
Où le vernissage le moins snob qui soit devient l’occasion de bonnes et belles rencontres, pour finir à une table qu’on eût pu situer en la rabelaisienne abbaye de Thélème ou dans les jardins de Tchékhov.
Nous avons vécu, en cette veille de la Pentecôte, une soirée parfaite. Cela se passait sur la terrasse d'un vaste chalet d'alpage incendié il y a quelques années par un malandrin non identifié, reconstruit plus beau qu'avant et faisant désormais office de buvette des bois, avec échappées vers les monts et les cieux entre les hauts sapins, au lieudit Creux-des-oies et sous le nom de Mossettes; et la s'étaient réunies une trentaine de personnes à l'occasion de la première exposition des peintures du dimanche d'une radieuse Africaine au prénom de Bibiane, épouse d'un éditeur taiseux.
Ni ma bonne amie ni moi-même en personne n'étant très mondains, évitant plutôt les vernissages snobs autant que les raouts d'écrivains ou le flatteur et le jaloux y vont de leur miel et de leur fiel, nous aurons été “déçus en bien”, selon l'expression typique de nos régions terriennes, par cette assemblée de bonnes gens (à ne pas confondre avec ce qu'on appelle “les gens bien”) dont une quinzaine étaient restées sur la terrassse sous le dernier soleil, juste pour ce plaisir et ce bonheur humains qu'ont célébrés, chacun à sa façon débonnaire ou tendre et pimentée d’humour, le Rabelais de l'abbaye de Thélème et l'ami commun à tous que figure Anton Pavlovitch Tchékhov.
La peinture du dimanche de Bibiane l'Africaine ne manifeste pas la moindre prétention au goût du jour ni le moindre complexe par rapport à la conceptualité du signifiant, se bornant à chanter, avec d'intenses couleurs aux associations très libres voire hardies, le concombre et le champ de coquelicots, l'artichaut groupant ses feuilles sur son secret et tel bouquet ou tel parterre de tournesols clignant de l'œil à un Vallotton ou a un Van Gogh. La peinture du dimanche (mais certes pas endimanchée) de Bibiane est du genre qui se mange des yeux et dont la musique candide rend notre silence intérieur plus beau; c'est une espèce d'oraison profane et même un peu sacrée sur les bords, bonne à plaire autant à l'athée en veste blanche et au pasteur protestant qui voisinaient à la table de la terrasse des Mossettes en cette fin de soirée parfaite.
Le premier type bien que j'aurai reconnu comme un ami possible à la première verrée, au profil busqué me rappelant celui de Chappaz, est né à Bienne comme Robert Walser (qu'il a traduit, à côté des aphorismes de Lichtenberg) et à enseigné la littérature à Fribourg comme l'élégant athée en veste blanche. Lorsqu'il m'a avoué qu'il lisait, et peut-être même appréciait, il y a quarante ans de ça, mes papiers de critique littéraire à la fribourgeoise Liberté, aux côtés du poète Frédéric Wandelère (ami de l’athée aux cheveux blancs), j'ai commencé de me sentir en bonne compagnie et ce n'était qu'un début vu que l'athée à veste et cheveux blancs, yeux très bleus et très belle compagne hongroise encore frémissante d'avoir rencontré par hasard Barack Obama dans un jardin de la ville d'eaux de Baden-Baden, quelques jours plus tôt, se révéla bientôt un aussi fieffé croyant en littérature que je le suis devenu entre quinze et seize ans, partageant mon goût pour les journaliers de Jouhandeau et de Léautaud, ma passion de toujours pour Cingria et Walser et mon goût pour les récits-romans merveilleux de Gerhard Meier, notamment. Je ne cite pas ces noms pour fait chic mais comme les fleurs d'un bouquet aux couleurs de Bibiane; et ce n’est pas pour le flagorner que je me réjouis ce matin de lire le premier roman de l’athée en veste blanche à paraître bientôt chez l’éditeur taiseux qui est aussi celui de mon vingtième livre, etc.

Nos femmes (à commencer par la mienne, de ça je suis garant à 99 o/o) nous gardent de l'égarement vaniteux qui nous menace tous plus ou moins en société, autant que les mâles bonobos roulant les mécaniques ou les poètes en mal de lauriers. Or l'assentiment sensible de ma bonne amie, en cette soirée parfaite, n'aura fait que me conforter dans le sentiment de reconnaissance irradiante suscité à la fois par la divine vision d'un immense poupon endormi (premier fils d'une jeune romancière aux yeux purs comme le ciel de Managua en début de journée, dont j’ai loué le deuxième roman paru tout récemment), la présence bienveillante de l'éditeur taiseux à l'esprit rassembleur, et la dernière conversation en compagnie d'un pasteur très discret jusque-là et qui s'est révélé un lecteur d'ancienne date de mon blog littéraire et un disciple d'un théologien incarnant à nos yeux la bonté sur la terre - et c’est pas gentil tout ça ?

Moi qui suis devenu très prudent en matière d'amitié, de plus en plus distant par rapport au Gros Animal de la société, et définitivement méfiant envers toute forme de faux semblant, j'ai aimé entendre, à la table de cette soirée parfaite, la femme du pasteur (ne me parlez pas des femmes de pasteurs !) évoquer la grande migration de nos gens d’Helvétie au lendemain de la Grande Guerre, vers les terres à travailler du Sud-ouest de la France, dont elle a d’ailleurs parlé dans un livre récent, comme j'ai aimé entendre telle autre dame dont j'ignore encore le nom, au parler clair et net et à l'esprit vif, se réjouir de voir sa fille de quinze ans la braver en prônant, à l'opposé de son éducation imprégnée de Vraies Valeurs, l'enrichissement rapide et à outrance, si possible dans le commerce de substances illicites ou même d’armes de destruction massive, prouvant ainsi que la vraie jeune fille de toujours a encore des ressources, avant ou après la descente de la colombe du Saint-Esprit sur nous tous, mécréants compris, ainsi soit-y.


























Celle qui s’obstine à prétendre que les Lumières n’ont rien à voir avec la Terreur révolutionnaire / Ceux qui constatent que les nonnes glabres ont statistiquement peu à voir avec les islamistes barbus / Celui qui propose au Gouvernement suisse la réquisition des cures protestantes vacantes et des lieux de tous cultes aux fins d’accueil des réfugiés et autres miséreux / Celle qui reconnaît que le jeune Palestinien Waleed Husseini n’a rien à voir avec l’islam ainsi que le prouve son site http://la-voix-de-la-raison.blogspot.com















En prévision de nos voyages, Lady L. s'occupe de tout. Je ne saurais en dire plus. Cela n'exclut pas mille surprises , et par exemple qu'un instant de distraction me fasse oublier mon laptop sur un quai ou qu'à un guichet elle se fasse délester de son portefeuille, mais la ligne de notre voyage est tracée comme celle d'un destin dans une main, et nous restons ouverts à toute bifurcation.



Le parc zoologique de San Diego est considéré comme l'un des plus beaux du monde, et c'est vrai que cet immense jardin d'Eden en pleine ville, cette jungle que survole un téléphérique aux nacelles bleues et dont on remonte des canyons à cascades par un tapis roulant entre volières géantes et savanes ou mangroves, sous l'œil implacable de l'aigle royal ou le regard plein de rêves flous du couple d'hippos immergés dans l'onde turquoise - c'est vrai que ce lieu évocateur de Genèse est incomparable à la fois par cette foison de présences immanentes et par le grand beau souci humain (révérence dans la foulée aux milliers de donateurs) de les préserver des massacres toujours en cours. Notre espèce saloparde assassine des bonobos. Ce n'est pas plus grave que d'exterminer des Indiens ou des Juifs, mais ce n'est pas bien.






De la vie brillantissime et non moins pathétique des deux merveilleux papillons que furent Zelda et Scott, Pietro Citati parle évidemment, comme de leur époque aussi flamboyante (pour certains) que factice. Mais il va de soi que c’est ailleurs qu’il nous conduit aussi : tout au bout de la nuit de deux être aussi doués et fragiles l’un que l’autre ; au bout de la détresse d’une enfant gâtée qui rêvait d’être la première danseuse de son temps et qui périt dans les flammes après que des médecins suisses eurent détecté sa schizophrénie, d’une part ; au bout du seul mystère de la vie du buveur mythomane que fut Scott, à savoir le mystère de la naissance de son art, où le travail et la probité, « l’ouvrage bien fait et pour l’amour de l’art », comptaient autant pour cet élève de Keats et de Flaubert que son don premier. « Quand il parlait de l’écriture, dit John Dos Passos, son esprit devenait limpide et pur comme le diamant »
La vie de ces deux grands vivants si mal faits pour la vie, la destinée si tragique de Zelda, la complicité liant Scott et Scottie leur fille, sont évoquées avec la même délicatesse et la même attention affectueuse, sans les sots partis pris qui ont réduit les relations du couple à une caricaturale guerre des sexes. Dans les lettres les plus intimes de Zelda et Scott ou de leurs proches, dans les livres de celui-ci et les plus secrètes aspirations et observations de celle-là, Pietro Citati rencontre la complexité de deux natures peu compatibles et la simplicité d’une passion enfantine.












Ensuite nous voilà à la boutique du Getty Center de Los Angeles, encore sous le coup de la découverte de la phénoménale collection de peinture européenne et passionnés par une exposition photographique consacrée aux Breaking News, où je tombe sur un essai de John Berger qui évoque les grands imagiers de la photo américaine.
Enfin, pour la touche finale, ce sera un détour par Hollywood Boulevard qui nous vaudra quelques visions oscillant entre le super-kitsch du recyclage cinématographico-commercial et le délire visuel de certaines scènes à la Fellini, etc.






Ici, plus qu'une flopée de maîtres du Quattrocento, c'est UN Masaccio (Saint André) ou UN Carpaccio (Chasse sur la lagune) qui nous enchantent, ou diverses merveilles antiques ou médiévales très choisies, ou ce jeune hallebardier de Pontormo, ou ce paysage presque abstrait de Corot, ou cette formidable entrée du Christ à Bruxelles de James Ensor, ou cet autre Christ en croix du Greco, ou ce Christ en gloire limousin du XIIe siècle ou la Dame Brunet de Manet, entre autres Turner et Böcklin et cette drôle de tête cornue sculptée dans le bois par Gauguin ou ce Satan exultant de William Blake !





Celui qui se rend au planétarium pour voir plus clair dans le jeu des naines géantes / Celle qui trouve son compte dans le PIB non sans critiquer le FMI dont son gendre prétend qu'il reste le GPS des WASP / Ceux qui vont dans le mur en pleine méconnaissance de cause perdue / Celui qui tourne en rond en butant sur les angles droits des rues qui croisent le métro aérien aux voies encombrées de sans-abris / Celle qui explique au SDF que le FN allié à l'ancien agent du KGB vont l'aider à sortir à la fois de l'UE et de l'OTAN / Ceux qui ont assimilé les lois de la robotique et se fient à leur instinct pour les affaires courantes / Celui qui affirme que Macron est un cryptopédé dont la femme est à la fois la mère de substitution et le surmoi payé par Israël / Celle qui estime que les Etats-Unis doivent sortir de l'Europe / Ceux qui se font une mousse-partie au Redbull pour affirmer leur différence de Blancs qui en ont /
Celui qui compare Emmanuel Macron à John Fitzgerald Kennedy en plus Français et moins à gauche que la droite du parti démocrate de l'époque / Celle qui rappelle a son gendre que Mélenchon a traité Alexandre Soljenitsyne de fasciste prouvant en cela sa capacité de discernement corroborée par le constat que Macron roule en sous-main pour la banque Rothschild avec le soutien de Pierre Bergé l'allié objectif de l'internationale homophile travaillant à la ruine de la famille de souche celte et laïque / Ceux qui affirment clairement leur abstention pour qu'on sache que de toute façon ils auront le droit de critiquer ceux qui ont fait le mauvais choix sans savoir lequel, etc.


Or, parcourant la sublime côte des Etats-Unis avec la femme de ma vie, incarnation même de l'équilibre et de la lucidité généreuse jamais piégée par aucune idéologie politique ou religieuse, dont le grand-père maternel hollandais fut un socialiste convaincu et l'aïeul paternel un officier Suisse pro- nazi, je ne cessais d'égrener, comme l'écho d'une vérité simple, les mots d'un poème d'un des beatniks dont je me sentais si proche dans ma vingtaine, tandis que Neil Young chantait de sa voix haut perchée dans notre Chevy de location - et ces mots signes Lawrence Ferlinghetti disaient à peu près : "Le monde est un magnifique endroit où naître / si l'on admet qu'il n'est pas fait que de plaisir ", etc.


ice-cream / 




mystérieusement disparu - avec son contenu de cartes de crédit et autre fine liasse de dollars - à un guichet de location de voitures de l'aéroport de San Francisco , aura jeté une ombre sur notre partance en Chevy direction plein sud, mais les mécomptes font aussi partie du voyage et nous aurons rebondi en faisant bon cœur à momentanée infortune , non sans la bénédiction d'un officier de police évidemment sensible à l'irrésistible et rayonnant enjouement de Lady L!











