Chroniques de La Désirade (16)
De l’urgence d’assommer les pauvres et de manger les enfants des migrants, avec l’aide des blocs identitaires inspirés par Donald Trump & Co. Comment le mouvement Panique, après Topor et Arrabal, dans le sillage de Desproges et Reiser, reprend du poil de la bestiole avec Philippe Besson, après que Jonathan Swift eut fait bien plus fort !
« Assommons les pauvres ! », s’exclamait crânement Baudelaire un siècle avant Mai 68, dont les militants marquèrent une pendable tendance à se soucier des classes défavorisées et autres chômeurs, voire techniciens de surface de couleur, femmes et minorités plaintives, alors que s’inverse enfin la tendance.
Le nouveau Président des Etats-Unis d’Amérique a donné le ton en cinq mois qu’il estime, lui-même en personne, les plus constructifs de l’histoire des States, en pointant les ennemis basanés de l’homme blanc et en rendant aux riches, et plus encore aux richissimes ce qu’ils méritent : à savoir le premier rang.
Ne se contenant point de bombarder les civils arrogants de Syrie, il les a judicieusement désignés comme vecteurs de terrorisme, avec la même sagacité qu’il a mise à fustiger le peuple iranien et les ennemis de l’Arabie saoudite, notre amie et meilleure cliente, Amerloques et Suisses en joint venture. Le poète avait compris que nos prétendues victimes sont des bourreaux avérés : assommons donc les pauvres !
Dans la foulée de ces réjouissantes initiatives, l’on ne peut que saluer celle d’une nouvelle génération à noble vocation identitaire, décidée à épurer les mers et les terres des éléments incontrôlables d’une migration à dominante criminelle du fait de ses nombreuses femmes et de ses proliférants rejetons. Ainsi a-t-on pu observer avec soulagement, tout récemment, une levée de fonds destinée à armer des commandos de jeunes gens sains de corps et surtout d’esprit ( !) bien résolus à en découdre avec les sournoises organisations de sauvetage prêtant la main à l’invasion. Panique à bord !
Vous avez dit panique ? C’est le mot ! Baudelaire a retrouvé la vieille veine noire du cœur populaire : dire le pire pour exorciser l’horreur. Retourner les belles paroles comme peau de lapin et clamer tout haut ce qui fait remugle dans le plus bas instinct.
Le Mouvement Panique, très précisément, constitué par les affreux-jojos que furent (notamment) Roland Topor et Fernando Arrabal, à la bascule de Mai 68, a fait des petits dans le dos du cynisme en se montrant pire que celui-ci. Et voici Desproges le louche et Reiser l’affreux, entre autres Cabu et Wolinski heureusement neutralisés. Et l’amer Michel Houellebecq évidemment…
Blague à part, et même si la dérision a ses limites, ainsi qu’on l’a vu dans certaine dérives de Charlie Hebdo précisément, l’humour noir conserve sa validité tonique quand il affronte le monstre froid, comme l’illustre Inhumaines, le dernier livre de Philippe Claudel travaillant lui aussi au retournement de l’abjection contemporaine.
Le ton est illico donné avec Plaisir d’offrir : « Hier matin j’ai acheté trois hommes. Une tocade. C’est Noël. Ma femme n’aime pas les bijoux. Je ne sais jamais quoi lui offrir. La vendeuse me les a emballés. Ce n’était pas simple. Ils résistaient un peu. Sous le sapin, ils prenaient de la place », etc.
Ensuite ça grince un peu plus : « Morel du service comptabilité a épousé une ourse. Nous sommes allées au mariage. Une imposante cérémonie. Les mariages mixtes se multiplient et ne choquent plus personne », etc.
Ou dans Renouvellement des générations : « Les vieux sont un problème. Où les mettre, Ils ne se reproduisent pas mais sont tout de même de plus en plus nombreux. Le monde va crever sous le poids des vieux. Et puis des pauvres aussi », etc.
C’est ça liquidons les vieux et les pauvres !
Et sur le thème du suicide assisté : «Hier soir Turpon du service expédition nous a invités pour son suicide. Nous étions une vingtaine. Rien que des intimes. Sa femme avait préparé des canapés au tarama », etc.
Tout ça n’est pas léger-léger, et ça se répète parfois dans le scabreux convenu. En petite phrases teigneuses. Comme ça. Avec quelque chose dessous, cependant, qui fait mal. Dans Chasseurs de vieux, Dino Buzzati avait fait pareil en plus fin et plus détaillé.
Mais avant même Baudelaire un autre bel esprit, du nom de Jonathan Swift, avait fait florès avec sa « modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à charge à leurs parents et à leur pays et pour les rendre utiles au public » en les mangeant:
« J’accorde que cet aliment sera un peu cher, et par conséquent il conviendra très-bien aux propriétaires, qui, puisqu’ils ont déjà dévoré la plupart des pères, paraissent avoir le plus de droits sur les enfants (…) Un enfant fera deux plats dans un repas d’amis ; et quand la famille dîne seule, le train de devant ou de derrière fera un plat raisonnable, et assaisonné avec un peu de poivre et de sel, sera très-bon bouilli le quatrième jour, spécialement en hiver ».
C’est cela, Monsieur Trump, et vous autres charmants amis des blocs identitaires : assommons les pauvres et mangeons les enfants des migrants !
Commentaires
Billet décapant et lucide.
A midi, je regardais un flash sur les premiers baigneurs des plages méditerranéennes avec bronzage et farniente à l'envi. Et je pensais, cette mer où se sont noyés tant de migrants, où ont chaviré tant de canots surchargés de pauvres hères, adultes, enfants, parfois à proximité des côtes européennes.
L'an dernier, je bavardais avec une amie qui a eu l'honnêteté de me confier. A l'époque où nous étions riches, les pauvres nous énervaient. Nous pensions que s'ils étaient pauvres c'était de leur faute. Pendant ce temps, ils flambaient leurs tunes dans des voyages et des hôtels de luxe.
La misère, beaucoup ne veulent pas la voir, l'approcher. Elle menace leur confort précaire... Les immigrés c'est pareil. Défense du territoire, des enclos, des privilèges.
Le roman de P.Claudel que vous évoquez est très surprenant, les dires du dandy Baudelaire beaucoup moins.
Beau billet, Jean-Louis. Bravo.