
Avec un clin d'oeil posthume à Roland Jaccard.Notre compère le Nihiliste évoquant, dans son dernier récit intitulé On ne se remet jamais d'une enfance heureuse, sa rencontre de Carl Gustav Jung, puis celle de Sigmund Freud dont je crois savoir qu’il est décédé le 23 septembre 1939 à Hampstead , donc deux ans avant la venue au monde certifiée de notre ami, je me dis, loin de m’en offusquer, qu’il y a là une nouvelle vanne ouverte à la fantaisie narrative qui légitime mes propres affabulations dérivées de rêves ou d’aspirations à de hautes accointances abouties ou non abouties - après tout qu’importe ?
C’est ainsi que le récit de ma rencontre avec Jean Genet, datant de mai 1973 à la rue de Rome, que j’hésitais jusque-là à produire par discrétion et/ou timidité, vu le contenu particulier de notre échange d’un peu plus d’une heure, sur ce banc solitaire et juste avant la pluie printanière sur le quartier des Batignolles – je séjournais alors rue de la Félicité -, m’a paru tout à coup aussi défendable voire plus que les menteries relevées dans l’opuscule du vaurien, paru en août 2021, donc un mois avant son suicide, comme lui-même m’y avait d'ailleurs engagé lors de notre dernière rencontre en calosses de bain (lui boxer gris flottant sur ses hanches de sauterelle, moi slip léopard genre vieille panthère) à la plage de Bellerive...
De fait, mon ami s’est dit aussitôt fasciné (c’est lui qui parlait de fascination, comme souvent dans ses exagérations ) lorsque, sous le soleil zénithal et après notre partie de ping-pong où il a feint de se laisser battre, je lui ai raconté en détail notre conversation nocturne, avec Genet, essentiellement consacrée à nos déambulations enfantines respectives de villages en forêts et à l’échange de recettes médicinales à base de plantes ramassées dans les champs et les sous-bois.
Une fois de plus, le tour paradoxal de la psychologie du Nihiliste, qui prétend détester absolument la campagne, s'est révélé dans l’enthosuiasme avec lequel il a accueilli mes évocations de soins de premier secours, le plus souvent connus de l’auteur de Miracle de la rose, comme l’usage du persil ou du serpolet séché pour arrêter un saignement du nez, ou celui de la fleur de soufre en remède contre les verrues – quand bien même ni Jean Genet ni moi n’ayons jamais eu à nous plaindre de verrues, ni de gale (savon noir ou pétrole conseillés) ni de furoncles (peinture d’iode et cataplasmes de fécule), mais les enseignements de nos enfances également choyées (Roland aura sursauté tout de même quand j'ai parlé d’enfance choyée à propos de celle de Genet, mais j’insiste) nous sont restés de ces années où nos aïeules (pour ce qui me concerne) et autres parents adoptifs ( le bienveillant couple Regnier de son côté) nous ont transmis leurs savoirs ancestraux.
Comme je m’y attendais, Roland n’aura pas manqué, alors, de sonder mon savoir (et celui, peut-être, de Jean Genet) sur l’insomnie. Or nous en avions parlé rue de Rome, à propos des insomnies chroniques de Jean-Paul Sartre, sujet à ce mal au double motif du nervosime et des troubles de la digestion.
Le Stilnox est un expédient chimique, avais-je répondu à notre compère , et Genet était d’accord avec moi sur ce point : que l’insomniaque doit dormir la tête haute, au contraire de l’anémique, et la compresse d’eau froide sur le front est de rigueur, ou la bougie allumée derrière une bouteille de verre foncé – et tu fixes la lumière ainsi tamisée pendant un bon quart d’heure…
De sa visite à Carl Gustav Jung, j’aurai retenu la vive réticence de notre nihiliste à suivre les recherches de celui-là dans le labyrinthe de la Vie Antérieure, alors que Genet y était au contraire disposé, là encore naturellement, tant il est vrai que l’immersion dans l’univers atemporel des herbes folles et des étangs prédispose aux glissements imaginaires de la métempsycose, et Genet me dit ce soir là qu’il avait reconnu en son atavisme de poète, non loin probablement de celui d’un Arthur Rimbaud, un passé animal de loup-cervier ou, dans un registre plus volatil et quasi mystique, une familiarité antérieure avec les djinns dont les griots de la tribu Reguibat ont chanté les prodiges - au dire de Rimbaud précisément.
Dès lors, que Roland Jaccard ait rencontré Sigmund Freud avant sa propre naissance n’a rien d’étonnant, mais je n’ai pas eu l’indélicatesse de le reprendre à ce propos. Ce qu’il fait dire à Jung de Freud, qui relève d’une jalousie toute viennoise, et ce qu'il fait dire à Freud de l’avenir de la psychanalyse dans les cercles pharmaceutiques de la pratique française, nœud pap’ de Lacan compris, suffit à nous convaincre de la validité virtuelle de son mentir…