
Comptant au nombre des écrivains romands les plus appréciés du public, la romancière genevoise s’est éteinte dans sa 92e année.
«Quand je ferme les yeux, un petit cinéma se met en marche dans ma mémoire, je regarde des images en noir-blanc que je croyais effacées», écrivait Yvette Z’graggen dans Juste avant la pluie, dernier paru de la vingtaine de livres que compte son œuvre, abondamment prisée et primée en Suisse romande. Evoquant un premier amour sans lendemain avec un bel Allemand, à l’été de ses dix-huit ans, ce récit autobiographique entremêle tribulations personnelles et péripéties de l’Histoire du siècle passé, comme il en va de la plupart de ses ouvrages, dont les plus fameux : Un temps de colère et d’amour (L’Aire, 1980), Les années silencieuses (L’Aire, 1982), Cornelia (L’Aire, 1985), Changer l’oubli (L’Aire , 1989), La Punta (L’Aire 1992) ou Mathias Berg (L’Aire, 1995, best-seller en nos contrées avec plus de 60.000 exemplaires vendus).
Avec Alice Rivaz, Anne Cuneo ou la Lausannoise Mireille Kuttel, Yvette Z’Graggen aura particulièrement marqué la littérature romande de la deuxième moitié du XXe siècle par un regard socialement « engagé », au sens existentiel plus qu’idéologique, et un double regard incisif sur la condition des femmes, observée au fil des générations, et sur les «oublis » et autres dénis de notre mémoire commune, notamment dans les relations de la Suisse avec l’Allemagne. Son parcours personnel l’y aura aidée.
Née en 1920, fille d’un dentiste d’origine alémanique et d’une mère issue d’une famille viennoise, Yvette Z’Graggen vit ses parents endurer la crise économique et, dès 1941 et après la guerre, accomplit diverses missions pour la Croix-Rouge internationale en Italie et en Tchécoslovaquie. Parus en 1944, ses deux premiers romans, L’Appel du rêve et La vie attendait, évoquent la vie des jeunes gens qui avaient vingt ans en Suisse pendant la guerre, où les femmes ne sont pas reléguées au second plan.
«Mes sœurs de papier ne sont pas des féministes pures et dures, bien qu’elles aient vécu à une époque de militantisme, de révolution sexuelle », écrit encore Yvette Z’Graggem dans Juste avant la pluie. « Elles reflètent pourtant, chacune à sa manière, l’évolution de la femme pendant plus d’un demi-siècle. Elles ont essayé de combattre l’ignorance, l’hypocrisie, les préjugés qui régnaient encore à l’époque de leur enfance».
« Grande fraternité »
Très active dans le milieu culturel et littéraire romand, Yvette Z’Graggen fut une pionnière, à la Radio Suisse Romande, en sa qualité de productrice, de la défense et de l’illustration de nos auteurs alors qu’il n’était souvent de bon bec que de Paris. Touchant à tous les genres, du roman à la nouvelle, elle composa également de nombreuses pièces radiophoniques. Par delà la retraite, elle collabora encore sept ans durant avec Benno Besson à la Comédie de Genève. Maîtrisant parfaitement les langues allemande et italienne, Yvette Z’Graggen signa également diverses traductions, notamment de La Vallée heureuse d’Annemarie Schwarzenbach et des poèmes de Giorgio Orelli. Grâce à son fidèle traducteur, Markus Hediger, son oeuvre rayonne également dans les pays de langue allemande.
« C’est une grande Dame qui s’en va », relevait hier son éditeur et ami Michel Moret, directeur des éditions de L’Aire. « Heureusement, il nous reste ses livres écrits avec limpidité et toujours empreints d’une grande fraternité. »
Un temps de colère et d’amour
Sur la base de deux tranches de journal intime, Yvette Z’Graggen revisite son enfance à partir du reflet que lui en donne l’image de sa propre fille adolescente. Comparant les circonstances historiques, elle évoque aussi les relations qu’elle entretenait avec sa propre mère. Il en résulte un aperçu de sa jeunesse et de la Suisse de l’époque face aux totalitarismes.
L’Aire, 1980. Prix de la Bibliothèque pour tous ; Prix Alpes-Jura.
La Punta
Un autre très grand succès d’Yvette Z’Graggen : la plongée dans le rêve brisé des retraités petits-bourgeois qui espéraient gagner leur paradis dans un biotope idéalisé, sous le ciel clément de l’Espagne. L’histoire d’un couple genevois qui vit, de manière opposée, la liberté et la nouveauté de leur condition. À partir d’une observation crue des rivages bétonnés, l’empathie de la romancière se fait émotion.
L’Aire, 1992. Prix des auditeurs de la Radio suisse romande.
Matthias Berg
En juin 1994, Marie, vingt-quatre ans, observe un vieil homme qui jette du pain aux moineaux : Matthias Berg. Elle est venue de Genève, où elle est née, pour le rencontrer. Tandis que le face-à-face se prolonge, des voix se croisent dans la tête de Marie: elles lui racontent une histoire dramatique qu’elle n’a pas vécue, de sa grand-mère allemande, Beate, et celle d’Eva, sa mère, devenue Suisse mais qui n’a jamais pu se libérer du passé.
L’Aire, 1995


(Ce texte constitue l'ouverture de la nouvelle livraison du Passe-Muraille, No 88, d'avril 2012, dont la parution est imminente. Il est extrait du dernier livre de François Debluë, Fragments d'un homme ordinaire, à paraître à L'Age d'Homme)



Affects du paon. - Flannery O’Connor avait 27 paons, dont elle observait le choix des postures et des positions dans la poussière, sur un arbre ou sur un tas de fumier. « Un paon n’est accessible qu’à deux types d’émotion », écrit-elle à une correspondante qui s’apitoie à propos du handicap de l’un d’eux. Et de préciser: « Où trouver quelque chose à se mettre sous la dent et comment éviter ce qui pourrait le tuer tout en tuant lui-même ce dont il a besoin ».
(Ces notes sont extraites de Chemins de traverse; lectures du monde 2000-2005, à paraître ces jours chez Olivier Morattel)
Or Lambert écrit précisément ceci sur son cinquième feuillet que je recopie tandis que le ciel se découvre sur l’immense lac s’incurvant sous mes fenêtres à l’indifférence impériale des monts de Savoie aux vieilles neiges embrumées ce matin à la traditionnelle manière chinoise :
Curieusement, j’ai retrouvé cette pensée de vieille peau apaisée chez le jeune Quentin Mouron, avec lequel je parlais l’autre jour, sur le gazon du campus lacustre de l’Université de Lausanne où il bûchait par devoir sur la controverse opposant Lukacs et Adorno, en parlant simplement de sa lecture de Kant dans le désert de Joshua Tree, de ma lecture des Remarques de Wittgenstein à Passau, de sa lecture de L’été des sept-dormants de Jacques Mercanton dans un chalet des Alpes vaudoises, de notre lecture comparées des Deux étendards de Lucien Rebatet, de sa septième lecture de Madame Bovary dont la fin de Monsieur l’étreint toujours d’émotion, de ma lecture de Lumière d’août un après-midi d’été place Paul Verlaine à Paris où il commença de pleuvoir des gouttes chaudes sur mon livre, de sa lecture de Céline à Trona (California) enfin de ma lecture des Feuilles tombées de Vassily Rozanov au Pincio de Rome ou au jardin du Luxembourg ou à Central Park ou sur un banc de Brooklyn Heights ou dans une librairie tokyoïte du quartier de Kanda, et voici que je lui récite par cœur :
Marc Dugain, né en 1957 au Sénégal (cette année où nous avions dix ans et fauchions des San A à la kiosquière des abords du collège de Béthusy, dite La Nénette, avant de les lui revendre), est un écrivain qui fabrique ses livres avec un grand soin d’artisan fabriquant une chaise, une belle et bonne chaise (parfois électrifiée) où s’asseoir pour livre ses livres. Les littéraires le snoberont peut-être parce qu’il écrit clair et net, direct comme on cogne, et que son histoire frise le polar, sauf qu’elle tire plus vers Dostoïevski (que son protagoniste lit dans sa cellule) que vers le thriller standardisé des temps qui courent. Le roman « travaille » la vie réelle d’Ed Klemper, terrifiante histoire relatée par Stéphane Bourgoin dans un livre sur les serial killers qu’il faut lire aussi. Tout cela bien loin de Lambert Schlechter et de ses Chinois ? Pas du tout, car tout de la pensée pratique et de la poésie réelle se tient, n’est-ce pas ?


Quelques semaines auparavant, en effet, la lecture du premier livre de Quentin Mouron, Au point d’effusion des égouts, avait été mon plus grand bonheur de fin d’année. Je m’étais réjouis comme très rarement de rendre compte de ce livre dans les colonnes de 24 Heures et sur mes blogs, autant que je m’étais réjouis, en 1973, de publier mon premier livre à L’Age d’Homme. Je me sentais extraordinairement proche de ce youngster qui eût pu être mon petit-fils, déjà nous avions échangé une cinquantaine de courriels complices et souvent bien denses, et maintenant Quentin me disait : vas-y, fonce Alphonse, Morattel est un peu cinglé mais il fait son job. Donc je m’y suis mis : en trois mois j’ai bouclé ce nouveau livre à paraître dans quelques jours. J’ai laissé de côté mes rhapsodies qui n’étaient encore qu’un chantier, j’ai repris un ouvrage déjà pas mal avancé mais dont je ne voyais pas qui il pouvait intéresser, intitulé Le Souffle de la vie et constituant la suite, en plus largement polyphonique, de L’Ambassade du papillon, des Passions partagées et de Riches Heures.

De la formation des rêves, de la jobardise des intellectuels et des enseignements de Simon Leys. 
Avec Fukushima, récit d’un désastre, Michael Ferrier élève le témoignage au rang du grand art.


Montélimar, ce 14 janvier. - Passé l’après-midi à Grignan chez les Jaccottet, vingt-sept ans après notre première rencontre avec Emile Moeri, l’abbé Vincent et le peintre Pierre Estoppey, les facteurs de clavecins Wayland Dobson et son ami Jeannot l’oiseau. Ces gens sont à la fois avenants (elle surtout) et un peu pincés à la protestante (surtout lui), et la conversation, passée certaine crispation, est à la fois naturelle et intéressante, mais ce n’est plus la gaîté que je me rappelais.
Chez les Jaccottet. - C’est à la lumière, déjà, qu’on se sent approcher du lieu. Là-bas, au sud de Valence, lorsque la vallée du Rhône s’ouvre plus large au ciel et que les lavandes et les oliviers répandent leurs éclats mauve-argent dans les replis intimes d’un paysage encore montueux, à un moment donné l’on sent que la lumière à tourné et qu’on va retrouver un certain «ton» pictural et musical (au sens d’une peinture et d’une musique mentales mais sans rien d’abstrait) qui émane pour ainsi dire physiquement des livres de Philippe Jaccottet.

