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essai

  • La stratégie des rapaces

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    Après No Logo, essai percutant sur l’empire des marques, Naomi Klein décrit la montée du « capitalisme du désastre », ou l’art de profiter des crises et des catastrophes à l’enseigne du néolibéralisme.

    Quoi de commun entre le coup d’Etat de Pinochet au Chili et les attentats du Worl Trade Center (les mêmes 11 septembre 1973 et 2001), le massacre des étudiants chinois sur la place Tiannanmen (1989) et le tsunami au Sri Lanka (2004), l’effondrement du communisme soviétique et le cyclone Katrina sur la Nouvelle-Orléans ? Rien apparemment, sauf ces « sauveteurs » d’un nouveau type, débarquant sur les lieux de désastres avec mission de reconstruire sur investissement. Pompiers ou prédateurs ? Agents de la paix et de la liberté, comme ils se présentèrent en Irak, spéculateurs cyniques ou bâilleurs de fonds intéressés, comme en Amérique latine, en Pologne ou au Liban ? A en croire Naomi Klein : agents d’un véritable « capitalisme du désastre », inspirés par l’idéologue pur et dur du néolibéralisme américain Milton Friedman, Prix Nobel d’économie en 1976 et théoricien d’un capitalisme libéré des entraves de l’Etat, des services publics et de toute politique freinant son expansion. Maître à penser des Chicago Boys de Pinochet et des faucons du gouvernement Bush, il influença notablement Margaret Thatcher et Ronald Reagan et fonda la « thérapie de choc ».
    « Seule une crise – réelle ou supposée – peut produire des changements », affirmait Milton Friedman, dont le premier laboratoire fut le Chili en 1973, où le « traitement de choc » s’appliqua autant à l’économie, au seul profit des riches, qu’à la torture de milliers d’opposants. Sous l’étendard de la liberté économique et de la démocratie, la « thérapie de choc » s’appliquera le plus souvent contre les peuples. Même stratégie en cas de catastrophe naturelle : au lendemain du passage de l’ouragan Katrina sur la Nouvelle-Orléans, l’un des promoteurs immobiliers les plus riches de la ville, Joseph Canizaro, constatait ainsi : « Nous disposons maintenant d’une page blanche pour tout recommencer depuis le début ». De superbes occasions se présentent à nous ». Une razzia sur les logements sociaux et les écoles publiques, entre autres menées spéculatives réalisées au dam de la population, fut une de ces « superbes occasions » saluées le nonagénaire Friedman. Même opportunisme prédateur au lendemain du 11 septembre 2001, qui fit de la lutte contre le terrorisme « une entreprise presque entièrement à but lucratif », alors même que la stratégie du choc vise à privatiser le gouvernement.
    « Je ne dis pas que les régimes capitalistes sont par nature violents », écrit Naomi Klein, qui vise essentiellement le fondamentalisme corporatiste fusionnant politique et économie : « Il est tout à fait possible de mettre en place une économie de marché n’exigeant ni une telle brutalité ni une telle pureté idéologique » ; et de rappeler les réformes d’après la Grande Dépression, à l’enseigne d’une économie mixte et réglementée, assortie de freins et de contrepoids, dont la contre-révolution néolibérale a démantelé les équilibres et les acquis. Or ce qu’on découvre à la lecture de La Stratégie du choc, dont la concentration de faits documentés produit un effet tour à tour accablant et révoltant, c’est, reproduisant à l’inverse « l’axe du Mal » cher à George Bush, un courant de pensée sans âme, cyniquement axé sur le profit et le mépris de toute générosité et de tout respect des peuples et vdes individus, dont les échecs successifs ont également révélé un fonds de corruption, voire de criminalité. Ces taches marquent d’ailleurs son déclin, que Naomi Klein décrit en fin de volume en lui opposant quelques raisons (notamment en Amérique latine) de ne pas désespérer ni d'y voir une fatalité des sacro-saintes lois du marché....
    Naomi Klein. La stratégie du choc ; la montée d’un capitalisme du désastre. Traduit de l’anglais (Canada) par Lori Saint-.Martin et Paul Cagné Leméac/Actes Sud, 669p.

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    Le pavé sous la plage

    Paranoïa de gauchiste ? Nouvel avatar de la théorie du complot appliquée à la mondialisation ? Pamphlet anti-américain à la Michael Moore comme d’aucuns l’ont prétendu ? De telles questions tiendront peut-être lieu de jugement a priori au lecteur estival effrayé par ce pavé rouge sang. Or celui-ci se lit, pardon pour le cliché, « comme un roman ». Dès le premier chapitre, le lecteur est transporté par la journaliste en Louisiane au lendemain de l’ouragan Katrina pour y rencontrer Jamar Perry, jeune sinistré choqué par le cynisme des nettoyeurs de La Nouvelle-Orléans. Zap ensuite à Bagdad, pour un zoom « vécu » sur la première tentative avortée du « traitement de choc » américain, puis au Sri Lanka où affluent les investisseurs ravis de transformer le littoral rasé en stations balnéaires de luxe, au dam des habitants. Une citation d’un ex-agent de la CIA recyclé à la tête d’une entreprise de sécurité, en Irak, résume la nouvelle donne du « capitalisme du désastre » après avoir décroché des contrats pour environs 100 millions de dollars : « La peur et le désordre nous ont admirablement servis ».
    Les faits priment dans cette chronique-enquête extrêmement nourrie et vérifiée (5o pages de notes) balayant une trentaine d’années et une dizaine de «désastres » emblématiques, alternant témoignages et réflexions, du bas en haut de l’échelle sociale. Le cœur de Naomi Klein bat à gauche, c’est évident, mais la droite honnête devrait s’indigner à l’unisson tant la stratégie du choc, après le mensonge du communisme, sue le faux, la rapine et la mort.

    Ces articles ont paru dans l’édition de 24Heures du 1er juillet 2008

  • Guillebaud l’éclaireur

    Guillebaud.jpgUne nouvelle synthèse stimulante du « reporter d’idées », Le commencement d’un monde.


    Venu du journalisme de terrain, Jean-Claude Guillebaud à entrepris, depuis 1995, un vaste travail de « reporter d’idées », plus précisément une enquête sur le désarroi contemporain amorcée avec La Trahison des lumières et consacrée, au Salon du livre de Genève, par le Prix Jean-Jacques Rousseau. Ont suivi La Tyrannie du plaisir, prix Renaudot 1998, La Refondation du monde, Le principe d’humanité, prix européen de l’essai, Le goût de l’avenir et La force de conviction. Après la profession de foi de Comment je suis redevenu chrétien, ce disciple de Jacques Ellul nous revient avec une nouvelle grande synthèse parachevant son « enquête » .

    Lecture intégrale (1)
    - Message personnel : note que les trois ans qu’il a passés sur ce livre, lectures et composition, l’ont changé profondément.
    - Au départ se trouvait alarmé par l’immensité des changements en train de se faire dans le monde, les risques d’un écroulement et d’un « désordre immaîtrisable ».
    - Lui était difficile de concevoir qu’à l’engloutissement puisse succéder un surgissement
    - Or c’est de cela que va traiter ce livre.
    - Dit qu’il a appris à surmonter « cette vaine obstination à vouloir recycler sans cesse des concepts, des repères, des préjugés qui n’ont plus de pertinence ».
    - Exactement ma position actuelle.
    - Relève l’irruption du monde dans notre monde. « Le dehors est arrivé chez nous ».
    - Et cela on pour la Suisse d’aujourd’hui : « Nulle barricade, nulle douane, nulle gendarmerie ne nous protégera bien longtemps de ce rendez-vous. Que nous le voulions ou non, nous serons pluriels et métis. Il nous reste à en tirer parti, sans démagogie et sans xénophobie ».
    - Mais cette interrogation ressurgit : savoir si nos certitudes égalitaristes, laïques, progressistes, individualistes, raisonnables, critiques, ne sont pas le dernier avatar d’une arrogance judéo-chrétienne réformatée ?
    - Invoque alors le partage réel et réciproque de valeurs à défendre.
    - Introduction : la fortune d’une idée fausse.
    - Exergue de Georges Bernanos, tirée du Crépuscule des vieux : Je me représente assez le Diable sous les traits d’un idéaliste qui baptise de noms évangéliques, à l’usage des nigauds, les forces obscures qui mettront demain l’univers à feu et à sang »
    - Depuis une quinzaine d’année, l’idée du « choc des civilisation », introduite par Samuel Huntington, fait florès.
    - Nouvelle grille de lecture du monde, pour beaucoup, dont les Américains néo-conservateurs.
    - Immédiatement décriée comme faux paradigme, mais tenace.
    - Pourquoi le succès de cette théorie ? En quoi n’est-elle pas pertinente ?
    - Rappelle le départ de la chose : un article dans Foreign affairs, à l’été 1993.
    - Annonçant des conflits d’un type nouveau après celui des blocs Est-Ouest.
    - Huntington dénombre sept « civilisations » différentes : Occidentale, slavo-orthodoxe, musulmane, chinoise, japonaise, hindoue et africaine.
    - L’époque marque cette pensée. Huntington relève que « le sang coule sur toutes les frontières de l’islam ».
    - Explique l’explosion de la Yougoslavie par l’appartenance, soumise artificiellement par le communisme, des trois nations, Serbes orthodoxes, Croates catholiques et Bosniaques musulmans.
    - Les thèses de Huntington sont fondées à divers égards, mais…
    - Rappelle six arguments : la longue maturation des civilisations, plus consistantes que les idéologies ; le rapprochement, et donc l’exacerbation des tensions entre civilisations différentes ; l’effacement du national sous l’effet de la mondialisation économique, favorisant les replis identitaires ou religieux ; la faiblesse de l’Occident encourageant un tropisme de rivalité ; le caractère irréductible et non négociable des rivalités identitaires.
    - Caractère sombre, prophétique, voire apocalyptique de ces thèses.
    - Rappelle celles de Spengler dans Le déclin de l’Occident.
    - Huntington prétend que c’est dans le sentiment de la différence que la violence prend sa source. Différence= violence.
    - D’après JCB, cette corrélation n’est pas pertinente.
    - Les thèses de SH ont subi des attaques violentes.
    - On lui reproche de sous-estimer le rôle persistant de l’Etat-nation.
    - SH a une vision fixiste de sept civilisations (Spengler en comptait huit…) alors que Braudel insistait plutôt sur leur fluidité évolutive.
    - Daryush Shayegan montre le caractère inter-dépendant des civilisations.
    - JCB rappelle que la majorité des conflits du XXe et du XXIe siècle ont lieu à l’intérieur des frontières et nons pas entre « civilisations ».
    - Amartya Sen reproche à Huntington de donner une caution académique à des croyances grossières.
    - Giuseppe Sacco parle d’ »appel aux armes » et de « spot publicitaire ». (p.21)
    - JCB relie les « textes de combat » de Huntington à l’idéologie américaine du « containment » de Truman, et au maccarthysme.
    - Il s’agit d’une défense de l’Occident à tous crins, préludant à la dénonciation de l’« axe du mal », selon l’expression forgée par David Frum.
    - « L’image que laisse entrevoir Huntington est bien celle d’un Occident libéral littéralement assiégé par des « civilisations » plus ou moins barbares.
    - SH insiste sur la « haine de l’Amérique ».
    - Fait significatif : la « civilisation » occidentale est la seule qu’il ne typologise pas…
    - Amartya Sen souligne le fait que l’Occident joue toujours un rôle dans la destruction des droits et des libertés dans les autres pays.
    - Comment la thèse de SH rejaillit au lendemain du 11 septembre.
    - Compare les conséquences des attentats à celles du sac de Rome par les wisigoths, le 24 août 410.
    - Rome au Ve siècle est comparable, par son influence, à New York en 2001.
    - Cite les pages de Saint Augustin, dans La cité de Dieu, sur le viol des Romaines.
    - Rappelle la particularité culturelle des Wisigoths, ralliés à l’arianisme.
    - Les reproches de Ben Laden aux Occidentaux (« Ce sont les Américains qui ont commencé… ») font écho aux admonestations de saint Augustin : Rome a « subi la coutume de la guerre qu’elle avait, durant des siècles, imposée à d’autres peuples ».
    - Revient à la théorie du choc des civilisations, remise en vogue au lendemain des attentats.
    - Pour JCB, « si la violence menace, ce n’est pas parce que les « différences » se renforcent mais, au contraire, parce que la « ressemblance » progresse.
    - Cite La condition politique de Marcel Gauchet (p.33)
    - Se réfère à la « rivalité mimétique » observée par René Goirard.
    - Cite Samir Frangié : « L’Occident envoie à l’Orient arabe des signes contradictoires. Il lui demande de l’imiter, de suivre sa voie et, en même temps, le lui interdit ».
    - Cite explicitement René Girard dans Celui par qui le scandale arrive (2001).
    - « Ce type d’analyse des relations internationales et cette description de la rencontre des cultures, dans sa complexité inaugurale, me paraissent à la fois plus justes et plus féconds que la présentation rudimentaire d’un « choc » des différences ou, pire, la désignation effarée de nouveaux « barbares » qui assiégeraient l’Occident.
    - Souligne les « influences croisées » et autres « contaminations réciproques » qui fondent les nouvelles relations entre nations et civilisations.
    - « Ce mouvement prodigieux permet que naissent des « formes » anthropologiques nouvelles, annonçant une transformation de la modernité par métissage. (p.35)


    Chapitre 2. Quatre siècles d’hégémonie.
    - Pas plus que le choc, la notion de dialogue des cultures n’est pertinente.
    - Les civilisations seraient plutôt moment, séquences de l’Histoire.
    - La séquence occidentale privilégiée courrait sur quatre siècles.
    - Avec une prétention affirmée, et reconnue, à l’universalisme.
    - Un «centre organisateur » indéniable.
    - Mais l’Occident, aussi, comme «libérateur qui opprime », « civilisateur qui massacre », « humaniste qui asservit ».
    - Toutes les civilisations en ont été marquées, y compris la Chine et l’Inde.
    - Comment le « délabrement de l’Occident », selon la formule de Castoriadis, est-il survenu ?
    - « L’Occident a fini par incarner la midernité elle-même ».
    - Liberté, démocratie, science, technique, culture, progrès humain.
    - Cela s’est fait à partir du XVIe.
    - Jusqu’à la Renaissance, d’autres civilisations étaient plus avancées.
    - En Chine, en Inde, dans l’empire byzantin, dans la civilisation arabe.
    - Mais à partir du XVIe, l’Europe décolle, tandis que la Chine et l’islam se figent.
    - L’histoire humaine s’occidentalise.
    - Or ce qui fait la différence n’est ni la technique ni l’économie, ni la géographie : c’est la culture.
    - Qui se fonde sur les bases du Moyen Age européen.
    - Pour David Landes, « l’une des sociétés les plus inventives de l’Histoire ».
    - Où l’héritage de la philosophie critique grecque est prépondérant.
    - Les Chinois ont développé des techniques remarquables, sans en tirer parti – à raison peut-être ?
    - Souligne alors la « fonction fécondante » du judéo-christianisme.
    - Du prophétisme juif au messianisme chrétien, démythification du réel et sortie du religieux archaïque (décrite par René Girard).
    - Le catholicisme participe à l’essor des sciences expérimentales, plus qu’on ne croit.
    - Le protestantisme développe l’individualisme.
    - La confluence des héritages grec et judéo-chrétien transforme le rapport au réel et l’universalise.
    - « Quoi de plus universel que les mathématiques ?
    - Selon Marcel Gauchet : « premier noyau ».
    - Nouvelle légitimité politique, en outre.
    - Rabbin Jonathan Sacks : « L’Europe disposait d’un atout que les Chinois n’avaient pas : l’éthique judéo-chrétienne ».
    - L’hégémonie culturelle de l’Occident ne saurait donc se réduire à une supériorité technologique ou économique de colonisateur.
    - Rappelle l’arrivée des jésuites en Chine au XVIIe.
    - Liang Shming en relève l’apport décisif.
    - Mais souligne aussi la « dérive perverse » qui suivit.
    - Relève la nature prométhéenne de la culture occidentale (p.55).
    - Sa dynamique en mouvement, par opposition au statisme chinois et au nihilisme indien.
    - Mais pour Liang Shuming, ces trois courants ne sont pas étanches les uns aux autres.
    - En appelle à un confucianisme revivifié, et pense que l’Occident pourrait y gagner lui aussi.
    - Rappelle comment la Chine a redécouvert l’Occident au début du XXe, via le Japon de la période Meiji.
    - Rappelle le rôle de la mission Iwakura (1871-1873) où le Japon s’est documenté à fond sur l’Occident.
    - A partir de quoi la réforme de la religion d’Etat s’est faite sur un modèle christiano-monarchique.
    - Rappelle en outre l’influence des penseurs occidentaux (Russell et Dewey, notamment) sur les jeune intellectuels chinois des années 20.
    - Tout cela pour illustrer le métissage des civilisations japonaise et chinoise, contre la vision de Huntington.
    - Passe ensuite au sous-continent indien.
    - Mêmes observations sur l’influence de l’Occident sur l’Inde à travers les siècles.
    - Puis cite l’exemple du Mexique, autant que du Brésil.
    - Cite Octavio Paz et les particularités, les limites aussi, du « génie créole », et les impasses côté politique.
    - Le Mexique inclassable en terme de « civilisation ».
    - Résume enfin la « marque » occidentale.
    - Une influence planétaire, massive, fondatrice.
    - Dont on a cru pouvoir importer tel ou tel aspect (technologique surtout) en faisant l’économie de ce qui la fon de.
    - Illusoire.
    - Jean-Pierre Dupuy : « Loin d’être neutre, la science porte en elle un projet, elle est l’accomplissement d’une métaphysique, d’autant que le positivisme spontané des scientifiques leur fait croire qu’ils se sont affranchis de toute métaphysique ».
    - Cite la synthèse de Pierre Legendre, dans La Balafre.
    - Du romano-christianisme de l’Occident, où les fondements juridiques et éthiques prédominent.
    - Jacques Derrida et la « mondio-latinisation » développe le même genre d’observation sur la « marque » occidentale. (p.73)
    - Ainsi les rejets de l’Occident procéderont-ils de crises nourries par celui-ci…
    - (A suivre)
    Jean-Claude Guillebaud, Le commencement d’un monde, Seuil, 390p. En librairie le 24 août.