UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L'échappée libre de la poésie

434773455_10233783732881893_2465257970036304244_n.jpg
(Le Temps accordé. Lectures du monde VII, 2024)
 
À la Maison bleue, ce mercredi 3 avril. - Le mot «âme » m’est revenu l’autre jour, à côté de l’ancienne tour des condamnés à mort dominant de son drapeau royal l’hôtel de charme dans lequel je créchais, le mot «âme» et la chose qu’il est censé designer, à la fois très vague et nous disant pourtant quelque chose, m’est revenu en cette veille de Pâques où je lisais, dans ma carrée de l’ex-quartier des officiers de l’ancienne garnison des Hillsborough Barracks, à Sheffield, les pages de Pierre Reverdy intitulées Cette émotion appelée poésie, où le poète commence par dire qu’aucun chirurgien jamais n’a découvert l’ombre d’une âme au bout de son scalpel; et mon cher Reverdy parlait ensuite de cette insaisissable entité avec les mots les plus précis qui seuls conviennent à la poésie à l’opposé de la jactance nébuleuse qui en constitue le plus souvent le commentaire.
Le premier souci de Reverdy, dans cet entretien sur la poésie ancré dans l’expérience humaine la plus largement partagée, est de préciser aussi les mots de personne et de beauté, puis de nature, au motif que chaque personne est élément de multitude vague dont le visage et la voix fixent entre tous la personnalité tout à fait unique et irremplaçable (je pensai aussitôt au visage de Marie Lumière, à la voix de Bona et aux yeux de leur fils Parfait), de la nature au sens général émane une beauté particulière dont se distingue pourtant celle qui ressortit à la poésie ou à l’art en général - et Reverdy de préciser alors que la poésie n’est pas à prendre au sens restreint des faiseurs de vers mais désigne l’activité de « tout artiste dont l’ambition et le but sont de créer, par une œuvre esthétique faite de ses propres moyens, une émotion particulière que les choses de la nature, à leur place, e sont pas en mesure de provoquer en l’homme », et c’était faire un sort aux clichés du beau coucher de soleil ou de la beauté naturelle des chats ou des enfants jugée « poétique » par les sectateurs mondiaux d’Instagram & Co unlimited…
De fait, le terme même de poésie - en allemand on parle de Dichtung, impliquant une notion plus large de création - est devenu le grand fourre-tout actuel du bavardage plus ou moins lettré et plus prétentieux que jamais - surtout en France - invoquant la poésie comme un supplément d’âme et produisaient cette nouvelle classe de pédants que sans crainte du ridicule on appelle des poéticiens…
 
POÈTE, ET QUOI ENCORE ? - Mon ami Bona me disait l'autre jour, à propos d'un texte que j'ai commis sur la haute Toscane et ses beautés, que je pouvais en être fier, à quoi j'ai répondu what's the Hell Bona, mais un arbre a-t-il à se montrer fier de ses rameaux, alors qu'il se contente de ramer ? Et ça me ramène à ce que j'ai noté en forêt un jour de 1986, rapport à ces anges émissaires que sont en somme nos poèmes :
 
Les poèmes nous viennent
comme des visiteurs,
aussitôt reconnus ;
et notre porte ne saurait se fermer
à ces messagers de nos propres lointains...
 
Et qui pourrait s'en vanter ? Donc se dire poète, en orner sa carte de visite, se réclamer de cet état qui est exactement l'opposé d'un statut social, me semble aussi vain et dénué de sens que me dire vivant alors que je ne fais que vivre et vibrer - mais cela encore ne me concernant que seul, tout à fait content au demeurant de voir mes poèmes, que j'aime comme mes enfants, paraître et se répandre aux quatre vents, peut-être parler à qui veut les entendre ?

Les commentaires sont fermés.