
(Trésor de JLK, XXI)
«Mon petit papa, quand on recouvrira ma tombe, émiette dessus un croûton de pain que les petits moineaux, ils viennent, moi je les entendrai voleter, et ça me fera une joie de ne pas être seul, en dessous. »
(Fédor Dostoïevski, Les Frères Karamazov)
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« Celui qui n’a pas vu qu’il est immortel n’a pas droit
à la parole. »
(Ludwig Hohl, Notes)
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« Si l’idée de la mort dans ce temps-là m’avait, on l’a vu, assombri l’amour, depuis longtemps déjà le souvenir de l’amour m’aidait à ne pas craindre la mort. »
(Marcel Proust, Le Temps retrouvé)
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«En écrivant, j’éprouve la richesse des possibles, inhérente à toute situation humaine. subitement, je ne suis plus condamné à cette dichotomie absolue, fallacieuse et étouffante, à ce choix cruel d’être la victime ou l’agresseur en l’absence d’une troisième voie plus humaine. Quand j’écris, je redeviens une personne dont les diverses facettes s’interpénètrent, un homme capable de s’identifier aux malheurs de l’ennemi et à la légitimité de ses desiderata sans renier pour autant le moindre atome de son identité. »
(David Grossman)
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Je lis « voici septembre, j’espère encore le temps d’un livre ; le crises agrippent le ciel », je lis « lorsque j’ouvre les yeux, je me crois natif de la lumière, lorsque je les ferme, j’ai peur de mourir ; une extrémité du regard cherche les anges, tandis que l’autre se perd dans les intestins », je lis « il existe entre la nécessité d’étreindre, et celle d’être libre, une profonde blessure qui ne peut être guérie, où l’espérance s’épuise à chercher un passage; le chemin de la plus grande souffrance est devenu impraticable; la violence, une réponse possible; je suis pris d’un désir incontrôlable de pleurer », je lis « j’écoute gémir du rose ; une plaque de fer vibre sur les heures; le vent déplace les restes d’un repas au bord de la fenêtre; la salive fait fondre les gencives», je lis «la douleur n’apprend rien, rien, le refuge qu’elle offrait vient de s’effondrer; lorsque les cris cessent et que la bouche dévastée, puante d’entrailles, se vide à longs traits, j’entends hurler la voix que j’appelle mon âme, un déchet organique qui cherche à me fuir, la voici; contre ce que je pense, contre qui je suis, ces aveux disent la rupture, traînent l’esprit comme une dépouille dans le désintérêt de l’autre, jusque dans l’oubli de la solitude même », je lis « je voudrais réentendre la berceuse d’autrefois, la prière oubliée qui promettait la nuit », je lis « une radiographie montrerait deux squelettes emboîtés, le plus petit, roulé en boule, servant de crâne au plus grand; je me glisse vers le haut; la blessure me perd, elle se purge dans les cris, je méprise ce destin hystérique en proie aux convulsions », je lis «je te hais de préférer ma souffrance à la tienne; je suis né en me fracturant le crâne, et le cœur à l’arrêt; j’ai perdu très jeune les êtres que j’aimais », je lis « il me reste une mère », je lis « ma mère s’est assise entre les deux fenêtres, elle me tend une tasse de thé au jasmin; j’embrasse ses mains et l’odeur de la pluie », je lis « le corps est l’orifice naturel du malheur », je lis « c’est presque trop beau ; le ciel grogne au loin ; un vent fort se lève, gorgé d’écailles et de perles ; une fenêtre claque, un rire traverse les étages », je lis « le poème doit-il rendre plus belle la formulation de l’amour, plus vraie, cette traîne de tripes le long de la glissière », je lis « la haine est la prière du pauvre », je lis « je regarde sans voir la trace laissée par un avion, une suite de vertèbres détachées par le
vent », je lis « une mouche vient boire au bord des yeux ; on dirait une âme se lavant du péché », je lis « la poésie ne se justifie pas face à celui qui implore d’être aimé sans répugnance », je lis « fredonner plutôt qu’écrire ; ce murmure fait du bien, il s’élève, puis retombe comme de la poussière », je lis « la douleur, légère barque d’os, me conduit tout à coup ; je perçois à nouveau mon rapport au langage ; le corps, soudain rajeuni, vulnérable au regard, se tient debout dans les fougères », je lis « je pense aux phrases écrites la semaine dernière et je m’en sens très loin, désormais incapable de colère, ébloui par la lueur d’une bougie, porté par une pitié silencieuse pour tout ce qui existe... ».
(En lisant Demeure le corps, de Philippe Rahmy)
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« Les oiseaux, les feuilles en train de chuchoter, forêt ou rivière, les eaux et les ciels s’envolent sur la page blanche qui noircit. Quelle cuisine de nomade ! La création glapit, fume. et puis ce dilemme : ou une goutte de sainteté, ou la passion démoniaque. »
«Notre vie avec ses œuvres ne dure pas plus qu’un paquet de tabac, y compris le pays où j’attends: telle la petite fumée qui s’échappe comme si j’étais cette petite fumée au moment où la pipe reste chaude dans la main après avoir été expirée. Les années s’éteignent. Je savoure la dernière braise. »
(Maurice Chappaz)
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De Dieu mais tu vois ce que je vois ce matin dans les rues de ce matin et sur les places de ce matin et aux guichets de ce matin: j’en crois pas mes yeux, non mais je me pince, et sur les arbres de ce matin, et le long du fleuve et des heures de cette matinée, t’as déjà vu tout ça toi, et là dans les snacks et les cantines, et là-bas dans les hostos de midi et les baraques de l’asile, et l’après-midi les enfants dans les jardins municipaux, non mais dis-moi pas, toi, que t’as déjà vu ça...
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"Comment la cloche de midi sonne comme sonnent tant de cloches à midi et comment cela vous signale le temps qui passe, de midi à midi, un jour est passé et comment, au son de la cloche, vous vous en rendez compte."
(Lambert Schlechter, Comment, Le Murmure du monde 12)
Aquarelle JLK: Ces deux-là, dans le train, ce soir-là..