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Au pays dénaturé

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No country for Old Men, du livre au film 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vaut-il mieux lire d’abord Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme de Cormac McCarthy, et ne voir qu’ensuite le film qu’en ont tiré les frères Ethan et Joel Coen, ou voir d’abord celui-ci et ne lire le roman qu’ensuite ?
Poser la question revient à se demander ce que le film apporte au livre ou ce que le livre apporte au film, et la réponse me semble alors toute simple : que le film apporte au livre des images visibles alors que le livre déploie en nous les invisibles images d’un beaucoup plus grand film.
Dans l’état actuel du cinéma américain, l’on pourrait dire que le film des frères Coen est, sinon la meilleure, du moins la plus admissible transposition qu’on pouvait attendre d’un roman qui est bien plus qu’un thriller de la frontière où la violence se déchaîne : une méditation sur le mal qui court et la barbarie qui revient. Or le blues lancinant qui traverse tout le livre se retrouve bel et bien dans le film, comme s’y retrouve, même éparse et comme affadie, la menace physiquement perceptible de la justice démoniaque exercée par le Méchant.

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Les remarquables acteurs qui incarnent respectivement le shérif Bell, figure du Bon (Tommy Lee Jones) et le redoutable Chigurh, figure de l’absolu Méchant (Javier Bardem) constituent une paire visible tout à fait admissible, bien plus étoffée évidemment dans le roman mais non moins cohérente et nettement dessinée dans le film. De la même façon, les paysages et les objets ne nuisent pas à la visibilité plus profonde des images du roman. Curieusement cependant, c’est dans ce qui constitue le propre du langage cinématographique que le film des frères me semble le plus défaillant par rapport au livre, par le défaut de rythme et de densité qui fait que la violence explose comme dans n’importe quel film actuel plus qu’elle ne s’affirme comme la décréation du monde constituant le job du Diable.
Aux yeux du lecteur superficiel, le roman de Cormac McCarthy peut faire figure, je l’ai constaté, de polar raté, tandis que le film « tient » au même regard de surface, alors qu’il peine, aux yeux de qui voit vraiment ce qu’il y a dans le roman, à faire voir vraiment ce que, peut-être un film plus physique et métaphysique à la fois (je pense au fulgurant En quatrième vitesse de Robert Aldrich) eût vraiment montré…

Commentaires

  • Au-delà de la critique de ce film, c'est tout le problème de la justification des adaptations cinématographiques que vous posez. Je ne pense pas qu'il y ait de réponse, cependant je me hasarderais à affirmer que plus grand, plus fort est le livre, plus casse-gueule sera le film. Enfin chacun a ses exceptions à citer pour confirmer cette règle! Pour en revenir au film No Country.., je l'ai trouvé relativement bon, du niveau habituel des frères Coen. J'ai apprécié que vous citiez Tommy Lee Jones au même niveau d'excellence que Javier Badem(ce dernier semble avoir été le seul remarqué par les medias), ce qui est étonnant c'est que le personnage le plus important quantitativement parlant au moins, Moss, n'ait retenu l'attention de personne... L'acteur n'est pourtant pas mauvais mais il ne crève pas l'écran semble-t-il...

  • Je suis assez d'accord avec Marie. J'appréhendais un tel désastre que j'ai plutôt été surpris de la qualité du film. Les défauts que vous soulignez sont tout à fait réels, mais peut-on vraiment comparer un film à un livre ? Le livre est une chose, le film en est une autre ; une interprétation dans un art différent.
    Par contre, peut-on dire que Chigurh est le méchant absolu ? Il me semble que chez McCarthy il reste toujours une part d'humanité dans ses personnages, aussi déshumanisés soient-ils (sauf peut-être dans la Route où les hommes-cannibales ne sont plus du tout humains). Chigurh a son sens de l'honneur, sa morale ; comme Bell, comme Moss bien que ce soit très différent, bien entendu.

  • Chère Marie, c'est vrai que le Moss du film tient la route, d'ailleurs autant que tous les acteurs, mais je regrette la disparition de la rencontre avec la girl automobiliste, un très beau moment dialogué du roman. Quant au Méchant absolu, cher Bartleby, c'est façon de parler, mais l'honneur d'un technicien de la mort ne peut pas être comparé à celui du shérif Bell, qui incarne la nostalgie d'une humanité meilleure. Je ne pense pas du tout, soit dit en passant, comme vous l'écrivez sur votre blog, que McCarthy s'inscrive dans la filiation de Beckett et de Thomas Bernhard. Si l'on ôte sa dimension eschatologique à son univers, comme le font la plupart des critiques, on passe à côté de ce qui fait l'essentiel de sa pensée incarnée et à côté de ses tenants littéraires et spirituels, qui remontent à Nathanael Hawthorne via Flannery O'Connor. Le climat de la Route a bien quelque chose de beckettien, mais côté TB je ne vois vraiment pas. Merci de m'expliquer...

  • Il est clair que la question de l'honneur ne se situe pas du tout au même plan chez Chigurth et chez Bell. Je voulais dire qu'il y a en Chigurth un reste d'humanité et qu'à mon sens, on ne peut donc parler de mal absolu. Le mal absolu, c'est le vampire métaphysique dont parle Jankélévitch. Je comprends néanmoins ce que vous vouliez dire.
    Sans voir la dimension religieuse de l'oeuvre de McCarthy, on passe effectivement à côté du sens de l'oeuvre. N'y voir qu'un western moderne, qu'une morale réactionnaire ou je ne sais quoi est non seulement faux, mais stupide.
    La comparaison que j'avais exprimée entre McCarthy et Beckett et Bernhard ne touche pas vraiment aux thèmes, mais plus à l'utilisation d'une langue décharnée (pour Bernhard, je pense à son théâtre, non à ses romans !), surtout dans les dialogues (cela vaut seulement pour No country et La route). Il me semble (mais j'accepte la critique) qu'il y a chez ces trois auteurs une volonté d'utiliser la parole pour saisir l'essentiel, l'être, pour éviter le bavardage et cela échoue toujours quoi que de manière très différente. Bref, c'est la langue qui maintient les personnages de ces auteurs dans la sphère de l'humanité, mais cela ne tient plus que par un fil.

  • Vous avez raison pour Chigurh: il reste en lui un soupçon d'humanité, d'ailleurs presque plus en chair dans le film que dans le livre. Ce n'est pas Robocop au demeurant. Même si cela semble n'avoir rien à voir, sa monstruosité me rappelle celle de l'idéologue en chef de l'URRS Mikhaïl Souslov et ce que m'en a dit une fois Alexandre Zinoviev: il est juste assez humain pour qu'on puisse le mépriser. Chigurh est encore assez humain pour qu'on puisse le redouter voire en être fasciné comme par le Stavroguine des Démons. Quant au caractère extrêmement épuré et profondément rythmique de la langue respective de McCarthy, TB et Beckett, je vois mieux ce que vous entendez dans votre rapprochement, si l'on prend le TB du théâtre. Oui c'est vrai, ce sont trois écrivains qu'on pourrait dire de l'humanité dernière et de la poésie essentielle. Sur quoi je retourne à un essai tout à fait remarquable de Thomas A. Ravier intitulé Eloge du matricide et qui parle de Proust avec une pertinence rare. Proust enfin dégagé de sa prétendue fragilité maladive et rendu à l'amplitude phénoménale de sa puissance créatrice et de son humour... Comme le disait Paul Morand: très doux et en même temps très viril.

  • Parfois Chigurth me fait penser (bien que dans un registre différent) au Bateman de Easton Ellis : un reste d'humanité presque touchante dans un monde en décomposition.
    L'essai sur Proust dont vous parlez a l'air tout à fait passionnant et j'espère que vous nous en ferez un papier.

  • Bon, allez, je vais tout de même aller le voir...
    Le sens de l'honneur chez le tueur ? Pardon ?
    Autant affirmer qu'une impassible et précise montre suisse en est pourvue...
    Parfois je me dis que nous n'avons pas dû lire le même livre...

  • Je nuancerai encore par rapport à ce qu'en dit Bartleby: il ne s'agit pas d'honneur mais d'observance d'une logique purement technique, puisque Chigurh est technicien de mort et parfait mécanisme, en effet, du genre de la montre suisse qui a, cher Stalker, parfois, de ces états d'âme qu'on n'attendra pas du tueur, ainsi de suite... Par ailleurs, le diabolisme de la technique est beaucoup plus perceptible dans le livre que dans le film, et beaucoup plus présent aussi le fantôme sanglant de l'argent.

  • Dans ce cas, effectivement, je suis d'accord avec votre nuance (de taille)...
    Cordial salut.

    PS : j'ai loupé ma séance ! Je n'y arriverai jamais... (c'est un signe sans doute).

  • Stalker, il ne s'agit évidemment pas d'un sens de l'honneur au sens classique du terme, mais bien d'une logique (tel que l'entend JLK), d'une ligne de conduite précise et froide qui a ses règles. Je crois que nous avons lu le même livre !
    Un petit effort pour cette séance...

  • . Thank you explain to me ...

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