En lisant Comme la neige sur les Alpes, premier poème de D'après nature de W.G. Sebald
Il s’agit de quelqu’un qui sent en lui cohabiter Hitler et le Christ. Plus exactement il peint « les cris, les vociférations, les gargouillements, les chuintements d’un spectacle pathologique, dont son art et lui-même, il le savait bien, faisaient partie.
Ainsi continue le poème :
« La posture de panique
visible dans toutes les figures
de l’œuvre de Grünewald, la tête renversée
qui dégage la gorge et souvent expose le visage
a une lumière aveuglante,
est la manière paroxystique qu’ont les corps de dire que
la nature ne connaît pas d’équilibre,
mais enchaîne à l’aveuglette
les expériences brutes,
et comme un bricoleur insensé
démantèle ce qu’elle vient à peine de créer. »
et plus loin ceci encore :
« L’oiseau noir qui dans son bec
apporte sa collation à saint
Antoine dans son coin de désert
est peut-être celui au cœur de verre
qui depuis toujours
vole vers nous,
celui dont un autre saint homme
des derniers jours annonce
qu’il chiera dans la mer,
laquelle se mettra à bouillir et s’asséchera,
et la terre tremblera et la grande cité
à la tour de fer sera en flammes
et le pape sera dans une barque
et les ténèbres se feront et
là où le coffret noir tombera,
une poussière grise et jaune
recouvrira le pays. »
Ainsi roule le poème, dont la première pierre est un visage inconnu, le tien, le mien, celui de Grünewald ou celui de son ami peut-être amant Mathis Nithart, roulant d’un tableau l’autre, tantôt à petite moustache et tantôt auréolé, tout l’homme remplissant finalement le retable.
Un certain jour de mai cinq mille paysans, hutus ou tutsis tudesques, se firent massacrer « dans l’étrange bataille de Frankenhausen », après quoi, ayant appris la nouvelle, Grünewald ne sortit plus de chez lui.
« Mais il entendit le bruit des yeuxQu’encore longtemps on continua de crever
Entre le lac de Constance
Et la forêt de Thuringe.
Des semaines durant, en ces temps-là,
Il porta un bandeau noir
Sur le visage ».
Or comment ne pas penser, à ce moment de scruter le temps, à Hölderlin se retirant du monde ?
W.G. Sebald. D’après nature. Traduit (admirablement) de l’allemand par Sibylle Muller et patrick Charbonneau. Actes Sud, 88p.