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Aujourd'hui ce livre

  • Une conscience japonaise


    littératureLes sombres débuts de Kenzaburo Oé. Revenu sur  le devant de la scène en 2015, en grand témoin de l'holocauste nucléaire. Et décédé le 3 mars 2023, à l'âge de 88 ans.

    Ceux qui ont découvert l’univers du plus grand écrivain japonais vivant, Prix Nobel de littérature en 1994, avec le bouleversant récit autobiographique d’Une affaire personnelle, ressaisissant la détresse et la révolte du père d’un enfant né malformé des suites d’Hiroshima, retrouveront ici, avec les premiers écrits de Kenzaburo Oé, la source même de son univers tragique. Dans son discours de Stockholm, intitulé Moi, d’un Japon ambigu, le romancier racontait comment, dans le monde à la merci de la peur et du mal de la guerre mondiale où il passa son enfance, Huckleberry Finn et Nils Holgersson l’ont sauvé du désespoir. De la même façon, le sentiment de la beauté et de la liberté n’est jamais absent de la réalité la plus cruelle, telle qu’elle se déploie dans ces trois nouvelles publiées entre 1957 et 1961, qui révélèrent l’immédiate maîtrise du jeune écrivain. D’une «maison des morts » dostoïevskienne (la nouvelle éponyme) à une maison de redressement où vices et sévices vont de pair (Le ramier), l’observateur implacable capte à la fois l’essentiel de la condition humaine et, dans Seventeen, la genèse de la dérive extrémiste d’un jeune frustré, préfiguration du terroriste d’extrême-droite se réclamant d’un Japon dont l’écrivain n’a cessé d’illustrer la redoutable duplicité
    Livre du jour: Kenzaburô Oé. Le faste des morts. Gallimard, coll. Du monde entier, 175p

  • Ceux qui traînent la patte

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    Celui que le culte du bien-être fait gerber / Celle qui se contente de soins à domicile / Ceux qui sont trop jeunes pour gérer le stress de Maman / Celui qui a mal partout et s’en fout / Celle qui draine ses humeurs en lisant Scoop d’Evelyn Waugh / Ceux qui ne se font pas à l’idée d’être amputés avant Nouvel-An / Celui qui se dit qu’après tout les apôtres aussi faisaient du jogging sans le savoir / Celui qui se rêve une autre vie à Florence au Quattrocento mais si possible dans une famille d’artistes et si possible épargné par la peste enfin si ce n’est pas trop demander / Celui qui estime que la vraie modernité diffuse une lumière à la Rembrandt / Celle qui en a chié le plus en écrivant son livre le plus drôle / Ceux qui écrivent des poèmes « sur » la nature sans savoir distinguer un tremble d’un charme / Celui qui descend régulièrement à Venise juste pour voir deux trois tableaux au Musée Correr / Celle qui développe une vision panoptique du monde mondialisé qu’elle observe sur Facebook du rebord de son canapé de cuir de Russie et tout en sifflant des Limoncelli / Ceux dont la fureur d’acheter évoque une façon de pillage / Celui que retient la lecture des vieux murs y compris celle des vieilles usines / Celle qui ouvre les coffres de sa mère pour en humer l’odeur de jamais plus / Ceux qui parlent de Dieu et de sexualité sur le même ton de confidence décontractée somme toute assez dégoûtante / Celui qui se rince l’œil dans l’eau du bidet comme c’est la mode il paraît / Celle qui lit le dernier d’Ormesson dans son bain et tombe sur cette phrase comme quoi « le premier personnage du roman de l’univers fait son entrée assez tard : c’est la vie », puis constate que l’eau a vachement refroidi donc elle rajoute du chaud en se disant in petto qu’elle n’avait jamais pensé que la vie fût venue si tard alors qu’elle-même n’était pas née / Ceux qui sont venus à la psychanalyse comme d’autres à la chasteté / Celui qui se dit dans le vent comme le dirait une feuille morte / Celle qui boite pour se faire remarquer des fumeurs de cigarillos / Ceux qui fument ensemble sur le trottoir avec l’air de conspirer, etc.
    Image : Philip Seelen.

  • La patate de Janicot

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    Du mieux-être en lisant peut-être...

    On se demande pour commencer à quoi rime un tel ouvrage, dont le principe semble rabaisser la littérature à la fonction la plus utilitaire d’aspirine en cas de migraine ou d’emplâtre sur fond de gangrène. Puis, à supposer qu’on s’y plonge en dépit de sa mise en page à pictogrammes singeant les manuels de vulgarisation les plus bas de gamme, un intérêt croissant se dégage à sa lecture. C’est que Stéphanie Janicot a trouvé un ton, à la fois cordial et léger, qui lui permet de faufiler ses impressions de lecture (car elle a lu, ça c’est sûr) en jouant l’infirmière incongrue. Il faut en effet du toupet pour conseiller, à la lectrice se trouvant insuffisamment intelligente, de lire L’Idiot de Dostoïevsi, qu’elle raconte dans la foulée, avant de proposer Le bruit et la fureur de Faulkner en cas de rechute…

    Que lire si votre mari vous trompe, ou si vous êtes jaloux, frigide, trop belle ou trop moche ? Raconter Madame Bovary à celui qui n’aime pas lire, ou conseiller Illusions perdues à votre collègue souffrant d’arrivisme, Orlando de Virginia Woolf à celle qui se croit homo sans en être sûre, ou La storia de Morante à une femme élevant seule son enfant, relève finalement d’une thérapie rusée, voire bénéfique. Allez, vous êtes boulimique ? Lisez donc Confessions d’une grosse patate et n’en parlons plus !

    Stéphanie Janicot, 100 romans de première urgence pour (presque) tout soigner. Albin Michel, 226p.

  • Un décadent « al dente »

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    En lisant Les paroles de Billie Jean de Frank Deroche
    C’est un sujet bien singulier que Frank Deroche, pourrait-on dire comme d’un cheval, et tout autant du protagoniste de son troisième roman, son double enfui de Neuchâtel et flanqué d’un personnage à transformations répondant aux prénoms de Sandro et Sandra. Avec la présence irradiante de la chienne Airelle et l’enseigne lumineuse, toute proche, de l’Extreme Sex Center, la tonalité de ce roman aimablement décadent (genre prisé de l’auteur qui y a consacré sa thèse universitaire) est indiquée, lequel roman épate par la découpe de ses phrases et l’univers à la fois déjanté et cohérent que l’auteur construit comme une espèce de délire faussement psychanalytique, dont la pauvre Elisabeth Roudinesco fait d’ailleurs les frais, raillée dans la foulée.
    Auteur mondialement inconnu de La Femelle mystérieuse, le protagoniste est un vieil enfant orphelin (père et mère défuntés comme dans une série B) auquel Billie Jean, sortie d’une chanson de Michael Jackson, impute l’éventuelle paternité du jeune Kelly, en lequel il regimbe à voir un fils selon son goût. Celui-ci le porte plutôt à jouer les prolongations de ses rêveries d’amateur de poulains appaloosas et de galets de Lugano (fameuse gâterie chocolatière), fou surtout de fines phrases. Celles-ci font d’ailleurs le prix et la saveur de ce livre aux formulations souvent irrésistibles, à goûter sans se demander à quoi il rime…
    Les paroles de Billie Jean, de Frank Deroche
    Editions du Rocher, 142p.

  • Désamour à répétition

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     Emmanuel Pons persiste et signe…

    Entré en littérature avec un premier roman d’une cinglante élégance, intitulé Je viens de tuer ma femme, Emmanuel Pons persiste et signe dans le genre acide avec une nouvelle horreur dédiée à sa mère dont il précise gentiment qu’elle « n’est pas celle de ce roman ». A celle-ci, sur son lit de mort, le narrateur balance illico ses premières vacheries, qu’il ne tarde à justifier en brossant un début de portrait de la défuntée pas vraiment avenant. « Ma mère est morte, L’autre bonne nouvelle, c’est qu’elle est morte riche », lit-on avant d’apprendre que, déjà, l’orphelin ravi songe à la Ferrari qu’il va se payer avec l’héritage, que sa femme Madeleine fraîchement enceinte se réjouit de partager avec lui. Bel avenir que six millions d’euros de viatique et un petit garçon à cajoler quand on n’a pas eu droit au moindre câlin de sa garce de mère… Hélas, huit ans plus tard, l’on ne saurait dire que cette mise a vraiment fructifié. Plus précisément, et c’est en somme très moral tout ça : le pauvre Patrick, observé par sa moitié dont les soupirs ponctuent le récit en contrepoint, loin de se libérer de l’emprise de sa mère haïe, s’est enfoncé dans le stress de la gestion de sa fortune et se comporte en aussi mauvais père, avec son affreux rejeton, que sa mère l’a été.

    Tout cela pas joli-joli, mais diablement enlevé…

    1255827310.JPGEmmanuel Pons. Ma mère, à l’origine. Arléa, 131p.

  • Le volcan et la Sixtine

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    Nouvelle traduction du chef-d’œuvre de Malcolm Lowry

    Le livre « culte » de Malcolm Lowry, dont la composition connut des tribulations aussi épiques (de perte du manuscrit en incendie funeste) que sa traduction, a rassemblé, à travers les années et les générations de lecteurs, une manière de société secrète évoquée par le critique et éditeur Maurice Nadeau, qui en défendit la première version française de Clarisse Francillon avec une vaillance rapportée à l’ensemble de l’œuvre du grand écrivain anglais.
    Comme on l’a vu pour les nouvelles traductions de Dostoïevski signées André Markowicz, la présente version de Sous le volcan (après Au-dessous du volcan, qui nous semblait plus évocateur…) nous propose bien plus qu’un lifting : une véritable refonte qui va « vers le français », au dam des obscurités et des tremblements envoûtants qui faisaient le charme hirsute de ce qu’on a dit une « Divine comédie ivre », mais au profit d’une plus grande fluidité et d’une meilleure intelligibilité. Autant dire que Jacques Darras, qui signe également la très remarquable préface, fait le chemin inverse d’un Markowicz remontant à la source parfois brute (voire brutale) du russe, sans donner pour autant dans l’altération des « belles infidèles » du début du XXe siècle. Entre les deux livres notre cœur balance, comme entre l’ancienne et la nouvelle Sixtine... Reste que c’est par Darras que le lecteur de 2001 trouvera le meilleur accès au labyrinthe de ce chef-d’œuvre crypté.
    Sous le volcan, de Malcolm Lowry, nouvelle traduction de Jacques Darras.
    Grasset, Les Cahiers Rouges, 549p.

  • Charme et style de Sagan

     f0e059f0cbcde2fff4f11a702d838800.jpgC’est un livre absolument goûteux, vivant et chaleureux, que Sagan à toute allure, approche biographique joyeusement désordonnée de Françoise Sagan par Marie-Dominique Lelièvre. S’y déploie un portrait kaléidoscopique remarquable de la femme-enfant propulsée au pinacle de la gloire littéraire dès son premier roman (Bonjour tristesse, en 1954), dont on peut rappeler qu'il fut adoubé par les plus éminents auteurs et critiques de l'époque (de Paulhan à Nadeau, ou d'Arland à Chardonne, Mauriac ou De Fallois). En outre, la traversée de l’œuvre, nourrie par une lecture pertinente, se mêle à une chronique très documentée de la vie de patachon menée par Sagan dont nous découvrons pas mal d’aspects du caractère (à dominante bon enfant désarmant) et de la vie, entre sauteries et retraites d’écriture, fêtes et déprimes ou défonces. Françoise Quoirez (née en 1935) y apparaît en garçonne craquante (quasiment un play-boy…) aussi douée que fragile, de mœurs très libres, incapable de vivre ou de dormir seule (elle a mis autant de belles dames dans son lit, dont Ava Gardner, que de beaux mecs, sans compter ses deux maris), buvant sec, claquant son fric au casino ou en boîte et plus encore à sniffer, sans que ce tourbillon d’inconduite ne laisse la moindre trace dans le style de la romancière, disciple bohème de Stendhal à l’art concis et fluide, d’une musicalité sans faille, cousine vieille France de Scott Fitzgerald avec sa fêlure à elle.

    Marie-Dominique Leliève, qui écrit avec bonheur elle aussi, a multiplié les rencontres de gens qui ont aimé Sagan, de Florence Malraux à Bernard Franck, entre cinquante autres, dont les témoignages dégagent une tendresse irrépressible pour cet androgyne ludionesque qui fut aussi, et surtout, un écrivain de classe, c'est à savoir classique et classieux, pas encore pour classes terminales mais qui vivra verra... 

    Sagan à toute allure, de Marie-Dominique Lelièvre. Denoël, 343p.

  • Toute honte savourée

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    Passé de la gauche (il fut secrétaire des Temps Modernes), à la droite anarchisante, Jean Cau (1925-1993) laisse une œuvre considérable de romancier (La pitié de Dieu, Goncourt 1961), de nouvelliste élégant et d’essayiste stylé aux positions réactionnaire qui lui valurent une aussi mauvaise réputation qu’à son ami Jean Dutourd. Or celui-ci, académicien jovial, eut l’idée, à la fin des années 1980, de l’inciter à se présenter à son tour à l’Académie française, ce qu’il entreprit à son corps plus ou moins défendant, avec la cuisante obligation, en cas de vote favorable, d’avoir à prononcer l’éloge d’Edgar Faure, qu’il dit « ce Fregoli cuit et recuit, mariné et faisandé, décomposé et recomposé dans toutes les sauces de trois républiques »… Si cette corvée lui fut épargnée, le bretteur ne considéra pas moins, post coïtum interruptus, sa requête, repoussée par quinze voix contre quatorze, comme une action basse de sa part, une tache qu’il s’est donné pour tâche de laver en racontant cette « farce ».
    On ne lui fera pas le procès trop facile du mauvais perdant se dédouanant : ce petit récit de ses visites, paru à titre posthume, nous vaut en effet quelques propos et autres portraits aussi peu académiques qu’improbablement voués à l’immortalité - à tout le moins piquants.
    Jean Cau. Le Candidat. (préface d’Alain Delon tel qu'en lui-même modeste et pompon).
    Editions Xenia, 96p.

  • Le mentir créateur

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    Cendrars à l’oral.

    Est-ce quand il mentait le plus que Cendrars était le plus vrai ? Ce serait trop facile de l’affirmer, surtout en un temps de grand déballage où l’on se figure que le vrai se réduit aux « révélations » avérées par les faits. Si Sauser devint une légende poétique dès le choix de son pseudonyme, c’est tout au long de sa vie, en écho à l’épopée de son œuvre, qu’il n’a cessé de développer les enluminures de ses Riches Heures, jusque dans les journaux l’interrogeant ou les micros se tendant vers sa gueule de pirate.
    Ainsi que l’explique Claude Leroy, éditeur des nouvelles Œuvres complètes (« Tout autour d’aujourd’hui » en 15 volumes, chez Denoël), c’est après la Deuxième Guerre mondiale que le personnage de Cendrars se hausse au niveau d’une véritable légende vivante, jouant son personnage jusqu’à se parodier lui-même. Du mitan des années 1920 où il voit l’avenir de l’homme blanc en Amérique du sud, au lancement du premier spoutnik où sa carcasse le torture méchamment, voici, après les fameux entretiens avec Michel Manoll, une trentaine d’interviews ou de portraits plus ou moins fouillés, dont quelques vrais bijoux signés Parinaud, Labro (son premier papier !) ou Lapouge, notamment. Presque que du mentir vrai !
    Rencontres avec Blaise Cendrars (1925-1959), textes établis par Claude Leroy. Editions Non Lieu, 302p.

  • Bleu blanc blues

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    En lisant Comment va la douleur ? de Pascal Garnier

    Une belle journée bleue, une bonne journée froide et blanche sous la neige, un dimanche de ciel bleu à base blanche de neige sans macule est un bon jour pour faire semblant de se suicider à la corde à sauter.
    C’est comme ça que commence Comment va la douleur ? de Pascal Garnier : comme un dernier dimanche avant de se pendre ou de se faire sauter le caisson, juste un jour pour lire un livre délicieux, se faire deux amis et les laisser ensuite à leur petite affaire. D’abord la mère du plus jeune s’inquiète un peu, entre deux coups de Négrita, du fait que le plus vieux, Simon, de passage dans cette ville d’eaux, s’intéresse de près à Bernard, son rejeton utile à son entretien, se demandant si ce n’est pas un pédé ? Mais sitôt informé de l’inquiétude de la mère de son nouvel ami, qui a été modiste avant d’être voyante, Simon Marechall se pointe chez elle et l’assure qu’il ne veut de son fils qu’un service rémunéré de chauffeur pour le conduire à Cap d’Agde, et pas de son cul, ce qui d'ailleurs ne change rien à rien.
    C’est donc près de la mer et des bungalows de béton, loin de la neige et des six sources de Vals-les-Bains (la Constantine, la Précieuse, la Dominique, la Désirée, la Rigolette et la Camuse), plus trois autres (la Saint-Jean, la Favorite et la Béatrix) que va se passer ce roman triste et gai, qui rappelle un peu la gaieté triste de Calet avec la cocasserie de Calet & Vialatte réunis, sans que cela cesse d’être irrésistiblement original, noir comme la neige d’un dimanche et bleu comme la douleur quand le noir est une couleur…
    Pascal Garnier. Comment va la douleur ? Zulma, 203p.

  • La question humaine

    0dc1351ecae6aaa2e59d2cc14394a954.jpgRetour sur un roman de François Emmanuel, adapté au cinéma
    On se rappelle l’effroi que suscitèrent les attitudes et les propos d’Eichmann lors de son procès : au lieu de la bête immonde présumée, le personnage apparut sous les traits d’un blême bureaucrate qui affirmait n’avoir jamais fait qu’obéir aux autres et aux consignes techniques de rigueur. Celles-ci dirigent également le psychologue spécialisé en ressources humaines qui raconte, dans La question humaine, comment il a été amené à enquêter sur la dégradation des facultés mentales du directeur de la firme d’origine allemande qui l’emploie. Sous prétexte de « restructuration », il travaille lui aussi dans la « sélection » et l’ « évacuation », et le fait est que le vocabulaire de son investigation entre en consonance de plus en plus troublante avec celui des exécuteurs de la Solution finale.
    Sans comparer l’incomparable, François Emmanuel n’en montre pas moins que certains termes « propres » du langage technique illustrent la même façon expéditive de résoudre liquidation de masse ou gestion du personnel… Or, loin de s’en tenir à une démonstration, le romancier incarne ses observations de telle façon que l’on se sent piégé au même titre que ses personnages.

    François Emmanuel, La question humaine. Stock, 2000. Réédité en poche. Adapté au cinéma en 2007 par Nicolas Klotz.

  • Faulkner à la trace

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    William Faulkner. Une vie en romans, par André Bleikasten

    « Il y a une énigme Faulkner », écrit André Bleikasten, qui connaît pourtant son œuvre comme sa poche puisqu’il fut l’un de ses éditeurs dans la collection La Pléiade. Ce qu’il entend alors touche plutôt l’homme et les personnages publics qu’il a joués, avec pas mal de légendes forgées de toutes pièces. Mais en savoir plus sur les tenants de son alcoolisme effréné (pas du tout inventé) et les aboutissants d’un mariage immédiatement désastreux nous en apprendra-t-il beaucoup sur l’univers de l’un des plus grands romanciers du XXe siècle ? Ce que révèle en tout cas ce formidable bouquin, qui nous fait rencontrer l’homme à travers les masques superposés de ses personnages, d’un roman à l’autre, c’est la cohésion secrète et l’osmose constante entre l’univers romanesque de Faulkner et sa propre vie, laquelle ne donne pas pour autant la clef de l’œuvre.  Une biographie est l’histoire d’une écriture, affirmait Nabokov, mais nous voyons également, ici, le sieur Billy, mal vu de ses concitoyens, « inventer » le Vieux Sud et déployer une inoubliable frise de personnages aussi « réels » que lui-même. Du premier scandale de Sanctuaire au prix Nobel, en passant par le cinéma et une vingtaine de romans passés au peigne fin, cette traversée de la planète Faulkner fera date.     

    05937696865c377c624ec8e57322d074.jpgEditions aden, coll. Le cercle des poètes disparus. 728p.

    Deux autres biographies à lire « en miroir », s’agissant de deux grands poètes contemporains qui partagèrent leur vie, leurs tribulations et une part de leur univers intérieur, viennent également de paraître dans cette collection de qualité supérieure, consacrées respectivement à Sylvia Plath et Ted Hughes.

     

  • Les faits avant la fiction

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    Après le retour en beauté de l’inspecteur Bosch, dans le récent Echopark, ce recueil des chroniques judiciaires publiées par Michael Connelly entre 1984 et 1992 dans le South Florida Sun-Sentinel et le Los Angeles Times est une bonne illustration des sources d’une œuvre à la fois pétrie de drames humains et soumise à la rigueur de l’observation autant qu’à l’effort de compréhension du chroniqueur, en lequel Michael Carlson, dans sa postface, voit essentiellement un « reporter » plus qu’un journaliste d’investigation.  «Avoir de l’empathie, ce n’est pas s’identifier », précise-t-il avant de noter que « Connelly est reporter et réussit à maintenir la distance du journaliste entre lui et ses sujets, ce qui lui permet de voir le tableau général du monde dans lequel ils vivent ».   Rien d’un voyeur à sensation chez ce témoin de l’horreur, qui raconte dans un éclairant avant-propos comment, à seize ans, il a été mêlé pour la première fois à une affaire criminelle irrésolue, à partir de laquelle il devint « accro » aux faits divers violents puis aux romans à la Chandler. « C’est pour les tragédies et les calamités que vit le journaliste », précise Connelly avant d’y plonger le lecteur, non sans ajouter avec une noire ironie : « Nos pires journées sont les meilleures…
    Michael Connelly. Chroniques du crime ; 23 histoires vraies. Points Seuil, 325p.
  • La drague mode d’emploi

    .  dd7d1c9e36fae2d58b1c0cfb4a122d00.jpg« C’est surtout dans les théâtres que tu dois te mettre en chasse : ce sont les terrains les plus giboyeux. Tu y  trouveras tout ce que tu cherches : de quoi aimer ou de quoi t’amuser, la passade d’un jour ou une histoire sérieuse ».

    Le conseil n’est pas d’un maître-dragueur contemporain mais d’un certain Ovide, au début de L’Art d’aimer, s’adressant aux jeunes Romains en quête de bagatelle ou plus sérieux si affinités. Or vingt siècles plus tard, la tactique consistant pour le jouvenceau à s’asseoir près de la jouvencelle, au théâtre ou au cinéma, et de la serrer « flanc à flanc », a moins changé que le vocabulaire, puisque la « drague », explique Jean-Claude Bologne, est « indissociable des années 1950-1970 » et « ne peut se comprendre sans la pilule, la mixité dans les lycées, les congés payés, la libération sexuelle, l’émancipation de la femme ». Cela précisé, qu’on « alourde » ou qu’on « gale » avant de « coqueter » ou de «flirter », la saga  de la séduction est vieille comme le désir et ses épisodes en disent long sur l’évolution des mœurs même s’il y a encore du prédateur à massue chez le mâle du XXIe siècle. Or   cette Histoire de la conquête amoureuse  a elle aussi de quoi séduire, mêlant érudition joyeuse et récit à la coule.

    Jean-Claude Bologne. Histoire de la Conquête amoureuse de l’Antiquité à nos jours

    Seuil, 385p 

     

  • Compères à cran

    92557023f6eefe25b861062bcde7fa0f.jpg4d1e4c9389abfeeec76c3c6af98f9aa7.jpgBernard Delvaille

     rapproche

     Cendrars et Cingria
    .

    Contrairement à ce que pensait un Nicolas Bouvier, qui disait regretter que Cendrars et Cingria ne se fussent point connus en chair et en os, tant cette rencontre eût été selon lui magnifique, les deux grands écrivains se sont bel et bien fréquentés et appréciés avant de se fâcher, comme souvent les créateurs de très forte trempe, et de se lancer mutuellement des flèches assassines au fil de phrases d’anthologie.
    Cette brouille fameuse, située « dans les années 40 » et qui semble découler initialement du peu de reconnaissance manifestée par Cendrars à l’égard des textes de Cingria, taxé de « pauvre et génial raté », n’est qu’un des objets d’intérêt de ce petit livre sagace de Bernard Delvaille, qui a le premier mérite de rendre justice à chacun des deux compères tout en distinguant précisément ce qui les apparente (un rapport mystique au monde, le goût du voyage et l’art du conteur, entre autres) et ce qui les différencie à maints égards.
    Puisant aux bonnes sources, le poète et érudit mort à Venise un soir d’avril 2006 (auquel Gérard-Julien Salvy rend brièvement hommage en préface) emprunte notamment à Pierre-Olivier Walzer, qui a beaucoup fait pour la défense parallèle de Cendrars et de Cingria, les traits essentiels propres à celui-ci et à celui-là.

    Bernard Delvaille.Vies parallèles de Blaise Cendrars et de Charles-Albert Cingria. Les Portraits de la Bibliothèque, 79p

  • Un exorcisme amoureux

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    Le propre de la passion érotique tient à un lien de ronces, selon l’expression de Jouhandeau, qui blesse les amants en même temps qu’ils se surexcitent mutuellement, jusqu’à la destruction de l’un ou de l’autre.
    C’est ce processus à la fois délétère et obsessionnel que détaille Thierry Séchan dans cette longue nouvelle où l’on voit le narrateur, incapable d’échapper à la très belle et très voluptueuse, très égoïste, très perverse et très méchante Anne Vitas, sombrer dans l’alcool et la désespérance avant que des amis ne lui présentent une charmante Nathalie, de vingt ans sa cadette et qui l’aime aussi vite qu’il tombe amoureux d’elle. Mais comment se débarrasser de la très mauvaise Vitas qui n’en finit pas de squatter l’imagination du narrateur ?
    Il faudra l’intermédiaire d’un objet d’art hautement symbolique, mais ne disons pas lequel, pour cristalliser soudain la lucidité rédemptrice de l’amoureux gaga, tétanisé jusque-là par sa fascination.
    En peu de pages, mais électriques, Thierry Séchan donne ici une longue nouvelle plus percutante et pertinente que maints romans à la gomme étirés pour faire bon poids avant le pilon. Pour la route, le métro, le bord d e l’eau, la terrasse ou l’avion sur courte distance : une dégustation qui reste longtemps en bouche.
    Thierry Séchan. Vanitas, Editions du Rocher, 43p.

  • Harlem est un roman noir

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    Le Cycle de Cercueil et Fossoyeur en un volume
    « Pour jouer du jazz il faut avoir souffert », disait Lester Young, cité par Chester Himes à la fin de la préface polémique de ce recueil, intitulée Harlem ou le cancer de l’Amérique, et aux mots du saxophoniste fait écho le romancier qui affirmait: « écrire, c’est ma couleur»…
    Observateur mordant de la réalité à ras le pavé et de la misère humaine, Chester Himes (1909-1984) issu de famille bourgeoise et lui-même lettré, passa cependant par la délinquance et la prison avant de publier. Mal accueilli en Amérique, il devint célèbre en France avec ses polars « sociaux ». Nourri de Dostoïevski autant que de Chandler, Himes n’est certes pas un immense écrivain, mais son brio de conteur et sa verve critique n’ont rien perdu de leur vivacité, comme l’illustre ce volume rassemblant les huit romans du Cycle de Harlem dont les inspecteurs Cercueil et Cimetière sont les protagonistes légendaires. Ainsi retrouve-t-on La Reine des pommes, l’un de ses titres les plus connus, Il pleut des coups durs ou Retour en Afrique, dans une traduction entièrement révisée. En complément, une bio-bibliographie illustrée et nourrie éclaire le « roman » d’une vie déjà connu par les autobiographiques Regrets sans repentirs.
    Chester Himes. Cercueil et fossoyeur. Gallimard, Quarto, 1361p.

  • Un amour de livre

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    Lyonel Trouillot côté coeur

    Prosateur brassant la vie à pleines mains, écrivain notoirement engagé contre les avatars successifs de la dictature haïtienne, Lyonel Trouillot ne s’est jamais épanché en matière de sentiments, sauf ici et là, et qu’on ne s’attende pas non plus à une confession donjuanesque dans ce nouveau livre.

    Rien en effet de « conquérant » dans l’histoire émouvante et sans fioritures de l’écrivain repérant, à un colloque littéraire, une jeune fille qui va devenir, sans d’ailleurs s’en rendre compte, sa muse de quelques jours. « Sur les chemins étranges de l’amour », il remonte alors trente ans plus tôt à Port-au-Prince, entre tel bordel et telle pension qu’il hantait, lui l’Ecrivain, avec trois personnages  revivant ici sous les traits de Raoul, l’Etranger et l’Historien. Entre la déglingue alcoolique de celui-ci, l’Etranger ne rêvant que de partance et Raoul le militant solidaire, l’Ecrivain retrouve un creuset d’apprentissage de l’amour et du malheur, où apparaît également une Marguerite d’une inoubliable présence, libre et sensuelle en dépit de tout ce qu’elle a subi.

    L’amour ressuscité est ainsi mêlé de désir, toujours incandescent, mais aussi de chaleur et de partage amical entre quelques destins ressaisis avec autant de vigueur que de pénétrante sensibilité.

    af026f373a48e86efb14bc573792d49c.jpgLyonel Trouillot. L’amour avant que j’oublie. Actes Sud, 182p.

  • Chineur de beauté

    Les Bâtons de randonnées d’Yves Leclair

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    Passant d’une saison à l’autre au rythme des lunaisons, ce petit livre, à tenir près de soi ou à emporter, offre, au promeneur « autour de sa chambre » ou à l’arpenteur des sentes buissonnières, un viatique substantiel où savoir et saveur se combinent à tout moment. Douze chapitres modulent autant de « ragas », dans la tradition musicale indienne dont chaque séquence correspond à un sentiment ou un moment particuliers, amorcés ici par tel haïku de Taigi  au premier jour de l’an : « On les balaie/puis on les laisse/les feuilles mortes »…

    Yves Leclair, dont on a déjà compulsé le mémorable Manuel de contemplation en montagne (La Table ronde, 2005), est à la fois poète vagabond et grappilleur de pensées, merveilleusement présent au fil de son « inagenda » qui revendique « un bon emploi du temps perdu » en quête de tout l’extra-ordinaire que recèle l’ « ordinaire » des jours. 

    « En guise d’expérience intérieure, je hume, en passant des relents de soupe à la porte d’une maison : vapeurs de poireaux, de pommes de terre. L’esprit chaud des légumes, leurs senteurs, leurs sentiments m’émeuvent, sont mes bâtons d’encens ». Telle est sa « Chine pyrénéenne » à laquelle rien de ce qui est divinement humain n’est étranger.   

    Yves Leclair. Bâtons de randonnées. La Table Ronde, 158p.

  • La parole aux sans-mots

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    L’Adieu au Nord de Pascale Kramer

    Les mots ne disent qu’une partie de ce que nous ressentons, et souvent un regard ou un geste, un frémissement des traits du visage ou un mouvement du corps expriment bien plus, corrigent ou même contredisent ce qui est affirmé par la parole. On le voit à merveille dans le dernier film d’Ingmar Bergman, Saraband, où l’essentiel est exprimé en deça ou au-delà des mots, avec une incomparable porosité.
    Or il est certains écrivains qui, plus que d’autres, parviennent à ressaisir cette langue-geste ou cet infra-langage, comme il en va de la romancière Pascale Kramer, notamment dans ses trois derniers romans marquant, par ailleurs, une constante et remarquable progression. Entrée en littérature il y a une vingtaine d’années, et désormais établie à Paris, Pascale Kramer (née en 1961) a développé un univers très particulier, mélange de réalité triviale et d’âpre poésie, où des personnages souvent immatures se débattent maladroitement, incapables de formuler ce qu’ils ressentent. Très curieusement, ils « parlent » bel et bien au fil du récit, mais sans recours à aucun dialogue ni aucun discours indirect. Leurs expressions, leurs postures, leurs gestes, leurs attitudes, leurs réactions suffisent à « raconter » ce qu’ils vivent, un peu comme dans les « romans de l’homme » de Georges Simenon où le plus est suggéré avec le moins. On pense d’ailleurs au Coup-de-vague, mémorable roman de Simenon évoquant également la campagne marine, en lisant L’Adieu au Nord dont le décor, une cressonnière où s’activent quatre hommes plutôt rugueux, compte beaucoup dans l’atmosphère du roman, entre le ciel bas et l’eau liquide.
    Autour de la ferme de Jean, en couple solide avec Annie, se croisent trois hommes (Serge le plus dur, le trouble Sven et Alain qu’agite le désir de sexe et d’amour) et deux très jeunes filles soudées par une sorte de complicité agressive, Patricia la femme-enfant et Luce la sauvageonne qu’on dit « destinée au viol ». Mâles et femelles se reluquent. Une fille battue par son père se donnera peut-être par vengeance avec le même pressentiment d’un gâchis que le jeune homme qui la « saute » une première fois en rut pantelant, peu sûr de l’aimer vraiment et la suivant pourtant lorsqu’elle fuit en Irlande, pour un misérable séjour dont un enfant devrait naître à leur retour – dernière tuile ou rai de bonheur dans le noir couloir ? Et voilà se dit-on : c’est la vie, et peut-être bonne après tout ? Mais les mots hésitent à tout moment, entre les coups affolés de l’homme et les ruses de la mère portant en elle cette nouvelle vie, et l’irrémédiable redouté est-il si sûr ?
    Raconter L’adieu au Nord n’a guère de sens, qui nous touche par immersion sensible et nous hante longtemps après lecture. Tout semble très mal parti pour Alain et Patricia et pourtant la romancière nous les rend aussi proches, en leur fragilité criseuse, que tous les personnages de son théâtre émotionnel, dont le « sentiment de perdition » ne mène pas à la désespérance mais à une requalification sans pathos (et sans mots) de la simple vie.
    Pascale Kramer. L’adieu au nord. Mercure de France, 227p.

  • Un livre par jour

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    Ici je proposerai, un jour après l’autre, une nouvelle idée de lecture ou de relecture.

    En toute subjectivité, j’y présenterai tel ou tel livre qui vient de paraître ou tel autre qu’on m’a fait découvrir, comme souvent cela se passe.

    Pas plus tard qu’hier, ainsi, j’ai commencé de lire un livre que Pierre-Yves Borgeaud, rencontré au festival de Locarno à l’occasion de la présentation de Retour à Gorée, son superbe nouveau film (à découvrir absolument, ces jours, sur les écrans romands), m’avait recommandé chaleureusement : Au dos des images, de Luc Dardenne.

    Passionnant journal d’un des deux frangins cinéastes, tenu entre 2001 et 2005, ce livre contient également les scénarios de deux de leurs films récents : Le fils et L’enfant.

    Voilà ce que j’y ai relevé pour commencer, qui recoupe exactement mon propre sentiment général devant le cinéma d’aujourd’hui : « L’impression que beaucoup de films sont des mises en images et musique d’une mécanique dramatique de plus en plus triviale, platement évidente, sans ombre sinon celle calculée par le concepteur-gestionnaire afin de maintenir en alerte le consommateur ».

    S’il reste intraitable par rapport à cette tendance au « feuilleton universel », Luc Dardenne n’en répond pas moins aux grincheux qui prétendent que plus rien ne se fait dans le cinéma actuel - n’est-ce pas Freddy Buache, et n'est-ce pas Jean-Luc Godard  ?

    « De toute façon tout a déjà été fait et mieux que ce que nous pourrions jamais faire. Ils ont raison, ces anciens et nouveaux cinéastes qui annoncent la mort du cinéma, qui commentent son enterrement. Ils ont raison. Eh bien justement ! C’est parce qu’ils ont raison qu’ils nous poussent à les contredire, à croire, mon frère et moi, que nous pouvons encore filmer, inventer, faire quelque chose de nouveau. La camera oscura n’est pas une chambre mortuaire où veiller le corps du disparu. Objet perdu pour toujours ! Objet que jamais nous ne retrouverons ! On s’en fout ! Ne nous laissons pas prendre par leur mélancolie ! Recrachons la bile noire ! Que les morts enterrent les morts ! Vivre ! Vivre le cinéma qui vient ! A nous d’être à la hauteur »…

    On pourrait dire la même chose de la littérature actuelle, donnée pour morte et enterrée par d’aucuns. Que les morts enterrent les morts ! Vivre ! Vivre la littérature qui vient !

    Livre du jour : Luc Dardenne. Au dos de nos images 1991-2005. Seuil, la Librairie du XXe siècle, 322p.

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  • Nothomb nippon bis

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    Ni d’Eve ni d’Adam, le nouveau récit d’Amélie Nothomb, pourrait être dit la face claire de Stupeur et tremblements. De fait, il y est question, à la même époque où la jeune femme revint au Japon de son enfance pour s’y casser les dents sur l’Entreprise japonaise, d’une idylle qu’elle vécut avec un jeune Rinri, auquel elle entreprit d’enseigner notre langue.

    « Le moyen le plus efficace d’apprendre le japonais me parut d’enseigner le français » est d’ailleurs l’incipit de cet assez épatant récit autobiographique promis, n’en doutons pas, au même succès que celui de Stupeur et tremblements. Le ton en est en effet d’une vivacité renouvelée, les observations sur le Japon et les Japonais sont à la fois pertinentes et souvent drôles, et puis cette histoire d’amour entre deux jeunes gens et deux cultures est d’une fraîcheur cocasse, tendre et vaguement sardonique, où apparaît une nouvelle facette « privée » de cette chère Amélie qui aime volontiers mais sans se laisser prendre au piège du sentimentalisme peu japonais (croit-on) du jeune Rinri pleurant depuis sa tendre enfance de mal s’adapter à la compétition militaire de ses parents et collatéraux, impatient en outre d’épouser l’intelligente Belge. Dans la foulée, nous rencontrons les aïeux dudit Rinri, vieillards dont la loufoquerie infantile semble caractéristique du retour du refoulé chez les tout vieux Nippons. Tout cela pourrait n’être qu’un sémillant jabotage, et pourtant il y a toujours de la bonne substance à recueillir dans les livres d’Amélie Nothomb, même s’ils nous laissent presque à tout coup sur une petite faim à compenser au sushi voisin.

     

    Le livre du jour : Amélie Nothomb, Ni d’Eve ni d’Adam. Albin Michel, 244p.