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Livre - Page 142

  • L'Invisible est parmi nous

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    RENCONTRE Ecrit à Ramallah, le premier roman de Pascal Janovjak, jeune écrivain slovaco-franco-suisse, oppose l’humour et la dinguerie sensuelle au poids du monde.

    Pascal Janovjak vient de publier son premier roman à Paris, en même temps qu’une cinquantaine d’autres romanciers nouveaux. Gare à l’invisibilité ! Or le titre de son livre, plus d’un siècle après le fameux Homme invisible de H.G. Wells, sera-t-il démenti par sa verve gouailleuse, son ton vif à la Marcel Aymé ou son grand thème revisité avec brio ? C’est tout ce qu’on peut souhaiter à ce trentenaire Slovaque par son père, Français par sa mère et Suisse par son passeport, établi à Ramallah depuis quatre ans avec sa compagne travaillant, à Gaza notamment, sur le front de l’humanitaire.
    «Ramallah, raconte le jeune écrivain de passage à Lausanne, c’est une vigne folle devant la fenêtre et la rue, son vacarme incessant et ses passants. Après la misère du Bangladesh où nous avons vécu, qui semble une fatalité, nous sommes ici confrontés à la violence de l'homme sur l'homme, à l'occupation froide et réfléchie, et ces conversations quotidiennes qui débouchent toujours sur la destruction d'une maison, la perte d'un travail, la mort d'un proche ».
    Quand on lui demande comment l’idée de L’Invisible lui est venue au point le plus «visible» de l’actualité internationale, Pascal Janovjak répond : « La Palestine est une région lourde de préoccupations concrètes, où il est trop souvent question de vie et de mort. L’Europe, par contraste et vue à travers mon écran d’ordinateur, m’est soudain apparue comme un monde lisse, translucide, obnubilé par des abstractions : chiffres du chômage, ventes d’Iphone, fluctuations des valeurs boursières… Dans cet univers, l’homme invisible avait peut-être quelque chose à dire. Par ailleurs il est étrange de se savoir le point de mire de l'actualité, mais comme à côté de celle-ci, du fait de notre condition privilégiée d'Européens qui peuvent foutre le camp à tout moment. Cette liberté de mouvement est sans doute ce qui nous sépare le plus des Palestiniens, mais ils ne nous en tiennent pas rigueur. S’ils ne se font aucune illusion sur ce que les Occidentaux peuvent vraiment apporter, l'accueil est toujours chaleureux. Il est difficile de rentrer à Gaza, même pour nous, mais j'aime y aller, les conversations y sont d'une richesse rares, comme concentrées sur l'instant présent. »
    Comme Sylvie Germain dans son dernier roman, Hors champ, Pascal Janovjak renvoie à un sentiment général d’invisibilité: «Quand je déambule dans Paris, Bâle ou Lausanne, je ressens la légèreté du touriste tout en ayant l'impression de traîner le poids d'une expérience qu'il est difficile de partager. Etrange sensation aussi de travailler pendant plus d'un an sur un livre, et d'entrer ensuite dans un libraire exposée chaque semaine à une marée de livres. Pourtant, c'est dans l'écriture que je peux véritablement partager quelque chose. Je ressuscite actuellement le monstre de Frankenstein, qui me semble être à l'image du monde d'aujourd'hui : terrible, fragmenté, fascinant… »
    Quant à la signification globale de L’Invisible, son auteur conclut : « Je crois que ce livre insiste, en négatif, sur la valeur de l’engagement, de la proximité humaine, non pas pour des raisons morales préétablies mais plutôt pour une question de survie individuelle… »

    Janovjak3.JPGUne invisibilité qui se soigne

    L’invisible est parmi nous. Le sentiment de n’être plus rien, le constat que son visage ou son âge ne correspondent plus aux canons publicitaires font que tout un chacun se croit inaperçu et non reconnu. D’où la nécessité vitale de passer chez Delarue ou Foucault, de publier vite un livre ou de recenser vite 30 millions d’amis sur Facebook…

    Dans L’invisible de Pascal Janovjak, le protagoniste apparaît initialement dans une invisibilité de quidam perdu dans la foule sur le grand échiquier de la Réussite. Devenu invisible d’un jour à l’autre, mais restant sujet à des crampes d’estomac et des érections têtues, l’avocat d’affaires végétant au Luxembourg bascule soudain dans l’invisible. Jouer avec ce nouvel état, pénétrer incognito dans le disque dur de son collègue ou dans le lit d’une belle convoitée : c’est le fantasme délicieux dont Pascal Janovjak fait son miel imaginaire. On ne déjoue pas mieux les lois de la nature et de la société.

    Janovjak a la « papatte », son récit est d’un écrivain pur jus, avec un mélange de sensualité et d’humour détonant, à quoi s’ajoute une puissance d’évocation « physique » qui rend crédible la conjecture  initiale : un corps invisible et qui continue de souffrir quand on s’assied dessus…

    Le final de L’Invisible est d’un vieil écrivain tchékhovien de 34 ans qui tend la main fraternellement aux invisibles de ce bas monde : haut les coeurs ! 

     

    Pascal Janovjak. L’Invisible, Buchet-Chastel, 300p. 

    Ces articles ont paru dans l'édition de 24Heures du 12 septembre 2009.

     

     

     

  • Des temps de lire

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    A propos de la rentrée littéraire 2009 et de diverses autres choses...

     

    Dialogue schizo (7)

     

    Moi l’autre : - Et là nous faisons quoi, ce dimanche ?

    Moi l’un : -  Nous continuons de lire, compère : nous commençons de lire Bella ciao d’Eric Holder, qui démarre très bien, nous poursuivons la lecture de Milo de David Bosc, du très dense et sensible qui se lit très lentement, nous poursuivons la lecture de L’Annonce de Marie-Hélène Lafon, qui se révèle l’une des belles découvertes de ce début d’automne dans le plus âpre Cantal, nous retapons nos notes sur la lecture de Beigdeber qui nous a « décu en bien », comme on dit en pays romand, et celle de Nothomb – même constat -, après quoi nous offrons un peu de viande crue au chien Fellow, bientôt treize ans d’âge et qui décline tout doucement, nous allons faire une balade en forêt jusqu’à la coupe de bois aux souches géantes propices à la méditation stoïque, nous nous accordons deux ou trois heures de peinturlure durant lesquelles nous nous sommes promis de réécouter le prodigieux exercice de profération de Serge Merlin lisant Extinction de Thomas Bernhard, nous continuons de lire Bella Ciao d’Eric Holder, puis ce sera le temps de rédiger trois nouveaux Panoptico’ns, enfin nous reverrons sur notre laptop quelques grands moments de L’Homme aux mille visages, et notamment la bouleversante dernière suite de séquences, enfin ce sera  le temps des blogs et du clabaudage en roue livre sur Facebook…

    Moi l’autre : - Bref, le classique dimanche à ne rien faire…

    Moi l’un : - Disons : à faire ce qu’on aime, avec ton consentement apollinien.

    Moi l’autre : - C’est vrai que de te voir faire ce que tu aimes me repose. Et puis j’apprécie ta façon de vivre la rentrée. En somme, tu ne te donnes même pas la peine de faire croire aux gens que tu lis plus  que d’habitude…  

    Moi l’un : - Je laisse ce genre d’acrobaties à Pierre Bayard. Note que j’ai la chance de n’être pas trop harcelé par ma rédaction, qui me demande juste, avec un peu plus d’insistance que naguère de parler de ce dont on parle, et pourquoi en faire une crise si ce dont on parle est intéressant ?

    Moi l’autre : - Tu ne crains pas d’être taxé de complaisance ?

    Moi l’un : - Pas si ce que j’écris correspond à ce que je pense.

    Moi l’autre : - Tu vas vraiment dire ce que tu penses de Beigdeber et de Nothomb ?

    Moi l’un : - Je l’espère bien, mais avec cette nuance que le manque de place fera peut-être que je manquerai de nuances. Le tout est d’éviter la langue de bois publicitaire. Quant au manque de place, il sera bien plus frustrant sur d’autres lectures, comme La barque silencieuse de Quignard. Et quand je relise mon commentaire critique, amputé de moitié, paru hier sur L’Invisible de Janojvajk, dans 24 Heures, je me sens un poil mal même si l’on me serine gentiment qu’« au moins ce sera lu »…Enfin c’est ça ou rien, me dis-je, et je préfère « ça » à rien.

    Moi l’autre : - Et tes grandes lectures dans tout ça ?

    Moi l’un : - Alors c’est là que ça craint, comme on dit. Parce qu’il me reste 300 pages du remarquable Walter Benjamin de Bruno Tackels à prendre en notes, et qu’il y a six mois que je me promets de transcrire celles de De la violence à la divinité, le multipack monumental et pour moi fondamental de René Girard. Et tant d’autres, en attendant la prochaine rentrée…  

    Moi l’autre : - Plus tout ce qui vient dans la foulée et sans s’annoncer…

    Moi l’un : - C’est ça, retourne le coupe-papier dans la plaie : le nouveau Christian Bobin tout en aphorismes angéliques, et Le Jeu de l’ange de Zafon dont on me dit qu’il faut ab-so-lu-ment le lire, et le Finkielkraut, et le Patrick Besson - allez break, on va se croquer un pavé de bœuf et un haricot bien gras !

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  • Cabanes d'écriture

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    L’éditrice Vera Michalski a posé la première pierre de La Maison de l’écriture, à Montricher, sur les hauts jurassiens du lac Léman. Du jamais vu…Michalski3.jpg

     

    Michalski7.jpgUne feuille blanche insérée dans une grande pierre qui s’intégrera, elle-même, dans le mur d’une bibliothèque : tel est le symbole qui a marqué hier, au lieudit Bois-Désert, au-dessus de Montricher (Suisse, canton de Vaud), le premier geste concret qui devrait aboutir, dans 18 mois, à l’inauguration de la Maison de l’Ecriture, première du genre.

    De fait, s’il existe des quantités de résidences d’écrivains de par le monde, c’est la première fois, selon l’architecte Vincent Mangeat, qu’un ensemble habitable, incluant des « cabanes » suspendues toutes semblables (le confort en plus…) à celles de nos enfances, entre autres multiples lieux de travail ou de rencontre, sortira de terre à la  seule dévotion de l’écriture et de ses pratiques.

    Sept ans après le décès prématuré de l’éditeur Jan Michalski, son épouse réalise ainsi leur rêve commun à l’enseigne d’une Fondation qui développera une activité débordant largement nos frontières. Un grand prix littéraire international et un programme de bourses et d’aides financières compléteront l’accueil des écrivains résidents (cinq personnes à la fois, dont un couple, pendant trois mois). Des lieux d’expositions, un scriptorium commun, des salles pour ateliers d’écriture, une bibliothèque et l’ancienne chapelle tutélaire reconstruite, notamment, feront de ce lieu le contraire d’un espace clos : un foyer de création et d’échange.

    Saluant avec reconnaissance cette entreprise hors du commun, Michel Desmeules, le syndic de Montricher, a rappelé le rayonnement affectif lié au nom de l’ancienne colonie de Bois-Désert, chère à la mémoire de nombreux Vaudois. Du point de vue de Sirius, Vincent Mangeat s’est imaginé au milieu des premiers auteurs résidents en décembre 2012, dressant un bilan technico-poétique en perspective cavalière… Tant il est vrai que l’architecture passe par les mots du rêve et de l’utopie, ici en « filant la métaphore urbaine » d’une micro-cité. Quant au communicateur de Losinger Construction, Hervé Corne, il  a souligné la « fantastique aventure artistique» que représente le projet impliquant aussi les « challenges » techniques d’une architecture d’avant-garde. Dans un environnement sublime, entre les dernières ombres de la « forêt noire » jurassienne et les lumières « méditerranéennes » du Léman, selon les termes de Vincent Mangeat, les bagnards de la plume auront de quoi rêver… 

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  • La saison des prix

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    …Et si tu crois ma poulette, que t’as une chance de décrocher le Goncourt sans moi… / D’abord je ne suis pas votre poulette (in petto: faut que je me gaffe de pas gaffer : c’est quand même lui qui fait la décision), Monsieur l’Académicien… / Allez tu sais ce que je pense de ton roman, même si je n’ai pas tout dit dans ma chronique du Figaro, mais j’ai l’impression que toi et moi… / Vous êtes un fin bec, Monsieur l’Académicien ! / On laisse tomber ce Monsieur… / Mais comment avez-vous fait pour écrire tout ça sans lire mon livre ? / Ah, tu sais que lire un livre, avant d’en parler, risque de t’influencer, mais nous allons le faire, ce Goncourt, nous allons le faire tous les deux - file-moi un coup de bec, vilaine, ou je te plume !

    Image : Philip Seelen    

     

  • À bonne école

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    … Sainte Ex l’a vécu au siècle passé, la pilotait des avions et la disait: Gode est ma copilote, et la prof elle a dit l’a rencontré le chti Prince qu’était Peace’n’Love et que l' a dit au renard: se kiffer c’est pas se mater c’est mater la même chose sur le même réseau…
    Image : Philip Seelen

  • En toutes lettres

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    A comme angoisse, L comme loyer, O comme oppression, N comme neuroleptique, E comme ellébore, du grec helleboros, herbe dont la racine a des vertus curatives et qui passait autrefois pour guérir la folie…

    Image : Philip Seelen

     

  • Une âme candide

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    …L’article dit : provocation, moi je sais bien que j’ai pas mes lunettes mais  je vois qu’une sorte de grande fleur blanche aux pétales largement écartés, un joli pistil que l’abeille butinera volontiers, dans un climat général de printemps moelleux qui donne envie de mordre la vie à pleines dents - en tout cas je trouve rien de scandaleux là-dedans, y a vraiment des critiques qui cherchent à se faire remarquer…

    Image : Philip Seelen  

  • Les douces horreurs de l'amour

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    Le deuxième roman de Noëlle Revaz, Efina, démêle les fils barbelés d’un impossible amour. Entre guerre des sexes et théâtre à tout dire et son contraire. Un grinçant régal.

     

    Dire que le deuxième roman de Noëlle Revaz, sept ans après Rapport aux bêtes, est captivant, pourrait sembler une formule convenue, mais c’est un fait : Efina vous captive, Efina vous fascine même d’entrée de jeu, ce roman-sparadrap (par allusion au Capitaine Haddock qui n’arrive pas à se débarrasser du foutu sparadrap qui lui colle au doigt et et aux semelles) est immédiatement passionnant par sa façon de vous attirer et de vous repousser, comme les deux protagonistes sont irrépressiblement attirés l’un vers l’autre et repoussés par un désir qui se nie et se multiplie à l’instant de se jurer que cette fois c’est bien fini, et ni.

    Efina est l’histoire d’une obsession mimétique qui se transforme en amour plus profond que l’amour qu’il y a trop souvent dans les livres ou sur les scènes de théâtre, exaltation factice. Le roman commence par les retrouvailles de deux personnages : Efina, qui n’est rien qu’Efina, trentenaire passionnée de théâtre à ses heures, et T., comédien fameux et grand tombeur, dont la première apparition le voit, sur scène, jouer alternativement deux personnages que tout oppose : un escroc ventru et un notable raffiné. Efina voit en lui un « merveilleux comédien » auquel elle écrit le soir même en prenant soin de préciser que « l’amour n’est pas entre eux ». Et la lettre ne partira jamais. Or T. a lui aussi écrit une lettre le même soir, comme il en a écrit une au lendemain de leur première rencontre, à laquelle Efina n’a jamais répondu si tant est qu’elle l’ait reçu – ni l’un ni l’autre ne se le rappellent sûrement.

    Les lettres jouent un rôle important dans Efina, autant pour « tout dire » que le contraire, pour séduire en disant le contraire de ce qu’on pense et de ce qu’on sent en inquiétant ou en humiliant (T. est  un champion de ce jeu-là, pour attirer en se dérobant ou en vexant l’autre, pour séduire en jouant la parfaite indifférence, comme les deux personnages s’y emploient - théâtre de la correspondance source de tous les malentendus, aujourd'hui par courriels et textos : masques de l’aveu à distance et défi au temps…

    Après s’être revus une seconde fois au théâtre, Efina et T. s’écrivent donc des lettres qui ne partiront jamais. Tout au long du roman, ils ne cesseront d’ailleurs de s’écrire des lettres, qui arriveront parfois, parfois seront anonymes, souvent diront le vrai, souvent le faux qui parfois est moins faux que le vrai. Or, au dit du roman s’ajoute ainsi le non-dit de lettres non envoyées qui, sous la signature de T., surtout, pourraient constituer un autre roman…

    Efina est un formidable roman de la passion mimétique, telle que l’a décrite René Girard dans Mensonge romantique et vérité romanesque. Mais Efina n’est pas l’illustration d’une théorie : c’est la vie même et la fiction même en craintes et tremblements d'écriture. Efina croit qu’elle aime T. mais c’est peut-être une illusion, en tout cas au début. Elle lui écrit pour lui dire qu’au fond il ne compte pas pour elle, et c’est là, déjà, bien entendu, que la passion repique. Même topo pour T. Efina et T. se cherchent méchamment mais ne coucheront pas avant 40 pages, et ça n’arrangera pas vraiment les choses de découvrir une langue à consistance d'escargot ou des nibards plus fermes qu'on ne l'eut cru, car leur amour est ailleurs, n'est-ils pas ?

    L’amour d’Efina et de T. est tissé par des siècles d’attente d’amour. C'est Paolo et Francesca qui lisent ensemble Love Story avec le même air blasé. T. est marié et saute des tas de femmes, Efina rencontre des hommes plus gentils que T. et s’essaie à la maternité, mais l’enfant l’embête et les hommes se succèdent comme les chiens. Et c’est comme au théâtre, entre cœur et jardins publics : ce qui s’y passe surtout, c’est surtout que le temps passe et vous fait des rides au coeur. 

    Or ce qui ne vieillit pas, dans Efina, c’est l’écriture de Noëlle Revaz. Curieusement maniérée au tout début, ou plus précisément « ralentie » par des expression inattendues, elle s’affûte de magistrale façon au fil des pages, sans se policer pour autant, et devient une joyeuse cavalcade de mots qui font la pige au mensonge romantique pour accéder à la vérité romanesque. Et c’est très drôle, très affreusement juste et drôle, humoristique comme la vie quand elle tombe le masque. 

    Il y a, dans Efina, une énergie endiablée et un humour qui passe, là encore, par les mots.  On pourrait dire que c’est le roman de la dérision du romantisme, et c’est pourtant un roman très émouvant qu’Efina, avec deux admirables portraits d’âme sensibles écorchées vives. Plus on avance « dans » les personnages, plus mufle (apparemment) se montre T., plus insaisissable se montre Efina, plus mal faits l’un et l’autre pour vivre jamais l’un avec l’autre, et plus leur double solitude les rapproche en réalité, pour communiquer parfois. Sans pathos, même si la fin de T. a quelque chose de déchirant, Noëlle Revaz travaille ses personnages à la fine pointe des sentiments et, surtout, sait inscrire leur souffle et leurs pas dans l’inexorable passage du temps. Le temps du roman est un présent apparent, mais qui semble brasser le passé de plusieurs vies et nous ouvrir un autre présent à venir. Roman de la passion invivable, de la guerre des sexes et de la cruauté du grand art (car il y a de l'enfant blessé chez le grand comédien écrabouilleur), entre autres thèmes, Efina fera date (Goncourt al dente ?) et confirme le talent original, avec quelque chose de commun aux héritiers de Robert Walser (pour la candeur jouée) et de Thomas Bernhard (pour la bonne rage), d’une romancière pur jus qui a encore, sans doute, beaucoup à dire…

    Bonheur enfin de lire un vrai roman qui dit le faux pour mieux exprimer la vérité, jusqu’à cette dernière phrase ailée : « Le cimetière est la maison des oiseaux »…

    Revaz2.jpgNoëlle Revaz, Efina. Gallimard, 182p. 

     

    Et encore: La cérémonie du T., dans Libération du 3 septembre, sous la plume d'Eric Loret:

    http://www.liberation.fr/livres/0101588537-efina-la-ceremonie-du-t

  • Simenon le médium

     

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    Georges Simenon s'est éteint à Lausanne le 4 septembre 1989. En la capitale vaudoise se donneront des conférences de John Simenon et Pierre Assouline, une exposition, des projections à la Cinémathèque, notamment. Programme complet: www.24heures.ch/Simenon

     

     Bien plus que le seul « père de Maigret», Simenon fut un médium du roman capable d’endosser toutes les destinées.


    Cité par l’UNESCO comme l'écrivain contemporain  le plus lu au monde au vu du nombre de ses traductions, Georges Simenon fut longtemps snobé par une bonne partie du monde littéraire et académique, particulièrement en France. Les reproches qui lui étaient faits touchaient à sa prolixité et à la présumée platitude de son écriture. Etait-il concevable qu'un auteur produisant une moyenne de cinq à dix romans par année pût être autre chose qu'un marchand de soupe, et le  « style Simenon » ne se réduisait-il pas qu'aux clichés d'une trop fameuse atmosphère poisseuse, dans laquelle se traînaient des «antihéros» interchangeables ?

    Si ces questions ont nourri la suspicion des gens de lettres, certains de ses pairs lui vouaient la plus naturelle admiration. André Gide le premier, qui lui manifesta autant de respect professionnel que d'affectueuse attention, l'avait écrit: « Il est le plus grand de tous... le plus vraiment romancier que nous ayons en littérature ». Et William Faulkner de surenchérir: "J'adore lire Simenon. Il me fait penser à Tchékhov".

    À propos de son écriture, on rappellera que la très stylée Colette fut la première, à la lecture de ses textes, à lui conseiller de « faire moins littéraire », devinant que cet écrivain était de la race rare de ceux qui en disent le plus avec le moins de mots. Le professeur Jacques Dubois, qui a établi l'édition de La Pléiade, ne dit pas autre chose: que l’écriture de Simenon n'a rien qui « brille» mais qu’elle relève d’une « langue-geste » au pouvoir d’évocation sans égal, restituant la sensation physique autant que  l'intuition, la perception profonde, instinctive, des moindres « messages » du corps et du cœur humains, attentif à l’extrême aux relations entre individus filtrées par son art du dialogue et du non-dit.

    Au demeurant, le succès universel de Simenon n’est dû ni à son seul style ni au seul Maigret. Il est vrai que celui-ci est l’un des plus beaux personnages de la littérature policière, auquel l’auteur a donné quelques traits particulièrement attachants de son propre père. Mais le commissaire n'est qu'un des innombrables personnages de Simenon, dont l’empathie humaine est aussi étendue que sa porosité à toutes les atmosphères et à tous les « gestes » humains.

    Simenon voit l’homme au travail, autant que l’individu en rupture de routine et de normalité. Les romans de Simenon sont pleins de personnages qui, d'un jour à l'autre, rompent avec le train-train. Pas par révolte déclarée, sociale ou politique: presque biologiquement, comme une plante se tournant vers le soleil. Et c'est La fuite de Monsieur Monde, c'est la folle échappée de L'homme qui regardait passer les trains, c'est le rêve africain du Coup de lune ou du Blanc à lunettes. Autant d’espoirs et de rêves brisés, que les humains de partout reconnaissent.

    Dans Lettre à mon juge — roman clé pour comprendre le romancier, comme Lettre à ma mère et Le livre de Marie-Jo sont des confessions décisives pour comprendre l'homme —, nous touchons au cœur de cette nostalgie d'un ailleurs plus simple et plus vrai  qui pousse les individus au bout d'eux-mêmes. Evoquant le suicide de son père, viveur et buveur invétéré, trompant à n'en plus finir une femme admirable et qu'il aime pourtant, le fils criminel de Lettre à mon juge essaie de comprendre le désespéré et déclare sur un ton rappelant Bernanos: « Je ne vous dirai pas que ce sont les meilleurs qui boivent, mais que ce sont ceux, à tout le moins, qui ont entrevu quelque chose, quelque chose qu'ils ne pouvaient pas atteindre, quelque chose dont le désir leur faisait mal».

    A un moment donné, n'importe quel quidam peut ressentir le vide de sa vie et en souffrir. Les plus «purs» quittent alors le monde pour le « désert» du contemplatif, du mystique ou du saint. Chez Simenon : du déviant ou du clochard. Dans l'univers de Simenon, que notre confrère Henri-Charles Tauxe a justement caractérisé, ce sentiment du vide social ou affectif renvoie à une autre sorte de «vide» dont parlent les mystiques de toutes les traditions, qu'il soit « néant capable de Dieu », chez Pascal, ou vide-plein du bouddhisme zen. Cette nostalgie de l'infini luit «comme un brin de paille» dans les ténèbres suavement abjectes, sourdement tragiques et infiniment humaines des romans de Simenon.

    Henri-Charles Tauxe, Georges Simenon. De l'humain au vide, Paris, Buchet-Chastel, 1983.

     

     

    ENTRETIEN Henri-Charles Tauxe, journaliste, écrivain et psychanalyste, a bien connu Simenon, qui lui offrit un scoop mondial…

    Le 7 février 1973 paraissait, dans 24 Heures, un entretien exclusif de Georges Simenon avec notre confrère Henri-Charles Tauxe, auquel le grand écrivain annonçait sa décision de cesser d’écrire des romans. En septembre 1972, Simenon avait mis en vente sa maison d’Epalinges. Un mois plus tard, il s’installait au bas de Lausanne avec sa dernière compagne. Avec plus de 200 romans à son actif, sans parler de sa première production alimentaire sous une quinzaine de pseudonymes, Simenon se disait «délivré» après 55 ans passés dans la peau de ses personnages. « C’est une nouvelle vie qui commence » ajoutait-il à la veille de ses 70 ans, non sans déclarer à Tauxe, évoquant le Prix Nobel, qu’il était résolu à le refuser. Et toutes les « dictées », qu’il publia par la suite, confirment ce rêve réalisé de finir sa vie en Monsieur Tout-le-monde.

    Le « scoop » du rédacteur de 24 Heures ne relevait pas du hasard. De fait, Simenon et Tauxe avaient noué des liens d’amitié depuis leur première rencontre, suscitée par l’écrivain lui-même, qui dépassaient le cadre journalistique ordinaire. Précisons alors que la connaissance approfondie de notre confrère en matière de psychanalyse, et ses multiples intérêts extra-littéraires, notamment pour la neurobiologie, avaient suscité l’intérêt particulier de l’écrivain. « Venez donc parler, Tauxe »…

    « Ce qui m’a toujours frappé chez Simenon, explique aujourd’hui le septuagénaire Henri-Charles Tauxe, c’est sa curiosité inépuisable et son sens de l’humain universel. Il n’en finissait pas de vous questionner. Lorsque je suis devenu psychanalyste, il m’a dit un jour qu’il serait un jour mon client… Cela ne s’est pas fait, mais dès que la confiance s’est établie entre nous, il m’a dit des choses très personnelles en sachant que je n’en ferais pas état. Sur les femmes, par exemple, et sur sa fréquentation assidue d’un cabaret lausannois. « Ah Tauxe, je viens de m’en faire quatre ! ». On sentait qu’il avait besoin d’en parler. Plus tard, avec son ami Fellini, sa réputation de grand baiseur a fait le tour du monde… »

    Or comment le psychanalyste explique-t-il cette consommation sexuelle effrénée, que d’aucun réduisent à un taux de testostérone exceptionnel ? «La physiologie est une chose, mais le cas de Simenon est sans doute beaucoup plus compliqué. Comme on le voit notamment dans la révélatrice Lettre à ma mère, Simenon a vécu un Œdipe très difficile. A la carence affective initiale s’est ajoutée, avec les années, le déni répété de cette mère qui l’a humilié, par exemple, en lui rendant tout l’argent qu’il lui avait offert des années durant. Et puis il y a, omniprésent dans ses romans, un fonds d’angoisse qui se libère probablement par cette décharge. On sait en outre les relations conflictuelles de Simenon avec ses épouses. On l’a dit misogyne, mais c’est complètement réducteur. Pour l’homme, je me contenterai de reprendre sa devise : comprendre et ne pas juger. Or son œuvre nous aide énormément à comprendre l’homme… et la femme ! »

    Dans un essai sur Simenon d’une pénétrante acuité, intitulé Georges Simenon, de l’humain au vide, Henri-Charles Tauxe a mis en lumière les relations que Simenon entretenait avec ses semblables, la vie sous tous ses aspects et le cosmos, dans l’optique d’une certaine spiritualité agnostique.

    «Le retentissement universel de son œuvre n’a rien à voir avec un truc d’auteur à succès, relève encore Tauxe, et tout avec sa fabuleuse capacité de se mettre dans la peau des autres et de traduire leurs angoisses, leur ras-le-bol, leur désir de changer de vie, leur sentiment du vide social ou sidéral. L’angoisse, autant que l’agressivité, sont des phénomènes qui s’enracinent dans l’inconscient, et Simenon l’a saisi en médium. La dernière fois que nous sommes rencontrés, quelques mois avant sa mort, au Château d’Ouchy, nous avons eu une bonne conversation sur la vie comme elle va et ne va pas en ces temps de déshumanisation qui l’effrayaient, mais Simenon ne posait jamais au philosophe. Ses derniers mots me restent : « Ah, Tauxe, merci, nous avons passé un bon moment…»

     

    Le commissaire Maigret, la quarantaine flasque quand il apparaît dans Pietr le Letton, terrien de souche entré dans la police parisienne par la petite porte, pourrait être dit le contraire de l’expert. Commissaire rondouillard, bougon, vagabondant armé de sa seule pipe, coiffé d’un melon puis d’un chapeau mou, buveur mais pas trop, mangeur de saucisson et des plats mitonnés par Madame Maigret, le commissaire n’a rien de commun avec les cracks raisonneurs du roman à énigme (Sherlock Holmes ou Hercule Poirot)  ni avec ceux du roman noir américain, de Philip Marlowe à Lemmy Caution. Il dort en chemise de nuit et se découvre devant les dames, il est à la fois vague et formidablement présent. On sait sa parenté avec le père de Simenon, dont celui-ci disait qu’il « aimait tout ». On constate à tout moment sa profonde humanité. Plus que l’énigme, c’est le motif du crime qu’il interroge, le pourquoi du passage à l’acte. Plus que le crime, c’est le criminel qui l’intéresse, Fils d’humaniste taciturne, Jules Maigret sera, comme Simenon, celui qui essaie de comprendre sans juger. Plus que justicier patenté, il est « peseur d’âmes ». Or ce n’est qu’en 1950 que l’écrivain en dira plus à propos de son personnage, au trente-sixième volume de la série, avec Les mémoires de Maigret.

    Dans la foulée de Maigret, les auteurs de polars contemporains ont « humanisé » le genre. En France, un Alain Demouzon avec Melchior, son héros « surbanalisé », Didier Daeninckx radicalisant l’approche sociale de Simenon sans le renier, comme le Pepe Carvalho de Montalban, en  Espagne, politise ce cousin de Maigret. En Italie, Giorgio Scerbanenco s’inscrit lui aussi dans cette filiation avec son toubib Duca Lamberti, comme cet autre auteur « culte » qu’est devenu Andrea Camilleri, qui se réclame explicitement de Maigret dans la genèse de son Montalbano.

    Enfin, le côté anti-expert de Maigret se retrouve chez les romancières anglaises Ruth Rendell ou P.G. James autant que chez divers auteurs nordiques (dont un Henning Mankell), et jusque dans les deux séries télévisées « humanistes » de Columbo et Derrick…

     

    Dix entrées du Labyrinthe

     

    Simenon8.jpgEn Pléiade

    Avec ou sans Maigret, la bouleversante Lettre à mon juge, Le Bourgmestre de Furnes et son tableau balzacien d’une déroute, ou encore Les inconnus dans la maison et sa défense de la vraie justice, sont présents dans le premier de ces deux volumes de Romans rassemblant le Simenon « essentiel » en 22 titres. Le second s’ouvre sur La neige était sale, roman « noir » de l’Occupation, et s’achève sur Le chat. Une consécration, chez Gallimard, avec une préface magistrale de Jacques Dubois et l’Album iconographique Simenon.

     

    Côté bio

    Un troisième volume de La Pléiade rassemble Pedigree, roman à valeur biographique (jusqu’à seize ans), et la terrible Lettre à ma mère, entre autres romans qui ont des résonances liées à la vie de l’écrivain. Indispensables aussi : le  Simenon de Pierre Assouline, biographie de grande envergure qui ne cache rien des positions parfois discutables de l’écrivain, rééditée en Folio. Très utile aussi : L’univers de Simenon, sous la direction de Maurice Piron, aux Presses de la Cité. Pour tout « routard » simenonien…

     

    Pietr-le-Letton

    Premier Maigret, entre Paris et Fécamp, riche en rebondissements et coups de théâtre. Le commissaire a déjà sa méthode d’immersion dans le milieu, attendant la « faille » révélatrice de la personnalité du suspect. Jouant sur le thème du double, avec la découverte d’un cadavre sosie du célèbre escroc international attendu à Paris, Maigret fait de l’enquête une affaire personnelle après la mort de son camarade Torrence. Finalement coincé, le faux Pietr confesse son passé au commissaire avant de se suicider sous ses yeux. Poche, 2008.

     

    Le Coup-de-lune

    Premier des romans « africains » de Simenon, ce livre fait écho aux remarquables reportages de l’écrivain par sa façon de décrire et de critiquer l’administration coloniale française dans les années 1930. Joseph Timar, fils de fonctionnaire venu tenter sa chance dans le commerce colonial, perd vite ses illusions après le meurtre d’un jeune boy à quoi s’ajoute la faillite de l’entreprise qu’il devait rejoindre. Violent et sensuel à la fois, ce roman de la désillusion coloniale saisit par sa façon de vivre une dérive personnelle de l’intérieur. Poche, 2003.

     

    L’Affaire Saint-Fiacre

    Est-il bien fiable, ce Maigret qui ne découvre pas le coupable au terme de son enquête, dont la conclusion sera « donnée » par le héros rentier, Maurice de Saint-Fiacre, en ce lieu très évocateur de son enfance pour le commissaire y revenant trente-cinq ans plus tard. Si l’ « efficacité » conventionnelle n’y est pas, le roman creuse plus profond et a été reconnu, par les spécialistes, comme l’un des sommets de la littérature policière, avec Le petit homme d’Arkhangelsk. Poche 2003 et 1997.       

     

    Les gens d’en face

    Relevant des « romans de la destinée », donc non-Maigret, que Simenon appelait aussi ses « romans durs », cette évocation de la vie à Batoum, ville du sud de l’Union soviétique, au début des années 30, constitue un tableau impressionnant de la vie quotidienne soumise à l’oppression stalinienne, sans trace pour autant de discours politique. Le protagoniste en est un jeune consul turc du nom d’Adil bey, qui a de la peine à s’adapter à sa vie à Batoum, où « les gens d’en face », un agent de la police secrète et son épouse, exacerbent son malaise. Poche, 2004.

     

    Le Pendu de Saint-Pholien

    Un pur Maigret qui se rapproche, par sa substance, des romans-romans de Simenon, et par sa densité existentielle et par ses liens aussi, avec la jeunesse liégeoise de l’écrivain. C’est au terme d’une mission accomplie à Bruxelles que Maigret se lance dans une autre affaire après le suicide d’un inconnu dont il apprend qu’il est originaire de Liège et a participé à une société secrète anarchisante mêlée à un meurtre. Baignant dans une atmosphère lourde et tendue, le roman révèle une fois de plus la sagesse du commissaire.

     

    Les trois crimes de mes amis

    Le thème du « passage de la ligne » est essentiel dans l’univers de Simenon, qui fait que certains d’entre nous, d’un jour à l’autre, deviennent criminels. Dans ce récit en première personne qui tient à la fois de la remémoration personnelle et du roman, Simenon évoque trois destinées de meurtriers qui le ramènent dans son quartier d’Outremeuse et, plus précisément, dans le même local bohème proche de l’église de Saint-Pholien. Toute une époque, vécue par le jeune journaliste, revit avec cette évocation liégeoise d’entre-deux-guerres.  

     

    Le fond de la bouteille

    Il y a de l’atmosphère faulknérienne dans ce roman « américain » d’une âpreté qui n’a d’égale que le sentiment profond de haine-amour  liant deux frères, sur fond de dérive alcoolique et d’orages mexicains à la saison des pluies. Lorsque Pat, notable d’un village-frontière de l’Arizona, entre Mexique et States, voit débarquer un soir son frère Donald, condamné pour meurtre, l’alcool exacerbe le ressentiment refoulé dans un conflit qui rappelle le frère « ennemi » de Simenon. Le dénouement a, d’autant plus, valeur d’exorcisme.

     

    Le Petit saint

    Simenon disait que ce roman, composé à Epalinges en 1964, était l’un de ses préférés. Il y est question de l’enfance et de la formation de Louis Cuchas, avant-dernier né d’une famille de six enfants dont la mère se partage entre ses amants successifs et sa charrette de marchande des quatre  saisons. Grouillant de vie finement observée, dans le quartier parisien des Halles et dans la bohème artistique des années 1920, cette éducation sentimentale d’un artiste gardant son cœur pur quand il devient célèbre diffuse une belle lumière.  

     

    Ces articles ont paru ce samedi 29 juin 2009 dans le supplément spécial consacré à Georges Simenon par 24 Heures. Cf: www.24heures.ch/Simenon

     

     

     

     

  • Les Experts au défi

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    …On ne sait pas comment il est entré avec ces barreaux, ni comment il a pu ressortir avec cette porte murée, en tout cas ce n’était pas un étranger, parce qu’il n’y avait rien à voler, et dans la région il y a bien des jalousies mais nos gens ne sont pas malins au point d’incendier un rural sans laisser une bricole d’ADN…
    Image : Philip Seelen

  • L'Ange blessé

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    La scène apparaît dans les nuées tourmentés d'un ciel de songe, à la fin du court-métrage d'Alexandre Sokourov intitulé Le rêve d'un soldat. Or de qui est cette peinture étrange et belle ? C'est la question que je me suis posée avant de demander à mon ami Philip de la capter en noir et blanc pour notre Panopticon. Et voici qu'à ma demande d'identification vient de répondre l'inestimable, inappréciable, irremplaçable et non moins impossible Niki, sorti de son fourré d'Ardenne bleue. Intitulé L'Ange blessé, le tableau date de 1903 et son auteur est l'artiste finnois Hugo Simberg, à propos duquel Wiki, par Niki, nous dit tout ce que nous devons savoir. Que Niki et Wiki en soient bonnement remerciés... 

  • Carnets de la Désirade

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    Panopticon763.jpgNotes de Janvier (extraits) 

     

     À la Désirade, ce dimanche 4 janvier 2009. – Une belle photo de Philippe, où l’on voit Lucienne et Florent, l’ami de Sophie, en train de faire ensemble un puzzle dans un rayon de soleil oblique traversant le clair-obscur, rend à merveille le climat familial dans lequel nous avons passé les fêtes et le tournant de l’année. Cette image me restera comme un emblème de l’affection qui nous relie les uns aux autres, de même que l’image de la flamme dont le reflet palpite dans l’arbre enneigé, que ma bonne amie a photographiée l’autre jour.

     

    À La Désirade, ce samedi 10 janvier. Me viennent, tous les matins, des pensées que j’aimerais inscrire de façon plus nette et régulière. Je les intitulerai Pensées de l’aube. En voici trois pour commencer…  

     

    DSCN1653.JPGDe la joie. - Il y a en moi une joie que rien ne peut altérer : telle est ma vérité première et dernière, ma lumière dans les ténèbres. C’est dans cette pensée, qui est plutôt un sentiment, une sensation diffuse et précise à la fois, que je me réveille tous les matins.

     

    De l’Un. – Ma conviction profonde est qu’il n’y a qu’un seul Dieu et qu’une seule Vérité, mais que cela n’exclut pas tous les dieux et toutes les vérités : que cela les inclut.

     

    Du noir. – Plus vient l’âge et plus noir est le noir d’avant l’aube, comme un état rejoignant l’avant et l’après, à la fois accablant et vrai, mais d’une vérité noire et sans fond qui reprend bientôt forme tandis qu’un sol se forme et qu’un corps se forme, et des odeurs viennent, et des saveurs, et la joie renaît - et cet afflux de nouveaux  projets.

     

    A La Désirade, ce lundi 12 janvier. – Je pense ce matin à mon père, qui aurait eu 93 ans aujourd’hui. Ensuite composé mes Pensées de l’aube, qui me sont venues d’une coulée. Je vais m’y employer chaque matin, comme à une sorte d’exercice spirituel et grammatical à la fois.

     

     

    Paint83.JPGDe l’offrande. – Je me réveille à hauteur de source, j’ai refait le plein d’énergie, sous la cloche d’azur je tinterai tout à l’heure comme l’oiseau, puis je descendrai par les villages aux villes polluées et là-bas j’ajouterai ma pureté à l’impureté, je vous donnerai ce qui m’a été donné les yeux fermés.

     

    De l’absence. – Je n’aime pas que tu ne sois pas là, je n’aime pas avoir pour écho que ton silence, je n’aime pas cet oreiller que ta tête n’a pas martelé du chaos de tes songes, je n’aime pas cet ordre froid de ton absence que nous sommes deux à ne pas aimer, me dit ton premier SMS de là-bas.

     

    De l’espérance. – Tu me dis, toi le désespéré, que mes pleurs sont inutiles, et tout est inutile alors, toute pensée comme l’aile d’un chant, toute esquisse d’un geste inutilement bon, toute ébauche d’un sourire inutilement offert, ne donnons plus rien, ne pleurons plus, soyons lucides, soyons froids, soyons utiles comme le couteau du bourreau. 

     

    A La Désirade, ce dimanche 18 janvier. – J’ai visionné hier soir Du bruit dans la tête, le dernier film de Vincent Plüss, film d’auteur romand  typique de la nouvelle génération des trentenaires, d’une vive sensibilité et d’une grande plasticité visuelle aussi, avec une jeune comédienne remarquable, du nom de Céline Bolomey.  Immédiatement après cela, nous avons encore regardé Séduction dangereuse, thriller américain à tout casser avec Bruce Willis et une fille canon, mais qui s’est éventé aussitôt après alors que Du bruit dans la tête me restait précisément « dans la tête »…

     

    Des mains amies. – J’ai mal au monde, se dit le dormeur éveillé, sans savoir à qui il le dit, mais la pensée se répand et suscite des échos, des mains se trouvent dans la nuit, les médias parlent de trêve et déjà s’inquiètent de savoir qui a battu qui dans l’odieux combat, les morts ne sont pas encore arrachés aux gravats, les morts ne sont pas encore pleurés et rendus à la terre que les analystes analysent qui a gagné dans l’odieux combat, et le froid s’ajoute au froid, mais le dormeur dit à la nuit que les morts respirent encore…

     

    De la vile lucidité. – Ils voient partout des alibis, toute pensée émue, tout geste ému, toute action émue ils les dénoncent comme nulles et non avenues, car ils voient plus loin, la Raison voit toujours plus loin que le cœur, jamais ils ne seront dupes, jamais on ne la leur fera, disent-ils en dénonçant les pleureuses, comme ils les appellent pour mieux les démasquer, mais ce ne sont pas des masques qu’ils arrachent : ce sont des visages.  

     

    De la compassion. – Mais aussi tu te dis : de ta pitié, qu’en ont-ils à faire ? Les chars se retirent des décombres en écrasant un peu plus ceux qui y sont ensevelis et tu devrais faire ton sac, départ immédiat pour là-bas, mais qui s’occupera du chien et des oiseaux ? Et que fera-t-elle sans toi ? Et toi qui ne sait même pas construire un mur, juste bon à aligner quelques mots, juste ces quelques mots pour ne pas désespérer: courage les vivants…

     

    A La Désirade, ce mercredi 21 janvier. – Il n’y a, pour L’Enfant prodigue, qu’une discipline à restaurer : l’écriture à l’encre verte, une ligne après l’autre. C’est ainsi que je recopie, à la main, toute la partie lancée à la machine, des quatrième et  cinquième chapitre, et tout le chapitre Veillée des silencieux, dont les premières quinze pages ne m’ont pas satisfait, faute de suite et d’attention.

    Même chose pour la peinture : c’est par l’odeur de l’huile que je vais y revenir, et la suite attentive, une couche après l’autre…

     

    A La Désirade, ce jeudi 22 janvier. – Très étonné, ce matin, de trouver plus de 900 visiteurs dans les stats de mon blog. Est-ce une erreur ou l’effet de je ne sais quelle annonce ? A vrai dire je n’en ai cure, plutôt inquiet du temps que je passe sur la Toile, au détriment de mon Enfant prodigue, auquel je n’ai pas avancé ces derniers temps.

     

    À La Désirade, ce dimanche 25 janvier. – Tôt levé ce matin. Tôt achevé mes Pensées de l’aube. Tôt relancé la machine. Grand beau temps. Bonne écriture en perspective. Bonne lecture. Bonne peinture. Et ce sentiment cuisant, cependant, que tout va à vau-l’eau. Pour ce qui me concerne alors : tout à relancer, tout à revivifier. Le sentiment d’une grande solitude, quoique je sois bien entouré par des proches très attentifs. Mais le sentiment de froid et de vide, s’agissant des autres, n’en est pas moins là. Seule réponse me concernant : mes livres, ma peinture, la présence d'L.

     

     

    °°° 

    Se rappeler, à tout moment, que c’est le manuscrit qui commande – le manuscrit et la toile aussi. Faire compte seul. Ne faire que faire. Ne faire que ce qui me plaît. Or ce qui me plaît essentiellement, c’est tirer, de la matière, beauté et spiritualité. Ne penser ainsi qu’à donner. C’est cela même : ne penser qu’à donner.

     

    A La Désirade, ce lundi 26 janvier. – Très bonnes dispositions ce matin, après un éveil troublé par un cauchemar. Mon idée fixe : ne faire que faire, une chose après l’autre. Ne plus rien attendre de quiconque, hors de mes tout proches, et construire obstinément. Ceci constitue d’ailleurs ma force : l’obstination.

     

    Notre besoin lancinant de reconnaissance relève d’une espèce d’obsession d’époque qui nous impatiente et nous affole, proportionné sans doute au sentiment que nous avons d’être seuls et abandonnés

     

    °°°  

     

    Renouer avec le texte et la matière picturale est essentiel. J’entends : le geste. Cela surtout compte : le geste.

     

    °°°

     

    Sheers1.jpgJe suis en train de découvrir, ces jours, trois nouveaux auteurs anglais de belle qualité : Owen Sheers, John Burnside et David Mitchell. Résistance d’Owen Sheers est immédiatement prenant, dans la foulée poétique d’Edna O’Brian ou de John McGahern. Il y a là une épaisseur humaine et une qualité poétique d’expression rares aujourd’hui. Ces auteurs ont en commun un sens de la société beaucoup plus affûté que leurs pairs français

      

             °°°

    L’allégresse vient en chantant.

     

    °°°

    Peut-on rester croyant en étudiant réellement les textes ? Je me le demande. Je me demande quelle sorte de foi reste possible… de bonne foi ? Je sais que l’amour reste et que l’inquiétude subsiste elle aussi, mais ce qu’on appelle la foi ? Je me le demande. Newman disait: « De même que dix mille poneys ne font pas un cheval, dix mille difficultés ne font pas un doute ». Or n’est-ce pas, justement une de ces pirouettes de théologiens qui relèvent d’une certaine mauvaise foi ?

     

    A La Désirade, ce jeudi 29 janvier. – Nouvelle surprise ce matin, à la lecture des stats de mon blog : plus de 1000 visites en un jour et 11.000 pages consultées. Et pourquoi cela ? Quel nom, quel thème ont suscité ce regain d’attention ? Quelle recommandation de qui ? Pas la moindre idée.

     

    °°°

    Assez intéressé par le nouveau livre de Danielle Sallenave, Nous, on ne lit pas, où elle raconte ses expériences dans une école de Toulon. Note au passage qu’elle considère l’écriture comme une joie qui contient sa propre rémunération. Tout à fait mon sentiment.

     

    Vif plaisir à lire Interventions 2 de Michel Houellebecq. Sacré lascar tout de même. Sa façon de traiter Prévert de con et de parler de Robbe-Grillet m’est plutôt sympathique ; sa façon de faire le mariole n’exclut pas des vues intéressantes et souvent originales.

    PaintJLK32.JPGDe la lecture. – Moi c’est comme une lumière qui montrerait tout à coup les couleurs du vitrail, un livre, c’est comme une fleur de papier qui s’ouvre dans l’eau, ou c’est comme l’eau que tu découvres toute nue et toute fraîche et toute froide et toute belle après le coup de hache dans la glace du lac…

     

    De la délicatesse. – Toi je vois que tu ne supportes pas les compliments et la lèche des médias et des gens importants, après ton concert, te retenant cependant de ne pas leur sourire de tes vieilles dents de divine pianiste à peu près aveugle, et c’est pourquoi je reste si longtemps à t’observer de loin, te souriant lorsque tu te penches vers notre enfant qui s’excuse de te déranger avant de t’offrir son bouquet de pensées…

     

    De la bienveillance. – À ces petits crevés des fonds de classes mieux vaut ne pas trop montrer qu’on les aime plus que les futurs gagnants bien  peignés du premier rang, mais c’est à eux qu’on réservera le plus de soi s’ils le demandent, ces chiens pelés qui n’ont reçu que des coups ou même pas ça : qui n’ont même pas qui que ce soit pour les empêcher de se déprécier.

     

    Ascal2.jpgÀ La Désirade, ce samedi 31 janvier. – En apesanteur ces jours, ou peu s’en faut. Content d’un nouveau lien, avec Françoise Ascal, écrivain de Franche-Comté qui a suivi la composition de mon Enfant prodigue avec beaucoup d’attention. Ses propres mots et images, dans un très beau texte intitulé Noir-racine, paru sur Remue.net, m’ont immédiatement touché. L’ai signalé sur mon blog en lui dédiant mes dernières Pensées de l’aube. En outre recopié l’ensemble de celles-ci à ce jour : tout janvier 2009. Dix pages.

     

  • Le Kid

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    …Mais oui, je sais, vous êtes affreux, sales et méchants, un peu moins les femmes mais encore, un peu moins les mômes en dessous de trois ans mais encore, je dirais pas que c’est la seule Faute du Père, là je suis pas juge, c’est vrai qu’Il était déjà bien vieux quand Il a fabriqué tout ça, et sûr qu’Il a dû trembler la moindre au moment des finitions, mais bon, faut faire avec et je vous le dis en vérité je vous le dis: laissez-vous venir à moi et j’arrange tout ça…
    Image : Philip Seelen

  • Une Chinoise qui vaut de l'or

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    Au Festival de Locarno 2009, le palmarès, sans concessions, consacre la qualité plus que l’éventuelle popularité…
    C’est une petite bonne femme pétant le feu et toute de rouge vêtue, du nom de Xiaolu Guo, qui est montée hier sur la scène de la Piazza Grande pour recevoir, en présence du président du jury de la compétition internationale, le réalisateur brésilien Jonathan Nossiter, le Léopard d’or de l’édition 2009 assorti d’une somme de 90.000 francs, pour Elle, une Chinoise, film produit par le Royaume uni, la France et l’Allemagne. Figure talentueuse et combative déjà connue en Angleterre et en France comme romancière et cinéaste, Xiaolu Guo incarne la création indépendante attentive aux ruptures sociales et humaines de l’époque. Son film raconte ainsi les tribulations d’une jeune Chinoise quittant son trou de province pour l’Angleterre où elle subit et surmonte de dures et significatives épreuves.
    LocarnoChinese.jpgCe choix rigoureux appelle une seule question déjà posée en 2007 et 2008 : verra-t-on Elle, une Chinoise, dans les salles obscures ? Même question à propos des deux autres fleurons du palmarès : Nothing personal de la Néerlandaise d’origine polonaise Urszula Antoniak, gratifié de cinq récompenses dont le Léopard de la première œuvre, le prix de la critique et le prix d’interprétation à Lotte Verbeek ; et Buben baraban du réalisateur russe Alexei Mizgirev, prix spécial du jury international. Par ailleurs, le Léopard d’or de la section Cinéastes du présent consacre lui aussi une œuvre « radicale » avec The Anchorage, des réalisateurs américano-suédois C.W. Winter et Anders Edström, sévère évocation poétique de la vie d’une femme en harmonie avec la nature.
    LocarnoGiulia.jpgEn contraste certain, le prix du public a été attribué à Giulias Verschwinden de l’Alémanique Christoph Schaub, comédie qui a marqué l’un des beaux soirs de la Piazza Grande, tandis que le prix d’interprétation masculine récompense le formidable comédien grec Antonis Kafetzopoulos, dans l’irrésistible Akadimia Platonos de Filippos Tsitos, qui décroche le prix du Jury œcuménique alors que Piombo Fuso, poignante traversée des ruines de Gaza par le réalisateur italien Stefano Savona, reçoit le prix spécial du jury des Cinéastes du présent.
    LocarnoPiombo.jpgSi le Romand Frédéric Mermoud (seul Suisse en compétition internationale avec Complices) revient bredouille de Locarno, saluons le petit léopard d’or à Chris Niemeyer pour son court métrage Las pelotas. Enfin, dernier clin d’œil au grand public : le prix Variety Piazza Grande distingue le potentiel « grand public » de Same Same but Different, de Detlev Buck évoquant les amours d’un jeune Allemand en Asie, comme un juste retour des choses…

  • Ceux qui se font du cinéma

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    Celui qui change de voix quand il se sait filmé / Celle qui exige le final cut de son porno populaire de qualité / Ceux qui ont choisi de faire passer un message subliminal dans leur polar glauque qui incite à la consommation du Red Bull / Celui qui ne sait plus que faire du couple d’échangistes lusophone qu’il a engagé pour la séquence chaude finalement sucrée / Celle qui explique toute la nuit le sens de son court métrage hyper-hermétique inspiré par la lecture du Talmud et de Paulo Coelho / Ceux qui parlent volontiers pour les tables voisines / Celui qui connaît par leur prénom tous les membres du jury dont il ne sait pas qu’ils ne visionneront même pas son film / Celle qui exagère un peu quand elle prétend que sa fonction d’accessoiriste sur le dernier film du Danois la satisfait pleinement / Ceux qui se font tout un cinoche après avoir casé un projet de scénar à la télé allemande / Celui dont le prochain film-concept sera fait avec les rushes du précédent / Celle qui reçoit le Seigneur toutes les nuits et s’étonne le matin d’avoir les genoux en compote / Ceux qui gerbent dès qu’ils entendent le nom de Dieu / Celui qui se découvre un frère albanais fou come lui de Jim Morrison et capable de chanter divers chants populaires chinois / Celle qui a dû refaire sept fois la prise de la scène où elle a pouffé au lieu de sangloter / Ceux qui sortent du film de Godard en constatant gravement que c’est tout à fait du Godard / Celui qui fait tous les festivals pour on ne sait quels journaux qui ont d’ailleurs marre de sa prose imbibée par tous les cocktails où il se fait inviter / Celle qui se demande ce qu’est devenu le chien d’Une journée de Jacob Berger et ce que deviendra le chien Patriot du film Akadimia Platonos / Ceux qui ont déjà réservé leur chambre au Grand Hôtel pour le festival 2010 sans se douter que le Destin les attend en novembre 2009 au lieudit Le Virage de la Mort / Celui qui ne regarde jamais les films jusqu’au bout afin de pouvoir imaginer lui-même leur dénouement / Celle qui a menacé son ex d’arrêter le cinéma s’il n’arrêtait pas de fumer et qui a tenu parole / Ceux qui camouflent leur muflerie naturelle sous les dehors d’un cynisme blasé typique des critiques de cinéma germanophones et des attachés de presse désabusés, etc.

    (Notes prise dans le train de retour du Festival de Locarno 2009)

  • Bilan avant terme

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    Le grand écart d’une fête du cinéma en quête d’un nouveau souffle: la 62e édition du Festival international du film de Locarno s’achève aujourd’hui. Profuse, passionnante et conviviale, mais sans grandes révélations, sur fond de mal-être mondial… et bernois. Révérence à Frédéric Maire…

    « Cette fois nous n’aurons pas droit à l’erreur », déclarait Frédéric Maire à 24Heures en présentant la quatrième et dernière édition dont il aura assumé la direction artistique depuis 2006, avant de reprendre celle de la Cinémathèque suisse en octobre prochain. Chaleureusement applaudi chaque fois qu’il présente un film au public, sur la Piazza Grande ou en salle, le polyglotte à dégaine d’amical plantigrade aura marqué son «règne» en acclimatant des goûts parfois opposés, en 2009 plus que jamais. L’image du zizanique Pippo Delbono, invité d’honneur, assistant à la parade du Pokémon Pikatchu, sifflé par les « purs » de la Piazza, résume bien le grand écart récurrent de la programmation, dont les «erreurs» ont été discutées.
    Inégale Piazza…
    Sur la Piazza Grande, souvent dite la plus belle salle de projection du monde, le (plaisant) film d’ouverture, (500) Days of Summer de Marc Webb, autant que la nuit des mangas (public clairsemé) ou La valle delle ombre, du réalisateur tessinois Mihaly Györki cafouillant un peu dans le folk helvético-fantastique, ont été les plus critiqués. Mais le lieu a fait le plein la plupart du temps, sauf deux soirs de furieuse pluie…

    Côté compétition internationale, la sélection a révélé des films souvent «plombés » par un mal-être mondial, mais ce reflet de la création contemporaine peut-il être imputé au Festival ? La prédominance des films-témoins, au détriment de fictions novatrices, est pourtant un fait. Par ailleurs, la compétition des Cinéastes du Présent et des Léopards de demain (courts métrages de la relève) ne cesse de gagner du terrain de manière significative. Dans un cas comme dans l’autre, cette fenêtre sur la création internationale échappant aux standards du succès commercial est intéressante pour les réalisateurs autant que pour le public curieux, qui a découvert en outre, cette année, le monde foisonnant des mangas.

    Dans l’esprit de Locarno
    Si certains choix de Frédéric Maire et de son équipe peuvent se discuter, ce qu’on a dit « l’esprit de Locarno », rappelé à l’ouverture par le Président  Marco Solari, a été globalement défendu au fil de cette 62e édition, dont les salles pleines sont le meilleur « juge ».
    Or le public de Locarno devrait, lui aussi, mériter un Léopard collectif. Ni consommateur moutonnier ni sectaire intellocrate, il fait de ce festival une manifestation à part. Locarno ne sera jamais Cannes, et l’impatience de Nicolas Bideau devant son manque de « glamour » fait déjà figure de fantasme dépassé, alors même qu’on peut se réjouir de l’attention nouvelle portée à la manifestation via le Prix Variety Piazza Grande décerné depuis l’an passé par la prestigieuse revue américaine…

    À ce soir le palmarès. À demain le prochain (re)bond du léopard, au goût d’Olivier Père…

    LocarnoGiulia.jpgLa Suisse des créateurs
    À en croire Jean-Frédéric Jauslin, chef de l’Office fédéral de la culture et chaperon de Nicolas Bideau, lui-même chaperonné par Pascal Couchepin, le cinéma suisse se pterait bien. Le producteur lausannois Robert Boner, grand routard de la profession et en guerre contre Monsieur Cinéma, est beaucoup moins optimiste. Malgré le pitoyable spectacle de ces bisbilles, nous aurons découvert quelques bons films suisses à Locarno. Sur la Piazza Grande, ce fut le nouvel opus de Christoph Schaub, Giulia’s Verschwinden, comédie tendre et drôle d’écriture un peu lisse mais servie par un dialogue magistral de Martin Suter et d’excellents interprètes. «Populaire de qualité »... Et Complices, le premier long métrage de Frédéric Mermoud, seul en compétition, satisfait à la même formule simplette dans le genre polar, avec une forme plus originale et un regard plus aigu sur les dérives de jeunes desperados. Autre réalisation largement reconnue, et gratifiée du Prix de la presse tessinoise : The Marsdreamers de Richard Dindo, maître lui aussi de l’ancienne garde qui a dû passer un véritable examen de débutant, à Berne, avant d’obtenir une aide pour ce flamboyant documentaire… Mais oui, le cinéma suisse existe, grâce surtout à ses créateurs…

    LocarnoPlatonos1.jpgQuels léopards à l’arrivée ?
    Un léopard d’or couronnant un film que le public ne verra pas a-t-il un sens ? C’est la question qui a été posée à propos des deux derniers lauréats de la compétition internationale. Or peut-on sortir, en 2009, de cette difficulté ? Ce serait possible avec une comédie irrésistible, à la fois truculente et très subtile dans son observation, de la xénophobie ordinaire engendrée par les mélanges de population : Akadimia Platonos, de Filippos Tsitos. Dans un quartier populaire athénien, quelques glandeurs quadras et quinquas distillent leur venin contre les Albanais du coin, tandis que les Chinois colonisent la place. Et voici que Stavros, aussi chauvin grec qu’amateur de rock, apprend que sa vieille mère parle l’albanais et qu’il a un frère, lui aussi amateur de rock… Proche du premier Kusturica et de Stephen Frears ou Ken Loach, avec un regard très pénétrant et subtil, Filippos Tsitos a conquis le public. Côté Cinéastes du présent, Piombo fuso de Stefano Savona, conjuguant reportage et création, a également impressionné par sa ressaisie de la tragédie de Gaza vécue du coté des civils immolés. Enfin, au nombre des courts métrages, nous aurons relevé le magnifique Love in vain du Finnois Mikko Myllyahti, et le poème cinématographique déchirant de l’Argentin Igor Galuk, dans Tuneles en el Rio. Verdict ce soir sur la Piazza Grande…

  • MON léopard d'or...

    LocarnoPlatonos1.jpgÀ propos d'Akadimia Platonos, de Filippos Tsitos. (Grèce/Allemagne). Genre comédie satirico-sociale. En compétition internationale au Festival international du film de Locarno. Palmarès samedi soir.  

    Dans le quartier où se situait la fameuse Académie de Platon, un groupe de parfaits glandeurs quadras et quinquas, tous férus de vieux rock, se retrouvent tous les jours devant le kiosque de Stavros (formidable Antoni Kafetzopoulos) pour distiller leur venin contres les Albanais (fidèlement aboyés par le chien Patriote) tandis que les Chinois envahissent méthodiquement le quartier. Or voici que se pointe un jour un Albanais qui se dit le frère de Stavros, auquel sa mère a caché qu'elle parlait parfaitement l'albanais et avait fui en Grèce avec lui en son plus jeunes âge. Avec beaucoup de faconde et de subtilité, sans craindre pour autant le gros trait satirique (ce monument à l'interculturalité que le maire fait construire sous les fenêtres de Stavros...), le film décortique les mécanismes de la xénophobie ordinaire comme il pourrait le faire dans n'importe laquelle de nos bonnes villes suisses ou européennes. Galerie savoureuse de portraits de beaufs vitelloniens de plus en plus attachants, le film illustre une probématique qui éclate dans le cimetière où les deux frères (vrais ou faux, nul n'en a la preuve formelle) en viennent aux mains au-dessus du cercueil de leur mère. On pense à Stephen Frears ou Ken Loach pour l'esprit de ce tableau social drôle et tendre à la fois, sur fond de questionnement identitaire. Bref, Akadimia Platonos ferait un Léopard d'or propre à réconcilier cinéphiles exigeants et grand public.

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  • Ceux qui titubent dans les rues désertes

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    Celui qui donne le nom de Metallica au premier rejeton de son union secrète avec la diva gothique Rotmulf III / Celle qui somnole la bouche ouverte au milieu des asphodèles / Ceux qui se sont juré de ne pas trahir leur serment de Göteborg (mars 1913) et qui sont tous décédés depuis lors / Celui qui parfume ses draps au Stilton nuance barefoot / Celle qui prétend faire exorciser sa chienne Tombola / Ceux qui se shootent à la vodkaramel au bar du sous-sol de la Brasserie alsacienne / Celui qui rêve que Pascal Obispo cherche à lui vendre une oreille de coyote / Celle qui affirme que ses ovaires ne lui font plus mal depuis qu’elle est a fait le stage de la Science Chrétienne / Ceux qui ont misé sur l’éviction de la conseillère d’Etat responsable des relations extérieures du canton d’Appenzell Rhodes intérieures / Celui qui lit Nicolas de Cues dans le texte en écoutant le dernier Lou Reed / Celle qui ne jure que par la palmothérapie liquoreuse / Ceux qui méditent sur l’axe des nœuds dans la configuration astrale de Paul McCartney dont ils entretiennent le culte dans leur club de la rue du Tapir / Celui qui (dit-il) navigue au sonar dans l’océan des sentiments de sa bien-aimée Najma Firuz / Celle qui a soigné les vergetures de Najma Firuz au lait de jument du Kurdistan / Ceux qui expliquent leur ambition dévorante par la combinaison de leur passé karmique et de leur taux de testostérone / Celui attribue des vertus curatives à la salive de son épagneul / Celle qui se propose d’offrir un lama à son hôte de marque japonais / Ceux qui s’impatientent de se défoncer en septembre prochain à la buvette du camping Les Pins du Lavandou, etc.

  • En mal de fiction...

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    Au Festival de Locarno, les faits et les films « à thèmes » surabondent, mais le génie du conte se fait rare...

    Les cinéastes « du réel » foisonnent aujourd’hui, dont Locarno accueille les réalisations en marge de la production « mainstream » du cinéma qu’on a justement dit l’ « usine à rêves ». Documents et témoignages rendent compte de l’état du monde, dont les problèmes collectifs et personnels se mondialisent de plus en plus. Malaise de la jeunesse, malaise de la vieillesse, crise d’identité des populations migrantes, angoisse écologique : autant de thèmes qui nourrissent quantité de témoignages filmés, mais aussi de fictions à caractère documentaire. Du remarquable Men on the bridge de la jeune réalisatrice turque Asli Özge, dont quatre personnages reflètent le même mal-être à Istamboul que celui du jeune protagoniste brésilien d’ Os famosos e os duendes da morte, d’Esmir Filho, la frontière entre faits réels et fiction est impalpable. De la même façon, le beau premier long métrage du Français Laurent Perreau, L’Insurgée, modulant les errements d’une jeune rebelle, autant que l’émouvant Shirley Adams du Sud-Africain Oliver Hermanus, décrivant la sombre destinée d’une mère Courage sacrifiée pour son fils paraplégique, valent plus en tant que « reflets » d’une société que par leur invention artistique. Plus précisément, la forme réellement nouvelle, l’histoire réellement saisissante, la vision réellement personnelle, voire unique, se font rares. Or un grand film a toujours combiné les observations psychologiques ou sociales les plus aiguës et une histoire portée par des personnages. Qu’on se rappelle le néo-réalisme italien ou l’inoubliable Vivre de Kurosawa, qui raconte le Japon des années 50 à travers la destinée d’un seul personnage.
    Sans entonner le chant du coq chauvin, relevons cependant le mérite de Christoph Schaub, avec Giulia’s Verschwinden, et de Frédéric Mermoud, dans Complices, de retrouver cet élan vers la fiction. Mercredi soir sur la Piazza Grande, la projection de La vallée des ombres de Mihaly Györik, tournée dans les hautes vallées du Tessin, devrait également relancer le génie du conte, autant qu’ Ivul, la nouvelle réalisation d’Andrew Kötting, en coproduction franco-suisse, où Jean-Luc Bideau incarne un Russe amoureux de la nature confronté à la révolte de son fils Alex qui choisit de camper sur le toit de la maison après avoir été accusé d’inceste…

    Image: La Valle delle ombre, de Mihaly Györik.

  • Vive la comédie !

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    Drôle et tendre comme la vie: Giulia's Verschwinden…



    Picasso disait en ses vieux jours ( !) qu’il faut toute une vie pour devenir jeune, et la rassurante formule pourrait conclure le meilleur film à ce jour du réalisateur alémanique Christoph Schaub, dédié à Daniel Schmid et (magistralement) écrit par Martin Suter. On pourrait d’ailleurs remarquer, en préambule, et par contraste, que le cinéma suisse (et romand particulièrement) a trop souvent manqué de scénaristes et de dialoguistes à la hauteur, capable de « tenir » la durée d’un film avec la maestria de Giulia's Verschwinden (La Disparition de Giulia) En d’autres temps, Gore Vidal écrivit que le meilleur du cinéma américain devait beaucoup aux grands écrivains lui prêtant leur talent. Autant dire que le brio d’un Martin Suter devrait faire réfléchir « la profession »…

    Comme l’auteur de Small World l’a dit lui-même sur la scène de la Piazza Grande, le thème de Giulias’s Verschwinden (en bref, la peur du cap de la cinquantaine) nous concerne tous, liée à la peur de mourir ou, avant cela, de devenir « invisible ». Le soir de ses cinquante ans, Giulia (Corinna Harfouch, merveilleuse de douceur mélancolique, puis de malice rayonnante) le ressent déjà dans le bus qui la transporte auprès des amis qui vont la fêter (un couple d’homos sur le retour et une joyeuse paire d’hétéros se soignant en faisant l’amour, notamment), bousculée par des jeunes gens piaffants. La rencontre inopinée d’un sexa de passage (Bruno Ganz, d’une présence sensible au-dessus de tout éloge) va dérouter Giulia le temps des quatre cinquièmes du film durant lesquels on assistera, simultanément, aux débats carabinés des amis impatients et à la célébration d’une autre anniversaire dans un asile de vieillards, pas piqué des charançons…

    La meilleure façon de rendre le tragique de la vie, disait à peu Brecht, est d’en faire une comédie, Christoph Schaub, sur la trame satirique de Martin Suter, y excelle avec générosité, parfois jusqu’à la limite du gros trait, mais l’essentiel du propos est plus subtil, plus tendre et plus émouvant, avec le début d’une histoire d’amour entre Giulia et son bon ange de rencontre. Cadeau !

  • Ceux qui sont dans le casting

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    Celui qui ne verra pas la fin du film / Celle qu’on a éjecté du casting pour comportement inapproprié envers l’assistant réalisateur qu’elle estimait trop entreprenant / Ceux qui lanternent dans l’arrière-cour du studio 7 en costumes de prisonniers du goulag même pas sûrs de figurer dans les prises de ce jour / Celui qui ressemble un peu à Sean Penn mais pas assez pour qu’on lui demande des autographes / Celle qui se demande si le ministre de la culture se fout du monde en resservant aux médias sa formule débile d’un cinéma populaire de qualité / Ceux qui se demandent si tous les chefs-d’œuvre du 7e art répondent aux critères d’un cinéma populaire de qualité / Celui qui trouve aux blaireaux qui président aux destinées de la politique culturelle des cantons le même air de représentants en ventilateurs / Celle qui va revoir régulièrement les films où sa sœur jumelle joue les rôles dont elle aussi a rêvé / Ceux qui distribuent des Awards de la nullité aux décideurs de la branche / Celui qui prétend avoir couché avec Béatrice Dalle sans en être sûr sûr tellement il était gelé à la vodka-pomme ce soir-là / Celle qui s’identifie complètement au personnage de Jean Seberg dans À bout de souffle en dépit de ses 67 ans bien frappés / Ceux qui ont été touchés par le film Giulias Verschwinden de Christoph Schaub qui parle si tendrement et justement du vieillissement par le truchement de deux acteurs sublimes / Celui qui prend un œuf dur dans le même panier que Michel Piccoli au Continental Breakfast de l’Hôtel Ramada Super / Celle qui a failli jouer dans le film juste pas retenu dans la Compétition internationale mais présenté dans la section Talents de demain / Ceux qui ne sont pas au clair sur la notion de The place to be at the right Moment et d’ailleurs s’en contrefoutent / Celui qui déguste le délicieux risotto à la manière noire à côté de l’actrice vénézuélienne qui a choisi une polenta plus populaire mais de qualité sur la terrasse de Luigi / Ceux qui croyaient voir Cameron Diaz en chair et en os alors qu’elle s’est contentée d’envoyer une carte postale électronique projetée juste avant le film où elle apparaît la boule à zéro / Celui qui se sent les jambes très lourdes après les deux heures qu’il est resté coincé dans un parterre de 500 kids à voir le super-manga Nausicaa de la Vallé du Vent de Hayao Miyazaki, etc.

  • Le coup du téléphone portable

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    À propos de Téhéran sans permission, de Sepideh Farsi, vu à Locarno.
    Découvrir en même temps une quantité de films récents venus des quatre coins du monde permet, entre autres, de repérer des similitudes thématiques ou techniques intéressantes. Frédéric Maire a relevé la prédominance, dans l’édition 2009 du Festival de Locarno, des thèmes liés à la migration et aux questions d’identité personnelle ou collective qui en découlent, et la croissante inquiétude engendrée par la catastrophe écologique.

    Dans une note de son blog de critique de cinéma ferré (http://dua.typepad.com), Antoine Duplan relève aussi la récurrence des séquences finales en bord de mer, comme on le voit dans Shirley Adams, Wakaranai et My sisters’ keeper, mais aussi dans Men on the Bridge, évoquant quelques tranches de vie dans la mégapole turque – tous films auxquels je reviendrai.
    Dans l’immédiat, cependant, c’est à une coproduction franco-iranienne que j’aimerais m’arrêter en relevant deux autres récurrences : celle du filmage par téléphone portable, comme s’y est employé Pippo Delbono dans La Paura, et celle de l’intervention du rap, qu’on retrouve au fil de la narration de Téhéran sans permission, de la réalisatrice iranoienne quadragénaire Sepideh Farsi (auteure du Regard et d’une chronique familiale, Harat, présentée en 2007 à Locarno), dont les paroles extrêmement percutantes donnent une idée de ce qui se passe « sous le voile » de l’islamisme.
    Kaléidoscope «volé» à la vie quotidienne, où alternent les plans généraux de rues ou de places dégageant un climat de constante surveillance, les panoramiques sur la ville immense et grouillante ou les cadres serrés sur le profil de tel ou tel personnage acceptant d’être filmé en voiture (et ce sont alors des micro-témoignages souvent révélateurs), Téhéran sans permission, parfois brut de décoffrage dans sa forme, et parfois plus élaboré, a le grand mérite de nous montrer l’Iran actuel tel que le traverse une jeune Iranienne occidentalisée, sans entrer dans le détail du débat social ou politique – et c’est aussi ses limites. Impressionniste, servi par des questions claires et fermement formulée par la filmeuse, ce tableau-deportage illustre l’opposition constante de la modernité technologique et de l’archaïsme idéologique d’un pays vivant et plein d’énergies contraintes. La vision, à un moment donné, des caciques islamiques apparaissant en gros plan sur les écrans high-tech de la campagne électorale télévisée, barbes et rides hors d’âge, regards sombres et butés sur fond de studios léchés, en dit autant qu’un discours politisé, de même que ce témoignage d’un jeune disant tout haut ce que ceux de sa génération vivent tous les jours endouce: que c’en est marre de supporter ces plus ou moins vieux birbes dont le Dieu ne cesse de fulminer contre la vie…
    Pour saisir cette réalité réelle qu’une équipe dotée d’un lourd matériel n’eût jamais capté de la sorte, le « coup du portable » n’a rien d’un gadget artificiel. Comme la petite caméra ultra légère du filmeur Alain Cavalier, c’est un moyen nouveau de faire passer ce qu’il est urgent de dire librement…

  • Très cool, même super…

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    Hors champ

    Dans le magma de la production culturelle, et plus particulièrement dans le cinéma de grande consommation, la notion de fun tend à devenir, pour beaucoup, le critère unique de  qualité, nourri par des adjectifs aussi nivelés que ceux de cool et de super. Par opposition, toute réflexion plus élaborée, toute analyse échappant aux poncifs de ce qui est cool ou de ce qui est carrément  super, relève désormais de la « prise de tête », et l’on se demande souvent comment échapper à cette antinomie qui se traduit de plus en plus, dans les médias, par les chiffres de « ce qui marche » et de « ce qui ne marche pas », réductibles aux BONUS et MALUS sériés par Godard dans un long clip très cool, voire super dont je ne me rappelle pas le titre.

    À cet égard, une manifestation comme le Festival de Locarno, rassemblant plus de deux cents films du monde entier ressortissant à tous les genres et sur une durée de deux semaines, permet de rompre à tout moment avec cette terrifiante paresse intellectuelle, au simple contact des œuvres, non seulement vues mais donnant lieu à de constants échanges avec un peu tout le monde. Voir un film après l’avoir choisi dans un catalogue extrêmement bien conçu de plus de 400 pages. Assister à sa présentation par son réalisateur souvent accompagné de collaborateurs ou de comédiens, en discuter après la projection, en discuter sur les terrasses flanquant les divers lieux de projection ou sur la Piazza, le soir ; en discuter dans les bus, en discuter dans les vasques de la Maggia ou sur les bancs du bord du lac, en discuter au backpacker d’Aurigeno ou dans les hôtels plus ou moins chics avec des gens venus d’un peu partout : c’est cela Locarno, entre autres choses.C’est convivial. Le terme e st galvaudé mais il convient en l’occurrence. Par hasard, de matin, je réponds au sourire  d’un jeune homme, dans le bus nous conduisant à la salle de projection de la FEVI, qui m’a souri l’autre jour vers la Piazza Grande. Ce garçon m’a tout de suite dit venir de Chypre, vivre à Londres et se trouver ravi par ce festival où, hier, a été présenté le film Shirley Adams, dont il est le co-scénariste. Voilà : pas plus compliqué que ça ! Et tout à l’heure, tandis que l’orage gronde au-dessus des montagnes boisées, nous irons voir Shirley Adams dont Stavros a écrit le scénario, son premier à se trouver réalisé par un de ses condisciples de la London School… Stavros Pamballis m’a donné sa carte avec toutes ses coordonnées. Si le film me plaît, je le relancerai et en parlerai sur mes blogs. Ce sera cool et même super de se parler comme ça après s’être rencontré par hasard dans un bus…

  • Ouverture en beauté

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    De la reprise de Vitus, magnifiée au piano par un Teo Gheorghiu sorti de l’écran, à la découverte de (500) Days of Summer, comédie douce-amère pimentée d’humour de Marc Webb, en première européenne sur la Piazza Grande, le coup d'envoi du Festival de Locarno  a donné le ton à l’enseigne de la qualité et de la diversité…

    Entre douceur de vivre, le long des rives du lac aux eaux lustrales où se reflètent les palmiers, et douleurs du monde se multipliant sur les écrans, le 62e Festival de Locarno s’est ouvert hier en beauté et en nuances, dans son esprit traditionnel de liberté et de diversité qu’ont rappelé le soir, sur la Piazza Grande, Marco Solari le président et Frédéric Maire, directeur artistique dont ce sera la quatrième et dernière édition.

    « Festival pas comme les autres », a répété Marco Solari en insistant sur la vocation de découverte de Locarno, où nous avons découvert précisément, il y trois ans de ça, le superbe Vitus de Fredi M.Murer, l’un des plus grands auteurs suisses de cinéma (L’Âme sœur restant évidemment son chef-d’œuvre) consacré par diverses distinctions (prix du Cinéma suisse et prix du public à Soleure en 2007) comme à l'étranger ( prix du public à Rome, Los Angeles, Chicago, Ours de bronze à Berlin en 2007).

    LocarnoTeo.jpgOr, symboliquement et par manière de pied de nez à ceux qui ont vu un « film de vieux » dans cette exaltation joyeusement « grand public » de la créativité portée à la fois par Bruno Ganz (le grand-père) et Teo Gheorghiu (le petit prodige de 12 ans), le jeune pianiste de 17 ans, désormais engagé dans une carrière internationale, est sorti hier de l’écran pour interpréter, avec l’Orchestre de la Suisse italienne dirigé par Mario Beretta (compositeur de la bande originale », le même concerto pour piano de Schumann que dans le film…

    Intermittences du cœur

    Même fraîcheur à découvrir ensuite, sur la Piazza où montait une lune presque pleine, avec (500) Days of Summer,  premier « long » du réalisateur américain Marc Webb, déjà connu pour diverses vidéos musicales (notamment), présent sur scène avec le scénariste Michael H. Weber. L’occasion immédiate de souligner le type de chronologie bousculée de la narration, alternant le numéro des 500 jours dans un joyeux et savant désordre.

    L’argument du film est la rencontre cinq cent fois reprise et ajournée d’un jeune romantique un peu velléitaire (Tom, interprété par un Joseph Gordon-Levitt délicieusement charmeur) et d’une imprévisible, adorable et fuyante  Dulcinée (Summer de son nom, jouée par Zoeey Deschanel), revisitée dans les miroirs de la mémoire de Tom. Rien de follement  original là-dedans, mais un ton, une légèreté frottée de mélancolie, une grâce malicieuse, une vivacité de montage, une joyeuseté dans la multiplication des clins d’oeil (au Lauréat, au Smiths, à Jacques Demy, entre autres) qui vaudront sans doute une carrière caracolante à ce film tout fun tout flamme…

    De la scène à l’écran

    Ainsi que l’a raconté Frédéric Maire en préambule, c’est pour le festival de Locarno que le réalisateur israélien Amos Gitai a « capté» le spectacle qu’il a présenté en juillet au Festival d’Avignon, tissé de sa lecture de La guerre des juifs de Flavius Josèphe, entre autres textes fondant sa culture personnelle. Un peu dans la filiation des créations polyphoniques d’un Peter Brook, La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres renvoie, sans didactisme pesant, à la réflexion poéique et politique d’Amos Gitaï sur le Proche-Orient contemporain et les sources de ses conflits, de Kippour (2000) à Désengagement (207) et Plus tard tu comprendras que nous avons découvert l’an dernier sur la Piazza Grande…     

  • Jeanne Moreau sur la Piazza Grande

     

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    La grande dame du cinéma français "présente" à l’ouverture...

     Un mois exactement après avoir fait l’ouverture du dernier Festival d’Avignon, Jeanne Moreau remettait ça hier soir sur le grand écran de la Piazza Grande, sous une lune à peu près ronde, dans un film d’Amos Gitaï tiré du spectacle présenté en Avignon. L’an dernier sur la Piazza, une vive émotion avait déjà passé à travers la présence de la plus grande comédienne française vivante, dans un film du même réalisateur israélien, évoquant la mémoire de la Shoah sous le titre de Plus tard tu comprendras.

    Cette année, c’est La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres, constituant la captation du spectacle présenté en juillet dans la carrière de Boulbon, que Jeanne Moreau porte littéralement de sa voix sombre et soyeuse. Au milieu de la scène, elle y incarne l’historien juif de langue grecque Flavius Josèph, auteur  de La Guerre des Juifs qui documente la première guerre judéo-romaine à laquelle il prit part dès l’an 67 et dont Amos Gitaï a tiré cette adaptation.

    Dans une forme tenant plus de l’oratorio que du drame historique, spectacle multilingue et polyphonie musicale à multiples instruments, à quoi s’ajoute  le contrepoint vocal de Tamar Capsouto, le film ne manque pas de résonances actuelles à travers son évocation explicite des dérives fanatiques du nationalisme ou de la religion.

    Incarnant par excellence l’actrice engagée fidèle à ses idéaux (elle fut, soit dit en passant, de la première édition d’Avignon en 1947…), comme un Michel Piccoli de retour lui aussi, cette année, sur la Piazza Grande.

    Immense actrice mais aussi réalisatrice, académicienne (mais oui…) et un peu plus qu’octogénaire (chut…), Jeanne Moreau  aurait tout loisir de se reposer aujourd’hui sur ses lauriers. D’autant plus impressionnant est alors son engagement généreux auprès de réalisateurs et de comédiens dont certains pourraient être ses petits-enfants.. .

  • Pippo l'iconoclaste


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    La Paura, dernier film de l'invité d’honneur du Festival de Locarno, réalisé avec un téléphone mobile, suscite toutes les curiosités

    Quand Pippo Delbono dégaine sa caméra de poche, le carabiniere de l’ère Berlusconi se pointe et lui dit de circuler : rien à voir ! Le « rien », c’est juste la mort d’un petit Africain qu’on enterre, massacré par les tenanciers d’un kiosque milanais où il venait de faucher un paquet de biscuits. Un « rien » dont Pippo le révolté voulait témoigner, comme il l’a fait depuis vingt ans au théâtre et au cinéma, dans la lignée du Pasolini le plus sauvage: le « rien » des victimes oubliées des dictatures latino-américaines, dans Le Temps des assassins, qui marqua les débuts de sa compagnie en 1987. Le « rien » du sort occulté des ouvriers cramés dans l’incendie de l’usine ThyssenKrupp de Turin, en 1997, qui lui inspira Le mensonge. Ou, dans La paura, le « rien » plus grotesque d’une émission de télé sur l’obésité des enfants gavés, rappelant les gorillages d’un Fellini, ou le « rien » plus banal de la chasse aux Roms et aux exclus, entre autres manifestations omniprésentes du racisme et de la violence sociale.

    À cinquante ans, avec le mordant d’un Michael Moore, en beaucoup plus inventif quant aux formes et en plus aigu dans son regard sur le monde (il a cuit dans le même bouillon de contre-culture qu’un Nanni Moretti, autre empêcheur de penser en rond qui régala Locarno l’an dernier), Pippo Delbono reste un jeune homme en colère d’un dynamisme créateur étonnant. Pour lui, le théâtre et le cinéma relèvent du cri plus que du discours. L’artiste ne s’exprime pas tant, selon lui « avec le cerveau, mais avec le cœur et les tripes – avec les yeux d’un enfant. Et de préciser : « Nous vivons dans un monde de confusion où il est de plus en plus difficile de saisir la vérité, et d’autant que même la religion perd toute spiritualité. Dans cette perspective, j’essaie de montrer une autre forme de relations entre les êtres, avec des acteurs marqués par des expériences extrêmes ». De fait, à l’écart du star system, Pippo Delbono travaille de préférence avec des cabossés de la vie, comme son fameux complice Bobo rescapé de la psychiatrie.

    L’aventure artistique de Pippo Delbono est viscéralement nouée à sa vie. Le grain de La Paura, reproduisant sur grand écran la trame un peu grêlée des images de nos « mobiles », traduit cette implication intime et fragile à la fois dont il disait : « Lier l’art avec la vie, c’était pour moi la seule manière d’en faire». Or, en complément de ses films et d’une rencontre avec le public, l’iconoclaste Pippo interprétera son monologue Récits de juin (2006) illustrant ses dons multiples de créateur et de comédien pétri d’humanité.

    La Paura sera présentée en première internationale les 9, 10 et 11 août. Le journal quotidien du festival, Pardo News, donne tous les détails utiles sur les lieux de projection, également accessibles sur le site de la manifestation : http://www.pardo.ch





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    Sur la Piaza Grande

    Vitrine de prestige et foyer convivial du festival, la Piazza Grande sera très glamour ce soir, à 21h.30, avec la projection de (500) days of Summer de Marc Webb et les présences irradiantes de Zooey Deschanel et Joseph Gordon-Lewitt. En seconde partie: La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres, d'Amos Gitaï, version cinématographique du spectacle théâtral présenté en juillet en Avignon, avec Jeanne Moreau. Autre production américaine grand public à découvrir jeudi 7 août à 21h.30 : le dernier film de Nick Cassavetes, avec Cameron Diaz et Jason Patric, Ma vie pour la tienne (My sister’s keeper), drame familial opposant une avocate et sa fille de 13 ans qui réclame en justice son émancipation…

  • Arlequin lecteur

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    À propos de Hors Champ, roman à paraître de Sylvie Germain

    En lisant le nouveau roman de Sylvie Germain, intitulé Hors champ, je tombe sur cette page qu’aussitôt j’ai envie de partager.
    Ce passage est tiré du journal intime de Joël, jeune homme brillant massacré par une bande de voyous qui l’ont laissé à l’état de légume vivant. Ce journal refait surface des années après sa rédaction, dans un petit cahier que relit et recopie, sur son ordinateur, le demi-frère de Joël, Aurélien, protagoniste du roman qui établit la chronique douce-acide de sa progressive disparition à lui.
    « Il avait écrit cela trois semaines avant son agression », précise Aurélien à propos de ce fragment consacré à la lecture :
    «Le lecteur, si vraiment il sengage dans sa lecture, devient un personnage lié au roman qu’il lit puisqu’il entre à son tour dans l’histoire et refait, à sa façon, tout le parcours du texte. Mais ce personnage échappe totalement au pouvoir, à la volonté, àl’imagination de l’auteur du livre dont il n’est pas une «création» mais un invité. Un drôle d’invité, anonyme, venu on ne sait d’où, qui arrive àl’improviste et sort quand ça lui chante de l’espace du livre, sans souci de ponctualité, de la moindre convenance, qui s’y attarde ou le traverse à toute allure, riant, bâillant d’ennui, râlant, applaudissant ou se moquant, selon son humeur, sa sensibilité, ses intérêts. Les grands romans grouillent ainsi d’hôtes anonymes qui fouillent dans les coins, dérobent par-ci par-là une poignée de mots, une ou deux idées, quelques images qu’ils utilisent ensuite dans leur vie. Les romans ont, très concrètement, et puissamment, « leur mot à dire » dans la réalité, quand, de celle-ci, ils savent écouter au plus près les pulsations du cœur. Et ces pulsations émettent une fabuleuse cacophonie, il y en a des cristalline, des enjouées, des vivaces, candides et audacieuses, il y en a des confuses, envasées et clapotantes dans la fadeur, la pesanteur, il y en a des visqueuses et acides qui grondent, vocifèrent ou ricanent, il y en a de toutes sortes, de tout timbre. Un roman doit savoir les brasser, sinon le chant du monde sonne faux »…
    Chacun, en lisant cela, se refera le voyage de toutes les rencontres qu’ont marqué les romans qu’il a lus à travers les années, et c’est ainsi que je me suis revu dans Moravagine de Cendrars ou dans Alexis Zorba, avec Bouvard et Pécuchet ou mon cher Oblomov, sous le soleil assassin de Lumière d’août de Faulkner ou dans la Sicile de Pirandello ou Sciascia, ainsi de suite…
    Et le Joël de Sylvie Germain de continuer : «Je suis un personnage composite, et de plus en plus arlequiné au fur et à mesure que je lis, arpente, explore de nouveaux livres (ou vois de nouveaux films), et qu’au passage je chaparde tel ou tel élément, aussi minime soit-il. Misère, qu’un roman où l’on ne trouve rien à voler. Mais aussi, folie et éreintement qu’un roman qui force sans cesse à s’arrêter pour mieux jouir d’une phrase, d’une description, d’une situation, tout en incitant à foncer à bout de souffle pour connaître la fine de l’histoire ».
    Et vous vous revoyez foncer et freiner dans le Voyage de Céline ou la Recherche de Proust, dans L’Homme sans qualités ou La montagne magique, gôuter les phrases de Tolstoï ou de Sebald qui n’écrit pas de romans tout en nous piégeant comme dans les nouvelles de Kafka ou les récits de Walser, ainsi de suite…
    Et Joël de conclure avec cet appétit de lire et donc de vivre que son infortune, connu du lecteur, rend d’autant plus poignant : « Je suis un personnage inconnu, inachevé, en évolution, ou plutôt en altération constante : métamorphose, anamorphose, paramorphose, tératomorphose, hagiomorphose, patamorphose… un arlequin en expansion et vibration continues, un transmutant incognito. Un simple lecteur.
    « Toute une vie de lectures devant moi, de rencontres de personnages d’encre et de vent pour doubler les rencontres de personnes de chair et de sang, les ourler d’une ombre dense et mouvante, les troubler à profusion. Et plus tard, dans la vieillesse, m’en défaire, ôter une à une toutes ces peaux d’encre et d’ombre, les oublier, sans les renier. Arlequin écorcé, dépiauté, lumineux de nudité, comme un vieil ermite en fin de course sur la terre, délesté de tout, comme un vieux sage déposant tout son savoir pour s’épanouir dans un état de folie douce. Mais je n’en suis qu’au début, et pour l’heure, j’ai une faim de loup, pour tout »

    Sylvie Germain. Hors champ. Albin Michel, 195p. En librairie le 25 août 2009.

  • Zoom sur Locarno 2009

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    Dès ce mercredi 5 août, jusqu'au samedi 15, le cœur de Locarno battra à l’unisson des cinématographies du monde. Frédéric Maire, directeur artistique pour la quatrième et dernière fois, lève le voile sur la 62e édition.

     

    - Avez-vous tenu à marquer votre quatrième et dernière édition d’une touche personnelle particulière ?

    - Disons que, moins que sur les précédentes, j’aurai droit cette fois à l’erreur. Pourtant mes choix, qui sont aussi ceux d’une équipe, restent pareils : pas de frontières entre les diverses tendances du cinéma actuel, expérimental ou plus classique ; ouverture au monde, ouverture à tous les publics, tout en pariant sur la découverte. Ainsi je me réjouis d’accueillir l’iconoclaste Pippo Delbono en hôte d’honneur, notamment avec  La Paura, un film tourné entièrement avec un téléphone portable et qui propose un formidable portrait de l’Italie actuelle. Dans un genre moins radical, proche du polar, nous sommes également contents d’accueillir en compétition internationale le jeune réalisateur romand Frédéric Mermoud, avec  le portrait de société que propose son premier long métrage, intitulé Complices  et retraçant la trajectoire d’un garçon de 18 ans mort dans des circonstances dramatiques.

    - Quels thèmes se dégagent-ils de la cuvée 2009 ?

    - À l’évidence, et tous pays confondus, les problèmes liés à l’appartenance et à l’identité, en relation avec les migrations et l’immigration, sont omniprésents. De même, la préoccupation « verte » est lancinante, et bien plus qu’idéologique : ancrée dans la réalité. Le dernier film des frères Arnaud et Jean-Marie Larrieu, Les derniers jours du monde, en donnera un aperçu apocalyptique. Ce qui me frappe, en outre, est l’explosion des genres et  des formes du cinéma, où les liens transversaux entre cinéma et théâtre, arts plastiques et musiques de toute sorte se multiplient.

    - Quoi de saillant sur la Piazza Grande ?-        

    Le programme en est très éclectique, avec un retour du drame historique. Très intéressant : un film allemand montrant des paysans de Westphalie qui planquent des Juifs pendant la guerre. Et la Suisse y sera bien présente, notamment avec le dernier film de Christoph Schaub, Julias Verschwinden, avc Corinna Harfouch, sur un scénario du best seller alémanique Martin Suter.

    - Les mangas déboulent en force. Vous visez le public jeune ?

    - Pas seulement. C’est un projet global, incluant une septantaine de films, qui tend à corriger l’image « infamante » toujours collée au genre par les plus de quarante ans… Or il s’agit d’un univers d’une richesse infinie, certes marquée par la violence, à l’image de notre monde – la bombe atomique y est évidemment pour quelque chose –, mais qui contient des trésors d’invention et qui a beaucoup influencé, aussi, la création occidentale.

    - Comment percevez-vous, enfin, l’avenir du Festival de Locarno ?

    - Pour l’instant, le festival se porte plutôt bien. Son image dans le monde s’est améliorée, autant que le rendez-vous s’est popularisé en Suisse et draine de plus en plus de jeunes visiteurs. Actuellement, les hôtels ont fait le plein et nous n’avons pas encore vraiment senti passer la crise, à quelques signes près du côté des sponsors, mais les signaux sont plus inquiétants  à terme, comme on l’a vu au Festival de Berlin qui a perdu son sponsor principal.

    - Une innovation particulière à signaler ?

    - Ah oui : l’ouverture d’un abri anti-atomique ( !) à Ascona, destiné à héberger les festivaliers à petit budget, à raison de 25 francs la nuit…

     

     Premiers «incontournables» de l’édition 2009

     

    Pré-première en fanfare. Ce mardi 4 août, sur la Piazza Grande, projection gratuite de Marching Band, documentaire co-réalisé par Claude Miller, Héléna Cotinier et Pierre-Nicolas Durand, consacré à la dernière campagne élecorale américaine vécue en première ligne par deux fanfares universitaires de l'Etat de Virginie. Un portrait de la jeunesse américaine qui a contribué à l'élection de Barack Obama. Mardi 4 août, 21h.30.

     

    Vitus18.JPG● Vitus en concert. À l'occasion de la célébration du Centenaire de la musique de film, un concert a été mise sur pied à la FEVI avec le jeune pianiste Teo Gheorgiu, acteur principal du mémorable Vitus, de Fredi M. Murer, devenu concertiste de classe internationale.  Après la projection du film: concerto pour piano de Schumann. FEVI, Mercredi 5 août, 17h.

     

    LocarnoDays.jpg● Soirée d'ouverture. Premier film à découvrir sur la Piazza Grande : (500) Days of Summer, du réalisateur américain Marc Webb. Casting ultra-glamour (Joseph Gordon-Lewitt et Zoeey Deschanel) pour une comédie romantique visant le grand public.    En fin de soirée, après le spectacle présenté en Avignon cet été, Amos Gitaï présentera la version cinéma de La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres, avec Jeanne Moreau, déjà présente l’an dernier sur la Piazza avec Plus tard tu comprendras du même réalisatur israélien. Piazza Grande, mercredi 5 août, 21h.   

     

    Pippo36.jpg● Pippo Delbono invité d’honneur. Le célèbre comédien, auteur et metteur en scène de théâtre italien Pippo Delbono présentera l’ensemble de son oeuvre cinématographique, dont plusieurs films inédits. Parmi eux sera dévoilé son dernier long métrage, La Paura, co-produit par le Forum des Images, entièrement tourné avec un téléphone portable. FEVI, le 9 août à 16h15 et le 10 août à 9h, Otello, le 11 août à 18h.15

     

     

    Katin4.jpg● Rencontre avec Wajda. Réjouissante nouvelle de dernière heure : la mise sur pied d’une soirée spéciale consacrée au grand réalisateur polonais Andrzej Wajda (Kanal, Cendres et diamant, L’Homme de marbre, L’Homme de fer, Danton) qui présentera lui-même ses deux dernier longs métrage, Katyn et Tataraka. La Sala, lundi 10 août, à 20h.30.

     

    (À suivre...)

     

     

     

     

                                         

    Festival international du film de Locarno, du 5 au 15 août. http://www.pardo.ch 

    Renseignements quotidiens dans l’incontournable journal du festival, gratuit.

     

    JLK publiera chaque jour des aperçus du festival, des films vus, de ses rencontres, ainsi que sa chronique Hors Champ, sur son blog de 24 Heures (http://leopard.blog.24heures.ch/), ainsi que d'autres échos sur ce ce blog et sur Facebook.

     

  • Un pour tous

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    …Alors là, soit le type voit double après avoir pris un Schnaps de trop, soit c’est l’Office du Tourisme qui double la mise pour en mettre plein la vue aux Japonais, mais pour nous autres le Matterhorn et le Cervin, c’est comme Wilhelm et Guillaume Tell: ça fait qu’un…

    Image : Philip Seelen   

  • Sérénité

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    …Ils disent toujours que je suis dans la lune, mais tu crois qu’ils me feraient un signe quand ils passent - que dalle ils foncent tout droit, à tirer des plans sur la comète des investissements vers les nouveaux marchés, mais note que je ne me plains pas : moi j’ai la Mer de la Tranquillité pour horizon et c’est pas demain que le soleil va se crasher en Bourse…
    Image : Philip Seelen