
Le fil invisible (94)
Même après sa terrible opération (huit heures au bloc, un arrêt du cœur momentané et une perfo chirurgicale hallucinante au dire d’un des jeunes assistants du patron), Lady L. sûre qu’elle allait mourir disait tranquillement qu’on allait y aller mollo mollo, un pas après l’autre, et toi tu te gardais de la contredire, partageant son goût du vrai et n’en pouvant plus d’entendre ceux qui, pour se rassurer eux-mêmes, l’enjoignaient de s’accrocher, allez allez vous allez remonter la pente, mais elle laissait filer et toi tu te retenais d’aboyer, donc c‘était un pas après l’autre , et quatre étés après ce dernier-là, donc trois hivers après la nuit fatale de peu avant Noël, quand elle a eu encore le cran de te dire qu’on devait être reconnaissant de pouvoir encore rire et sourire de tout ça, ce matin d’un réveil exacerbé par les lancées de crampes à hurler, tu te dis mollo mollo, elle n’est plus là, les filles sont loin, tu vas y aller un pas après l’autre, et voilà que t’arrivent les dernières nouvelles de Gaza et ça fait encore plus mal vu que tu sais qu’il n’y a rien à faire qu’à compatir et que ça fera une belle jambe aux martyrs, et là tu penses à vos kids qui vont débarquer dans ce monde-là et tu te dis que tout est parfait, allez allez on ne se laisse pas aller – allons-y alonso comme à chaque fois que vous repartiez vous royaumer avec Lady l. , cela vous aura fait rire et sourire jusqu’à la fin, tu lui disais comme ça « en allons-nous », c’était reparti pour un pas après l’autre, et elle concluait à la manière d'Alphonse Allais : « et ils s’en allent »…