Dialogue schizo
Moi l'autre: - Et après ça ?
Moi l'un: - Après ça, quoi ?
Moi l'autre: - Après l'Afrique, qu'est-ce qu'on en a de plus ?
Moi l'un: - Après quelle Afrique ? Tu trouves qu'on a vu l'Afrique, toi ?
Moi l'autre: - Enfin si quand même, un peu. Que de loin, c'est vrai, comme en passant, mais on a vu des bouts de pays du haut du ciel, des bouts de bords de routes, des bouts de buttes à termites et des bouts de marchés populeux ... Et puis des gens, on a vu quelques gens, qu'on reverra peut-être plus tard. Quand même sympas, non ? La Bestine, l'Ana et la Domi, le Fabrice et le Mwanza Fiston, le Bofane et le Vincent au béret vert, plus quelques autres. On a vu le Gouverneur Moïse Kitumba dans ses meubles. On a vu un bout de la moquette de son stade. On a vu un bout de jardin du Consul de Belgique. On a vu quelques groupes de rumba congolaise et de rap de Lubumbashi à la Halle de l'étoile dont on a vu le complet blanc du directeur genre personnage à la Simenon à belle épouse et enfant noirs. On a vu là un bout de pièce de théâtre assez cocasse. On a vu divers profs distingués de diverses facultés de lettres parlant comme Bourdieu mais d'autres qui avaient des choses à dire aussi sans parler des écrivains venus d'un peu partout. On a vu les nids-de-poule des parkings de l'université. On a vu les chiottes côté mecs délabrées de la faculté des Lettres. On a vu les étudiants fêtant leurs diplômes en grandes tenues. On a vu moi l'un et l'autre se fagotant de chemise et de cravate dans une boutique de fringues du fond d'une cour avant de se pointer chez le Gouverneur. On a vu des ombres rôder le long des rues nocturnes comme dans les alentours du MAD à Lausanne. On a vu...
Moi l'un: - Et tu trouves que c'est voir l'Afrique, ça ? Une paire de touristes lambdas n'en aurait-elle pas vu plus en voyage organisé ou au Club Med ?
Moi l'autre: - Non, je ne crois pas, à part le gnou, l'okapi et quelques beaux paysages. Et d'ailleurs toi non plus...
Moi l'un: - T'as raison, mais c'est pas facile à démêler, ce qu'on ramène d'un voyage, surtout ce genre de trips journalistiques ou culturo-littéraires. Tu te rappelles la Tunisie en 1972, le Texas et la Côte Est en 1981, le Japon et la Californie en 1987, Le Canada plusieurs fois, la Pologne trois fois, et l'Italie, la Suède, le congrès du P.E.N. à Dubrovnik en pleine guerre, Vienne en 2005, Toronto et Montréal en 2003, Vienne en 2005, l'an dernier la Grèce et la Slovaquie, après la Tunisie...
Moi l'autre: - La Tunisie, c'était un voyage perso avec Rafik Ben Salah qui nous a fait rencontrer sa famille et des gens de sa connaissance: du coup c'était différent de ces "missions" et autres colloques.
Moi l'un: - C'est vrai qu'en dix jours de Tunisie on a vu cent fois plus de choses qu'au Congo où finalement on est restés trois jours coincés entre deux immenses voyages et des travaux auxquels on ne pouvait pas couper - d'ailleurs parfois intéressants, je ne dis pas...
Moi l'autre: - Fabrice Sprimont, l'un des organisateurs belges, avait l'air content qu'on soit là avec Max Lobe...
Moi l'un: - Mais tout le monde il était content ! Même sans trop savoir comment se goupille ce "machin" de la Francophonie, pour reprendre l'expression du général De Gaulle à propos de l'ONU, on a joué le jeu sans trop se poser de questions sur les occurrences politiques de l'affaire. Etions-nous en train de cautionner indirectement le régime de Joseph Kabila ? Je ne le crois pas. Et remettre en cause le fait qu'on parle de littérature alors que la population a des besoins plus urgents n'a pas de sens non plus. Nous n'étions pas là que pour papoter mais pour nous frotter, même de loin, à un bout de réalité, et la légitimité académique et officielle reconnue à ces débats peut être le début de quelque chose - disons qu'on fait confiance aux gens de bonne volonté qui y ont travaillé. Et puis, et même avant tout, c'est bel et bien par l'écriture et la lecture qu'on se libère de la dépendance en général et des tyrans en particulier. Enfin c'est par ses écrivains que l'Afrique a commencé de nous parler et de vivre en nous...
Moi l'autre: - On a lu Les Damnés de la terre de Frantz Fanon à vingt ans, et le Discours sur le colonialisme de Césaire qui est un fabuleux morceau de prose française, mais quad tu dis écrivains tu penses, plutôt qu'idéologie: pleine pâte du roman ou profération du théâtre.
Moi l'un: - Je pense à l'Afrique de Conrad et au Congo de Gide avant celle d'Amadou Hampaté Bâ ou de Mongo Beti, de Sony Labou Tansi ou de Tchicaya U'Tamsi. Et rencontrer les écrivains, aussi. Parce que rencontrer le géant Kourouma à Paris, rue Jacob, dans un troquet où il peinait à caser ses jambes, rencontrer Wole Soyinka de passage en Suisse après son Nobel, rencontrer Henri Lopes ou Boniface Mongo-Mboussa et parler de leurs livres a été la prolongation "physique" de ce début d'impérgnation par la lecture, comme de fouler la terre du Katanga. Quand, deux jours après avoir commencé la lecture de Mathématiques congolaise, on est tombé avec le Maxou sur Jean Bofane à Lubumbashi, ç'a été du vif même si ça n'aura pas de suite. Je n'en sais rien: je m'en fous un peu, les écrivains sont ce qu'ils sont et j'aime bien que chacun conserve sa liberté. Je me rappellerai la voix grave de Bofane et je l'ai vu danser, après quoi je lirai d'un autre oeil son prochain roman sur les Pygmées et la mondialisation qu'il nous a annncé...
Moi l'autre: - Et les deux fistons...
Moi l'un: - Le Maxou, alias Max le Bantou, c'est une Afrique que j'aime dans son mélange de vitalité et d'inquiétude, de gaîté juvénile et de tristesse ravalée. Sans lui, ce voyage n'aurait pas été ce qu'il a pu être, avec autant de rencontres naturelles et d'échanges. L'ami Jean-Philipe Jutzi, à Présence Suisse, l'a choisi pour ses compétences particulières et son entregent, mais ce que j'aime surtout chez lui est sa façon,par l'écriture, de traduire la réalité la plus cuisante avec une espèce de clarté rieuse. J'y retrouve le pleurer-rire d'Henri Lopes...
Moi l'autre: - Quant à l'autre Fiston, Mwanza Mujila, c'est aussi l'Afrique de demain...
Moi l'un: - C'est du plus âpre et du plus lyrique que Maxou. Son Tram 83 dont il nous a envoyé le tapuscrit après le Congrès est une espèce de rhapsodie free jazzée. Cela me touche assez de penser que ce lascar est écrivain-résident à Graz, en Autriche, et qu'il ressaisit le bordel congolais dans ce roman-poème en quête d'éditeur. On a suivi l'aventure de la mise en forme de 39, rue de Berne, qui paraîtra enjanvier chez Zoé sous le nom de Max Lobe, et j'espère bien que Fiston Mwanza trouvera lui aussi un interlocuteur de cette qualité...
Moi l'autre: - Sans oublier le manuscrit du bon Bona !
Moi l'un:- Ca va de soi ! Mais ça aussi c'est l'Afrique: cette indolence fataliste. Le bon Bona Mangangu nous fait un roman épatant sur la dernière nuit du génial Caravage. On voit paraître des tas de livres "possibles" mais pas indispensables, et voilà un tapuscrit que trois éditeurs m'ont refusé jusque-là tandis que Bona se tourne les pouces dans son hamac. Mais on va le secouer, allez. Dès qu'on aura fini de lire Congo. Une histoire de David Van Broucker, cette fabuleuse épopée d'un pays aussi fascinant que martyrisé, on saute dans l'Easy Jet de Manchester et sus au bon Bona pour qu'il se sorte enfin les pouces...
Moi l'autre: - Donc l'Afrique ne fait que commencer !
Moi l'un: - Et comment ! Moi je la vois de plus en plus partout, pour le pire et le meilleur. En Suisse je la vois aussi comme un retour à nos sources, mais ce qui m'intéresse n'est pas le méli-mélo sentimental genre sanglot de l'homme blanc. Bien plutôt la confrontation avec le réel qui va de maux en mots et pour ce qu'on aimerait bien le bien de tous, ou tout au moins le moins pire...









chemin (32) Premiers débats ardents avant la pluie battante, le 24 septembre. 



- J'aurais volontiers fait la valise dans La fille à la valise, ce bijou de Valerio Zurlini.
10) Quelle est votre apparition préférée d’un personnage historique dans un rôle de fiction ?
23) Qu’est-ce qui pour vous, dans un film, marque la supériorité du 7e art ?

Les étapes marquantes de son oeuvre kaléidoscopique seront le récit d’Alma Mater (1971) bien ancré dans nos régions, les nouvelles du Gour noir (1972), le roman plus ambitieux - peut-être son chef-d’œuvre - que représente Le Collier de Schanz (1972), suivi de nombreux autres livres frappés au même sceau d’un style sans pareil, à la fois puissant et chantourné. Or ce qui nous semble caractériser la démarche et l’écriture de Gaston Cherpillod est cette «manipulation alchimique» consistant à transmuter son expérience vécue en légende, au fil d’une opération qui engage à la fois la porosité sensible du poète et les tours de mains de l’infatigable artisan des lettres. Il y avait du mystique inspiré et du croisé rouscailleur chez cet empêcheur de lénifier en rond, de l’aristocrate chez ce fils de prolos jamais guéri des humiliations subies par les siens - du contemplatif et du juste aussi. 

d'Afrique au Lötschental / Celle qui sent en elle une ascendance princière / Ceux qui rampent à contre-courant pour rejoindre leurs pères qui les ont jetés-là / Celui qui se demande ce que signifie le sourire-là de Kabila à Kagamé / Celle qui se rappelle l'éclair de la hache des Basakata / Ceux en qui frémit la fierté d'être soi / Celui qui se trouve au point où les aïeux pâlissent / Celle qui accueille le ciel de Kinshasa le soir dans son regard bleu à reflets flammés de pourpre et d'or / Ceux qui ne lèvent plus les yeux vers le ciel qu'ils disent ingrat / Celui qui s'est senti trahi par sa ville natale / Celle qui souffre de la beauté frelatée de la ville-lupanar / Ceux qui ferment les yeux dans le métro de New York à la seule évocation de la pulpe juteuse de la mangue / Celui qui trouve ce soir un goût amer au vin du désir / Celle qui reste fidèle au dieu Loba au dam de l'évangéliste à Mercedes / Ceux qui ont entendu dire que Paul Kagamé avait deux ou trois choses à se reprocher mais les gens sont médisants n'est-ce pas /
Celui qui s'est souvent interrogé sur la fonction d'idiot utile de l'écrivain / Celle qui pionce au fond de l'église du réveil / Ceux qui vont à la bringue sous la surveillance des milices / Celui qui a vu les hommes-léopards en rêve et se contente de brasser les couleurs dans son atelier d'artiste sans même lire le dernier numéro de Jeune Afrique et autres magazines-là / Celle qu'on appelait la demeurée du Gabon dans le quartier des Bleuets / Ceux qui avaient des sagaies à leurs murs évoquant leurs années aux missions / Celui qui a toujours respecté les Pygmées / Celle qui a vu son neveu Paul ingérer un bol d'iboga après avoir lu Carnages de Pierre Péan /
Ceux qui voient un lien entre les peintures du schizophrène alémanique Adolf Wölfli et l'art dit primitif / Celui qui pose au défenseur des droits de l'homme alors qu'il ne fait qu'effacer le passé colonial de ses parents planteurs d'hévéas / Celle qui observe les petits sorciers de la rue de Kin la belle devenue Kin la poubelle / Ceux qui s'en remettent aux dieux païens faute de mieux / Celui qui a vu Les Hommes arrivent de la mer sur la scène de la Halle de l'étoile / Celle que le pillage de son pays incite au silence / Ceux qui parlent de projet de société dans laville-désastre / Celui qui tient la Vérité en laisse en passant ses ministres en revue / Celle qui milite pour un monde pluriel ouvert à la poésie en espéranto et à la défense des pandas / Ceux qui ne pourront voir les gracieux gorilles du parc des Virunga au motif que la guerre y fait rage entre les bipèdes à cerveaux surdéveloppés, etc.





Lumière bleue pour commencer. Tout repose encore et tout est dans la musique que vous connaissez sûrement: La Mer de Richard Clayderman.
Cette nouvelle est extraite du recueil intitulé Le Sablier des étoiles, composé à l'instigation d'Henri Ronse.







De cendres et d’art




Quinze heures de bus entre Adana et Istanbul, c’est long. Suffisamment pour remâcher et tenter de digérer ces drôles de trente jours, avant que la suite ne vienne. J’ai quarante heures tout seul, et ce n’est pas plus mal, pour retomber sur mes pattes. Julien et David, avant-hier, ont attendus jusqu’au tout dernier moment, dans la gare routière, avant de tourner les épaules. Je n’arrivais pas vraiment à comprendre pourquoi je repartais seul. Con de chialer devant eux, con de ne pas chialer, con de partir, con de rester. Un job en Suisse, plus trop d’argent, Camille qui me rejoint bientôt pour continuer le voyage, me ramener en douceur à la maison. C’était prévu comme ça, mon bout de chemin devait s’arrêter juste en face de cette foutue Afrique. A Mersin, même si tu ne la vois pas, tu sais qu’elle est là, juste sous la courbure de la mer, à un jour de bateau. Elle nous narguait. Julien et David étaient tournés vers elle depuis plusieurs jours, de toutes leurs forces. D’une certaine manière c’est le début du vrai voyage, pour eux. Une blague que j’aimais bien répéter, avant de partir : « Ouais, je fais la partie vacances, après c’est vraiment l’aventure qui commence… ». Maintenant je me dis que revenir en arrière, ici, m’arrêter aux portes de l’Afrique, m’enfuir vers le Nord dans un gros bus Ulusoy flambant neuf vers cette ville furieuse que je ne comprends pas très bien, bref tourner les talons, c’est assez dingue et presque stupide. Mais qui aurait pu me dire que ça se passerait de cette manière ? A Mersin, dans le bureau de l’Antoine Makzume Agency, au-dessus des grues rouges, des containers Maersk Sealand et de l’agitation barbelée du port de fret, l’employée qui nous a aidé à trouver un bateau pour l’Egypte ne partageaıt pas du tout cet avis nostalgique. La Syrie était à moins de trois cent kilomètres. De ses yeux elle interrogeait David et Julien, avec incompréhension. « Why do you have to do that ? Why there ? You are crazy ! You’re so young, you come from a very rich and organized counrty, so why would you need to go to Africa ? And why spending all your Money in that ?? » Puis, se tournant vers moi, elle avait eu ces mots, comme en aparté mais suffisamment fort pour que tout le monde entende : « You are the luckiest, Daniel, to go back to Istanbul, to see your girlfriend again, and to take this boat to Venice ! You will have a lot of fun. This is the right decision ! »
