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Du Salon aux rues chaudes

Saloon.jpgAux Pâquis, succursale du Salon du Livre, ce samedi 28 avril, bien tard.Lorsque nous nous sommes pointés, hier, dans la halle monstre du Salon du Livre, l’extravagant brouhaha qui l’emplissait, comme d’un infernal tintamarre d’étourneaux, m’a fait lancer à ma bonne amie que c’en était déjà trop : que je n’allais pas tenir un quart d’heure dans ce boucan, mais aussitôt elle m’a calmé en me rappelant que les enfants ne faisaient qu’y passer et que c’est comme ça les enfants : que ça fait du potin ; et je me suis traité de gnou en me réjouissant alors qu’il y ait tant d’enfants à faire les fous autour du livre, ainsi de suite…

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Or cet élan d’esprit positif m’est revenu, ce matin, en passant à la hauteur du stand de L’Hebdo, où le psychologue optimiste Jacques Salomé se félicitait lui-même, en toute modestie, d’avoir publié un aussi formidable petit livre que le sien. Et du coup je me suis dit sans malice: mais c’est cela même que chacun de nous pense en somme en toute modestie, et c’est cela qu’il faut claironner : c’est que son livre est formidable ! La chose peut sembler déplaisante mais c’est le contraire qui serait plutôt inquiétant : que nous prenions une mine contrite au seuil de notre jardin. Et cela m’a rappelé la leçon de notre bon pasteur Pierre Volet, genre prêtre ouvrier à la protestante, qui nous expliquait comme ça que ce qui distingue la vanité de l’orgueil tient à cela que l’orgueil est une fierté manifestée quand « il y a de quoi », tandis que la vanité manque « de quoi »… Or quel auteur passerait au Salon sans penser qu’il y a de quoi être fier de son livre ? Pour ma part, je me rappelle encore l’amour inconditionnel que l’incommensurable Flannery O’Connor portait à ses livres, qui m’a rappelé cette évidence que j’aime, moi aussi, chacun de mes vingt livres, comme autant d’enfants. Deux filles, une bonne amie unique au monde et vingt livres, et l’on ne se la péterait pas, au risque de chiffronner les chattemites ?

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Quentin8.jpgSur quoi j’ai retrouvé tout àl’heure Quentin Mouron. Quentin qui ne voit, lui aussi, que le beau côté des choses. Quentin qui n’est pas du tout du genre à « positiver » niaiseux, mais qui a tout de suite perçu les attraits du Salon qu’il découvrait pour la première fois. Quentin avec lequel j’étais censé, une heure durant, m’entretenir à l’enseigne du Cercle de la librairie et de l’édition, à propos de nos deux livres et de tout ce qui nous est à l’évidence commun : le même amour d’une littérature qui dise le vrai jusqu’au noir, de Flaubert à Céline via Dostoïevski, la traversée des déserts contemporains et la tempête des sentiments, le vide du cœur, l’amour qui n’est pas aimé – tout ça que j’ai trouvé dans Au point d’effusion des égouts et qui s’impose avec plus de force encore et de pureté dans Notre-Dame-de la-Merci, à paraître à la fin du prochain été et dont j’annote à l’instant les feuillets sur cette table des Pâquis…

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Francis.jpgUn autre motif de se réjouir de passer au Salon, aussi, tient aux rencontres et autres retrouvailles qu’on y fait d’année en année. Ainsi de Francis Richard, que je n’avais vu de visu qu’une fois jusque-là tout en ayant partagé nombre d’opinions et d’impressions avec lui. Francis aussi fou de lecture et vaillant blogueur que moi – Francis Richard l’homme d’expérience passé par affaires et entreprises et qui me racontait, cet après-midi, comment son grand-père, lors de la Grande Guerre, parce qu’on ne voulait pas de lui dans l’armée belge – né en 1895, il n’avait que 19 ans à ce moment-là – est  parti aux Pays-Bas puis en Angleterre où il a été enrôlé dans l’Intelligence Service. Retourné en Belgique il a été assez vite dénoncé par un membre de sa famille, torturé, amené au peloton d’exécution plusieurs fois pour le faire craquer. Or cette terrible épreuve m'a rappelé l'épisode de l'exécution de Fédor Dostoïevski, différée au dernier instant par l'annonce de la grâce du Tsar, et qui a marqué pour lui (rappelle Léon Chestov) une véritable seconde naissance, décisive pour son oeuvre à venir. Ensuite, Francis Richard m'a encore raconté comment, quand la Seconde Guerre Mondiale est arrivée, son grand-père a naturellement repris du service. A la fin de la guerre, bien connu pour ses faits de résistance – il a été élu aux élections provinciales après guerre sans avoir posé sa candidature… –, il est intervenu pour sauver des dizaines de personnes qui allaient être exécutées sommairement alors que la plupart d’entre elles n’avaient rien fait, mais étaient victimes de vengeances personnelles. Francis m'a parlé en outre de son père , antisémite comme on pouvait l’être à sa génération – il était né en 1906, c’était courant à l’époque et ne tirait pas à conséquence -, qui a pourtant sauvé des Juifs de la déportation pendant la Seconde Guerre Mondiale, sans faire de la résistance pour autant - son antisémitisme n’ayant  rien à voir avec le racisme nazi…

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À l’instant je devrais me trouver au Dîner des auteurs du Salon du Livre, avant de finir la soirée dans une boîte où Frédéric Beigbeder « mixera ». Le Dîner festif en question se déroule au Mandarin oriental, palace du bord du Rhône où j’ai déjeuné un jour en compagnie de l’excellent Metin Arditi, qui m’avoua au dessert qu’il en était un peu le taulier. Je me suis donc excusé, tout à l’heure, auprès de ce cher Metin qui m’a dit avoir déjà parcouru mon livre et y a trouvé du plaisir, avant de cligner de l’œil en m’avouant qu’il se serait bien passé de ce raout auquel, tout de même, il ne peut pas décemment échapper.

Maxou3.jpgJ’ai compati et me suis trissé, porté par le vent tropical de ce soir qui ne pouvait me conduire qu’en ces lieux fleurant l’Afrique perdue et les Balkans canailles, le Levant louche et l’Asie retorse. Bref, alors que ma bonne amie allait rejoindre nos infantes, j’ai fui les admirables gens de lettres pour leur préférer les filles de joie et de peine qui peuplent 39, rue de Berne, le nouveau chantier romanesque de mon ami Max Lobe, hélas absent ce soir de son quartier.

En alternance, seul à ma table de restau interlope, je me serai donc régalé à la lecture de Notre-Dame-de-La-Merci, de Quentin Mouron, et du nouveau roman de Maxou, alias Blacky, dont me touche le pâte humaine et l’africanité douce et dure, la malice et l’art d’un vrai conteur (justement repéré par la nouvelle Madame Zoé), sa vitalité de danseur de zumba et ses difficultés d’exilé assumant crânement sa situation de jeune Black « pacté » avec un Grison étudiant, enfin son regard lucide de Camerounais me faisant le pousser à composer une chronique de Huron à sa façon, découvrant la Suisse et nos jungles policées…

Et sifflant ainsi, solo, tout l’alcool du monde en lisant deux livres de youngsters qui pourraient être mes petits-fils, je me suis retrouvé tout égayé dans cette sorte de succursale improbable du Salon du Livre...

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