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De la tendresse


 

De Lunar Park à La promesse de l’aube

A La Désirade, ce mardi 13 décembre. – Il est toujours déprimant de lire de mauvais livre, et comme je m’en suis « fait » deux aujourd’hui, c’est avec un sentiment de reconnaissance presque amicale que je retrouve, ce soir, Lunar Park de Bret Easton Ellis, dont la lente descente dans le tragique diffuse une espèce de tendresse désemparée qui me touche infiniment. Jamais je n’avais senti, chez cet écrivain, une telle attention au monde dans lequel nous vivons et une telle protestation, une telle précision dans l’observation de la démence ordinaire et une telle honnêteté dans la façon de s’impliquer dans le tableau.
Hier soir, en relisant le magnifique début de La promesse de l’aube de Romain Gary, j’ai éprouvé ce même sentiment de totale affection que peut nous inspirer un livre bon (je ne dis pas un bon livre, mais un livre bon), quand l’écrivain, vautré au milieu des phoques de Big Sur, se rappelle les mises en garde de sa mère, quand il était petit garçon, contre Totoche le dieu de la bêtise avec sa tête d’intellectuel primaire, Merzavka le dieu des vérités absolues debout comme un cosaque sur des monceaux de cadavres, ou Filoche le dieu de la mesquinerie vociférant des « sale juif sale pédé sale nègre » dans sa loge de concierge - et le père phoque regardait ce type rêver sur le rivage du Pacifique, chaque mot de ces phrases saines et libres sonnant aussi juste que la phrase saine et libre de Bret Easton Ellis détaillant sa fureur et son désarroi.
La littérature sérieuse se reconnaît, me semble-t-il, à ces ondes de tendresse qu’elle diffuse, proportionnées aux ondes d’effroi qu’elle capte en même temps. La réelle attention n’est supportable qu’avec ce flux de tendresse. Ce qu’il y a de poignant et en crescendo, dans Lunar Park, est de voir comment l’écrivain découvre la réalité de la souffrance et du mal qu’il a pressentie dans ses livres sans en mesurer l’exacte conséquence, et qu’il vit désormais dans sa chair même, soudain rattrapé par les fantômes de son imagination médiumnique…

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