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Orphée et la fac

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Chroniques de La Désirade (20)
 
À propos d’un congrès universitaire de poésie à Boston et du préjugé opposant lyrisme échevelé et sages études. De la vraie poésie qui va partout et des fourmis pénétrant dans une figue…
 
Un poète de ma connaissance vient de participer, à Boston, à un congrès universitaire de poésie. J'ai sursauté en l'apprenant, car ces deux entités, l'université et la poésie, me semblent a priori incompatibles, ou disons qu'imaginer leur rencontre, à Boston, heurte ce qui n'est sûrement qu'un préjugé de ma part.
Manque d'ouverture alors ? Je ne l'exclus pas. Je me fais, souvent encore, une idée peut-‘être trop romantique de la poésie (« Dans ma soupente / on a la gueule en pente », etc.), et de l'université une représentation trop rigide.

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Après tout, l'un de mes poètes européens préférés, le Polonais Adam Zagajewski, est un universitaire reconnu « à l'international », et le poète de ma connaissance revenu de Boston est lui même prof de poésie dans la fac de lettres de Lausanne-City, où se tiendra d'ailleurs la prochaine édition du congrès inauguré sur la Côte Est; et je vois en lui l'un des rares poètes romands vivants qui me parlent.
 
 
Comme nous sommes un dimanche je peux révéler son nom: Antonio Rodriguez, qui vient de publier un nouveau recueil intitulé Après l'union et qui me parle vraiment comme me parlent vraiment un Philippe Jaccottet, un Jacques Roman, un Pierre-Alain Tâche ou un Frédéric Wandelère, tous plus ou moins adoubés par nos universitaires bon teint.
Et puis quoi, ne suis-je pas allé présenter, moi-même en personne, le poète en prose Charles-Albert Cingria, en 1981, au multi-séminaire de la Modern Language Association, à Houston ? Alors pourquoi frémir en apprenant l'existence d'un congrès universitaire de poésie ? Pourquoi pas une chaire de slam ou de rap ? Pourquoi pas une danse du ventre de Sylviane Dupuis (poétesse romande prisée des universitaires) au prochain congrès de poésie universitaire de Lausanne ?
J'ai l'air de railler, alors que je m'interroge plutôt en toute bonne foi (si,si) sur la compatibilité du poétique et de l'académique. Façon « sauvage », en somme, d'interroger mes préjugés et ceux de la plupart des lectrices et lecteurs de poésie autant que des poétesses et des poètes, sans parler du public qui voit de la poésie un peu partout, etc.
 
Or ma conviction profonde est que le poétique, comme l'Eros énergumène (titre d'un recueil plus ou moins mémorable de feu le poète Denis Roche), va partout, comme le plus clair soleil à travers les salons de massage en enfilade ou les cellules de nonnes taiseuses, de même qu'il y a partout du faux et du chic chiqué, de la rhétorique de cour ou de basse-cour à dindes et dindons, du mâchefer ou du diamant prompt dans les parleries orales des pays chauds .
Adonis.
Je dois avouer, moi qui me suis mortellement ennuyé à l'université (mais c'est ma seule faute, j'étais un sale gamin, je l'admets, ne prenant mes vrais cours qu'à l'écart), que l'essentiel de ce qu'on appelle aujourd'hui la poésie m'ennuie pareillement, dont seules quelques voix proches me parlent ou, « à l'international », un Adam Zagajewski ou un Cees Nooteboom, un Adonis ou un Mahmoud Darwich, un Jacques Réda ou une Sylviane Plath - qui n'est plus de ce monde mais survit mieux que tant de prétendus intervenants du spectacle en exercice -, ou enfin une Annie Dillard dont la poésie ne se donne qu'en prose, comme celle de Proust, et dix ou cent autres mais guère plus...
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« Car la poésie est l'essentiel » pontifiait Ramuz le sédentaire terrien, sur quoi Cingria le céleste velocipédiste ajoutait: « …ça a beau être immense, comme on dit : on préfère voir un peuple de fourmis pénétrer dans une figue ».

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