Dialogues schizos (2)
Moi l’autre : - Et là, tu fais quoi ?
Moi l’un : - Là, tu vois, je lis le dernier Angot.
Moi l’autre : - Tu fais ça, toi, tu lis René Girard et le dernier Angot ? C’est le grand écart, ou quoi ? Ou c’est par snobisme ?
Moi l’un : - Par snobisme en tout cas pas. Parce qui si ça me rase, je laisse tomber vite fait, tu sais. Et par rapport à Girard, je ne vois pas la contradiction. Parce qu'il y a plein de mimétisme, chez Angot. Elle est mimétique à outrance, et ce qu’elle raconte est saturé du mimétisme du monde actuel…
Moi l’autre : - Tu m’en diras tant. Et qu’est-ce qu’elle raconte, là ?
Moi l’un : - Là, à la page 47, elle est en train de se faire lécher par Doc Gynéco dont elle vient de constater, à leur première rencontre, qu’ils rient « pareil ». Cela me plaît assez parce que c’est comme ça que je reconnais les gens que j’aime : c’est qu’on « rit pareil ».
Moi l’autre : - Et Doc Gynéco, c’est quoi, c’est qui ?
Moi l’un : - Jamais entendu parler ? C’est un chanteur, j’crois, un rappeur ou quelque chose comme ça, qui a soutenu Sarkozy dans sa campagne.
Moi l’autre : - Un pipole, quoi. Et tu te mets à brouter de ça ?
Moi l’un : - Ecoute, Christine Angot rencontre ce type au Salon du livre de Brive, elle se retrouve avec les gens de sa maison d’édition dans une boîte le soir, et là il y a ce Doc Gynéco que tous les littéraires ont l’air de mépriser, et voilà qu’au moment des slows le personnage l’invite et que le slow est bon. Tu ne vas quand même pas manquer un bon slow. Tu te rappelles le premier slow que tu as dansé à douze ans dans la cave de Georges V., à ta première surpatte du quartier des Oiseaux ?
Moi l’autre : - T’en finiras pas de m’étonner. Mais quoi de littéraire là-dedans ?
Moi l’un : - En fait Le marché des amants est un peu moins littéraire, dans le sens littérature littéraire, que Quitter la ville ou que Les désaxés, mais il me semble, à quelques maniérismes près, que c’est de la meilleure littérature, au sens que j’entends, disons dans la transparence et la fusion du mot et de la chose, de la simplicité et du naturel, évidemment très recomposés, qui rappelle un peu le tout premier livre d’Angot, Vu du ciel, avec quelques vies en plus… Ce qui me bluffe aussi, c’est son art du dialogue et sa façon de rendre l’émiettement du quotidien et de la communication. Bon, tu me laisses lire ?
Moi l’autre : - Tu vas passer tout notre dimanche sur Angot ?
Moi l’un : - Mais non ma vieille, je vais recopier mes notes sur Le commencement d’un monde de Jean-Claude Guillebaud, qui dit des choses passionnantes sur l’implication des écrivains dans le monde postcolonial, et puis on a encore 1000 bouquins à classer, et j’ai deux papiers à finir avant demain pendant que tu gambergeras sur la question de nos fins dernières, pervers que tu es, enfin notre chère moitié ne manquera pas, dans l’après-midi, de nous suggérer une baignade au lagon voisin… Cela te convient genre travaux forcés ?
Commentaires
D aime particulièrement ce billet et éprouve spontanément beaucoup de sympathie pour "Moi l'un", trouvant terriblement rare de lire quelque chose de beau et de vivant sur l'écriture d'Angot (à laquelle il tient beaucoup).
Il espère que D le comprendra : il l'invitera également à lire ce billet...
Ciao da Locarno, signori D & D. Vous seriez intéressés, les deux, par les multiples découvertes cinématographiques qu'on fait ici. Moi l'un aime moins le premier Houellebecq que moi l'autre, mais les deux s'accordent à propos du premier Baricco: nullissimo. Le Tessin ressemble ce matin à la Norvège. Une bella giornata !