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Livre - Page 140

  • "Ma" Toscane égarée

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    Florence, à la Villa Camerata, ce lundi 16 novembre. -   Passablement éreinté, ce soir, après une demi-journée d’errance, et même d’aberrance, qui m’a d’abord conduit sur les traces de mon grand tour en vélociède de 1974, direction Arezzo, dont j’ai perdu la route à je ne sais quelle bifurcation en me dirigeant sur Forli, dans une méchante vallée ne ressemblant en rien à « ma » Toscane. Ensuite, rebroussant chemin. J’ai été effrayé de retrouver « ma » Toscane tellement dégradée, trente-cinq ans après, au fond de cette vallée industrialisée et chaotique qui conduit bel et bien à Arezzo, où l’on ne cesse de buter sur des feux rouges et, hors des agglomérations, de se faire menacer par des chauffards passant allègrement les lignes blanches. Bonnement exténué par ces désagréments, j’ai fui direction Sienne mais sur un itinéraire ne ressemblant en rien non plus à « ma » Toscane, à travers d’interminables forêts de chênes dont je ne suis sorti que pour voir la nuit tomber sur « ma » chère cité ou, au moins, j’aurai passé deux belles heures sur le Campo, à écrire à ma bonne amie et à un jeune compère. Mais ensuite, quelle descente affolante, encore, pour rejoindre Florence à dix heures du soir, quelle fatigue et quelle déception, mais aussi quelle expérience révélatrice de  l’évolution de notre drôle de monde…

     

     

  • Entre rêverie et démence

     

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    Florence, Villa Camerata, ce dimanche 15 novembre. – Le ciel était tout gris ce matin sur Florence, mais ce  gris ne faisait à vrai dire que rehausser les flamboiements d’or et de pourpre des collines de Fiesole, sur les hauts desquelles je suis monté tout à l’heure, jusqu’aux crêtes forestières de Maiano. Une fois de plus me saisit, du paysage toscan, l’accord si bien équilibré de la nature et de la culture, qui se prolonge dans l’architecture sans architectes des maisons particulières et des bourgs. À ce moment de l’arrière-automne, l’intensité des couleurs contraste avec l’harmonie plus sourde, parfois à la limite du sfumato, des autres saisons – mais il ne faut pas que j’oublie que je ne suis pas là pour m’abandonner à la contemplation… Retour, par conséquent, à la table et au manuscrit, puisque telle est la raison de ma présence à la Villa Camerata.

     

     (Soir) - C’est une scène digne des Enfers du XXe siècle de Buzzati que j’ai vécu ce soir après avoir pris livraison, à l’aéroport de Florence, d’une petite Panda qui me permettra, ces jours prochains, de me royaumer par les crêtes siennoises et toute cette contrée de hautes terres que j’aime tant, entre Sienne et Asciano ou, de l’autre côté de la plaine, vers Cortone et Pérouse.  

    Or, à peine avais-je trouvé, non sans peine déjà, la sortie de l’immense parc à voitures, que je me sentis littéralement happé dans une sorte de mouvement précipité dont l’immédiate frénésie me stressa tellement que je me lançai dans une première série de fautes d’itinéraires qui me déroutèrent bientôt, à l’opposé du CENTRO de Florence, vers je ne sais quelles localités plus encombrées les unes que les autres par la circulation, traversant ici la foule d’un marché dominical et, fuyant celui-ci, me retrouvant ensuite dans le cul-de-sac d’un val à terrains vagues et feux de campements gitans. Mais où me trouvais-je donc ? Ce qui était sûr, c’est que je n’avais que le choix de rebrousser chemin et de me diriger vers ce qui me semblait la lueur d’une grand ville, que peut-être j’avais meilleurs temps de rallier par l’AUTOSTRADA, nouvelle erreur. Car bientôt, jeté d’une voie à l’autre, et sans voir jamais l’indication de FIRENZE, je glissai le long d’un toboggan qui me sembla se diriger vers la mer, et l’inscription de LIVORNO s’imposa tout à coup dans un éclair de lumière, puis celles de ROME et de BOLOGNE m’incitèrent à bifurquer et m’engager dans un flot plus frénétique et klaxonnant que le précédent, avant de me tromper une nouvelle fois de voie pour me retrouver sur celle de PISA, tout à l’opposé de Florence que je m’impatientais de retrouver, mais voici que le cher nom de SIENA m’invitais à une sortie par un viaduc au bout duquel un nouvel écheveau de voies me fit me perdre et me retrouver sur celle d’un évitement s’achevant dans un nouveau terrain vague à voitures calcinées et silhouettes hagardes. Mais où donc allais-je finir la nuit ? À vrai dire je ne me doutais pas que le pire m’attendait, quand j’eus enfin retrouvé la direction de FIRENZE et le nom béni entre tous de FIESOLE. Car traverser Florence, un dimanche soir, pour gagner la colline de Fiesole, comme l’eût fait tranquillement, en calèche, un poète romantique du XIXe siècle, relève aujourd’hui de la démence automobile, exacerbée par le fait que l’essentiel de ce trajet, qui m’aura pris trois heures, se fait quasiment à l’état immobile, au pas camarade  - camarade que je vomis, paese di merda, encore un mauvais tour de cet enfoiré de Berlusconi - et voilà que je deviens aussi nul que lui…   

     

  • De la difficulté d’écrire

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    Florence, Villa Camerata, ce samedi 14 novembre. – Je me suis installé, hier, dans une espèce de cellule monacale donnant sur de grands jardins, au pied de la colline de Fiesole, invité en ces lieux  par notre ami le Gentiluomo, grand avocat de Carrare et Président Très Honorable de l'Association des Auberges de jeunesse italiennes, pour y travailler à la révision de mon dernier livre avec le regard extérieur de notre amie la Professorella, conjointe de mon bienfaiteur, que je rejoindrai ensuite à Marina di Carrare.

    Or, en reprenant la lecture de L’Enfant prodigue, je me dis qu’il y a là une musique et un rythme que je voudrais préserver absolument, tout en les épurant et les affinant plus encore. Je voudrais que chaque mot sonne juste, comme une note dans l’ensemble de la partition, mais aussi : dise juste.  C’est un  travail de haute précision, et dont je me demande à l'instant s’il n’est pas vain, tant j’ai ces jours de doutes sur ce texte que j’ai tellement aimé écrire et auquel je reviens sans plus trop savoir ce qu’il contient…

     

    Viaggio6.jpgImage: la Villa Camerata, à Fiesole, et mon cabanon à écrire.

     

     

  • Retour en Toscane

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    Dans le Cisalpino, ce vendredi 13 novembre. – Grand ciel clair ce matin pour mon départ en Toscane, où je vais passer quelques jours à réviser mon Enfant prodigue. Je suis encore un peu rétamé après la nuit blanche de mercredi à jeudi et pas mal d’émotions récentes (dont la sourde crainte d’un licenciement, au journal dont je ne suis d’ailleurs plus qu’un lointain électron), mais la perspective d’un bon travail et d’une semaine entière vouée à l’écriture, dans ce pays que j’aime, ne laisse de me revigorer. Ce sera, de surcroît, un exercice intéressant que de passer une semaine hors-connexion, alors que celle-ci est devenue quasiment invasive dans ma vie récente, même nocive à certains égards, tant physiques - avec une assez lancinante fatigue oculaire -, que psychiques, sous l’effet d’une espèce de parasite obsessionnel.

    °°°

    Une fois de plus, et dès après le passage du Simplon, la perception du sud, d’abord sec et minéral, à pierriers et hameaux abandonnés, puis à cactus et palmiers, ensuite radouci par les couleurs des murs, me ramène à un monde que je préfère à celui du nord, dont la Toscane représente à mes yeux le meilleur équilibre à tous points de vue, comme le Midi de la France, entre la Drôme de Jaccottet et le Lubéron de Giono, la Sorgue de Char et la Montagne Sainte-Victoire de Cézanne…

  • Ceux qui diffusent une aura

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    Celui qui lit une partition de Schubert debout dans la dernière rame de métro de ce soir de la Toussaint / Celle qui tient son violon comme un enfant au milieu des ouvriers rétamés / Ceux qui cherchent UN livre dans les milliers de librairies du quartier de Kanda et sourient comme au premier matin d’une nouvelle ère quand LA libraire nattée le leur déballe de son enveloppe de papier de soie à consistance d’ailes de libellule / Celui qui se baigne nu dans la vasque d’eau chaude où frémissent les feuilles de cerisier sauvage / Celle qui laisse sa fenêtre ouverte et sa lampe allumée au cas où quelque Roméo passerait cette nuit par la ruelle au pavé tiède / Ceux qui irradient quand ils entonnent la cantilène sacrée / Celui qui rend visite à sa vieille amie aveugle qui devine qu’il s’est fait tout beau rien que pour elle / Celle qui retient le garçon laitier Philidor pour lui becqueter au moins ses joues roses de mec assez recherché des harpistes / Ceux qui écrivent des vers très libres qui scandalisent délicieusement les catéchumènes de la paroisse des Oiseaux / Celui que les cours de philosophie du Dr Friedrich N. ont rendu plus attentif aux choses de la vie les plus simples comme l’odeur de la poire quand on la pèle avec un couteau à manche de bois dur / Celle qui resplendit depuis que le jeune trompette de la fanfare Les Mutins la lutine / Ceux qui aiment regarder les chiens sans colliers qu’ils recueillent dormir en soupirant comme des bienheureux / Celui qui se console d’une enfance dure et d’un veuvage encore plus dur en s’adonnant à la peinture sur porcelaine àl'écoute des confessions touchantes de la Ligne de Coeur / Celle qui prie Sainte Marie Madeleine Pécheresse de lui consentir un petit retour de libido / Ceux qui estiment que les seins des ambassadrices peuvent être de bons ambassadeurs dans certains pays / Celui que son premier poème imprimé dans une revue norvégienne remplit d’une joie printanière / Celle que pourrait avoir peinte un Vermeer dans ce coin de ZUP qu’elle transfigure en se coiffant de ses doigts de princesse de terrain vague / Ceux qui marchent lentement dans les allées ocellées de lumière sous-marine de la Forêt des Sources, etc.

    Peinture. Thierry Vernet. Venise, café Florian, huile sur toile. 

  • Ceux qui tancent la Sénégaloise

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    Celui qui propose un label AOC de l’écriture spécifiquement française de souche prouvée par l’ADN national / Celle qui rappelle qu’il n’y a pas que Miss France à devoir se bien tenir à table / Ceux qui recommandent la burqa blanche aux écrivaines de couleur / Celui qui rappelle que toute l’œuvre d’Aimé Césaire est un pastiche de Maurice Barrès en plus relâché / Celle dont le roman La Puissance des femmes a probablement été retravaillé par son conjoint blanc / Ceux qui invoquent la loyauté politique du Camembert / Celui qui a vu le Ministre de la Culture peloter le fils illégitime du Cardinal Pommard dans une backroom socialiste / Celle dont les pièces sont jouées à l’Académie Française ce qui prouve quand même qu’il y a des bulles dans l’eau de Vichy / Ceux qui estiment qu’un écrivain qui écrit a des responsabilités civiques envers un lecteur qui lit / Celui qui va déposer une motion visant à introduire le Fils du Président dans le jury du Goncourt / Celle qui a relevé des irrégularités peu françaises dans la façon dont le roman La Puissance des femmes évoque le travail du vendeur de cuisines / Ceux qui en savent beaucoup plus qu’on ne pourrait croire sur le passé racial de l’autrice de La Puissance des femmes / Ceux qui prétendent que le titre du Prix Goncourt 2009 est une incitation subliminale à la consommation du viagra avec tout ce qui s’ensuit de déséquilibre économique profitant aux Allemands / Celui qui dit clairement à l’auteuse de La Puissance des femmes : « Retourne à Berlin ! » / Celle qui dit écrire avec le drapeau comme sainte Jeanne et Marianne elle-même / Ceux qui estiment que les futurs candidats au Goncourt devraient subir un examen de traçabilité généalogique sur au moins trois générations / Celui qui déclare que de toute façon la Puissance des femmes n’est qu’un conglomérat de trois nouvelles et encore pas dans les règles française établies par François d’Ormessier et Jean Nourisson sous le président Giscon d’Escarre / Celle qui se demande s’il ne faudrait pas retirer leurs enfants aux romanciers connus peu capables de s’en occuper avec tous ces plateaux télé et ces signatures à la Fnac / Ceux qui se disent que si tous les nègres se mettent à gagner des prix littéraires la France de demain n’aura plus d’auteurs véritables genre Marc Musso ou Guillaume Levy, etc.  

    Image: Philip Seelen.             

  • Un Candide walsérien

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    Le dernier livre de Matthias Zschokke, Maurice à la poule. Prix Femina "étranger" 2009. Formidable coup de pouce aux éditions Zoé !


    Maurice s’ennuie ferme dans son bureau de la banlieue au nord de Berlin. Il ne fait rien, a horreur de parler, même à ses amis, écoute les notes d’un violoncelle à travers le mur de la maison voisine, se demande qui est à l’origine de ces notes douces, mais ne voudrait surtout pas le savoir pour de bon : la simple perspective d’apprendre des faits l’effraie. Un curieux personnage pour un étrange roman. Maurice à la poule conte sa vie, mais elle est insignifiante, ce dont il a conscience, et d’ailleurs il préfère fréquenter les gens ennuyeux. Il écrit à son associé Hamid : « la seule chose qui m’occupe, c’est de ne pas laisser monter la panique et de m’habituer peu à peu à cette façon vaine et molle de ramper d’un jour à l’autre. » Là réside tout l’enjeu du roman : l’absence de sens.
    Les « contacts sociaux sont une exigence éhontée », les êtres humains ne changent pas, et aucun jeu n’en vaut la chandelle. Maurice estime que rien n’est digne d’être discuté lors d’une conversation avec un vieil ami, et certainement moins encore les problèmes de la banlieue. Tout dialogue avec un ami doit évacuer la politique. Maurice ne changera pas le monde, il ne s’engagera pas. Mais le roman lui, ne refuse pas la description de la société en termes économiques et sociologiques, avec une ironie assez subversive. Les phrases ne retiennent que les faits, sans adoucir aucunement la réalité, et cette brutalité comporte un effet comique. Le tout garde une distance amusée par rapport à l’anthropologie et à la sociologie : « J’aime beaucoup aussi écouter les Noirs ou les Esquimaux quand il parlent de leurs histoires. Ou les pingouins, les ours polaires et les gnous. Tous, ils parlent de rituels, d’habitudes, de coutumes, de réflexions qui ont cours chez eux et qui sont inimaginables pour moi. »
    En plus de débiter son récit sur Maurice et de peindre la banlieue avec ironie, le narrateur joue avec son lecteur, brise régulièrement l’illusion romanesque en prétendant par exemple qu’il ne maîtrise pas ses personnages, et ne se refuse pas quelques digressions. Alors que Matthias Zschokke rompt la linéarité du récit, et omet les faits saillants et les événements héroïques alors qu’il favorise les détails et les personnages insignifiants, il rappelle le besoin fondamental de l’homme pour le récit : « nous voudrions avoir un destin, une histoire, un bon gros fil rouge ». Sans récit pas de sens. Et la vie dans Maurice à la poule en paraît bel et bien privée, si ce n’est qu’il finit sur un sourire, un sourire sur le bonheur des petits riens.

    Laurence de Coulon

    Matthias Zschokke, Maurice à la poule, traduit de l’allemand par Patricia Zurcher, Genève, Zoé, 2009

    Cet article a paru  dans Le Passe-Muraille, No 78, de juin 2009.

  • Antonio Tabucchi ou le Temps décliné

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    Sur Le Temps vieillit vite.
    Que peuvent bien se dire une petite fille qui en sait un peu trop et un ancien militaire lisant l’avenir dans les nuages ? C’est ce que nous apprend Antonio Tabucchi dans l’une des plus belles histoires de son dernier livre, qui en compte neuf, liées ensemble par le fil d’or du temps et de ce qu’il fait de nous. Picasso disait qu’il faut toute une vie pour devenir jeune, et Brassens que « le temps ne fait rien à faire ». Pour Tabucchi, l’ «affaire » est plus compliquée, qui dépend autant de nos artères que de nos amours, de nos relations filiales ou amicales, entre autres composantes extérieures, dont la « faute à pas de chance » ou un régime politique plus ou moins dangereux selon votre idée de la justice ou le degré de votre opportunisme.
    A l’école, l’adolescente de Nuages, qui trouve chic de dire « singulier » au lieu de « super», a appris que le Coca et les McDo’s sont « la ruine de l’humanité », et lorsque le militaire en retraite lui apprend que notre espèce a passé des siècles à construire, grâce aux architectes, et à détruire, à cause des militaires, la jeune Isabel lui répond qu’heureusement il y a « les idéaux ». Sur quoi son interlocuteur, fort de son expérience, lui objecte que le Coca et les McDo’s n’ont jamais conduit personne en camp de concentration, contrairement à certains idéaux. Alors l’enfant de lui confier gravement que la psychologue lui a décelé certains « trouble de l’âge évolutif »…Et le vieillard de la rassurer avant de lui parler de la néphélomancie, science poétique qui consiste à lire l’avenir dans les nuages, ramenant la petite à l’âge de s’émerveiller.
    Pleins d’humanité pensive et d’humour aussi, les neuf récits de ce recueil « bougent » et s’accordent comme les piécette d’un kaléidoscope. Observant de loin une petite cancéreuse en chaise roulante qui s’exclame quelle telle chose est «la plus belle du monde », un vieillard maladif constate qu’il n’a jamais été capable d’imaginer « la chose la plus belle », avec la même mélancolie qui fait penser à telle femme encore jeune qu’elle est passée, faute d’enfants, à côté de la vie. L’histoire tragique du XXe siècle est très présente aussi dans ces vies, qui rappellent celle de Pereira (dans Pereira prétend, mémorable roman de Tabucchi), comme dans Les morts à table où l’on suit un ancien flic de la Stasi chargé de la surveillance de Brecht, ou dans Entre généraux, où un officier hongrois, sauvé en 1956 par son homologue ennemi, le revoit quarante ans plus tard, à Moscou, pour lui manifester sa gratitude.
    Tout au jeu de miroir de ce qu’on a vécu et de ce qu’on imaginait, de la réalité apparente (parfois filmée avec une caméra sans pellicule…) ou d’une fiction plus riche en vérité, Antonio Tabucchi, après l’admirable Tristano meurt, poursuit ainsi sa méditation-rêverie qui s’achève ici sur une fine merveille intitulée Contretemps et suggérant, par le truchement d’une bifurcation brusque de la trajectoire du protagoniste, qu’il n’est jamais trop tard pour donner un sens à sa vie, ou pour en rêver comme d’une belle histoire...
    Antonio Tabucchi. Le Temps vieillit vite. Traduit de l’italien par Bernard Comment. Gallimard, coll. Du Monde entier, 181p.


    Tabucchi contre Berlusconi & Co

    En 2008, Antonio Tabucchi prit publiquement le parti, dans L'Unita, d'un journaliste attaqué en justice par le président du Sénat. Cela lui vaut d'être à son tour attaqué par ce proche de Berlusconi, qui lui réclame 1,3 million d'euros. Or la presse transalpine ne s'émeut guère de cette affaire. Le 7 mai dernier, c’est ainsi dans un parfait silence médiatique que l’écrivain a été jugé en première audience. «En ce moment je dois me défendre contre une plainte du sénateur berlusconien Renato Schifani, explique-t-il au journal Il Manifesto, pour atteinte à son image. Mais Schifani n’a pas porté plainte contre le journal qui a rapporté mes propos : il s’en prend à un individu isolé.»
    Renato Schifani, avocat, berlusconiste de la première heure, est un élu de la Sicile. Or, depuis mai 2008, Schifani doit affronter la bronca de journalistes et d’intellectuels tel Dario Fo, Nobel de littérature qui l’attaque sur ses amitiés maffieuses. Soutenant ce mouvement, Tabucchi sonne depuis longtemps le tocsin contre le berlusconisme: « J’ai l’impression que l’Italie va à la dérive, avec un gouvernement à fort pourcentage d’ex-fascistes et un Premier ministre à la tête d’un empire économique dont la provenance n’a jamais été révélée ». Ecrivain respecté et populaire, Antonio Tabucchi n’a jamais varié de sa profession de foi de 1999 sur le rôle de l’intellectuel : « Mon rôle est d’inquiéter, s’instiller le doute. La faculté de douter est très importante chez l’homme. Si nous cessons de douter, nous sommes perdus ! ».

    Info : à signaler sur Mediapart : un entretien récent de Tabucchi avec Sylvain Bourmeau :
    http://www.mediapart.fr/


    tabucchi.jpgEn dates
    1943 – Naissance à Pise, fils unique d’un marchand de chevaux.
    1962 – Vient étudier la littérature à Paris. Découvre Pessoa et le Portugal avec passion.
    1987-1990 – Dirige l’institut italien de Lisbonne.
    1987 – Prix Médicis du meilleur livre étranger. Une vingtaine de ses livres ont été traduit en français, chez Christian Bourgois, au Seuil et chez Gallimard. A signaler que la bibliographie du présent ouvrage ignore les pulbications de Bourgois ! 
    1994 – Prix européen Jean Monnet.
    2009 - Enseigne actuellement la littérature portugaise
    à l’université de Sienne.

  • Noëlle Revaz au débotté

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    Son premier livre, Rapport aux bêtes, inspire un film. Et son nouveau roman, Efina, court pour le Prix Femina.

    La plus en vue des romancières romandes « risque », lundi prochain, de décrocher le Prix Femina, l’un des consécrations de l’automne littéraire parisien. Son deuxième roman, Efina, bien en place sur les listes des meilleures ventes, le mériterait d’ailleurs amplement. C’est en effet une histoire d’amour singulière qu’Efina, marquée par la rencontre à épisodes, de coups de gueule en coups de coeur, d’une passionnée de théâtre et d’un grand comédien, aussi compliqués l’un que l’autre. Très largement saluée pour l’originalité de son écriture, Noëlle Revaz l’avait été, déjà, à la parution de Rapport aux bêtes, son premier roman paru chez Gallimard en 2002. Depuis lors, la romancière a touché au théâtre avec brio, mais c’est au cinéma que ressurgit Rapport aux bêtes, dans une adaptation de Séverine Cornamusaz, intitulée Cœur animal, à laquelle elle n’a pas collaboré.
    - Y a-t-il un fil rouge liant vos deux romans ?
    - Il y en a un évident : c'est le couple, et le questionnement sur l'attachement : qu'est-ce que l'amour? C'était très visible dans Rapport aux bêtes, où le paysan s'interrogeait sur son lien avec sa femme, en le niant et le refusant, ce qui produisait l'effet contraire. Dans Efina, les deux personnages ne cessent aussi de s'interroger sur la nature de ce qui les réunit, sans bien réussir à le comprendre et à le vivre. Je vois aussi un autre motif commun, c'est la question de la place de l'homme et de la femme l'un face à l'autre. Dans les deux romans l'homme semble prendre presque toute la place, mais la femme demeure au centre de ses pensées.
    - Quel a été le déclencheur de Rapport aux bêtes, et celui d’Efina ?
    - L'idée de départ de Rapport aux bêtes était la vision d'un couple dont la femme s'appellerait Vulve. Efina est né d'une réflexion, au théâtre, sur l'apparence et les faux-semblants. C'est un livre sur les illusions et la réalité, sur la vie qu'on rêve, qu'on poursuit, qu'on aimerait idéale, et la vie telle qu'elle est vécue.
    - Qu’est-ce qui vous intéresse dans la passion liant Efina et T ?
    - Ce qui m'intéresse c'est: peut-on entrer en contact avec l'autre, peut-on vivre quelque chose avec lui? Efina et T sont, en fin de compte, des personnages solitaires.
    - L’image de l’amour que vous donnez dans Efina peut sembler anti-romantique, voire cynique. Comment vos lecteurs le prennent-ils ?
    - Au contraire, je trouve qu'Efina est un livre romantique, qui affirme que l'amour est important et durable et que les sentiments ne faiblissent pas, et résistent au temps, à tout. Il n'y a rien de plus romantique! Mes lecteurs apprécient peut-être cette histoire d'amour parce qu'elle reste ce qu’elle est avec ses errances et ses imperfections.
    - Travaillez-vous beaucoup sur la phrase ? Et pourquoi supprimer le point d’interrogation ?
    - Je l'ai supprimé, car ces interrogations sont à mi-chemin entre la pensée et la question, elles sont mentales et ne sont pas prononcées. Je ne voulais pas ralentir et hacher la phrase. Et de fait, je travaille beaucoup le rythme de la phrase et des paragraphes.
    - C’est aussi un roman qui fait beaucoup rire. Qu’est-ce pour vous que le comique ?
    - J'ai souvent un regard ironique ou amusé sur les choses. C'est important pour moi qu'il y ait toujours de l'humour dans mes textes. C'est comme un lien que j'établis avec le lecteur parce que je sais que là où je ris, il va rire aussi. C'est un clin d'oeil que je lui fais, une manière de se mettre en tant qu'auteur de façon légère dans le texte, de faire sentir sa présence...
    Noëlle Revaz, Efina. Gallimard, 300p. 
    Noëlle Revaz signera son roman à la librairie Payot, à Nyon, ce samedi 7 novembre.

  • Ceux qui ont un jardin secret

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    Celui qui s’est bricolé un abri dans les arbres / Celle qui ne boude jamais dans son boudoir / Ceux qui ont le sens de la clairière / Celui qui fuit les estrades / Celle qui relit la Cinquième Promenade du Rêveur solitaire dans la salle d’attente d’une modeste gare de zone industrielle / Ceux qui n’en finissent pas de visiter et de faire visiter l’unique pièce de leur cabane au toit défoncé / Celui qui parle avec émerveillement du mauve intense des landes de bruyère dont la fleur est la préférée de sa mère impotente / Celle qui chantonne en constatant le progrès quotidien de son lupus érythémateux / Ceux qui n’ont jamais tué un lapin et ne le regrettent point / Celui qui ne se sait pas affilié à la société secrète des zélateurs du point-virgule et qui l’est bel et bien / Celle qui remplit son nouveau matelas de laine de mouton sur lequel elle va faire des sauts dont elle se réjouit déjà, ah, ah / Ceux qui redoutent les émanations d’ammoniac / Celui qui croit reconnaître son père enfui dans le portrait de Napoléon le Premier qu’il déniche dans un placard secret de sa mère défunte / Celle qui pouffe tous les matins en retrouvant bien roses ses joues de lolotte dans le miroir ébréché / Ceux qui ont l’air d’anges même quand il se chient dessus / Celui qui se reproche de ne pas être attentifs aux messages personnels du personnel céleste / Celle qui s’est fait à tout sauf aux lazzis de ses collègues téléphonistes de mœurs païennes / Ceux qui se planquent dans le tendre refuge de la poésie de Verlaine / Celui qui sait par cœur Booz endormi et en inflige la récitation à ses neveux insomniaques /   Celle qui se mitonne un lapin en gibelotte / Ceux qui attendent un petit signe du bon Dieu quand ils font le bien et son tout dépités de ne voir Rien / Celui qui raconte ses mécomptes au fils du Comte qui se cure le nez de son index à l’ongle rongé / Celle qui vend des rameaux de buis au magasin Le Bon Berger / Ceux qui portent leur auréole de côté comme un béret / Celui qui achète des romans noirs avec le produits de ses ventes de pains de glace / Celle qui lit Le Chemin de la perfection au milieu des peluches qui la voient travailler la nuit / Ceux qui s’identifient aux héros de Ponson du Terrail / Celui qui porte le nom de Clément Douleur qui en impose à ceux qui savent la triste fin de sa mère écrasée un vendredi 13 par un tram bleu / Celle qui bouchonne le catcheur dont les fesses rebondies ont la consistance de la courge crétoise / Ceux qui savent distinguer la scarole de la frisée et la trévise de la roquette / Celui qui a construit une estrade pour son lit à une place et y adjoindra un baldaquin au moment du deux-places / Celles dont les soupes sont si consistantes que les cuillers s’y tiennent au garde-à-vous / Ceux qui laissent dans l’ancien pavillon de chasse des reliefs de festins et peut-être même d’orgies / Celui qui a connu (au sens biblique)  la chaisière de la paroisse dans la chapelle désaffectée du château Peugeot / Celle qui lit Hérodote en surveillant la chèvre Amandine / Ceux qui aiment leurs enfants presque autant que leurs veaux / Celui qui prend à la glu les oiseaux pillards de son cerisier / Celle qui file des sucres d’orge aux jolis adolescents qui lui feront des choses à l’insu de l’épicier Lasueur / Ceux qui craignent de s’en aller sans avoir connu la griserie du Baptême de l’Air / Celui qui croyait voir le ciel de plus près du sommet de la Tour Eiffel / Celle qui aime jouer de la flûte douce durant la sieste de faucheurs / Ceux qui se voient enfants à la fenêtre alors qu’il s’est remis à pleuvoir sur la prison, etc.

    Image: la cabane de JLK. Cette liste a été établie dans les marges du merveilleux récit de Jean-Louis Ezine, Les Taiseux, paru cet automne chez Gallimard et sur lequel je reviendrai.

          

     

  • Ceux qui jactent

    Panopticon756.jpgCelui qui ne veut plus « réacter », selon son expression, qu’à ce qui est Top / Celle qui se branche Full Wellness / Ceux qui se font mobber par la taupe des RH / Celui qui cafte par Devoir Citoyen / Celle qui impose son intimité bisexuelle à tout le compartiment du Pendolino/ Ceux qui ont un caisson de silence privatif dans lequel ils se claquemurent de plus en plus souvent / Celui qui s’est fait une réputation de probité en crachant sur tous les livres qu’il n’a pas lus / Celle qui suce celui qui lèche ceux qui rampent / Ceux qui parlent pour dire qu’ils n’en ont rien à secouer de Benoît XVI / Celui qui se congèle de ressentiment sans oser dire à la sous-secrétaire que son mépris le blesse / Celle qui répond de façon exquise à ceux qui la traitent de pétasse grave de leur seul regard de fans de Fogiel / Ceux qui parlent tous en même temps dans le coin fumée de l’Entreprise sans s’aviser du silence prolongé de Marjorie que vient de terrasser une rupture d’anévrisme / Celui qui préfère être au chômage que privé de primes d’excellence / Celle qui lance de faux bruits qu’elle dément pour se faire estimer de ceux qu’elle sciait / Ceux qui se passent de vieux chants de lutte sur leur i-pod en attendant la fin de la pause où il n’est question que des licenciements prochains / Celui va marcher en forêt pour retrouver le sens et la musique du mot clairière / Celle qu’inquiète le fait qu’un Appel hyper-important puisse lui arriver sur son portable dans le casier du vestiaire femmes de la piscine du Creux Bleu où elle fait ses 60 bassins quotidiens / Ceux qui ont compris qu’ils ont avantage à la fermer quand parle celui qui dit Je Parle en les fusillant de son regard de Chef de Projet, etc.
    Image : Philip Seelen

  • Les collines de Pavese

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    En relisant Travailler fatigue


    De seize à vingt ans ils ont tous rêvé d’Amérique mais seuls quelques-uns sont partis, et, maintenant que le temps a passé, ceux qui sont restés et ceux qui sont revenus voient le pays autrement du fait que ceux qui sont revenus parlent de ce qu’ils ont vu là-bas et du pays dont ils se sont langui avant de le retrouver, et le pays est embelli d’avoir été quitté parce que le pays est vu d’Amérique, un garçon tendre encore voit l’homme dur qu’il admire en secret lui dire que les femmes de là-bas ne valent pas celles de la montagne ici quand le printemps fait bander les gars, et celui qui est revenu pose sa main sur l’épaule du plus jeune et lui murmure que nul pays n’est plus beau que les Langhe les soirs d’été, mais ce qu’il raconte est aussi fait pour chasser le plus jeune de l’ennui de ces collines, fous le camp mon garçon, ne reste pas, réponds à l’appel de la rue, ne reste pas seul avec les vieux, va tenter ta chance, va vivre ta vie…

    Image des Langhe: Jacques Perrin

  • La ballade de tous les exils


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    Prix Médicis à Dany Laferrière et Médicis « étranger » à Dave Eggers. 2009, bon millésime...
    Après le Goncourt à Marie Ndiaye et le Prix Décembre à Jean-Philippe Toussaint, pour La vérité sur Marie, paru chez Minuit, c’est un nouveau « doublé » d’excellent niveau que couronne le Prix Médicis 2009, considéré comme le plus «pointu» des prix littéraires de l’automne parisien. De fait, L’énigme du retour du quinquagénaire haïtien Dany Laferrière, installé depuis 1976 à Montréal et déjà reconnu pour une quinzaine de livres savoureux, dont le premier parut en 1985 sous le titre de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, est un des romans de la rentrée les plus toniques et les plus émouvants, aussi intéressant par sa forme de poème que par sa substance sensible. Trente ans après son exil de fils d’opposant à la dictature, l’écrivain, dès le soir où il apprend la mort de son père dans une chambre de Brooklyn où il se terrait, seul et désespéré, amorce un retour au pays, d’abord imaginaire puis réel, traversé par un souffle puissant et mêlant vitalité et nostalgie. D’une forme inhabituelle, en vers libres et fluides comme une grande ballade rythmée aux images simples et fortes à la fois, L’énigme du retour, deuxième coup d’éclat de Grasset, est un récit autobiographique qui s’inscrit dans le droit fil du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire.
    Pour faire bon poids dans un cercle étroit ( !), l’écurie Gallimard se place également en première place avec le Médicis « étranger » au jeune romancier américain Dave Eggers avec Le grand Quoi, autre roman « épique » marqué par la rencontre de l’auteur américain avec un réfugié des camps éthiopiens en exil aux States d’après le 11 septembre…
    Quant au Médicis de l’essai, il échoit à Alain Ferry pour Mémoire d’un fou d’Emma, consolation des éditions du Seuil…

  • Lévi-Strauss, modeste humaniste

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    Claude Lévi-Straus est mort, samedi 31 octobre dernier, dans sa centième année. Un choix de ses œuvres avait été rassemblé, sous son regard, dans un volume de La Pléiade, paru l’an passé. Révérence à l’écrivain…

    Au printemps 1941, entre le 25 mars et le 20 avril, Claude Lévi-Strauss et André Breton se retrouvèrent sur le même bateau à destination de la Martinique, « une boîte de sardines sur laquelle on aurait collé un mégot », dixit Victor Serge, chargé de quelque deux cents passagers fuyant le nazisme. Evoquant cette traversée, Lévi-Strauss décrit André Breton, au début de Tristes Tropiques, qu’on peut dire aujourd’hui son chef-d’œuvre. sous les traits d’un voyageur « fort mal à l’aise sur cette galère » en précisant que, « vêtu de peluche, il ressemblait à un ours bleu »…

    Claude Lévi-Strauss, qui deviendrait l’un des plus grands anthropologues du XXe siècle, magnifique écrivain par ailleurs et digne centenaire de l’Académie française, n’était alors qu’un jeune ethnologue « américaniste » revenu de deux expéditions chez les Indiens bororo et au Mato Grosso avec ses première collections et observations. De douze ans son aîné, André Breton faisait déjà figure de « pape » du surréalisme, taxé d’«agitateur dangereux » par la France de Pétain. Une même passion pour l’art, la littérature et la politique (Lévi-Strauss avait un passé de socialiste actif) allait cependant rapprocher les deux hommes, qui converseraient durant ce voyage par lettres et de vive voix.

    Or le lecteur retrouvera, dans Regarder écouter lire, le dernier des sept livres des Œuvres de Claude Lévi-Strauss réunis (par celui-ci) dans la Bibliothèque de la Pléiade, un aperçu du débat qui les opposait alors. Breton y défend, notamment, le « spontanéisme » de l’art, le plus vrai dans son jet brut, tandis que Lévi-Straus, plus classique, rappelle l’importance du métier et de l’élaboration « secondaire » de l’œuvre. Plus tard, L’Art magique de Breton suscitera d’autres objections plus fondamentales de Lévi-Strauss, et pourtant, avec le recul, les passions communes et les œuvres de ces deux grands écrivains se rejoignent dans leur apport respectif à la connaissance de l’homme par la littérature et à travers les arts. Tous deux sont des « bricoleurs » de génie, qui pratiquent par collages. Tous deux sont de grands explorateurs de la créativité humaine, attentifs à ses mythes et pratiquant le même décentrage par rapport à l’Occident.

    Dans sa remarquable préface aux Œuvres de Lévi-Strauss, Vincent Debaene rappelle que « l’étude de l’homme est, par essence, littérature », non du tout au seul sens du « beau style » mais au sens d’un approfondissement de la connaissance qui « exige réflexion, lenteur et confrontation patiente aux données empiriques », à laquelle l’anthropologie peut être d’un grand apport. Sans narcissisme ni fétichisation du style, Lévi-Strauss développe, poursuit Debaene, « une écriture majestueuse qui fait songer à Chateaubriand pour la posture et à Bossuet pour le rythme ». Formules un peu solennelles cependant, à nuancer à la lecture de Tristes Tropiques, d’un ton souvent très direct et d’une mélancolie fleurant le XXIe siècle (la mémorable conclusion, en hommage à la beauté des choses), mais qui inscrivent bel et bien l’anthropologue dans la filière classique des grands voyageurs-naturalistes-essayistes, tel un Montaigne, notamment, dans cette posture qui est de déférence envers le monde et l’homme nu, tranchant avec l’avidité contemporaine…

    Taxé d’«astronome des constellations humaines » Lévi-Strauss fut un grand lecteur des cultures conçues comme un ensemble de systèmes symboliques. Laissant les textes scientifiques les plus ardus, dégagées de la « mode » structuraliste, Ses Œuvres réunies ici visent le public cultivé mais non spécialisé. Avec Tristes Tropiques, captivant parcours sur le terrain et fondation des thèses structurales, Le Totémisme aujourd’hui et La pensée sauvage, suivie des trois «Petites Mythologiques » (La potière jalouse, La voie des masques et Histoire de lynx), celui qui se dit « humaniste modeste » a voulu retracer son parcours personnel sous son double aspect scientifique et littéraire, dont la conclusion de Regarder Ecouter Lire marque le point de fusion du savant et de l’artiste.


    Œuvres de Claude Lévi-Strauss préface de Vincent Debaene ; édition établie par Vincent Debaene, Frédéric Keck, Marie Mauzé et Martin Rueff. Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 2062 p., 64 €

     

  • Le grand Goncourt de la petite dame


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    PRIX LITTERAIRES. Avec Trois femmes puissantes, Marie Ndiaye fera date dans l’histoire du prix. Mais le Renaudot de Beigbeder est plus convenu...
    Le Prix Goncourt 2009, attribué à Marie Ndiaye pour Trois femmes puissantes, roman aussi remarquable par sa densité humaine que par son écriture, publié chez Gallimard et déjà plébiscité par le public (près de 150.000 exemplaires à ce jour), échappe pour une fois aux soupçons de « combines ». Le fait que Marie Ndiaye soit une femme a-t-il pesé dans le choix du jury, alors qu’aucune romancière n’avait plus été récompensée depuis Paule Constant, en 1998, pour un roman très moyen (Confidence pour confidence) que le critique Jérôme Garcin avait dit le symbole de la « chute des prix » ? Ce n’est pas impossible. De la même façon, la double origine de la romancière (née à Pithiviers en 1967, de mère française et de père sénégalais) et son choix de vivre à Berlin avec son conjoint (le romancier Jean-Yves Cendrey) et ses enfants, l’apparentent à une nouvelle génération d’auteurs multiculturels qui amènent du sang neuf à une littérature française un peu raplapla. Enfin, la prestigieuse enseigne de Gallimard aura sans doute « aidé ». Cela étant, l’œuvre de Marie Ndaye était déjà appréciée largement des connaisseurs pour sa qualité et son originalité, avant d’accéder au grand public avec Rosie Carpe, consacré par le Prix Femina 2001, alors que son théâtre la faisait également connaître titre de seule dramaturge vivante jouée à la Comédie-Française.
    Mais l’essentiel est ailleurs, qui tient à la substance même de Trois femmes puissantes, où s’entrecroisent trois destinées de femmes et de divers personnages masculins, observés avec beaucoup d’acuité et de pénétration, échappant aux poncifs du « politiquement correct ». Si Marie Ndiaye n’a abordé que tardivement l’Afrique de ses origines, elle sait rendre admirablement les tensions qui résultent de l’arrachement à un sol ou une culture et à la difficulté de s’adapter à un autre monde, note finement les séquelles de comportements machistes ou patriarcaux, entre autres liens gâchés par l’envie ou l’égoïsme, sans que les caractéristique de race ou de genre soient déterminants – si l’on excepte la ténacité « réaliste » des femmes. De fait, les personnages de Marie Ndiaye sont d’abord des individus complexes, dont on se souvient des prénoms comme il en va souvent des romans qui nous marquent en profondeur. On se rappelle ainsi la rancune de Norah envers son père écrabouilleur, le charme maléfique de son conjoint Jakob, la veulerie douloureuse de Rudy le raté ou la force indomptable de Khady Demba en butte à toutes les avanies. Bref, attentive au monde qui nous entoure et aux vies souvent cabossées, Marie Dniaye fait honneur à la meilleure littérature en restant accessible à tout lecteur.
    Marie Ndiaye. Trois femmes puissantes. Gallimard, 316p.

    beigbeder.jpgLe Renaudot « pipole »

    de Beigbeder le branché

     

    Est-il permis d’être un « pipole » parisien aussi répandu que feu Edgar Schneider et un véritable écrivain, un chroniqueur de magazines de coiffeurs et un styliste crédible ? Ce qui est sûr, c’est que Frédéric Beigbeder se le permet, et qu’il y réussit parfois. Son dernier récit autobiographique, Un roman français, en est la plus récente preuve, qui lui a valu hier le « Poulidor » des grands prix littéraires d’automne – ce Prix Renaudot qui consacra tout de même, en d’autres temps, Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline et Les choses de Georges Perec…

    Si la « confession » de Beigbeder ne caracole pas à ces hauteurs, elle procède cependant de la meilleure veine de ce chroniqueur des temps qui courent assez caractéristique de sa génération, enfant de divorcés  en bourgeoisie peu rêveuse, môme sans mémoire et ado mécontent de son faciès, dandy un brin canaille qui entra en littérature à 25 ans avec ses Mémoires d’un jeune homme dérangé, se fit « jeter » de la boîte de pub où il était surpayé après avoir décrit son job dans 99 francs, succès fracassant (plus de 400.000 exemplaires) pas loin de la manière Houellebecq (dont il fut l’éditeur) et adapté au cinéma.

    Le « cinéma » mondain de Beigbeder est trop connu pour qu’on y revienne, alors que son réel talent mérite d’être rappelé. Pas tant celui du romancier de Windows on the World, évocation peu mémorable du 11 septembre vu de Paris, mais bien plutôt des Nouvelle sous ecstasy ou d’autres variations plus libres et plus personnelles sur l’époque, dans la postérité d’un Bernard Frank ou du Weyergans « goncourtisé » de Trois jours chez ma mère.    

    Non sans charme, parfois touchant de réelle sincérité, notamment dans l’évocation de ses relations privilégiées avec son grand-père, l’écrivain a un ton à lui que module la « ligne claire » de notre langue.

    Frédéric Beigbeder. Un roman français. Grasset.

  • Le Vieux Sage

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    ILS croient qu’ils m’ont eu, mais ils se fourrent le doigt dans l’œil, et là j’ai au moins la paix, tout aux cirons et autres charançaons qui sont mille fois moins intrusifs que ces espèces de paparazzi que représentent les écolos mystiques de l’Arbre et autres poétesses naturopathes, bref mon cher Thoreau, je me la coule douce et je pense bien à toi au coin de mon bois…
    Image : Philip Seelen

  • Clic-Clac

    PanopticonBB5.JPG…La présente image fixe exactement ce moment-clef de la métaphysique ambulatoire que Blaise Pascal (penseur notoirement en butte à la migraine aiguë à force de prises de tête) situe entre ce qu’il appelle les Deux Illusions, j’veux dire : les deux silhouettes qu’il y a là se croient immortelles, mais ce sont deux ombres, et fugaces, à peine se disent-elles: chouette on est là, qu’elles n’y sont plus, même avec un nouveau compact Panasonic Lumix GFI à retardateur numérique intégré t'y coupes pas : tout passe…


    Image : Philip Seelen

  • Marie Ndiaye goncourtisée

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    Romancière pur-sang du quarté final, elle a dominé la rentrée avec ses Trois femmes puissantes.

    Cette petite bonne femme a l’étoffe d’une grande romancière, se dit-on en lisant Trois femmes puissantes, huit ans après Rosie Carpe qui lui valut le Prix Femina 2001, un début de notoriété publique et l’indépendance financière. Ecrivain de race dès son premier livre, cette bonne élève de mère française et de père sénégalais entra à dix-huit ans dans la prestigieuse écurie de Jérôme Lindon, aux éditions de Minuit, avec un livre intitulé Quant au riche avenir et cousu d’une seule phrase, plus chic tu meurs. Neuf ouvrages, fictions et théâtre, suivirent à la même enseigne, ses pièces (vues en nos régions) entrèrent au répertoire de la Comédie-Française et, surtout, l’écrivain évolua sans discontinuer, se fit moins « littéraire », plus en phase avec le monde et le traduisant de plus en plus librement avec un grand art de « médium ».
    Son dernier roman, à cet égard, saisit par la pâte humaine de ses personnages et l’empathie profonde avec laquelle elle en retrace les destinées, sur fond de déracinement et d’humiliations vécues par des femmes et des hommes de notre temps. On pense à l’immense V.S. Naipaul, Nobel de littérature 2001, en lisant Trois femmes puissantes, et parfois à la Duras « annamite» ou au Simenon « africain », pour son écriture ou pour ses atmosphères et ses coups de sonde dans la psychologie conflictuelle des protagonistes. Une certaine magie, des oiseaux plus ou moins inquiétants et des dérives au bord des gouffres de la folie et du meurtre imprègnent en outre le roman de leur inquiétante étrangeté, dont on ressort ému et « sonné ».
    La première histoire de ce triptyque marque les retrouvailles de Norah, Sénégalaise devenue avocate à Paris, convoquée par son père despote (et non moins déchu) à Dakar où elle est censée défendre son frère qui s’accuse du meurtre de sa belle-mère et amante. Mais la vérité, manipulée par le terrible patriarche déchu, reste à démêler…
    Non moins retors, Rudy Descas, le prof blanc du lycée Mermoz de Dakar, qui a séduit la jeune Fanta et lui a fait miroiter un avenir meilleur en France, se retrouve là dans la peau d’un déclassé minable, entre sa femme dépitée qui le rejette et sa mère fondue en mystique débile.
    Enfin, le plus triste sort est vécu par Khady Demba, entr’aperçue dans la première histoire et retrouvée dans une accablante suite d’épisodes au fil desquels, après la mort prématurée de son conjoint la laissant sans enfant, elle va vivre le calvaire des « damnés de la terre » en quête de lendemains qui chantent.
    Or, sans préjugés politiquement corrects, remarquable par sa façon de percevoir les moindres mouvements affectifs de ses personnages, en relation avec leurs démêlés économiques, Marie Ndiaye brosse des portraits qui saisissent par leur caractère quasi symbolique et par leur vibration personnelle. Avec des vues pénétrantes sur le chantage affectif à base de calcul, la tyrannie douce ou le charme destructeur, notamment, la romancière justifie implicitement son titre en suggérant que la vraie puissance est, plus que force imposée: confiance inébranlable en soi et en la vie…
    Marie Ndiaye. Trois femmes puissantes. Gallimard, 316p.

  • Du Livre à la Toile

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    À écouter: l'émission Médialogues de Martine Galland et Alain Maillard: http://www.rsr.ch/la-1ere/medialogues

    La critique des livres perd sa place dans la presse, la trouvera-t-elle sur internet?

     "De toute évidence, une société littéraire est en train de disparaître", écrit le journaliste, écrivain et blogueur Jean-Louis Kuffer dans son éditorial du Passe Muraille N0 79 d'octobre 2009.

    "Le déplacement sur la Toile va-t-il s'amplifier et se recentrer, ou au contraire se vaporiser dans une nébuleuse de parlotte?" L'avis de Jean-Louis Kuffer.

     Avec la participation de Dominique Antoine, président d'un club littéraire parisien. Mandaté par France Télévision pour développer la place laissée aux écrivains sur le Net, il produit "Interlignes", sur "curiosphère.tv", la webtv éducative de France 5.

    Avec également les commentaires de Slobodan Despot, directeur des éditions Xénia, premier éditeur en Suisse romande à faire paraître certains de ses titres en version numérique.

     ENVERS ET CONTRE TOUT

    Edito

     

    À quoi ressemblera la scène littéraire dans vingt ans ? Qu’en sera-t-il de la littérature française ?  Y aura-t-il encore des éditeurs romands ? Les médias de la prochaine génération parleront-ils encore de livres ? Un journal littéraire tel que Le Passe-Muraille aura-t-il survécu, sous cette forme, à tout ce que nous observons au seuil de l’année 2010 ?

    Ces questions se posent une nouvelle fois au vu de la dernière rentrée littéraire d’automne, marquée par la prolifération de livres parus dont seule une minorité sera remarquée et commentée, dans une aire de légitimation (surtout médiatique) de plus en plus restreinte. De toute évidence, une société littéraire est en train de disparaître, dont on ne sait ce qui la remplacera. Les revues et les journaux spécialisés de naguère, les rubriques et tous les vecteurs de la critique littéraire sont-il d’ores et déjà condamnés, où le discours sur le livre se redéployera-t-il sous d’autres formes ? Le déplacement déjà bien perceptible de sa migration sur la Toile va-t-il s’amplifier et se recentrer, ou au contraire se vaporiser dans une nébuleuse de parlote ?

    D’aucuns, non sans Schadenfreude, concluent à la fin de la culture en général, et de la littérature en particulier. Plus rien ne se ferait, selon eux, qui fût digne d’attention ; et de ne plus faire attention à rien  de ce qui se fait.

    Or, à ce catastrophisme inattentif, Le Passe-Muraille se propose de résister encore et encore par un regain, précisément, d’attention à ce qui se fait malgré la massification et la montée de l’insignifiance. Transmettre et découvrir, renouer les liens entre passé et présent, rendre justice aux œuvres oubliées, accueillir les écritures d’avenir, et qu’importe que ce soit par le Papier ou la Toile - envers et contre tout !

     

         Les carnets de JLK: http://carnetsdejlk.hautetfort.com/livre

  • Ecrits et chuchotements

    PanopticonE04.jpgEntièrement d’accord avec vous, cher confrère, il est vrai que les écrits restent et que c’est le meilleur de ce que nous fûmes, au sens où Marcel Proust le suggère dans le fameux passages des livres de Bergotte aux ailes déployées dans la vitrine de la librairie, après sa mort, et quant au mot de Saint-John Perse selon lequel un livre est la mort d’un arbre, je vous rappelle le vrai nom du poète de La Guadeloupe, enfin je vous en prie: Alexis  Léger…

    Image : Philip Seelen

  • Songerie

    PanopticonE03.jpg…Ils disent que les gens de la terre, comme ils disent (ils disent : les gens de la terre, tu t’imagines…), pensent avec leurs mains, mais tu vois les gens du coin se lever le matin avec l’idée qu’ils vont penser avec leurs mains, tu vois ça, toi, et tu les vois, toutes ces mains du soir, s’il leur fallait encore penser qu’elles pensent -allez le philosophe: allons voir ce que vaut la vendange de cette année…

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui se disent en recherche

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    Celui qui trouve bien plus qu’il ne cherche / Celle qui cherche la petit bête chez ses frères de l’Aréopage d’Harmonie rétifs à boire leurs propres larmes / Ceux qui ont écumé toutes les communautés spirituelle où ils pouvaient se poser quelque temps dans  un gîte si possible rural / Celui qui se dit en recherche pour en imposer aux jeunes filles diaphanes / Celle qui trouve dans la poterie tournée une similitude physique et métaphysique avec l’ivresse des derviches /Celui qui a disparu un jour du Bureau du Contentieux et qu’on aurait vu trois ans plus tard dans une tribu de Pygmées couvert de peintures d’un assez bel effet /  Celle qui vomit beaucoup avant sa première ingestion de purée de Datura et qui s’exclame WOUAOU quand elle voit enfin La Fleur s’ouvrir / Ceux qui prétendent que les stigmates de Natuzza lui viennent du canif ébréché de son beau-frère Mauro qui tient la buvette de la Colline Sainte, ingresso 2000 Lire / Celui qui regrette de n’avoir pas pu photographier l’entrée à cheval du thaumaturge Gurdjieff dans l’église de fameuse mémoire / Celle qui s’est efforcée de refaire une santé de la pauvre poétesse anorexique Kathleen Mansfield à grand  renfort de phosphate / Ceux qui  se sont mariés dans la secte de Révérend Moon avant d’opter pour la polygamie genre Mormons / Celui qui affirme que ses trois fils peuvent kiffer Benoît XVI en toute liberté pourvu qu’ils restent discrets aux réceptions de la famille Du Perron  / Celui qui te sourit de la typique façon béate des fumeurs d’herbe de la communauté de 72 dont quelques membres cultivent encore quelques plants dans leur jardin privatif de cadres moyens voire supérieurs / Celle qui impute le manque de vibes spirituelles que manifeste son amie Prune au refus de se laisser caresser sous le voile / Ceux qui pensent que quelque part Jésus le Galiléen était une sorte de chaman avant la lettre / Celui qui réécrit le Sermon sur la Montagne façon rap / Celle qui cherche la paix et la trouve dans les bras de son amant auquel elle n’aurait même pas l’idée de suggérer se brancher viagra / Ceux qui parlent à Dieu dans la forêt d’automne sans en répandre le bruit, etc.

    Image: Philip Seelen

     

  • Le poids du monde

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    …On n'imagine pas ce que peuvent peser ces oiseaux-là, c’est vraiment pas croyable, ça a l’air poids plume tellement c’est transparent mais c’est plus lourd que tout le chagrin de tous les temps, ça a l’air léger comme du cerf-volant et c’est pourquoi les enfants se pressent de les ramasser pour la pièce, mais les enfants deviendraient vite vieux à porter longtemps ces oiseaux-là…
    Repro : Philip Seelen

     

  • Lady L. remet ça...

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    Où les dernière huiles sur toile de la compagne légitime de JLK, dite Lady L., qui a commencé de peindre cet été et n'a cessé depuis lors d'aggraver son cas, n'est pas sans susciter chez lui un début de jalousie - mais de bonne jalousie cela va sans dire...

     

     

     

     

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  • Peinture fraîche

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    Où JLK salue le talent soudain révélé de cette Lady L. dont il partage la vie depuis 27 ans et qui s'est mise à la peinture cet été. Ce que Ramuz eût sévèrement désapprouvé.


    À La Désirade, ce mardi 28 juillet. - Très touché, comme par une espèce de grâce, de voir ma bonne amie se mettre à la peinture, et y réussir aussitôt, avec ce goût instinctif et très sûr qu’elle a toujours montré dans son approche de l’art ou de la littérature. Première huile sur toile : un parapluie vert. Elle travaille avec un tablier de jardinier. Pour enchaîner avec une nature morte que je trouve très vive, et un paysage dont je devrais être jaloux et qui me ravit plutôt, à l’opposé de l’affreux Ramuz qui, dès leur mariage, interdit à sa femme peintre d’exercer son art pour se concentrer sur des travaux plus typiquement féminins…

    PS. La nature reproduite ci-contre est le premier essai pictural de Lady L. Les paysages reproduits ci-dessous évoquent les Préalpes savoyardes faisant face à La Désirade (Cornette de Bise et Grammont) et les dunes de Camperduin, aux Pays-Bas.  

     

     

     

     

     

     

    Luciana446.jpgLuciana447.jpgLuciana445.jpgLucia557.jpgLucia3333.jpgLucia556.jpglulu couché de soleil dramatique.jpg

  • Le Passe-Muraille nouveau

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    Une revue littéraire, du papier à la Toile

     ° La 79e livraison du Passe-Muraille vient de paraître. L'ouverture en est consacrée à un témoignage de Charles-Henri Favrod, grand voyageur lui-même, fondateur du Musée pour la photographie de l'Elysée, à Lausanne, et proche de la grande dame de Chandolin. René Zahnd présente l'exposition permanente installée à Chandolin (le plus haut village d'Europe) dans la chapelle Sainte-Barbe, et le dernier livre paru chez Zoé, rassemblant les reportages d'Ella Maillart, Envoyée spéciale en Mandchourie.

    ° Une page du numéro est consacrée au dernier recueil d'essais de Pietro Citati, grand critique italien dont a paru récemment Le mal absolu; au coeur du roman du XIXe siècle, chez L'Arpenteur. En Italie, c'est La Malattia dell'infinito, consacré à la littérature du XXe siècle, qui vient d'être publié chez Mondadori et que commente notre collaborateur Fabio Ciaralli.

    ° Un hommage, en dernière page, est rendu à Louis Calaferte par Antonin Moeri, évoquant la part vertigineuse  de l'oeuvre, sous l'aspect de l'érotisme.

    ° La rentrée littéraire 2009 fait l'objet de nombreux articles et chroniques, notamment sur Jayne Anne Phililps, Colum McCann, Carlos Ruiz Zafon, Noëlle Revaz, David Fauquemberg, Pascal Janovjak, Marie-Hélène Lafon, Rafik ben Salah, Joëlle Stagoll, etc.

    ° Un hommage est également rendu à Jacques Chessex.

    ° À découvrir: le nouveau site du Passe-Muraille, et ses blogs, aux bons soins de Mark Pralsky (webdesigner) et de l'équipe du journal, dont Nasma Alamir , Sophie Kuffer et Marie-Christine Pasche. Après dix-sept ans d'existence, notre revue compte d'importantes archives, notamment avec sa collection d'inédits d'auteurs du monde entier, et avec autant d'entretiens. Elles seront peu à peu rendues disponibles, à commencer par les derniers numéros. En outre, une partie de ceux-ci seront consultables en accès direct. Enfin et surtout, l'interactivité permettra à nos lecteurs d'entrer en contact avec nos collaborateurs et de nourir un débat vivant. Plus: un espace dévolu à la création, à l'enseigne de L'Echappée, sera ouvert aux textes  d'auteurs débutants ou confirmés.

    ° À porté d'un clic: http://www.Revuelepassemuraille.ch

     

     

  • Le cousin de Fragonard


    Sapience et saveurs de Patrick Roegiers. Que Charles Sigel reçoit aujourd'hui àl'enseigne de Comme il vous plaira, sur Radio Suisse romande Espace 2, de 13h.30 à 16h. À ne pas manquer...

    Les mots sont à la fête dans le dernier roman de Patrick Roegiers, écrivain des plus singuliers dont la folle érudition pourrait nous assommer d’ennui si, débarqué de Belgique surréaliste au passé flamand plein de génies biscornus, de Jérôme Bosch à James Ensor, il n’alliait à sa curiosité amoureuse des saveurs et des savoirs de maîtres anciens, un humour profond souvent mâtiné d’imperturbable délire, enfin une façon de puiser au trésor des mots, des étymologies et de toutes les ressources de notre bonne langue française, qui ferait les délices d’un certain Alcofribas Nasier, toubib à Chinon sous le nom de Rabelais. Or voici que, dix ans après Hémisphère nord, mémorable évocation du romantisme allemand et du métier de peintre (le protagoniste évoquait le visionnaire Caspar David Friedrich), c’est le siècle de Diderot et de Rousseau que Roegiers (prononcez Roudgirs) revisite avec Le cousin de Fragonard, en lequel cohabitent un aperçu de ce que le siècle des Lumières avait d’obsessions exploratrices, une métaphore éloquente de la fonction résurrectionnelle de l’artiste et le constat de sa fréquente non-reconnaissance sociale. De fait, tout semblait vouer l’existence d’Honoré Fragonard à l’obscurité, et ses œuvres à l’oubli. Cousin pataud d’un peintre adulé, né à Grasse dans la famille d’un gantier-parfumeur qui espérait en faire son successeur avant que la passion des batraciens ne l’amène aux « dissections exquises » et celles-ci à l’anatomie sous la férule du chirurgien Lemoignon, lequel se réjouit de le voir « penser avec les mains » avant un grand Européen du XXe siècle, Honoré le taiseux solitaire grimpa bel et bien dans une hiérarchie, mais sans lustre, ralliant l’école vétérinaire d’Alfort où sévissait celui qui deviendrait son ennemi intime : le cancrelat humain portant le nom de Bougrelat. Or on serait dans l’erreur de déduire de sa passion un goût morbide : « C’est de l’horreur du trépas que naissait la beauté de ses travaux de recherche menés dans un but artistique, qui visaient à l’union du pinceau et du scalpel, de l’art et de l’anatomie ».
    La danse des vifs
    Le paradoxe revigorant du Cousin de Fragonard tient aussi bien à magnifier, à l’époque où prolifèrent les « cabinets de curiosités », la quête à la fois scientifique, artisanale et artiste de Fragonard l’obscur dont l’idéal, dans l’art de l’écorché artistique, se réaliserait avec un chef-d’œuvre.
    Il faut rappeler alors l’événement essentiel de sa vie : la rencontre, unique, en sa jeunesse, d’une jeune fille que son seul regard a foudroyée sur place. Enterrée au lieu de l’extraordinaire péripétie, elle y est restée intacte, conservée par la chimie souterraine, lorsque, des années plus tard, Honoré vient l’y déterrer pour la naturaliser dans une posture fleurant le romantisme débutant…
    A ce propos, un autre paradoxe de l’art de Patrick Roegiers tient à la combinaison d’une espèce de matérialisme naturaliste, bien de l’époque, avec ses entichements pour l’illuminisme et l’électricité testée par cerfs-volants, l’influence des manufacture de colle forte sur l’environnement et l’onanisme (le docteur Tissot de Lausanne a passé par là), la purification des diamants et la crépitomanie, mais aussi de fantaisie hugolienne avant la lettre, à la fois artiste et sentimentale...
    Tout cela n’empêchant pas un Diderot, magnifiquement campé, de poursuivre honnêtement son œuvre d’éclaireur génial, ni Jean-Honoré de peindre ses escarpolettes paradisiaques. C’est d’ailleurs au ciel qu’Honoré rencontre son charmant cousin défunt, pour un dialogue final plein de grâce, laquelle enveloppe tout le livre de son mélange de douce folie et de sagesse.
    Patrick Roegiers. Le cousin de Fragonard. Editions du Seuil, coll. Fiction & Cie, 217p.

    Cet article a paru dans l'édition de 24heures du 14 février 2006.

  • De l'oison torche-cul

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    Le viatique de Rabelais, selon Alexandre Jollien.

    Alexandre Jollien est impayable, sur son tricycle zigzaguant dans les rues de La Tour-de-Peilz. En d’autres temps et d’autres lieux ça ne faisait pas un pli : c’était le cortège de mômes, les lazzis et les horions, hé le tordu ! tandis qu’ici et maintenant ça roule ma poule, on le reconnaît, on le salue gentiment, c’est Jollien le philosophe et passe le Diogène automobile…
    Or le rencontrant après avoir lu La construction de soi, où il tente d’exprimer combien le bonheur lui est difficile, à lui qui en a plus que bavé toute son enfance et son adolescence et qui s’en est fait un blindage de volonté et de tenir-prise, je suis touché d’abord de le voir me demander timidement, devant la petite porte de bois de son minuscule bureau, dans telle vieille maison de La Tour, de glisser à sa place la clef dans la serrure, d’un geste qui lui reste difficile, comme on oublie que difficile lui reste la vie dans sa sacrée carcasse.
    Ce garçon pourrait être mon fils, me dis-je en l’écoutant me parler de Boèce, auquel il a consacré son mémoire de philosophie à Fribourg, puis d’Etty Hillesum la déportée qui lui a rendu courage par sa façon, aux portes de la mort, de rester crâne et joyeuse – il a à peine passé la trentaine et je lui sens pourtant une maturité rare chez les gens de son âge, avec cette nouvelle façon surtout d’accepter ce qu’il est et de commencer de s’en torcher le cul avec l’oison de Rabelais. Crâne et joyeux, mais aussi fragile, je le sens, restant handicapé dans chaque geste et pour s’exprimer aussi, mais dansant à sa façon de pensée en parole et me confrontant à mon propre empêtrement.
    Cette histoire de Rabelais me fait surtout plaisir, que j’aimerais répandre chez mes proches qui s’en font trop pour pas assez ; voyons, voyez tous tant que nous sommes et que vous êtes si bêtes : torchez-vous le cul à l’oison !
    « Rabelais me réconcilie avec mon être », écrit Alexandre Jollien, et quand je lui demande de développer, il m’explique que la lecture de Rabelais, après Spinoza, l’a aidé à accepter la réalité du corps, alors qu’il tendait jusque-là à son idéalisation, notre corps qui boite et qui désire, qui exulte et qui chie, notre frère l’âne comme disait l’autre et voici Gargantua décliner les façons siverses et possiblement confortables de se torcher, que ce soit avec un oreiller, une pantoufle, une gibecière ou un panier…
    « Mais pour conclure, conclut Gargantua, ainsi que le cite Jollien, je dis et je maintiens qu’il n’y a pas de meilleur torche-cul qu’un oison bien duveteux, pourvu qu’on lui tienne la tête entre les jambes. Croyez-m’en sur l’honneur, vous ressentez au trou du cul une volupté mirifique, tant à cause de la douceur de ce duvet qu’à cause de la bonne chaleur de l’oison qui se communique facilement du boyau du cul et des autres intestins jusqu’à se transmettre à la région du cœur et à celle du cerveau. Ne croyez pas que la béatitude des héros et des demi-dieux qui sont aux Champs Elysées tienne à leur asphodèle, à leur ambroisie ou à leur nectar comme disent les vieilles de par ici. Elle tient, selon mon opinion, à ce qu’ils se torchent le cul avec un oison… »

    Alexandre Jollien, La construction de soi. Cette note date de décembre 2006.

  • Ceux qui sont à l'écoute

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    Pour L.

    Celui qui reconnaît en ce livre un viatique / Celle qu’émeut toujours l’apparition d’un animal sauvage / Ceux qui réparent la cabane dans les arbres de leur enfance / Celui qui observe le vol horizontal de l’épervier / Celle qui essaie de déchiffrer la langue à fulgurances des martinets / Ceux qui laissent entrer la nuit dans la maison où le feu veille / Celui qui s’avance dans le sous-bois avec des gestes silencieux / Celle qui croit entendre des voix dans la brise passant à travers les bouleaux jouxtant la maison de bois / Celui qui se demande en quoi l’engage la possession de la vie / Celle qui dit bonjour à la sittelle qu’elle retrouve tous les jours sans oser l’appeler « ma sittelle » / Ceux qui sont comme des perches à prières sur les cols de l’Himalaya / Celui qui en appelle à une nouvelle vie marginale que ponctueront les clics d’une espèce d’internet des oiseaux / Celle qui dit « on reste en contact » au chevreuil de passage / Ceux qui reconnaissent la saison rien qu’en fermant les yeux dans les odeurs de l’après-midi ou entre chien et loup / Celui qui arpente ses territoires d’une pierre crossée à l’autre / Celle qui est habités d’une présence plus forte que son faible pour les forts en sexe / Ceux qui pensent eau-de-vie quand ils boivent l’eau de source de la forêt à laquelle leur maison est adossée / Celui qui voit le lac à travers la forêt comme une sorte d’allusion au ciel / Celle qui sourit sereinement en se figurant la nuque broyée du mulot saisi par l’épervier / Ceux qui n’ont que faire de Baruch le polisseur de lunettes au milieu de la nature symphonique / Celui qui sait reconnaître le casse-noix sans le voir / Celle qui surprend le regard moqueur du blaireau (genre tu crois m’éblouir, pimbêche !) qu’elle éclaire pleins feux dans la nuit sourde / Ceux qui lisent les nuages sans se soucier de la météo / Celui qui parle de « frontière de rossignols » / Celle qui se rappelle l’odeur des foins dans l’arrière-pays et celle de son premier amant Aimé qu’aimait photographier le poète Gustave Roud / Ceux qui souriaient quand la sœur de Gustave Roud constatait en le voyant ramener une nouvelle série de photos de beaux jeunes paysans à demi nus : « Encore quelques poulains pour son paddock… » / Celui qui n’est touché que par l’art primitif y compris celui du dernier Hodler / Celle qui peint des lointains en rêve / Ceux qui collectionnent des araignées dont chacune a un prénom / Celui qui se demande où le pic noir a trouvé la ligne de son vol évoquant une brasse coulée pleine de vigueur retenue / Celle qui se définit comme une débile éclairée / Ceux qui franchissent des étapes à longueur de pensée, etc,

    (Notes prises en lisant La pipe qui prie et fume, dernier livre de Maurice Chappaz, publié en octobre 2008 par Christophe Carraud à l’enseigne de la Revue Conférence et enrichi de monotypes de Pierre-Yves Gabioud)

  • La mort d'Albert Caraco

    Caraco3.jpgGénie inclassable, philosophe, grand écrivain (1917-1971). A découvrir: le site qui lui est consacré.

    “J'attends la mort avec impatience, écrivait Albert Caraco, et j'en arrive à souhaiter le décès de mon père, n'osant me détruire avant qu'il ne s'en aille. Son corps ne sera pas encore froid que je ne serai plus au monde.”
    Caraco n'était pas de ceux qui se paient de mots. Plein de ressentiment et de mépris envers le monde et les hommes de ce temps, proche à la fois du courtisan pour ses goûts de société, et du nihiliste désespéré par ses idées apocalyptiques, le dernier acte de cet apôtre des civilités fut, comme en ont témoigné les traces de sang retrouvées sur les tapis et les parois de l'appartement parisien où il vivait avec son père, de se traîner, les poignets entaillés, ses esprits succombant aux barbituriques et le gaz ouvert, jusqu'aux plombs qu'il parvint à débrancher in extremis, crainte que l'étincelle du timbre de l'entrée ne fasse tout sauter. Lui qui se faisait une fête des plus sombres prédictions...
    Pauvre Caraco ! Quelles pouvaient bien être ses pensées au moment de ces préparatifs ? Etait-il serein derrière son masque de Chinois, ou bien a-t-il versé des larmes comme j'imagine qu'a dû le faire le petit garçon qu'il fut, tel qu'il l'évoque dans l'inoubliable Post Mortem, dont la mère abusive scotchait les mains chaque soir afin de le dissuader de se toucher ?
    Le galant homme eût fort bien pu se retirer dans l'indifférence de ses palaces et cultiver son jardin d'érudit universel, au lieu de quoi ce prophète de malheur n'a eu de cesse de clamer ses vérités dans le désert, sans parvenir jamais à capter l'attention, plus que maudit: ignoré. Autant que Nietzsche, il nous provoque et nous bouscule dans le chaos de ses proférations tantôt éclairantes et tantôt intempestives, mais voudrions-nous le suivre dans ses conclusions sans lui donner entièrement raison que nous le trahirions du même coup - d'où le malaise qu'on éprouve le plus souvent à le fréquenter, et la difficulté de son bon usage.

    Albert Caraco, né en 1919, s'est suicidé en septembre 1971, dans la nuit qui suivit la mort de son père. Tous ses livres sont publiés aux éditions L'Age d'Homme. A lire en priorité: Post Mortem, Ma confession, La luxure et la mort, Le galant homme.

    Caraco2.jpgPost Mortem (la première page)

    Madame Mère est morte, je l'avais oubliée depuis assez de temps, sa fin la restitue à ma mémoire, ne fût-ce que pour quelques heures, méditons là-dessus, avant qu'elle retombe dans les oubliettes. Je me demande si je l'aime et je suis forcé de répondre: Non, je lui reproche de m'avoir châtré, c'est vraiment peu de choses, mais enfin... elle m'a légué son tempérament et c'est plus grave, car elle souffrait d'alcalose et d'allergies, j'en souffre encore bien plus qu'elle et mes infirmités ne se dénombrent pas et puis... et puis elle m'a mis au monde et je fais profession de haïr le monde.

    Post Mortem, La Merveilleuse collection. L'Age d'Homme, 1968.

    Le site conssacré à Albert Caraco vient d'être réactualisé par Bruno Deniel-Laurent: http://albertcaraco.free.fr/