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Livre - Page 120

  • Ceux qui jabotent dans la ciguë

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    Celui qui maximise le rendement du cosmétique vermicide / Celle qui s’identifie à son make up funéraire / Ceux qui fomentent un complot au fond du tea-room / Celui qui dérouille la vieille peau pour son bien / Celle qui demande à la corde ce qu’elle pense du pendu / Ceux qui s’enlacent dans le local de dissection / Celui qui dépose ses yeux dans le verre à dents / Celle qui boit l’eau pleine de regards / Ceux qui ont le regard plein des yeux du crime / Celui qui s’exclame quelle pluie ! quand jouit la postière / Celle qui rampe dans l’égout psychique de son neveu Charles / Ceux qui trouvent de l’anémie à leur fille dont ils  viennent de faire vider (disent-ils) le tiroir / Celui qui parle franchement aux laitues défaitistes / Celle qu’inquiète les cernes mauves de son fils Kevin et son string de même couleur / Ceux qui retardent le moment de la prise de risque / Celui qui croit déceler le secret factologique de l’élaboration de ces listes / Celle qui a arraché un bouton de pourpoint à chacun de ses ex / Celui qui se gratte le haut vu que le bas est engoncé dans la veste matelassée pour cause de blizzard / Celle qui dépose le brevet de chaque idée de son fils en affirmant que sans elle il ne serait pas en mesure d’inventer tout ça / Ceux qui ont connu Arrabal dans un théâtre de poche-revolver / Celui qui reconnaît à Fernande des aptitudes pour l’athlétisme du plaisir / Ceux qui restent pudiques jusque dans les parties carrées à douze ou plus / Celui qui trouble son chef de bureau par ses questions privées dérogeant aux principes de la Science Chrétienne / Celle qui se confie au curé psy qui publie tout à mesure dans sa revue de psycho néo-arianiste / Ceux qui s’abandonnent aux mains du rebouteux qui en étrangle quelques-uns par excès de zèle / Celui qui socratise la militaire au pubis rasé au cordeau / Celle qui communique par SMS spirites avec Alma Mahler / Ceux qui rompent le charme de la soirée chic en assommant la claveciniste / Celui qui suit volontiers un Miguel de Unamuno dans son éloge de la factologie physiognomonique / Celle qui s’effrite au milieu de sa collection de napolitain biscuité / Ceux qui vont tonsurer la virago menottée pour au cas où / Celui qui touche des honoraires pour vous pousser vers la sortie / Celle qui file le pistolet au grabataire / Ceux qui se réjouissent d’apprendre qu’un tartare se dit cannibale en Belgique / Celui qui trouve que le french kiss de Monique a un goût de langue de bœuf aux câpres sans les frites hélas / Celle qui aime qu’on la fourre comme un oreiller suisse / Ceux qui ont le juron certain et la querelle crâne / Celui qui après cette liste va faire du feu sois joyeux / Celle qui patine sur la route noire avec les dandinements d’un paon blanc / Ceux qui ergotent et cogitent en écoutant du Coltrane, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui font florès

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    Celui qui rutile dans le bazar / Celle qui s’émerveille à outrance / Ceux qui sont tout gyrophares et sémaphores dans le genre j’partage / Celui qui sourit aux mésanges / Celle qui est née coiffée avec une frange sympa et col Claudine / Ceux qui bandent casher ou hallal selon le méridien / Celui qui serait bien né riche mais c’était plus cher / Celle qui fait pisser le dinar et ne chie pas des braises sur le trottoir / Ceux qui sont plutôt offre que demande / Celui qui mange sa main qui branle et recrache l’outil de pionnier / Celle qui épluche le gland du chêne en majesté / Ceux qui le font même aux peluches / Celui qui fait pièce à la condescendance de l’héritier slovène / Celle qui écrit pour la postérité et environs / Ceux qui sont plutôt fitness que René Descartes / Celui qui a lu tout Beatrix Potter et même Harry / Celle qui dit comme ça qu’elle vient de relire Platon alors qu’elle a juste fait un brunch chez les Morel / Ceux qui ont kiffé Brad Pitt dans Ulysse – le retour / Celui qui brille de tous ses feux de position / Celle qui fait saladier à part / Ceux qui ne mourront pas en baisant mais en se noyant dans le Zambèze s'ils font pas attention / Celui qui est toujours partant sans savoir où et ça c’est typique de l’idéalisme alsacien / Celle qui a une bosse mais format bonsaï donc ça va / Ceux qui élèvent des géants nains / Celui qui pense en majuscules et ressent en italiques / Celle qui aime faire rougir les curés et jouir les pédés / Ceux qui n’ont pas de mœurs mais une Toyota Cressida / Celui qui se gausse de la hausse du yen et tout ça / Celle qui convertit ses pétrodollars en placements affectifs au Nevada / Ceux qui ont le vent en poupe et pas mal de comédons à gérer / Celui que le verbe gérer horripile et qu’il emploie donc par pure perversité tu vois si c’est grave / Celle qui ment au menteur qui le lui rend en toute amitié / Ceux qui vous niquent pour votre bien comme ils disent / Celui qui te trahit avec tant d’amour que tu ne l’en aimes que plus cette salope / Celle qui ne vous trompera jamais faute d’imagination / Ceux qui s’aiment tendrement dans leurs pyjamas de pilou assortis rose et bleu celui-ci à devant fendu, etc.

    Image : Philip Seelen   

  • Ceux qui s'oublient

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    Celui qui lit Proust aux lieux / Celle qui ne sait plus qui elle est faute de collier / Ceux que leurs souvenirs ont oubliés / Celui qui dit se réduire à cette flaque / Celle qui se rappelle avoir été danseuse étoile mais où encore et quand ça elle ne saurait dire / Ceux qui ont laissé les chaussons de danse  de leur petite fille dans le cercueil cramé / Celui qui ne se rappelle plus ce qu’il a écrit à propos de Ninon de l’Enclos dans ses Mémoires mais tu peux vérifier dans le Tome XXXIII à la page 747 / Celle dont une maille du bas gauche file mais ça lui donne une touche émouvante / Celui qui te dit que tu fais partie de ses archives mortes / Celle qui remue un petit doigt bagué dans tes souvenirs de Bolchevik sévère / Ceux qui fréquentent les jeunes rockers par curiosité anthropologique / Celui qui enfile un t-shirt à l’effigie de ZZ Top pour avoir l’air jeune malgré sa dégaine de père Noël suisse allemand / Celle qui voit son passé défiler au pas de l’oie avec des fusées et des tanks de la belle époque du Parti / Ceux qui ont traversé la ville en redécouvrant le monde en tant que tel sous l’effet de substances prévues à cet effet / Celui qui fauche les idées des autres pour les améliorer / Celle qui mange dans la main du boxeur gay / Ceux qui ont fait à Antonio la réputation d’un bon coup qui lui a valu l’intérêt de celles qui ont dit ensuite que c’était exagéré et c’est ainsi qu’il en va souvent dans la vie au Portugal et ailleurs d’ailleurs / Celui qui dans Madame Bovary s’intéresse surtout à Monsieur / Celle qui a lu L’Enfer de Dante au Luxembourg / Ceux qui feignent de se tuer pour voir ce que ça fait / Celui qui peint des hippos en souvenir de sa période Congo / Celle qui demande à son psy de lui parler de ses couilles / Ceux qui voient des murènes partout / Celui qui s’est choisi un joli pull rose pour signer son premier recueil de poèmes genre développement personnel durable à coloration positive et prix cassé / Celle qui s’est promis de dire au jeune écrivain en signature à la COOP qu’on n’écrit pas pétasse quand on est poli / Ceux qui vont à la FNAC chercher un bouquin qui redonne un sens à leur vie / Celui qui a oublié l’essentiel des leçons de piano qui l’ont fait souffrir enfant comme le Seigneur sous Ponce Pilate sauf que le Seigneur fouetté était mélomane sans le savoir / Celle qui ne se sert pas trop du Wonderboy de crainte qu’il ne s’use / Ceux qui font leur devoir de mémoire comme d’autres se pintent pour oublier, etc.

    Photographie à l'argentique : Daniel Vuataz. 

  • Ceux qui généralisent

     entrer des mots clefs

    Celui qui trouve que les jeunes n’ont point d’idéal point barre / Celle qui estime que les vieux n’y comprennent plus rien / Ceux qui ont toujours trouvé des boucs émissaires pour se débarrasser de leurs problèmes / Celui qui conclut à la décadence de la civilisation virile / Celle qui positive pour ne pas se liquéfier comme une boue / Ceux qui affirment que tous les pédés sont des coiffeurs / Celui que l’esprit sécuritaire a transformé en vigile du quartier des Seniors / Celle qui n’était pas à la manif mais qui estime que les voyous c’est les voyous / Ceux qui de toute façon se foutent de tout ce qui n’est pas l’état des pistes de snowboard / Celui qui va vers l’amputation d’un pas résigné / Celle qui préfère souffrir que se faire chier dans le positivisme punitif de la social-démocratie ambiante / Celui que son propre romantisme fait sourire mais qui n’en démord pas plus que de sa tendance à se laisser pousser les cheveux style Musset ou Neil Young / Celle qui préfère le Brésiliens fessus / Ceux qui ont plus souffert sous la surveillance des chiennes de garde du Politiquement Correct que sous Ponce Pilate / Celui qui change l’eau des poissons qu’il met à bouillir pour la tisane de Maman Sirène / Celle qui a le délire joyce / Ceux qui n’ont jamais pris très au sérieux le petit Marcel comme ce fut le cas de sa Maman d’où ce gros machin compulsif qu’on appelle La Recherche / Celui qui fait courir le bruit que ce n’est pas Houellebecq mais Beigbeder qui écrit les romances de Marc Levy / Celle qui écrit des poèmes minimalistes sous le pseudo de Julie Derrida / Ceux qui considèrent l’évolution de l’art contemporain comme une illustration de la théorie négentropique du fils illégitime de Kurt Vonnegut hélas happé trop jeune par un courant d’air de l’Espace/Temps, etc.

    Image: Philip Seelen.

  • Léautaud à l’apéro


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    Citations à la venvole

    C’est cela, la vie. On travaille, on fait des livres avec des tas de salutations à Pierre et à Paul. On attend la gloire, la fortune – et on claque en chemin.

    ***

    Tout ce qui constitue cette époque me dégoûte par sa bêtise et sa laideur.

    ***

    Il faut plaindre une époque de ne pas mieux comprendre l’esprit, de l’aimer si peu et de le supporter si mal.

    ***

    Disparition de l’esprit de fronde, de l’esprit satirique. Le gavroche loustic, qui dégonflait les baudruches sociales d’un lazzi, n’existe plus.

    ***

    La moquerie s’en va, quand on vieillit : on est trop blessé du spectacle des hommes.

    ***

    Il est six heures du soir. Je vais préparer les quatre pommes de terre de mon dîner. C’est là invariablement la composition de mes repas : quatre pommes de terre. Il faut de la régularité dans la vie. La régularité dans la vie, c’est d’avoir de bonnes mœurs, même à table.

    ***

    Il est difficile d’avoir de l’esprit avec des gens bêtes.

    ***

    Il n’y a décidément rien de plus imbécile que ces gens qui se parent de ce titre : les intellectuels.

    ***

    Rien ne fait mieux écrire que d’écrire sur ce qu’on aime.

    ***

    Les beaux livres, décourager d’écrire ? C’est comme si vous disiez qu’ne jolie femme décourage de faire l’amour.

    ***

    Cela ne nous regarde pas, l’effet que peut produire un livre. On écrit. Un point c’est tout. Ce qui peut en résulter n’a pas d’intérêt. On ne doit pas s’en occuper. Le vrai compte seul, s’il est humain. La notion d’utile ou de malfaisant, de vertu ou de vices et sans intérêt.

    ***

    Savoir bien écrire mal, dis-je quelquefois.

    ***

    Annonce de la sottise d’aujourd’hui : l’art pour le peuple.

    ***

    Qu’on fasse la guerre avec des gens de métier, qui en ont le goût, à qi cela plaît, qui aiment donner des coups et en recevoir, mais prendre chez lui un homme tranquille, pacifique, voué aux choses de l’esprit et l’envoyer tuer et se faire tuer ! Voilà la civilisation.

    ***

    Prodigieux qu’on emploie maintenant de la façon la plus naturelle cette expression : matériel humain. Matériel humain comme on dit des canons et des fusils. Il y a seulement deux cents ans, cette expression aurait fait bondir. L’idée aurait révolté que tout le monde dût aller à la guerre, tuer et se faire tuer. Nous avons fait un joli progrès dans l’abêtissement et l’asservissement.


    ***

    Rien ne choque plus qu’un esprit libre, quitte de préjugés, et qui n’éprouve sur toutes choses que ce qui lui vient de sa sensibilité, sans s’inquiéter du qu’en dira-t-on ni des conventions de société.

    ***

    Tout individu ne vaut un peu que par le sentiment de révolte qu’il porte en soi.


    Image: Paul Léautaud

  • L'on lit à TULALU

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    L'Association Tulalu!?

    est heureuse de vous inviter à la prochaine édition de son café littéraire avec : 

    Jean-Louis Kuffer.

     

    Auteur primé et journaliste passionné, il sera l'invité de Tulalu!?

    le lundi 5 décembre à 20h30

    au premier étage du café Lausanne-Moudon.

     

    Le thème de la soirée: 

     

    La mémoire créatrice

    Le retour quotidien, et en constante évolution, de tout ce qui a été capté dés l’enfance et de tout ce qui continue de l’être, à tout moment transformé par ce que nous sommes aujourd’hui et par l’écriture elle-même. La mémoire nous lie évidemment à ceux qui nous précèdent, mais également à ceux qui viennent et qui nous font revisiter le présent. La mémoire est une recréation constante.

    Pour illustrer sa vision d’une mémoire en constant re-devenir, JLK lira des extraits de plusieurs de ses livres travaillés par cette démarche.

    BookJLK7.JPGDans Par les temps qui courent (Campiche, 1995) : Soleil d’hiver, évocation d’une jeunesse bohème dans le Vieux Quartier de Lausanne.

    BookJLK3.JPGDans Le Pain de coucou (L’Age d’Homme, 1983). Diverses séquences de cette première évocation d’une enfance partagée entre deux cultures romande et alémanique.

    Enfant9.JPGDans L’Enfant prodigue (D’autre Part, 2011). Deux extraits de cette nouvelle remémoration recréatrice du Temps qui passe.

    Dans Rhapsodies panoptiques. La présentation d’un nouveau projet narratif inscrit dans le temps présent et brassant toutes les époques en consonance.

    JLK sur la Toile

    Carnets de JLK : http://carnetsdejlk.hautetfort.com/

    JLK sur Facebook : http: //facebook.com/people/Jean-Louis_Kuffer/1438776315

    Passion de lire, blog littéraire de 24 Heures : http://passiondelire.blog.24heures.ch

     La Maison cinéma, blog cinéphile de 24Heures :  http://leopard.blog.24heures.ch

    Sur JLK

    http://blogres.blog.tdg.ch/archive/2011/02/18/l-enfant-prodigue-par-jean-louis-kuffer.html

    Rencontres littéraires TULALU ?!   

    079/791.92.43

    www.tulalu.wordpress.com      

  • Ceux qui se bougent

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    Celui qui a des poèmes dans sa poche / Celle qui est là pour surveiller son ex / Ceux qui vont poser des questions gênantes / Celui qui (pense-t-il au fond) n’a rien à faire ici / Celle qui préférerait une lecture de Réjan Ducharme mais même sur le plateau de Mont-Royal ça s’est jamais vu alors ne cherche pas Tulalu / Ceux qui se sont juste mis à l’abri du froid en passant ce soir par là par hasard / Celui qui lit un bout de Voyage tous les matins pour se remettre en train / Celle qui lit en train mais ne philosophe que dans son bain / Ceux qui vont suer ce qu’on leur a lu au sauna du SPA Tumavu / Celui qui s’ébroue dans les mots des autres / Celle qui entend lire tout haut des choses qu’elle n’entend même pas tout bas / Ceux qui se sont regroupés en intermittents de la lecture / Celui qui écrit de la poësie avec tréma / Celle qui cherche à retrouver le climat de la salle de lecture de la 42e Rue quand il neigeait sur Times Square / Ceux qui aiment les mots doux et parfois les mots durs ça dépend des fois / Celui qui s’étonnera sûrement de ce qu’il va lire ce soir vu qu’il l’a écrit hier et peut-être même avant-hier / Celui qui fait le décompte de ses prétendus 1860 amis de Facebook qui ne sont pas là ce soir / Celle qui te parle du premier recueil de poèmes de son fils adoré et te demande si Tulalu / Ceux qui se rappellent que Paul Léautaud se foutait du précieux Jean Paulhan qui avait écrit quelque part « l’on la lu » et le méchant drôle de l’appeler messire Lonla / Celui qui se refait la route 66 pour s’imprégner de Kerouac en 3D / Celle qui lit On the Road en japonais / Ceux qui se sont perdus de vue dans le quartier des librairies de Kanda (Tôkyo, Japon) et se retrouvent à la Pensée sauvage du Pont (Vallée de Joux) / Celui qui s’apprête à lire comme le Roi de Shakespeare / Celle qui t’appelle son oiseau-lyre / Ceux qui s’en jetteront un après ce délire, etc

    Image : Philip Seelen    

    (Cette liste a été jetée sous la première neige pour être lue en première orale mondiale lundi soir 4 décembre à l’enseigne de la soirée de l’Association Tulalu consacrée aux écrits du soussigné)

  • Et Quentin déboula !

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    Un jeune écrivain se pointe au coin du bois. Et quel ! Retenez ce nom: Quentin Mouron. 

    On entend ces jours des tas de bonnes nouvelles. Comme quoi la Crise. Les effondrements partout. Les indignés en tache d’huile. Misère et colère aux entournures des déserts et des villes polluées. Mais là, ce matin, tout neuf, j’ai du plus joyce qui me réjouit comme jamais et toujours et  encore : la venue au monde d’un écrivain !

    Tout jeunot mais en sachant déjà long sur La Chose, j’dirai : la musique des mots et des choses. Crépitant de talent comme un essaim d’étincelles mais pas que pour l’effet ! Vraiment piqué poignant l’Quentin Mouron ! Déjà ce nom ! Et cette papatte ! Cet instinct sûr presque à tout coup. Je ne dis pas parfait loin de là mais presque. Mieux que parfait : intense et décidé. Fin d’antennes et de lame. Célinien jusqu’au bout des griffes. Parfois un peu trop même dans le phrasé rythmique et les rimes internes. Pêche de jeunesse qui fruitera dans la foulée. Mais cette vieille jeunesse du regard. Pas molle mais grave, vive, incisive, véhémente, charnelle et hypersensitive dès la première page abouchée au réel. Los Angeles en panoramique et ensuite l’Amérique par le détail. Or on sait que dans le détail gît le dieu musicien. Et voilà que dès la première page d’Au point d’effusion des égouts  ce dieu-là pétille de neuve braise et vous incendie.

    J’précise, chose annexe, que Quentin Mouron, Canadien et Suisse d’origine, n’a que vingt-deux ans et sans rien pour autant du chiant «djeune » genre attention j'arrive y a que moi ! Ou presque pas. Déjà rusé comme un bronco de rodéo le poulain piaffant. Déjà vous alignant des sentences à la Ferdine, parfois un peu voyantes, mais ça lui passera avant que ça vous reprenne et ce premier galop est étourdissant en toute lucidité tripale si j'ose dire -  et j'ose;  et j’y reviendrai plus souvent qu’à mon tour…

    Quentin2.jpgQuentin  Mouron. Au point d’effusion des égouts. Olivier Morattel, 137p.

  • Le génie de Gina

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    Eugénie Rebetez vous attend ce soir et demain à L’Echandole. Pour un show à pleurer de rire et de bonheur.

    Elle couine et marmonne, elle danse et se contorsionne, elle joue avec son corps charnel avec autant de rouerie narquoise que de tendre bonhomie, elle est à l’aise dans sa chair généreuse autant que sous tous les masques que prend son visage – c’est une super souris (c’est ce qu’on disait jadis d’une fille craquante ) et une sorte d’éléphante trépignante quand elle l’entend ainsi, elle est ballerine enveloppée à la grâce qu’elle aime casser à volonté, elle aime sa vie et ses couacs, elle nous fait aimer notre vie et nos propres faux pas – c’est en somme une humanité à elle seule que Gina qui nous rappelle à la fois Zouc et Isadora, les Mummenschanz et la clownesse Gardi Hutter, mais avec sa touche à elle, sa patte, sa gouaille de petite fille restée Mimi Cracra ou ses multiples personnages grappillés vite fait à la Comédie sociale, de la star rockeuse d’Aérobic effréné  à la rappeuse, ou de la diva danseuse gorillant divinement  un air d’opéra aux  plus inénarrables facéties oscillant entre pitrerie et poésie.

    Bref, c’est une artiste d’une formidable originalité qu’Eugénie Rebetez, Gina sur la scène, qu’on peut voir ces jours à Yverdon-les-Bains et ce jusqu’à demain soir.
     

    Gina1.jpgYverdon-les-Bains. Théâtre de l'Echandole, jusqu'au 3 décembre.

  • Ceux qui tentent leur chance

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    Celui qui hante les casinos désaffectés / Celle qui fume son Havane de gagnante sur le pont arrière du bateau à aube de retour d’Evian à Minuit sur l’eau à luisances de lingots / Ceux qui ont connu Yvonne Printemps en avril à Divonne / Celui qui tire le gros lolo / Celle qui a mis le feu à la Baraka / Ceux qui se regardent en traversant et qu’un camion renverse en amoureux / Celui qui claque son Euromillion en investissements affectifs / Celle qui a gagné un milliard rien qu’en se faisant concevoir dans l’bon plumard / Ceux qui ont plus d’acné que de chance ah mais c pô juste / Celui qui n’a jamais su qu’il avait une tante à héritage mais ce n’est pas grave vu qu’il est chanoine de l’Ordre des Capucins à pieds nus / Celle qui a tout légué au couvent avant de revenir aux affaires plus légère / Ceux qui ont des yeux en bille de loto qui ne leur valent aucune quine de faveur / Celui que Vladimir Volkoff (l’écrivain, pas le chapelier) appelait son porte-poisse à la chasse / Celle qui a cru enfourcher la Monture de la Fortune mais hélas Ménélas quelle désillusion l’attendait / Ceux qui piègent les héritières belges / Ceux qui se pointent à Pudong en s’exclamant « à nous deux Shangaï ! » / Celle qui pose devant la Shangaï Tower pour le tabloïd The Very Place To Be / Ceux qui se sont connus à l’Expo Universelle de Shangaï 2010 et se sont perdus de vue peu après / Celui auquel le nouveau parfum Terre d’Hermès donne une nouvelle densité existentielle au niveau du Projet / Celle qui a fait en octobre 2011 une gâterie à l’artiste dissident Ai Weiwei qui franchement ne se le rappelle pas / Ceux qui estiment que le potentiel acheteur de la masse chinoise est un océan à maximiser / Celui qui appelle sa conjointe Chance de ma Vie même s’ils sont restés prolos / Celle qui a consacré 13% de sa colossale fortune à faire ériger des statues à son chien Pinky / Ceux qui se sentent bien dans leurs containers de milliardaires retirés des affaires, etc.

    Image : Philip Seelen    

  • Ceux qui se consument

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    Celui qui se plaint pour se sentir exister / Celle qui a si mal aux cheveux qu’ils en tombent / Ceux qui savourent leur déprime / Celui qui se replonge dans Mars de Fritz Zorn « pour l’ambiance » / Celle qui n’arrive plus à sourire à son saladier / Ceux qui s’évitent dans leur deux-pièces sur cour / Celui qui se demande comment ramener le sourire de son Bouddha de plastique acheté à Conforama / Celle qui s’enferre dans une jalousie d’arrière-cuisine de McDo / Ceux qui ne rient pas vu qu’il n’ y a pas de quoi / Celui que tout accable sauf son Bonus de 2 millions / Celle qui se replie dans le tricot / Ceux qui diffusent des ondes froides genre allées de cimetière finnois le soir / Celui qui repique en ouvrant juste la fenêtre / Celle qui estime qu’à côté de la famine dans le monde son sort reste aussi enviable que celui du biscôme vers Noël / Ceux qui ne se plaignent jamais que des malfaçons d’artisans écervelés par la course au Bénef / Celui qui ramène le sourire de sa conjointe en l’appelant mon accorte babouins / Celle qui se voit dans le miroir déformé de l’ophtamologue alsacienne / Ceux qui se contentent même de ce qu’ils n’ont pas / Celui qui mendie un sourire à la mendiante / Celle qui a lu un peu de Saint Thomas à l'époque où elle doutait précise-t-elle / Ceux qui se donnent trois semaines pour se faire une idée sur la Théorie du Chaos / Celui qui se retrouve à la case départ imminent / Celle qui se réjouit quelque part d’avoir sa photo dans la page des avis mortuaires / Ceux qui sont encore pleins de feu dans la chapelle ardente, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui sont performants

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    Celui qui se top-manage au fitness HyperForme / Celle qui a complètement intégré l’organigramme de l’Entreprise y compris la pause-méditation réglementaire / Ceux qui maximisent le potentiel Bologne de leur fils Laetitia / Celui qui prend la pole position des notaires de Douala / Celle qui dit tout haut que le cul du nouveau chef de projet la fait juste bander / Ceux qui laissent le Boss gagner au squash / Celui qui soutient le moral de sa mère grabataire en lui confiant ses projets d’investissement sans préciser qu’ils sont à risques / Celle qui couche utile et lit futile / Ceux qui tuent à crédit / Celui qui a tout donné à l’Entreprise déduction faite de ses Bonus / Celle qui stresse sur sa note de frais en pensant aux Difficultés de l’Entreprise / Ceux qui affirment que l’argent n’est pas tout après répartition du butin / Celui qui a planqué le magot dans la statue du Chinois lettré / Celle qui fait autopsier le banquier défunt pour vérifier qu’il n’a rien caché à l’Hoirie / Ceux qui enterrent le SDF avec son porte-monnaie vide / Celui qui a tout misé sur le plan couilles-en-or / Celle qui mord dans la pomme d’or de la Réussite et y perd une dent de devant qui va lui coûter un pivot ou une couronne ça c’est sûr / Ceux qui ont tout raté et s’en vantent sans m’en imposer pour autant à moi le Malgache pentecôtiste / Celui qui croit prendre en otage l'épouse du millionnaire alors que ce n’est que la femme de ménage qui essayait les toilettes de Madame dans la dressing-room de la Villa Pandora / Celle qui affirme que même dans le brouillard elle trouvera le chemin de la Banque / Ceux qui font dans le trafic d’organes en érection / Celui qui gerbe en plein Audit / Celle qui se contente de ce peu qui ferait quand même vivre un village bantou pendant treize mois / Ceux qui ont vu leur fortune fondre comme neige au soleil et le soleil s’éteindre et la salle de cinéma prendre feu donc y sont tous morts sauf moi qui vais raconter ça au Tabloïd et ça va cracher le dinar ça j’te garantis / Celui qui garde le Cap Canaveral au niveau sexe / Celle qui se réveille après la mort dans un gourbi de la Rue Paradis genre crade à concierge teigneux / Celui qui sait qu’il désigne une incommensurable Personne en prononçant les noms et prénom de Dieu et que lui-même fait partie de cette Personne et le chat et la chouette, le mulot et la mouette, le cendrier et le paletot, le rasoir dans la lumière du matin sur l’évier tartré, la sainte se grattant la cuisse, l’oiseau léger, le serial killer dans sa cellule du Couloir Noir, son encre verte et ses calames, enfin tous ceux qu’il aime faisant eux aussi partie de cette Personne dont le nom de code est Dieu ou ce que vous voudrez les enfants si le nom de Dieu ne vous dit rien / Celle qui se dit athée comme un pélican se dirait bec dans l’eau / Ceux qui ont fondé un journal financier spécialisé dans la Transparence et qui se trouvent bien avancés quand le crash qu’ils ont annoncé  advient en effet et ruine tous leurs clients - c bien fait / Celui qui établit la liste de ses créanciers à faire flinguer avant de repartir sur des bases plus saines / Celle qui a enfin trouvé le sex toy qui lui permet de crier « j’existe, j’existe ! » tandis que trépide  le métro aérien / Ceux que leur lucidité laisse intranquilles mais que leur âme immortelle empêche de désespérer, poil au nez, etc.

    Image : Philip Seelen 

  • Du muet qui parle au coeur

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    Lady L. et JLK ont aimé The Artist...

    On pouvait craindre, avec ce projet de revisiter le cinéma muet américain des années 20-30 et son déclin, la resucée nostalgique brassant les clichés complaisants, et pourtant c’est bien mieux que cela que The Artist, film épatant de Michel Hazanavicius, superbement construit et bonnement porté par le jeu de Jean Dujardin, justement récompensé à Cannes, mais aussi de Béatrice Bejo, subtilement craquante dansle genre glamour, et aussi - avant de parler des seconds rôles de premier rang, si l’on ose dire -, de l’adorable fox terrier dressé pilpoil au joli nom d’Uffy, dont les pitreries délicieusement cabotines rappellent l’inoubliable compagnon du tragique Umberto D…Dujardin1.jpg

    Dès l’ouverture du film, au sens bonnement musical puisque d’emblée la bande sonore émane de la fosse d’orchestre d’une immense salle de cinéma des années 20, avec chef à baguette, la mise en abyme annonce une intelligence de forme qui fera de tout le film, avec un scénario à l’avenant, un beau travail de cinéma aux plans souvent inventifs, pleins de clins d’yeux évidemment mais c’est aussi ça l’amour de l’art, jamais pesants pour au demeurant.

    Je l’ai déjà suggéré: les seconds rôles, notamment endossés par John Goodman en producteur paterne et James Cromwell en chauffeur compassé et fraternel, achèvent de donner une touche hollywoodienne à cette romance mélancolique d’un acteur vedette du muet du nom de George Valentin,  supplanté par les nouvelles stars du parlant, à commencer par la talentueuse Peggy Miller qu’il a « coachée » initialement et ne retrouvera qu’en fin de parcours, après diverses péripéties romanesques pas vraiment développées,  pour un pas de deux à claquettes qu’on ne dira pas non plus la séquence la plus légère du film – Jean Dujardin est certes bien plus intéressant ici qu’en O.S.S. 117, sans égaler Fred Astaire ou Gene Kelly pour autant…  

    Pas plus que d’Intouchables on ne parlera enfin de The Artist comme d’un grand film d’auteur, mais le plaisir, le charme, une pointe d’émotion sont au rendez-vous et ce n’est pas à «jeter » par les temps qui courent… 

  • La banquette des confidences

    Holder.jpgÀ propos du recueil de nouvelles Embrasez-moi, d'Eric Holder

     

    par Antonin MOERI

     

    Dans la brève préface aux sept magnifiques nouvelles d’Eric Holder que les éditions du Dilettante viennent de publier, l’auteur nous dit que le goût d’écrire lui est venu quand, au pensionnat, la nuit, il racontait aux copains des histoires de fesses. Il voulait les faire rêver, ses copains, jusqu’à ce qu’ils se croient avec Ambre, Marine ou Garance. Ici, dans ces nouvelles, le narrateur nous tient en haleine avec des histoires que d’autres lui ont racontées. Confident très attentif, il se souviendra de certains détails et, pour le reste, déploiera allègrement son imagination. «Lorsqu’il y avait des blancs, j’ai relié les pointillés».

    Sauf au début de la première nouvelle, où Youssef exhibe son chibre bleu en pleine classe («Touche, elle mord pas»), le narrateur n’est jamais le témoin oculaire des faits qu’il relate. Les moments d’embrasement passent toujours par un ou une intermédiaire. Francis lui parle de Cathy dans un boui-boui, Charles évoque Marie sur la banquette d’un train, Aurore parle de Pawel dans un bar à champagne, Laetitia chuchote le récit de ses ébats avec Virgile dans un salon du livre. Ces moments d’embrasement sont somptueux. Rien de triste ou de déprimant dans la mise en scène de ces minutes où tout bascule dans l’inconnu, quand le coeur bat trop vite, qu’on va se désagréger, que l’organe se présente inopinément avec une violence de bagarre de rue, et que le mouvement s’accélère. «Il part de ses épaules, dévale le long du dos, surélève sa croupe, avant de s’arrêter sur un volcan».

    Les descriptions pourraient rappeler celles de Sade, mais sans leur monotonie. Le lecteur y sent une jubilation plutôt rabelaisienne ou henry-millerienne. L’intimité de la femme est explorée avec un empressement frénétique. Il y a de l’effarement quand les tétons s’érigent et que la pointe du dard élargit l’anneau «par degrés si discrets que lorsque, enfin, la majeure partie est entrée, à l’exception d’une nouvelle pluie d’étoiles sur son corps, Laetitia ne ressent rien de fâcheux, au contraire».

    Laetitia est une femme qui, à vingt ans, épousa un ingénieur deux fois plus âgé qu’elle. Elle vit dans une villa cossue, cultive des fleurs, organise des raouts et des séances de signatures dans les salons du livre, c’est le genre de femmes qu’on serait tenté de ridiculiser, d’épingler sur une tablette en tant que représentante d’un univers détesté. Eric Holder procède différemment. Sa Laetitia Bercoff, conseillère à la culture, il nous la présente avec ses chaussures plates, sa jupe plissée, «son brushing qui nous renvoie aux années soixante». Cette dame aime fréquenter les élus locaux, des comédiens, présidents, journalistes. Mais quand un employé municipal (nommé Virgile) lui offre ses services, elle ne saurait refuser. Elle révise avec lui le code de la route et saute de joie quand il obtient son permis de conduire.

    En aspirant le venin des guêpes qui ont piqué les cuisses de l’homme à tout faire, elle voit tout à coup l’anguille lever la tête. Le diamètre est impressionnant. «Elle constate qu’elle mouille - ce n’est pas tous les jours». Elle découvre l’habileté en la matière de Virgile et ses audaces qui font l’orage gronder dans sa tête. Ces transports, cette euphorie, cette torture sublime, Laetitia aura tout loisir de s’en souvenir sur la Piazza San Marco où, en compagnie de son mari, elle contemplera le célèbre dôme en sirotant un Campari.

    Laetitia aura connu ces minutes au cours desquelles «les flots s’agrandissent aux dimensions d’un océan». Elle les aura connues dans les bras d’un imbécile heureux, droit dans ses bottes, prêt à cogner s’il le faut. Là encore, j’exagère, car le Virgile de Holder n’est pas exactement un imbécile, «il ne manque que d’un cheveu d’être crétin». Dans sa tête «circulent des pensées finaudes, rouées, madrées, des calculs de paysan». Je crois que c’est la leçon d’Eric Holder: on a vite fait de classer les gens. Un écrivain comme lui laisse sa chance à chacun de ses personnages. N’est-ce pas la marque du nouvelliste de valeur?

    Holder3.jpgERIC HOLDER: Embrasez-moi, Le Dilettante, 2011

    Ce texte est à paraître dans la prochaine livraison du Passe-Muraille, de décembre 2011.

  • Ceux qui parlent en rêvant

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    Celui qui ne supporte plus la crétinisation ambiante / Celle qui se débat dans son gobelet vide / Ceux qui sentent le sol se dérober sous leur trépas / Celui qui se raccroche à l’Euromillions / Celle qui se raccroche à Que du bonheur la série bantoue / Ceux qui déjouent le Rejet / Celui qui se reconstruit avec du matériau de récupe / Celle qui ne peut plus se sentir / Ceux qui plient mais ne rompent point barre / Celui qui se sent au bord du gouffre et en reste là / Celle que le franc lourd ne rend pas plus légère / Ceux qui changent l’eau des poissons en attendant le tsunami / Celui qui en perd son grec / Celle qui pare au plus stressé / Ceux qui repartent comme en 29 / Celui qui dit qu’il l’a toujours dit / Celle qui déclare à son chat Mutin qu’il va falloir se serrer la ceinture / Ceux qui font face profil bas / Celui qui reprend un bol d’air entre deux réus / Celle dont la mise en plis laisse à désirer ce que lui fait observer la secrétaire de direction par mail / Ceux qui persistent et saignent / Celui que ses rêves ramènent à la Réalité / Celle que ses rêves embellissent sur l’oreiller / Ceux qui notent leurs rêves / Celui qui rêve qu’il rencontre trois jeunes filles dans les jardins de la Colonie de Vacances / Celle qui a une robe d’un jaune bouton d’or à nuance orangée / Ceux qui se réunissent au fond du jardin de la colonie pour entendre jouer la claveciniste en robe mauve / Celui qui tombe amoureux en rêve / Celle qui se dit en rêve que somme toute elle s’aime bien comme elle est / Ceux qui résistent à la grossièreté du monde par la grâce de leur vie onirique / Celui dont la vie onirique est une série d’enchantements volatils / Celle qui apparaît dans tes rêves sous le signe de la Fantaisie / Ceux dont les rêves se déploient en frises théâtrales dont l’érotisme subtil évoque les romans de Ronald Firbank / Celui qui invente les rêves qu’il raconte à son amie psy dont le manque d’imagination l’a toujours peiné / Celle qui a toujours redouté l’humour souvent obscène des rêves à caractère érotique dont elle ne trouve pas de clef dans la lecture freudienne / Ceux qui redécouvrent leur beauté intérieure au fil de rêves d’une stupéfiante inventivité compulsive et sublimatoire enfin vous voyez le genre / Celui qui rompt le cycle infernal dans lequel il avait cessé de rêver / Celle qui a cru rencontrer une réincarnation de Jean Paul Richter dans les jardins de la Colonie alors que c’était simplement Hervé le Letton le fameux slameur néo-punk / Ceux qui se réveillent avant l’aube et sourient dans le noir, etc.

    Image: avant l'aube, mise en abyme...

  • Message "téléphoné"

     

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    Retour sur Klatch avant le ciel, de Nancy Huston, en création au Théâtre Kléber-Méleau, Lausanne-Renens.

    On devrait être secoué à la sortie du théâtre Kléber-Méleau, ces jours, où se donne Klatch de Nancy Huston, mise en scène en création par Philippe Mentha qui tient aussi, non sans héroïsme, le rôle–titre. La pièce se veut en effet dérangeante. Contre la domination masculine sous tous ses aspects, du mec quelconque à Dieu le Père. Contre la servitude féminine plus ou moins volontaire. Plus précisément en l’occurrence : contre l’auto-adulation pleurnicharde de l’Artiste-mec, puisque le protagoniste est un vieux comédien à l’hosto dont on va revivre toute la trajectoire  après une première double allusion grinçante à Fin de partie et Oh les beaux jours de Beckett : « Encore une journée divine… »

    Retour donc à l’enfance de Klatch soumise à l’autorité de Maman. À sa vocation théâtrale en butte  à la rivalité d’une première épouse actrice, prénom Sarah, qui le largue avec la petite Clara pour sa propre carrière. À un nouveau « pacte » avec la très catholique Hortense, bientôt en butte à l’athéisme de la jeune Clara. Laquelle adulera Papa avant de s’émanciper, socialement et sexuellement, pour balancer au vieux grabataire un réquisitoire de tribade féministe « qui s’assume ».

    Or sort-on « secoué » de tout ça ? Pas vraiment. Faute d’incarnation. Passant au théâtre, la romancière poreuse qu’est Nancy Huston, si sensible aux nuances humaines dans Dolce agonia ou Lignes de failles, cède un peu trop le pas, ici, à la « femme libérée » impatiente de délivrer des messages. Par trop « typés », les personnages passent d’une situation à l’autre au fil de situations convenues voire improbables. Ainsi de la relation entre Klatch et la pauvre Hortense (Danielle Borst), décidément caricaturée. On rit un peu. On n’est jamais vraiment ému. Festival de citations, Klatch convoque une flopée de grands auteurs et de paroles « à graver », mais le verbe de la pièce elle-même, souvent forcé, s’effiloche en words, words, words…

    Suite de tableaux qu’articule une sorte de tourniquet artificiel d’entrées-sorties, la pièce ne manque certes ni d’observations en matière de guerre des sexes (mais après Ibsen et Strindberg…) ni de tirades de bravoure, jouant en outre sur quelques morceaux chantés  à la Brecht, excellemment modulés par Pascal Auberson. Lequel signe aussi la musique du spectacle - la note du maître de chant sera meilleure pour ces dames que pour le Monsieur, mais passons. Côté scénographie, c’est du Jean-Marc Stehlé « maison », solide, efficace, esthétiquement accordé à l’objet.  Pour l’interprétation, Philippe Mentha se « donne » à fond dans un personnage d’humilié multifaces, autant que les comédiennes (Danielle Borst en Hortense, Chloé Réjon excellente en Sarah et Clara, et Catherine Schaub-Abkarian en infirmière et en mère) dont les personnages dorlotent ou chahutent le pauvre Klatch…

    Lausanne-Renens. Théâtre Kléber-Méleau,. Réservations: 021 / 625 84 29.

  • Le biscuit, le biscuit !

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    Notes passées et présentes

    Le Journal atrabilaire de Jean Clair m’intéresse, sans me captiver pour autant. Du moins y a-t-il  là-dedans les réflexions d’un honnête homme un peu ronchon, dont certaines méritent d’être relevées.  « Toutes les femmes que j’ai connues aimaient, sans mesure, prendre un bain», écrit ainsi Jean Clair, qui oppose le bain des femmes à celui des hommes, que l’«atavisme immémorial» de ces dames «n’aura pas cessé de fournir l’un des beaux thèmes de l’iconographie occidentale, de la Suzanne de Rembrandt à la Marthe de Pierre Bonnard. S’il rend justice au genre parfois décrié du journal intime, en soulignant sa valeur d’affirmation de l’unicité de l’individu, Jean Clair ne marine pas pour autant dans le nombrilisme: moins froid que le journal «extime» d’un Tournier, son ouvrage est à la fois tout personnel (notamment à propos et son enfance ou de sa solide souche populaire) et largement ouvert au monde actuel dont il vitupère la décadence et les travers significatifs (comme la passion des calembours dans les titres de journaux, la jobardise pseudo-intellectuelle ou pseudo-moderne, la manie des acronymes ou l’anti-tabagisme primaire…), pour mieux défendre, comme dans ses fameuses Considérations sur l’état des beaux-arts, ce qui précisément, vie et culture organiquement fondus, nous tient debout, nous fait respirer et nous émerveille, comme telle pigeonne pondant un œuf d’albâtre…

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    Puis-je vraiment tout dire ? Et cela a-t-il un sens ? Et d’abord qu’est-ce que ce tout ? Ce qu’on ne dit pas se réduit-il à ce qu’on n’ose pas dire, ou ce qu’on a choisi de ne pas dire par respect humain ou pour d’autres motifs aussi légitimes ? Et ce qu’on ne dit pas n’est-il pas simplement indicible ? 

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    Léautaud8.JPGEn reprenant la lecture du Journal littéraire de Paul Léautaud, comme souvent à travers les années, depuis plus de trente ans, je me sens à la fois très proche de ces notations si limpides et si libres, d’un esprit si vif et d’une expression si naturelle, tout en me situant à l’opposé de sa position d’égotiste aux curiosités par trop étroites, dont l’horizon ne dépasse guère le pourtour de l’île-de-France, ni la profondeur de son encrier. Au demeurant, restant lui-même et farouchement, Léautaud ne m’intéresse pas moins à tout coup pour la justesse et la sincérité de tout ce qu’il note, et sa phrase seule a quelque chose de salubre et de revigorant.

     

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    Vernet40.JPGLa beauté est à mes yeux l’image entrevue, de loin en loin, d’un monde plus harmonieux dont il émanerait une sorte de musique ou de prémonition physique et métaphysique de cette réalité supérieure, à la fois apaisantes et nous sortant de notre état contingent et mortel, en résonance avec d’invisibles sphères.

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    Le besoin de réparation me préoccupe de plus en plus, dans le sens où l’entendait Francis Ponge: que le poète prend dans son atelier des objets pour les réparer; et j’ajouterai que le poète se répare lui-même en procédant à ce travail.

     

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    Je me sens à l’âge où les âges s’empilent tout en communiquant, ainsi ai-je toujours «plus ou moins vingt ans» et trente-cinq ou cinquante, parfois dix-sept, plus rarement quinze ou six. Suis-je la somme de tous ces avatars ou leur juxtaposition dans autant de vases plus ou moins communicants? Je ne sais trop ce que «je» suis au total, et s’il est important de le savoir. Suis-je en outre le même aujourd’hui, aux yeux des autres (et quels autres serait une autre question) que j’étais à leurs yeux il y a dix ou vingt ans? Ce dont je suis sûr, c’est que mes douleurs articulaires, ce matin, m’en font baver et que ce n’est pas «un autre» qui les endure.

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    Cavalier7.jpgAlain Cavalier a choisi de filmer, dix ans durant, seul et toujours en son direct – excluant donc toute retouche et toute pièce rapportée -, la vie qui va au jour le jour: son père cadré en gros plan qui râle contre sa mère, sa femme revenant de biopsie dans le troquet bruyant où il l’attend tout anxieux, une mendiante voilée de noir à plat ventre sur les Champs-Elysées, la pluie fusillante sur le bambou de la cour, les vers se tortillant qu’on offre au corbeau, un ami jouant Bach sur le rythme des cloches voisines, le couple se racontant ses rêves au réveil, le dos de sa femme, ses pieds à lui qu’observe son petit-fils, les lumières de chaque saison, un hommage funèbre amical à l’ami Claude Sautet dans le cabinet turc d’un bistrot, ce qu’on appelle les choses de la vie mais révélée à tout coup sous une lumière nouvelle par le jeu combiné de l’image et de la «rumeur» captée dans l’instant.

    Quand il m’a rejoint hier, après la projection, débarquant d’Aubervilliers où il filme tous les matins l’homme-cheval Bartabas, Alain Cavalier me semblait juste sorti de son film, ou bien c’était moi qui venais d’y rentrer, et la petite poule de soie picorait sa salade à nos pieds avant que Madame, absentée un moment, ne revienne avec un livre consacré à Tchernobyl pour nous montrer, furieuse, le petit cheval à sept pattes qui s’y trouvait photographié.

    La vie immédiate, mais recadrée, ressaisie par un regard unificateur, le tout-venant des jours requalifié par la poésie d’une mise en forme: voilà à quoi rime Le filmeur, et ça continue à l’instant: à l’instant il y a, sur la place Saint-Michel de cette fin de journée, une lumière gris argent qui n’est que de Paris au printemps, quand il fait chaud et froid, il y a là-bas plein de jeunes gens de partout qui se retrouvent et c’est la bonne vie dont mes pauvres mots ne retiennent que d’infimes bribes…

     

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    Quignard3.jpgCes phrases relevée à la lecture de Villa Amalia de Pascal Quignard : «L’air de Paris sentait son odeur si particulière, putréfiée, charcutière, mazoutée, épouvantable». - «C’était une femme entièrement à sa faim, à son chant, à sa marche, à sa passion, à sa nage, à son destin». - «Ceux qui ne sont pas dignes de nous ne nous sont pas fidèles». - «Le chagrin est plus ancien et presque plus pur en nous que la beauté». - «C’était une petite enfant dont le visage était la nostalgie même». - «Les œuvres inventent l’auteur qu’il leur faut et construisent la biographie qui convient». - «Cela sentait la pluie, la laine mouillée, la craie, la poussière, l’encre fade, la transpiration très aigre des jeunes garçons». - «En vieillissant je suis devenue butineuse».

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    Les Japonais avaient leur pèlerinage de poètes comme les musulmans ont celui de La Mecque ou les chrétiens les chemins de Compostelle, qu’ils appelaient la Route du Tôkaidô, reliant en cinq cents kilomètres les deux capitales de Kyoto et d’Edo.

    Tokaido.jpg«Ce n’est pas pour son grand rôle politique que cette route nous est connue», écrit Pierre Michon dans la belle préface au recueil de chroniques que Pierre Pachet a publié sous le titre de Loin de Paris, «mais parce que, une fois au moins dans leur vie, les lettrés se sentaient tenus d’emprunter cette route, et d’y méditer à leur façon sur chacune des cinquante-trois étapes qui la jalonnaient. Ils s’y remémoraient tel poème, y voyaient tel arbre, tel oiseau, telle auberge que leurs prédécesseurs avaient mentionnés; ils versaient à l’endroit convenu les larmes qu’un très ancien poète avait versées; il leur arrivait d’attendre longuement à une étape que le vent se mette à souffler dans la direction exacte décrite cent ans plus tôt, et qu’il emporte cette feuille de pêcher qu’il avait emportée cent ans plus tôt. Leur cœur alors se serrait sans qu’ils sachent pourquoi, disaient-ils, ils reprenaient leur bâton et allaient se serrer le cœur à l’étape suivante. Parfois même ils avaient une émotion nouvelle que les anciens n’avaient pas eue, saisissaient une conjonction inédite d’arbre et d’oiseau et de saison. Et ceux qui venaient après eux en faisaient usage ».

    Sur une voie de la mémoire rappelant la route du Tôkaidô, Pierre Michon se rappelle deux ou trois choses qu’il doit à Pierre Pachet, et par exemple de lui avoir commenté un fragment d’Héraclite et de lui avoir appris à reconnaître les corneilles mantelées.

    Le fragment d’Héraclite est celui-ci: « A Triène vécut Bias, fils de tentamès, qui avait plus de part au logos que les autres». Alors Pierre Michon de s’interroger: «Est-ce que ce Bias parlait plus justement ou véridiquement que les autres? Est-ce qu’il avait un plus grand éclat dans le discours des autres, une plus grande réputation? Est-ce que ça veut dire, demandai-je, que Bias est beau parleur ou qu’on parle bien de lui?» Et Pierre Pachet de répondre: «Non, non, c’est sûrement autre chose. Héraclite n’aurait pas déplacé son gros cul pour si peu».

     

    °°°

    Ikiru1.jpgNotre Tôkaidô est l’univers. A Tokyo les oiseaux m’ont conduit dans le jardin public où pleurait le vieil homme du sublime Vivre de Kurosawa, des chèvres m’ont rappelé dans les Langhe l’âcre odeur de certaines pages de Travailler fatigue de Pavese, à Sils-Maria mon cœur s’est serré le long du lac de cristal dont les eaux m’ont rappelé La montagne magique, à Soglio m’est revenue la voix grave de Pierre Jean Jouve, et de stations en stations ainsi je pourrais refaire à l’instant ma route du Tôkaidô sans me bouger plus qu’Héraclite. Ainsi le Tôkaidô est-il le chemin de nos Riches heures, et tous les possibles se concentrent en celle-ci, d’avant l’aube…

     

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    L’écrivain, l’artiste veut son biscuit. Marian Pankowski me l’avait dit une fois à sa façon apparemment cynique et si pertinente à la fois : que tout écrivain et tout artiste est un caniche qui saute comme un fou dès qu’il sent le biscuit : « Le biscuit, le biscuit ! » 

     

     

  • En mémoire de Claude Delarue

     

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    Hommage posthume à Paris, jeudi soir.

     

    La disparition récente de l’écrivain, dramaturge et essayiste Claude Delarue, mort le 21 octobre dernier des suites d’une opération de greffe cardiaque, est restée assez discrète, à l’image de l’homme. Or cet auteur très fécond, au talent de romancier accompli, n’en avait pas moins été largement reconnu, tant à Paris, où il était établi  depuis une quarantaine d’années, qu’en Suisse où il reçut une dizaine de prix littéraires de premier rang. Pour honorer sa mémoire, son épouse Pascale Roze, elle-même romancière (prix Goncourt 1996), la Société des Gens de Lettres et les éditions Fayard, se réuniront ce soir à 19h.  à l’Hotel de Massa. Pierrette Fleutiaux y fera l’éloge de l’écrivain, dont Yasmina Reza lira ensuite des extraits de ses livres. Parmi ceux-ci, rappelons le titre d’un de ses meilleurs romans récents, Le bel obèse, (Fayard, 2008) évoquant un Marlon Brando vieillissant sur une île nordique. Cette superbe plongée dans les méandres affectifs et « tripaux » d’un géant aux pieds d’argile, aura sans  marqué l’un des sommets de l’œuvre, à laquelle notre consoeur Isabelle Martin a consacré l’an dernier un essai intitulé justement La grandeur des perdants (Zoé, 2010).

     

    Parmi la trentaine des autres ouvrages de Claude Delarue, l’on peut rappeler aussi L’Herméneute (paru àL’Aire en 1982 et adapté au cinéma sous le titre Le livre de cristal), Le dragon dans la glace (superbe roman « alpin » à la Dürrenmatt, paru chez Balland en 1983), La chute de l’ange (Zoé, 1992) ou encore La Comtesse dalmate et le principe de déplaisir (Fayard, 2005).

     

    Né en 1944 à Genève, musicologue de formation, Claude Delarue avait roulé sa bosse (un an dans la bande de Gaza pour le CICR) avant de s’établir à Paris où il fut directeur littéraire chez Flammarion et conseiller d’autres éditeurs. Grand connaisseur de musique (Vivre la musique, Tchou 1978), il avait également signé trois pièces de théâtre Parallèlement à son œuvre de romancier, l’essayiste avait publié plusieurs essais (tels Edgar Allan Poe, scènes de la vie d’un écrivain (Seuil, 1985) et L’enfant idiot : honte et révolte chez Charles Baudelaire (Belfond 1997) témoignant de sa double qualité d’homme de vaste culture et d’observateur pénétrant du cœur humain.

     

     Paris. Hôtel de Massa, 38 rue du Faubourg Saint-Jacques, Paris XIVe, le 10 novembre à 19h.

     

      

     

  • De l'intimité cosmique

     

    medium_Sebald0003.3.JPG En lisant Séjours à la campagne de W.G. Sebald

    Il faut écrire entre le cendrier et l’étoile, disait à peu près Dürrenmatt, et c’est la même mise en rapport, sur fond d’intimité cosmique, que je retrouve aussitôt dans l’atmosphère même, enveloppante et crépusculaire, du recueil posthume de W.G. Sebald consacré à sept écrivains et artistes ayant pour point commun d’associer le tout proche et le grand récit du temps ou de l’espace, comme l’illustre immédiatement cette splendide évocation du passage de la comète de 1881 sous la plume de Johann Peter Hebel, walsérien avant la lettre : « Durant toute la nuit, écrit-il, elle fut comme une sainte bénédiction vespérale, comme lorsqu’un prêtre arpente la maison de Dieu et répand l’encens, disons comme une bonne et noble amie de la terre qui se languit d’elle, comme si elle voulait déclarer: un jour, j’ai aussi été une terre, comme toi pleine de bourrasques de neige et de nuées d’orages, d’hospices, de soupes populaires et de tombes autour de petites églises. Mais mon heure dernière est passée et me voici transfigurée en céleste clarté, et j’aimerais bien te rejoindre mais n’en ai point le droit, pour ne pas être de nouveau souillée par tes champs de bataille. Elle ne s’est pas exprimée ainsi, mais j’en eus le sentiment, car elle apparaissait toujours plus belle et plus lumineuse, et plus elle approchait, plus elle était aimable et gaie, et quand elle s’est éloignée, elle est redevenue pâle et maussade, comme si son cœur en était affecté »…
    Cette comète qui passe là haut et nous regarde avec mélancolie m'a fait penser au saint de Buzzati qui regrette de ne pouvoir tomber de son encorbellement de nuée et de rejoindre les jeunes gens en train de vivre de terribles chagrins d’amour dans les bars enfumés de la planète, mais une autre surprise m’attendait au chapitre consacré à Robert Walser, mort dans la neige un jour de Noël, comme mon grand-père, et la même année que le grand-père de Sebald, en 1956. Ces coïncidences ne sont rien en elles-mêmes, à cela près qu’elles tissent un climat affectif et poétique à la fois, participant d’une aire culturelle et de trajectoires sociales comparables. Or le portrait du grand-père de Sebald m'a replongé en plein Walser, autant que mes souvenirs du petit homme, drillé au Ritz de Paris, parlant sept langues et finissant sa vie en colporteur à bicyclette, que fut mon Grossvater... 

    Dans les Promenades avec Robert Walser, Carl Seelig évoque cette Suisse à la fois paysanne et populaire, pieuse et sauvage, souvent instruite par les multiples voyages de l’émigration (la Suisse du début du siècle était pauvre, mes quatre grands-parents se sont connus en Egypte où ils travaillaient dans l’hôtellerie), et marquée, comme l’Allemagne du sud, par le mélange des cultures et l’esprit démocrate, l’utopie romantique et le panthéisme, qu’on retrouve dans les univers parcourus par W.G. Sebald.

    Celui-ci prolonge aujourd'hui la tradition des promeneurs européens qui va de Thomas Platter, le futur grand érudit descendu pieds nus de sa montagne avec les troupes d’escholiers marchant jusqu’en Pologne, à Ulrich Bräker le berger du Toggenburg qui traduira Shakespeare, ou Robert Walser se mettant « pour ainsi dire lui-même sous tutelle », comme l’écrit Sebald, sans cesser de griffonner de son minuscule bout de crayon sous les étoiles…


     W.G. Sebald. Séjours à la campagne. Actes Sud.

    Portrait de W.G. Sebald: Horst Tappe.

  • De touchants Intouchables

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    Une pinte de tendresse et de verve à partager

    On n’acclamera pas le énième chef-d’œuvre, on n’aura pas la cuistrerie de comparer Intouchables des compères Toledano et Nakache aux grandes comédies du 7e art, et pourtant c’est de l’artisanat de haute volée, aux mouvements puissamment enlevés, au rythme soutenu, aux cadrages alternant superbement grands espaces ouverts et retraits intimes, au dialogue ciselé pilpoil pour des personnages consistants et subtils, à l’interprétation en force ou en délicatesse mais jamais trop démago – bref c’est un bel et bon film d'aujourd'hui que cette adaptation cinématographique de l’histoire vraie de Philippe Pozzo di Borgo où François Cluzet, jouant des seuls traits de son visage et des intonations de sa seule voix, et l’irrésistible Omar Sy, mêlant drôlerie et gentillesse, font merveille au premier plan sans occulter pour autant quelques dames adorables ou quelques bourgeois calamiteux au deuxième plan.

    Intouchables3.jpgC’est entendu : le thème du handicap est traité ici de façon si non convenue qu’elle devient presque convenue (le richissime bourgeois cloué sur sa chaise et le beau Black des banlieues sans commisération, ça pourrait même puer la convention dilatoire), et pourtant ce film littéralement tissé de clichés, aux saillies satiriques non moins téléphonées (sur les soignants, l’art contemporain, les goûts musicaux qui se télescopent ou les dérives de la novlangue plus ou moins branchée)  ne nous vaut pas moins une formidable  pinte de belle humeur et de tendresse, avec une tas d'observations fines dans la foulée -  donc merci la compagnie, on ne va pas chipoter sur un tel plaisir...  

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  • Ceux qui maraudent

     

     

    Panopticon11120.jpgCelui qui grappille dans les vignes du Seigneur / Celle qui se nourrit principalement de produits importés par la firme dans laquelle elle est employée surnuméraire / Ceux qui se contentent d’une Ope Cup Saké avant de se mettre au lit dans leur tenue de nuit / Celui qui laisse son toutou Tom jouer sur le tatami de Tina la tatouée / Celle qui se douche à l’eau glacée entre un morceau de Stockhausen et le suivant de Schnittke / Ceux qui pagaient au rythme de la pendule tenue bien droite à l’arrière de la pirogue / Celui qui réprouve la pratique des garçons d’extrême-droite tirant à l’arbalète sur les marmottes pacifistes du haut Toggenburg / Celle qui met à fond les amplis pour chanter Saison des amours au karaoké face à la mère qui roule sa houle / Ceux qui vont exprès à Washington D.C. pour voir les Bonnard de la collection Philips / Celui qui s’exclame avec son crâne accent genevois : bravo bonnard vive Calvin ! / Celle qui aimait bien entendre Bouvier dire bonnard quand il avait le moral donc pas très souvent / Ceux qui font leur miel des faits divers du journal Le Matin dit plus souvent le Tapin / Celui qui lit debout dans le métro de Yokohma le manga sadique du père qui frit debout aussi sa fille à la poêle après l’avoir découpée en fins morceaux / Celle qui estime que le Japon doit être tenu à l’écart de l’Europe Unie / Ceux qui planchent sur la relance du dinar grec / Celui qui prétend avoir eu un rapport oral avec Limonov mais c’est pile le genre du type à se vanter un lendemain de Renaudot ou de Toussaint / Celle qui n’écoute pas ceux qui lui parlent mais eux non plus / Ceux qui estiment de leur devoir de lancer sur Facebook une association des homonymes Duclou / Celui qui a envoyé des messages à 6 homonymes Delaclope sans réponse à ce jour / Ceux qui ont une pensée émue chaque matin pour leurs 666 amis de Facebook aux prénoms variés / Celui qui est sûr de récolter 666 « j’aime » quand il colle une photo de myosotis sur Facebook / Celle qui « partage » toujours les photos de myosotis ou de hamsters malicieux sur son profil positif / Ceux qui ont passé de Facebook à Twitter pour protéger la confidentialité des révélations de leur cousine championne de canasta / Celui qui convoite le badge de meilleur joueur sur la nouvelle console japonaise du bar La Baraka / Celle qui constate avec inquiétude que le badge que portait hier son fils est le même qui a été retrouvé à côté de l’écureuil égorgé dont parlent ce matin les tabloïds / Ceux qui concluent après les derniers événements qu’après ça on ne sait plus où on va au jour d’aujourd’hui / Celui qui sa tatoue le torse au sang de bigarreaux / Celle qui se cueillait des bécots aux lèvres des voyous du quartier avant l’extinction de la race hélas / Ceux qui descendent la rivière de Grapillon / Celui qui palpait à douze ans déjà les nichons sans bonnets / Celle qui choisit les plus beaux morceaux des charcutiers charnus / Ceux qui rôdent toujours dans les vergers de leur adolescence de sauvageons, etc.

    Image : Philip Seelen.   

  • Le Goncourt et après...

     

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    Un siècle et de poussières après l’attribution du premier prix Goncourt à John-Antoine Nau, pour son roman Force ennemie, qui reçut la somme de 5000 francs des premiers académiciens avant d’être vite oublié, Alexis Jenni, lauréat du Goncourt 2011 pour L’Art français de la guerre, paru chez Gallimard, devra se contenter de 10 euros. Telle est la règle.

    Mais les 56.000 exemplaires déjà vendus de ce roman franco-français solidement charpenté,  qui sonde la mémoire de la France guerrière et colonialiste, pourraient bien se trouver décuplés ces prochains mois par ce prix géant qui éberlue positivement « l’écrivain du dimanche » lyonnais, comme il se présente lui-même, si la faveur du public et des libraires français suit le mouvement d’intérêt qu’a immédiatement suscité L’Art français de la guerre.

    Le prix Goncourt a souvent été critiqué pour les « magouilles » qui présidaient à son attribution, limitant les éditeurs papables aux trois enseignes de Gallimard, Grasset et Le Seuil (Galligrasseuil), et le fait est que l’on doute que les 600 pages serrées de Jenni, parues chez un éditeur de seconde zone, eussent jamais passé la barre.

    Or, ce qui est appréciable, en revanche, c’est que ce livre intelligent et de bonne foi, bien construit, intéressant pour tout ce qu’il dit de l’histoire occultée des guerres françaises, passe précisément la barre !

    Ce qu’on n’occultera pas, au demeurant, c’est la guerre économique qui se joue avec les prix littéraires. L’éditeur pavoise, mais des auteurs y ont laissé des plumes, comme Jean Carrère l’a raconté. Jacques Chessex, a contrario,  l’a bien vécu, avec un bon sens tout vaudois. On souhaite la pareille  à l’écrivain du dimanche lyonnais !

  • Bon pour le Renaudot !

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    Emmanuel Carrère, après Céline et Perec…

    D’aucuns avaient vu en Limonov, dernier roman-portrait d’Emmanuel Carrère consacré au zizanique écrivain-tribun russe, le lauréat idéal du Goncourt de cette année. Or l’attribution du Prix Renaudot à ce livre, certainement moins « grand public » que celui du lauréat du Goncourt, et publié à une enseigne moins influente, n’a rien d’infamant et confirme, après maints autres exemples, la vocation du deuxième grand prix de l’automne littéraire français à marquer la différence entre ce qu’on pourrait dire le « régulier », ce que les Anglo-Saxons appellent le « mainstream », et le plus « irrégulier ». C’est ainsi qu’en 1932, le génial Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, auquel on ne comparera pas le roman de Carrère, fut écarté du Goncourt mais gratifié du Renaudot, de même qu’en 1963 Le procès-Verbal de Le Clézio et, en 1965 les choses de Georges Perec, marquèrent l’histoire de ce porix qui n’a rien « de consolation ».

    Auteur en constante évolution, achoppant à la réalité brute avec une implication personnelle singulière, comme on l’a vu déjà dans L’Adversaire, ou de manière plus « faniliale » dans Un roman russe, Emmanuel Carrère, fils mal coiffé d’académicienne impeccable, poursuit une investigation passionnante, avec Limonov, dans les marges du « littérairement correct » qui l’ont déjà vu sonder les eaux troubles de Philip K. Dick…

    Bon pour le Renaudot !   

    Emmanuel Carrère. Limonov. P.O.L., 496p.

  • Le Goncourt annoncé

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    Un roman qui bat en brèche l’amnésie française: L’Art français de la guerre d'Alexis Jenni.

    C’est sans grande surprise qu’est tombé, hier, le verdict de l’Académie Goncourt, attribuant le plus prestigieux des prix littéraires français au premier roman du quadragénaire lyonnais Alexis Jenni, intitulé L’Art français de la guerre. De fait, le nom du lauréat, considéré comme une des « révélations » de la rentrée, semblait le mieux placé sur la dernière ligne de la course au Goncourt, avec celui de Carole Martinez et son beau roman médiéval lyrico-mystique intitulé Du domaine des murmures, qui a obtenu trois voix au premier tour contre cinq à son concurrent – tous deux courant pour la puissante écurie Gallimard. Or la vocation déclarée du Goncourt dès sa fondation, tenant à encourager un inconnu de talent, se trouve en somme honorée après moult dérogations – de Marguerite Duras couronnée à 70 ans en 1984, au célébrissime Michel Houellebecq « rattrapé » l’an dernier…

    Tout classique de forme, bien construit et pratiquant la « ligne claire » de notre langue, L’Art français de la guerre, certes long et très  franco-français de substance, et malgré son pesant de sentences voulues définitives (mais n'est pas Céline qui veut...)   devrait pourtant toucher aussi le public « étranger » par les questions qu’il pose sur l’effacement de la mémoire. On peut douter que son retentissement soit comparable à celui des Bienveillantes de Jonathan Littell, « goncourtisé » en 2006, mais l’ouvrage a le même mérite de rompre avec un certain nombrilisme littéraire. Ainsi module-t-il, par le truchement de ses deux protagonistes, une sorte de décapage de l’histoire des guerres françaises de ces soixante dernières années, entre l’Indochine et l’Algérie, notamment

    Amorcé par une évocation de la guerre du Golfe, par le narrateur un peu glandeur-quadra-paumé  qui découvre à la télé, en 1991, le départ des spahis de Valence pour le désert et sa Tempête, le roman décolle avec l’apparition, dans un « café perdu », de Victorien Salagnon, revenu de toutes les guerres et qui, bien après ses activités d’ « officier parachutiste dessinateur » du  Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient, a continué de peindre au pinceau chinois, dont il va d’ailleurs transmettre l’art à son jeune interlocuteur. « Avec du noir il faisait de la lumière, et de la lumière le reste découle ». Pour payer ces leçons, le narrateur se fera le chroniqueur des tribulations parfois terribles de Salagnon,  constituant la partie la plus dynamique du roman, ponctué par les surtitres de Roman I à Roman VI. Ceux-ci  alternent avec des chapitres sur-titrés Commentaires, de  I à VII, qui marquent un contrepoint réflexif. « Les guerres sont simples quand on les raconte », déclare Salagnon au fil de son récit. « Sauf celles-là que nous avons faites. Elles sont si confuses que chacun essaie de s’en sortir en donnant un petit roman plaintif, que personne ne raconte de la même façon. Si les guerres servent à fonder une identité, nous nous sommes vraiment ratés »…

    A noter enfin que la composante du dessin, dont les traits lient aussi les deux protagonistes, a son importance dans la modulation du récit d’Alexis Jenni par images, souvent bien silhouettées et frappantes – qui trouvent d’ailleurs une prolongation sur un blog dessiné de l’écrivain (http://www.jalexis2.blogspot.com) à l’enseigne de Voyages pas très loin.

    Or Alexis Jenni, et c’est bien sympathique, a l’air le premier éberlué de se trouver propulsé « un peu plus loin » avec L’Art français de la guerre.

    Alexis Jenni. L’Art français de la guerre. Gallimard, 633p.

  • Ceux qui ont la touche

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    Celui que les histoires de cul d’Embrasez-moi d’Eric Holder ont tout de suite botté / Celle qui adore lire debout et le faire aussi sous la douche avec quelqu’un de consentant si ça se trouve / Ceux qui se partagent les cerises confites au petit dèje / Celui qui pique un fard alors que c’est lui qui mate / Celle qui dit comme ça qu’elle kiffe les regards louches / Ceux qui se donnent rendez-vous rue de Hesse ou rue Soufflot ça dépend des jours / Celui qui le fait à la camarade à celle qui se prête juste pour voir / Celle qui le fait juste en passant et pas de plus même si affinités vu que l’Agenda passe avant / Ceux qui s’aimeront surtout plus tard à travers leurs enfants / Celui qui aime les triolets d’Elsa / Celle qui dit préférer le souvenir de la chose à la chose mais est-ce vrai ? / Ceux qui en ont imprégné les murs / Celui qui les a toutes essayées avant d’en choisir une hors du bureau / Celle qui les a tous essayés au bureau qui s’en est trouvé plus soudé / Ceux qui appellent amitié leur façon de prendre les femmes de leurs amis / Celui qui se fait le serment (par écrit) de baiser la Chèvre / Celle qu’on appelle la Chèvre mais c’est façon de parler / Ceux qui ont connu sainte Blandine au sens biblique / Celui qui s’en tient aux bas quartiers / Celle qui a pris l’ascenseur du cœur et de l’âme et du mal de cheveux quand elle s’est retrouvée seule / Ceux qui se sont rabattus sur les levrettes d’élevage assez rentables avec la mode / Celui qui se garde les poires d’Hélène pour la soif / Celle qui s’offre au plus donnant-donnant / Ceux qui laissent venir à eux l’immensité des choses / Celui qui les cérébraux ont toujours fait fuir / Celle qui a des convulsions cérébrales en tant que cheffe de projets culturels / Ceux qui vibrent en surface / Celui qui parle de profondeur pour en imposer / Celle qui flaire le faux à fleur de peau / Ceux qui gardent leurs sens en éveil / Celui qui se relève d’une espèce de coma éveillé / Celle que plus rien n’embrase que de faire le pompier / Ceux qui se réfugient dans le ricanement compulsif style jeune Japonais blasé / Celui qui ne vit plus que par procuration / Celle qui tue le temps mé-ti-cu-leu-se-ment / Ceux qui succombent au mépris des médiocres / Celui qui ne se fie qu’à ses antennes / Celle qui se la joue femme savante et ne sait plus où elle en est / Ceux qui ne se touchent plus que par les mots / Celui que tout déçoit plus ou moins sauf de voir le jour se lever sur l’arrière-cour / Celle qui laisse du temps au vent / Ceux qui se retrouvent en cabane au Canada / Celui que sa sensualité a rendu plus indulgent / Celle qui petite chantait zut merde pine et boxon dans l’auto de papa et maman ravis / Ceux qui se bécotent encore de loin en loin / Celui qui demande à l’imam de lui lâcher la grappe / Celle qui les laisse aller et ils s’en allent, etc.     

    Image: Philip Seelen

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  • Le brio d'un Maître

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    Avec Le Turquetto, Metin Arditi revisite la Venise du Titien dans la foulée d'un autre peintre de génie. Le Prix Giono 2011 couronne ce livre.

    Le dernier roman de Metin Arditi s'ouvre sur un scoop, comme on dit en jargon médiatique. À savoir que L'Homme au gant, tableau fameux du Titien devant lequel on se prosterne au Louvre, serait d'une autre main que celle du grand peintre vénitien du XVIe siècle. Une analyse scientifique de la signature de l'oeuvre, prêtée au Musée d'art et d'Histoire de Genève, en 2001, permettrait en effet d'émettre l'hypothèse que le tableau «n'est pas de la main du Titien».

    Or qui oserait douter du sérieux de Genève, alors que la cité du peu badin Calvin est (notamment) le siège mondial des affaires du richissime Metin Arditi, par ailleurs professeur de science dure, ferré en génie atomique ? Qui oserait prétendre qu'un ingénieur titré, doublé d'un notable respecté, Président de l'Orchestre de la Suisse romande et mécène courtisé, nous balance comme ça de l'info qui soit de l'intox ?

    À vrai dire le doute vient d'ailleurs: et d'abord du fait qu'il y a plus de vérités vraies, dans le nouveau roman de l'écrivain Metin Arditi, homme-orchestre s'il en est, que dans tous ses livres précédents, à commencer par le dernier paru en 2009, Loin des bras, tout autobiographique qu'il fût, mais manquant peut-être de mentir-vrai.


    Se non è vero...

    Fondé sur une conjecture infime - l'initiale d'une signature douteuse -, Le Turquetto déploie en fait, au fil d'une marqueterie narrative chatoyante, le roman de celui qui aurait pu être aussi grand que Titien, voire plus grand dans la fusion du dessin et de la couleur, mais que les vicissitudes de son époque auraient condamné à l'oubli après la destruction de son oeuvre par le feu de l'Inquisition.

    Metin Arditi, originaire lui-même de Constantinople, y fait naître un garçon follement doué pour le dessin, Juif de naissance qui inquiète son pauvre père en suivant les leçons de calligraphie d'un sage musulman, lequel lui reproche à son tour de préférer le portrait profane à la seule lettre sacrée.

    Débarqué à Venise sous un nom grec après la mort de son père, surnommé «il Turquetto», Elie Soriano deviendra le meilleur élève du Maître (alias le Titien) qu'il surpassera même peut-être, notamment dans une Cène géniale détruite, comme tous ses tableaux, après que ses ennemis ont percé ses origines infâmes. Etre Juif et se faire passer pour chrétien est en effet passible de mort en ce temps-là. Au demeurant, le Turquetto assume son origine après s'être peint sous les traits de Judas, et s'il échappe finalement à l'Inquisiteur corrompu , c'est grâce à un nonce également dégoûté par une Eglise trahissant l'Evangile...

    «Se non è vero è ben trovato», dit-on dans la langue de Dante pour reconnaître qu'un mensonge, ou disons plus gentiment une affabulation, peut être plus vrai que ce qu'on appelle la vérité. Et d'ailleurs quelle vérité ?

    C'est une des questions essentielles que pose Il Turquetto, passionnante variation romanesque sur les acceptions de la vérité: vérité de nos origines peut-être incertaines, vérité des valeurs que nous croyons absolues, vérité de l'art qui dépend si souvent de conditions sociales ou économiques données - les aperçus du roman sur les Confrèries vénitiennes sont captivants - , vérité de la religion qui prétend exclure toutes les autres.

    Metin Arditi a sûrement mis énormément de son savoir et de sa grande expérience existentielle dans ce roman par ailleurs foisonnant, sensible et sensuel, plein d'indulgence pour les êtres et d'humour aussi, qui est autant celui d'un connaisseur de l'art que d'un amoureux de la vie et, pour tout ce qui touche, aujourd'hui, au retour des obscurantismes, d'un humaniste ouvert aux sources d'une vérité aux multiples visages.

    Metin Arditi. Le Turquetto, Actes Sud, 236p.

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  • Citoyen du monde

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    La conférence du Nobel de Mario Vargas Llosa nous vaut un bel éloge de la lecture et de la fiction, gages de liberté.

     

     

    Mario Vargas Llosa avait 5ans lorsqu’il apprit à lire. «C’est ce qui m’est arrivé de plus important dans la vie», affirme-t-il au début de son éclatante Conférence du Nobel intitulée Eloge de la lecture et de la fiction, parfaite introduction à son œuvre grande ouverte sur le monde.  Si la lecture le fit magiquement entrer dans le sous-marin du capitaine Nemo et ferrailler aux côtés de d’Artagnan, c’est par l’écriture qu’il commença de prolonger ou corriger la fin des histoires qui remplirent son enfance. Son dernier roman, Le rêve du Celte, est d’ailleurs traversé par un souffle épique de roman d’aventures. Rien d’innocent cependant dans les menées de son héros, Roger Casement (1864-1916), pendu à la fin du premier chapitre comme un criminel, et dont la trajectoire retracée ensuite est celle d’un accusateur féroce du colonialisme, au Congo belge puis dans l’Amazonie péruvienne, dont l’action prélude en outre à l’indépendance de l’Irlande.

     

    Après son portrait mémorable du dictateur Trujillo, dans La Fête au bouc, Vargas Llosa montre une fois de plus sa connaissance profonde des motivations humaines et des rouages politiques, acquise avec l’expérience. C’est pourtant «au paradis» que le jeune Mario vécut sa première enfance, avant de perdre son innocence à onze ans. Alors, en effet, on lui révéla que son père, déclaré mort jusque-là, ne l’était pas. Ayant rejoint ledit paternel à Lima, il découvrit «la solitude, l’autorité, la vie adulte et la peur». Avec, pour seul salut, la lecture et «cette passion, ce vice et cette merveille: écrire, créer une vie parallèle où nous réfugier contre l’adversité, et qui rend naturel l’extraordinaire, extraordinaire le naturel, dissipe le chaos, embellit la laideur, éternise l’instant et fait de la mort un spectacle passager».

     

    Tout enseignant de littérature devrait lire et faire lire ce lumineux opuscule de Vargas Llosa. Tranquillement «intime» dans la reconnaissance déclarée à Patricia, qui lui donna trois enfants et n’hésite pas, elle qui «fait tout et fait tout bien», à lui dire: «Mario, tu ne sers qu’à une chose, à écrire»… Mais également lucide dans ses observations d’ex-révolutionnaire de vingt ans, déçu du communisme et rejetant ensuite toute forme de dictature. De ses tribulations personnelles, l’écrivain tira La ville et les chiens, tableau virulent de l’académie militaire où son père l’envoya et qui établit sa première gloire. Par la suite, l’autobiographie céda le pas à des romans polyphoniques de plus en plus ambitieux et percutants, tels Pantaleon et les visiteuses  et Qui a tué Palomino Molero?, stigmatisant le fanatisme militaire ou religieux.

     

     «Citoyen du monde», parce qu’il devint lui-même dans le Paris de Sartre et Malraux, puis à Barcelone dans les années 70, entre autres multiples lieux où il habita, Varga Llosa l’est naturellement, attaché à sa patrie natale (ce Pérou dont il faillit devenir le président très libéral en 1990), ou à l’Espagne, dont le roi le fit marquis. Il se qualifie encore d’ennemi du nationalisme en lequel il voit «la cause des pires boucheries de l’histoire», ce qui ne l’a pas empêché de soutenir un candidat nationaliste aux dernières élections présidentielles péruviennes…

     

    Mario Vargas Llosa. Eloge de la lecture et de la fiction. Gallimard, 48p.

     

    Le rêve du Celte. Galimard, 388p.

     

  • Ceux qui se ramassent

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    Celui qui se lève avant tout le monde pour écrire tranquille / Celle qui se demande comment disparaître / Ceux qui revoient A Lonely place pour la énième fois / Celui qui fait sienne la devise : Lavorando mi riposo, en travaillant je me repose / Celle qui en a marre de prendre tout sur elle /  Ceux qui se réfugient dans les coulisses de l’exploit / Celui qui rlit la Disparition d Prc / Celle qui laisse infuser son ombre sur le mur d’angle / Ceux qui se trissent par l’angle mort / Celui qui rejoint son bureau par les dunes / Celle qui se réfugie dans le thé dansant / Ceux qui se cachent dans la foule / Celui qui évite les jeunes mormons motivés / Celle que la conso dynamique genre Fnac paralyse bonnement / Ceux qui se retrouvent en se perdant / Celui qui fuit comme un robinet d’eau tiède / Celle qui est trop lâche pour se lâcher / Ceux qui sont balisés comme des pistes de décollage où rien ne décolle / Celui qui se multiplie par un premier enfant avec celle qui le lui a fait / Celle qui sert un Marini on the rock au père batteur de la future pianiste de concert / Ceux qui ont fait des enfants pour mettre un peu de vie dans la maison des retraités / Celui qui fait bouboume à pépère à son premier poupon alors qu’il est plutôt genre trader cynique / Celle qui découvre un père attentionné chez les macho méditerranéen qu’elle a épousé pour son argent / Ceux qui se réfugient dans les replis de leurs houris / Celui qui découvre que la révolution du jasmin a des épines sous sa barbe / Celle qui vote avec ses lessives / Ceux qui sont venus à cause des Bonus et s’en vont avec / Celui qui estime qu’un crash européen est souhaitable afin de repartir d’un bon pied / Celle qui a des réserves de riz en cas de crise / Ceux qui pratiquent la méditation transcendantale en plein quartier des affaires et même parfois à l’heure de pointe / Celui qui plaint son pays d’être devenu ce qu’il est tout en se félicitant lui-même d’être resté ce qu’il était / Celle qui estime que la vocation d’un contribuable est de contribuer / Ceux qui sont de plus en plus médusés sur leur radeau / Celui qui s’abstient de ne pas voter sans être sûr que ça se remarque / Celle qui se rappelle la propension du peintre Auguste Renoir à casser tous les angles d’un nouvel appartement au marteau / Ceux qui vont voir ailleurs si le taux de change est meilleur, etc.

    Image : Philip Seelen        

     

  • Nick le révolté

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    Rencontre-entretien avec Susan Ray, veuve du grand cinéaste américain Nicholas Ray.

     

    La Cinémathèque suisse présente, jusqu’au lundi 31 octobre, une rétrospective consacrée au grand cinéaste américain Nicholas Ray, auteur de La Furerur de vivre et de nombreux autres films de première importance tels Les amants de la nuit (1948), le fabuleux In a lonely Place (Le violent, 1950) avec Humphrey Bogart, Johnny Guitar (1954) ou encore À l’ombre des potences (1955), Le Roi des rois (1961) et Les 55 jours de Pékin (1963) avec Ava Gardner.  « Autour » de Nicholas Ray ont également été présentés L’Ami américain de Wim Wenders et le mémorable Lightning over Water ; Nick’s movie, du même Wenders témoignant de la fin de son ami en phase terminale de cancer, à sa demande. Enfin, Susan Ray, de passage à Lausanne ces derniers jours, présentait le dernier film de Nicholas Ray lui-même, tourné avec une quarantaine d’étudiants en 1971, intitulé We can’t go home again et constituant une sorte de patchwork « godardien » où l’on voit un film  se faire avec et par les étudiants, sur l’arrière-fond très présent des révoltes contre la guerre au Vietnam et pour les droits civiques à la fin de sixties.  En complément, la même Susan Ray présentait un documentaire de son cru sur Nicholas Ray en ses dernières années, sous le titre de Don’t expect too much.

     

    Susan18.jpgEntretien avec Susan Ray

     

    -        Quelle sorte de teenager étiez-vous lorsque vous avez rencontré Nicholas Ray ?

    -        J’étais une jeune fille assez différente des autres, je me sentais un peu à part dans ma génération, que Nick comprenait mieux que moi. Je venais du Connecticut. Mes parents étaient des gens instruits de la classe moyenne, mon père était avocat et ma mère enseignante. J’étais plutôt introvertie et le suis restée. Je lisais beaucoup et j’écrivais. J’aimais la musique et un peu le cinéma. Je n’avais jamais entendu parler de Nicholas Ray, dont j’avais vu pourtant quelques films, dont Bigger than life. C’est à l’occasion du fameux procès des activistes, à Chicago en 1969, que nous nous sommes rencontrés une première fois par le truchement de l’avocat de la défense. Etudiante en méthodologie historique, j’avais été chargée de suivre le procès pour un éditeur new yorkais. Ce n’est que six mois après le procès, cependant, que Nick m’a fait venir chez lui et m’a demandé de travailler pour lui. J’ai commencé par nettoyer un monceau de vaisselle, ce qui l’a impressionné. Puis il m’a demandé de rédiger un script à partir du rapport qui avait été fait du procès de Chicago, pour un film qu’il avait en projet. Je n’avais aucune expérience de ce genre de travail, mais je m’y suis attelée. Moi qui rêvais alors de nouvelles expériences et autres aventures plus exaltante que le monde abstrait des cours, j’ai été servie !Ray13.jpg

    -        Quel type d’homme était alors Nicholas Ray ? 

    -        Il m’a semblé tout de suite extraordinaire. Il avait l’air d’un homme. Jamais je n’avais vu un type comme ça. Il dégageait une énergie folle. J’avais l’impression, avec lui, d’être plus libre qu’avec quiconque. Je me sentais acceptée telle que j’étais, et de surcroît je pouvais jouer avec lui comme avec un enfant. Nous avions ainsi des marionnettes, avec lesquelles nous avons joué jusqu’à la mort de Nick. Sa préférée était un lion. Elles faisaient un peu partie de notre famille. Une amie m’a dit que cette part enfantine, en moi, avait particulièrement attiré Nick, chez lequel elle était aussi très présente. Et puis, j’étais impressionné par la part de spiritualité qu’il y avait en lui. Comme je voulais devenir nonne lorsque j’avais cinq ans, et que je restais très préoccupée par ce domaine-là, j’ai été touchée par sa façon d’aller au fond des choses.

    -        On sent cette profondeur dans le contenu implicite de ses films… 

    -        Absolument. Sans pratiquer lui-même aucun exercice spirituel, sa façon d’interroger l’essence des choses et son travail sur la réalité faisaient de lui une espèce de mystique. C’était en tout cas un homme en recherche. A la fin de sa vie, lorsque j’ai commencé à pratiquer le yoga, il m’a dit que c’est ce qu’il aurait dû faire à mon âge. Il voulait absolument se comprendre lui-même à travers son approche des autres. Ses intuitions étaient d’une acuité exceptionnelle et ce sont à mes yeux les meilleurs indices d’une authentique spiritualité.

    -        Qu’a-t-il trouvé, pour sa part, dans la jeune fille que vous étiez ?

    -        Je me le suis souvent demandé. Je crois qu’il a senti que je le comprenais mieux que les autres. Il est difficile d’expliquer pourquoi deux êtres se reconnaissent et décident de vivre ensemble, mais Nick m’a dit un jour, dans une lettre, que je le connaissais mieux que quiconque. Nous étions bien ensemble, mais cela n’allait pas sans affrontements, pourtant  Nick a été la seule personne à me laisser libre jusque dans l’opposition.

    -        D’aucun parlent du Nicholas Ray de ces années comme d’un homme fini, ruiné et perdu d’alcoolisme. Or ce n’est pas l’image qu’il donne dans son dernier film…

    -        Cette caricature de Nick m’a toujours révoltée ! Parce que son départ d’Hollywood n’a pas été le seul fait du milieu, mais également de sa volonté à lui. Mais évidemment, il est difficile, pour ceux qui croient tout avoir avec l’argent et la gloire, de comprendre qu’on puisse être las de tout ça et chercher autre chose. Or c’est exactement ce qui est arrivé à Nick, qui aspirait à explorer de nouveaux territoires. L’incroyable intensité de son engagement, dans la préparation du film avec les jeunes, qui flanchaient les uns après les autres alors qu’il pouvait travailler vingt heures d’affilée, est la meilleure réponse à propos de l’homme « fini », même s’il est vrai qu’il s’enfonçait de plus en plus dans son alcoolisme.

    Ray12.jpeg-        Quand a-t-il commencé à parler de We can’t go home again ?  

    -        Dès 1971, quand il a été engagé à donner ses cours à l’université de Binghampton. Il était convaincu que la seule façon d’enseigner le cinéma est de faire un film. Et c’est ainsi qu’il a poussé ses étudiants à s’impliquer à fond dans la réalisation.

    -        Leur vie même semble s’intégrer dans le film. La fille qui dit avoir racolé pour ramener 2000 dollars à la réalisation affabule-t-elle ?

    -        Pas du tout ! D’ailleurs il est difficile de faire la part de la réalité et de la fiction dans toute cette matière ressaisie par le film, où l’histoire du couple initial est juste un fil rouge. L’essentiel est ailleurs, qui a déterminé tout le travail de Nick et de l’équipe. Il s’agissait, pour lui, de donner une nouvelle image, plus brute et plus vraie, de la réalité que nous vivons. L’imagerie conventionnelle du cinéma et de la télévision lui semblait par trop léchée. Il aspirait à dégager ce qu’on pourrait dire une image subliminale de la réalité, en multipliant les approches par le patchwork d’images d’actualités, de scènes jouées au naturel ou avec des masques, d’éléments vidéo aux effets picturaux décalés, qui donnent au film son caractère expérimental.  C’est aussi pourquoi il n’a pas eu recours à des acteurs professionnels.

    -        Quel a été votre rôle dans l’élaboration du film ?

    -        J’y ai beaucoup travaillé… depuis quarante ans, entre montage final et restauration ! Mais pendant le tournage, je me suis tenu dans les coulisses. D’abord parce que je n’aime pas être photographiée ou filmée, ensuite parce que je me consacrais à de plus humbles tâches, entre la cuisine et le travail d’assistance…  

    -        Qu’en est-il du documentaire que vous avez consacré à Nicholas Ray sous le titre de Don’t expect too much, qui reprend la sentence du Sphinx tirée de la belle scène centrale de We can’t go home again ?

    -        J’avais des questions à résoudre. À l’origine, c’est Bernard Eisenschitz, le biographe de Nick, qui devait le réaliser, mais ça n’a pu se faire. Je m’y suis donc attelée, alors que je n’avais jamais fait de films.

    -        Quelles questions vous posiez-vous ?

    -        Elles portaient à la fois sur ce que l’équipe de tournage avait vécu avec Nick et, plus généralement, sur les relations entre maître et élèves, qui me passionnent.

    -        Et quelles réponses avez-vous obtenu ?

    -        J’ai constaté à quel point Nick s’était réellement « donné » à ces jeunes, comme s’il leur devait quelque chose d’important. Cela correspondait d’ailleurs à ce qu’il disait de sa génération, qu’il prétendait une génération de traîtres en cela que les pères avaient fait semblant d’ouvrir grands les bras à leurs enfants et les avaient refermés sans rien leur donner – ce qui me semble, pour ma part, une conclusion injuste. En fait j’ai l’impression que le reproche peut être fait à toutes les générations, et que la nôtre n’a pas été plus brillante que celle de Nick, au contraire !

    -        Vous avez évoqué le thème de la transmission, au cœur du film lui aussi, notamment dans la scène du Sphinx interrogé par l’homme en quête de sagesse. Or, qu’estimez-vous que Nicholas Ray vous ait transmis ?

    -        Nick ne m’a pas transmis la sagesse, que j’ai plutôt trouvée auprès de mes maîtres zen. Il m’est d’ailleurs difficile de démêler ce que Nick m’a transmis et ce qui était déjà en moi. Ce que je dirai, au plus juste, c’est qu’il m’a permis d’être moi-même. J’aurais peut-être aimé qu’il me guide un peu plus, j’ai souffert de son alcoolisme, ce n’était pas un homme facile à vivre, mais moi non plus je n’étais pas facile à vivre. Nick m’a aidé à explorer les zones d’ombre de la nature humaine, les parties cachées, obscures ou douloureuses ; la recherche spirituelle passe par la souffrance, je vous l’ai dit, et c’est ce mélange aussi, de fragilité  et de profondeur, que j’ai retrouvé cet après-midi au musée de l’Art Brut que j’ai visité, à Lausanne, avec quelle émotion !  

     

    Lausanne. Cinémathèque suisse. We can’t go home again est à voir encore le 28 octobre, à 15h. Le même jour, à 18h.30, reprise des The lusty Men (Les indomptables), à 18h.30. En outre, La Fureur de vivre repassera le 29 octobre à 15h. Pour le reste des projections, on consulte le site de la Cinémathèque : www.cinematheque.ch Une vidéo consacrée à Susan Ray est visible sur le site.

  • Yves Bonnefoy en nos murs

     

     

    Bonnefoy.jpgYves Bonnefoy reçoit, demain à Lausanne, le Grand Prix de Poésie Pierrette Micheloud 2011.

    C’est l’un des plus grands poètes de langue française, cité parmi les papables du Nobel de littérature, qui se trouve honoré à Lausanne pour l’ensemble de son œuvre. Auteur de plus de cent ouvrages incluant des recueils de poésie et de proses poétiques, des essais sur des écrivains et des artistes (de Rimbaud à Giacometti en passant par le peintre valaisan Palézieux, Goya ou Masaccio), et de nombreuses traductions de Shakespeare, Yeats, Pétrarque et Leopardi, Yves Bonnefoy pourrait être qualifié de maître veilleur du langage. Poète exemplaire de la présence au monde vécue à tous les degrés de l’intuition sensible, de la connaissance et de la méditation sur la dégradation du lien verbal,  Bonnefoy oppose ainsi la parole du  poète au discours unidimensionnel de l’idéologue, déclarant « que la poésie est, de ce fait, le complément naturel du projet de démocratie – ce droit de chacun à sa parole – et la condition nécessaire à son véritable plein exercice ».

    Pour mémoire, rappelons que l’auteur de L’Heure présente, mélange de poèmes et de proses qui vient de paraître au Mercure de France, est né à Tours en 1923 et qu’il fut un compagnon de routes des surréalistes avant de tracer sa propre voie singulière, marquée par un premier recueil paru en 1953 sous le titre Du mouvement et de l’immobilité de Douve. Un autre livre significatif doit être signalé, intitulé L’Arrière-pays et constituant une réflexion poétique de haut vol à caractère autobiographique.

    Au point de rencontre de la littérature et des arts, Yves Bonnefoy a noué des amitiés tous azimuts avec des écrivains et des artistes  de notre temps, de Philippe Jaccottet à Pierre Alechinsky, Jean Starobinski, Bram Van Welde ou Zao-Wou-ki. Très présent dans l’édition littéraire française et souvent invité par les universités de nombreux pays, le poète-essayiste tint une chaire au Collège de France dès 1981. Déjà lauréat du grand prix de poésie de l’Académie française et du prix Balzan, notamment, il recevra aujourd’hui, à Lausanne, le Grand Prix de poésie Pierrette Micheloud, d’un montant de 30.000 francs, à l’initiative de la Fondation Pierrette-Micheloud que dirige Jean-Pierre Vallotton. C’est avec celui-ci, président du jury, que s’entretiendra ce soir Yves Bonnefoy.

    Lausanne, Café-théâtre Le Bourg, rue de Bourg 51, le 18 octobre à 19h. Entrée libre.