le même homme débonnaire dont on peut partager ou non les avis, mais qui n’est pas un suiveur servile de la mode ou du parisianisme pour autant.
    Tout personnellement, je me rappelle une belle soirée de 1986, quand il nous a reçus sur le plateau d’Apostrophes, Vladimir Dimitrijevic et moi, pour le livre intitulé Personne déplacée dans lequel j’ai raconté la vie et les œuvres du fondateur de L’Age d’Homme, avec des propos assez critiques sur Apostrophes. Sans en prendre ombrage, Pivot avait relevé clairement ces réserves après avoir vraiment lu et apprécié l’ouvrage, dont la vente a été décuplée – et qui s’en serait plaint ?
    Quant à l’Académie Goncourt , je ne crois pas qu’elle ait perdu quelque chose à accueillir Pivot, qui en a plutôt assaini le climat à ce que je crois savoir.
    Pour ce qui est des « mythes vivants » et autres « auteurs cultes », ce ne sont que des mots, qui reflètent évidemment la jobardise actuelle, mais perd-on son âme à faire des «icônes» de grands écrivains avérés ? Sourions plutôt de cette langue de coton publicitaire, et réjouissons-nous de savoir que les présences de Louis Guilloux, trop souvent ignoré par l’Ecole, cher prof, et Marcel Jouhandeau, ou Dumézil, ou l’impayable Nabokov (bien sûr il cabotine, mais cela gâte-il notre plaisir passé ou futur de lire Ada ou de relire La Défense Loujine, Pnine, Autres rvages, Lolita, Feu pâle ?), ou Lévi-Straus et Duras, Dolto ou Albert Cohen – réjouissons-nous donc que tous ces auteurs éminents qui furent aussi des voix et des visages puissent atteindre les lecteurs d’aujourd’hui et de demain . Allez les lettreux, encore un effort d’humour et de légéreté…

  • Ah la la, Jean Louis ! Vous savez, lorsque Pivot caracolait dans le cœur des Français, je n'étais par prof du tout, mais brancardier à l'hôpital et intermittent (c'est le cas d'le dire) du spectacle. Et ce n'est pas contre l'homme Pivot (il habita une très jolie maison dans le Beaujolais avec une vue magnifique), mais contre "l'effet Pivot" que j'en ai. Cela demanderait un plus long développement. Et, coïncidence des coïncidence, je passe jeudi prochain à une classe de 1ère L (avec laquelle je viens d'étudier le Sang Noir et à qui je viens de montrer l'adaptation de Marcel Maréchal) cette émission spéciale consacrée à Louis Guilloux.
    Bien sûr, rétrospectivement, on peut se réjouir que ces quelques émissions aient été tournées. Mais pourquoi s'empêcher de critiquer leur facture. Bien sûr qu'il n'a rien du pédant, mais tout du faux ingénu... Est-ce mieux ? Je me souviens vaguement de la dernière question bien facile qu'il posa à Dumézil sur la mort (de mémoire, d'ailleurs, il mourut peu après). Ne me dites pas que ce monsieur n'a pas contribué à faire de l'écrivain une sorte de star. Et ne nous étonnons pas que Char ait refusé (comme il a d'ailleurs refusé d'autres entretiens) d'y participer. Non par orgueil ou par pose - encore que je n'en sache rien, mais je ne le pense pas. Mais tout simplement par crainte de question du genre : "Et si vous n'aviez pas été poète, qu'auriez-vous aimé faire ?", voyez.
    Bon, allez. Ce différend ne mérite pas qu'on s'étale davantage.
    Et, comme on dit, au plaisir.

  • Bah, vous savez, Solko, j'ai vu René Char dans le seul film, à ma connaissance, qui ait été tourné sur lui, par Michel Soutter. Sinistre. Le Poëte s'est montré puant. Pas un sourire. Pas un mot naturel. La Pose incarnée. Tout juste s'il ne disait pas "Le Poëte" en parlant de lui-même. Marchait à travers la garrigue en lisant un Poëme de Lui. Tout ce que je vomis pour ma part. Donc tant mieux qu'il se soit désisté à une semaine de l'Apostrophes en question. Par ailleurs, vous savez, de tout ça je me fous un peu. Je ne regarde quasiment jamais la télé, sauf les séries ringardes et les films d'animaux. L'ingénuité de Pivot ? Dites-donc, Solko, vous me prenez pour un poussin moite ? Mais passons: je tenais juste à signaler cette collection de DVD's, et je suis bien content que le père Cripure ait fait un clin d'oeil à vos lycéens...

  • Je comprends fort bien que l'on accorde à Pivot une place singulière dans l'espace télévisuel, quand on considère la littérature. J'ai moi-même, au sortir de l'enfance et à l'adolescence, regardé "Apostrophes" avec une belle régularité mais il faut remettre les choses à leur place et raison garder.
    "Apostrophes" était, quoi que vous en pensiez, une sorte de tour de table à visée commerciale. Et le fait d'invoquer les grands auteurs n'empêchera pas de rapppeler que l'un des auteurs les plus invités par Pivot fut.... Jean d'Ormesson (dont le phrasé, l'élégance et le goût pour la conversation me ravissent dans une certaine mesure, parce qu'il y a chez cet homme une certaine idée classique qui demeure. Non pas dans l'écriture, mon dieu, non ! mais dans cette élégance justement dépassée qui lui donne un côté "madame de Sévigné"). Les grands entretiens sont donc l'arbre qui cache la forêt. Certes, si l'on s'en remet à la descendance symbolique de Pivot, on ne peut que constater le chemin parcouru dans la destitution de la littérature comme point de repère essentiel d'une culture. Poivre d'Arvor, Guillaume Durand, F.O.G., ou Picouly : il y a des moments où Pivot doit se dire qu'il vaut mieux ne pas avoir de gosses...
    Par ailleurs, le fait même qu'il aille, comme tant d'autres, chercher Le Clézio (cet écrivain pour adolescents éternels baignant dans un humanitarisme pitoyable) en référence du grantécrivain (pour faire une clin d'œil à Dominique Noguez) est symptômatique d'une institutionnalisation littéraire. Nul ne s'offusque (ou si peu) qu'il soit prix Nobel, quand Yves Bonnefoy (mais sans doute celui-ci ne s'en plaindra-t-il pas !) ou Lorand Gaspar restent dans l'ombre. Mais il est vrai que Le Clézio est dans l'air du temps, comme un signe tendu vers ce concept ridicule de littérature-monde qui est la négation absolue de ce qui serait l'essence de la littérature, je crois : son indépendance fondamentale devant la mode. Une sorte de trajectoire individuelle qui rejoint, sans le vouloir d'abord, le monde. Bref, le lieu commun (mais pas si facile à analyser) du général affleurant dans le particulier.
    Et je doute fort que de cela, les bavardages convenus de l'ère idio-visuelle puisse jamais en rendre compte

  • Correction :
    je doute fort que de cela les bavardages convenus de l'ère idio-visuelle PUISSENT jamais en rendre compte.

  • Bernard Pivot relit volontiers Molière, et je vous le conseillerais aussi...

  • "Bernard Pivot relit volontiers Molière" : voilà ce que j'appelle un argumentaire...
    À moins que ce ne soit de l'humour helvétique.
    Plus sérieusement : que l'homme Pivot ait fait autant qu'il le pouvait (c'est-à-dire autant que le système le lui permettait), j'en conviens volontiers ; et qu'il ait proposé à une France qui ne s'y attendait pas un salon de lecture, ce n'est déjà pas si mal. Je maintiens néanmoins que l'encenser comme vous le faites entre dans une logique relativiste d'un monde où le livre n'est plus grand chose et les écrivains (mais ils l'ont bien cherché...) moins encore. N'est-ce pas là le signe le plus grave de la mélancolie contemporaine : en venir à regretter ce que l'on sait être fort imparfait, voire "limite" (pour parler jeune).
    Cordialement.

    PS : pour être franc, Molière (sauf avec "Dom Juan", sublime, et un moindre degré avec "Le Misanthrope") m'ennuie au plus haut degré depuis près de trente ans... Il ne m'a jamais fait rire. J'attends vainement qu'on m'éclaire sur le sujet.

  • Je n'encense absolument pas Bernard Pivot. Je respecte son travail. J'a vu pas mal d'Apostrophes et souvent avec agacement, et je crois avoir précisé ci-dessus que je l'ai co-écrit noir sur blanc avec Vladimir Dimitrijevci (fondateur de L'Age d'Homme)dans un livre évoquant l'émission (et tout le psittacisme médiatique en matière de littérature) avec sévérité. Même si je participe parfois audit bavardage, parce que ça m'amuse et me fait gagner plein de thune, comme disent mes enfants, je sais ce que c'est de résister à la vague du vague dans les médias et à cette autre forme de nivellement, par le haut, fondée sur le mépris de ce qui n'est pas son seul goût surfin ou magistral (on voit cette moue de dédain), entre femmes savantes et précieux ridicules. Prétendre que les grands entretiens de Pivot sont des arbres qui cachent la forêt revient à l'éternelle pureté des beaux esprits, et notamment les amateurs de poésie superpure qui ont compris que Bonnefoy était plus pur que Le Clézio et James Sacré plus pur que Claude Simon et Paul Celan le plus pur des plus purs, etc.
    En ce qui me concerne, je trouve sympa que plus d'un million de gens sympas lisent ce livre supersympa que figure L'élégance du hérisson, même si le livre me paraît un peu téléphoné, mais je sais aussi que recommander Lorand Gaspar à quelqu'un qui préfère Le cercle littéraire des épluchures de patates est un peu vain.
    Quant à votre incapacité de rire avec Molière, si j'étais méchant je dirais qu'elle nous éclaire en effet sur le sujet, mais je ne suis pas méchant ce matin je suis gentil tout plein. Donc on se détend, et bonne et belle journée...

  • Et pour en finir vraiment avec l'humeur, vous dire que je découvre à l'instant votre blog avec beaucoup d'intérêt lit-té-raire, qui me renvoie à celui, non moins lit-té-raire de Solko, avec quelques noms aimés au passage (Michèle, Philip...) comme quoi le vice impuni nous réserve toujours des surprises même un lundi fort embrumé sur les hauts...

  • Puisqu'il faut en finir avec l'humeur (et sur ce point je reconnais aisément qu'il m'arrive d'avoir l'esprit un peu... sec !), je vous précise que je ne suis pas habité par le démon de la pureté, que je ne cherche pas la démarcation à tout prix et que dans ma vie de lecteur des livres que je sais médiocres ont été essentiels. J'ai autour de moi des amis qui redécouvrent la lecture et qui me demandent conseil. Croyez bien qu'alors la pureté est une préoccupation qui ne m'effleure pas un instant. Car si la lecture est un vice, elle est aussi (mais est-ce contradictoire ?) un bonheur...
    Quant à ma raillerie sur "l'humour helvétique", c'était une mesquinerie bien facile...
    Cordialement.

  • Etre taxé d'humour helvétique me va fort bien car ce que les Français croient lourd est d'une légèreté paysanne mondiale voire universelle. Je trouve plus d'humour chez Ulrich Bräker, vacher du Toggenburg et traducteur de Shakespeare, ou chez Robert Walser, ou mieux encore: chez Thomas Platter, chevrier devenu l'un des grands humanistes de la civilisation bâloise, que dans toute la gauloiserie qui se croit drôle. Il va de soi que Molière est Suisse dans l'âme, comme le Marcel Aymé de Dole l'était aussi (il me l'a dit sans par SMS posthume), et le plus grand humoriste du monde est Suisse (Swift est une déformation du nom Swiff qui vient de Schwitz, d'où le witz fameux), ah mais là faut que je file... Encore merci pour cet hommage involontaire. Enfin, et même si je ne vous soupçonne pas de rire sous la stimulation pavlovienne des Bigard et autres Bedos, quelle humoriste est allée aussi profond que "notre Zouc" ?

  • De Zouc, je me souviens d'un sketch avec une fourmi. Pleine de délicieuse cruauté, Zouc.

  • Dites, histoire d'en reverser une louche pour rigoler un peu dans ce débat truculent entre fins lettrés, trouvez pas qu'il exagère, le père Pivot, de proposer à la vente en DVD des images que nos parents ont déjà payé mille fois avec leur redevance de cette déjà lointaine époque ?

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