UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Carnets de JLK - Page 183

  • Un jardin à Bagdad

    f2d1afdde9484a4dfcdd2c1c4414e890.jpg
    Par Elisabeth HOREM

    8 mai 2005
    - Me revoici à Bagdad après une absence de cinquante jours exactement. Mon père est mort le 9 avril – cela fera un mois demain – ce qui demanderait tout de même bien des pages à écrire, pages que je n’ai pas pu écrire sur le moment, si bien que j’ai toujours l’impression de courir après le temps perdu et d’écrire en retard sur ce qui est déjà passé.
    Ce matin, pour la première fois depuis l’automne dernier, j’ai renoué avec la douce habitude de nager dans la piscine sous l’œil indiscret du chat blanc qui a l’air très heureux de m’avoir retrouvée. Au-dessus de la piscine, un moineau pépie avec entrain, perché sur les barbelés.
    L’autre jour onze voitures ont explosé dans Bagdad. Tout cela est très décevant parce que dans la période qui a suivi les élections la situation paraissait s’améliorer, on avait l’impression que tout cela se calmait, il se passait parfois plusieurs jours sans que l’Irak fasse la une des journaux. Et puis voilà, c’est reparti.
    J’ai quitté Bagdad le 18 mars. Au moment de mon départ, il y avait eu des mesures de sécurité exceptionnelles. Pour arriver à l’aéroport on ne nous a pas autorisés, comme c’était le cas d’habitude, à emprunter la voie prioritaire « DOD » (« Department of Defense ») et nous avons attendu quarante minutes au check-point. Cette nouvelle manière de traiter les diplomates étrangers a soulevé des tempêtes de protestations. Mais à ce jour je ne sais si l’avalanche de notes diplomatiques tombée sur les bureaux américains a eu un quelconque effet (il semble que non). C’est dans ce genre de circonstances (l’attente à ce check-point) que deux civils ont été tués récemment, dont une Française. Il faudra bien mourir un jour, mais j’aimerais que ce soit moins bêtement. (…)

    11 mai 2005 - À onze heures hier une voiture piégée a explosé près de l’hôtel Babel : on voyait de chez nous la colonne de fumée noire… Encore une explosion vers quatre heures – et d’autres que je n’ai pas entendues. Paradoxalement M. n’est jamais tant sorti qu’en ce moment et il voit beaucoup de monde. (…)
    14 mai 2005 - Je ne suis pas allée au mariage de C., puisque je suis en deuil, je préférais d’ailleurs rester dans la maison vide, fraîche, silencieuse – mis à part la vibration des climatiseurs –, ou bien comme maintenant dans le jardin, me rafraîchissant dans la piscine, me réchauffant dehors, à écrire dans l’ombre chaude parcourue de vols de mouches, jusqu’à ce que le besoin de me rafraîchir à nouveau me pousse à faire quelques brasses. L’eau est bonne, douce à la nage. Une demi-lune translucide achève de fondre dans le bleu du ciel. Les rasoirs des barbelés miroitent gaiement dans le soleil. Des oiseaux s’y posent, chantent et s’accouplent, le bec ouvert, comme stupéfaits.
    Dans le salon une magnifique gerbe de fleurs jaunes et blanches meurt doucement en dégageant une croissante odeur de terre : elle était destinée à Jaafari qui se trouvait absent et dont les hommes de sécurité ont refusé le présent parce qu’il pouvait être piégé. J’en ai donc hérité.
    Et puis des histoires comme celle-ci : des policiers irakiens ont repéré à temps un type enchaîné au volant de sa voiture. Ils l’ont abattu sans sommation : la voiture était effectivement bourrée d’explosifs (et se trouvait à moins de dix mètres de celle d’un ambassadeur étranger).
    […]
    22 mai 2005 - Une ébauche de vie sociale semble reprendre, et pourtant… Il paraît que dans les deux dernières semaines il y a eu plus de voitures piégées que dans l’année écoulée. À part une voiture qui a explosé près de l’hôtel Babel, je n’entends rien, c’est étrange, si je ne savais pas ce qui se passe je pourrais croire que tout est tranquille.
    Hier vers six heures, nous avons eu la bonne surprise de voir réapparaître Samir Peter, plus revu depuis janvier. Il a passé tout ce temps-là en Europe et aux USA. Il a donné un concert à Beauvais. Il était à Londres chez son ami Sean, le journaliste de la BBC qui a tourné « The Liberace of Baghdad ». Puis Salt Lake City, le Sundance Festival, le Prix, les paillettes, les journalistes, les femmes, la gloire ! Il a dépensé tout ce qu’il a gagné, ne gardant pour rentrer à Bagdad que de quoi s’acheter une voiture. Et maintenant le voilà de retour, ayant laissé passer l’occasion de se marier une énième fois, le regrettant, nous expliquant qu’il ne pouvait laisser sa fille seule dans leur maison à Bagdad avec pour unique protection un revolver à la ceinture toute la journée. Alors, comme il aime sa fille, il est rentré. Mais il ne joue plus au Hamra. D’ailleurs plus personne n’y vient, il n’y a plus qu’un serveur et une ou deux tables mises (les jours d’affluence) : tous les clients de l’hôtel, terrorisés, prennent leurs repas dans leur chambre… Et lui aussi est terrifié, il ne sort presque plus, il a peur d’être tué parce qu’il est pianiste, ou parce qu’il porte un catogan, ou parce qu’on voudrait lui voler sa voiture, ou parce qu’il aurait eu le malheur de rencontrer des Américains d’un peu trop près. Il est très affligé par la mort d’une jeune femme qui habitait au Hamra et faisait son jogging avec lui tous les matins. Son chauffeur avait commis l’imprudence de suivre un Humvee d’un peu trop près. Une voiture bourrée d’explosifs est venue se jeter entre le Humvee et leur voiture. Ils sont morts tous les deux – et peut-être quelques Américains. Elle avait vingt-trois ans. Il a perdu beaucoup de connaissances ou d’amis ces derniers mois, et dans plusieurs cas ces amis ont été abattus par des Américains parce qu’ils s’étaient approchés trop près d’eux.
    Ce matin j’ai nagé, l’eau était délicieuse, le ciel est redevenu plus pur. Plus trace de vent de sable.

    23 mai 2005 - Hier le cinéaste Saad Salman nous a invités à déjeuner au Club Alwiyyah, juste à côté de l’hôtel Palestine. Il nous avait fait préparer une belle table tout près d’une fenêtre mais nos hommes n’ont pas été d’accord : en cas de bombe, nous aurions reçu des éclats de verre. On a donc fait préparer une autre table dans le fond de la salle, près d’un mur. Ralph, Brett et Erik étaient assis devant un verre d’eau à la table voisine. Paul et Charlie se promenaient dans le hall, le nez en l’air et l’air de rien…
    L’oncle de Mona, un camionneur, a été kidnappé près de Ramadi. Le beau-père d’Aref a été menacé d’enlèvement s’il ne payait pas trente mille dollars (il en a payé mille cinq cents sans savoir qui se cache derrière ces menaces ni quelle garantie ces mille cinq cents dollars lui donnent). Ces derniers jours ce ne sont plus tant les voitures piégées mais plutôt les assassinats, les massacres, les corps décapités...
    Hier, en traversant la ville pour aller au club Alwiyyah, je me suis rendu compte qu’il y avait bien longtemps que je ne m’étais trouvée à rouler dans Bagdad. Et on regarde à travers l’épaisseur des vitres comme on regarderait un écran sur lequel défileraient des villas couleur de terre, des palmiers, des boutiques. Sachant tout ce qui se passe dans cette ville on pose sur tout cela un regard plus aiguisé, comme si chaque coin de rue recelait une charge d’explosifs – sans éprouver pour autant de la peur à proprement parler.
    Dans une rue j’ai repéré, sur un rempart de sacs de sable, une théière et un pot de miel. J’aurais voulu pouvoir photographier ça : cette théière sur les sacs de sable, image d’une vie quotidienne qui s’aménage à côté du maniement des armes lui aussi quotidien, ou comment on s’accommode de la violence. Images de soirées de bivouac, la bouilloire dans les braises, quand on raconte des histoires, le fusil sur les genoux.

    24 mai 2005 - Eh bien non, la saison des vents de sable n’est pas terminée. Ce matin le temps était couvert, lourd. Trente degrés à l’ombre. Je me suis réveillée bien reposée parce que M. avait providentiellement oublié de faire sonner le réveil. Nous nous couchons trop tard : comment aller se coucher quand on est si bien dans le jardin, à boire du vin en discutant sous la lune bientôt pleine ? Hier soir le dîner a été momentanément interrompu par quelques coups de feu vraiment proches qui ont fait jaillir de chez eux nos hommes, arme au poing. Et puis non, rien : toujours ces gardes (louches décidément) de la maison qui se trouve de l’autre côté de celle du voisin.

    26 mai 2005 - Le bain du matin, chaque jour plus longtemps, c’est comme si on se roulait dans la soie…
    Dans Cent jours sans, recueil de textes en hommage à Florence Aubenas, toujours otage, j’ai relevé dans au moins deux textes que les ravisseurs « s’étaient trompés de cible », cette formule détestable qu’on entend et lit trop souvent chez nous. « Trompés de cible » ! Est-ce que les gens qui disent ou écrivent des choses pareilles se rendent bien compte de ce que cela veut dire ? Est-ce qu’ils se rendent compte que cela sous-entend que « la cible » est ailleurs, et donc qu’il y a effectivement une cible ? Ne tirez pas sur nous gentils Français innocents, complaisants, tournez plutôt vos fusils vers ceux qui le méritent plus que nous ! Il n’y a pas de bonne cible dans ce contexte, il n’y a pas de cible du tout. Je ne vais pas passer mon temps à écrire des lettres (j’en ai déjà écrit une cette semaine à un écrivain – et non des moindres – qui avançait, dans ce même recueil, que Florence Aubenas était la « sœur » de ses ravisseurs), mais ces deux auteurs auraient mérité eux aussi que quelqu’un leur écrive pour leur faire mettre le doigt sur ce que leur façon de s’exprimer a d’indécent.

    29 mai 2005 - Aujourd’hui on vote en France. Pour ou contre la Constitution européenne. L’Europe semble bien loin vue d’ici.
    Des rumeurs délirantes circulent en ce moment : les Américains auraient le projet de construire un grand mur autour de Bagdad pour contrôler les entrées et les sorties (auquel cas il y aurait sûrement des experts israéliens prêts à les faire profiter de leur savoir-faire en la matière). Et encore une autre rumeur, persistante, selon laquelle dans les semaines à venir, la ville sera bouclée et fouillée quartier par quartier. On dit aussi qu’il se prépare un massacre d’étrangers. Bon.
    […]
    6 juin 2005 - Ce matin tout est recouvert d’une couche de poussière. Quand je me suis levée, il y avait dehors comme un brouillard, si bien que je me suis demandé s’il n’y avait pas un feu quelque part d’où viendrait toute cette fumée, j’ai même entrouvert la fenêtre pour m’assurer que cela ne sentait pas le brûlé. Et c’était si spectaculaire, cette poussière, comme la cendre d’un volcan qui serait venue se déposer sur toute chose pendant la nuit, que je m’en suis trouvée excitée comme par la première chute de neige. Je suis sortie à sept heures et demie, M. venait de partir, Paul était de garde. J’ai arrosé autour de la piscine, sur les tables et les chaises de jardin, sur les dallages, pour donner un peu de fraîcheur et faire tomber la poussière. Plaisir de jouer avec l’eau comme un gosse, de laver à grand jet cette poussière qui fuit devant moi en un léger nuage brun, courant sur les dalles. J’avais l’impression d’être en convalescence. Des oiseaux (j’en ai compté au moins une quinzaine) buvaient au tuyau dès que je le posais dans l’herbe, cela me faisait penser aux moineaux qui se querellent autour des fontaines, chez nous, en été.
    Après avoir nagé, j’ai demandé à Paul de monter avec moi sur le toit – puisque je ne peux y aller seule. Tout était pris dans un brouillard grisâtre, on ne voyait presque pas le pont, et il y avait par terre une couche de très fine poussière jaune pâle. J’ai regardé la maison de l’autre côté de la rue : il y a toujours un tas de voitures garées devant. J’ai vu l’abri des gardes. Ils ont un arrosoir pour faire tomber la poussière. Et je me suis dit qu’il y avait des semaines que je n’avais pas jeté un coup d’œil du côté de la rue. Puis nous avons regardé du côté du jardin. La piscine toute brune de poussière. Les hauts murs couronnés de barbelés. J’ai pensé à la petite chèvre de M. Seguin, disant avec la voix de Fernandel : « Oh ! Que c’est petit ! Comment ai-je pu vivre là-dedans ? »

    Un Jardin à Bagdad, Journal (octobre 2003-Mai 2006). A paraître en août 2007. (Bernard Campiche Editeur)
    Cet extrait inédit a paru dans le Numéro 73 du
    Passe-Muraille. Eté 2007

    Un regard
    Singulier

    Entrée en littérature en 1994 avec Le Ring, roman à l’atmosphère envoûtante révélé par le Prix Nicole et gratifié de deux autres distinctions (Prix de la Commission de littérature du canton de Berne et Prix Michel Dentan 1995), Elisabeth Horem a imposé, avec quatre romans (Congo-Océan, Le Fil espagnol et Le chant du Bosco ont suivi en 1996 et 1998, tous chez Campiche), un recueil de nouvelles (Mauvaises rencontres, 2006) et le récit-journal d’une année de vie quotidienne observée à Bagdad, dans Shrapnels (2005), un regard et une écriture à la fois poreux et incisifs, d’une grande qualité littéraire. Le sentiment d’inquiétante étrangeté qui baigne ses romans se retrouve, à l’évidence, dans la perception des faits que module le Journal de la romancière, où l’implacable réalité de la guerre est ressaisie à la fois par le détail inattendu et par l’effroi irradiant la vie « sécurisée » d’une femme d’ambassadeur.
    JLK

    Photo Elisabeth Horem: Philippe Pache

  • La nuit, la musique

    4dac2217715e79924c69450fbbe7da74.jpg
    Par Rose-Marie Pagnard

    Puisque papa, pour une raison mystérieuse, nous a interdit d’entrer au Conservatoire de musique de la ville, nous nous sommes enfuies de la maison. Nous: ma sœur cadette Gretchen, et moi, Gretel. Avec nos chères flûtes à bec, nous survivons à d’horribles épreuves, fréquentons des morts, un monstre, une rivière d’enfer, une femme-araignée. Ce soir, concert pour célébrer notre admission, trac, surprises.
    Nous formons un véritable cortège lorsque, sans avoir pris les taxis annoncés, nous parvenons à l’entrée du parc. Un passage est asséché pour permettre l’accès au Conservatoire, ainsi qu’à la morgue de l’Institut de médecine légale, sur notre gauche.
    Madame Swan, en tête du cortège, a cessé de rire. Ses mains palpent nerveusement le tissu de son kimono et la multitude des flocons de neige brodés. Flocons qui conduisent à Yoshua Swan, et de celui-ci au Conservatoire. Devrait. Pour nous qui le voyons, rose et bleu pâle et très aéré, le Conservatoire est réellement présent. Mais les yeux grands ouverts de Madame Swan doivent en quelque sorte le réinventer, partir de la ruine informe, aux pans de voiles mortuaires que ses yeux aveugles, probablement, distinguent encore très vaguement, pour ensuite parvenir à l’image conservée dans sa mémoire. Aussi Madame Swan se tient-elle tout au bord de sa chaise roulante, tendue vers une remémoration difficile, une trouée dans le noir, une embrassade entre chair et pierre. Robin s’arrête, tout le monde l’imite, et soudain Madame Swan décolle de sa chaise et se dirige d’un pas flottant vers ce qu’elle prend pour le Conservatoire, croyons-nous. Mais elle dévie volontairement, dévie, patauge dans des flaques d’eau et tache le bord de son kimono. On l’entend appeler: «Sors de ton cachot, pauvre ami, un peu de courtoisie, je t’en prie! Notre grand soir est arrivé, Grodeck!» Et Grodeck en personne, saisissant d’élégance dans un costume sombre éclairé par une écharpe blanche, se dresse sur le seuil de la morgue, son logis, s’élance et saisit le bras de Madame Swan avec laquelle il se dirige vers le Conservatoire.
    Le cortège leur emboîte le pas et c’est à ce moment seulement que je peux contempler ce qui est devenu, dans le crépuscule, un tableau féerique à la gloire du Conservatoire. De la terre et des végétaux s’élève une brume de grand marécage, un vestige du danger mortel que Gretchen, Hänsel, moi-même et des milliers d’habitants de cette ville ont traversé la nuit dernière, un souffle de mélancolie destiné, je n’en doute pas une seconde, à frapper plus particulièrement ceux qui se trouvent ici, ceux qui maintenant surgissent de je ne sais où et qui forment notre futur public.
    Ce souffle de mélancolie ne nous invite-t-il pas à nous tenir toujours ainsi, proches les uns des autres, réellement ou en pensée, nous, les humains liés par les rêves, par le sang, par cette inexplicable dépendance à un art appelé musique? A nous tenir liés par nos fantasmes quand nous nous sentons subitement seuls avec nous-mêmes, avant de nous rappeler in extremis un visage aimé, ou simplement une musique, ou la tension d’amour qui précède l’écoute de cette musique? Je me réponds par des oui et des pour toujours avec d’autant plus d’ardeur qu’au milieu de cette brume, peut-être glissé par elle jusqu’ànotre vue, le Conservatoire avance, s’incline très légèrement dans notre direction et nous invite à entrer chez lui. D’innombrables lampes ont été allumées à l’intérieur, à travers les fenêtres que l’architecte Yoshua Swan a multipliées dans un dessein maintenant évident: je plonge le regard dans des espaces dorés, dont les dimensions réelles m’échappent, se transforment, de sorte que je pourrais bien me trouver obligée, à l’instant, de m’introduire à genoux dans le modèle réduit d’une maison aux vitres en papier de soie jaune, ou de me perdre dans un gigantesque décor bientôt envahi par une pluie de flûtes en pièces et de draperies en fourrure.
    Mais au plus fort de mon émerveillement, devant le Conservatoire, j’éprouve d’un coup une appréhension qui se rapporte à nos parents, à la façon dont nous les avons abandonnés. Je me retourne, Gretel un peu plus loin, se retourne en même temps, et nous voyons papa, maman, Hänsel, notre famille Gesualdo-Von Bock au complet.
    Cette dernière épreuve se déroulera donc en famille, me dis-je, un peu à la façon de nos habituelles promenades vespérales, sauf que cette fois nous éviterons, je l’espère, les discours de papa, la musique s’en passe, cher papa.
    Gretchen dans sa robe gracieuse, moi dans mon ensemble gracieux aussi, nous courons vers maman, vers papa, vers Hänsel, qui tous se tiennent immobiles à l’orée du parc, telles des rescapées de l’inondation dont les eaux restantes, alentour, dessinent des lacs miniatures, ou des larmes géantes, des larmes plutôt.
    Ma sœur en premier se jette dans les bras de papa, offense oblige, mais ses yeux sont tournés vers Hänsel (avec une expression qui me fait rougir et penser que ses lunettes de myope comme celles de Robin mon amoureux offrent des avantages en matière de décence).
    Nous nous embrassons, il n’y a pas de coups, le bâton de papa est resté au château, mais je sens des douleurs partout, partout, jusqu’à ce que maman commence à parler, que papa s’y mette aussi, duo digne du final d’un opéra tragique, plein de mots insensés que je fais disparaître sous un lit Gesualdo-Von Bock, parce que je ne sais pas pourquoi, par quel miracle, je ne comprends quelles intentions, vous êtes ici ce soir, suis si contente, si effrayée, répétez, répétez, je ne comprends rien, comprends rien, dis-je.
    - Gretel, me dit papa pour une fois sans impatience, tu devrais corriger ce défaut de langage, surtout si tu tiens à faire des études! Musicales, soupire-t-il.
    - Tu es d’accord?
    Nous ne comprenons pas sa réponse, mais c’est sûrement oui, puisqu’il est venu et se montre si doux, si fragile!
    - Merci papa. Merci papa. Mais que veux-tu dire par notre fils est leur fils que Pelva exige de…
    Encore une fois les réponses croisées de mes parents m’échappent. Ils sont émus autant que nous, c’est normal.
    Hänsel baisse la tête; est-il préoccupé par son travail ou par l’intrusion de nos parents sur le lieu de tant d’effervescence, ou par leur attitude étrange? Ou bien réfléchit-il à une réalité que son cerveau viendrait tout juste d’enregistrer, à des révélations douloureuses? Je lui ébouriffe les cheveux, je l’interroge, l’interroge silencieusement, jusqu’à ce qu’il me regarde, qu’il regarde Gretchen aussi, qu’il nous sourie.
    Il parvient enfin à prononcer quelques mots qui me bouleversent, parce que ces mots nous ramènent fermement aux pieds de la musique, devant nos obligations de musiciennes débutantes.
    - Je salue le rouge de Gretchen, en ré majeur, je salue le noir et le blanc de Gretel, en la mineur. Salue toutes les émotions à venir, les couacs et les traits de génie – on ne sait jamais! -, salue également la bienveillance des auditeurs. Je m’occupe de nos parents. Filez maintenant, même si vous n’avez qu’une mesure à jouer, il faut la préparer.
    Au moment de nous quitter, papa s’éponge le front avec un bout de l’étole de soie de maman, il s’écarte imprudemment du passage asséché, une de ses chaussures de luxe prend un bain de boue (comme le kimono de Madame Swan), maman tangue un peu, nous la refilons à Hänsel mais elle retrouve par ses propres moyens la ligne droite de ce grand soir. «Maman, dis-je en vitesse, je suis très contente de constater qu’on vous manquait, j’espère seulement que papa ne fera pas de scène, pas de scène».

    R.-M.P.
    Extrait d’un roman à paraître en janvier 2008 aux Editions du Rocher. Publication préoriginale dans le numéro 73 du Passe-Muraille. Eté 2007.

  • Ces dames au cœur vert

    medium_JLK12.3.JPG

    Les Bonnes Dames, par Bruno Pellegrino

    Il y a des livres dont on peine à expliquer pourquoi on les aime. Le sujet qui nous touche, le style qui résonne de façon particulière, avec une certaine justesse de ton, la manière dont le récit est mené, oui, mais on sent que l’on aime ce livre pour d’autres raisons, sans pouvoir les expliquer – de ces raisons qui se ressentent, qui ne s’analysent pas. C’est le cas du dernier roman de Jean-Louis Kuffer, Les Bonnes dames. Depuis Le Viol de l’Ange en 1997, l’auteur n’avait plus publié de roman. C’est avec bonheur qu’il revient à ce genre – après avoir écrit des nouvelles et s’être attaché à la publication de ses carnets –, avec l’histoire en trois parties de trois vieilles femmes qui effectuent trois voyages.
    Il y a Clara la philosophe, craintive et prudente, adepte de la formule bien vaudoise du « mais mais mais », qui pense très souvent à son cher et regretté Paul-Louis. Sa sœur, Lena, qui a passé sa vie à porter secours aux orphelins, qui n’en est pas moins toujours gaie et décidée à « faire de son mieux jusqu’au bout ». Enfin Marieke, la « fofolle » hollandaise, qui trouve qu’ « en France, cela ondule mieux qu’en Suisse ». Trois femmes dont les vies sont, pour la plus grande partie, derrière elles, mais qui ne s’avouent pas vaincues pour autant ; trois femmes qui portent avec elles leurs deuils, leurs regrets, leurs souvenirs (lorsque ceux-ci n’ont pas glissé dans un trou de mémoire) ; en somme, trois vieilles dames comme on en connaît tous, et pourtant on est ici bien loin de la caricature.
    Le livre s’ouvre sur un premier voyage, une excursion que font Clara et Marieke « de l’autre côté » du Léman, en France voisine ; un épisode plein d’humour qui annonce, en miniature, le second voyage : des vacances à trois en Egypte, pour réaliser ce vieux rêve, et puis se prouver que l’on en est encore capable. Le troisième voyage, lui aussi à destination de « l’autre côté », ne s’effectue qu’en solitaire. D’abord Clara, puis Marieke : les vieilles dames meurent. Reste Lena, qui « baisse », certes, mais qui se dit qu’elle n’a rien à regretter : « Je dois l’avoir un peu cherché, d’être restée simplement ce que j’ai toujours été. »
    Cependant, ce n’est pas autant dans les événements racontés que réside l’intérêt de ce livre (dont le contenu latent important – foule de détails, de références – laisse penser qu’il aurait pu être largement plus développé), que dans la manière dont ils sont rapportés, notamment par un discours indirect très présent dans tout le texte, qui reproduit les expressions et intonations de ces vieilles dames. Ainsi rendus, les personnages (qui sont, on le sent, et l’auteur d’ailleurs ne s’en cache pas, largement inspirés de personnes existantes) n’en deviennent que plus familiers, plus vrais – réels et sincères.
    Aussi bien dans Les Bonnes dames que dans Le Viol de l’Ange, Jean-Louis Kuffer porte un certain regard sur le monde, qu’il transmet notamment à travers l’un des personnages, romancier, qui écrit le texte qu’on lit, au fur et à mesure. Il en résulte une sorte de vertige, une efficace mise en abyme, qui ancre encore plus le roman dans la réalité, lui donne un poids particulier. De même, il y a cette intention de faire sentir la multitude de choses qui se jouent simultanément dans le monde, les pensées qui germent dans des têtes différentes, en des endroits différents, au même moment ; ce qui se noue quelque part, ce qui se résout ailleurs, ceux qui vont se coucher pendant que d’autres se lèvent… Une façon de percevoir la société d’aujourd’hui, où tout le monde peut tout savoir sur tout le monde, et où l’on n’a pourtant jamais aussi peu connu ses propres voisins.
    Les bonnes dames ont traversé le XXème siècle, et elles continuent à vivre avec ce temps qui n’est plus le leur, ouvertes à l’homosexualité, à internet, aux SMS… Clara va « parfois jusqu’à voter socialiste », les statues de singes du Denantou lui rappellent les membres du Conseil fédéral, à qui elle a d’ailleurs « fait une lettre (…) pour le mettre en garde (…), une lettre de réclamation, pour l’aide aux vieux ». Jamais elles ne perdent leur intérêt pour le monde.
    Mais sans considérer la lecture en filigrane qui peut s’en faire, ce texte est avant tout un roman, une histoire où trois bonnes dames nous montrent qu’il n’est jamais trop tard pour entreprendre, pour être jeune. Optimistes, battantes, révoltées et amoureuses de la vie, jusqu’au bout.
    Finalement, si l’on aime certains livres pour des raisons difficiles à déterminer, c’est peut-être que cela tient tout simplement au regard de l’auteur, sa manière de nous décrire son monde. Un regard qui nous plaît, qui correspond au nôtre : en l’occurrence, le regard jeté sur ces femmes, tendre, bienveillant, et jeune, un regard qui traque l’humour et le drame, et le rend dans une langue vivante, une langue orale, de chair, qui, mieux que tout autre discours, permet à ces bonnes dames de s’incarner sur le papier et de poursuivre leur route, en compagnie de leurs morts retrouvés.


    Jean-Louis Kuffer, Les Bonnes dames, Bernard Campiche Editeur, 2006, 160 pages. Http://www.campiche.ch
    Bruno Pellegrino, 18 ans, vient de passer son bac. Cet article a paru dans le No 72 du Passe-Muraille


     

  • Vers la Soft Attitude

    5a55f71d67701f6e4b6fccdba86c90d8.jpg

    Séminaire d'Harmonie au Peace Bunker

    Les Sages le répètent depuis la nuit des temps : c’est en chacun de nous que réside le noyau fractal de la Paix Universelle. Y contribue la méditation enseignée par la Tradition, mais également tout un ensemble de techniques de détachement et de mise à distance de nos affects qui nécessitent l’apport d’intervenants compétents et d’outils efficients.
    C’est pour vous les offrir, à vous qui êtes stressés, mais en recherche, que nous avons mis sur pied notre premier Séminaire d’Harmonie, en un lieu de rêve.
    Symbole s’il en est de la mutation des concepts et des espaces, l’ancien bunker de Berg am See sera le lieu idéal de ce rassemblement convivial. Notre affiche, conçue par un collectif de plasticiens, présente non moins symboliquement le recyclage visuel du canon de ce site en œuvre de Land Art.
    Durant le Séminaire d’Harmonie, l’initiation au Management de Soi sera dispensée par un panel de spécialistes venus du monde entier. Communicateurs, gérants d’émotions, masseurs virtuels, techniciennes de surface spirituelle, coaches ès négociation efficace nous aiderons à acquérir la Soft Attitude. Dans l’Espace Détente du Peace Bunker, des massages assis minute® sur sièges ergonomiques seront offerts à chacune et chacun. Le coussin à fantasmes et le philtre orgasmique sont également offerts à notre Boutique. Toutes cartes de crédits et dons gracieux acceptés.
    Renseignements préférentiels (le nombre de place dans le P-Bunker étant limité) sur ce blog et par courriel.

  • Polyphonie chorale

     79a7b106999f6c50aa1350b1d6162e75.jpg

    Lecture de Regarde la vague, de François Emmanuel (1)


    - Exergue d’Henry Bauchau : « Je sais que je ne suis qu’un lierre, je sais que je ne suis qu’un lien, j’étreins mon arbre et je ne le connais pas ».
    - Généalogie des Fougeray : Père et mère décédés.(Georges et Gabriela) Six enfants (Marina, Olivier, Pierrot (décédé), Grâce , Alexia et Jivan (adopté)

    - LA VEILLE

    - JIVAN. Arrive à Chavy en voiture.

    - Avec la sensation retrouvée de communier avec la beauté.

    - Ressent encore la « main noire » de Noah sur son cœur. Noah qu’il vient de quitter. Se rappelle le père. Sa mère silencieuse.

    - Pense qu’ils seront tous là. Y compris Alexia toujours en mission.

    - Olivier a investi la grange pour son mariage.

    - Les chevaux d’Olivier apparaissent.

    - Tout de suite un flux mental impérieux. Musique intime.

    - Il est question d’un tableau, signé Micha. Crépuscule sur la mer. Emporté par Grâce.

    - Va déposer son bagage avant de chercher Alexia à l’aéroport de Cherbourg.

    - Aperçoit ses neveux. Hyacinthe la farouche. Qui lit Moi qui n’ai pas connu les hommes.

    - Elle a un « sourire perdu ».

    - ALEXIA. Rêve qu’Olivier brusque leur père.

    - Elle a été mariée à Nathan

    - Consigne ses rêves dans un cahier de moleskine pour son psy. Lequel est « obnubilé par le sexe ».

    - Rien de cela dans ses souvenirs du père.

    - Elle travaille dans l’humanitaire.

    - Se rappelle l’Afrique.

    - Elle a un petit garçon prénommé Ulysse.

    - GRÂCE. Genre bourgeoise d’intérieure.

    - Elle a été opérée d’un cancer du sein.

    - En pince pour son chirurgien russe.

    - Toute délicatesse et fragilité forte.

    - JIVAN. Raconte l’arrivée d’Alexia. Une ombre dans son regard.

    - Le questionne sur Noah.

    - Lui dit seulement de la tête : non, non, non.

    - Elle lui dit que Noah lui aurait plombé la vie. Evoque le « mal noir des femmes ».

    - Il cherche les « écorchées de la vie2.

    - MARINA. Note un geste affectueux de son prof de piano aveugle.

    - Qui l’a beaucoup aimée. Et lui sourit 2A quoi sourient les aveugles ? »

    - Elle l’interroge sur Hyacinthe, sa fille taiseuse.

    - Il la dit « un être tendu, magnifique, mais qu’il ne faut pas perdre ».

    - Non pas feu dormant mais comme elle « feu noir ». Et lente à céder…

    - ALEXIA. Retrouve la famille réunie dans la cuisine de la ferme.

    - Avec la vieille Lili.

    - Olivier est absent. Il a voulu que les femmes s’habillent en bleu, la mariée (enceinte) en blanc.

    - Elle dérogera.

    - Jivan parle avec Marina de l’enquête sur la disparition du père en mer.

    - Son corps introuvable après le retour du bateau.

    - Le sourire de Marina dénote « la force souveraine, la puissante impassibilité des Fougeray ».

    - Le fils d’Olivier, Gil, ne sera pas là. Zone à Paris.

    - Le petit Ulysse parle anglais.

    - La TV déverse ses images tragiques qui lui rappellent « la geste sanglante » du monde.

    - Grâce l’interroge sur Nathan.

    - Grâce qui ne peut se lâcher. Coincée.

    - Marie-Doune, fille aînée de Marina, la cuisine sur son job.

    - JIVAN. Il entre dans le bureau du père. Dont il se dit qu’il n’a jamais été pour lui que l’enfant indien de la père, adopté après la perte de Pierrot.

    - OLIVIER. Pense à ses attelages. Cinq pour le mariage. Qui feront l’image « dream ».

    - Un fou de chevaux. Homme à femmes aussi.

    - Lynn est angoissée, mais c’est elle qui le soutient.

    - Désire que l’action soit « ronde ».

    - Le mec qui assure en apparence. Mais qu’on sent fêlé.

    - MARINA. A son tour dans le bureau du père. A la recherche d’une photo de jeune fille. Mihaela, liaison secrète du père.

    - Elle a contacté la jeune femme. Pour l’inviter.

    - Conversation touchante entre les deux femmes.

    - Se rappelle les derniers mots de son père sur le tarmac de Caen.

    - Lui a dit rêver d’une « fin légère ». Elle a 46 ans.

    - JIVAN. Assiste à la colère d’Olivier contre le fils du traiteur.

    - Observe ses trois sœurs de loin.

    - Constate que ce qui les unit est plus fort que ce qui les distingue.

    - Lui n’est pas de leur sang.

    - Le rire à distance d’Alexia le glace.

    - Scène à forte valeur visuelle, proprement cinématographique.

    - Tout se déroulant comme un film intérieur à multiples points de vue alternés.

    - GRÂCE. Se rappelle le prénom de son docteur. Sergueï.

    - Y pense avec bonheur et gêne à la fois.

    - ALEXIA. Lit Ulysse avec Ulysse.

    - Il exige ce livre pour s’endormir.

    - Hyacinthe entre pendant la lecteur.

    - Lui adresse un sourire doux.

    - Le mutisme d’Hyacinthe engage Alexia à lui dire qu’elle la comprend, mais la jeune fille s’esquive.

    - OLIVIER. Il lui faut appeler Lynn. Qui est encore à l’hôtel.

    - Dans sa chambre, avise un trou noir dans le miroir.

    - Lui rappelle ses « crises ».

    - Suit un traitement médical. Violence latente en lui.

    - Lili lui reproche d’en vouloir trop.

    - JIVAN. Alexia lui a parlé de la dernière lettre, « magnifique », du père.

    - Alexia voudrait lui dire ce que le père désirait transmette, mais Jivan n’écoute pas.

    - Il aimerait lui parler d’autre chose.

    - Elle subodore que c’est de Noah. Parle de « saleté d’amour ».

    - Alors lui se braque.

    - GRÂCE. Se rappelle la pesante présence sexuelle de Franz.

    - La seule fois qu’elle pousse un cri, c’est en pensant à Sergueï.

    - Franz le prend pour lui…

    - MARINA. Rejoint Hyacinthe. Se rappelle comme l’enfant a été laissée à Chavy.

    - Une fille hors du commun. Sauvage.

    - Songe au « petit corps d’avant l’autre corps »…

    - ALEXIA. Jivan lui a demandé si elle-même a jamais connu l’amour.

    - JIVAN. Se retrouve seul dans son ancienne chambre. Repense au temps où Alexia l’appelait dans la sienne.

    - OLIVIER. Tout à ses pensées terre à terre d’homme pratique.

    - S’est disputé violemment. S’est déstressé en picolant trop.

    - ULYSSE. Dernière image de cette première partie, du petit garçon courant en rêve et murmurant « catch him, catch him ».

    - Tout cela très beau, très doux, très musical et pictural en même temps. L’espace admirablement « construit » par les voix.

    - LE JOUR

    - OLIVIER. Auprès de la splendide Lynn, Olivier Fougeray sera « le grand maître du dream », yes sir.

    - MARINA. Voit son tour cette image de la famille aux cinq tilburys.

    - GRÂCE. Pense aux absents et aux morts. Toute fière que son couple ait tenu, avec Franz et les jumelles.

    - ALEXIA. Son point de vue est plus narquois sur le « grand film » d’Olivier.

    - JIVAN. Se rappelle, sur son tilbury, l’enterrement de sa mère, et le père alors « seul au monde ».

    - ALEXIA. Réagit aux formules du sacrement religieux. Pensées grinçantes dans la chapelle.

    - JIVAN. Son regard est plus serein. Sent une joie en lui.

    - Se rappelle que cette famille blanche l’a adopté à l’autre bout du monde, à l’orphelinat de Cochin.

    - MARINA. Lutte contre l’ennui de la messe. Se rappelle un voyage en Suisse avec le père. Qui lui a transis divers objets préhistoriques. Comme un legs personnel. Leur secret.

    - GRÂCE. Au moment de l’échange des anneaux, reprend le fil du récit, qui glisse d’un personnage à l’autre, sans aucun accroc.

    - ALEXIA. A présent Jivan rit. On s’est retrouvé sur la route. On prendrait bien la tangente au lieu de rejoindre le vin d’honneur…

    - GRÂCE. Joue son rôle de femme organisée au vin d’honneur.

    - OLIVIER. Ne pense qu’aux images objectivées de la fête. Pensées érotiques au passage, quand le frôle Dolly avec laquelle il a souvent fait Oli-Dolly.

    - L’auteur rend parfaitement tout ce qui se passe en deça des mots, dans le for de chacun. Toutes les sensations, observations, impressions, gestes, échanges de regards, tout enrichit le récit.

    - ALEXIA. Glisse d’un groupe à l’autre. Tout ça rappelle un peu Dolce Agonia de Nancy Huston, en moins chargé existentiellement mais en plus musical.

    - Une voix chaude s’adresse à elle. Un homme en noir en lequel elle reconnaît un beau jeune homme de jadis.

    - MARINA. Un homme lui parle pendant qu’elle observe sa Hyacinthe à une fenêtre.

    - Se dit que sa fille lui a échappé comme son mari, parti pour une plus jeune.

    - JIVAN. Se revoit enfant dans une fête pleine de monde. Comment on l’a arraché à sa honte dans les rires partagés. Comment il « faisait bébé » avec Alexia.

    - ALEXIA. Reconnaît le bel homme à la voix grave. Le fils d’un ouvrier polonais qui venait à la maison.

    - Il se passe quelque chose entre leurs regards.

    - GRÂCE. « Grâce avait l’impression que chacun était à sa place dans la polyphonie du monde ».

    - Tout à fait le sentiment qui se dégage du livre aussi.

    - Elle sent que quelque chose s’est passé en elle.

    - Comme si elle était prête pour l’amour. Elle pense à ses morts et se dit qu’elle ne pourra plus parler qu’é Sergueï.

    - MARINA. Surprend, avec stupéfaction, une conversation entre Jivan et Hyacinthe la muette.

    - Mais sa fille se tait dès que cette intimité est troublée.

    - Elle s’effondre dans un divan.

    - JIVAN. Constate l’effondrement de sa sœur aînée. A qui il confie qu’Hyacinthe perçoit la vente envisagée de la maison comme une sorte de fin du monde. Lui aussi en est très affecté.

    - Jivan est impressionné par Marina qui incarne la « tranquillité souveraine » des Fougeray.

    - MARINA. Dit à Jivan qu’elle a laissé Hyacinthe à Chavy pour la commune sauvagerie de l’enfant et de son grand-père.

    - OLIVIER. Lynn le panse comme un cheval fou.

    - La remarque d’une invité, à propos de l’absence de son fils Gil, l’a piqué au vif.

    - ALEXIA. Observe les convives avec ironie. Des conversations nourries par le « consumérisme ambiant » qui « finiraient par communier au dernier tohu-bohu médiatique, l’époque était d’un conformisme affligeant ».

    - JIVAN. Fait parer sa vieille tante Lucia pour qu’elle lui raconte un peu plus de détails de son adoption.

    - Se demande pourquoi on l’a choisi lui.

    - Aimerait élucider le mystère d’une petite cicatrice en croix à son bas-ventre.

    - Se rappelle son retour adulte à Cochin.

    - La vieille femme qu’il a baisée une nuit et un jour durant.

    - MARINA. Eprouve le besoin de quitter les convives et de se retrouver seule.

    - Se rappelle le tableau de Micha.

    - Se rappelle les jeux de lumière du tableau auxquels son père l’a rendue attentive.

    - Son père qui aimait dire « regarde la vague »…

    - ALEXIA. Regarde l’homme noir la regarder. Loin l’un de l’autre, « chacun comme une image pour l’autre, un rêve ou un rêve de rêve ».

    - MARINA. Retrouve Hyacinthe en rêve.

    - Puis se rend dans sa chambre où elle tombe sur un cahier noir, écrit par son père.

    - Qu’elle commence à lire.

    - Et tout aussitôt le récit se charge d’une nouvelle gravité.

    - Le père évoque son besoin d’écrire (p.94)

    - « Ici, j’écris comme on parle seul, à Dieu peut-être, si ce mot a un sens, et non pas ce Dieu de Gabriela que je n’ai jamais vraiment compris, mais plutôt à cet inconnu de moi, qui demeure sans image, effacement même de l’image, et prend ma main quand je la tends vers l’ombre ».

    - Evoque son père et sa génération de héros.

    - Note que « plus rien ne nous unit que le sentiment de la foule »

    - ALEXIA. Ecoute l’éloge débile d’Olivier par un sien ami.

    - Olivier est quasiment un étranger pour elle.

    - Se dit qu’il doit la trouver « bien roulée » et par trop idéaliste.

    - Remarque que le discours de l’ami a fait l’impasse sur l’existence de Gil.

    - Gil qui erre à Paris entre squats et asiles de nuit.

    - JOURNAL DU PERE. Devient un élément constitutif du récit.

    - Evoque ses relations avec la fidèle Lili. « Lili est la charge infatigable du temps.

    - Evoque ses souvenirs de bonheur « dans le temps ».

    - Très belles séquences.

    - Se rappelle son enfance, Gabriela, ses enfants à travers les années.

    - « Ce sont les fragments de mon archéologie ».

    - Très belle mise en abyme du roman, avec la voix si proche de l’absent. (A suivre)

    A paraître au Seuil le 23 août 2007.

  • De la posture

    36fd762c9c00c088549f4c91bd793820.jpg
     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Un signe de la (non) pensée formatée. L'exemple de BHL.
    De quel peintre invisible sommes-nous devenus les modèles ? De quel photographe de mode, les top models ? De quel concepteur d’events les intervenants prenant la pose ?
    Ces graves questions, je les aborde en considérant la notion de posture intellectuelle qui s’est introduite dans le langage courant de ces dernières années.
    Il y a une trentaine d’années de ça, la question qu’on nous posait sur un ton plus ou moins inquisitorial était: d’où parlez-vous ? On ne parlait pas alors de posture mais au plus de position : il fallait préciser sa position. C’était certes moins cool qu’aujourd’hui, mais enfin on était supposé faire corps avec sa position: dire d’où on parlait signifiait qu’on se situait intellectuellement ou politiquement parlant. J’ai toujours refusé, quant à moi, de dire d’où je parlais, mais c’était mon affaire personnelle et vitale, contre ce que je croyais une police de la pensée et de la parole.
    Or nous n’avons plus à dire, désormais, d’où nous parlons. Ce que nous disons ne fait plus corps avec ce que nous pensons ou ce que nous sommes: nous n’avons plus qu’à nous positionner en fonction de l’image que nous souhaitons donner durant notre quart d’heure ou notre quart de siècle de célébrité: nous nous réduisons à des postures.
    Un exemple emblématique peut illustrer ce glissement de la position à la posture: celui de Bernard-Henri Lévy. BHL prenant la défense du Darfour, vingt ans après avoir posé pour Paris-Match aux côtés des enfants affamés du Biafra, ce n’est pas une pensée cohérente reconduite mais le passage d’une position, fût-elle teintée de démagogie, à une posture. BHL pour le Darfour n’est plus le résultat d’une réflexion éthico-politique mais un Personal Aid mondial, au même titre que le Band Aid de Bob Geldof. Cette posture marque le dernier état des images virtuelles produites par la firme BHL & BHL, qui fait du Darfour LE signe extérieur du simulacre compassionnel d'un top model de la pensée médiatique.

  • Au niveau du groupe

    f2d967dd37bd2a2d84e63b1d43df8277.jpg 

    Scènes de la vie d’un atelier d’écriture

    Il est évident que quelque part, au niveau du groupe, Jehanne a vraiment merdé. C’était à elle de gérer la situation relationnelle de l’atelier, et sans faire intervenir son ego chiant comme ça s’est passé avec le Gitan. Même s’il y a quelque chose d’indomptable chez celui-ci, je suis navrée: les vrais artistes ne sont pas des enfants de choeur, et ça ne fait pas un pli que, dans le groupe, le Roumain était à peu près le seul qui écrive avec ses tripes et son sang et qui ait le sens de la transposition. En plus, que ça se passe dans un travail de groupe dont le thème était l’exclusion, ça c’est vraiment le top, surtout de la part de quelqu’un qui se veut psychologue.

    A ce propos, ce qui était un peu mal barré à la base, c’est que, justement, tout ait commencé dans la psychologie. Je veux bien que ce soit le dada de Jehanne et qu’elle tienne à baliser du point de vue des identités et des carences, comme elle disait, mais je ne suis pas sûre, quant à moi, que ce soit la meilleure formule pour mettre les gens en confiance et les stimuler au niveau créativité. Même que je me suis demandée, les premiers temps, si je ne m’étais pas fourvoyée dans une espèce de secte où se pratiquait la confession dirigée.
    Plus encore: au premier contact j’ai cru que j’hallucinais. C’est que, dans sa longue robe blanche, avec ses cheveux blonds roulés en tresses sur les oreilles comme les cornes des mérinos australiens, Jehanne de Preux avait tout de la barjo New Age et, dès qu’elle a commencé de parler, je me suis dit que je m’étais trompée d’adresse.
    En gros, disons qu’elle s’était mise dans l’idée de nous libérer. A priori, d’après elle, nous étions tous plus ou moins coincés du point de vue de l’expression, surtout les femmes, c’était une affaire de pouvoir, disait-elle, et c’était cela qu’elle voulait travailler. Tout de suite, alors, il a fallu parler de soi, et c’est justement ça, moi, qui m’a bloquée à ce moment-là. Vraiment je ne pouvais pas, je n’avais pas envie de me livrer, j’avais toujours pensé que l’écriture est le contraire de ça, moi je voulais transposer, je n’en avais rien à faire de partager mes bricoles ou de me farcir celles des autres, je n’étais pas là pour me faire assister ou pour servir une fois de plus d’épaule compassionnelle (ma vieille spécialité du temps des communautés), j’avais besoin de m’échapper de la routine et pas de me tripoter l’Oedipe, j’avais envie d’être traversée par des forces et pas réduite à ma débilité, mais c’est là que je me suis rendu compte, aussi, que la prétendue assurance de Jehanne cachait pas mal de fragilité et que la théorie lui servait surtout à colmater ses brèches à elle.
    Ce qui est apparu en tout cas, c’est qu’elle avait sous-estimé nos résistances autant que nos ressources, et cela bien avant que ne se pointe le Gitan.

    Les premiers temps, l’atelier d’écriture, j’y suis restée pour les gens que j’apprenais à découvrir.
    Parfois je me demandais, un peu, à quoi rimait le rôle de Jehanne, qui s’était bien aperçue que nous étions quelques-uns à lui échapper, et qui servait surtout aux autres d’exutoire à problèmes persos, sinon de tuteur socio-culturel.
    Ce que j’attendais, en ce qui me concerne, c’était peut-être juste la confirmation extérieure d’une vraie jouissance que j’avais de me raconter des histoires, qui m’était venue d’abord à la lecture des récits de Tchekhov et des si belles nouvelles de Carver dont j’aimais, encore plus que les autres, celle où il raconte la mort de Tchekhov...
    Je savais que je n’avais pas trop le don, mais quand je voyais ce qu’on portait aux nues je me disais que ça ou ça, style Houellebecq ou Darrieussecq, n’arrivait pas à la cheville de ce que j’aimais et que ce que je ferais moi serait peut-être encore moins nulache.
    Enfin, de toute façon je ne pensais pas même à publier, moi ce que je voulais c’était essayer de mieux piger, en discutant avec des gens - et là vraiment le Gitan m’a beaucoup apporté, surtout avec ses trucs à lui -, pourquoi ce récit fonctionne et pas celui-là, pourquoi t’es tout chose après La dame au petit chien et comme gratté à la pierre ponce après dix pages des Particules élémentaires.
    Les gens je pensais, aussi, que c’était quand même important à la base, pour t’écouter et te dire là tu oublies ou là tu écris quelque chose qui m’atteint. C’était déjà beaucoup de pouvoir trouver ça dans un monde où t’es à peu près qu’une particule élémentaire, c’est le cas de dire, même si tu vaux quand même mieux qu’un personnage de cette pauvre gueule de furet navré du Michel-la-déprime.
    Ensuite il y avait le niveau physique de la relation, moi ça j’y crois à mort. Et c’est peut-être ce qui nous a retenus ensemble, plus que les théories ou nos textes, avant l’arrivée du Gitan.
    C’était la présence, par exemple, de ce tendron de Glaus, que toutes nous avions envie de prendre dans nos bras quand il nous lisait ses étonnants petits morceaux de minimalisme quotidien sublimé, auxquels Jehanne reprochait évidemment ce qui en faisait la valeur à mes yeux, à savoir la transposition.
    Ou c’était l’agitation névrotique d’Antonio, qui décontenançait également Jehanne, mais qui l’attachait au groupe et le faisait s’ouvrir peu à peu dans ses textes plus ou moins obscènes au riche contenu latent (dixit l’experte de Preux).
    Or je sentais Jehanne hésiter en rapport, sans doute, avec l’hésitant abandon que lui montrait le Portugais. J’avais l’impression, pour ma part, que jamais Jehanne n’écrirait elle-même quoi que ce soit de vraiment passable avant qu’elle ne brise son carcan de freudisme. Pourtant, au fur et à mesure des séances, je me suis aperçu qu’il y avait quelque chose de malléable et de poreux en elle et que ce n’était pas tout à fait la despote bornée que j’avais crainte, ensuite de quoi le Gitan a débarqué, qui a modifié d’un jour à l’autre toutes les données comportementales du groupe.

    Jusqu’à l’arrivée de Stanciu, il était encore possible à Jehanne de nous proposer de creuser ses sujets à elle, comme le sentir féminin ou le rendu du toucher, que nous étions plusieurs à éviter de traiter mais que personne ne rejetait explicitement.
    En revanche, la seule intonation de Stan, quand il se penchait sur les propositions thématiques que Jehanne nous distribuait en début de séance, pour les lire à haute voix avec son emphase sarcastique, suffisait à en dégager ce qu’elles avaient en effet de plus ou moins à côté.
    C’est cela, bien entendu, qui a bientôt monté Jehanne contre Stan, en tout cas pour ce qu’on en a vu. Mais tout de suite, aussi, j’avais remarqué que le mâle l’attirait-terrifiait plus qu’un peu, ce qu’elle dissimula tout le temps qu’il jouait encore à reconnaître son ascendant et sa compétence.
    Pour mon compte, j’avais également repéré le vrai Stan du premier coup d’oeil, malgré la peau de mouton qu’il avait jetée sur ses épaules voûtées de gare-au-garou, mais je lui ai fait comprendre illico qui décidait de mes amours même éphémères, et nous nous sommes rencontrés d’entrée de jeu sur un autre terrain que celui de la drague à la con.
    Le premier soir, en me raccompagnant dans le quartier des Oiseaux où il me dit qu’il créchait parfois dans le duplex d’un ami écrivain, il m’a lancé comme ça sans chercher autrement à m’emballer: «Toi tu sens quelque chose, Milena, tu as quelque chose en toi qui cherche la pointe, ça se voit dans le texte que tu as lu ce soir, mais tu dois te mettre toute toi sur la pointe, tu ne dois pas garder d’appuis, tu dois toupiller Milena!»
    On a quelque part un noyau dur et c’est là-dessus qu’il faut écrire, disait à peu près le Gitan. Il faut être implacable. Si tu pisses des larmes, c’est du caillou noir de ton coeur qu’elles doivent sortir, sinon c’est de l’eau de vidure.
    En quelques couplets je lui avais raconté mes épisodes assez persos, mais quand il a pris son ton protecteur je me suis esquivée vite fait tout en lui donnant pleinement raison question noyau dur.
    Je sentais que Stan n’avait pas de mur pour le retenir, et je n’avais pas envie de retomber dans mes vieilles dépendances. Je devinais autant le chaud que le froid dans sa vie de solitaire, et je n’avais pas la moindre envie de rejouer la maman et la putain comme tant d’autres fois. Bien plus que son personnage, ses textes à la fois âpres et très tendres me touchaient presque physiquement. J’aimais ses phrases presque autant que les miennes, et ses mots étaient des objets que je regardais avec reconnaissance, comme un morceau de savon noir sur une planche ou comme un pain de glace dans une boucherie féerie. Et puis son besoin de s’intégrer et de s’affirmer, d’être reconnu et de partager ce qui comptait le plus, pour lui, avec les autres, me touchait. J’avais envie de lui montrer de l’amitié, mais je n’avais rien à cirer de ses élans d’Attila sexuel qui devaient faire flipper en revanche notre chère Jehanne.
    C’est d’ailleurs pour lui avoir résisté, je crois, que nous sommes devenus complices Stan et moi.
    Comme le Gitan le disait à mon propos, il était de ceux qui, dans leur arrière-cour, ont un puits de larmes.
    Cela, bien entendu, une Jehanne de Preux ne pouvait le comprendre que par la tête, car jamais elle n’avait vraiment vécu ou vraiment perdu que dalle.
    Jehanne prétendait faire face: elle avait lu tout Freud et feuilleté Jung pour s’en méfier vite, elle cotisait depuis dix ans à Amnesty International, elle avait réfléchi sur la place de la femme dans la société et, par souci de parallélisme, s’était documentée sur le sentir masculin, mais dès que tu étais devant les faits elle paniquait d’une manière ou de l’autre, et dès qu’elle fut en face du Gitan ce fut la déroute, ou du moins c’est ce qu’il nous a semblé.
    Stan était trop physique. Stan était beaucoup trop réel. Quand il arrivait à l’atelier, Stan prenait aussitôt toute la place. Il avait beau s’excuser pour le retard (il arrivait de son chantier de forestier), on faisait attention à lui, il sortait ses textes en comparaison desquels les nôtres existaient à peine, Jehanne essayait de le remettre à sa place mais nous étions tous à réclamer ses nouvelles pages jetées à la diable, et lui-même s’étalait avec son énergie d’homme des bois: il était là parce qu’il était là, Jehanne n’en pouvait mais, et à ce moment-là personne ne se doutait de ce qui se passait entre eux.

    Les textes de Stan étaient forts. Le personnage était inégalement buvable, mais ses textes étaient beaux et je les aimais comme je pouvais aimer les choses de la vie elle-même, transposées par des mots simples et vrais.
    Je sentais que Jehanne craignait cette vérité et cette simplicité. Je savais qu’elle en percevait la justesse et la force, mais peut-être craignait-elle qu’un pouvoir lui échappe, et c’est ce qui l’a fait dérailler quand elle nous a proposé ce travail collectif sur l’exclusion, auquel elle croyait pouvoir obliger Stan de participer.

    Le Gitan se disait incapable d’écrire sur commande, et personne, je le sentais bien, ne pourrait l’obliger à quoi que ce soit. Chaque fois que Stan est intervenu sur nos textes, c’est pour nous montrer ce qu’ils pouvaient avoir de contraint ou d’artificiel, d’insuffisamment personnel ou d’insuffisamment transposé. Curieusement, ce type qui est tellement centré sur lui-même est également capable de déceler, en un clin d’oeil, ce qui sonne faux chez les autres - tout ça qui ne pouvait échapper à Jehanne et l’inquiéter aussi.
    Que Jehanne n’ait pas compris que ce type ne serait pas taillable à sa façon, et qu’il nous remettait tous en question d’une manière ou de l’autre, c’est ce qui m’échappe à l’instant.
    Ce qui me paraît sûr, en tout cas, c’est que l’atelier ne se remettrait pas d’interdire son accès à qui que ce soit, et que Jehanne en resterait elle-même toute cassée quelque part.
    J’en ai parlé à Stan une nuit durant. Nous avons parlé de ce qui nous fait écrire et de ce que c’est devenu la plupart du temps. Il m’a dit que le besoin de se sentir exister était le mobile de la majorité des gens qui écrivent, mais que beaucoup se contentent de simulacres d’existence que procurent une apparition au petit écran ou une citation dans un journal.
    Il m’a dit que lui-même pourrait très bien cesser d’écrire et qu’il ne désirait pas prouver quoi que ce fût au groupe, bizarrement il a plutôt pris la défense de Jehanne et a laissé entendre que lui-même ne serait pas reparu à l’atelier s’il n’y avait eu pour lui une question d’honneur à défendre. Il n’aimait pas qu’on le jette d’où que ce fût: simplement il n’aimait pas cela, et comme je le comprends !
    Et c’est cela, aujourd’hui, qu’il nous faut gérer au niveau du groupe: c’est le retour de Stan et la déprime de Jehanne consécutive à la rupture de la liaison que nous ignorions entre eux.
    Finalement je pense que ce serait un défi de travailler ce thème de la pointe au niveau du groupe. Faudrait que Stan nous raconte comment il nous vit, et que chacun se raconte et raconte comment il vit Stan et Jehanne, mais que tout soit transposé, et que tous nous nous mettions à toupiller.


    Cette nouvelle est extraite du Maître des couleurs

  • De la cellule psychologique

    a4485ba7c4d29bb2540b4005f578c55c.jpg 

    Quand le drame est sous contrôle... 

    Un drame alpin a coûté la vie de six jeunes militaires suisses, la semaine dernière, sur l’arête sommitale de la Jungfrau de laquelle deux cordées se sont abîmées dans la face de quelque mille mètres. Or, dès l’annonce de l’accident à la télévision, la digne présentatrice à l’air catastrophé de circonstance a cru rassurer la multitude en annonçant qu’une cellule psychologique avait aussitôt été mise sur pied pour soutenir le moral des survivants.
    Dieu sait que je ne suis pas insensible aux traumatismes divers et autres chocs subis par mes semblables, mais cette histoire de cellule psychologique me dérange et me fâche de plus en plus. Que cela signifie-t-il ? Pourquoi cette annonce systématique ? Quel simulacre de compassion et d’apaisement, pour évacuer quoi ?
    J’ai vécu moi-même un tel drame : j’ai appris, un splendide matin d’août 1985, que mon meilleur ami s’était fracassé dans une face nord au terme d’une course que nous étions supposés faire ensemble et à laquelle je n’avais pu participer, j’ai vécu la douleur insensée de sa moitié et de ses enfants, et voici vingt ans que j’évalue les conséquences catastrophiques d’un probable infime geste inapproprié (comme on dit aussi dans la novlangue des médias) sur une pente de glace à près de quatre mille mètres, et je m’interroge sur ce qu’aurait représenté, ce matin-là, le concours d’une cellule psychologique…
    On me dira que cette nouvelle institution marque un progrès dans l’assistance aux victimes. Tant mieux. Mais en ce qui me concerne, je n’en reste pas moins sceptique sur l’utilité et l’opportunité du Geste du Spécialiste à ce moment-là, surtout je me demande si cette utilité n’est pas essentiellement de garantir à la Société que le drame est « sous contrôle » du Spécialiste, en d’autres termes : qu’on peut continuer de s’en foutre du moment que la cellule psychologique « assure », comme on dit…

  • Le Gai Savoir d’Ariel

    75b5ffb98164af9f238dc519b5083ea3.jpg


    De la littérature comme un jeu

    A qui doit-on l’un des premiers grands poèmes français traitant de l’amitié : à Ronsard, Chrétien de Troyes ou Rutebeuf ?

    Quel est le troisième titre de la trilogie d’Agota Kristof, après Le Grand Cahier et La Preuve : Le Troisième Tome, LeTroisième Jumeau ou Le Troisième mensonge ?

    Comment finit la phrase attribuée à Voltaire qui commence par « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort » : pour que vous ayez le droit de le dire, pour vous convaincre ou pour que vous y réfléchissiez ?

    Si vous avez répondu à ces trois questions sans hésiter, ne passez pas pour autant votre chemin, et si vous avez séché trois fois, persévérez vous aussi. D’abord parce qu’il y en a cent tour à tour très faciles pour les uns et difficiles pour d’autres, mais parfois aussi épineuses pour tous, et surtout parce qu’il y a les réponses, qui tantôt ont le mérite de nous rafraîchir la mémoire et tantôt nous apprennent des choses, l’auteur ayant pris la peine de se documenter et sa façon de pratiquer le gai savoir n’a rien de pédant ni d’impersonnel. Autant dire que La littérature est un jeu, qu’Ariel Kenig vient de publier dans la collection Mémo de Librio, intéressera autant ceux qui veulent explorer le continent Littérature en y abordant en novices, que les dinosaures bibliophages prêts à admettre qu’ils ne savent pas tout à fait tout. Ceux-ci souriront peut-être d’un petit air supérieur de se voir demander, par le candide Ariel, quel écrivain, de Michaux, Char ou Apollinaire, est « connu pour ses taches »… mais quand le même Ariel leur demandera quelle mort évoque le juge Clamence, dans le soliloque de La Chute d’Albert Camus, ils pourraient bien tomber sur un os.
    Bien conçu, en visant prioritairement les teenagers, l’ensemble se décline en dix thèmes : l’amitié en littérature, l’enfant, l’engagement, le voyage, l’autofiction, l’amour, le style, la mort, la littérature et les arts, arnaques et pastiches…
    Qu'elle amuse ou qu'elle instruise, cette plaisante brochure ouverte à tous ne manquera pas enfin d’agrémenter les journées de pluie annoncées jusqu’à la fin de l’été et même au-delà, durant lesquelles tuer papa-maman finit par lasser…
    Ariel Kenig. La littérature est un jeu. 100 questions sur la littérature française. Librio, coll. Mémo. 91p. 2 euros.
    Ariel Kenig a signé deux romans (Camping Atlantic et La Pause) et un essai (Quitter la France) chez Denoël, ainsi que trois pièces de théâtre. Infos : www.arielkenig.com

  • Un soixantième rugissant

     b7c71e7eef62c750a51bfb5ea0a9b653.jpg

    Rendez-vous au Festival international du film de Locarno
    La 60e édition du Festival de Locarno n’aura rien de la célébration d’anciens combattants. C’est du moins ce qu’ont promis, ce mercredi 11 juillet en conférence de presse à Berne, Marco Solari et Frédéric Maire, respectivement Président et Directeur artistique de la manifestation, en dévoilant les points forts et les multiples atouts de l’affiche, dûment relookée en plus « réaliste ». Le léopard dont on verra partout l’effigie est d’ailleurs vivant, que nous verrons apparaître sur l’écran de la Piazza Grande…

    Un lieu magique
    Au présent, la Piazza Grande est devenue le symbole du côté festif et populaire de Locarno, festival public par excellence où l’on découvre, chaque soir, des films nouveaux en avant-première. En 2006, la découverte de La Vie des autres, de Florian Henckel von Donnersmarck’s, fut ainsi un tout grand moment, entre l’émotion d’Indigènes ou la première suisse de Mon frère se marie de Jean-Stéphane Bron devant plus de 6000 spectateurs… Cette année, c’est le nouveau film de Jacob Berger, Une journée, que nous découvrirons parmi les douze films donnés en première partie (dont celui de Frank Oz, Death at Funeral, The Bourbe Ultimatum de Paul Greengrass et Le voyage du ballon rouge de Hou Hsiao-Hsien, par ailleurs lauréat du Léopard d’honneur 2007),alors qu’en seconde partie seront projetés sept autres films dont Planet Terror de Robert Rodriguez.

    Retour à Locarno
    Si le présent et le futur seront bien illustrés par le festival sexagénaire, les riches heures des six décennies de cette manifestation devenue l’un des grands rendez-vous de la création cinématographique contemporaine (après Cannes, Venise et Berlin) seront rappelées par une rétrospective de films qui ont représenté autant de découvertes, du Beau Serge de Claude Chabrol (1958) à L’âme sœur, chef-d’œuvre de Fredi M. murer (1985), en passant par Charles mort ou vif d’Alain Tanner (1969) I pugni in tasca de Marco Bellocchio (1965) ou 36 Fillette de Catherine Breillat (1988), dix-neuf films du monde entier qui seront projetés en présence de leurs réalisateurs.

    Signore & Signore
    Ainsi que l’a souligné Frédéric Maire, la femme sera très présente cette année à Locarno, et la meilleure preuve en est d’abord le programme monté en collaboration avec Cinecittà Holding à la gloire des divas italiennes du 7e art. La rétrospective a de quoi faire rêver à elle seule, puisqu’elle remonte au Piccolo mondo antico de Mario Soldati, avec une Alida Valli de juste vingt ans (1941) et traversera tout le demi-siècle dans la foulée ondulante de la Magnani, Gina Lollobrigida et de Sandra Milo, Lucia Bosè, Giulietta Masina, Monica Vitti, Ornella Muti, Laura Morante dans La stanza del figlio de Nanni Moretti ou Claudia Cardinale dans ce bijou que représente La fille à la valise de Valerio Zurlini, avec un Jacques Perrin angélique en culottes courtes...


    Léopards en lice
    Bien entendu, le léopard est un fauve à l’esprit de compétition vivace, qui s’en donnera à cœur joie, d’abord à l’enseigne du concours international avec 19 films en lice dont Fuori dalle corde du tessinois Fulvio Bernasconi, que Frédéric Maire accompagne de ses louanges, et Slipstream d’Anthony Hopkins, passé d’un côté à l’autre de la caméra et qui pourrait honorer Locarno de sa présence. Par ailleurs, Hiner Saleem, représentant la France, présentera Sous les toits de Paris en première mondiale, avec un Michel Piccoli qui sera honoré du Locarno Excellence Award. En outre, les léopards de demain seront également sur les rangs de la compétition, autant que les Cinéastes du présent.
    Swiss Made

    Nicolas Bideau, notre Monsieur Cinéma fédéral, l’a rappelé mercredi : Locarno en été, avec Soleure en hiver, constituent deux temps forts de la présentation du cinéma suisse au public et aux professionnels d’ici et d’ailleurs, et la Journée du cinéma suisse (le mardi 7 août) en sera le point d’orgue avec la présentation du DVD consacré au Cinéma suisse de demain (courts métrages) et de nombreuses projections et autres animations. A l’enseigne d’Appellation suisse, en outre, le public pourra (re)voir les films récents de Mike Eschmann (Breakout, plus grand des succès suisses en 2007), Lionel Baier (Comme des voleurs) ou Pierre-Yves Borgeaud (Retour à Gorée), entre beaucoup d'autres. Enfin, à l’enseigne des redécouvertes, la Cinémathèque présente deux films de Leopold Lindtberg : Suzanne et son marin (1949) et Le coup de feu dans l’église (1942).

    Locarno, Festival del Film, du 1 au 11 août 2007
    Infos : TEL 091 756 21 21
    Internet : www.pardo.ch


    Je serai présent au Festival de Locarno du 1er au 11 août, et en donnerai des nouvelles tous les jours, dans les pages culturelles de 24Heures et sur le blog du même quotidien: http://leopard.blog.24heures.ch

  • De la réalité réelle

    f8a682ce622b5265a56a1115bedab089.jpg 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     En écoutant Jacques Bouveresse à la radio...

    Il faut regarder la vie comme elle est, me disais-je ce matin, un écrivain devrait regarder la vie comme elle est, enfin il devrait : il devrait prendre la vie comme elle est et la montrer telle qu’elle est, or j’entendais en même temps, à la radio, le philosophe Jacques Bouveresse, dans son cours au Collège de France, se demander dans quelle mesure on peut distinguer philosophiquement le réel, la réalité réelle, de ce qui n'est peut-être qu'une apparence, et ensuite avérer cette distinction dans les termes d’une vérité philosophique, et les mots du philosophe, le raisonnement du philosophe s’interrogeant à sept heures du matin sur la réalité réelle du monde en train d’émerger de la nuit, ces mots évoquant la réalité réelle me semblaient parler d’une autre réalité que celle que je me représentais autour de nous, je pensais à mon amie H. finissant sa nuit de garde à l’hôpital, je pensais à tous ses malades, je pensais à tous ceux qu’écrase le poids du monde et j’entendais le philosophe philosopher, cependant je me disais que ce n’était qu’un fragment du cours au Collège de France de Jacques Bouveresse et que par conséquent je ne pouvais pas en juger, d’ailleurs je n’avais nulle envie de juger le philosophe en train de philosopher car je me rappelais la réalité réelle d’une rencontre avec Jacques Bouveresse, quelques jours avant la mort de mon père, en mars 1983, je me rappelais les mots fraternels qu’il m’avait adressés lorsque je lui avais dit que je devais quitter le colloque auquel nous participions et retourner au chevet de mon père malade, je me rappelais la réalité réelle de la dernière journée de mon père et je me dis que ce dimanche-là m’est apparue la vérité de ma vie, attestant sa réalité réelle, mais je ne suis pas philosophe…

  • Le Dantec nouveau (2)

    1de9c3fe4788d298077e531e5f160ef4.jpg
    Lecture intégrale d’  Artefact. Notes.

      9. American Life
    - L’automne se pointe.
    - Ils crèchent dans une espèce de chalet de montagne surplombant un lac.
    - Les Truqueurs lui ont bricolé une identité. James Williamson Skybridge, astronome.
    - Il exige des professeurs de Lucy qu’ils n’évoquent pas son drame.
    - La petite fille est hyperdouée.
    - Et très pieuse.
    - Lui-même a épousé toutes les religions à travers les siècles.
    - Les gens du coin sont très tertiaire libéral à résidences secondaires.
    - Des gens qui travaillent à distance.
    - Ou des ouvriers en retraite. Des bûcherons.
    - Il donne des cours particuliers à la petite.
    - Notamment sur l’évolution humaine.
    - Lui apprend des techniques d’apprentissage.
    - Lui révèle qui il est.
    - Elle s’intéresse à Thérèse d’Avila.
    - Lui apprend que sa mère se passionnait pour les saintes.
    - Il a commencé à collectionner les ouvrages de théologie à la période de la querelle nominaliste…
    - Puis c’est l’été sur les Appalaches.
    - Le directeur de l’école le convoque.
    - Lui apprend que Lucy Skybridge figure parmi les disparus du WTC.
    - Il s’en tire avec habileté.
    - Lucy sait déjà qu’elle va devenir comme lui
    - Digression sur le secret (p.110).
    - Il lui demande si elle veut aller à la commémoration des attentats.
    - Elle décline, malgré la présence de U2…
    - Ils vont se balader sur le lac.
    - Célèbre la beauté de la nature, « comme un don de la grâce divine ».
    - Cite Bérulle.
    - La nature lui apparaît comme une écriture vraie.
    - « Un millénaire comme celui que j’avais vécu est extrêmement formateur sur le plan de la philosophie.
    - Un humour singulier là-dedans, candide et un peu dingue.
    - La petite parle doctement de la Réforme et de ce qu’elle aurait dû être : l’affaire Luther a été mal « gérée »…

      10. L’année du dieu Mars
    - Evoque la guerre engagée
    - Qu’il sait déjà promise à tirer en longueur.
    - Une guerre globale.
    - Dont lui veut se tirer.
    - Se dit prêt à un sacrifice.
    - Il a des rêves prémonitoires.
    - Voit déjà la développement de la guerre en Irak.
    - Selon lui, l’homme aura besoin d’une confrontation mortelle pour connaître « le prix véritable de toute création ».
    - En irak, le problème ce sera « après »…
    - Conversation avec le commandant Cooper.
    - Retour à Clausewitz.
    - Considérations intéressantes sur le temps.
    - Le temps linéaire aristotélicien et l’autre temps.
    - Le Vaisseau-Mère est une conscience quantique.
    - Qu’il s’applique à déjouer la moindre.
    - Il reste libre de ses choix.
    - Il va s’attacher à faire évoluer Lucy en accélérant les choses avec les neurovirus et les transposons.
    - A la rentrée de 2003, Lucy a donc 9 ans et 9 siècles.
    - Elle fait son apprentissage de la précognition. Ses antennes s’affinent. Elle communique avec sa mère.
    - Lui-même reçoit des messages du futur.
    - Lui : « Je note tout, j’écris tout, je prévois tout, je calcule tout ».
    - Se targue de n’être pas calculé, mais…
    - Il y a les SUV noirs.
    - Qui le calculent, pense-t-il.
    - Des types en costumes noirs qui le filent, croit-il.
    - Bref, il est temps de programme la séquence neurovirale de départ.
    - Il faut qu’il « leur » échappe avec Lucy.

      11. Contre la Tour-monde
    - Au début 2004, un signe lui est doné.
    - Il doit partir vers le nord.
    - Il doit échapper à la mémoire de ses poursuivants.
    - Les magouille à distance, sans être sûr d’assurer…
    - La haine entre en lui, jamais éprouvée.
    - Un sentiment animal et glacial à la fois.
    - « La haine est une machine »
    - Sent qu’elle menace de faire de lui un homme.
    - Ils vont fuir vers le nord.
    - Quittent les Appalaches pour le Canada.

      12. Americanada
    - Passent la frontière.
    - Destination Fermont dans le Labrador.
    - «Nous sortons du monde, nous entrons dans le réel ».
    - Ils vont vivre comme des nomades, des résistants, des guérilleros.
    - Il fait tout pour Lucy.
    - Qui doit être télétransportée dans l’autre dimension.
    - « Mon plan est de vaincre la mort ».
    - Tout cela se lit fort bien, sans qu’on sache où ça va...

      13. La carte et le territoire
    - Il entre en clandestinité.
    - Il a signé une alliance secrète avec le monde.
    - Contre ceux qui veulent le détruire.
    - « Ils anéantiront tout. Ils souilleront chaque place sacrée. Ils propageront des abominations encore jamais vues sur cette planète pourtant riche d’enseignements ».
    - Ils remontent de Montréal à Québec.
    - Trouve encore des ressources vitales dans la nature.
    - Qu’il évoque en poète.
    - « La Beauté est ce qui, dans le monde, est susceptible de vous parler, est doté d’une voix, est capable d’énoncer une parole ».
    - Ils arrivent à Tadoussac.
    - Il implose en larmes à la vue de Lucy endormie. Ni des tristesse ni de joie, mais d'un feu liquide.
    - Ils iront jusqu’à Natashquan.
    - Se sent un « spectre qui navigue ».
    - Fuyant « leur globe carcéral ».

      14. Under the northern skies
    - Ils arrivent au Labrador.
    - Belle évocation là encore.
    - L’histoire de deux espèces d’anges, l’un tombé du ciel, l’autre d’une tour…
    - Roule sur la 389.
    - Le 5 juin ils arrivent à Fermont.
    - Le 6 sera l’anniversaire des 10 ans de Lucy.
    - Une aurore boréale les rejoint.
    - Descriptions scientifico-lyrique assez chiadée.

      15. Contact
    - Le jour des 10 ans de Lucy something happens.
    - Road 500.
    - Prend conscience de sa bifurcation vers la poésie, par ce qu’il écrit depuis quelque temps.
    - Le texte de MGD est aussi chargé de lyrisme et tissé d’incantation rythmées.
    - Il use des tems verbaux de façon singulière, aussi.
    - Lucy l’interroge sur la présence des terroristes dans son monde à lui où ils vont.
    - Il la rassure.
    - Mais leurs poursuivants les ont rejoints entretemps.

      16. Sous le projecteur des films noirs.
    - Il se demande encore qui ils sont.
    - Des Contrôleurs envoyés par le Vaisseau-Mère ?
    - Il en doute.
    - Ce dont il est sûr est que Lucy est menacée, et qu’il doit tout faire pour l’aider à passer de l’autre coté…

      17. Zone d’impact
    - Il va pour rejoindre le Vaisseau-Mère.
    - Mais ce sont EUX qui les rejoignent.
    - Son plan a fonctionné.
    - Comme s’il avait-lui-même tendu le piège.
    - « Tout ce qui va suivre, je le sais. Je l’ai vu. D’une certaine manière, je l’ai écrit ».

      18. Toutes les lumières du Ciel et de la Terre
    - « Ils sont venus. Nombreux. Ils sont là. Armés ».
    - Mais lui aussi est armé.
    - Lucy s’inquiète, alors qu’il a déjà préparé son transfert.
    - Elle y est prête.
    - Et l’attaque se déclenche au moment où il la pousse à fuir vers le contact avec la sonde.
    - Etrange récit de SF et tout autre chose en même temps.
    - ILS sont la loi. Mais lui représente la loi à venir.
    - Deux lois qui s’affrontent violemment.
    - Il se défend, mais finit par être touché et abattu.
    - On comprend que de mourir il va naître.
    - Et plus que jamais on se demande où tout ça mène.
    - Mais on y va…

  • Le Dantec nouveau (3)

    961e6660c8fb61b28d4db9a43dd4ddae.jpg 

    Lecture itégrale d'Artefact. Notes. 

    19. Le monde en blanc et blanc

    - Il se retrouve chez lui (croit-il).
    - Dans le Vaisseau-Mère (croit-il).
    - Où tout est blanc.
    - Mais pourquoi l’agent de réception lui parle-t-il en langage terrien ?
    - That’s the very question.
    - Pourquoi l’appelle-t-il Docteur ?
    - Pourquoi tous ces hommes en blanc ?
    - On lui apprend qu’il s’appelle James Curtis Williamson
    - Et depuis toujours.
    - On lui présente ses poursuivants.
    - Dont un détective.
    - Le Dr Bloomber, neuropsychiatre, s’occupe de lui.
    - Lui apprend qu’il est l’un des physico-chimistes les plus éminents de la Côte Est.
    - Qu’il a eu un accident de la circulation, en 1997.
    - Où il a perdu sa femme et sa fille.
    - Bloomberg vient le trouver chaque jour.
    - On lui parle d’un certain objet qu’il a laissé dans sa fuite, après son « kidnapping ».
    - On lui reproche des « crimes fédéraux », comme usages de faux, etc.
    - On lui montre des photos de son labo, aux murs couvertes de formules.
    - On le soupçonne d’expériences illégales sur Lucy.

    - 20 Epilogue : Ground Zero
    - En fait il se trouve dans une clinique de Newark.
    - No loin du Ground Zero.
    - Où il a l’autorisation de se rendre.
    - Tout y a été nettoyé, comme si le WTC n’avait jamais existé.
    - Il est conscient du gouffre qui le sépare d’EUX.
    - EUX qui ne savent rien.
    - ILS ne pourront jamais rattraper Lucy.
    - Il y a 3 ans qu’il est là.
    - Il reprend son autobiographie…
    -
    - Deuxième Partie : Artefact

    - Premier jour : l’éveil

    - Exergue de Boby Dylan : « Don’t think twice, it’s allright ».
    - Quelqu’un se réveille sans savoir où, quand on est, ni qui il est.
    - Son passé est « une totale absence ».
    - Il se trouve sans rien, dans une maison de style toscan
    - Se demande ce qu’il fait là et où il va.
    - Aucun repère.
    - Sauf la mer, un port, une ville.
    - La maison.
    - Il a le sentiment d’être manipulé.
    - Là pour une expérience.
    - Il découvre un objet : une valise.
    - Et dans la valise : une machine à écrire Remington.
    - Avec une rame de papier.
    - Et sur la page de titre : Artefact.

    - Deuxième jour : la machine et son double
    - L’écriture de MGD est devenue claire et limpide, lumineuse, poétique et sereine.
    - Durant la nuit un événement s’est produit.
    - Des pages ont été écrites.
    - Se demande s’il l’a fait en état de somnambulisme.
    - Ce qui a été écrit tient en une demi-douzaine de pages.
    - Sa journée est écrite.
    - Réfléchit à la nature de l’écriture.
    - Puis il découvre la ville.
    - Une station balnéaire, en Italie, le 13 juin 2000.
    - Jour de la naissance de MGD me semble-t-il.

    - Troisième jour : la Plage.
    - Viareggio.
    - Avec des bagni et une Passeggiata.
    - Un lieu de l’apothéose du faux.
    - S’arrête au bagno Oceano.
    - Très belle évocation, très picturale, entre land art et body art.
    - Evoque les deux temps de l’écriture, de l’absorption à la résorption.
    - L’écriture le fait exister.
    - Retour à la case réel.
    - Il devient un existant, bientôt un individu.


    - Quatrième jour : l’infini au cube
    - Décline les modalités de son je.
    - Le je du jour, le je de la nuit, le je de la Plage, le je de la Chambre.
    - Il commence à redevenir lui-même.
    - Son futur se construit à travers cette présence de l’écriture et de la machine à écrire.
    - Un espèce de saisie phénoménologique de la présence et de la genèse de la création de soi et du texte.
    - « J’écris dans un monde qui semble plus réel que celui dans lequel je vis en toute conscience ».
    - Se sent dédoublé.
    - Perçoit l’Autre en lui.
    - Le monde fait son entrée dans son univers alors qu’il entre dans le bagno du monde.
    - Une relation nouvelle. Etrange.
    - Le sujet se pointe, le sujet à venir.

    - Cinquième jour : La Nuit Blanche.
    - Expérimente le principe d’incertitude appliqué à son existence.
    - Découvre un hangar rempli de masques.
    - Se rappelle que masque se dit persona.
    - A la Nuit Banche succède le Journoir.

    - Sixième jour : le Journoir.
    - Continue à s’interroger sur la nature du réel.
    - Qu’est-ce qui est réel ?
    - S’interroge sur sa relation avec la machine et sur la fonction de celle-ci.
    - Une sorte de prolongation organique de son corps.
    - Il va se rejoindre pourtant en écrivant : c’est bien moi.
    - La machine est comme le corps de son âme ou l’interface de son être.
    - Evoque le temps dédoublé de l’écriture. A la fois dédoublé et décentré.
    - Je suis celui qui suit ce qui suis-je, ou quelque chose comme ça.
    - Septième jour : Infinity Unlimited
    - Il dit avoir été un homme séparé de lui-même, un alien.
    - Constate qu’il y a un infini en chacun de nous. »Votre cerveau est le secret de votre cerveau votre cerveau est le mystère du cerveau d’Après.
    - Comme un Big Bang de symphonie virtuelle.
    - Qui reste à l’état de dénombrement et de dénomination du réel.
    - A la fois abstraite, l’opération, et tout à fait intelligible pourtant.

    - Huitième jour : l’invention de l’éctiture.
    - Il se réveille dans la chambre de la maison.
    - La machine absorbe tout.
    - Tout s’inscrit.
    - Il devient lecteur/écrivain total.
    - L’écriture, miroir de l’être, est reflet de l’inconnaissable.
    - Dit avoir procédé à une dévolution.
    - Un espèce de représentation abstraite/concrète de la théologie.
    - Millième jour : Homo Sapiens Sapiens
    - Il dit avoir marché des siècles dans le désert.
    - « J’ai rompu le piège du monde-simulacre ».
    - « L’écriture est en train de s’incarner en moi et désormais la présence est réelle, elle est partout, elle est le réel ».
    - Et le texte lui-même l’exprime par son ressassement.
    - « C’est le moment où je vais parler. Ce sera le moment où, enfin, je pourrai rencontrer l’autre qui est en moi ».
    - « Cette zone noire c’est la bouche du monde ».
    - « Ce qui est connu, ce qui est véritablement connaissable est caché ».
    - Très Blanchot tout ça.

    - Le Jour Dernier : que la Lumière soit.
    - La langage prend forme. Le langage prend sa forme.
    - « Et c’est ce langage qui m’informe, c’est ce langage qui me reforme à l’image de la vérité.
    - Il dit être l’expérience.
    - Il vit la naissance du verbe.
    - Décrit un phénomène relevant à la fois de la physique et de la métaphysique.
    - « Je m’éveille dans la Chambre, il fit un temps magnifique. »
    - Tout cela s’est peut-être passé en un quart de seconde ou en dix siècles
    - Il se reconnaît comme artefact.
    - Il est le « je » qui s’efface pour faire jaillir le Verbe.
    - Suivent des considérations plus précisément théologiques, sur le caractère trinitaire du cerveau (hum) et la présence d’un authentique secret dans le « trou noir » du code génétique.
    - « Son intuition première n’est pas que Dieu est inconnaissable mais qu’il est absolument illimité ».
    - Introduit la théologie négative selon de Grégoire de Nysse.
    - Affirme son expérience unique en tant qu’expérience de la personne.
    - « Es-tu une personne ? » (p.314)
    - C’est là comme une méditation poétique sur la genèse du sujet et de l’écriture. Il y manque un peu de chair et d’objets à mon goût, mais c’est néanmoins une sorte de repérage physique et métaphysique lumineux des conditions d’émergence du Sujet, Récit et de la Fiction. (A suivre)

    Ci-dessus: machine à écrire de Patricia Highsmith. Sur laquelle a été écrite la phrase: "Seul ce qui est imaginaire est réel".

  • Le Dantec nouveau (4)

    23542ac6b8ffc9127781a84b3307a536.jpg
    Lecture intégrale d’Artefact. Notes

    - Troisième Partie : Le Monde de ce Prince
    - Exergue de Saint Jean. « Bien plus, l’heure vient où quiconque vous tuera pensera rendre un culte à Dieu ».
    - Initier
    - Suit une série de communiqués, envoyés aux gouvernants et aux médias, et diffusés sur internet.
    - Celui qui les écrit dit qu’il est devenu ce qu’il est parce qu’il ne cesse de devenir.
    - S’adresse carrément aux flics canadiens.
    - Taxe le monde d’im-monde.
    - S’exclame que c’est une Fête.
    - Tout à fait sur le ton de Muray.
    - On est dans la Cité-Hype Montréal.
    - Dans laquelle il vient de déclencher une série d’incendies.
    - Considérations sur le Diable : Le Mal absolu et le Fils de Pute.
    - Raille les pauvres gardiens du désordre, pauvres révolutionnaires tranquilles, pauvres journalistes de tinettes.
    - Se dit une sorte de médecin, mais jouant le sicaire du Diable, actuellement en vacances.
    - Se dit le maître incontesté de l’euthanasie.
    - Il a son site web, sur lequel sa webcam capte les incendies.
    - Le Diable aime le « bruit voluptueux » des incendies.
    - Son site est www.welcometohell.world.

      2. Chiffrer
    - Raille les cités à festivals perpétuels...
    - Le Diable est sur la Plage.
    - Au bagno Oceano peut-être ?
    - Il lui a confié l’intérim.
    - « Je suis – c’est vrai – une pure déviance, à ce titre ».
    - « Le Diable est le toxique de tous les toxiques ».
    - Pour sa part, il a kidnappé un journaliste islamisant.
    - Auquel il va faire subir un traitement de choc.
    - « Tes amis coupent les têtes, ils le séparent des corps vivants avec les moyens abjects qu’on a vus sur tant de vidéos », lui dit-il en lui promettant de lui faire le sort inverses. Il ne va pas le couper mais le coudre.
    - Et de fait, il le coud de haut en bas, lui coud les orifices et finit parle broyer.

      3. Ecrire
    - Il dit être en train d’inventer quelque chose.
    - En tant qu’agent intérimaire du Diable, il va devenir artiste en snuff-movies.
    - Mais est-ce une invention ?
    - Tout ça est moins convaincant que ce qui pécède.
    - Ce substitut du Diable, qui n’est autre qu’un certain écrivain français exilé au Canada, ne me semble pas une invention romanesque à la hauteur du propos.
    - Cette incarnation du mal relève jusque-là du standard de polar, mais voyons la suite…

    4. Rassembler
    - Il dit que son nom est Mépris.
    - Et qu’il est un esthète.
    - Cette fois il a capturé une femme juge dans son Hummer 4x4.
    - Il se targue d’avoir tué 246 personnes pour exécuter sa justice invertie.
    - C’est un technicien. Un maître de la mécanique générale.
    - Il punit la juge d’avoir trempé dans le lynchage judiciaire d’une femme opposée à une secte. Episode fameux au Canada à ce qu’il semble.
    - Moyennement explicite pour le lecteur…

      5. Concentrer
    - Le Diable-bis se défend de se venger.
    - Se veut froid comme la dague.
    - Défend la non proportion du châtiment par rapport au crime.
    - Développe un vaste aperçu sur les plans du Diable (p.361) en matière de politique de masse, les grandes machines broyeuses de personnes.
    - Détaille les « poisons mentaux » inventés par son frère le Diable.
    - Ensuite on se retrouve dans un souterrain où il a séquestré deux hommes : un suprématiste nazi canadien et un Afro-Canadien négationniste.
    - Le premier hait les Blancs.
    - L’autre hait les Noirs.
    - Ils ont divers moyens de sortir du souterrain.
    - Dont une Bible et un couteau suisse.
    - Cela tourne à la parodie de jeu virtuel, avec une visée édifiante qui pèse un peu beaucoup quand il nous explique que la Bible aurait pu les sauver...
    - Frère Dantec prêche…
     
     6. Choisir

    - Le communiqué suivant du vice-Diable insiste sur le sang-froid des actes qu’il commet.
    - Et voici dame Olga qu’il suit depuis des jours.
    - Qu’il va tuer.
    - Son crime est d’avoir servi de rabatteuse à son mari amateur de très jeunes filles.
    - Une horrible histoire advenue dans la banlieue de Toronto, genre Dutroux en pire. Treize victimes, violées et torturées. Et Olga est ressortie de prison après six ans.
    - Ce qui lui vaut l’attention du Diable bis.
    - Qui lui a préparé une machine à tuer très spéciale, rappelant les punitions imaginées par Dante dans la Divine Comédie, où les damnés sont torturés par cela même qui constituait la nature de leur vice particulier. (p.410-412)
    - En l’occurrence, c’est sa liberté qui va tuer Olga dans la machine a cramer. Se non è vero e ben trovato, Sior Dantec (A suivre)

  • Le Dantec nouveau (5)

    5b892bc305c5228d387f1f2326d799c2.jpg  

    Lecture intégrale d'Artefact. Notes finales.
    - 7. Enclore/Eclairer
    - Répète qu’il n’y a aucune logique dans ses crimes.
    - Note qu’Auschwitz fut au contraire le triomphe de la logique diabolique.
    - Répète que le Diable est le maître de la mécanique générale.
    - « Plus nous avancerons dans nos opérations, moins les victimes seront « coupables ».
    - Va s’en prendre aux « guignols qui vendent de la festivité ».
    - Répète qu’il est un pédagogue.
    - Ce qu’on avait, hélas, compris.
    - Annonce une respiration humaine sur écran noir.
    - Suivi d’un hurlement de terreur.
    - Un homme qu’il a enterré dans le Manitoba oriental.
    - Enterré vivant. Dans un cercueil transparent.
    - Pourvu d’un système vidéo d’auto-contemplation.
    - Le sujet est un acteur, Tomi Vasry.
    - Un « vaniteux saltimbanque.
    - Un tartuffe médiatique.
    - Un créateur raté compulsant son ressentiment.
    - La machine va assurer à Tomi une survie mortelle.
    - Le vice-diable use d’une technologie sophistiquée.
    - Est-ce bien la peine ?
    - L’auteur a l’air de se régaler de ces détails.
    - Et les « amis lecteurs » ? Hum.
    - « Bienvenue dans la monde où la lumière obscurcit et où les ténèbres illuminent ».
    - Tomi va devoir se bouger pour vivre.
    - La description de l’appareillage de torture devient fastidieuse.
    - Le système aboutit à une sorte de téléréalité de la mort.
    - Les innocents/coupables sont traités par la justice/injustice.
    - Et le lecteur se fait un peu tartir.
    - Digresse sur la progression destructrice du nazisme à l’écologie…
    - Les écolos pires que des nazis.
    - On revient à l’homme au pédalier.
    - Nouveaux détails de son supplice.
    - Machinerie de plus en plus chiante.
    - L’écriture de Dantec tombe à plat et tourne à vide.
    - Heureusement, on annonce la suspension des émissions…

      8. Voyager
    - Le vice-Diable se félicite de son invention de « mécanicien des singularités », après avoir négligé la phase finale du supplice.
    - Il est question alors d’un homme courant dans un tunnel.
    - Avec une torche qui le dirige et attire en même temps de méchants chiens.,
    - L’homme est coupable d’avoir laissé son pitbull défigurer une petite fille.
    - Donc à pitbull, pitbull et demi.
    - Retour à l’état de nature.
    - Le vice-Diable va s’occuper ensuite des masses.
    - Il est poursuivi par toutes les forces de police nord-américaines.
    - Annonce alors un stratagème.
    - « Comptez sur moi pour faire réapparaître le réel dans vos vies ».
    - Hélas tout ça est purement mental, rhétorique et désincarné.
    - Annonce la semaison d’une mauvaise graine.
    - Gagne une petite ville de Virginie.
    - Où il y va y avoir un massacre à l’école.
    - Entend prendre le contrôle de notre cerveau.
    - Se dit un réseau. Une arme biologique.
    - Evoque les « crime clusters », phénomène mimétique.
    - « Le crime est toujours plus grand que l’homme qui le commet. L’innocence est toujours plus fragile que le plus humain des coupables ». Truisme ou sophisme ?
    - « Nous savons très exactement ce que nous faisons ». Pas sûr.
    - Sur quoi nous annonce qu’il va nous délester de notre innocence.
    - A la bonne heure !

     9. Jouer
    - Il a beaucoup voyagé dans la foulée.
    - Se retrouve à Berlin.
    - Pour la Love Parade.
    - « Ici l’amour est partout, donc nulle part », etc.
    - Des généralités sur l’hyperfestif, « rien que le mouvement processif de leurs organismes interconnectés par le centre de contrôle du vide idéologique, c'est-à-dire nous ».
    - Se veut le « patient » des intoxications bactériologiques qui vont aboutir au bad trip.
    - Annonce à son public que sa destination finale est dans chacun.
    - La littérature va lui servir de vecteur.
    - Mantra de la servitude absolue : Vous damner c’est être sauvés par vous-même ».
    - Okay, on a compris le prône.
    - Qui devient décidément lourdingue.
    - Mais ça continue. Intox mondiale oblige.
    - C’est Hannibal Global Fight.
    - Lassant.
    - On se retrouve en croisière sur le Lady D of the Seas.

       10. Aimer
    - Poursuit son voyage around the World.
    - Jusqu’à New York.
    - Où il rencontre un enfant.
    - Qui n’est autre que lui-même.
    - Lui annonce le nouvel Armageddon. Yes sir.
    - Variation sur le thème « vous êtes des génies », préludant à l’hiver nucléaire.
    - Rappelle une fois de plus qui est l’Adversaire.
    - Celui qui ne peut connaître la vie incarnée.
    - « Bienvenue dans la Machine Humanité ».
    - L’enfant devient le moteur du retournement final.
    - A la trinité finale de l’enfant, du petit et du grand Frère.
    - « La vérité se trouve dans le regard lumineux de cet enfant ».

      11. Etre/ne pas être
    - L’âme du meneur de jeu erre encore la moindre.
    - Le débat se poursuit avec l’enfant et le Grand frère, le Bien et le Mal en d’autres termes.
    - De la démonologie virtuelle et du passage à l’acte.
    - Se demande pourquoi il ouvert le Livre du mal.
    - L’enfant lui révèle pourquoi il est mort virtuelleemnt, avec le massacre de sa famille.
    - Retour au thème traumatique de la première partie.
    - De l’origine du ressentiment.
    - Comment il a pris sur lui le crime du monde, Christ inversé.
    - Conclusion sur la Grâce.
    - « Ici le nom de la Grâce est : Pardon. ».
    - Et le discours s’achève.
    - Car cette partie, et c’est sa faiblesse, est essentiellement un discours.
    - Un apologue univoque, qui communique certes avec les deux premières parties mais en constitue la partie la plus faible, la plus lourdement démonstrative.
    - Plus rien là-dedans des inventions romanesques géniales de Cosmos incorporated où le signifiant et le signifié se fondaient en incandescence.
    - En l’occurrence, la faiblesse de Grande Jonction, tenant à ses parties prêchées, devient plus visible encore.
    - Les deux premières parties tiennent à mes yeux du point de vue de la création romanesque autant que par son contenu, la troisième est très riche des notations intéressantes mais le roman cède le pas au sermon édifiant. Amen.

  • Du côté de chez Proust

    b8985d672b71935c4af4b81549844064.jpg par Bruno Pellegrino

    On imagine sans trop de peine l’insomniaque qui, levé au beau milieu de la nuit, renonce à chercher le sommeil, prend la plume et devient écrivain, c’est-à-dire créateur d’un monde et d’un temps bien à lui, où évoluent des personnages qui, comme dans la vie, se métamorphosent lentement.
    « La vérité d’un être est presque impossible à établir, on ne peut l’approcher qu’en additionnant plusieurs images successives de lui : ce sera l’une des leçons de la Recherche du temps perdu », écrit Thierry Laget au sujet d’Un amour de Swann, fragment du grand roman de Marcel Proust. Un roman que l’on pourrait dire des illusions perdues, car ses milliers de pages sont baignées d’un temps où les personnages avancent et qui les dépouille de leurs si séduisantes carapaces. La « vérité d’un être », sa substance, ne s’obtient – et encore, uniquement en partie –, que si l’on parvient à connaître de cet être les différents aspects.
    Nous verrons ici en quoi il est si difficile de connaître réellement quelqu’un, et ceci du début à la fin de la Recherche. Nous nous pencherons ensuite sur le moyen d’y parvenir – autant que faire se peut.

    Le personnage dont on peut affirmer sans crainte de se tromper qu’il est le personnage principal de la Recherche (en dehors du Narrateur) est Charles Swann – il est également le protagoniste d’ Un amour de Swann, auquel se réfère l’énoncé. Tombé amoureux de la demi-mondaine Odette de Crécy, Swann, simultanément, « tombe » en jalousie. Il soupçonne Odette de lui être infidèle, ne connaît pas grand-chose de son existence, ne parvient pas, en un mot, à étreindre sa vérité particulière. Elle lui échappe, elle qu’il n’a d’abord pas trouvée à son goût, qu’il a ensuite comparée à une œuvre d’art, elle qui lui disait au début de leur relation : « Je suis toujours libre, je le serai toujours pour vous » (Du côté de chez Swann, Paris, Gallimard, 1987 ; p.196), puis qui refusera de le recevoir. La jalousie de Swann le conduit à entreprendre une véritable quête intellectuelle de la vérité ; il analyse Odette, décrypte son comportement, ne parvenant au final qu’à bâtir une illusion, à rendre plus floue la vérité. Son imagination d’artiste raté fausse la réalité, et Swann échoue dans sa recherche de la véritable identité d’Odette.
    Il en va de même, mais des années plus tard, pour le Narrateur, amoureux d’Albertine, lui aussi jaloux et perdu face à ces « Albertines » successives, de la pétillante jeune fille en fleurs rencontrée au bord de la mer, à Balbec, à la disparue – la jeune femme enfuie, puis morte –, en passant par la prisonnière qu’il enferme chez lui à Paris, sans pour autant que rien ne se dévoile de son mystère. Au sujet de la femme que l’on aime, le Narrateur écrit : « Unique, croyons-nous, elle est innombrable » (Albertine disparue, p.85). Au sujet d’Albertine décédée : « Pour me consoler, ce n’est pas une, c’est d’innombrables Albertine que j’aurais dû oublier » (ibidem, p. 60).
    Ainsi, il est non seulement « presque impossible » de connaître quelqu’un, mais ceci a fortiori lorsque cette personne se trouve être l’objet aimé, tant il est vrai que l’on vit « dans l’ignorance parfaite de ce qu’on aime » (Le Côté de Guermantes, p. 392). Car pour Proust, l’amour ne va pas sans jalousie, qui elle-même n’est rien d’autre que l’une des « formes de l’imagination » (ibidem, p. 338), et ceux qu’on aime ne sont que « des fantômes, des êtres dont la réalité pour une bonne part [est] dans [notre] imagination », Swann et le Narrateur étant tout deux des « amateur[s] de fantômes » (Sodome et Gomorrhe, p. 401).

    d5dfad929c1dc2b03a2efb87ee1dfbec.jpgÀ la recherche du temps perdu, malgré son manque d’intrigue longtemps critiqué, n’en est pas moins un roman en mouvement, traversé d’un souffle qui ne s’épuise jamais, même passé les dernières lignes. Ce souffle, cette incroyable énergie, portée par les phrases si célèbres pour leur longueur, cette cohésion de toute l’œuvre est donnée par ce Temps qui, du titre au tout dernier mot du roman, soutient l’ensemble du texte, en constitue le socle. Face à ce temps, les personnages de la Recherche semblent ne rien pouvoir, sinon se laisser emporter. À plusieurs reprises, le Narrateur montre ces métamorphoses : « Les êtres ne cessent pas de changer de place par rapport à nous » (ibidem, p. 409), « Changement de perspective pour regarder les êtres (…) » (ibidem, p. 258), « Coup de barre et changement de direction dans les caractères » (À l’ombre des jeunes filles en fleurs). Le Narrateur expérimente ceci lorsqu’il s’apprête, pour la deuxième fois, à embrasser Albertine : « (…) comme si, en accélérant prodigieusement la rapidité des changements de perspective et des changements de coloration que nous offre une personne (…), j’avais voulu les faire tenir toutes en quelques secondes pour recréer expérimentalement le phénomène qui diversifie l’individualité d’un être (…) » (Le Côté de Guermantes, p. 354). Un début de réponse à la question : « comment connaître quelqu’un ? » s’offre au Narrateur : il faut avoir connu cette personne à différents moments de sa vie, et pouvoir se souvenir de ses personnalités successives.
    En somme, le Temps agit à la fois comme un modificateur des êtres, en ceci qu’il les transforme physiquement et mentalement, et comme un révélateur progressif, qui étale sur la durée la vérité d’un être et qu’il faudrait savoir lire – mais comment ?

    Prenons, pour illustrer l’effet du temps sur les personnages, l’exemple du Baron de Charlus. Lui aussi présent dans tout le roman de Proust, il passe successivement de l’état supposé (et qui s’avérera faux par la suite) d’amant d’Odette, dans Combray, à celui de mondain viril que les efféminés irritent dans À l’ombre des jeunes filles en fleurs et Le Côté de Guermantes, pour qu’enfin soit dévoilé au lecteur, dans Sodome et Gomorrhe, son statut d’inverti, c’est-à-dire d’homosexuel. Les derniers volumes de la Recherche nous montrent sa déchéance, lui le tout-puissant, renvoyé du salon Verdurin ; lui l’homme fier et autoritaire, surpris par le Narrateur en pleine séance de sado-masochisme – enchaîné, humilié, déchu. Quelle est la vérité de cet homme ? Une juxtaposition de tous ceux qu’il aura été durant sa vie. Et ce qui permet de saisir l’ensemble de son être, c’est ce que découvre le Narrateur dans Le Temps retrouvé : la littérature.
    Le temps, on l’a vu, révèle, puis détruit. Du Swann de Combray, dont la présence certains soirs désespère le Narrateur enfant car elle annule le rituel vital du baiser maternel, du Swann amoureux, malade puis guéri, du Swann artiste raté, mais auquel s’identifie le Narrateur, trouvant qu’il est un « être si extraordinaire » (Du Côté de chez Swann, p. 406) car il est le père de Gilberte, du Swann, enfin, à la santé déclinante, que le Narrateur revoit alors que lui-même est devenu un habitué des salons mondains, de tous ces Swann, le Temps n’aura fait qu’une bouchée, le déposant, une fois mort, en équilibre précaire tout au bord du grand gouffre de l’oubli. La seule chose qui le retient d’y basculer, « c’est (…) que celui qu’[il devait] considérer comme un petit imbécile a fait de [lui] le héros d’un de ses romans » (La Prisonnière, p. 189). C’est un fait : si la littérature ne peut pas tout et n’est pas immortelle, elle dure cependant plus que les hommes. Proust nous apprend en outre qu’elle est capable de nouer les extrémités temporelles d’une personne, de ramasser, condenser les êtres pour en tirer leur substance. C’est le travail de l’écrivain, qui « pour chaque caractère en ferait apparaître les faces opposées pour montrer son volume » (Le Temps retrouvé, p. 337).
    Si Swann a échoué dans sa quête intellectuelle de la vérité d’Odette, et si, en tant qu’artiste, il n’a pas réussi à pousser son art assez loin pour en tirer quelque chose, c’est malgré tout par ce biais qu’il démasque Odette : par la musique de Vinteuil, cette sonate qui, s’il l’avait mieux écoutée plus tôt, lui aurait permis de comprendre, avant d’avoir à le subir, qu’aimer Odette lui causerait des souffrances intolérables.
    Le Narrateur dépasse le modèle de ce Swann qu’il a si longtemps admiré, et devient lui-même créateur – comme l’insomniaque qui, fatigué de passer sa nuit à lire les livres des autres, se met à son tour à la rédaction de son œuvre. Et l’être que la littérature lui permet de connaître au plus proche, c’est lui-même. À travers les années, ses « moi » se succèdent, et il les observe un par un. Il comprend cependant qu’ « à n’importe quel moment que nous la considérions, notre âme totale n’a qu’une valeur presque fictive (…) » (Sodome et Gomorrhe, p. 153), et que son être réel, ce qu’il est, n’apparaît « que quand, par une de ces identités entre le présent et le passé, il pouvait se trouver dans le seul milieu où il pût vivre, jouir de l’essence des choses, c’est-à-dire en dehors du temps » (Le Temps retrouvé, p. 178). Ainsi, malgré les « intermittences du cœur » – ces sursauts de l’être en métamorphose constante –, les différentes couches qui s’empilent pour former une personne laissent une trace dans sa mémoire, et il est possible de se retrouver, lors d’un de ces sursauts, projeté en arrière dans le temps, dans la peau de cet autre soi que nous étions alors, et d’ainsi se connaître.

    a670ec624bf9d1ef93bf8b714e18fadf.jpgSi Proust, avant d’écrire la Recherche, a longuement hésité sur la forme à adopter, son projet est sans contexte profondément littéraire. Quoi de plus romanesque que ce roman sur la naissance d’un roman ? Cette œuvre titanesque foisonne de thèmes, de lieux, fait passer son lecteur par toutes sortes d’états (enthousiasme initial, perplexité, découragement, fébrilité, exultation…), mais a ses priorités, énoncées tout à la fin du texte (et de cette façon mises en évidence) : les êtres. « Aussi (…) ne manquerais-je pas d’abord d’y décrire les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant une place si considérable, à côté de celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace (…) » (Le Temps retrouvé, p. 353).
    L’homme est soumis à sa condition, courbé sous la force du Temps. La littérature est là pour le redresser, lui rendre sa dignité et sa grandeur – même si, pour que cela se fasse, il faut décrire tous ses aspects, des plus nobles aux plus triviaux. Là où la vie vécue échoue à rendre possible la connaissance des autres et de soi-même, la littérature y parvient, condensant dans ses mots, immortalisant et fixant, comme sur une pellicule photographique, les êtres dans leur essence – les êtres que nous sommes tous, constitués de rien d’autre, finalement, que de quelques couches de temps qu’effacera l’oubli post-mortem.

    Ce texte constitue la dissertation de bac de Bruno Pellegrino, 18 ans, collaborateur remarqué du Passe-Muraille. Bruno a obtenu le Prix Latourette pour cette composition et son texte sera publié dans le quotidien 24Heures le samedi 7 juillet, avec un portrait-rencontre signé Joëlle Fabre.

  • Encore une journée divine !

    25925a165d12c31abddbc4cab617fcf4.jpgA La Désirade, ce jeudi 6 juillet 2007. - Il est cinq heures du matin en ce fuseau de l’Hémisphère nord  et noir est l’encrier du monde dans lequel se prépare la chronique du profond Aujourd’hui. Tout à l’heure je secouerai Winnie qui va se pointer en grommelant et prononcera au premier rai de jour la phrase rituelle : « Encore une journée divine ».

    Il a fallu que je me sente avec L. les mains d’une mère, une aube pareille de l’automne 1982, il a fallu que je me prenne pour Gaïa accouchant  d'une mortelle et que celle-ci soit prénommée Sophie pour que, mec sans imagination jusque-là, je découvre la beauté de la vie et notre sort de mort à tous. Ensuite il a fallu que le scénario se répète et que cette fois la vie se prénomme Julie, pour que le miracle se vérifie: nous vivons nom de Dieu.

    Je savais certes déjà la beauté de la vie mais je n’avais pas eu la révélation de la mort en dépit de tous les morts que j’avais de mes yeux vus, et soudain un enfant m’avait enfanté en seconde naissance, et voilà que je découvrais ce lieu commun de toute éternité: que nous sommes mortels et que c’est tous les jours, peut-être tout à l’heure, et voici la divine journée.
    Moi l’un me dit que nous allons vers la catastrophe, cependant que Moi l’autre sourit au jour qui vient. Moi l’un qui reste une espèce d’adolescent teigneux, voit l’Ange exterminateur se démantibuler au-dessus des pylônes en flammes, tandis que Moi l’autre, enfant et vieux sage à la fois, lui rétorque qu’il se fait du cinéma. Moi l’un le fils est en colère, comme tous les matins du monde les fils, tandis que Moi l’autre, le père du monde qui en a vu d’autres, s’apprête à entonner le Psaume du 6 juin 2007 qui commencera par un solide café et les biscuits pour la route au chien Fellow.
    Au programme de mes lectures ce sera Dantec et Shakespeare ou Proust par manière de contrepoison. Ce sera l’humour de la vie contre les visions hallucinées, ce sera la prairie d’à côté à faucher contre l’idée que la prairie sera vitrifiée l’an prochain, ce sera le regard doux du chien Fellow et la tendre chair de Winnie contre les vitupérations du prophète. Oh le beau jour qui vient sur la mule du vieux Sam…

    JLK: Vue de La Désirade, huile sur toile, 2003.

  • On s’occupe d’Amélie


    6bc24cc47589f8d2a99010b9918d9084.jpg

    Ni d’Eve ni d’Adam, le dernier Nothomb
    Il est plaisant, en pleine lecture d’Artefact, le nouveau Dantec, de glisser la paire d’heures que nécessite celle de Ni d’Eve ni d’Adam, le dernier récit d’Amélie Nothomb qu’on pourrait dire la face claire de Stupeur et tremblements. De fait, il y est question, à la même époque où la jeune personne revint au Japon de son enfance pour s’y casser les dents sur l’Entreprise japonaise, d’une idylle qu’elle vécut avec un jeune Rinri auquel elle entreprit d’enseigner notre langue. « Le moyen le plus efficace d’apprendre le japonais me parut d’enseigner le français » est d’ailleurs l’incipit de cet assez épatant récit autobiographique promis, n’en doutons pas, à un succès plus phénoménal encore que Stupeur et tremblements. Le ton en est en effet d’une vivacité décuplée, les observations sur le Japon et les Japonais sont à la fois pertinentes et souvent irrésistibles, et puis cette histoire d’amour entre deux jeunes gens et deux cultures est d’une tonifiante fraîcheur et cocasse, tendre et vaguement sardonique sous la plume de cette chère Amélie qui aime volontiers mais sans se laisser prendre au piège de l'éventuel mariage ni même à celui du sentimentalisme peu japonais (croit-on) du jeune Rinri pleurant depuis ses cinq ans de se mal adapter à la compétition militaire du pays natal et même fatal de ses parents et aïeux. A propos de ceux-ci, nous découvrons une paire de vieillards intéressants, dont l'intempestive exubérance semble caractéristique du retour du défoulé chez les tout vieux Nippons.
    Tout cela pourrait n’être qu’un sémillant jabotage, et c’est peut-être en ces termes que les lettrés graves jugeront le récit de cette Huronne belge au pays de son cher Mishima, dont son amoureux lui fait la lecture frémissante dans son bunker de luxe, mais Amélie est une fois de plus, à mes yeux en tout cas, bien plus fine mouche qu'on ne se le figure. On pourrait ainsi croire qu’on est aux Antipodes du janséniste Dantec à antennes théologiques directionnelles, mais ce n’est pas si sûr: tous deux se retrouvent aussi bien dans la ligne claire de notre langue, et Stendhal y va d’un clin d’œil, en répétant après l’apôtre qu’il est maintes et maintes niches fort variées de style et de coiffure dans la Demeure du Père. Après tout flûte n'est-ce pas: la dive Narration souffle où elle veut. 
    Et voilà donc pour Amélie prise en sandwich entre deux tranches d’Artefact tandis qu’une embellie radieuse se découvre à l’huis de notre modeste maison de papier…
    Amélie Nothomb. Ni d’Eve ni d’Adam. Albin Michel, 244p. En librairie le 23 août.

  • Les voiles de la pluie

    6545a849dcc50f0ada5e26391be1b080.jpg
    Trois Révélations seulement seront à l’Ordre du Jour, indispensables cependant à l’entretien du moral des multitudes se mirant maussadement dans les flaques.
    Or voici le premier voile à lever, sur les Allègres Volières. Que ne voit-on et n’entend-on, dans l’amer crachin et l’humeur chagrine, le petit peuple des Allègres Volières. Voyez et vous encouragez donc au ramage des Allègres Volières. La ville a beau crouler sous les cordes et les seilles, là-bas les perruches en grappes vertes et bleues n’en finissent pas de jaboter joyeusement, tandis que les serins vous serinent que la vie est top…
    La deuxième révélation n’est pas moins roborative, qui montre que des seilles on peu s’accommoder. Ainsi le voile suivant se lève-t-il, derrière trois rideaux de sombres trombes, sur la clairière aux Vasques à Savonnettes, dans lesquelles toute une juvénile jeunesse féminine ondule sous l’eau mousseuse. Les messieurs gravent laisseront là leur gravité guerrière de gagneurs, et là, toi qui passes, tu positives un max…
    Le troisième voile qui se lève ce matin dans les pans superposés de pluies aigres, voire acides, sera le plus à même, enfin, de réjouir les âmes désolées, puisqu’il découvre l’Embellie Gracieuse, à savoir ce ciel derrière le ciel qui ouvre de loin en loin ses lucarnes et ses échappées dans la lavasse et la baille de souille, autant dire le super bonus…

  • La danse des vifs

    medium_Cezanne33.jpg
    Le sourire de Cézanne de Raymond Alcovère
    « L’art, c’est un certain rapport à la vérité et un rapport certain à l’essentiel », lit-on dans le petit roman de formation dense et lumineux que vient de publier Raymond Alcovère. Le sourire de Cézanne se lit d’une traite, comme une belle histoire d’amour restant en somme inachevée, « ouverte », pleine de «blancs» que la vie remplira ou non, comme ceux des dernières toiles de Cézanne, mais le récit de cet amour singulier d’un tout jeune homme et d’une femme de vingt ans son aînée, qui trouve en lui la « sensation pure » alors que son corps à elle procure au garçon le sentiment d’atteindre « un peu d’éternité », ce récit ne s’épuise pas en une seule lecture, qui incite à la reprise tant sa substance est riche sans cesser d’être incarnée.
    L’étudiant Gaétan, vingt ans et des poussières, revient d’un séjour de trois semaines à Istanbul lorsque, au seuil de la cabine du bateau qui le ramène à Marseille, telle femme éplorée et défaite tombe littéralement à ses pieds, qu’il recueille pour une nuit avant de faire plus ample connaissance, et jusqu’au sens biblique de l’expression.
    Léonore est une femme intéressante, sensible et sensuelle, intelligente et cultivée, qui trouve aussitôt un écho en Gaétan. En congé sabbatique, elle a l’esprit tout occupé par le projet d’un livre sur Cézanne, ou plus exactement sur ce que les grands peintres ont à nous dire chacun à sa façon, qu’il s’agisse du Greco ou de Rembrandt, de Piero della Francesca ou de Klee, de Cézanne et de Poussin. Dans la vie de Gaétan, Léonore prend vite toute la place, mais un récent désamour (un certain Daniel l’a « jetée» avant son départ d’Istanbul) lui pèse et, lucide, elle pressent les difficultés d’une liaison du fait de leur différence d’âge autant qu’en raison de leur besoin commun de liberté ; on vit donc à la fois ensemble et à distance, mais dans une croissante symbiose qui doit autant au partage des goûts et des idées qu’au plaisir de la chair.
    Evoquant le livre qu’elle va écrire, Léonore se dit, à un moment donné qu’il va falloir y travailler comme à une composition musicale ou à un tableau, et c’est de la même façon que Raymond Alcovère semble avancer dans Le sourire de Cézanne, à fines touches et dans le mouvement baroque de la vie. Si deux ou trois pages se trouvent un peu « freinées » par certaines considérations sur la peinture (d’ailleurs très pertinentes), l’essentiel du roman épate en revanche par la fusion du récit et des observations sur la vie ou sur l’art. Par exemple: « Chez Poussin et Cézanne, même sens de la couleur, pizzicato, touches de nuit posées sur le clavier des jours, clarté et volume captant l’espace, échappée vers un horizon placide.» Ou ceci: « Les grands peintres apportent toujours un supplément d’âme, un regard inédit. Un jour nouveau nous est donné, une possibilité de vivre ».
    «Je joins les mains errantes da la nature », écrivait Cézanne, dont le besoin d’harmonie et d’unité se retrouve dans la vision de l’art modulée par l’auteur : «L’art est curiosité, tendresse, charité, extase ». Ainsi y a-t-il de l’amour, aussi, dans sa façon d’évoquer sa ville de Montpellier ou les lieux de Sète ou d’Aix-en-Provence. A l’enseigne de cette même fusion, on relèvera les glissements de points de vue de l’auteur à Léonore ou de celle-ci à Gaétan, lequel cite finalement Bataille à propos : « La beauté seule, en effet, rend tolérable un besoin de désordre, de violence et d’indignité qui est la racine de l’amour ».
    Amour-passion, est-il besoin alors de le préciser, car c’est bien de cela qu’il s’agit entre Léonore et Gaétan, qu’on voit mal s’installer dans un ménage conventionnel, encore que… Gaétan relève aussi bien qu’ »un équilibre nous unit où on ne l’attendait pas», et qui pourrait exclure une entente durable entre ces deux-là ? Mais peu importe à vrai dire, puisque tout se passe ici comme en dansant (« La peinture c’est de la danse », disait à peu près Cézanne à propos de Véronèse), dans un feu de passion qui rappelle celui des blocs incandescents de la Sainte-Victoire…
    medium_Alcovere5.jpgRaymond Alcovère. Le sourire de Cézanne. N & B, 103p

    Paul Cézanne, La moderne Olympia.

    Cet article, légèrement émincé, a paru dans l'édition de 24Heures du mardi 3 juillet 2007.

  • Misanthropie à part

    94c4af0429d36fdaa9c3b6b89d5683e6.jpgf797d5a8a95bea7848303a47793e86da.jpg
    Pourquoi j’aime J’aime pas les autres de Jacques A. Bertrand
    Voilà : c’est le genre de phrases que j’avais envie de voir ce soir écrite : J’aime pas les autres. Cela me rappelle la première règle de nombreux clubs de garçons rebelles: autrui est un con. Le geste est crâne et tout de suite on se sent mieux : tout de suite on sent que la vie va filer doux.
    C’est ce dont avait d’ailleurs besoin Jacques A. Bertrand: que la vie se tienne à carreau. Il avait commencé, raconte-t-il d’écrire J’aime pas les autres, puis il apprit, à l’automne 2006, qu’il aurait un autre combat à mener, contre lui-même, ou plus exactement contre un certain nombre de ses cellules en voie de prolifération inconsidérée. Or le combat contre lui-même n’est pas le fort du nonchalant auteur de L’Infini et des poussières et de La course du chevau-léger, plutôt du genre à se la jouer trois hommes dans un bateau, à l’anglaise mais en périssoire solitaire, avec un mot de Lao Tseu en guise de sourire, disant que « la gravité est la racine de la légèreté ». Et de se remettre alors à J'aime pas les autres par manière de thérapie radieuse...

    Se dire qu’on n’aime pas les autres revient, pour moi, à sourire un peu mieux aux rares qu’on aime parce qu’ils ne nous rasent pas. Cela met en outre à l’aise par rapport à l’auteur d’une telle phrase, dont on sait qu’on n’aura pas à l’aimer autrement que sur le papier. Or sur le papier, Jacques A. Bertrand m’apparaît comme le plus aimable des interlocuteurs, malgré ou à cause de l’aveu de ses soixante ans, qui me fais le plaindre aussitôt puisqu’il est hors de question que, moi, je me l’avoue. Il a beau dire que « c’est l’âge bête » et de préciser que « c’est l’âge où vous êtes tenté de vous prendre pour quelqu’un », cela ne me concerne pas. D’ailleurs on vient de me le dire : tu ne les fais pas. Mes artères me le scient du matin au soir alors que mon âme est plus claire qu’à vingt ans, mais j’aime néanmoins lire cette phrase de ce traître de Jacques A. Bertrand : « Je me sentirai plus léger à soixante et un. Je ne sais pas pourquoi, mais il me semble ». Et d’enchaîner avec quelque chose que j’aime encore plus lire, même sous la plume d’un autre, tant je me sens cette fois concerné, comme on dit : « N’empêche qu’après tout ça j’ai vécu près de trente ans de bonheur. Oui. Ca ne se raconte pas, le bonheur. Il faudrait avoir énormément de talent pour raconter le bonheur. J’essaierai peut-être, à quatre-vingt-dix ans. On a plus de recul. Je dis : trente ans. C’est trente secondes. Ca file très vite, le bonheur ».
    Et la phrase de Jacques A. Bertrand file vite aussi, à la vitesse du bonheur. Il raconte ici l’histoire d’un Anatole Berthaud, qui lui ressemble probablement comme Poil de carotte ressemble à Jules Renard. Cette histoire a autant d’intérêt que toutes celles des autres, sauf que les autres on n’aime pas. Là tout de même on aime Kit Carson et les réglettes volées puis rendues à l'épicière à tête de vache, on aime les dialogues entre parenthèses de Castor et de son Sartre, on aime les premiers émois du garçon déplorant que ces foutus autres le trouvent si gentil, on aime ces premiers flirts et on aime que cette vie qu’ont connue tant d’autres se dise de cette façon si singulière et sur ce ton si familier, mêlé déjà de nostalgie future, on aime le père instituteur et Georgia qui forcément fera plusieurs mariages avant de rencontrer le Suisse allemand de ses rêves - on aime cette chronique douce acide à la Calet mais avec sa calorie et ses mots à elle, on aime bien cet autre qui nous avoue à la toute fin qu’il a fini par trouver l’Autre en lançant du même coup, vu que ça ne regarde pas les autres, que « ce n’est pas du tout le sujet »…
    Jacques A. Bertrand. J’aime pas les autres. Julliard, 123p.

  • Une rencontre vivifiante

    aa7bd28b1e0f9af1dd2b237680b77eac.jpg
    Notes sur le Kierkegaard de Jean Wahl

    - Préface de Vincent Delecroix. Qui commence par rappeler ce que Kierkegaard, « classé » ceci ou cela, n’est pas.
    - Ni (seulement) penseur romantique ni « père de l’existentialisme », ni l'adversaire irréductible de Hegel ni le séducteur du Journal, ni le frère d’Hamlet. Tout cela et tout autre chose...
    - Qu’il y a un malentendu avec K.
    - Qui échappe à tout coup aux classements, dont l’image « bouge » toujours.
    - Pseudonymes, changements de styles et de genres, polémiques font partie pour K de sa façon de vivre la philosophie.
    - Ils correspondent à un dessein général.
    - Qui suppose une lecture inventive.
    - K lui-même affirme « que c’est un art d’être un bon lecteur », via Constantius.
    - Que l’existence peut et doit se dire. Que l’auteur est un existant qui s’adresse à un autre existant et le convie à une rencontre.
    - Jean Wahl vécut celle-ci au plein sens du terme.
    - Lorsqu’il commence à en parler dans les années 30, K. est mal connu et mal copris. Il ne fait pas très sérieux comme philosophe.
    - JW le prend comme objet philosophique à part entière. Révèle l’élément irrationnel et affectif qu’il recherche lui-même.
    - Etablit la singularité de la démarche de K., comparable à celles de Montaigne ou de Pascal.
    - Introduit lui-même la notion de rencontre et de confrontation subjective, de lecture personnelle et d’appropriation d’une vérité dont l’effort pour y parvenir est plus important que la vérité elle-même.
    - Le recueil contient la totalité des articles et conférences donnés par JW de 1930 à 1960. Dans leur état premier.
    - Une approche « en miettes », mimant par sa multiplicité et son unité intime la multiplicité et le caractère organique des écrits de K.

    c49a06542c1a31644e17de3ca3de05ac.jpg- Note sur le Journal du Séducteur (NRF, 1930)
    - JW souligne le fait que K n’eût pas aimé être abordé par cette œuvre, surtout séparé de l’ensemble D’Où bien ou bien…
    - Premier malentendu possible : assimiler K au séducteur, alors que celui-ci n’incarne que le premier stade, esthétique, des catégories du philosophe.
    - C’est sa réponse à Régine Olsen.
    - K a vu qu’il était trop profondément religieux pour être compris par elle.
    - Découvre sa peur et le fait que la peur et l’amour vont de pair.
    - Edouard le séducteur, parangon du stade esthétique, est un premier avatar de la progression du philosophe qui aspire aux stades éthique et religieux.

    - Kierkegaard et le mysticisme (Revue Hermès, 1933)
    - JW va distinguer la pensée de K d’un pur illuminisme, pour éclairer le lien chez lui du sentiment religieux et d’une théorie de la subjectivité.
    - K rétablit les « concepts chrétiens » dans leurs caractères propres, fort d’une expérience personnelle dont le Séducteur porte des traces.
    - Notamment dans les manifestations de la joie, que K dit vivre de manière effusive, car « seul peut être inconditionnellement joyeux celui qui est la joie. Alors, même dans les plus grands soucis, nous sommes la joie ».
    - Cette joie marque la relation de l’existant avec Dieu, conjointement à un malaise profond.
    - « Kierkegaard a le sentiment de la cime, de la pointe de l’âme comme les mystiques ; mais il a aussi le sentiment du fond résistant de l’âme, comme Boehme ».
    - La théorie de la subjectivité de K. aboutit à une théologie négative de la béatitude.
    - La plus haute des fins reste indéterminée, alors que le chemin lui-même fait figure d’absolu, étant le chemin du « risque absolu ».
    - JW apparente la démarche de K à certains aspects du mysticisme, sans l’y réduire pour autant.
    - La pensée de K se développe aux confins du mysticisme, avec ses instants de joie irrationnelle, ses instants de douleur suffocante, « rencontre solitaire avec le Dieu caché, avec le Dieu de la théologie négative, mais qui n’est pas si profondément caché que nous ne puissions savoir qu’il est amour ». (A suivre…)
    WAHL Jean. Kierkegaard. Hachette, 320p.

  • Les Amaryllis

    bda9874e233a8d659367316d5375594c.jpg
    Une nouvelle de Claire Julier


    - Vous viendrez tous, a dit Sophie. Il faut qu'on en discute, qu’on prenne une décision. Définitive. Seule, je ne peux pas, je ne peux plus. Trop de fatigue, de responsabilités. Sans compter les risques ! Le dernier dimanche de mai. Juste avant l'été. Une jolie date pour des préparatifs de départ.
    Sophie coupe quelques branches de lilas, taille les tiges en biseau, les glisse dans un vase. Le parfum sucré du bouquet couvre l'odeur du café au lait qui stagnait encore. Vite, il faut faire vite. Que tout soit prêt avant midi !
    La table est mise avec des sets en paille, des serviettes en papier. Pour une fois, ils comprendront que je n’ai pas le temps. Plus de temps pour la lessive superflue. Un plat unique commandé chez le traiteur du village – pas si mauvais que ça – qui réchauffe doucement. Tant pis pour les recettes de grand-mère qu’ils adorent. Au moins, ils auront l’estomac rempli et ne m’en voudront pas d’être obligée de manquer aux lois de l’hospitalité. L’essentiel est de se retrouver autour de la table.
    Dans l'allée, le gravier crisse, les portes des voitures claquent. Des voix se rapprochent, puis s'éloignent vers le fond du jardin. Dans son fauteuil, à l'ombre de la glycine, Marc regarde le groupe avancer. Les femmes l'embrassent ; lorsqu'elles se baissent, il sent l'odeur de leur peau de fausses blondes, un mélange de maquillage rance et d’eau de toilette agressive. C'est un peu écoeurant ; il aimerait éviter ces odeurs qui se prolongent et le fond de teint qu'elles lui collent d'office sur la joue. Avec son frère et son beau-frère, c'est plus rapide. Ils se contentent de lui tapoter l'épaule et de lancer « Bonjour Marc. Content de te voir. Tu as l'air en pleine forme. » En réponse, Marc cligne simplement des yeux.
    - Venez boire l'apéritif, lance Sophie.
    Leurs pas s'éloignent. Ils marchent vite vers la maison, soulagés de se retrouver autour d’un verre et de petits amuse-gueule.
    Le soleil a glissé légèrement, tape Marc en plein front. Des gouttes de sueur s'infiltrent au coin de ses yeux. Tant pis ! Il sait que dans quelques minutes, il passera au-dessus des peupliers et ne le dérangera plus. Il ne va pas avertir pour si peu. Il préfère les regarder de loin, voir leurs lèvres qui remuent. Leurs yeux, de temps en temps, se tournent dans sa direction ; les voix baissent comme s'il pouvait entendre.
    Sophie les fait reculer vers le coin de la terrasse. Elle doit se plaindre, pense Marc, se plaindre comme elle aime le faire, jouer les grandes sacrifiées, la sœur dévouée qui n'a que deux mains, dire que son cœur est immense, qu'elle en mourra d'être obligée d'imposer silence à son cœur, qu'elle pleurera à s'en arracher les paupières, qu'elle en perdra le sommeil et la raison, « mon frère, mon si cher frère que j’adore, mais voyez-vous, c'est vous qui répétez sans arrêt que la situation devient intenable, que je ne peux plus y faire face, que c’est une tâche inhumaine ; c’est vous qui prendrez la décision parce que, seule, vraiment, je ne peux pas. Je sais que je m’en voudrai à mort. Vous m’y aurez forcée. »
    Marc ferme les yeux. Il ne veut plus voir leurs mains qui s'agitent pour accentuer les phrases, même de loin. L'odeur sucrée de la glycine éveille en lui l'envie d'être ailleurs, dans d'autres paysages, dans des jardins en espalier qui descendraient doucement en contrebas. La terre ocre, les murets de pierre, le vert des cyprès et l'argenté des oliviers. Une larme se mêle à sa sueur, brûle le coin des paupières. La douleur le réconforte. Surtout ne pas ouvrir les yeux, garder les paupières baissées sur ces images de couleurs florentines ou d'étendues bibliques. Il n'a jamais pu choisir tellement tant de beauté lui faisait oublier Sophie, les baisers dans le vide des deux autres, les tapotements anonymes des hommes. « A chacun ses paysages » dirait Sophie. Lui, il n'en peut plus de la glycine au-dessus de lui, dont d'ici quelques semaines les grappes de fleurs tomberont une à une, s'écraseront dans un bruit flasque et humide autour de son corps. Il déteste le treillis qui borde le jardin, le gravier ratissé qui crisse à chaque pas, les parterres fleuris – un, en forme de demi-lune, l'autre circulaire pour mettre en valeur les roses de sa sœur – et les voix atténuées qui discutent sur la terrasse.

    - Marco vieni !
    Il descendait en courant les gradins de pierre, rejoignait les voix qui l'appelaient à travers les cyprès. Dans ses oreilles, il entend encore les appels à la désobéissance, les mots chantants de l'adolescence. La course en avant. Plus vite, toujours plus vite, pour les rejoindre. Et à la fin de chaque été, les promesses, les échanges d'adresse, les baisers, de plus en plus précis, de moins en moins innocents, pour se donner de la patience pendant dix mois, pour prolonger le temps du soleil et de l'insouciance.

    Marc n'entend plus rien. Là-bas, ils ont dû rentrer, se mettre à l'ombre des murs qui rétrécissent sous l'entassement des tableaux. Et Sophie, le mouchoir dans la main, chiffonné par sa transpiration, joue probablement sa grande scène, celle qu'elle préfère.
    - Vous ne pouvez pas me forcer à l’abandonner, vous ne pouvez pas m’obliger à signer. Ce sera ma mort ! C’est l’enterrer vivant !
    - Regarde - toi. Tu n'en peux plus. Si ça continue, tu vas tomber malade, faire une dépression. Tu as déjà tellement maigri, perdu de forces. Il faut prendre une décision. Aujourd'hui.
    Elle se recroqueville dans son fauteuil, essuie deux larmes qui n'arrivent pas à couler. Ses lèvres tremblent, l'empêchent de parler, de décrire le lit mouillé qu'elle doit changer chaque matin, la purée qu'elle donne à la cuiller et qui dégouline sur le menton, glisse – si elle n'est pas assez attentive – entre le col de la chemise et le cou, le corps abandonné entre ses mains, si raide, si lourd, le corps qui refuse les massages à heures fixes pour empêcher les escarres, pour que le sang continue d’irriguer chaque partie même apparemment endormie, pour lui insuffler de la vie, une vie dont il ne veut pas, et les gémissements qui la réveillent la nuit ou les hurlements incompréhensibles qui lui glacent le sang.
    Et surtout – mais cela elle ne le dira pas – les yeux de Marc qui la dévisagent, qui n'arrêtent pas de la dévisager – sans aucun battement de cils, sans fermeture de paupière – et qu'elle ne peut supporter.
    Marc entend des pas approcher, s'arrêter. « Il dort » doit-elle penser. Il sait qu’elle est derrière lui. Immobile. Elle marque une pause, laissant imaginer à ceux qui sont là-bas qu’elle redresse son oreiller, tapote sa main, dit quelques mots d’affection. Elle si prévenante, si généreuse !
    Cinq minutes ont passé. Elle s'éloigne enfin, remonte vers la maison retrouver les autres qui sont dans la salle à manger. Marc ouvre les yeux. Ils ne peuvent plus le voir. Ils ont déjà oublié dans cette pièce qui donne sur les massifs en fleur qu’il faut baisser le ton, faire comme si ce n’était pas un dimanche ordinaire avec lui qui prend l’air à l’ombre des peupliers et eux qui se retrouvent pour le plaisir dominical. « Une si belle famille, toujours unie, toujours solidaire. Les parents seraient si contents de voir que les liens se prolongent, que le cercle se reforme régulièrement malgré la tragédie. »
    En guise de bénédicité, Sophie a dû entamer le repas avec son refrain habituel et des trémolos dans la voix. « Dommage que Marc… »

    - Marco vieni.
    La voix chante à ses oreilles, efface le pavillon Ile-de-France aligné sur les autres, les haies de buis taillées au cordeau, la toile de tente à rayures. « Le soleil mange tout » dit Sophie.
    A l'intérieur, c'est pire. La surabondance d'objets étouffe, brouille les yeux. « Des meubles de famille : une histoire, une légende. Jamais, je ne m’en séparerai ! » Les couleurs passées des rideaux, les bibelots envahis de poussière et les aquarelles de chats, souvenirs de quand elle avait le temps de peindre. Sophie omniprésente, pendue à ses basques qui ressemble aux deux poupées anciennes qu’elle garde jalousement dans la vitrine Napoléon lll, « les poupées de mon enfance ! », Sophie qui n'arrête pas de parler, de lui parler à la troisième personne comme s'il n'était déjà plus du monde ou comme s'il fallait l'en rayer. « Il sera bien Marc près de la fenêtre. Comme il a bonne mine aujourd'hui ! » Et parfois, dans une pulsion de vampire, elle se penche, l'embrasse, lui murmure des chapelets de mots tendres, mots obscènes de l’affection.

    - Marco vieni !
    Lui comme un fou, il courait, il répondait à l’appel de Manuela, la voix du dernier été. Manuela devenue l'unique, Manuela et ses yeux de châtaigne, ses seins si doux dans leur premier épanouissement. Il sautait par-dessus les murets, par-dessus les interdits, pour la rejoindre et en faire des gerbes de bonheur. Une folie saine qui grossissait son sac de souvenirs où les émois d'amour rimaient avec toujours. C'était si beau de se laisser porter par des instants de lumière, par des promesses chuchotées. Les oliviers cachaient le reste du monde, laissaient croire qu’ils étaient à l’abri des regards. Rien que toi et moi. Toutes les nuits étaient des nuits de la San Lorenzo. Les pluies d'étoiles formaient des rideaux de chambre nuptiale, balayés par l'air frais.
    - Marco vieni.
    A nouveau, il a quinze ans, Manuela à son cou ; ils dansent dans la chaleur de leurs deux corps. A cœur perdu. Toute la beauté du premier amour. L’unique. Sans rien qui les relie à la terre.

    Sophie s'ennuyait. « Marc, tu m'avais promis qu'on passerait l'été ensemble, que tu m'emmènerais partout avec toi. Les aînés déjà ailleurs, en absence de jeux. Tu m’avais promis ! Des vacances qui n’en finiraient pas, rien que pour nous deux, juste avant la rentrée. » Sophie le cherchait partout lui en voulant de s’ennuyer. Sophie qui écoutait aux portes, fouinait dans ses affaires, reniflait ses habits, fouillait dans ses poches, devinait des mystères dont elle était exclue. « Marc, tu avais juré ! » Sophie qui a joué les rapporteuses, les mouchardes. Sophie qui lui a coupé les ailes, qui a fait pleuvoir les punitions. Des journées entières derrière les volets fermés. Le dos tourné à la porte, la bouche murée dans le silence. Et elle qui ne le quittait plus, cherchait à provoquer ses confidences ; elle la petite dernière, montée en graine trop vite, elle la sournoise qui ajoutait mensonges sur mensonges pour que l’interdiction de sortir ne s’arrête pas.
    - Marco vieni !
    Ses quinze ans impatients et les trouvailles qui en naissaient, ses quinze ans qui ne supportaient pas les portes fermées, la chambre où son corps se desséchait. La voix de Manuela venait le chercher. Toutes les nuits, il partait, enjambait la fenêtre, descendait le long de l'échelle ; il courait pieds nus dans l’herbe, escaladait les murets de pierre ; il allait fêter son bel été, les nouveaux jeux qu'ils découvraient. « Marc, tu m'avais promis. » Il n'entendait rien, courait dans l'urgence des amours de quinze ans.
    Et une nuit, l'échelle qui soudain se détache du mur. Le corps de Marc qui tombe, tombe à n'en plus finir, s'écrase la colonne en premier, bien à plat, dans toute sa longueur. Un corps empalé sur les piquets de vigne, les yeux grands ouverts sur les étoiles.
    Il n'y a pas eu d'enquête. « Une si belle famille. Depuis tant d'années en vacances ici. Depuis si longtemps. Des gens si bien élevés, si discrets. La malchance ! » C'était un accident, un stupide accident. Comme il en arrive des milliers par année. Une mauvaise chute. Un accident de destinée !
    Des mois d'hôpital, des mois d'opérations, le corps cisaillé, recousu. Un corps qui ne lui appartient plus et qui s'oublie de partout, sauf de la souffrance.
    Des années clouées sur un lit, puis sur une chaise, la parole morte, la motricité perdue. Des années soigné par sa mère jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus le soulever, tourner ce corps devenu si lourd et qu'elle déserte. Maintenant, légué à Sophie, la petite dernière parce que « les aînés, tu comprends, leur vie tracée, leurs obligations de cadres, leur absence de temps. ! » Des heures de soins donnés par Sophie, des heures à se faire violer dans l'intimité de son corps, avec seulement ses yeux pour parler, ses yeux qu'elle ne regarde jamais.

    - Marco vieni.
    Ces deux notes comme un soleil, un souffle d'air frais qui brûle le cœur. Les murets de pierre entre les cyprès, la lumière qui éclabousse entre les branches, le jeune corps renversé et lui qui le prend comme on s'enivre à quinze ans.

    - Vous viendrez tous, a dit Sophie. Le dernier dimanche de mai, juste avant l'été. Le temps sera splendide. Le jardin dans une orgie de couleurs et d'odeurs sucrées.
    Ils sont tous là, les aînés, pour discuter avec la petite dernière, discuter de ce qui ne les concerne pas. Marc sait que dans une heure, Sophie, après s'être fait prier, supplier presque, aura sorti la feuille déjà prête. « Qu'ils signent, mais qu'ils signent donc, » pense Marc. Il n'a que l'impatience de leur signature, leurs paraphes qui le libéreront de Sophie. Echapper à ses mains rêches et froides qui, plusieurs fois par jour, lui hérissent la peau, tordent ses nerfs ; ses mains qui se posent sur lui avec voracité et dégoût, avec détestation et jubilation. Oublier ses yeux qui ne le regardent jamais mais qu’il devine gelés avec parfois une étincelle de plaisir « Marc, tu m’avais promis. »
    Aux Amaryllis, il sera bien, Pension pour tous les accidentés de la destinée, pour tous les cas qui n'ont pas de fin. Peut-on vivre à trente ans avec un corps absent ? Un corps qui se délite, tandis que la tête rêve, que le coeur voyage dans les étoiles.
    Le soleil est devenu moins chaud. L'un après l'autre, ils descendent vers les peupliers, sourient à Marc. Lui, il cligne simplement des yeux en les voyant avancer. Son beau-frère a préparé un discours. Il le récite, mais Marc n'écoute pas. Il sait déjà ce qu'il y a derrière les mots prononcés; il sait lire les voix. En quinze ans, il est devenu expert. Il ne voit que le papier signé, la route qui mène aux Amaryllis, la route interdite. Trop loin, trop risquée, trop difficile, surtout lorsqu’on est seul. Comme une impossibilité de visites.
    Il entend les battements de son cœur et deux notes comme un chant dans sa tête, un chant qui ne s'arrêtera plus.
    - Marco vieni !

    Claire Julier, qui vit à Sanary-sur-mer, collabore deuis des années au Passe-Muraille et a publié plusieurs recueils de nouvelles. Le dernier paru, à l'enseigne d'Edinter s'intitule Entre deux.

    6511bcf217dc3f691e4a0465bf45cb99.jpg

  • Le Routard est sympa…

    ccfbd4b8be2455e5ca40ceb98451db77.jpg
     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Sa présentation de la Suisse est à recommander, avec les bémols d'usage... 
    C’est entendu : d’aucuns, après Houellebecq, trouvent le Routard un peu barjo et par trop bobo, avec tous les défauts de notre génération de babas cools, et pourtant j’en défendrai pour ma part les qualités, allez, parce que comme notre génération il est curieux, il est généreux, et à le pratiquer comme je l’ai fait pendant un mois en Suisse que, tout de même, je crois un peu connaître déjà, je lui tire mon chapeau, au Routard, je lui tire ma révérence dans les grandes largeurs, pour la très large palette et la précision, la richesse, la justesse, l’originalité souvent de ses informations.
    J’écris cette note dans un hôtel tout de bois vêtu de la petite ville d’Appenzell, sur le conseil précis du Routard. Ce midi, je suis allé déguster des röstis aux fraises àl'auberge zur Sonne, à Winterthour, sur les mêmes indications du Routard, et j’ai découvert ensuite, à Saint-Gall, divers lieux que j’ignorais, bien repérés et bien décrits par le même Routard. C’est le Routard qui ma mis sur la piste du backpacker de Sent en Basse-Engadine, véritable découverte que je lui dois, et j’ai noté maintes curiosités naturelles ou culturelles qu’il signale, comme la cave à jazz jouxtant le Violon de Bâle, superbe vieil hôtel aménagé dans un ancien couvent d’abord reconverti en prison...
    Pour Appenzell, je mettrai tout de même un bémol à la description du Routard, qui en fait une espèce de village-exposition à nains de jardins et kitsch pour touristes, parangon de LA Suisse profonde, plus cliché tu meurs. Or ce n’est pas que ça. Car le cliché ne va pas sans clins d’yeux, dans un pays qui a plus d’humour que beaucoup ne le croient. L’incroyable paysage de hauts plateaux montueux, d’un vert irlandais mais à vrai dire incomparable, est à la fois le summum de la carte postale et un lieu où vivent des gens qui, contrairement à ce que dit le Routard, ne font pas que poser pour les visiteurs de passage. Les incroyables maisons peintes ne sont pas que du folklore ripoliné pour la galerie mais la survivance d'une culture paysanne que documente l'incroyable musée. Bien entendu, le mauvais goût est ici pareil à celui qui ravage les sites de Provence ou de Toscane, mais le pays n’en vit pas moins, avec le désarroi de ses paysans et le spleen de ses ados à jeans pendouillant comme partout, quitte à se ressembler pour la photo...

    def8ccb7fc8d953b75eaab55dfd36e6a.jpg

  • Le parapluie vert

    8053ace111587f4ad56860a977d17c23.jpg

    Des intersections mystérieuses et de la grâce d’une lecture de Sylviane Chatelain
    Il se passe parfois des choses étranges, dans nos vies, qui nous échappent ou qui nous rattrapent au contraire, qui nous font peut-être signe, qui voudraient nous révéler quelque chose ou qui nous révèlent nous-mêmes, savons-nous ?
    En tout cas hier, sur le quai de cette gare, un peu égaré d’avoir appris la mort d’une amie, chère quoique plus revue depuis des années, me demandant si j’allais repartir au sud ou au nord, à telle ou telle extrémité du pays, comme une impulsion soudaine me fit me ressouvenir que ce soir-là, précisément, une soirée de lecture se donnait à Rolle, au bord du Léman, chez une autre de ces personnes lumineuses qui rayonnent et chaque dernier mardi du mois, depuis des années, convie un écrivain à lire de ses pages, et ce soir-là ce serait la romancière Sylviane Chatelain.
    Les mardis de Rosmarie Burri, à Rolle, n’ayant rien de la pose ou de l’affectation que j’exècre, typique d’un certain milieu littéraire, et cette soirée étant la dernière qu’elle donnerait avant de passer la main, je m’en fus donc avec mes bagages, direction Genève et jusqu’à Nyon, le direct ne faisant pas la halte de Rolle, à Nyon où je planquai mon barda dans un casier de fer avant de prendre l’omnibus de Rolle et là que vis-je soudain : je vis le parapluie vert, le vert parapluie je vis qui m'attendait.
    Le vert est la couleur de mon encre et donc de mon sang, et tout de suite je compris, alors que la pluie menaçait, que ce parapluie vert m’était destiné et qu’il allait me porter chance. Donc je m’en emparai. Or dès ce moment, certaine magie poétique qui m’avait conduit depuis un mois aux quatre coins du pays se densifia plus encore, pour atteindre toute sa plénitude durant la lecture d’Une main sur votre épaule, le dernier livre de Sylviane Chatelain.
    Je sais que d’estimables personnes considèrent Sylviane Chatelain comme un auteur romand de première importance, mais je l’avoue, j’en ai un peu honte : jamais je n’avais vraiment entendu ses mots jusque-là, jamais comme ça. Or hier soir, et la voix, la présence, la justesse de chaque mot habité physiquement par l’auteur y étant pour beaucoup, ce flux se déployant comme en vagues rappelant la prose de Virginia Woolf, avec un pouvoir suggestif relevant de la vraie fiction et du véritable exorcisme psychique, tels qu’on les trouve chez Henry James, je fus sous le charme et bien plus: convaincu d'entendre soudain de la belle, de la grande littérature. Autant dire que je me suis promis de revenir à cette suite de variations sur quelques thèmes, où il est question d’une maison et des personnages qui s’y succèdent, d’une maison-refuge qui est la fois une maison-menace, et de peinture et d’angoisse, de musique et d’angoisse, d’amour et d’angoisse.
    Enfin très tard hier soir, ayant quitté mes amis plein de reconnaissance et regagné mes pénates en renonçant pour la nuit aux quatre vents du pays, j’eus encore à recevoir, du parapluie vert, cette dernière indication: tu vas lire ce livre, m’ordonnait-on, et je le pris au hasard sur le rayon et je le vis : c’était le Kierkegaard de Jean Wahl dont j’ignorais que je le possédasse (du verbe possédasser), et dans lequel aussitôt je me plongeai pour y retrouver l’angoisse à l'état pur, l'angoisse comme une maison d'os et d'âme, l'angoisse et la joie, l'angoisse et l'amour...
    Sylviane Chatelain. Une main sur votre épaule. Campiche éditeur, 2006.

    52e2afeeb0c667b2597a7ab820c2369a.jpg

  • Retour à nos sources

    6d5d597aed07633ac9ef0c3bd5a8467b.jpgLecture de Comment je suis redevenu chrétien de Jean-Claude Guillebaud 

    OUVERTURE

    - On lui demande souvent s’il est chrétien ou non.
    - Et jusque-là il ne savait trop quoi répondre.
    - La question gêne d’ailleurs.
    - Etre chrétien, aujourd’hui, n’est en effet pas très bien vu, en tout cas en France. Cela fait ringard.
    - On peut dire qu’on est homosexuel ou échangiste sans problème.
    - Se dire chrétien, surtout dans le milieu intello, ça craint.
    - Longtemps il a campé dans le flou.
    - Il a refusé de « lâcher prise ».
    - Mais une colère l’a fait réagir : l’intolérance envers les chrétiens, justement.
    - Au temps des persécutions, dans les décennies précédant la conversion de Constantin, il était de bon ton de se dire chrétien.
    - Michel Henry et Frédéric Boyer, qui se sont dits chrétiens, ont été snobés par la critique après en avoir été respectés.
    - La charge antichrétienne fait l’impasse sur le trésor du judéo-christianisme.
    - La phrase de Tertullien, credibile est quia ineptum, citée à tout-va, n’est pas un argument anti-rationaliste mais une définition de la croyance.
    - Par ailleurs, on ne dit plus rien des combats juridiques de l’Eglise pour adoucir la violence médiévale.
    - Rien de l’œuvre éducative et hospitalière de l’Eglise.
    - Les chrétiens n’osent plus se montrer.
    - « Je ne suis pas sûr d’avoir intimement la foi, mais je crois profondément que le message évangélique garde une valeur fondatrice pour les hommes de ce temps. Y compris pour ceux qui ne croient pas en Dieu. Ce qui m’attire vers lui, ce n’est pas une émotivité vague, c’est la conscience d’une fondamentale pertinence ».
    - Il récuse alors la rétractation de cette conviction dans l’enclos de l’intimité. Récuse à la fois le silence précautionneux et la crispation dogmatique.
    - Veut dire comment il a vécu tout ça.
    - Rappelle qu’il a été journaliste pendant vingt ans, sur tous les fronts, du Vietnam à la guerre du Kippour en passant par la guerre du Liban.
    - Il a couvert les drames de la planète.
    - En témoin. Assistant aux catastrophes du monde par « zapping tragique ».
    - A éprouvé la honte de voir des gens condamnés à mort alors qu’il se sauvait.
    - A souffert de s’endurcir. Mais a appris à percevoir les mutations du monde.
    - La question du Mal lui est apparue de plus en plus clairement. Accentuée avec les génocides du Rwanda et d’ex-Yougoslavie.
    - Vers le milieu des années 70, il a senti venir des transformations profondes de notre monde. Avec l’intégrisme des ayatollahs iraniens. Avec la sauvagerie du passage à l’acte au Liban, puis dans les Balkans.
    - A constaté les grandes bifurcations anthropologiques liées à la chute du communisme et aux révolutions informatique et biologique.
    - Conscient de se limiter à une observation « horizontale », il a éprouvé le besoin de prendre du champ et de réfléchir.
    - Et c’est pourquoi il s’est retiré du journalisme.
    - Evoque les temps apocalyptiques annoncés par Karl Jaspers.
    - Des temps non pas de fin du monde catastrophique mais de « révélation », de « surgissement ».
    - A écrit six livres pour mieux comprendre. Ce qu’il appelle des « reportages d’idées » : La Trahison des Lumières, La Tyrannie du plaisir, La Refondation du monde, Le Principe d’humanité, Le Goût de l’avenir et La Force de conviction.
    - Il a voulu comprendre les 3 révolutions en cours : économique, numérique et génétique.
    - Convaincu que nous devons penser cette époque.
    - Une époque de « grande inquiétude ».
    - Après avoir quitté Le Monde, il est devenu directeur littéraire au Seuil où il a collaboré avec de grands intellectuels de ce temps en France : Henri Atlan, Louis Dumont, Jean-Pierre Dupuy, Cornelius Castoriadis, René Girard, Michel Serres, Edgar Morin, notamment.
    - A tenté de lutter contre la parcellisation du savoir.
    - Cite l’Enquête sur les idées contemporaines menée par Jean-Marie Domenach dès 1981 pour L’Expansion.
    - Lui-même est redevenu étudiant, très marqué aussi par Jacques Ellul.
    - A l’époque, le christianisme l’indifférait plutôt, et notamment les débats sur l’existence de Dieu.
    - Est d’abord revenu au christianisme pour des raisons anthropologiques.
    - Rappelle sa trajectoire de petit catho de province venu à mai 68 chroniquer la révolution.
    - Marqué par les interprétations de Maurice Clavel et Michel de Certeau.
    - De plus en plus intéressé par le « trésor » du judéo-christianisme.

    - PREMIER CERCLE : LES SOURCES DE LA MODERNITE
    - Parle de trois cercles concentriques.
    - Achoppe aux sources de la modernité
    - Se rappelle une remarque de René Girard : « C’est ce qui reste de chrétien en elles qui empêche les sociétés modernes d’exploser ».
    - Estime que le message chrétien a été largement intégré, mais qu’il est coupé de ses sources.
    - La plupart de nos valeurs sont issues de la Bible, c’est un fait.
    - Mais en France, ce constat est occulté depuis les Lumières.
    - L’attachement de la gauche aux anti-chrétiens historiques (de Voltaire à Nietzsche) est plus accusé qu’ailleurs.
    - La France occulte sa double filiation avec la Bible et les Lumières.
    - Mais il est vrai que l’Eglise ya aidé.
    - Notamment avec l’encyclique Quanta cura de Pie IX contre les idées modernes.
    - Hors de France, on a accepté ce continuum sans rupture.
    - Cite Benedetto Croce : « Nous ne pouvons pas ne pas nous dire chrétiens », qui date de 1942.
    - Croce souligne la révolution morale et spirituelle représentée par le christianisme. (Cf. Commentaire No 1001, printemps 2003).
    - Croce évoque par ailleurs les « chrétiens du dehors ».
    c5502c574b8036f2d05c2010f13fed21.jpg- En travaillant à La Refondation du monde, Guillebaud a mis au jour six valeurs héritées du judéo-christianisme , à commencer par l’individualisme, en tant qu’autonomie de la personne.
    - Rappelle les textes de Louis Dumont sur les origines chrétiennes de l’individualisme. Cite aussi Les sources du moi (Seuil, 1998) du philosophe canadien Charles Taylor.
    - Montre comment l’individualisme d’inspiration chrétienne se distingue des conceptions bouddhiste ou confucéenne, autant que du « sujet » en tradition islamique, ainsi que l’illustre Le sujet en islam de Malek Chebel.
    - Montre aussi comment l’Eglise instituée a combattu la liberté individuelle propre au christianisme…
    - Mais cite également l’effort de l’Eglise, contre la royauté, à favoriser le mariage par consentement mutuel, contre les mariages arrangés (cf. Duby et le Goff).
    - Distingue enfin l’individualisme narcissique voire autiste de notre temps du concept de personne-en-relation.
    - Deuxième valeur issue du christianisme : l’aspiration égalitaire. Une idée qui n’existait pas vraiment dans la pensée grecque.
    - Les Grecs ne pensaient pas que les hommes appartenaient tous à la même « essence ».
    - Aristote : « Les barbares n’ont de l’homme que les pieds ».
    - Influence décisive de l’épître aux Galates de Paul.
    - Rappelle ensuite la fameuse controverses de Valladolid, sur l’humanité ou la non-humanité des Indiens, opposant deux chrétiens : Juan Ginès de Sepulveda, historiographe de Charles Quint, et Bartolomé de Las Casas.
    - Un débat fondateur préludant aux futures controverses entre colonialistes et anti-colonialistes.
    - Rappelle que Las Casas excluait les Noirs de son plaidoyer, ce dont il se repentit ultérieurement.
    - La controverse illustre l’opposition d’un christianisme subversif et de son « adaptation » par l’Eglise.
    - Cite ensuite les concepts d’universalité, d’espérance (contraire à la circularité du temps selon les Grecs et à l’amor fati de Nietzsche).
    - Rappelle la téléologie du prophétisme juif, illustrée dans le Pentateuque par la formule : « Souviens-toi du futur ».
    - Cite le concept de progrès lié à l’espérance, à quoi s’oppose l’hégémonie du présent « consommé » par nos sociétés hédonistes.
    - Prône le retour au « goût de l’avenir » célébré par Max Weber.
    - Cite enfin notre rapport à la science, en s’opposant à l’idée reçue selon laquelle le religieux s’oppose forcément à la science, comme le font croire les exemples de Giordano Bruno ou de Galilée.
    - Rappelle le rôle fondamental des ordres religieux, et notamment des jésuites, dans les avancées du savoir ; et que les plus grands astronomes ont souvent été des religieux, et que ceux-ci ont donné des fournées de savants dans tous les domaines.
    - Rappelle que le monothéisme a aussi favorisé l’émergence de la science expérimentale. Cite le concept intéressant d’ « étincelle théologique », qui ouvre littéralement l’exploration de la terre jusque-là sacralisée par le polythéisme.
    - Tel est le repérage de ce que Guillebaud appelle le « premier cercle », consistant à reconnaître les « traces » de nos divers héritages greco-latins et judéo-chrétiens.
    - Relève alors que ce premier cercle n’est qu’une approche périphérique.
    - « Le christianisme, c’est autre chose qu’une simple collection de valeurs humanistes. Avoir la foi, ce n’est pas adhérer simplement à un catalogue de principes normatifs, qui serait comparable au programme d’un parti politique. Oublier cela, ce serait confondre la « religiosité » avec la croyance.

       DEUXIEME CERCLE : LA SUBVERSION EVANGELIQUE
    - Un cercle plus proche du feu central.
    - Important du point de vue anthropologique.
    - Rappelle qu’il a été l’élève de Jacques Ellul avant de devenir son éditeur.
    - De La subversion du christianisme, livre majeur selon lui.
    - Un essai proche de la téologie de la libération catholique.
    - Egalement influenc par le phénoménologue Michel Henry.
    - Dans C’est moi la Vérité, L’Incarnation et Paroles du Christ.
    - Rappelle une autre dette envers Maurice Bellet et Le Dieu pervers.
    - Qui décriait le Dieu jaloux aux chantages affectifs intolérables.
    - Egalement très redevable à René Girard.
    - Décrié par les intellectuels comme l’a été un Camus.
    - Pense que l’œuvre de Girard est une bombe à retardement qu’n n’a pas encore comprise.
    - Ces auteurs lui ont appris à voir comment le Christ avaiut fendu l’histoire en deux.
    - Ne pense pas qu’il y a filiation avec le Talmud et le code babylonien, contrairement à Régis Debray.
    - Pas une religion « de plus ».
    - Pense que le christianisme marque une rupture définitive.
    - En inversant le sens du sacrifice, il devient une « religion de la sortie du religieux ».
    - Dénonce la persécution sacrificielle et proclame l’innocence des victimes.
    - Paul dénonçait déjà le « trop » de religion devant les philosophes grecs.
    - La folie de la Croix balaise tout autre religion.
    - Le message évangélique inverse les perspectives.
    - Les Grecs pratiquent le sacrifice sous le signe de l’unanimité persécutrice.
    - Le mimétisme y est essentiel, qui survit aujourd’hui dans nombre de phénomènes médiatiques, équivalents de la lapidation.
    - La résurrection ruine le sens du sacrifice.
    - La résurrection est une objection qui enraie le mécanisme de tout sacrifice.
    - C’est pourquoi le consentement à la résurrection est le cœur de la foi chrétienne.
    - Chrétiens ou non, nous avons désormais intégré le message qui nous fait déceler le mensonge sacrificiel, la ruse de la persécution.
    - Notre souci des victimes n’a pas d’autre origine.
    - Le point de vue de la victime est devenu référentiel à cause du judéo-christianisme.
    - La surenchère victimaire en découle, ruse fréquente aujourd’hui.
    - Mais l’interprétation progresse lentement.
    - Jean XXIII : « Nos textes ne sont pas des dépôts sacrés mais une fontaine de village ».
    - Relève l’intérêt des contradictions entre les quatre évangiles.
    - Les chrétiens sont les héritiers d’un récit.
    - La parole « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » lui paraît d’une « intelligence anthropologique stupéfiante ».
    - De fait, les persécuteurs son en pleine méconnaissance de leurs actes.
    - Nietzsche avait vu cette fondamentale nouveauté, pour la combattre.
    - Souligne l’intérêt d’une lecture attentive de Nietzsche.
    - Dont l’imprécation rend hommage à la subversion du christianisme.
    - L’entrée dans ce deuxième cercle a poussé Guillebaud vers la gauche. « Je me suis senti plus chrétien que catholique ».
    - Se sent peu attiré par le Dieu tout-puissant et punitif .
    - Pour le Romain, la vénération d’un crucifié est une obscénité.
    - Cette élection d’un vaincu a été stigmatisée maintes fois.
    - Lui-même est de plus en plus attiré par la métaphore de la Croix et par la kénose : la relative faiblesse de Dieu qui laisse l’homme aux prises avec sa propre liberté.
    - Revient aux idées de tsimtsoum et de kénose.
    - Rappelle la colère de Bernanos dans Les Grands Cimetières sous la lune.
    - Mauriac fustigeant les défenseurs du franquisme.
    - Intègre une vision assez protestante du christianisme.
    - Pas fasciné par la « réussite » de l’Eglise, comme l’est Régis Debray.
    - Pense que cette vision reconduit au maurassisme « athée mais catholique ».
    - Guillebaud lui-même se sent aux antipodes du catholicisme conservateur.
    - Estime que beaucoup d’antichrétiens, visant cette cible, sont injuste avec le christianisme fonamental.
    - Signale les résurgences de cette pensée chez un Julius Evola ou un Carl Schmitt.
    - Son christianisme le pousse au contraire vers la théologie de la libération et les nouveaux mouvements.
    - Devient chroniqueur à La Vie pour cette raison.
    - En réaction contre le cynisme du néo-libéralisme.
    - Dénonce la gauche française qui a perdu tout contact avec les humiliés et les offensés.
    - Assiste à la banalisation de l’injustice sociale.
    - Dénonce la dérive consumériste et hédoniste.
    - Constate que les chrétiens ont fait les frais de ce cynisme.
    - Se dit motivé par la colère et non le romantisme compassionnel.
    - Ne se sent cependant ni libéral ni libertaire.
    - Dans un premier temps, participe à la critique de l’institution catholique.
    - Décrie le césaro-papisme.
    - Puis il a évolué.
    - En fréquentant les croyants. Découvre des communautés vivantes et ferventes.
    - Découvre des religieux humbles et héroïques.
    - Une Eglise très affaiblie. Mais dont la faiblesse même est peut-être riche d’un possible rajeunissement.
    - La minorité n’est pas forcément catastrophique selon lui.
    - Rappelle le rôle des premiers chrétiens face à l’abjection du pouvoir romain.
    - Les chrétiens pourraient retrouver une fonction protestataire.
    - Y compris contre le délire transgressif.
    - Evoque la dimension de joie de cette réaction, au sens où l’entendait Bernanos.
    - La colère joyeuse que prônait Emmanuel Mounier.
    - Souligne l’importance du lien communautaire.
    - Affirme que la croyance passe par la relation.
    - A cet égard, dit son souhait que l’Eglise redevienne un foyer vivant.
    - Toute l’histoire chrétienne a été marquée par l’opposition, difficile mais féconde, entre la pesanteur de l’institution et la fulgurance du message.
    - Rappelle les composantes humaines du Journal d’un curé de campagne.
    - Rappelle que l’histoire du christianisme est fondée sur les trois figures de la puissance, de la protestation et de la sainteté.
    - Rappelle que des gestes « saints » n’ont cessé de vivifier l’Eglise. Cite Maurice Zundel le mystique suisse, Christian Chergé le trappiste de Tibhérine assassiné, et de l’abbé Jean Flory défiant les Allemands à Noël 1942 en rappelant l’origine juive des figures de la crèche, auxquelles il colla des étoiles jaunes devant les officiers boches…

    TROISIEME CERCLE : LA FOI COMME DECISION

    - Reste le problème de la foi.
    - Dont le troisième cercle est le lieu central.
    - Claude Dagens, évêque d’Angoulême, l’a surnommé « prophète de l’extérieur », non sans ironie.
    - Se demande alors « où il en est »…
    - Il dit hésiter, marmonner, tricher.
    - Retourne un peu à la messe. Dont la phraséologie le fait regimber.
    - S’intéresse à de nouvelles approches des textes, au phénomène de l’ennui.
    - Lit et rencontre Timothy Radcliffe.
    14baf266cee3130f4096e87f44ca3174.jpg- En travaillant à La Force de conviction, découvre chez Leibovitz, philosophe israélien, que c’est le caractère volontaire de la croyance qui le distingue de la connaissance.
    - « On croit aussi parce qu’on l’a choisi ».
    - Affirme que la croyance n’est pas conclusive mais inaugurale, semblable en cela à l’amour.
    - Analyse, par contraste, les phénomènes de la décroyance, et leur impact psychologique dévastateur.
    - Souligne aussi bien la dimension affective de l’assentiment à la foi.
    - Se demande enfin si cette foi n’a pas toujours persisté en lui.
    - Se dit incapable de répondre.
    - Cite Kierkegaard : « Il arrive que la foi voyage incognito ».
    - Et se souhaite de rester joyeux…
    - Tout cela très intéressant, impressionnant de sincérité et de netteté, largement ouvert à la discussion et à l’expérience personnelle de chacun.
    - Me sens très proche de cette pensée en constante relation, jamais dogmatique ni crispée. JCB représente le type à mes yeux de l’homme de bonne volonté. Me ravit qu'il cite Kierkegaard en fin de course, mon pote de ces jours...

    GUILLEBAUD Jean-Claude. Comment je suis redevenu chrétien. Albin Michel, 182p.

  • Contre le style TipTop

    7c6e11dad2bca85b6979c297a849c4c8.jpg
    Ce qui menace l’Europe

    On croit que la vieille Europe est menacée par le plombier polonais ou par le Turc à relents mahométans, mais on a tort : on ne voit pas le vrai danger découlant d’une progressive acclimatation mondiale de la propension suisse au TipTop propre-en-ordre qui indique que l’Opel/Honda/Toyota/Peugeot est lavée et polie à la peau de chamois, que la vaisselle et la lessive et les vitres et toutes les surfaces visibles d’alentour sont propres et nettes, enfin que tout est nickel et sous contrôle.
    Il y a là quelque chose de terrible qu’on aurait tort de prendre pour une seule tare suisse, dont on se débarrassera en confinant ce pays hors de l’Europe. Non : la situation est plus grave. Preuve en est que je l’ai observée d’abord en Allemagne, à Rothenburg ob der Taube, sur la route dite romantique. J’entrai alors dans un hôtel et qu’y vis-je : l’abomination propre-en-ordre, sans qu’on pût imaginer une collusion entre la Suisse et la Souabe active. Le TipTop au stade terminal.
    Mais qui alors a contaminé l’Allemagne ? Hélas la conjoncture devient alarmante, puisque l’Europe entière, de Malmö à Agrigente et de Zagreb à Albufeira, se trouve enivrée par le désir d’encaustique et de karaoké… A savoir, après le TipTop: sa conclusion festive.
    Je prends ces notes pessimistes au bord d’une admirable rivière suisse, la Kander, qui n’est en rien contaminée par ce nouveau conformisme européen de l’ordre et de la propreté. Je suis descendu tout à l’heure dans un Lodge de Kandersteg, ancien palace réaménagé selon la simple éthique et la frugale esthétique de l’homme des bois, dérogeant évidemment aux normes débilitantes du tourisme conventionnel et donc européen, mais réalisant le summum du confort : un seul employé jamais là y règle l’organisation de 33 chambres donnant toutes sur la nature et le ciel, et la piscine intérieure est accessible à toute heure. Le prix est dérisoire. La qualité du savon incomparable. On croit que la civilisation se perd. On se goure. Je fournis les renseignements sur l'établissement aux gens qui en sont dignes... 

  • Backpackers on the Roof

    082fc7c4e94f9fbd4b2752730f401ef5.jpg

    L’étape de Sent, chez Jonas
    Les routards ont fait des petits avec les Backpackers, qui n’ont rien pour autant d’une nouvelle secte baba-cool, mais se recrutent autant parmi les jeunes en veine de balades point trop ruineuses que chez les familles à moyens moyens. L’appellation recouvre, en Suisse, quelque vingt-cinq adresses qui vont de la Baracca d’Aurigeno, lieu cher à Patricia Highsmith, au bord de la Maggia, au Riviera Lodge de Vevey, en passant par le Mountain Hostel de Grindelwald et l’Old Lodge de Wengen. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le réseau n’est pas réservé aux descendants américains des hippies, et la meilleure preuve en est la clientèle majoritairement helvéto-européenne du Swissroof de Sent, en Basse-Engadine, tenue par deux compères dont le très souriant Obwaldien Jonas.
    L’étape vaut le détour et plus encore : le séjour. Mais passer rien qu’un jour et une nuit chez Jonas, dans une chambre donnant sur toutes la haute vallée de l’Inn, au cœur d’un village immédiatement attachant, aux belles maisons couvertes de sgraffite et aux charmants palazzi, aux ruelles pavées de têtes-de-chat et aux gens immédiatement accueillants, m’a paru une telle grâce que je me suis promis d’y revenir sous peu par temps plus clément. Il y a certes d’autres pensions et auberges à Sent, mais le Backpacker Swissroof allie les charmes d’une vieille maison grisonne, avec ses chambres de vieux bois et ses balcons à vue lointaine (du château de Tarasp aux hauteurs de Guarda, autre merveille plus léchée et touristique) à une ambiance familière, où chacun peut faire sa cuisine si ça lui chante. Pour une chambre et le petit-dèje copieux de Jonas, il m’en a coûté 65 francs suisses (40euros), avec sanitaires sur l’étage et literie minimale, le vrai luxe à mon goût. On peut trouver plus confortable dans la même maison, ou préférer les dortoirs carrément bon marché, avec la nuitée dès 25 francs. De là, été comme hiver, des quantités de balades et d’exercices plus ou moins sportifs (dont la descente en trottinette des hauts du domaine skiable…) sont possibles, et cette randonnée où je me suis déjà promis d’égarer un Sollers qu’on va revêtir de Knickebockers seyants et munir d’un Alpenstock. Sollers au Val Sinestra, ça c’est le scoop ou je ne suis qu’un rot de lagopède…
    Renseignements indispensables : www.backpacker.ch et surtout : http : // www.swissroof.ch

  • Décalage horaire

    3fdcd825f2ada3e41217831b7929e449.jpg
    Un signe de Basse Engadine

    Dans un Haut lieu de Basse Engadine, en août. – J’écris cette note sur le coin d’une table minuscule, dans une vieille maison grisonne de Sent aux murs couverts de sgraffite, au-dessus de Scuol. J’étais ce matin au bord du Rhin qui est à Bâle une fluente route d’Europe ouverte aux grands airs, à midi j’ai longuement entendu un WonderBoy zurichois qui travaille dans l’utopie urbaine, et ce soir je me retrouve en ces hautes vallées où le nord et le sud se conjuguent, jouxtant l’Autriche et le Trentin, dans un village entièrement détruit par le feu au début du XIXe siècle, reconstruit pour l’éternité en pierre merveilleusement ornée, dont les façades de chaque maison racontent l’histoire des gens de cette terre du bord du ciel. On y arrive par un petit train rouge que Greta Garbo connaissait bien, et Thomas Mann qui a écrit La montagne magique non loin de là. Je devrais décrire tous les jours ce que je vis et ce que je lis au jour le jour, comme ce magnifique Mal de pierres de Milena Agus, mais vivre et écrire ne vont pas toujours de pair, et Nicolas Bouvier en était le meilleur témoin qui mettait dix ans à filtrer la matière de ses pérégrinations. Or je constate que mes notices de La Suisse en zigzags ont plus de dix jours de retard, alors que mon foutu LapTop me joue des tours à n’en plus finir. Tant pis et tant mieux, n’est-ce pas ? La fenêtre grande ouverte sur la nuit fraiche comme une source, jouxtant le clocher qui sonne les heures pour toute la vallée, laisse couler le doux nom d’Engadine le long des pentes à l’herbe d’émeraude. On est ici loin du monde et au cœur du monde. Hors du tenps et au coeur du temps. Ainsi soit-il…

  • L'Octave en dessus

    1a6dc9854ec60adfbda715dd522a6ba1.jpg
    Au secours pardon, le best de Beigbeder
    Il y a des gens que Frédéric Beigbeder insupporte, et j’en ai été de loin en loin, à cause de Windows on the World, que je trouve un livre raté, et surtout pour les apparitions médiatiques du personnage, qui font oublier que le personnage est aussi un écrivain. Or celui-ci rebondit avec Au secours pardon, qui n’est certes pas un grand roman mais dans lequel, en dépit d’artifices narratifs censés multiplier les points de vue sans être vraiment convaincants, se déploie un souffle remarquable, que pimente un humour mordant. Surtout, c’est intéressant. Un soir chez Pivot, qui lui demandait pourquoi il s’intéressait à Balzac, Michel Butor lui répondit : parce que c’est intéressant. Balzac intéressait les lectrices de son époque (et quelques lecteurs aussi) parce qu’il leur expliquait comment ça se passait dans les sphères variables du plus ou moins beau monde, et c’est sans doute ce qui plaît aussi aux lectrices et aux quelques lecteurs de Beigdeber, outre qu’il les titille où et comme il faut: c’est qu'il dit des choses intéressantes sur le système que Peter Sloterdijk appelle le « désirisme sans frontières », qu’il décrit avec autant de clarté et de vivacité que de cynisme et de drôlerie.
    Comme dans 99 francs, mais avec plus d’ampleur et d’épaisseur aussi, Beigdeber excelle ici dans le behaviourisme littéraire en décrivant, par le truchement de la confession dont il accable un pauvre pope moscovite, les menées d’un chasseur de top models au pays de (Ras)Poutine. Comme tous les enfants auxquels on n’a jamais rien refusé, dit-il lui-même, Octave est un éternel insatisfait, Werther de drugstore au ricanement qui « sonne vulnérable », mais il n’en a pas moins d’énergie sous ses apparences languides, et son observation est aussi affûtée que celle d’un certain Houellebecq, en plus tchatcheur et en plus aimable aussi, en plus rigolo. 
    Plus qu’un roman, Au secours pardon est une sorte de discours très français d’inspiration, dont la verve satirique oscille sans cesse entre une dégoise désabusée d’humoriste médiatique, aussi vulgaire que le protagoniste de La possibilité d’une île, et des notations beaucoup plus raffinées, voire plus profondes, qui donnent sa densité et certain charme au livre.
    « Pour décrire le System qui domine désormais la planète », déclare le crâne Octave au pope taiseux, « le maître mot ne devrait plus être « capitalisme » mais «ploutocratie désiriste ». Des siècles d’humanisme européen ont été réduits en bouillie par unje utopie collectiviste suivie d’une utopie commerciale. Si le désir, selon bossuet (un curé comme vous) est un mouvement alternatif qui ve de l’appétit az dégoût et du dégout à l’appétit, alors une société désiriste alternera toujours ces deux idéologies ; l’ « appétisme » et le « dégoûtisme ».
    Octave lui-même est à la fois « appétiste » et « dégoûtiste », et ce n’est pas encore cette fois qu’il gagnera la membership card du paradis. Une fois encore, les ajouts « romanesques » par mails, extraits de blogs et autres dépositions de divers personnages, censés enrichir la dramaturgie du livre, me semblent autant de pièces rapportées, comme on le constate aussi dans les romans de Philippe Sollers, pas plus romancier précisément que Beigbeder. Peu importe à vrai dire : même un peu jetée parfois, la chose ressaisit bel et bien le ton d’une époque et d’une génération, regorgeant de bonnes phrases efficaces en diable.
    Frédéric Beigbeder. Au secours pardon. Grasset, 316p.