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Livre - Page 121

  • L'buzz

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    Rhapsodie panoptiques (7)

    ...L’Taulard ce qu’y mijote ces derniers temps, moi j’sais pas trop, mais le sûr c’est que ça se passe tout dans la forêt, dans l’trafic avec des gens, peut-être, peut-être même de l’autre côté du mont. Tu sais ça, Tonio, tu sais  le genre Farinet, et l’Bagnoud sait ça aussi, c’est une vieille affaire suisse tout ça : c’est de ça que me parlait le vieux dino dans l’arrière-salle du Hirsch, dit Le Cerf, cette année-là, quand Sean Penn a sorti sa version de La Promesse; on s’était retrouvés là grâce au cher Otto qui s’était installé dans les bonnes grâces de l’affreux Dürrenmatt à cause du diabète - tu peux pas imaginer la fraternité du diabète, Tonio mon frère -, et là pour la première fois je m’étais retrouvé en face du rhino féroce, je ne te dis pas l’impression sur ma timidité même s’il n’y avait rien chez lui que de la grosse nature forestière du sanglier et rien du tout de condescendant, tout à fait comme on l’a vu à Apostrophes genre patapoffe bernois, et voilà qu’il me parle de l’Esprit de bois et de Farinet. Enfin quoi tu te marres, l’Taulard ! Farinet ! …

    Camperduin2.JPG...L’idée était de s’éloigner. L’idée était de s’écarter du Trend, comme ils disaient. L’idée était de se tenir un peu à l’écart. Pas tout à fait hors du coup, mais sur les bords. L’idée était de se garder, non pas une porte de sortie mais un balcon en forêt, et c’est ce que je voyais ces jours du Taulard: qu’il s’éloignait. L’Taulard a coupé les ponts de Facebook, et d’une. Et de deux: L’Taulard s’est éloigné de l’Imagier à ce qu’il semblait, mais ça c’était son histoire. On a commencé à se parler moins avec l’Imagier et avec l’Taulard, c’était notre histoire à nous vu que j’étais pris pour ma part et de plus en plus par l’idée de ma forêt à moi qui s’étendait là-bas dans le multimonde ramifié. L’Taulard se faisait de nouveaux amis concrets, alors que je vivais avec des gens de papier. Et j’me retrouvais une fois de plus, Tonio de mes deux, dans la situation d’la souris papivore que raille Zorba le Grec, tu t’rappelles puisque t’en es là toi aussi, nous en sommes là les plumassiers paperassiers avec nos lubies genre rhapsodies, Zorba construit son téléphérique et nous ne sommes pas bons à l’aider en matière d’ingénierie, comme on dit aujourd’hui, nous sommes les improductifs de l’arrière, les rêvassiers plumassiers juste bons à filer la phrase et encore, ça se discute, c’est très disputé dans les cercles, c’est ton verbe contre le mien dans les cercles, enfin tout ça pour dire que le Taulard et l’Imagier, à s’éloigner, commençaient à mieux m’apparaître en silhouette, ça c’est la loi du genre : plus le Sujet s’éloigne et mieux tu l’vois…           

    LUCY2011 035.jpg …J’ai pensé pas mal à tout ça ces jours pendant que l’automne filait ses ors fins et le tramait brocart avec des orangés et des pourpres que c’était du jamais vu, ou du moins c’est ce qu’on se disait vu que chaque année ça s’aggrave en beauté. J’veux dire : chaque année que tu prends dans les artères l’monde est plus beau, ça tu peux l’noter Blacky, et ce n’est pas la Limousine qui me contredira si tu vas l’interviewer – on en a pianoté toute la soirée d’hier soir, avec la Limousine, pour se nous les raconter, les ors et les violets de nos soirées à mille kils à vol de gerfauts, tu l’notes Chokito : on s’est jamais vus qu’en photos la Limousine et moi et la converse est pourtant familière et pour ainsi dire jardinière, c’est cela même : on est au jardin, c’est ce que disait la veuve de mon cher Marcel, t’sais Tonio, Marcel Aymé que tu kiffes aussi, pour causer comme Kiddy et Blacky, après que Marcel a  clamsé Madame disait donc : Marcel est au jardin, et pour nous c’est du kif avec la Limousine, on ne se connaît depuis bientôt des années que par Facebook, elle est aussi vioque que moi ou peu s’en faut – je n’ai pas vérifié, j’connais le nom par cœur de ses petits chatons Noé et Théophane, fils de son fils et de sa fille, j’connais tout ça par cœur, j’ai vu ses portraits au jardin et face à la mer, elle n’aime pas trop que j’l’appelle la Picarde vu qu’elle préfère son Limousin d’origine AOC pays des troubadours et compagnie, bref ce que j’voulais dire c’est que plus on se prend de lignes sur l’aubier et plus la beauté de tout ça nous crève les yeux à nous faire mal, non mais des fois…

     Dürer.jpg…Des fois j’me dis, et j’le dis à Lady L. sur l’oreiller, que personne n’a jamais peint ça comme ça, j’veux dire : comme c’est, même pas elle, qui ne se prend au demeurant ni pour Dürer à l’aquarelle, genre La Grande Touffe, ni pour Rembrandt non plus : j’veux dire le Rembrandt des arrière-plans. Vers cinq heures du soir ces soirs, vus de La Désirade où nous créchons, ce qui se montre en train de disparaître est comme une prière en couleurs, nom de bleu de nom de spectre. L’buzz du moment dit que la tendance du moment serait l’parfum  Tendance justement, d’la fameuse ligne Tendance à quoi tu ne peux échapper si tu veux rester dans l’Trend. L’buzz dit que l’parfum Tendance est le seul parfum réellement éthique. Si tu te brumises au parfum Tendance tu vas maximiser ton potentiel éthique : c’est marqué sur la pub et le flacon et l’buzz pavlovien se répand dans le multimonde et là tu t’sens déjà plus cool dans l’moule, t’es de l’éthique tribu – bref l’buzz dit tout ça mais nous autres les attardés, les indolents contemplatifs à la mords-moi, nous les bohèmes improductifs nous n’avons que ça : ces couleurs à chialer et cette descente des moires et des nuances et toutes les années nous reviennent au pinceau, mais comment peindre ça nom de Dieu ça c’est un secret que même le buzz ne peut pas percer…

     …L’idée  aurait été de dire tout ça mais ce n’sera pas évident, comme ils disent sur les plateaux intellos, le soir à la veillée télé. Dire la beauté ce ne serait pas se contenter de l’euphorie-minute genre J’aime/J’partage de Facebook, tu sais, Maxou, la maxi confrérie du j’partage qui te classe du coup de la bonne bordure. Dire que la beauté fait mal rien qu’à se montrer sur un visage ou à la face du ciel, j’sais bien Blacky : ça fait pompier, ça te fait marrer, mais voilà que tu t’mets à raconter, toi, comment ton oncle ruiné guette avant l’aube l’apparition du disque orangé et le salue en marmonnant son m’bassa sorcier, ça j’ai noté dans tes nouveaux écrits et c’est donc que c’est de partout la beauté comme ça qui fait mal, on n’en a pas parlé hier soir avec la Limousine mais c’est de ça qu’il était question entre nos textos pianotés à point d’heures sur Facebook, et voilà ce que je vois ce soir à la fenêtre de mon antre de La Désirade et que j’balance aussitôt en image numérique sur Facebook où des flopées de tondues et de pelés vont y aller de leur j’partage, non mais j’rêve, t’as vu ce que je vois, t’as vu ce psaume déjà cerné de noir, t’as vu ce show Grand Pano, plus cliché tu meurs et pourtant ça te fouaille, si ça insiste tu vas dire à nos mères défuntées de se bouger qu’elles rappliquent à la fenêtre mais ça ne se peindra pas, ça ne s’est jamais peint que dans les cœurs tout ça et déjà ça ricane au fond du zinc, ça c’est sûr vu que la beauté c’est tout relatif et baratin, qu’ils disent à genoux devant leurs beautés de papier genre Miss Univers, et tu sais quel buzz se faufile ce  matin, non mais tu vas tonitruer de ton rire jusqu’à Kinshasha, Bona :  l’buzz c’est que Mister Univers serait sur l’point de faire son coming out, si ce n’est déjà colloqué dans l’Guiness 2011…

    Léman5.JPG …Au déclin du jour j’en étais donc toujours là, tout con, sur le chemin de traverse conduisant de la Datcha de La Désirade à l’Isba qu’à tracé le Taulard, à regarder le crépuscule faire son job, et c’est alors que l’Taulard et l’Imagier ont réapparu, pas moins éberlués et silencieux que Lady L. qui nous avait rejoints, et l’buzz même a fait silence, là ça virait mystique tu m’diras mais même pas, c’était juste comme ça à n’y pas croire et c’était là, comme nous étions là, tu peux m’croire…

     …Ce matin que je clapote  tout ça sur mon pianola numérique, je sens que j’pourrais commencer, pas plus tard que demain, ce roman panoptique auquel je songe depuis des années, qui m’permettrait de tout dire – rêve idiot de vieil ado, j’te le fais pas dire mon Tonio. Même que j’y ai repensé le 11 septembre dernier, tandis que ça commémorait tous azimuts genre L’Homme qui tombe - le retour. On s’dit tous les jours, les souris papivores et compagnie : demain j’commence le roman du siècle, pas moins. J’balance un Edelweiss à la Limousine par Facebook et la Limousine y va avec 1888 autres amis-pour-la vie de son : j’partage. Et c’est ça qu’est rigolo : ce partage. Ma Lady, l’clochard que j’suis la partage pas, sauf en peinture. Mais c’est ça justement ça qui nous fait partager pas mal elle et moi, et tous ceux qui se tenaient hier soir au bord du ciel du multimonde à mater l’show de la fin du monde de ce jour qui ne reviendra pas ça c’est sûr : c’est tout ça qui se peindra jamais et que personne, jamais, n’dira…

    Crépuscule mauve, Lucienne K, dite Lady L.. Huile sur toile, 2010.

  • L'barjo

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    Rhapsodies panoptiques (6)

    …Moi, tu l’sais Jackie, j’supporte pas les poëtes, et ça s’aggrave : plus j’aime la poésie et plus je trouve les poëtes graves, comme disent Kiddy et Blacky dans leur novlangue, plus j’kiffe la poésie et plus les postures des poëtes, j’veux dire des poëtesses et des poëtes, comme on dit les collaboratrices et les collaborateurs de notre aimée Police – plus tout ça me paraît de la pure imposture, genre j’suis la plus ou le plus pur(e), j’suis la pureté dans la multitude impure, j’suis le Verbe et l’Immaculé, j’suis l’Albatros dans l’multimonde atroce, en deux mots et en une image multipack:  j’suis la Rose Bleue…

    …C’est l’affreux Dürrenmatt, j’te le fais pas dire à toi qui supportes un germaniste à la Tonio, c’est l’dino bernois qu’a forgé ce concept, comme on dit aux cafètes des facultés de stylistique, c’est l’rhino des steppes alémaniaques qu’a trouvé cet emblème de la Poëtique Attitude – et là tu vises une bonne fois l’tréma vu que ça fait la différence -, et dès que j’invoque la Rose Bleue s’élève la mélopée qui t’annonce l’défilé solennel des poëtesses et des poëtes, ca va craindre mon petit Kiddy, ça va sangloter dans la procession à lentes palmes azurées, et v’là toute le smala en immobile mobilité, v’là tout ce que t’aimes aussi Jackie sans doute à tes soins palliatifs à journée faite, et c’est tout itou ce qu’aime Lady  L. la fille de Batave socialo plus nature tu meurs, vous deux tellement trop près des choses pour léviter à l’unisson des poëtesses et des poëtes, mais ceusses-là défilent ce matin pour instaurer un jour le Jour de la Poësie afin que la poësie soit vécue par tous jusqu’au dernier jardinier, j’veux dire la dernière caissière de la Coopé ou le dernier plombier polonais, donc chacune et chacun ce matin sur les ondes et partout y va de sa prise de parole, comme ils disent: la Poësie est mon essentiel soupire Marie-Ange Pseudo les yeux au ciel et son frère en écriture Werner Ewald Barjo lui fait écho dans le suressentiel, et les cieux s’entrouvrent comme de grands yeux bleus soulevant leurs paupières innombrables – enfin tout l’bazar, tu vois quoi…  

    Lamalattie13.jpg… Mais là tousuite, ma croquante, Madame Conscience me défère ses doléances par courriel notarié, pour me signifier qu’à tant exagérer on fait le lit de l’insignifiance alors qu’il s’agit de se mettre À l’écoute et qu’en somme c’est moi l’barjo dans tout ça, moi qui ne comprends pas, moi qui déjante et ça la peine ça, dit Madame Conscience qui sait que ça me peine toujours quelque part que ça la peine, donc là j’arrête un peu de me seriner par cœur du Pavese ou du Rilke Rainer Maria, j’oublie un moment mon Cavafy bluesy et mon Audiberti, j’me branche sur À l’écoute de l’autre la fameuse émission de Madame Conscience à la douce voix légèrement voilée par la clope ou plutôt par la frustration du renoncement à la clope - à vous Madame Conscience…

    …Or à peine que le jour s’est levé, quand toi tu rentres à peine de ta dernière veille d’un jeune cancéreux en fin de Doulou  et que Blacky m’annonce par SMS qu’il va s’faire un Parcours Santé, à peine j’ai jeté sur mon écran plasma ces premières amabilités sur la Posture Poëtique, à peine tout ça que Madame Conscience y va de son prône télépathique comme quoi je n’entends rien à la Poësie Poëtique vu que j’ai même pas de diplôme et comme quoi, quoi que j’en dise, la Poësie Poëtique est la seule chance-de-vie et la seule issue pour les Académies et les Banlieues, comme quoi je n’entrave que pouic, ça c’est moi qui signe, enfin comme quoi je d’viens insignifiant à tout exagérer ce qui signifie au fond, comme Madame Conscience aime à rappeler que c’est d’au fond qu’elle parle, que je dois être monstre jaloux des poétesses et des poëtes poëtiques qu’elle reçoit à ses matutinales Lyres Matinales

     …Moi je promets tousuite que j’resterai à l’écoute toute la sacrée journée. Moi l’écoute de l’Autre ça me branche un max mon petit Maxou, ce matin son Buddy félicite Number One pour les vingt-neuf balais qui dansent à sa porte comme dans Walt Disney, j’viens d’envoyer un texto à 29 cookies à la  fille aînée de notre église dont l’prénom dit qu’elle aime la folie quand elle est philosophe - je me récite in petto « Merveille d’être au jour / Merveille des merveilles » du poète mal posturé selon mon cœur, Schlunegger le sauvage qui s’est une matinée comme ça foutu du haut du Pont de Fenil, tout à côté ou quasi, à un coup d’aile d’épervier de l’Isba, allez Madame Conscience allez-y d’vos doléances, là j’ai à faire…

    …Mais là je sens que je vais encore m’énerver, Jackie, vu que j’sens que je ne vais pas pouvoir faire ce que je voudrais pour Lamalattie comme je voudrais, genre Le Bel Article dans le journal où j’suis encore mercenaire pour quelques lunaisons. Toi tu l’sais bien ce que c’est d’être empêché de bien travailler, Jackie, tu te braques d’avance avec ton caractère jurassique, tu donnes de quatre fers dès qu’un Administratif vient t'faire chier sur ton portable alors que tu t’occupes d’une ou d’un Fin-de-vie, comme ça me fait chier de savoir que j’aurai que 3000 signes rachitiques dans 24Heures pour claironner que Lamalattie c’est top santé, déjà j’râles comme un barge de dino en constatant que mon logiciel de connexion s’est planté et que j’vais devoir descendre de mon alpée à la ville urbaine, mais j’me dis aussi que je suis méga verni avec des gens comme toi et Lady L. et Lamalattie et le cher Oberli sur ses hauts à lui et l'Amstutz à Cologny-sur-Flouze - allez les barjos on s’accroche…

    …D’ailleurs moi tu sais, l’appellation contrôlée BARJO AOC, j’hésite de plus en plus, et ça s’aggrave en lisant 121 curriculum vitae pour un tombeau de Pierre Lamalattie, mon Goncourt perso de cette année : j’veux dire j’vois bien qui est barjo au sens premier d’jobard et qui ne l’est pas, vu que le sens a glissé et qu’avec des lascars genre Lamalattie comme un pardon se glisse dans le décri, si tu vois c’que je veux dire – j’entends que la critique aquatique genre Philémon ou le Kritiker selon le dino bernois, tu sais le terrible dessin du Kritiker en train de se goinfrer de Créatifs, tout ça va vers un certain relatif quand tu ne cesses de bouger dans l’panoptique a passé cinquante, soixante balais – et tout à coup ma Jackie t’as un Administratif qui débarque dans ton service avec une tumeur comac et c’est pour toi ce soir-là…

    Deschiens33.jpg… Donc faudra vraiment que tu lises Lamalattie, Jackpot, vu que ce barjo selon mon cœur est très exactement aussi un sauvage selon mon cœur qui m’fait rire toutes les trois lignes et sourire entre deux : l’autre soir j’me plie avec son portrait de jeune fille un peu rétro, au Ministère de l’Agriculture, section Institut Spécialisé du Vivant (ISV), qui prône une meilleure approche de l’Autre à cornes au titre de leader régional des jeunes bovins, avant de pousser plus loin ses portraits de gens genre Jean-Jacques à Innoboeuf qui conçoit le steak de demain ou genre Hrvé qui a rencontré la mère de ses enfants dans une assoce de promotion de la bourrée, tu verras qu’y fait bien Lamalattie, c’est le viatique du moment ce barjo-là, c’est le nouveau cornac de curiosités bipèdes genre Deschiens, et tu sais combien j’aime, l’Humanité Deschiens, la toute grande classe Yolande Moreau genre Houellebecq sous le volcan raplapla, genre ma Picarde sur Facebook ou ma Sweetie neuchâteloise, enfin t’as le choix toi qui les vois défiler à journée faite dans ton service de candidats macchabées, tiens faudrait à l’Abbé Pierre Lamalattie de se pointer dans l’hosto suisse où tu sévis avant de faire un tour aussi à la HEP de Lady L., y en aura pour tous les barjos que nous sommes, poëtesses et poëtes y compris, j’t e le fais pas dire…    

     

    Lamalattie3.jpg…Ce qu’il y a de beau aussi, chez l’barjo Lamalattie, c’est qu’il parle sur le même ton très attentionné du pire trou de cul genre Legoff, tu sais, Patrick le Goff son nouveau chef des Relations Extérieures à l’Institut Supérieur du Vivant, ce trou de Legoff qui a commencé par faire murer le passage qui faisait communiquer leurs deux bureaux mitoyens et qui se lance dans une croisade contre les pédagogies passéistes sans rien en savoir d’à peu près, et sa mère, donc la mère en train de sourire de Pierre Lamalattie, sa mère qui voyage avec lui de Paris en Corrèze et qui clamse à la fin en douceur sans avoir vraiment reconnu ses dons de peintre de portraits vu qu’elle était plutôt paysages, c’est ça que j’aime chez lui autant que je l’aime chez Lady L. ou dans les livres de ton barjo de Tonio, c’est disons le côté tendre de la vie – mais là j’vais arriver aux 8888 signes de ma sixième rhapsodie en sol pointé donc j’te laisse à la poésie de la vie qui se décline sans tréma…

    Lamalattie2.jpgPeintures: Pierre Lamalettie. À visiter absolument: le site du peintre et écrivain:

    À lire non moins urgemment: 121 curriculum vitae pour un tombeau. L'Editeur, 446p.

    À commander fissa: Portraits, le versant pictural du roman. L'Editeur, 2011.

  • L'délire

    Federer12.jpg

    Rhapsodies panoptiques (5)

     …Ce qu’on se demande, à présent, c’est si ces fils de pub des agences zurichoises vont pas lancer l’mouvement Santo Subito pour Rodgère, non mais t’as vu ces placards, t’as vu cet ange blanc qui sort de la brume immaculée du ciel de la Réussite, t’as vu ce marketing omniprésent que ça en d’vient aussi insistant que les effigies de Ben Ali dans la Tunisie de naguère ou que celles d’Enver Hodja au pays des aigles -  le sexe à piles Wonderboy en plus, j’te le fais pas dire, eh mais t’as vu ce délire, et tu veux que je vote pour cette Suisse-là, non mais des fois…

     

    …J’étais en train de me réjouir, au TJ, de la nomination à la présidence de la nouvelle Tunisie de Moncef Marzouki, l’vieux lutteur dont le vieil Haldas m’avait fait découvrir les récits de prison il y a des années de ça et dont le retour au pays, l’accueil qu’on lui a fait, le positions prises que l’ami Rafik Ben Salah trouvait trop favorables aux islamistes alors qu’elles me semblaient proches du pays réel sans trop fleurer l’opportunisme, enfin j’sais pas trop, tu sais que j’suis vraiment pas ferré dans ces matières-là, mais bon ça me touchait quelque part que le combat du vieux lutteur contre la dictature fût finalement justifiée, comme il en a été avant lui de Vaclav Havel ou de Lech Walesa, de Nelson Mandela ou du Brésilien Lula – ça m’a touché presque aux larmes de le voir là  même si personne ne sait trop ce que tout ça va donner, et dans la foulée v’là l’archange de la raquette onduler dans les nuées impalpables de son empyrée de studio, non mais j’te jure, déjà que je l’avais repéré ce matin sur les placards de la ville,  au format Univers, pour les Assurances Longue Vie, et v’là qu’on nous l’relance au Prime Time avec son bon sourire content de son Absolue Compétence, laquelle   ne fait que refléter la Totale Excellence de la Suisse qui gagne, mais là ça ne suffira pas, j’te dis, va falloir canoniser l’Federer, on s’découvre dans les travées, on s’incline, on s’agenouille à s’aplaventrir en salamalecs, on va faire mieux que les mahométans de la rue de Marseille qui ont tant fait fulminer Rafik lors de notre dernière virée là-bas, de Tunis à Moknine – Allah est top grand mais c’est Roger Federer qui ce soir nous fait pisser le dinar…

     

    … Avec le Taulard je ne pouvais pas ignorer le fin du fin du génie de Rodgère, c’est pourtant vrai, depuis les années qu’il le  scotche et le  bluffe et depuis que lui et l’Imagier  me racontent ses exploits, vu que moi j’arrive pas à me visser à ces échanges de plop-plop ou aux râles de Nadal, et ça nous a toujours fait plutôt marrer de le voir comparer aux plus grands artistes et aux cerveaux les plus Maxis de tous les temps, comme quoi Federer était le Leonardo des courts avec son sourire de Giocondo Maschio, l’Mozart du lob ou l’Einstein du tir ondulatoire à revers corpusculaires - j’te fais pas un dessin sur le génie proportionné de nos chroniqueurs en matière d’invention recyclée par les publicitaires, enfin nous autres sauvageons ce qu’on aimait c’était bien quelque part l’artiste chez Rodgère, ce qui échappait miraculeusement à la Méga Machine à gagner, mais là maintenant, depuis quelque temps, bien au-dessus des vices et vicissitudes des mortels olympiques qu’ont l’plus de niaque de chez niaque, là ça devient l’délire comme c’est avec les dieux de tous les cieux que se compare l’Ange de la Grande Chelemitude, et là j’sens qu’on va encore s’amuser, Kiddy qui viens de sauter dans le TransEuropExpress new look destination Budapest où tu vas vérifier ce qu’il y a de nouveau à L’Est, là j’me réjouis de parler avec Tonio qui ne manque pas lui non plus un match de Rodgère même quand il glisse sur le lac à bord de son skif, là je l’attends quand il aura lu les pages de Pierre Lamalattie sur « l’extravagante importance du sport  à notre époque », là j’me réjouis de retrouver Blacky dimanche soir au Buffet de la Gare, sous le Cervin mandarine, pour lui dire un peu de ce que je pense de son nouveau manuscrit, enfin j’me réjouis évidemment de ne rien manquer du prochain match de Federer que me racontera l’Taulard tard le soir…   

    …Ce que j’veux dire, en somme, c’est que le délire n’est pas ça : j’entends le vrai délire. Ce que j’veux dire c’est que la bonne exagération n’est pas là, dans ce formatage à outrance sans trace de vraie transe. Dans le bar du Roumain j’écoutais l’autre soir Blacky me raconter l’art du commérage de son Afrique à Douala, et ça me faisait rêver, ça, ça me ramenait au vrai délire immémorial de l’initial griot qui nous serine sa Genèse, le vrai délire c’est ce que j’entends battre en sourdine, tagadam, dans le Tam-tam d’Eden du compère Tonio, le vrai délire relance la danse de Zorba, mon premier mentor imaginaire, quand je marchais seul dans les hauteurs des Ecrins - véritable joyau de solitude adolescente et de chant et de délire ardent que j’étais à seize ans pendant que mes congénères se livraient au plop-plop dans le camping d’en bas, moi j’suis de ces nuls que le Match Réussite n’a jamais fait rêver; ce qu’on lui a reproché à ce désinvolte est d’avoir toujours trop rêvé mais pas à ça, pas rêvé du tout à la niaque de chez niaque, jamais amorcé la machine à gagner ce branleur solitaire à la Walser, jamais vraiment joué le jeu, non merci, ce fieffé Bartleby des retraits préalpins, jamais relevé ce défis-là, jamais de la classe qui fait rêver la Suisse ce gars-là…      

     …L’défi je me réjouis de raconter ce que c’est à mes yeux avec tous ceux que je croise et entrecroise tous les jours que Dieu fait – enfin ce qu’on appelle Dieu et pas que le soir dans les bars -, j’veux dire le vrai défi du vrai délire qui consiste à se raconter depuis la Nuit des Temps, et même avant, comment c’était et comment on ne sait pas que ça sera jamais, donc au plus-que-présent de l’indicative félicité cernée de noir, le délire de penser que Number One, notre première infante avec Lady L, vient au monde demain avec son  destin dans la main, un 23 novembre par temps limpide, et que c’est avec l’Imagier qu’on est allés l’accueillir en fanfare ce matin-là et qu’on lui fera livrer demain vingt-neuf balais – le vrai délire découle de la sainte banalité de nos jours, ça c’est l’sermon du jour mes chers  Blacky & Kiddy qui avez l’âge d’amorcer le délire que je dis là, et Number Two nous sourit là-bas dans la nuit avec son Buddy, Tonio, Jackie et tout le Gang Big Bang des nullités de notre acabit, Bona  de l’autre côté de la nuit et les adorables greluches et greluchons de Facebook - chacun dans sa nacelle et valsez voltiges…

     Bona.JPG…L’vieux fol vient d’aligner ces 6000 signes d’une seule coulée mais le quota du jour sera de 8888 signes pas un d’moins, c’est le défi qu’il a relevé pour Yari qui lui a commandé au début du bois un inédit pour Le Courrier et le site Culturactif, Yari qu’il n’a jamais rencontré de visu et qui a l’âge de Number One -  Yari et sa sœur Anne de mèche, sa collègue avisée du Courrier  où a paru hier la première de ces rhapsodies que l’défi sera de multiplier par 88, 8 étant le chiffre de l’infini debout, vous allez droit sur les brisées de Bolano m’a dit Yari en riant entre les lignes de son courriel et j’ai souri en pensant aux Détectives sauvages de mon ami Roberto tant de fois rencontré en rêve, v’là le vrai délire, Roberto Bolano, j’vous dis que ça les commères de Douala, l’vrai délire c’est là-bas au bout de la piste de glace, à l’extrémité de l’esplanade, là où vous voyez l’matos des deltaplanes et où s’est installé l’orchestre de sardane, l’délire ce sera la musique des ailes soufflées par les cuivres et l’tambour d’Eden dans le sang tandis que la baballe de Rodgère fait plop-plop dans la bulle de l’Univers managérisé – c’est tout ça l’délire et ce n’est qu’un début pas vrai le Kid qui te réveillas tout à l’heure à Budapest, et v’là que mon délire accumule les PHRASES LONGUES, là j’ai de nouveau seize balais et j’vais retourner au camping d’Ailefroide où mes vieux dorment déjà, j’me glisse sous ma canadienne verte à une place où je retrouve mon Zorba dans le rond magique de ma loupiote, enfin je r’trouve ce soir la Grèce en plein délire, et l’Egypte j’te raconte pas, mais faut que j’envoie un p’tit texto à mon compère de blog Jalel El Gharbi, faut aussi que j’fasse un signe à Bona vu que j’ai vu ce matin  les gens de L’Age d’Homme auxquels j’ai proposé son manuscrit du Dernier jour de Caravage, là ça serait du délire que ça passe- du vrai délire, ça…      

  • L'Bonus

    Dürrenmatt15.JPG

    Rhapsodies panoptiques (4).

    …Là-dessus j’envoie un MMS à Tonio pour lui remonter le battant, lui qui se prend pour l’maudit de la classe et le recalé des intermittents, je lui envoie l’image, plus précisément, des battants pendus hauts et courts à trois lustres ou en train de se flinguer autour d’une table de festin,  on connaît le tableau du vieux dino, on n’dira pas que c’est du Goya ni moins encore du Velasquez même si ça fait un peu fin de corrida verticale, ça pourrait s’intituler Bienvenue au conseil d’administration ou quelque chose comme ça, avec une vingtaine de banquier pendus ou flingués, j’sais pas de quand date cette croûte sublime actuellement suspendue sur une paroi du Centre Dürrenmatt de Neuchâtel, mais bon : j’en envoie la repro à Tonio avec lequel je communique volontiers, depuis quelque temps, sur la Crise et tout le toutim des Bonus et des parachutes dorés, en lui recommandant par la même occase de lire absolument 121 Curriculum vitae pour un tombeau de Pierre Lamalattie, ma découverte de ce matin, juste avant que je ne découvre, à la DER du quotidien Le Courrier, typé gauche genevoise, le texte de ma première rhapsodie intitulée Pour une Suisse sauvage en pays policé qui a pas mal botté Tonio quand je le lui ai fait lire l’autre jour via Facebook – et voilà que ça paraît pour de bon et que j’me réjouis comme un fripon de  vingt ans et des poussières inaugurant son Press Book …

    Lamalattie2.jpg… Lamalattie m’a tout de suite fait penser à Tonio avec sa dégaine d’intermittent des arts vivants, comme il se présente sur son premier livre, genre vieux beau flagada aux cheveux argentés et forcément mal rasé, blouse vague et vague écharpe genre viscose, pas vraiment soigné comme un nouveau philosophe genre bourgeois bohème qui aurait une chemise noire et une écharpe fuchsia, lui Lamalattie plutôt genre vieux chien pas tout à fait commode mais on ne sait trop, les yeux aux aguets et la bouche mâle sensuel qui en a baisé d’autres, les mains aux poches du vague imper ouvert sur sa vague casaque, et là j’revois mon Tonio un jour dans la lumière de la Rue de Verneuil, quand nous avions croisé Jane Birkin, ou un autre jour dans le grand parc de Nancy où nous nous étions retrouvés pour un bout de festival, je revois mon Tonio avant Jackie, toujours sapé genre artiste, plus précisément genre jeune comédien, d’ailleurs il venait de finir Strasbourg, j’revois mon intermittent de l’amitié et de tous les plans cul ou culture, j’le revois avec la p’tite délurée des planches dont je ne me rappelle pas le nom, dans sa carrée de Belleville puant le pisse comme le médecin référent de Lamalattie, un certain Konstantinopoulos, sent « un peu la pisse » et ne consulte plus que pour voir des gens défiler – bref j’avais pas lu cinq pages de Lamalattie que j’me suis dit : ça c’est Bonus pour Tonio…

    Lamalattie1.jpg … Dès que j’ai commencé de lire 121 Curriculum vitae pour un tombeau, j’me suis dit ça y est, Bonus, j’suis chez moi, je l’sentais déjà à ce que j’en avais lu dire dans l’Nouvel Obs et L’Express, ça s’est corroboré fissa  en visitant le blog du type dont la peinture genre Freud en plus crade et plus doux m’a tout de suite scotché quelque part, comme on dit dans les bars branchés, ensuite à l’ancien Café des philosophes où j’me suis lancé dans la lecture, après l’avoir trouvé chez Payot où la libraire a dû l’aller pêcher dans le fonds de stock, tout de suite j’me suis retrouvé dans la robe de chambre d’Oblomov, sur mon fauteuil de cuir vert de l’isba, tousuite j’me suis dit faut que j’alerte Tonio et l’Gitan et le Kid et Blacky et  Lady L. à qui ça plaira forcément, je lisais ça et tousuite j’ai marché : « Je m’intéresse beaucoup aux humains. Ca ne veut pas dire que je les aime. Mais je ne peux pas m’empêcher de les observer. J’ai l’impression que je vais découvrir quelque chose d’important. Je crois, aussi, que cela va m’aider à mieux imaginer ma propre existence. C’est un choix de vie un peu difficile, car il n’existe pas de clubs ou de bars branchés où trouver facilement des gens avec qui partager cette passion. Mais en ce qui me concerne, il y a la peinture »…  

    Rembrandt1628.jpg … Or la peinture, ça oui, j’partage avec Tonio et Jackie, mais d’abord et avant tout avec Lady L. avec laquelle nous n’avons pas besoin d’écumer tous les musées pour tout aimer en même temps sans nous concerter ni faire genre connaisseurs. Je dirais bien, pour être vraiment objectif, qu’elle est plutôt Nolde, c’est-à-dire mers et jardins sous le ciel du nord, et moi plutôt Munch, c’est-à-dire chair tragique et couleurs pas loin de l’hystérie, mais l’autre dimanche on finit à la cafète du Kunsthaus de Berne après  les deux expos des Suisses Biéler et Amiet, et forcément c’est sur Amiet que nous tombons d’accord, avec sa profusion de coloriste et son multimonde à l’essai de Gauguin à Matisse entre pas mal d’autres tâtons impressionnistes ou symbolistes, ou bien nous sommes au Mauritshuis de Rotterdam et là, banco, c’est tout Bonus, Lady L. et moi à genoux devant les Flamands et les Hollandais volants  – et voilà qu’elle se met à peindre après moi, non mais des fois…

    …Quant aux Bonus des banquiers, c’est pas que ça nous obsède, mais il faut dire ce qui est en démocrates des bois que nous sommes Tonio et moi, et Lady L. évidemment, et sûrement Blacky quelque part, – Blacky qui parle de démocratures pour les régimes africains – et le Kid et le Gitan et tutti quanti : ça nous fait gerber, et de voir ces vautours pendus aux lustres et flingués par mon cher diabétique nous console en somme même si ça reste là d’la peinture de dimanche soir après la biture, les pinceaux genre gang expressionniste shooté à la Grande Guerre ou aux lendemains d’hier d’Hiroshima, ça nous fait marrer aussi comme de voir Sarko se la jouer foudre d’ATTAC, bien sûr qu’il exagère l’vieux dino, même que c’est un artiste de l’exagération l’vieux dino, qui me rappelle le narrateur d’Extinction de Thomas Bernhard se présentant comme un artiste de l’exagération, et tousuite j’ai pensé, comme avec Houellebecq ou avec Nabe, mais avec plus d’humour fondant que l’Nabe et l’Houellebecq, que ce Lamalettie était un nouvel avatar des artistes de l’exagération dont Céline reste, au siècle des horreurs exagérées, l’insupérable champion…  

     … Lamalattie raconte qu’au lycée il avait la manie de dessiner des visages de chevaliers errants, et que ce qu’il a trouvé de plus proche comme métier était celui d’artiste, que sa mère lui a déconseillé au profit d’une bonne prépa Agro. Or nous en sommes tous là, enfin les sauvages qu’il y encore en nous en sont là : à défier toujours et encore Maman qui nous conseille de boire moins de thé  et, pour notre chaudière, de prendre un contrat d’entretien, comme le raconte Lamalattie. L’heureux Tonio a certes sa Jackie, aussi folle que lui, et moi ma Lady L. fait avec comme on dit, préférant ma folie à l’entretien de la chaudière, et c’est comme ça qu’on vit et que c’est tout Bonus…

     

    Camperduin3.JPG… Ce que j’veux dire encore ce soir c’est que l’andante du concerto n°22 de Mozart est vraiment d’une beauté déchirante, ce que j’veux dire aussi c’est que les cordes produisent des accents majestueusement mélancoliques, progressivement relayés par les amères harmonies des bois, que  le récitatif du piano est cristallin, plein d’une ferme et noble contenance, qu’il  exprime cette nostalgie retenue, typique de Mozart, dans laquelle   la joie et la déception se mêlent, et j’veux dire enfin qu’on a l’impression que Mozart a distillé son existence pour en tirer un concentré particulièrement juste, enfin que cet andante est un condensé de vie immédiatement injectable pour être vécu à nouveau, encore et encore, Bonus contre Malus – oui c’est ce que j’aimerais te dire se soir, ma Lady L. restée en ville, et à vous Jackie et Tonio, et à toi l’Gitan, à vous Kiddy et Blacky et à mes 1836 amis-pour-la-vie de Facebook, voilà ce que je recopie mot à mot à la page 41 de 121 curriculum vitae pour un tombeau de Pierre Lamalattie, drôle de premier roman d’un drôle de peintre que je vais continuer de lire sans cesser de pianoter ces drôles de rhapsodies…

  • L'micmac

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    Rhapsodies panoptiques (3)

       … Le plus souvent, avec le Gitan, on s’retrouve au Café des Abattoirs, et ce soir ça commencera par un G 2 carabiné, dont je tiens le PV. Je noterai tout : j’ai tout noté pour toi, Blacky, comme ça te concerne un peu l’Afrique. Mais avant l’Afrique j’ai noté les gens, les costauds des entrepôts qui reviennent le soir se faire un tribolo, la blonde laminée qui nous répète à l’envi qu’elle préfère sa Toyota Cressida aux mecs qui se succèdent dans sa vie et la lui font chaque éveil un peu plus floche pour pas dire moche, les beautés platinées des trottoirs d’à côté qui viennent se reposer en se balançant des vannes russes ou roumaines, l’Portugais aux commandes toujours aussi stylé avec son profil de lévrier découpé dans du papier froissé, et ses aides-soignantes Doura et Pandoura, la douce et l’insondable mais toutes deux à nous couper les oignons fins  - Doura qui te pelotera comme tu en raffoles, Blacky, et Pandoura qui te chahutera vu qu’elle vient du Cap-Vert et que toi t’es qu’un tourlourou de Bantou, voilà ce que je note d’abord quand l’Gitan s’annonce à la cantonade et m’roule un patin à la soviétique des années de fer comme ça se fait pas dans nos contrées, or personne n’aurait l’idée ici de nous classer pédés vus les antécédents du Gitan aux Abattoirs – mais tu sais tout ça Blacky, toi dont personne ici n’aurait l’idée de ricaner de ton coming out vu que le Gitan super-hétéro te défendra à la moindre tentative d’attentat à la dignité de notre p’tit Camerounais sauvage et plus si affinités…

     

         Pano93.jpg       …Je revenais ce soir-là du théâtre, comme tu sais aussi, pendant que t’étais à ton humectoir gay de la Pink Attitude. J’avais revu pour la énième fois le fameux Bonhomme et les incendiaires de cette vieille Frosch de Frisch, et j’étais un peu dépité, mon Dipita, par le coup de vieux que la pièce a pris depuis l’effondrement du Mur et du Rideau de fer – tout ça bien avant ta venue au monde à Douala et l’effondrement des Touines Taouères. J’étais vaguement abattu, mon frère, parce qu’à ton âge j’avais encore cru à cette fable du p’tit patron chiard, directeur d’une p’tite fabrique de lotion capillaire et ne rêvant que de pendre les séditieux boutefeux  rôdant dans les années 50 comme autant de bolchévistes impatients de nous incendier nos villas Chez Nous ; bien sûr je pensais à Blocher et à ses blochéristes mais l’Histoire ne repassait pas les plats ; bref je ne me sentais plus convaincu par cette vieille rhétorique de profs de gauche des années 60, ou disons que le côté concerné de tout ça ne me concernait plus, cette ironie à effets brechtiens me paraissait surannée ou plus exactement me rappelait nos fins de soirées énervées de l’Organisation avant que je ne m’en tire alors que le Taulard y entrait par une autre porte – bref tout ça, comme en ce temps-là, me paraissait faussé, pas vraiment vrai, pas réel comme est réelle la réalité réelle que j’retrouve en revanche à chaque fois que j’revois La visite de la vieille dame de l’affreux Dürrenmatt ni-de-gauche-ni-de-droite, qu’on disait alors cynique vu son manque d’empressement de voter comme il faut ou de signer tous les manifestes, et nous revoilà à la case départ où la vraie révolte ne saurait avoir le moindre plomb dans l’aile alors qu’on nous serine que tout va mieux que jamais n’est-ce pas…

     

    …Tandis que l’Afrique aujourd’hui ! Tandis que la faim et la rapine généralisée ! Tandis que tout ça prospère, mais je ne t’apprends rien, Blacky, et cPanopticonF11.jpge n’est pas avec toi que je vais me la jouer néo-concerné, ni devant Kiddy ni moins encore avec Lady L. qui tâta bel et bien, elle, des Groupes Afrique de ces années-là –donc je t’ai noté ça et le Gitan a débarqué aux Abattoirs pour notre G2 de début de fin de soirée, il m’a raconté à se désopiler la suite du Quichotte qu’il lit ces jours aux stations de son taxi et je lui ai fait rapport grave de Destruction massive, le dernier pamphlet de ce fou de Ziegler, mon cher Jean des sylves bernoises où survit l’Esprit des Bois, nous avons sifflé force fioles, à un moment donné j’ai qualifié la marche du monde de micmac et le mot a tant botté l’Gitan qu’il s’est levé et s’est exclamé à la cantonade cantonale et multimondiale : « L’micmac on lui casse la gueule !» et c’est alors que je lui ai évoqué la saga de Saga…

     

    … Tu sais bien, mon p’tit Black, que je m’efforce de ne plus trop faire dans l’émotionnel moite. Comme toi je me méfie des pitiés affichées. Comme vous tous je me défie de la commisération de commande nous servant d’oreiller moral et de suspensoir ostentatoire des nos Bons Sentiments tandis que l’Or Vert continue d’être pillé après l’Or Noir et l’Or des pionniers. Mais ne crois pas pour autant que je vire cynique ou désabusé. J’écoute le bruit du siècle et j’essaie de dire ce que ça me dit, avec rien que ma peau sur les mots mais tu sais combien ça compte, la peau, dans la perception du micmac – j’ai lu tout ce que tu as toi-même écrit jusque-là et c’est par la peau de tes mots que je te sens sensible au micmac et vivant en dépit du micmac…

     

    Popescu70002.JPG… L’micmac c’est la mort planifiée quelle qu’elle soit, que je dis au Gitan et le Gitan opine et répète comme ça qu’il va lui casser la gueule au micmac. L’autre jour l’Gitan m’a lu les premières pages des Couleurs de l’hirondelle de l’affreux Popescu, son double romanesque pourrait-on dire, et là j’ai pour ainsi dire chialé, comme en lisant J’ai saigné de Cendrars, quand cet enfoiré de Marius Daniel raconte sa dernière visite à sa pauvre mère roumaine allongée dans sa morgue d’hôpital roumain, nue sur le sol avec une pauvre brique sous la tête, et ça disserte dans les médias sur l’opportunité d’accueillir la minable Roumanie dans la noble Europe, mais c’est ça encore l’micmac : c’est l’Popescu qui allonge des euros pour couvrir la nudité de sa mère et payer l’aide des fonctionnaires présents, et plus tard ce sera d’en allonger d’autres, d’euros, pour acheter des fleurs à la morte que de minables Roumains voleront le lendemain de l’enterrement sur la tombe maternelle – voilà le micmac et la version proche de la saga de Saga dont tout le monde se fout plus ou moins, pas vrai Blacky ? Mais je te sens qui t’impatiente d’entendre, à ton tour, la saga de Saga…

     

    …Alors que tu la connais par cœur et, peut-être, voudrais l’oublier ? Je ne sais pas ? Jamais nous n’en avons parlé jusque-là, Blacky, dans nos textos nocturnes de Facebook. Jamais nous n’avons évoqué cette Afrique de Saga, qui est la pire de la saga des misères actuelles, et qui se réduit pour ainsi dire à un texto de SMS. À savoir qu’à Saga, tous les matins, une douzaine d’enfants crevant la faim sont admis dans le dispensaire des saintes sœurs de Teresa, au dam de cent autres dont les mères reviendront le lendemain pour ne pas céder au désespoir…

     

    …Et déjà tu les entends ricaner, Blacky, ceux qui gèrent le micmac. Comme quoi les Lois du Marché pallieront, à la fin, la saga de Saga. Ou comme quoi la Sélection Naturelle. Comme quoi l’Election Surnaturelle et tout ça, tu l’sais bien toi qui a flairé l’micmac évangélique à la néo-coloniale américaine: les derniers seront les premiers et tutti quanti dans le jacuzzi de l’humanitaire, suffit de signer là et de verser tant ou plus selon tes moyens - les plus affamés en rang pour la photo et les autres prenez la file…

     

    … Tu les entends ricaner, Blacky, tous ceux qui savent et qui gèrent ? Tu les entends les ricanants du multimonde ? Tu les entends dans le brouhaha des corbeilles ? Tu les entends comme moi qui ne sais pas que faire, vraiment, de la saga de Saga, quand cet enfoiré de Jean Ziegler, délégué cravaté de l’humanitaire multimondial en matière de tortore, vient nous balancer comme ça qu’un enfant meurt de faim toutes les cinq secondes, tiens, je compte jusqu’à cinq et toi, l’Camerounais pédé à jolies nattes, tu vas t’sentir complice du micmac ou m’reprocher de l’être, moi l’Milou filou de Tintin au Congo qui suis né trop au Nord pour supporter le regard des damnés de la terre…    

     

    Panopticon775.jpg… Donc on a tenu notre G2 jusqu’au lever des chaises sur le pourtour des tables, aux Abattoirs, avec le Gitan et ses deux pour mille jamais détectés par les collaboratrices et collaborateurs de notre zélée Police dans le ballet des gyrophares – c’est un Mystère de la Nature que l’impunité légendaire du Gitan conduisant son taxi dans tous les états de l’ébriété tsigane sans faillir jamais ni ne se faire gauler -, puis le G2 a viré G3 quand tu nous a rejoints au bar du Roumain plein de Russes accortes toutes ligotées par une autre orga du micmac, ensuite le Kid nous a rejoints, il me semble, on a donc tenu un G4 mais là ça faisait Big Bang dans ma tête, je rejoignais pour ainsi dire la soupe originelle au pied du mur de Planck et j’ai cessé de noter et me suis cassé je ne sais comment au bout de la nuit en me rappelant pourtant, en silhouette décatie à vieux peignoir sexy, la Bella Ciao de nos lendemains qui chantent… 

    Images: Philip Seelen

  • L'projet

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    Rhapsodies panoptiques (1)


    …Moi ce que j’te dis c’est que ça pourrait faire une pièce qui secouerait ce pays de loirs moites. Ou peut-être un film. Ou un roman qui arrache. En tout cas je vois déjà ça pour l’attaque : la première scène de la pièce, le plan-séquence qui pourrait lancer le film, le chapitre initial du roman virtuel, ensuite de quoi tu te lâcherais, ça pourrait prendre toutes les formes – on peut rêver, comme ils disent à Pro Helvetia et autres boîtes de pub mercenaires…


    Dürrenmatt3.jpg… Donc ça commencerait par une relance du fameux discours du vieux dino, j’veux dire Friedrich Dürrenmatt à la blanche crinière fellinienne, devant les plus hautes autorités de la Confédération et s’adressant, en 1990, au Président de la République de Tchéquie, à savoir le dramaturge dissident Vaclav Havel qu’on fêtait alors en même temps qu’on fêtait la sortie de son pays du communisme. Tout ça donc solennel et costumé. Ministres et leurs épouses, banquiers et capitaines d’industrie, avocat poudrés et journalistes fardés - tout l’gratin. À trois mois de la mort de Fritz, mais nul ne s’en doute. Et la révolution du Président se joue encore sur du velours. Tout ainsi sous contrôle : le Mur tombé, débris revendus dans les boutiques chic ; derniers barbelés du Rideau de fer recyclés en colliers et bracelets dans les clubs SM. Et voici que le vieux sanglier passe à l’attaque de son ton traînant de Bernois des bois…


    …Tu te rappelles ces quelques mots et leur effet immédiat le long des nuques roides et des reins gainés de soie. Quelques mots qui tiendraient sur un SMS : comme quoi la Suisse serait une prison sans murs. Que ses prisonniers seraient à la fois ses gardiens. Que la paix serait un leurre sur fond de guerre économique. Qu’en somme notre Villa Chez Nous serait une taule comparable à celle dans laquelle le dissident devenu Président fut bouclé des années durant…


    … Tout ça d’abord sidérant, je te le fais pas dire, balancé comme ça à tant de gens librement cravatés, tous librement démocrates et librement adeptes de la pluralité et de la liberté de critiquer. Sidérant donc, mais illico banalisé. Non mais là, c’est sûr, le Vieux déraille ! Le Vieux salit son pays que c’est une honte ! Et dire qu’on va le payer pour ça ! Dire qu’il fait la leçon à un vrai dissident qui a vraiment lutté pour la vraie liberté alors que lui se les roulait en fumant des cigares subventionnés par sa milliardaire de papier ! Tout ça que tu reconstruis ou déconstruis, comme on le dit dans les facs de lettres. Tout ça que tu ramasses dans la scène d’exposition de ta pièce ou de ton film ou de ton roman panoptique. Tout ça dont tu fais signifier l’énormité : un écrivain qui dit quelque chose ! L’horreur jamais vue ! Genre Thomas Bernhard taxant l’Autriche de nazisme ! Mais pire en l’occurrence : le modèle mondial de la démocratie et de la liberté vilipendé par le plumitif le plus nanti de la Société des Autrices et Auteurs suisses ! Le top de l’incongru : tous prisonniers, et là tu les zoomes sur leurs fracs et leurs robes griffées. Tous gardiens d’eux-mêmes et c’est tout le pays vigile qui défile. Du grand théâtre dürrenmattien, mais là faudra trouver les gueules de l’emploi, les Ospel commodores et consorts et leurs maîtresses et leurs mignons. Du cinéma comme on n’en fait plus ou pas encore. Du roman qui serait alors le roman de la prison, j’veux dire le roman qui capterait et réfracterait la vision panoptique du Profond aujourd’hui, comme disait Cendrars avant la Der des Der…


    Cendrars7.jpg…. Ceci dit moi je t’avouerai, malgré tout, que cette histoire de prison n’a cessé de me tarabuster. Bien sûr que je la trouvais exagérée moi aussi. Aussi gonflée que ce qu’écrit le jeune Ramuz, en 1918, quand il affirme que si nos amis Français souffrent là-bas, de l’autre côté de la frontière, nous aussi nous souffrons à la seule pensée de les savoir souffrir. Blaise Cendrars, au même moment, est en train de se vider de son sang sur une civière. On lira plus tard, à chialer, le récit déchirant du jeune troufion en train de crever à ses côtés, qui fait Blaise s’excuser presque de se sentir survivre. Tandis que Ramuz souffre autant que ceux-là, non mais ! Très Suisse tout ça, tu trouves pas ? N’empêche : le vieux Dürrenmatt et le jeune Ramuz disent quelque chose qui déroge à ce qui semble juste un petit réconfort foireux, et c’est ça qui me fait y revenir. Je pense au corps de Dürrenmatt. Je pense au corps des livres de Dürrenmatt. Je pense à La visite de la Vieille Dame. Je pense à la façon dont les Messieurs ont fait d’une jeune amoureuse la vieille catin vengeresse. Je pense à la pureté de cœur du vieux Friedrich. Je me rappelle l’étudiant fonçant dans le tunnel. Le train peinard de Konolfingen à Berne qui passe soudain de l’horizontal à la bascule sauvage en chute verticale direction le profond de la Terre. Je me dis qu’il sait ce soir-là qu’il va mourir comme aux moments des transes lucides du jeune auteur mais que cette fois ça se précise. Je me dis que la réalité réelle perçue par Ramuz n’a pas d’âge mais qu’il lui arrive à lui aussi de toucher au pur sauvage. Je me dis que ces deux-là on pressenti l’horreur de l’actuel Wellness et la camisole de force de notre béate béance. Je les vois tous, les sauvages, j’vois Robert Walser, j’vois Charles-Albert, j’vois la mère Colomb, j’vois Farinet, j’vois Aloyse et Wölffli, j’vois Godard à moitié mort et Daniel Schmid encore vivant, j’vois Louis Soutter l’halluciné génie - j’les vois tutti quanti dans le jacuzzi, tous au barbecue fédéral du fédéral Office de la Culture populaire et de qualité, tous plus libres de se la jouer extrême, de se la jouer rebelle n’est-ce pas, de se la jouer barbare en veux-tu voilà, tous plus libres d’êtres libres et de ne pas dire le contraire, sinon gare aux subsides, non mais des fois…


    …Le Panopticon est une position fluide, la vision panoptique est une proposition malléable comme l’argile des algorythmes, Dürrenmatt dirait « entre le cendrier et l’étoile », Ramuz «laissez venir l’immensité des choses » et Cingria : « ça a beau être immense, comme on dit, on préfère voir un peuple de fourmis pénétrer dans une figue», quant à toi tu l’diras comme tu l’ressens ici et maintenant dans ton corps à toi et ta sauvagerie…


    Basil.jpg…Le panopticon est ce lieu de la prison d’où tous les prisonniers à la promenade sont visibles, mais la position ne se borne pas à la prison suisse, j’te jure que c’est de la prison du multimonde qu’il va s’agir. Le jeune Basil da Cunha balade sa caméra le long d’un chantier nocturne genevois ou dans un bidonville lisboète et me raconte ses projets sous le Cervin mandarine du Buffet de la Gare de Lausanne, moi j’lui raconte mon projet de roman panoptique en évoquant le filmage du Filmeur d’Alain Cavalier auquel j’ai décrit le film que Lionel Baier a tourné avec son téléphone portable sous le titre de Low cost – j’te cite autant de sauvages selon mon cœur, comme l’est resté à sa façon le vieux Chappaz ou comme je l’ai retrouvé dans L’Embrasure de la jeune Douna Loup, enfin tu vois le genre : pas du tout rebelles de salon mais artisans, mais poètes de la Chose, tous résistant à la nouvelle taule sans murs du Bonheur obligatoire capté et réfracté dans l’instant par les webcams du multimonde…


    …Moi j’te dis qu’il y a là une nouvelle donne et que c’est une matière géniale si tu t’sors les pouces, suffit de capter à longueur de journée, ou plutôt suffit pas de capter parce que rien ne suffira pour le vrai sauvage visant le bout de la nuit - relis donc Céline et regarde de tout près la musique des mots, regarde les gens de plus près, regarde ce vieux géant qui te parle de l’Homme des Bois veillant au cœur de la Suisse des vals de l’aube ou des bars du soir - regarde le vieux diabétique défier ces cheffes de projet et ces décideurs auxquels il rappelle qu’ils sont ligotés comme toi et moi, regarde les pharmaciens que vitupérait ce vieux fol de Ludwig Hohl dans son entresol, regarde les peser leurs doses d’indifférence et de déni, de mépris académique ou de flatterie médiatique, entre éther et viagra, enfin regarde mieux le multimonde et fais-en un slam ou ce qui te chante, n’écoute pas les éteignoirs qui te bâillent que tout a été dit et que plus rien ne vaut de l’être - allez j’te balance tout ça par mail ou sur Facebook et t’en fais ce que tu veux…

    (Ce texte résulte d'une commande de Yari Bernasconi, rédacteur en chef de la revue ViceVersa, et d'Anne Pitteloud, rédactrice au journal genevois Le Courrier, où il a été publié le 21 novembre 2011; repris sur le site Le Culturactif. Il a servi de déclencheur à la suite des Rhapsodies panoptiques, qui compteront 88 numéros de 8888 signes.)

  • Ceux qui sévissent

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    Celui qui tient le monde par les bourses / Celle qui inflige les peines de cœur / Ceux qui font progresser les déserts / Celui qui tue de son seul ricanement / Celle qui blesse de son seul regard / Ceux qui anéantissent de leur seule haleine / Celui qui écrit des articles pour se venger de sa bosse morale / Celle qui s’est spécialisée dans le dénigrement en salon de coiffure/ Ceux qui brandissent le glaive de la justice dite divine / Celui qui assomme les pauvres à coups de Bible / Celle qui frappe dans ses mains afin (dit-elle) de liquider le plus possible d’insectes nuisibles / Ceux qui lisent Lénine le matin avant de finir d’installer les barbelés / Celui qui explique au Tribunal que tuer n’a été un problème que la première fois ensuite on prend le pli / Celle qui a fait carrière dans le mesquin / Ceux qui ont l’art de mêler concret et abstrait et donnent donc dans l’art pour lard / Celui qui fait de l’esthétique une éthique et de l’éthique une musique / Celle qui coupe court à toute flatterie sur les moins de trente-trois ans / Ceux qui se défient de la médiation interne au sens hégélien et gardent ainsi un caleçon de pudeur sur leur petit fatras / Celui qui constate dans la VW familiale que les jumeaux Dupond et Dupont se branlent à l’arrière sous leurs chapeaux / Celle qu’obsède la vision des collégiennes aux douches /  Ceux qui dénoncent le Bail pour attentat à la pudeur / Celui qui frappe le piano pour qu’il crache enfin son morceau de Beethoven / Celle qui surveille les selles du Chevalier à la Triste Figure / Ceux qui agissent en descendant directs du Seigneur du Cuissot / Celui qui fourgue la came en tant que Procureur assermenté / Celle qui pratique l’anarchie au niveau du rangement / Ceux qui ont mouché les chandelles de l’envie / Celui qui dit je n’ai plus rien sans préciser qu’il a tout eu dans l’cul / Celle qui la pile en s’accusant d’être trop bonne à une lettre près / Ceux qui coupent court à toute euphorie alors que la Tempête Joachim leur fond dessus, etc.

    Image :Philip Seelen

  • Ceux qui jabotent dans la ciguë

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    Celui qui maximise le rendement du cosmétique vermicide / Celle qui s’identifie à son make up funéraire / Ceux qui fomentent un complot au fond du tea-room / Celui qui dérouille la vieille peau pour son bien / Celle qui demande à la corde ce qu’elle pense du pendu / Ceux qui s’enlacent dans le local de dissection / Celui qui dépose ses yeux dans le verre à dents / Celle qui boit l’eau pleine de regards / Ceux qui ont le regard plein des yeux du crime / Celui qui s’exclame quelle pluie ! quand jouit la postière / Celle qui rampe dans l’égout psychique de son neveu Charles / Ceux qui trouvent de l’anémie à leur fille dont ils  viennent de faire vider (disent-ils) le tiroir / Celui qui parle franchement aux laitues défaitistes / Celle qu’inquiète les cernes mauves de son fils Kevin et son string de même couleur / Ceux qui retardent le moment de la prise de risque / Celui qui croit déceler le secret factologique de l’élaboration de ces listes / Celle qui a arraché un bouton de pourpoint à chacun de ses ex / Celui qui se gratte le haut vu que le bas est engoncé dans la veste matelassée pour cause de blizzard / Celle qui dépose le brevet de chaque idée de son fils en affirmant que sans elle il ne serait pas en mesure d’inventer tout ça / Ceux qui ont connu Arrabal dans un théâtre de poche-revolver / Celui qui reconnaît à Fernande des aptitudes pour l’athlétisme du plaisir / Ceux qui restent pudiques jusque dans les parties carrées à douze ou plus / Celui qui trouble son chef de bureau par ses questions privées dérogeant aux principes de la Science Chrétienne / Celle qui se confie au curé psy qui publie tout à mesure dans sa revue de psycho néo-arianiste / Ceux qui s’abandonnent aux mains du rebouteux qui en étrangle quelques-uns par excès de zèle / Celui qui socratise la militaire au pubis rasé au cordeau / Celle qui communique par SMS spirites avec Alma Mahler / Ceux qui rompent le charme de la soirée chic en assommant la claveciniste / Celui qui suit volontiers un Miguel de Unamuno dans son éloge de la factologie physiognomonique / Celle qui s’effrite au milieu de sa collection de napolitain biscuité / Ceux qui vont tonsurer la virago menottée pour au cas où / Celui qui touche des honoraires pour vous pousser vers la sortie / Celle qui file le pistolet au grabataire / Ceux qui se réjouissent d’apprendre qu’un tartare se dit cannibale en Belgique / Celui qui trouve que le french kiss de Monique a un goût de langue de bœuf aux câpres sans les frites hélas / Celle qui aime qu’on la fourre comme un oreiller suisse / Ceux qui ont le juron certain et la querelle crâne / Celui qui après cette liste va faire du feu sois joyeux / Celle qui patine sur la route noire avec les dandinements d’un paon blanc / Ceux qui ergotent et cogitent en écoutant du Coltrane, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui font florès

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    Celui qui rutile dans le bazar / Celle qui s’émerveille à outrance / Ceux qui sont tout gyrophares et sémaphores dans le genre j’partage / Celui qui sourit aux mésanges / Celle qui est née coiffée avec une frange sympa et col Claudine / Ceux qui bandent casher ou hallal selon le méridien / Celui qui serait bien né riche mais c’était plus cher / Celle qui fait pisser le dinar et ne chie pas des braises sur le trottoir / Ceux qui sont plutôt offre que demande / Celui qui mange sa main qui branle et recrache l’outil de pionnier / Celle qui épluche le gland du chêne en majesté / Ceux qui le font même aux peluches / Celui qui fait pièce à la condescendance de l’héritier slovène / Celle qui écrit pour la postérité et environs / Ceux qui sont plutôt fitness que René Descartes / Celui qui a lu tout Beatrix Potter et même Harry / Celle qui dit comme ça qu’elle vient de relire Platon alors qu’elle a juste fait un brunch chez les Morel / Ceux qui ont kiffé Brad Pitt dans Ulysse – le retour / Celui qui brille de tous ses feux de position / Celle qui fait saladier à part / Ceux qui ne mourront pas en baisant mais en se noyant dans le Zambèze s'ils font pas attention / Celui qui est toujours partant sans savoir où et ça c’est typique de l’idéalisme alsacien / Celle qui a une bosse mais format bonsaï donc ça va / Ceux qui élèvent des géants nains / Celui qui pense en majuscules et ressent en italiques / Celle qui aime faire rougir les curés et jouir les pédés / Ceux qui n’ont pas de mœurs mais une Toyota Cressida / Celui qui se gausse de la hausse du yen et tout ça / Celle qui convertit ses pétrodollars en placements affectifs au Nevada / Ceux qui ont le vent en poupe et pas mal de comédons à gérer / Celui que le verbe gérer horripile et qu’il emploie donc par pure perversité tu vois si c’est grave / Celle qui ment au menteur qui le lui rend en toute amitié / Ceux qui vous niquent pour votre bien comme ils disent / Celui qui te trahit avec tant d’amour que tu ne l’en aimes que plus cette salope / Celle qui ne vous trompera jamais faute d’imagination / Ceux qui s’aiment tendrement dans leurs pyjamas de pilou assortis rose et bleu celui-ci à devant fendu, etc.

    Image : Philip Seelen   

  • Ceux qui s'oublient

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    Celui qui lit Proust aux lieux / Celle qui ne sait plus qui elle est faute de collier / Ceux que leurs souvenirs ont oubliés / Celui qui dit se réduire à cette flaque / Celle qui se rappelle avoir été danseuse étoile mais où encore et quand ça elle ne saurait dire / Ceux qui ont laissé les chaussons de danse  de leur petite fille dans le cercueil cramé / Celui qui ne se rappelle plus ce qu’il a écrit à propos de Ninon de l’Enclos dans ses Mémoires mais tu peux vérifier dans le Tome XXXIII à la page 747 / Celle dont une maille du bas gauche file mais ça lui donne une touche émouvante / Celui qui te dit que tu fais partie de ses archives mortes / Celle qui remue un petit doigt bagué dans tes souvenirs de Bolchevik sévère / Ceux qui fréquentent les jeunes rockers par curiosité anthropologique / Celui qui enfile un t-shirt à l’effigie de ZZ Top pour avoir l’air jeune malgré sa dégaine de père Noël suisse allemand / Celle qui voit son passé défiler au pas de l’oie avec des fusées et des tanks de la belle époque du Parti / Ceux qui ont traversé la ville en redécouvrant le monde en tant que tel sous l’effet de substances prévues à cet effet / Celui qui fauche les idées des autres pour les améliorer / Celle qui mange dans la main du boxeur gay / Ceux qui ont fait à Antonio la réputation d’un bon coup qui lui a valu l’intérêt de celles qui ont dit ensuite que c’était exagéré et c’est ainsi qu’il en va souvent dans la vie au Portugal et ailleurs d’ailleurs / Celui qui dans Madame Bovary s’intéresse surtout à Monsieur / Celle qui a lu L’Enfer de Dante au Luxembourg / Ceux qui feignent de se tuer pour voir ce que ça fait / Celui qui peint des hippos en souvenir de sa période Congo / Celle qui demande à son psy de lui parler de ses couilles / Ceux qui voient des murènes partout / Celui qui s’est choisi un joli pull rose pour signer son premier recueil de poèmes genre développement personnel durable à coloration positive et prix cassé / Celle qui s’est promis de dire au jeune écrivain en signature à la COOP qu’on n’écrit pas pétasse quand on est poli / Ceux qui vont à la FNAC chercher un bouquin qui redonne un sens à leur vie / Celui qui a oublié l’essentiel des leçons de piano qui l’ont fait souffrir enfant comme le Seigneur sous Ponce Pilate sauf que le Seigneur fouetté était mélomane sans le savoir / Celle qui ne se sert pas trop du Wonderboy de crainte qu’il ne s’use / Ceux qui font leur devoir de mémoire comme d’autres se pintent pour oublier, etc.

    Photographie à l'argentique : Daniel Vuataz. 

  • Ceux qui généralisent

     entrer des mots clefs

    Celui qui trouve que les jeunes n’ont point d’idéal point barre / Celle qui estime que les vieux n’y comprennent plus rien / Ceux qui ont toujours trouvé des boucs émissaires pour se débarrasser de leurs problèmes / Celui qui conclut à la décadence de la civilisation virile / Celle qui positive pour ne pas se liquéfier comme une boue / Ceux qui affirment que tous les pédés sont des coiffeurs / Celui que l’esprit sécuritaire a transformé en vigile du quartier des Seniors / Celle qui n’était pas à la manif mais qui estime que les voyous c’est les voyous / Ceux qui de toute façon se foutent de tout ce qui n’est pas l’état des pistes de snowboard / Celui qui va vers l’amputation d’un pas résigné / Celle qui préfère souffrir que se faire chier dans le positivisme punitif de la social-démocratie ambiante / Celui que son propre romantisme fait sourire mais qui n’en démord pas plus que de sa tendance à se laisser pousser les cheveux style Musset ou Neil Young / Celle qui préfère le Brésiliens fessus / Ceux qui ont plus souffert sous la surveillance des chiennes de garde du Politiquement Correct que sous Ponce Pilate / Celui qui change l’eau des poissons qu’il met à bouillir pour la tisane de Maman Sirène / Celle qui a le délire joyce / Ceux qui n’ont jamais pris très au sérieux le petit Marcel comme ce fut le cas de sa Maman d’où ce gros machin compulsif qu’on appelle La Recherche / Celui qui fait courir le bruit que ce n’est pas Houellebecq mais Beigbeder qui écrit les romances de Marc Levy / Celle qui écrit des poèmes minimalistes sous le pseudo de Julie Derrida / Ceux qui considèrent l’évolution de l’art contemporain comme une illustration de la théorie négentropique du fils illégitime de Kurt Vonnegut hélas happé trop jeune par un courant d’air de l’Espace/Temps, etc.

    Image: Philip Seelen.

  • Léautaud à l’apéro


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    Citations à la venvole

    C’est cela, la vie. On travaille, on fait des livres avec des tas de salutations à Pierre et à Paul. On attend la gloire, la fortune – et on claque en chemin.

    ***

    Tout ce qui constitue cette époque me dégoûte par sa bêtise et sa laideur.

    ***

    Il faut plaindre une époque de ne pas mieux comprendre l’esprit, de l’aimer si peu et de le supporter si mal.

    ***

    Disparition de l’esprit de fronde, de l’esprit satirique. Le gavroche loustic, qui dégonflait les baudruches sociales d’un lazzi, n’existe plus.

    ***

    La moquerie s’en va, quand on vieillit : on est trop blessé du spectacle des hommes.

    ***

    Il est six heures du soir. Je vais préparer les quatre pommes de terre de mon dîner. C’est là invariablement la composition de mes repas : quatre pommes de terre. Il faut de la régularité dans la vie. La régularité dans la vie, c’est d’avoir de bonnes mœurs, même à table.

    ***

    Il est difficile d’avoir de l’esprit avec des gens bêtes.

    ***

    Il n’y a décidément rien de plus imbécile que ces gens qui se parent de ce titre : les intellectuels.

    ***

    Rien ne fait mieux écrire que d’écrire sur ce qu’on aime.

    ***

    Les beaux livres, décourager d’écrire ? C’est comme si vous disiez qu’ne jolie femme décourage de faire l’amour.

    ***

    Cela ne nous regarde pas, l’effet que peut produire un livre. On écrit. Un point c’est tout. Ce qui peut en résulter n’a pas d’intérêt. On ne doit pas s’en occuper. Le vrai compte seul, s’il est humain. La notion d’utile ou de malfaisant, de vertu ou de vices et sans intérêt.

    ***

    Savoir bien écrire mal, dis-je quelquefois.

    ***

    Annonce de la sottise d’aujourd’hui : l’art pour le peuple.

    ***

    Qu’on fasse la guerre avec des gens de métier, qui en ont le goût, à qi cela plaît, qui aiment donner des coups et en recevoir, mais prendre chez lui un homme tranquille, pacifique, voué aux choses de l’esprit et l’envoyer tuer et se faire tuer ! Voilà la civilisation.

    ***

    Prodigieux qu’on emploie maintenant de la façon la plus naturelle cette expression : matériel humain. Matériel humain comme on dit des canons et des fusils. Il y a seulement deux cents ans, cette expression aurait fait bondir. L’idée aurait révolté que tout le monde dût aller à la guerre, tuer et se faire tuer. Nous avons fait un joli progrès dans l’abêtissement et l’asservissement.


    ***

    Rien ne choque plus qu’un esprit libre, quitte de préjugés, et qui n’éprouve sur toutes choses que ce qui lui vient de sa sensibilité, sans s’inquiéter du qu’en dira-t-on ni des conventions de société.

    ***

    Tout individu ne vaut un peu que par le sentiment de révolte qu’il porte en soi.


    Image: Paul Léautaud

  • L'on lit à TULALU

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    L'Association Tulalu!?

    est heureuse de vous inviter à la prochaine édition de son café littéraire avec : 

    Jean-Louis Kuffer.

     

    Auteur primé et journaliste passionné, il sera l'invité de Tulalu!?

    le lundi 5 décembre à 20h30

    au premier étage du café Lausanne-Moudon.

     

    Le thème de la soirée: 

     

    La mémoire créatrice

    Le retour quotidien, et en constante évolution, de tout ce qui a été capté dés l’enfance et de tout ce qui continue de l’être, à tout moment transformé par ce que nous sommes aujourd’hui et par l’écriture elle-même. La mémoire nous lie évidemment à ceux qui nous précèdent, mais également à ceux qui viennent et qui nous font revisiter le présent. La mémoire est une recréation constante.

    Pour illustrer sa vision d’une mémoire en constant re-devenir, JLK lira des extraits de plusieurs de ses livres travaillés par cette démarche.

    BookJLK7.JPGDans Par les temps qui courent (Campiche, 1995) : Soleil d’hiver, évocation d’une jeunesse bohème dans le Vieux Quartier de Lausanne.

    BookJLK3.JPGDans Le Pain de coucou (L’Age d’Homme, 1983). Diverses séquences de cette première évocation d’une enfance partagée entre deux cultures romande et alémanique.

    Enfant9.JPGDans L’Enfant prodigue (D’autre Part, 2011). Deux extraits de cette nouvelle remémoration recréatrice du Temps qui passe.

    Dans Rhapsodies panoptiques. La présentation d’un nouveau projet narratif inscrit dans le temps présent et brassant toutes les époques en consonance.

    JLK sur la Toile

    Carnets de JLK : http://carnetsdejlk.hautetfort.com/

    JLK sur Facebook : http: //facebook.com/people/Jean-Louis_Kuffer/1438776315

    Passion de lire, blog littéraire de 24 Heures : http://passiondelire.blog.24heures.ch

     La Maison cinéma, blog cinéphile de 24Heures :  http://leopard.blog.24heures.ch

    Sur JLK

    http://blogres.blog.tdg.ch/archive/2011/02/18/l-enfant-prodigue-par-jean-louis-kuffer.html

    Rencontres littéraires TULALU ?!   

    079/791.92.43

    www.tulalu.wordpress.com      

  • Ceux qui se bougent

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    Celui qui a des poèmes dans sa poche / Celle qui est là pour surveiller son ex / Ceux qui vont poser des questions gênantes / Celui qui (pense-t-il au fond) n’a rien à faire ici / Celle qui préférerait une lecture de Réjan Ducharme mais même sur le plateau de Mont-Royal ça s’est jamais vu alors ne cherche pas Tulalu / Ceux qui se sont juste mis à l’abri du froid en passant ce soir par là par hasard / Celui qui lit un bout de Voyage tous les matins pour se remettre en train / Celle qui lit en train mais ne philosophe que dans son bain / Ceux qui vont suer ce qu’on leur a lu au sauna du SPA Tumavu / Celui qui s’ébroue dans les mots des autres / Celle qui entend lire tout haut des choses qu’elle n’entend même pas tout bas / Ceux qui se sont regroupés en intermittents de la lecture / Celui qui écrit de la poësie avec tréma / Celle qui cherche à retrouver le climat de la salle de lecture de la 42e Rue quand il neigeait sur Times Square / Ceux qui aiment les mots doux et parfois les mots durs ça dépend des fois / Celui qui s’étonnera sûrement de ce qu’il va lire ce soir vu qu’il l’a écrit hier et peut-être même avant-hier / Celui qui fait le décompte de ses prétendus 1860 amis de Facebook qui ne sont pas là ce soir / Celle qui te parle du premier recueil de poèmes de son fils adoré et te demande si Tulalu / Ceux qui se rappellent que Paul Léautaud se foutait du précieux Jean Paulhan qui avait écrit quelque part « l’on la lu » et le méchant drôle de l’appeler messire Lonla / Celui qui se refait la route 66 pour s’imprégner de Kerouac en 3D / Celle qui lit On the Road en japonais / Ceux qui se sont perdus de vue dans le quartier des librairies de Kanda (Tôkyo, Japon) et se retrouvent à la Pensée sauvage du Pont (Vallée de Joux) / Celui qui s’apprête à lire comme le Roi de Shakespeare / Celle qui t’appelle son oiseau-lyre / Ceux qui s’en jetteront un après ce délire, etc

    Image : Philip Seelen    

    (Cette liste a été jetée sous la première neige pour être lue en première orale mondiale lundi soir 4 décembre à l’enseigne de la soirée de l’Association Tulalu consacrée aux écrits du soussigné)

  • Et Quentin déboula !

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    Un jeune écrivain se pointe au coin du bois. Et quel ! Retenez ce nom: Quentin Mouron. 

    On entend ces jours des tas de bonnes nouvelles. Comme quoi la Crise. Les effondrements partout. Les indignés en tache d’huile. Misère et colère aux entournures des déserts et des villes polluées. Mais là, ce matin, tout neuf, j’ai du plus joyce qui me réjouit comme jamais et toujours et  encore : la venue au monde d’un écrivain !

    Tout jeunot mais en sachant déjà long sur La Chose, j’dirai : la musique des mots et des choses. Crépitant de talent comme un essaim d’étincelles mais pas que pour l’effet ! Vraiment piqué poignant l’Quentin Mouron ! Déjà ce nom ! Et cette papatte ! Cet instinct sûr presque à tout coup. Je ne dis pas parfait loin de là mais presque. Mieux que parfait : intense et décidé. Fin d’antennes et de lame. Célinien jusqu’au bout des griffes. Parfois un peu trop même dans le phrasé rythmique et les rimes internes. Pêche de jeunesse qui fruitera dans la foulée. Mais cette vieille jeunesse du regard. Pas molle mais grave, vive, incisive, véhémente, charnelle et hypersensitive dès la première page abouchée au réel. Los Angeles en panoramique et ensuite l’Amérique par le détail. Or on sait que dans le détail gît le dieu musicien. Et voilà que dès la première page d’Au point d’effusion des égouts  ce dieu-là pétille de neuve braise et vous incendie.

    J’précise, chose annexe, que Quentin Mouron, Canadien et Suisse d’origine, n’a que vingt-deux ans et sans rien pour autant du chiant «djeune » genre attention j'arrive y a que moi ! Ou presque pas. Déjà rusé comme un bronco de rodéo le poulain piaffant. Déjà vous alignant des sentences à la Ferdine, parfois un peu voyantes, mais ça lui passera avant que ça vous reprenne et ce premier galop est étourdissant en toute lucidité tripale si j'ose dire -  et j'ose;  et j’y reviendrai plus souvent qu’à mon tour…

    Quentin2.jpgQuentin  Mouron. Au point d’effusion des égouts. Olivier Morattel, 137p.

  • Le génie de Gina

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    Eugénie Rebetez vous attend ce soir et demain à L’Echandole. Pour un show à pleurer de rire et de bonheur.

    Elle couine et marmonne, elle danse et se contorsionne, elle joue avec son corps charnel avec autant de rouerie narquoise que de tendre bonhomie, elle est à l’aise dans sa chair généreuse autant que sous tous les masques que prend son visage – c’est une super souris (c’est ce qu’on disait jadis d’une fille craquante ) et une sorte d’éléphante trépignante quand elle l’entend ainsi, elle est ballerine enveloppée à la grâce qu’elle aime casser à volonté, elle aime sa vie et ses couacs, elle nous fait aimer notre vie et nos propres faux pas – c’est en somme une humanité à elle seule que Gina qui nous rappelle à la fois Zouc et Isadora, les Mummenschanz et la clownesse Gardi Hutter, mais avec sa touche à elle, sa patte, sa gouaille de petite fille restée Mimi Cracra ou ses multiples personnages grappillés vite fait à la Comédie sociale, de la star rockeuse d’Aérobic effréné  à la rappeuse, ou de la diva danseuse gorillant divinement  un air d’opéra aux  plus inénarrables facéties oscillant entre pitrerie et poésie.

    Bref, c’est une artiste d’une formidable originalité qu’Eugénie Rebetez, Gina sur la scène, qu’on peut voir ces jours à Yverdon-les-Bains et ce jusqu’à demain soir.
     

    Gina1.jpgYverdon-les-Bains. Théâtre de l'Echandole, jusqu'au 3 décembre.

  • Ceux qui tentent leur chance

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    Celui qui hante les casinos désaffectés / Celle qui fume son Havane de gagnante sur le pont arrière du bateau à aube de retour d’Evian à Minuit sur l’eau à luisances de lingots / Ceux qui ont connu Yvonne Printemps en avril à Divonne / Celui qui tire le gros lolo / Celle qui a mis le feu à la Baraka / Ceux qui se regardent en traversant et qu’un camion renverse en amoureux / Celui qui claque son Euromillion en investissements affectifs / Celle qui a gagné un milliard rien qu’en se faisant concevoir dans l’bon plumard / Ceux qui ont plus d’acné que de chance ah mais c pô juste / Celui qui n’a jamais su qu’il avait une tante à héritage mais ce n’est pas grave vu qu’il est chanoine de l’Ordre des Capucins à pieds nus / Celle qui a tout légué au couvent avant de revenir aux affaires plus légère / Ceux qui ont des yeux en bille de loto qui ne leur valent aucune quine de faveur / Celui que Vladimir Volkoff (l’écrivain, pas le chapelier) appelait son porte-poisse à la chasse / Celle qui a cru enfourcher la Monture de la Fortune mais hélas Ménélas quelle désillusion l’attendait / Ceux qui piègent les héritières belges / Ceux qui se pointent à Pudong en s’exclamant « à nous deux Shangaï ! » / Celle qui pose devant la Shangaï Tower pour le tabloïd The Very Place To Be / Ceux qui se sont connus à l’Expo Universelle de Shangaï 2010 et se sont perdus de vue peu après / Celui auquel le nouveau parfum Terre d’Hermès donne une nouvelle densité existentielle au niveau du Projet / Celle qui a fait en octobre 2011 une gâterie à l’artiste dissident Ai Weiwei qui franchement ne se le rappelle pas / Ceux qui estiment que le potentiel acheteur de la masse chinoise est un océan à maximiser / Celui qui appelle sa conjointe Chance de ma Vie même s’ils sont restés prolos / Celle qui a consacré 13% de sa colossale fortune à faire ériger des statues à son chien Pinky / Ceux qui se sentent bien dans leurs containers de milliardaires retirés des affaires, etc.

    Image : Philip Seelen    

  • Ceux qui se consument

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    Celui qui se plaint pour se sentir exister / Celle qui a si mal aux cheveux qu’ils en tombent / Ceux qui savourent leur déprime / Celui qui se replonge dans Mars de Fritz Zorn « pour l’ambiance » / Celle qui n’arrive plus à sourire à son saladier / Ceux qui s’évitent dans leur deux-pièces sur cour / Celui qui se demande comment ramener le sourire de son Bouddha de plastique acheté à Conforama / Celle qui s’enferre dans une jalousie d’arrière-cuisine de McDo / Ceux qui ne rient pas vu qu’il n’ y a pas de quoi / Celui que tout accable sauf son Bonus de 2 millions / Celle qui se replie dans le tricot / Ceux qui diffusent des ondes froides genre allées de cimetière finnois le soir / Celui qui repique en ouvrant juste la fenêtre / Celle qui estime qu’à côté de la famine dans le monde son sort reste aussi enviable que celui du biscôme vers Noël / Ceux qui ne se plaignent jamais que des malfaçons d’artisans écervelés par la course au Bénef / Celui qui ramène le sourire de sa conjointe en l’appelant mon accorte babouins / Celle qui se voit dans le miroir déformé de l’ophtamologue alsacienne / Ceux qui se contentent même de ce qu’ils n’ont pas / Celui qui mendie un sourire à la mendiante / Celle qui a lu un peu de Saint Thomas à l'époque où elle doutait précise-t-elle / Ceux qui se donnent trois semaines pour se faire une idée sur la Théorie du Chaos / Celui qui se retrouve à la case départ imminent / Celle qui se réjouit quelque part d’avoir sa photo dans la page des avis mortuaires / Ceux qui sont encore pleins de feu dans la chapelle ardente, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui sont performants

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    Celui qui se top-manage au fitness HyperForme / Celle qui a complètement intégré l’organigramme de l’Entreprise y compris la pause-méditation réglementaire / Ceux qui maximisent le potentiel Bologne de leur fils Laetitia / Celui qui prend la pole position des notaires de Douala / Celle qui dit tout haut que le cul du nouveau chef de projet la fait juste bander / Ceux qui laissent le Boss gagner au squash / Celui qui soutient le moral de sa mère grabataire en lui confiant ses projets d’investissement sans préciser qu’ils sont à risques / Celle qui couche utile et lit futile / Ceux qui tuent à crédit / Celui qui a tout donné à l’Entreprise déduction faite de ses Bonus / Celle qui stresse sur sa note de frais en pensant aux Difficultés de l’Entreprise / Ceux qui affirment que l’argent n’est pas tout après répartition du butin / Celui qui a planqué le magot dans la statue du Chinois lettré / Celle qui fait autopsier le banquier défunt pour vérifier qu’il n’a rien caché à l’Hoirie / Ceux qui enterrent le SDF avec son porte-monnaie vide / Celui qui a tout misé sur le plan couilles-en-or / Celle qui mord dans la pomme d’or de la Réussite et y perd une dent de devant qui va lui coûter un pivot ou une couronne ça c’est sûr / Ceux qui ont tout raté et s’en vantent sans m’en imposer pour autant à moi le Malgache pentecôtiste / Celui qui croit prendre en otage l'épouse du millionnaire alors que ce n’est que la femme de ménage qui essayait les toilettes de Madame dans la dressing-room de la Villa Pandora / Celle qui affirme que même dans le brouillard elle trouvera le chemin de la Banque / Ceux qui font dans le trafic d’organes en érection / Celui qui gerbe en plein Audit / Celle qui se contente de ce peu qui ferait quand même vivre un village bantou pendant treize mois / Ceux qui ont vu leur fortune fondre comme neige au soleil et le soleil s’éteindre et la salle de cinéma prendre feu donc y sont tous morts sauf moi qui vais raconter ça au Tabloïd et ça va cracher le dinar ça j’te garantis / Celui qui garde le Cap Canaveral au niveau sexe / Celle qui se réveille après la mort dans un gourbi de la Rue Paradis genre crade à concierge teigneux / Celui qui sait qu’il désigne une incommensurable Personne en prononçant les noms et prénom de Dieu et que lui-même fait partie de cette Personne et le chat et la chouette, le mulot et la mouette, le cendrier et le paletot, le rasoir dans la lumière du matin sur l’évier tartré, la sainte se grattant la cuisse, l’oiseau léger, le serial killer dans sa cellule du Couloir Noir, son encre verte et ses calames, enfin tous ceux qu’il aime faisant eux aussi partie de cette Personne dont le nom de code est Dieu ou ce que vous voudrez les enfants si le nom de Dieu ne vous dit rien / Celle qui se dit athée comme un pélican se dirait bec dans l’eau / Ceux qui ont fondé un journal financier spécialisé dans la Transparence et qui se trouvent bien avancés quand le crash qu’ils ont annoncé  advient en effet et ruine tous leurs clients - c bien fait / Celui qui établit la liste de ses créanciers à faire flinguer avant de repartir sur des bases plus saines / Celle qui a enfin trouvé le sex toy qui lui permet de crier « j’existe, j’existe ! » tandis que trépide  le métro aérien / Ceux que leur lucidité laisse intranquilles mais que leur âme immortelle empêche de désespérer, poil au nez, etc.

    Image : Philip Seelen 

  • Du muet qui parle au coeur

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    Lady L. et JLK ont aimé The Artist...

    On pouvait craindre, avec ce projet de revisiter le cinéma muet américain des années 20-30 et son déclin, la resucée nostalgique brassant les clichés complaisants, et pourtant c’est bien mieux que cela que The Artist, film épatant de Michel Hazanavicius, superbement construit et bonnement porté par le jeu de Jean Dujardin, justement récompensé à Cannes, mais aussi de Béatrice Bejo, subtilement craquante dansle genre glamour, et aussi - avant de parler des seconds rôles de premier rang, si l’on ose dire -, de l’adorable fox terrier dressé pilpoil au joli nom d’Uffy, dont les pitreries délicieusement cabotines rappellent l’inoubliable compagnon du tragique Umberto D…Dujardin1.jpg

    Dès l’ouverture du film, au sens bonnement musical puisque d’emblée la bande sonore émane de la fosse d’orchestre d’une immense salle de cinéma des années 20, avec chef à baguette, la mise en abyme annonce une intelligence de forme qui fera de tout le film, avec un scénario à l’avenant, un beau travail de cinéma aux plans souvent inventifs, pleins de clins d’yeux évidemment mais c’est aussi ça l’amour de l’art, jamais pesants pour au demeurant.

    Je l’ai déjà suggéré: les seconds rôles, notamment endossés par John Goodman en producteur paterne et James Cromwell en chauffeur compassé et fraternel, achèvent de donner une touche hollywoodienne à cette romance mélancolique d’un acteur vedette du muet du nom de George Valentin,  supplanté par les nouvelles stars du parlant, à commencer par la talentueuse Peggy Miller qu’il a « coachée » initialement et ne retrouvera qu’en fin de parcours, après diverses péripéties romanesques pas vraiment développées,  pour un pas de deux à claquettes qu’on ne dira pas non plus la séquence la plus légère du film – Jean Dujardin est certes bien plus intéressant ici qu’en O.S.S. 117, sans égaler Fred Astaire ou Gene Kelly pour autant…  

    Pas plus que d’Intouchables on ne parlera enfin de The Artist comme d’un grand film d’auteur, mais le plaisir, le charme, une pointe d’émotion sont au rendez-vous et ce n’est pas à «jeter » par les temps qui courent… 

  • La banquette des confidences

    Holder.jpgÀ propos du recueil de nouvelles Embrasez-moi, d'Eric Holder

     

    par Antonin MOERI

     

    Dans la brève préface aux sept magnifiques nouvelles d’Eric Holder que les éditions du Dilettante viennent de publier, l’auteur nous dit que le goût d’écrire lui est venu quand, au pensionnat, la nuit, il racontait aux copains des histoires de fesses. Il voulait les faire rêver, ses copains, jusqu’à ce qu’ils se croient avec Ambre, Marine ou Garance. Ici, dans ces nouvelles, le narrateur nous tient en haleine avec des histoires que d’autres lui ont racontées. Confident très attentif, il se souviendra de certains détails et, pour le reste, déploiera allègrement son imagination. «Lorsqu’il y avait des blancs, j’ai relié les pointillés».

    Sauf au début de la première nouvelle, où Youssef exhibe son chibre bleu en pleine classe («Touche, elle mord pas»), le narrateur n’est jamais le témoin oculaire des faits qu’il relate. Les moments d’embrasement passent toujours par un ou une intermédiaire. Francis lui parle de Cathy dans un boui-boui, Charles évoque Marie sur la banquette d’un train, Aurore parle de Pawel dans un bar à champagne, Laetitia chuchote le récit de ses ébats avec Virgile dans un salon du livre. Ces moments d’embrasement sont somptueux. Rien de triste ou de déprimant dans la mise en scène de ces minutes où tout bascule dans l’inconnu, quand le coeur bat trop vite, qu’on va se désagréger, que l’organe se présente inopinément avec une violence de bagarre de rue, et que le mouvement s’accélère. «Il part de ses épaules, dévale le long du dos, surélève sa croupe, avant de s’arrêter sur un volcan».

    Les descriptions pourraient rappeler celles de Sade, mais sans leur monotonie. Le lecteur y sent une jubilation plutôt rabelaisienne ou henry-millerienne. L’intimité de la femme est explorée avec un empressement frénétique. Il y a de l’effarement quand les tétons s’érigent et que la pointe du dard élargit l’anneau «par degrés si discrets que lorsque, enfin, la majeure partie est entrée, à l’exception d’une nouvelle pluie d’étoiles sur son corps, Laetitia ne ressent rien de fâcheux, au contraire».

    Laetitia est une femme qui, à vingt ans, épousa un ingénieur deux fois plus âgé qu’elle. Elle vit dans une villa cossue, cultive des fleurs, organise des raouts et des séances de signatures dans les salons du livre, c’est le genre de femmes qu’on serait tenté de ridiculiser, d’épingler sur une tablette en tant que représentante d’un univers détesté. Eric Holder procède différemment. Sa Laetitia Bercoff, conseillère à la culture, il nous la présente avec ses chaussures plates, sa jupe plissée, «son brushing qui nous renvoie aux années soixante». Cette dame aime fréquenter les élus locaux, des comédiens, présidents, journalistes. Mais quand un employé municipal (nommé Virgile) lui offre ses services, elle ne saurait refuser. Elle révise avec lui le code de la route et saute de joie quand il obtient son permis de conduire.

    En aspirant le venin des guêpes qui ont piqué les cuisses de l’homme à tout faire, elle voit tout à coup l’anguille lever la tête. Le diamètre est impressionnant. «Elle constate qu’elle mouille - ce n’est pas tous les jours». Elle découvre l’habileté en la matière de Virgile et ses audaces qui font l’orage gronder dans sa tête. Ces transports, cette euphorie, cette torture sublime, Laetitia aura tout loisir de s’en souvenir sur la Piazza San Marco où, en compagnie de son mari, elle contemplera le célèbre dôme en sirotant un Campari.

    Laetitia aura connu ces minutes au cours desquelles «les flots s’agrandissent aux dimensions d’un océan». Elle les aura connues dans les bras d’un imbécile heureux, droit dans ses bottes, prêt à cogner s’il le faut. Là encore, j’exagère, car le Virgile de Holder n’est pas exactement un imbécile, «il ne manque que d’un cheveu d’être crétin». Dans sa tête «circulent des pensées finaudes, rouées, madrées, des calculs de paysan». Je crois que c’est la leçon d’Eric Holder: on a vite fait de classer les gens. Un écrivain comme lui laisse sa chance à chacun de ses personnages. N’est-ce pas la marque du nouvelliste de valeur?

    Holder3.jpgERIC HOLDER: Embrasez-moi, Le Dilettante, 2011

    Ce texte est à paraître dans la prochaine livraison du Passe-Muraille, de décembre 2011.

  • Ceux qui parlent en rêvant

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    Celui qui ne supporte plus la crétinisation ambiante / Celle qui se débat dans son gobelet vide / Ceux qui sentent le sol se dérober sous leur trépas / Celui qui se raccroche à l’Euromillions / Celle qui se raccroche à Que du bonheur la série bantoue / Ceux qui déjouent le Rejet / Celui qui se reconstruit avec du matériau de récupe / Celle qui ne peut plus se sentir / Ceux qui plient mais ne rompent point barre / Celui qui se sent au bord du gouffre et en reste là / Celle que le franc lourd ne rend pas plus légère / Ceux qui changent l’eau des poissons en attendant le tsunami / Celui qui en perd son grec / Celle qui pare au plus stressé / Ceux qui repartent comme en 29 / Celui qui dit qu’il l’a toujours dit / Celle qui déclare à son chat Mutin qu’il va falloir se serrer la ceinture / Ceux qui font face profil bas / Celui qui reprend un bol d’air entre deux réus / Celle dont la mise en plis laisse à désirer ce que lui fait observer la secrétaire de direction par mail / Ceux qui persistent et saignent / Celui que ses rêves ramènent à la Réalité / Celle que ses rêves embellissent sur l’oreiller / Ceux qui notent leurs rêves / Celui qui rêve qu’il rencontre trois jeunes filles dans les jardins de la Colonie de Vacances / Celle qui a une robe d’un jaune bouton d’or à nuance orangée / Ceux qui se réunissent au fond du jardin de la colonie pour entendre jouer la claveciniste en robe mauve / Celui qui tombe amoureux en rêve / Celle qui se dit en rêve que somme toute elle s’aime bien comme elle est / Ceux qui résistent à la grossièreté du monde par la grâce de leur vie onirique / Celui dont la vie onirique est une série d’enchantements volatils / Celle qui apparaît dans tes rêves sous le signe de la Fantaisie / Ceux dont les rêves se déploient en frises théâtrales dont l’érotisme subtil évoque les romans de Ronald Firbank / Celui qui invente les rêves qu’il raconte à son amie psy dont le manque d’imagination l’a toujours peiné / Celle qui a toujours redouté l’humour souvent obscène des rêves à caractère érotique dont elle ne trouve pas de clef dans la lecture freudienne / Ceux qui redécouvrent leur beauté intérieure au fil de rêves d’une stupéfiante inventivité compulsive et sublimatoire enfin vous voyez le genre / Celui qui rompt le cycle infernal dans lequel il avait cessé de rêver / Celle qui a cru rencontrer une réincarnation de Jean Paul Richter dans les jardins de la Colonie alors que c’était simplement Hervé le Letton le fameux slameur néo-punk / Ceux qui se réveillent avant l’aube et sourient dans le noir, etc.

    Image: avant l'aube, mise en abyme...

  • Message "téléphoné"

     

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    Retour sur Klatch avant le ciel, de Nancy Huston, en création au Théâtre Kléber-Méleau, Lausanne-Renens.

    On devrait être secoué à la sortie du théâtre Kléber-Méleau, ces jours, où se donne Klatch de Nancy Huston, mise en scène en création par Philippe Mentha qui tient aussi, non sans héroïsme, le rôle–titre. La pièce se veut en effet dérangeante. Contre la domination masculine sous tous ses aspects, du mec quelconque à Dieu le Père. Contre la servitude féminine plus ou moins volontaire. Plus précisément en l’occurrence : contre l’auto-adulation pleurnicharde de l’Artiste-mec, puisque le protagoniste est un vieux comédien à l’hosto dont on va revivre toute la trajectoire  après une première double allusion grinçante à Fin de partie et Oh les beaux jours de Beckett : « Encore une journée divine… »

    Retour donc à l’enfance de Klatch soumise à l’autorité de Maman. À sa vocation théâtrale en butte  à la rivalité d’une première épouse actrice, prénom Sarah, qui le largue avec la petite Clara pour sa propre carrière. À un nouveau « pacte » avec la très catholique Hortense, bientôt en butte à l’athéisme de la jeune Clara. Laquelle adulera Papa avant de s’émanciper, socialement et sexuellement, pour balancer au vieux grabataire un réquisitoire de tribade féministe « qui s’assume ».

    Or sort-on « secoué » de tout ça ? Pas vraiment. Faute d’incarnation. Passant au théâtre, la romancière poreuse qu’est Nancy Huston, si sensible aux nuances humaines dans Dolce agonia ou Lignes de failles, cède un peu trop le pas, ici, à la « femme libérée » impatiente de délivrer des messages. Par trop « typés », les personnages passent d’une situation à l’autre au fil de situations convenues voire improbables. Ainsi de la relation entre Klatch et la pauvre Hortense (Danielle Borst), décidément caricaturée. On rit un peu. On n’est jamais vraiment ému. Festival de citations, Klatch convoque une flopée de grands auteurs et de paroles « à graver », mais le verbe de la pièce elle-même, souvent forcé, s’effiloche en words, words, words…

    Suite de tableaux qu’articule une sorte de tourniquet artificiel d’entrées-sorties, la pièce ne manque certes ni d’observations en matière de guerre des sexes (mais après Ibsen et Strindberg…) ni de tirades de bravoure, jouant en outre sur quelques morceaux chantés  à la Brecht, excellemment modulés par Pascal Auberson. Lequel signe aussi la musique du spectacle - la note du maître de chant sera meilleure pour ces dames que pour le Monsieur, mais passons. Côté scénographie, c’est du Jean-Marc Stehlé « maison », solide, efficace, esthétiquement accordé à l’objet.  Pour l’interprétation, Philippe Mentha se « donne » à fond dans un personnage d’humilié multifaces, autant que les comédiennes (Danielle Borst en Hortense, Chloé Réjon excellente en Sarah et Clara, et Catherine Schaub-Abkarian en infirmière et en mère) dont les personnages dorlotent ou chahutent le pauvre Klatch…

    Lausanne-Renens. Théâtre Kléber-Méleau,. Réservations: 021 / 625 84 29.

  • Le biscuit, le biscuit !

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    Notes passées et présentes

    Le Journal atrabilaire de Jean Clair m’intéresse, sans me captiver pour autant. Du moins y a-t-il  là-dedans les réflexions d’un honnête homme un peu ronchon, dont certaines méritent d’être relevées.  « Toutes les femmes que j’ai connues aimaient, sans mesure, prendre un bain», écrit ainsi Jean Clair, qui oppose le bain des femmes à celui des hommes, que l’«atavisme immémorial» de ces dames «n’aura pas cessé de fournir l’un des beaux thèmes de l’iconographie occidentale, de la Suzanne de Rembrandt à la Marthe de Pierre Bonnard. S’il rend justice au genre parfois décrié du journal intime, en soulignant sa valeur d’affirmation de l’unicité de l’individu, Jean Clair ne marine pas pour autant dans le nombrilisme: moins froid que le journal «extime» d’un Tournier, son ouvrage est à la fois tout personnel (notamment à propos et son enfance ou de sa solide souche populaire) et largement ouvert au monde actuel dont il vitupère la décadence et les travers significatifs (comme la passion des calembours dans les titres de journaux, la jobardise pseudo-intellectuelle ou pseudo-moderne, la manie des acronymes ou l’anti-tabagisme primaire…), pour mieux défendre, comme dans ses fameuses Considérations sur l’état des beaux-arts, ce qui précisément, vie et culture organiquement fondus, nous tient debout, nous fait respirer et nous émerveille, comme telle pigeonne pondant un œuf d’albâtre…

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    Puis-je vraiment tout dire ? Et cela a-t-il un sens ? Et d’abord qu’est-ce que ce tout ? Ce qu’on ne dit pas se réduit-il à ce qu’on n’ose pas dire, ou ce qu’on a choisi de ne pas dire par respect humain ou pour d’autres motifs aussi légitimes ? Et ce qu’on ne dit pas n’est-il pas simplement indicible ? 

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    Léautaud8.JPGEn reprenant la lecture du Journal littéraire de Paul Léautaud, comme souvent à travers les années, depuis plus de trente ans, je me sens à la fois très proche de ces notations si limpides et si libres, d’un esprit si vif et d’une expression si naturelle, tout en me situant à l’opposé de sa position d’égotiste aux curiosités par trop étroites, dont l’horizon ne dépasse guère le pourtour de l’île-de-France, ni la profondeur de son encrier. Au demeurant, restant lui-même et farouchement, Léautaud ne m’intéresse pas moins à tout coup pour la justesse et la sincérité de tout ce qu’il note, et sa phrase seule a quelque chose de salubre et de revigorant.

     

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    Vernet40.JPGLa beauté est à mes yeux l’image entrevue, de loin en loin, d’un monde plus harmonieux dont il émanerait une sorte de musique ou de prémonition physique et métaphysique de cette réalité supérieure, à la fois apaisantes et nous sortant de notre état contingent et mortel, en résonance avec d’invisibles sphères.

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    Le besoin de réparation me préoccupe de plus en plus, dans le sens où l’entendait Francis Ponge: que le poète prend dans son atelier des objets pour les réparer; et j’ajouterai que le poète se répare lui-même en procédant à ce travail.

     

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    Je me sens à l’âge où les âges s’empilent tout en communiquant, ainsi ai-je toujours «plus ou moins vingt ans» et trente-cinq ou cinquante, parfois dix-sept, plus rarement quinze ou six. Suis-je la somme de tous ces avatars ou leur juxtaposition dans autant de vases plus ou moins communicants? Je ne sais trop ce que «je» suis au total, et s’il est important de le savoir. Suis-je en outre le même aujourd’hui, aux yeux des autres (et quels autres serait une autre question) que j’étais à leurs yeux il y a dix ou vingt ans? Ce dont je suis sûr, c’est que mes douleurs articulaires, ce matin, m’en font baver et que ce n’est pas «un autre» qui les endure.

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    Cavalier7.jpgAlain Cavalier a choisi de filmer, dix ans durant, seul et toujours en son direct – excluant donc toute retouche et toute pièce rapportée -, la vie qui va au jour le jour: son père cadré en gros plan qui râle contre sa mère, sa femme revenant de biopsie dans le troquet bruyant où il l’attend tout anxieux, une mendiante voilée de noir à plat ventre sur les Champs-Elysées, la pluie fusillante sur le bambou de la cour, les vers se tortillant qu’on offre au corbeau, un ami jouant Bach sur le rythme des cloches voisines, le couple se racontant ses rêves au réveil, le dos de sa femme, ses pieds à lui qu’observe son petit-fils, les lumières de chaque saison, un hommage funèbre amical à l’ami Claude Sautet dans le cabinet turc d’un bistrot, ce qu’on appelle les choses de la vie mais révélée à tout coup sous une lumière nouvelle par le jeu combiné de l’image et de la «rumeur» captée dans l’instant.

    Quand il m’a rejoint hier, après la projection, débarquant d’Aubervilliers où il filme tous les matins l’homme-cheval Bartabas, Alain Cavalier me semblait juste sorti de son film, ou bien c’était moi qui venais d’y rentrer, et la petite poule de soie picorait sa salade à nos pieds avant que Madame, absentée un moment, ne revienne avec un livre consacré à Tchernobyl pour nous montrer, furieuse, le petit cheval à sept pattes qui s’y trouvait photographié.

    La vie immédiate, mais recadrée, ressaisie par un regard unificateur, le tout-venant des jours requalifié par la poésie d’une mise en forme: voilà à quoi rime Le filmeur, et ça continue à l’instant: à l’instant il y a, sur la place Saint-Michel de cette fin de journée, une lumière gris argent qui n’est que de Paris au printemps, quand il fait chaud et froid, il y a là-bas plein de jeunes gens de partout qui se retrouvent et c’est la bonne vie dont mes pauvres mots ne retiennent que d’infimes bribes…

     

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    Quignard3.jpgCes phrases relevée à la lecture de Villa Amalia de Pascal Quignard : «L’air de Paris sentait son odeur si particulière, putréfiée, charcutière, mazoutée, épouvantable». - «C’était une femme entièrement à sa faim, à son chant, à sa marche, à sa passion, à sa nage, à son destin». - «Ceux qui ne sont pas dignes de nous ne nous sont pas fidèles». - «Le chagrin est plus ancien et presque plus pur en nous que la beauté». - «C’était une petite enfant dont le visage était la nostalgie même». - «Les œuvres inventent l’auteur qu’il leur faut et construisent la biographie qui convient». - «Cela sentait la pluie, la laine mouillée, la craie, la poussière, l’encre fade, la transpiration très aigre des jeunes garçons». - «En vieillissant je suis devenue butineuse».

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    Les Japonais avaient leur pèlerinage de poètes comme les musulmans ont celui de La Mecque ou les chrétiens les chemins de Compostelle, qu’ils appelaient la Route du Tôkaidô, reliant en cinq cents kilomètres les deux capitales de Kyoto et d’Edo.

    Tokaido.jpg«Ce n’est pas pour son grand rôle politique que cette route nous est connue», écrit Pierre Michon dans la belle préface au recueil de chroniques que Pierre Pachet a publié sous le titre de Loin de Paris, «mais parce que, une fois au moins dans leur vie, les lettrés se sentaient tenus d’emprunter cette route, et d’y méditer à leur façon sur chacune des cinquante-trois étapes qui la jalonnaient. Ils s’y remémoraient tel poème, y voyaient tel arbre, tel oiseau, telle auberge que leurs prédécesseurs avaient mentionnés; ils versaient à l’endroit convenu les larmes qu’un très ancien poète avait versées; il leur arrivait d’attendre longuement à une étape que le vent se mette à souffler dans la direction exacte décrite cent ans plus tôt, et qu’il emporte cette feuille de pêcher qu’il avait emportée cent ans plus tôt. Leur cœur alors se serrait sans qu’ils sachent pourquoi, disaient-ils, ils reprenaient leur bâton et allaient se serrer le cœur à l’étape suivante. Parfois même ils avaient une émotion nouvelle que les anciens n’avaient pas eue, saisissaient une conjonction inédite d’arbre et d’oiseau et de saison. Et ceux qui venaient après eux en faisaient usage ».

    Sur une voie de la mémoire rappelant la route du Tôkaidô, Pierre Michon se rappelle deux ou trois choses qu’il doit à Pierre Pachet, et par exemple de lui avoir commenté un fragment d’Héraclite et de lui avoir appris à reconnaître les corneilles mantelées.

    Le fragment d’Héraclite est celui-ci: « A Triène vécut Bias, fils de tentamès, qui avait plus de part au logos que les autres». Alors Pierre Michon de s’interroger: «Est-ce que ce Bias parlait plus justement ou véridiquement que les autres? Est-ce qu’il avait un plus grand éclat dans le discours des autres, une plus grande réputation? Est-ce que ça veut dire, demandai-je, que Bias est beau parleur ou qu’on parle bien de lui?» Et Pierre Pachet de répondre: «Non, non, c’est sûrement autre chose. Héraclite n’aurait pas déplacé son gros cul pour si peu».

     

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    Ikiru1.jpgNotre Tôkaidô est l’univers. A Tokyo les oiseaux m’ont conduit dans le jardin public où pleurait le vieil homme du sublime Vivre de Kurosawa, des chèvres m’ont rappelé dans les Langhe l’âcre odeur de certaines pages de Travailler fatigue de Pavese, à Sils-Maria mon cœur s’est serré le long du lac de cristal dont les eaux m’ont rappelé La montagne magique, à Soglio m’est revenue la voix grave de Pierre Jean Jouve, et de stations en stations ainsi je pourrais refaire à l’instant ma route du Tôkaidô sans me bouger plus qu’Héraclite. Ainsi le Tôkaidô est-il le chemin de nos Riches heures, et tous les possibles se concentrent en celle-ci, d’avant l’aube…

     

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    L’écrivain, l’artiste veut son biscuit. Marian Pankowski me l’avait dit une fois à sa façon apparemment cynique et si pertinente à la fois : que tout écrivain et tout artiste est un caniche qui saute comme un fou dès qu’il sent le biscuit : « Le biscuit, le biscuit ! » 

     

     

  • En mémoire de Claude Delarue

     

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    Hommage posthume à Paris, jeudi soir.

     

    La disparition récente de l’écrivain, dramaturge et essayiste Claude Delarue, mort le 21 octobre dernier des suites d’une opération de greffe cardiaque, est restée assez discrète, à l’image de l’homme. Or cet auteur très fécond, au talent de romancier accompli, n’en avait pas moins été largement reconnu, tant à Paris, où il était établi  depuis une quarantaine d’années, qu’en Suisse où il reçut une dizaine de prix littéraires de premier rang. Pour honorer sa mémoire, son épouse Pascale Roze, elle-même romancière (prix Goncourt 1996), la Société des Gens de Lettres et les éditions Fayard, se réuniront ce soir à 19h.  à l’Hotel de Massa. Pierrette Fleutiaux y fera l’éloge de l’écrivain, dont Yasmina Reza lira ensuite des extraits de ses livres. Parmi ceux-ci, rappelons le titre d’un de ses meilleurs romans récents, Le bel obèse, (Fayard, 2008) évoquant un Marlon Brando vieillissant sur une île nordique. Cette superbe plongée dans les méandres affectifs et « tripaux » d’un géant aux pieds d’argile, aura sans  marqué l’un des sommets de l’œuvre, à laquelle notre consoeur Isabelle Martin a consacré l’an dernier un essai intitulé justement La grandeur des perdants (Zoé, 2010).

     

    Parmi la trentaine des autres ouvrages de Claude Delarue, l’on peut rappeler aussi L’Herméneute (paru àL’Aire en 1982 et adapté au cinéma sous le titre Le livre de cristal), Le dragon dans la glace (superbe roman « alpin » à la Dürrenmatt, paru chez Balland en 1983), La chute de l’ange (Zoé, 1992) ou encore La Comtesse dalmate et le principe de déplaisir (Fayard, 2005).

     

    Né en 1944 à Genève, musicologue de formation, Claude Delarue avait roulé sa bosse (un an dans la bande de Gaza pour le CICR) avant de s’établir à Paris où il fut directeur littéraire chez Flammarion et conseiller d’autres éditeurs. Grand connaisseur de musique (Vivre la musique, Tchou 1978), il avait également signé trois pièces de théâtre Parallèlement à son œuvre de romancier, l’essayiste avait publié plusieurs essais (tels Edgar Allan Poe, scènes de la vie d’un écrivain (Seuil, 1985) et L’enfant idiot : honte et révolte chez Charles Baudelaire (Belfond 1997) témoignant de sa double qualité d’homme de vaste culture et d’observateur pénétrant du cœur humain.

     

     Paris. Hôtel de Massa, 38 rue du Faubourg Saint-Jacques, Paris XIVe, le 10 novembre à 19h.

     

      

     

  • De l'intimité cosmique

     

    medium_Sebald0003.3.JPG En lisant Séjours à la campagne de W.G. Sebald

    Il faut écrire entre le cendrier et l’étoile, disait à peu près Dürrenmatt, et c’est la même mise en rapport, sur fond d’intimité cosmique, que je retrouve aussitôt dans l’atmosphère même, enveloppante et crépusculaire, du recueil posthume de W.G. Sebald consacré à sept écrivains et artistes ayant pour point commun d’associer le tout proche et le grand récit du temps ou de l’espace, comme l’illustre immédiatement cette splendide évocation du passage de la comète de 1881 sous la plume de Johann Peter Hebel, walsérien avant la lettre : « Durant toute la nuit, écrit-il, elle fut comme une sainte bénédiction vespérale, comme lorsqu’un prêtre arpente la maison de Dieu et répand l’encens, disons comme une bonne et noble amie de la terre qui se languit d’elle, comme si elle voulait déclarer: un jour, j’ai aussi été une terre, comme toi pleine de bourrasques de neige et de nuées d’orages, d’hospices, de soupes populaires et de tombes autour de petites églises. Mais mon heure dernière est passée et me voici transfigurée en céleste clarté, et j’aimerais bien te rejoindre mais n’en ai point le droit, pour ne pas être de nouveau souillée par tes champs de bataille. Elle ne s’est pas exprimée ainsi, mais j’en eus le sentiment, car elle apparaissait toujours plus belle et plus lumineuse, et plus elle approchait, plus elle était aimable et gaie, et quand elle s’est éloignée, elle est redevenue pâle et maussade, comme si son cœur en était affecté »…
    Cette comète qui passe là haut et nous regarde avec mélancolie m'a fait penser au saint de Buzzati qui regrette de ne pouvoir tomber de son encorbellement de nuée et de rejoindre les jeunes gens en train de vivre de terribles chagrins d’amour dans les bars enfumés de la planète, mais une autre surprise m’attendait au chapitre consacré à Robert Walser, mort dans la neige un jour de Noël, comme mon grand-père, et la même année que le grand-père de Sebald, en 1956. Ces coïncidences ne sont rien en elles-mêmes, à cela près qu’elles tissent un climat affectif et poétique à la fois, participant d’une aire culturelle et de trajectoires sociales comparables. Or le portrait du grand-père de Sebald m'a replongé en plein Walser, autant que mes souvenirs du petit homme, drillé au Ritz de Paris, parlant sept langues et finissant sa vie en colporteur à bicyclette, que fut mon Grossvater... 

    Dans les Promenades avec Robert Walser, Carl Seelig évoque cette Suisse à la fois paysanne et populaire, pieuse et sauvage, souvent instruite par les multiples voyages de l’émigration (la Suisse du début du siècle était pauvre, mes quatre grands-parents se sont connus en Egypte où ils travaillaient dans l’hôtellerie), et marquée, comme l’Allemagne du sud, par le mélange des cultures et l’esprit démocrate, l’utopie romantique et le panthéisme, qu’on retrouve dans les univers parcourus par W.G. Sebald.

    Celui-ci prolonge aujourd'hui la tradition des promeneurs européens qui va de Thomas Platter, le futur grand érudit descendu pieds nus de sa montagne avec les troupes d’escholiers marchant jusqu’en Pologne, à Ulrich Bräker le berger du Toggenburg qui traduira Shakespeare, ou Robert Walser se mettant « pour ainsi dire lui-même sous tutelle », comme l’écrit Sebald, sans cesser de griffonner de son minuscule bout de crayon sous les étoiles…


     W.G. Sebald. Séjours à la campagne. Actes Sud.

    Portrait de W.G. Sebald: Horst Tappe.

  • De touchants Intouchables

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    Une pinte de tendresse et de verve à partager

    On n’acclamera pas le énième chef-d’œuvre, on n’aura pas la cuistrerie de comparer Intouchables des compères Toledano et Nakache aux grandes comédies du 7e art, et pourtant c’est de l’artisanat de haute volée, aux mouvements puissamment enlevés, au rythme soutenu, aux cadrages alternant superbement grands espaces ouverts et retraits intimes, au dialogue ciselé pilpoil pour des personnages consistants et subtils, à l’interprétation en force ou en délicatesse mais jamais trop démago – bref c’est un bel et bon film d'aujourd'hui que cette adaptation cinématographique de l’histoire vraie de Philippe Pozzo di Borgo où François Cluzet, jouant des seuls traits de son visage et des intonations de sa seule voix, et l’irrésistible Omar Sy, mêlant drôlerie et gentillesse, font merveille au premier plan sans occulter pour autant quelques dames adorables ou quelques bourgeois calamiteux au deuxième plan.

    Intouchables3.jpgC’est entendu : le thème du handicap est traité ici de façon si non convenue qu’elle devient presque convenue (le richissime bourgeois cloué sur sa chaise et le beau Black des banlieues sans commisération, ça pourrait même puer la convention dilatoire), et pourtant ce film littéralement tissé de clichés, aux saillies satiriques non moins téléphonées (sur les soignants, l’art contemporain, les goûts musicaux qui se télescopent ou les dérives de la novlangue plus ou moins branchée)  ne nous vaut pas moins une formidable  pinte de belle humeur et de tendresse, avec une tas d'observations fines dans la foulée -  donc merci la compagnie, on ne va pas chipoter sur un tel plaisir...  

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  • Ceux qui maraudent

     

     

    Panopticon11120.jpgCelui qui grappille dans les vignes du Seigneur / Celle qui se nourrit principalement de produits importés par la firme dans laquelle elle est employée surnuméraire / Ceux qui se contentent d’une Ope Cup Saké avant de se mettre au lit dans leur tenue de nuit / Celui qui laisse son toutou Tom jouer sur le tatami de Tina la tatouée / Celle qui se douche à l’eau glacée entre un morceau de Stockhausen et le suivant de Schnittke / Ceux qui pagaient au rythme de la pendule tenue bien droite à l’arrière de la pirogue / Celui qui réprouve la pratique des garçons d’extrême-droite tirant à l’arbalète sur les marmottes pacifistes du haut Toggenburg / Celle qui met à fond les amplis pour chanter Saison des amours au karaoké face à la mère qui roule sa houle / Ceux qui vont exprès à Washington D.C. pour voir les Bonnard de la collection Philips / Celui qui s’exclame avec son crâne accent genevois : bravo bonnard vive Calvin ! / Celle qui aimait bien entendre Bouvier dire bonnard quand il avait le moral donc pas très souvent / Ceux qui font leur miel des faits divers du journal Le Matin dit plus souvent le Tapin / Celui qui lit debout dans le métro de Yokohma le manga sadique du père qui frit debout aussi sa fille à la poêle après l’avoir découpée en fins morceaux / Celle qui estime que le Japon doit être tenu à l’écart de l’Europe Unie / Ceux qui planchent sur la relance du dinar grec / Celui qui prétend avoir eu un rapport oral avec Limonov mais c’est pile le genre du type à se vanter un lendemain de Renaudot ou de Toussaint / Celle qui n’écoute pas ceux qui lui parlent mais eux non plus / Ceux qui estiment de leur devoir de lancer sur Facebook une association des homonymes Duclou / Celui qui a envoyé des messages à 6 homonymes Delaclope sans réponse à ce jour / Ceux qui ont une pensée émue chaque matin pour leurs 666 amis de Facebook aux prénoms variés / Celui qui est sûr de récolter 666 « j’aime » quand il colle une photo de myosotis sur Facebook / Celle qui « partage » toujours les photos de myosotis ou de hamsters malicieux sur son profil positif / Ceux qui ont passé de Facebook à Twitter pour protéger la confidentialité des révélations de leur cousine championne de canasta / Celui qui convoite le badge de meilleur joueur sur la nouvelle console japonaise du bar La Baraka / Celle qui constate avec inquiétude que le badge que portait hier son fils est le même qui a été retrouvé à côté de l’écureuil égorgé dont parlent ce matin les tabloïds / Ceux qui concluent après les derniers événements qu’après ça on ne sait plus où on va au jour d’aujourd’hui / Celui qui sa tatoue le torse au sang de bigarreaux / Celle qui se cueillait des bécots aux lèvres des voyous du quartier avant l’extinction de la race hélas / Ceux qui descendent la rivière de Grapillon / Celui qui palpait à douze ans déjà les nichons sans bonnets / Celle qui choisit les plus beaux morceaux des charcutiers charnus / Ceux qui rôdent toujours dans les vergers de leur adolescence de sauvageons, etc.

    Image : Philip Seelen.   

  • Le Goncourt et après...

     

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    Un siècle et de poussières après l’attribution du premier prix Goncourt à John-Antoine Nau, pour son roman Force ennemie, qui reçut la somme de 5000 francs des premiers académiciens avant d’être vite oublié, Alexis Jenni, lauréat du Goncourt 2011 pour L’Art français de la guerre, paru chez Gallimard, devra se contenter de 10 euros. Telle est la règle.

    Mais les 56.000 exemplaires déjà vendus de ce roman franco-français solidement charpenté,  qui sonde la mémoire de la France guerrière et colonialiste, pourraient bien se trouver décuplés ces prochains mois par ce prix géant qui éberlue positivement « l’écrivain du dimanche » lyonnais, comme il se présente lui-même, si la faveur du public et des libraires français suit le mouvement d’intérêt qu’a immédiatement suscité L’Art français de la guerre.

    Le prix Goncourt a souvent été critiqué pour les « magouilles » qui présidaient à son attribution, limitant les éditeurs papables aux trois enseignes de Gallimard, Grasset et Le Seuil (Galligrasseuil), et le fait est que l’on doute que les 600 pages serrées de Jenni, parues chez un éditeur de seconde zone, eussent jamais passé la barre.

    Or, ce qui est appréciable, en revanche, c’est que ce livre intelligent et de bonne foi, bien construit, intéressant pour tout ce qu’il dit de l’histoire occultée des guerres françaises, passe précisément la barre !

    Ce qu’on n’occultera pas, au demeurant, c’est la guerre économique qui se joue avec les prix littéraires. L’éditeur pavoise, mais des auteurs y ont laissé des plumes, comme Jean Carrère l’a raconté. Jacques Chessex, a contrario,  l’a bien vécu, avec un bon sens tout vaudois. On souhaite la pareille  à l’écrivain du dimanche lyonnais !

  • Bon pour le Renaudot !

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    Emmanuel Carrère, après Céline et Perec…

    D’aucuns avaient vu en Limonov, dernier roman-portrait d’Emmanuel Carrère consacré au zizanique écrivain-tribun russe, le lauréat idéal du Goncourt de cette année. Or l’attribution du Prix Renaudot à ce livre, certainement moins « grand public » que celui du lauréat du Goncourt, et publié à une enseigne moins influente, n’a rien d’infamant et confirme, après maints autres exemples, la vocation du deuxième grand prix de l’automne littéraire français à marquer la différence entre ce qu’on pourrait dire le « régulier », ce que les Anglo-Saxons appellent le « mainstream », et le plus « irrégulier ». C’est ainsi qu’en 1932, le génial Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, auquel on ne comparera pas le roman de Carrère, fut écarté du Goncourt mais gratifié du Renaudot, de même qu’en 1963 Le procès-Verbal de Le Clézio et, en 1965 les choses de Georges Perec, marquèrent l’histoire de ce porix qui n’a rien « de consolation ».

    Auteur en constante évolution, achoppant à la réalité brute avec une implication personnelle singulière, comme on l’a vu déjà dans L’Adversaire, ou de manière plus « faniliale » dans Un roman russe, Emmanuel Carrère, fils mal coiffé d’académicienne impeccable, poursuit une investigation passionnante, avec Limonov, dans les marges du « littérairement correct » qui l’ont déjà vu sonder les eaux troubles de Philip K. Dick…

    Bon pour le Renaudot !   

    Emmanuel Carrère. Limonov. P.O.L., 496p.