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Livre - Page 137

  • Sollers sans aveu

    Philippe Sollers admirable, imbuvable, insaisissable, ambigu, inaperçu, mouvant - Sollers22.jpgémouvant ?

    Dialogue schizo


    En marge de la lecture de Discours parfait, de Passion fixe et des Voyageurs du temps. Approximations et contrepoints.

    Moi l’autre : - Et alors ? Toujours épaté par la (re) lecture de Sollers ?
    Moi l’un : - De plus en plus… et de moins en moins : de plus en plus intéressé, mais de moins en moins ébloui, je dirai, ce qui est bon signe je crois. Je l’ai dit et répété : c’est un merveilleux lecteur et c’est par celui-ci, via La guerre du goût et Eloge de l’infini que j’y suis revenu. Une vie divine est une lecture de Nietzsche qui flamboie de prose heureuse. Aussi, je l'apprécie en crescendo parce que le Sollers prosateur lumineux et fluide du tout début juvénile repique depuis Femmes et ses successives défrocations, que le Sollers écrivain heureux frondeur solipsiste s’épanouit dans sa nature, que le Sollers poseur jamais posé ne cesse de rebondir ailleurs et de bonifier, mais cet étourdissant phraseur aux vrais moments de grâce ne me comble jamais vraiment tout à fait pour autant, je dirai comme Rousseau ou comme Genet, Rimbaud me comblent, et c’est probablement bon signe…
    Moi l’autre : - Mais en quoi donc ?
    Moi l’un : - En cela que ce très et trop brillant sujet n’est pas intéressant à mes yeux pour sa virtuosité et son érudition ni même par sa maestria de styliste autant dire : pour ses performances. C’est sa faiblesse qui m’intéresse, et cela fait signe vers une oeuvre à venir. J’attends la folie. J’attends la faille. J’attends la première maladresse du tireur qui se dit d’élite et nous en met plein la vue. J’attends le premier aveu du faraud jeune homme – car il reste l’éternel jeune homme que Dieu doit casser – ou rien ne se passera. Mais le Destin l’attend comme le cheval de Nietzsche, ou tout cela n’aura jamais été que littérature presque d'imitation. Tandis que si ça casse, c’est là que l’on verra vraiment à qui on a affaire. Pour le moment il croit qu'il met en plein dans la cible, il jette tous ses feu, il est au milieu du milieu, il a tout compris, tout prévu, Jésus l’a pressenti, Dante l’annonçait, Nietzsche et Rimbaud le portent en avant : il rutile, c’est le Paon qui s’aime tant qu’il s’est inventé une aura supplémentaire d’opprobre et de malédiction, il est honni, aussi vilipendé que Maistre, Céline et Artaud réunis, c’est le fils à maman absolu.
    Moi l’autre : - Comme tu y vas…
    Moi l’un : - J’y vais un peu au bluff, mais s’agissant d’un personnage qui ne fait que bluffer, disons que je reste dans le ton.
    Moi l’autre : - Et que veux-tu dire alors ? Que te manque-t-il chez lui ?
    Moi l’un : - Une seule chose, une seule : l’émotion. Je ne parle pas de l’émotion esthétique ou de toutes les formes d’intuition les plus délicates. Je parle de l’émotion. Je parle du cœur. Je parle du regard sur autrui. Je ne parle pas de la Schwärmerei qui lui fait horreur après Nietzsche, d’un sentimentalisme baveux, mais je parle de l’émotion. Je parle de la faiblesse, et pas seulement de la faiblesse de Maman (Ma Maman), mais de la faiblesse. J’ouvre l’horrible Bloy et la voilà : la femme pauvre, la femme qui pleure, c’est ça qui me manque chez Sollers. Aucune charité. Aucun pleur.
    Moi l’autre : - Il va te ressortir la névrose du christianisme…
    Moi l’un : - C’est ça : qu’il la sorte, je l’emmerde.
    Moi l’autre : - Il va te traiter de fiote protestante.
    Moi l’un : - Il aura tout à fait raison, je viens de donner à la Croix-Rouge pour Haïti.
    Moi l’autre : - Enfin tu arrêterais de le lire pour autant ?
    Moi l’un : - Absolument pas : au contraire, je suis très curieux de le voir évoluer encore. On pourrait être surpris. Peut-être va-t-il être atteint un jour dans sa chair ? Je ne le lui souhaite pas, mais ça compte. Il est pour l’heure heureux et ravi de faire des jaloux, trônant dans son corps, mais demain ? Et puis il y rossignol : il ya tout de même tout ce qu’il y a chez lui d’une musique vivante et sans cesse renouvelée, qui n’est pas rien. Je l’ai dit et le répète : c’est un passeur vivifiant. C'est un putain d'écrivain...
    Moi l’autre : - Tu le crois croyant ?
    Moi l’un : - Je ne sais pas. Je m’en fous autant que lui. C’est une affaire top secrète. Je crois qu’il a le sens du secret du monde mais encore trop d’orgueil. Il se croit au parfum suprême – d’où la gnose. Mais est-ce qu’on sait ? En attendant, il est d’une prétention qui lui fait du tort. Et puis cette histoire d'Eglise, de Fille aînée, cette vaticanerie carnavalesque tu sais combien l'huguenot guenilleux que je suis la vénère...
    Moi l’autre : - Mais enfin c’est un écrivain.
    Moi l’un : - C’est un écrivain. Et de plus en plus. Et là plus de triche ni de pose : c’est l’enfant Sollers ingénu qui bondit à travers le jardin en s’exclamant : je sais lire, je sais lire ! C'est la merveille de lire et d'écrire ! Et hier je notais ce qu'il écrivait hier matin comme demain: que la lumière fait signe. Mais surtout ça qu'il me racontait l'autre jour: à trois ans courant vers sa mère: Je sais lire ! Je sais lire !
    Moi l’autre : - My God mais tu as les larmes aux zyeux…
    Moi l’un : C’est l’émotion, qu’est-ce que tu veux…

  • Le mentir vrai de Régis Jauffret

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    Régis Jauffret revisite l’affaire Stern en se coulant dans la peau de la meurtrière. Paradoxalement, la fiction sonne ici plus vrai que les faits étalés.

    Il y a tout juste cinq ans de ça, le 1er mars 2005, le richissime banquier Edouard Stern, figure du gotha international, fut retrouvé mort à Genève, le corps gainé d’une combinaison de latex, ligoté et criblé de quatre balles. Identifiée comme la coupable de ce meurtre sordide en milieu chic, Cécile Brossard, «secrétaire sexuelle» quadra du milliardaire, fut jugée et condamnée à 8ans et demi de prison. Elle en sort ces jours…
    Au procès assistait le romancier français Régis Jauffret (déjà connu pour une œuvre noire, notamment marquée par Clémence Picot, Asiles de fous - Prix Femina 2005 - ou Microfictions), qui en rendit compte dans Le Nouvel Observateur, comme l’avait fait Emmanuel Carrère, lui aussi romancier de premier rang, d’un autre procès mémorable, du faux médecin mythomane Jean-Claude Romand qui massacra sa famille.
    Or le rapprochement lance évidemment la question: en quoi le roman permet-il d’aller «plus loin» que le seul reportage? Avec L’Adversaire (Gallimard 2002), Carrère avait répondu par une véritable immersion dans le milieu fréquenté par le tueur, qu’il avait approché personnellement. Tout autre est la démarche de Régis Jauffret, qui se coule littéralement dans le personnage de la criminelle (jamais nommée, pas plus que Stern) dont il raconte les tribulations au fil de la longue fugue, jusqu’en Australie, qui suit immédiatement son meurtre avant qu’elle ne se livre à la police. Dans la foulée, on revit une aventure passionnelle immédiatement marquée par la personnalité très ambivalente du banquier, mélange de dominateur cynique passionné d’armes et de fils à maman blessé se pelotonnant auprès de sa maîtresse en lui confessant sa «peur des loups». Le mari, aussi malin que falot, admet que sa conjointe devienne son «chéquier vivant» avec son rival qui l’humilie, mais la relation triangulaire se complique encore avec les enfants du banquier que la double vie glauque de leur père traumatisera. La narratrice les comprend d’autant mieux que sa propre enfance a été une horreur, violée qu’elle fut à 12 ans par un ami de sa mère et terrorisée par un père violent et lubrique.
    Au demeurant il y eut aussi de beaux moments dans cette passion, représentant plus qu’une banale relation tarifée. «Il était le seul homme à m’avoir à ce point voulue», remarque-t-elle ainsi, et lui dit à un moment donné qu’il aimerait un enfant d’elle, puis lui offre 1 million en guise de «bébé» de substitution, dont il lui refuse finalement la garde. Et les coups, les cadeaux, la goujaterie d’alterner: «Il exigeait que je le maltraite. C’était un ordre. Une prérogative de son pouvoir absolu. De la dominatrice, il a toujours été le maître.»
    Dans son préambule, Régis Jauffret affirme que «la fiction éclaire comme une torche», mais aussi que «la fiction ment». Le romancier fait parfois violence à la logique pour fouiller la déraison humaine. Il en résulte un roman net et cinglant, qui n’excuse personne mais diffuse une réelle empathie - non sentimentale.

    Obscure passion
    De quel droit Régis Jauffret parle-t-il au nom de la meurtrière qui crache son histoire dans Sévère? Pas un instant on ne se le demande en commençant de lire ce récit mené à la cravache. «Je l’ai rencontré un soir de printemps» sonne comme «il était une fois», et c’est parti pour le conte noir. Onze lignes sèches pour dire comment tout s’est précipité après que le banquier a repris le million de dollars que sa maîtresse lui a extorqué: «Je l’ai abattu d’une balle entre les deux yeux. Il est tombé de la chaise où je l’avais attaché. Il respirait encore. Je l’ai achevé. Je suis allée prendre une douche…»
    Schlague des mots. Cela s’est-il passé exactement comme ça? On s’en fout. Régis Jauffret a suivi tout le procès Stern, dont il connaît les détails, mais ici, le fait divers devient mythe. Pas trace du voyeurisme moralisant des médias. On croit cette femme: dure pour en avoir bavé dès l’enfance, et qui rêve encore du prince charmant, richissime pauvre type, dominateur et perdu. Et la vie de s’en mêler: l’obscur de la passion humaine, la société et ses embrouilles…
    Le noir a toujours marqué les romans de Régis Jauffret, parfois jusqu’au morbide. Or, curieusement, le plus saturé de réalité «réelle» d’entre eux, le plus limpide aussi, sonne le plus vrai, grâce à la fiction…

    Régis Jauffret, Sévère. Seuil, 160p.

  • Supplément

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    …Quant à la pesée d’âme, ce n’est pas à notre Bureau des Patriotes qu’elle s’effectue mais au bout du couloir, chez le Révérend Donahue - voici le Formulaire à remplir et son timbre de 500 $...


    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui se croient malins

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    Celui qui croit se grandir en crachant sur un peu tout / Celle qui se dit constructiviste pour se distinguer de son maître de thèse clairement déconstructiviste mais auquel elle rend hommage dans certaines de ses notes en pied de page / Ceux qui ne connaissent des noms de fleurs alpestres que ceux que la pub a boostés / Celui qui tire l’essentiel de sa philosophie des journaux gratuits / Celle qui est sûre d’avoir tout appris de ce qui lui sera utile dans sa nouvelle vie d’épouse de prophète évangéliste urbain / Ceux qui se gaussent de l’impatience de leur aïeul à leur rappeler qu’il a encore connu une télé humainement digne par exemple avec Léon Zitrone ami des chevaux qu’il a connu au Lavandou / Celui qui a fait mettre sous verre son diplôme de Plus Bel Athlète des cantons du Sud-Ouest et qui se marre en voyant aujourd’hui ses biscotos fondus comme des endives / Celle qui faisait tellement confiance à l’Abbé Corneille qu’elle s’endormait sur le siège du passager de sa Volkswagen après qu’il l’avait cueillie à la sortie des ateliers d’Altshom où elle portait comme qui dirait sa croix au titre d’ouvrière modèle (on devait être vers 1967 si Corneille roulait déjà coccinelle) et de vierge probable / Ceux qui ont passé des heures et des heures dans ce qu’ils appellent le train de la vie et qui se plaignent ce matin qu’ils n’y ont rien vu sauf les chutes du Zambèze et encore / Celui qui montre à son petit-fils Jason arrivé de Boston un voyageur de peau foncée sur le quai de la gare de Savannah en lui glissant « regarde le négro » alors que le garçon n’en a qu’à une femme à turban jaune et grand derrière qui tient à la main une cage de rotin dans laquelle glousse une poule de soie / Celle qui se demande si les jeunes noirs qui fument de l’herbe dans la cour de derrière ne vont pas tourner la tête à son pupille trisomique et si c’est pas nocif pour leur santé à eux dont on ne sait même pas ce qu’ils font de leurs journées / Ceux qui peignent des faons dans des clairières en pensant à l’ornement des cuisines modestes et qu’une mode soudaine propulse au top du marché de l’art mais pas pour longtemps les enfants / Celui qui a fait le tour du monde de la photo de mode puis le tour du monde de la pub tous azimuts puis le tour du monde des sites de rencontres virtuelles et qui te dit comme ça que tout ça est merdique et qu’il va en faire un roman comme on en a jamais vu et qui cartonnera au dam des Houellebeder et autres Beigbecq forcément jaloux à mort / Celle qui t’avoue qu’elle rêve dans son bain moussant de passer une fois ou l’autre chez Michel Drucker / Ceux qui ont gardé au cul la marque voluptueuse du divan de Michel Drucker / Celui qui fréquente le même gymnase que PPDA et trouve qu’il est resté tellement simple / Celle qui se met de la Scientologie pour se rapprocher au moins spirituellement de Tom Cruise / Ceux qui ont perdu plusieurs parents dans le sacrifice du Temple Solaire et qui attendent la Révélation Magnétique avec d’autant plus de ferveur effarée / Celui qui a changé d’Eglise mais pas de fureur homophobe à l’instigation de l’apôtre Paul dans sa fameuse Lettre aux Romains ou aux Athéniens il ne sait plus trop / Celle qui dit à la battue des coulpes du vendredi soir qu’avant le trottoir était son seul horizon alors que désormais les dons des Sœurs et des Frères la font survivre et que les extras ne sont que pour le plaisir / Ceux qui ricanent à l’observation des crédules tout en vouant un culte au dieu Dollar absolument lucide et scientifiquement contrôlé / Celui qui est persuadé que le nouveau clip du groupe Fuck the Bimbo va exploser la situation du rap limousin / Celle dont le Malin se sert pour détourner l’employé Nestor Dubonchemin de son bon chemin / Ceux qui font de tout un oratoire perso même un quai de métro genre station Denfert à l’heure de pointe, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Au Lecteur

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    Un échange de ce matin, avec Fabien Dubois de Nevers...

    [ Je me suis toujours demandé à qui s’adressaient les écrivains – tous ceux qui depuis bien longtemps font profession d’écrire. Ont-ils la prétention de s’adresser au monde entier et à l’humanité toute entière et à travers le temps ? Cela n’est-il pas quelque part un peu délirant ? Se sont-il jamais posé la question ? Aussi… ]

    Le problème que je dois résoudre ou contourner est bien celui-là : à qui donc est-ce que je m'adresse ? Qui es-tu, cher lecteur ? Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère...

    Je m'adresse à toi qui est là présent pour moi, toi l'être semblable qui toujours me surprend, toi qui me dépasses par ta différence : toi qui est à l'image et à la ressemblance de la présence intérieure qui me questionne.

    Car c'est bien toi qui est là présent pour moi, et non moi qui suis là pour toi : je ne t'apparais que sous la forme d'un livre, je ne suis donc pas à proprement parler une personne, je ne suis qu'un peu d'encre sur du papier. Moi-même, je ne suis pas véritablement là, ma seule existence, c'est-à-dire ma seule présence devant toi, ma seule conscience, c'est toi qui me la donne. Tu me lis donc je vis.

    Tu es désormais ma seule incarnation ici-bas et c'est pour cela que je souffre de ne pas être lu et compris. Je rêve d'être lu et relu afin que celui qui me lit atteigne à la substantifique moelle que la présence qui est en moi a la prétention de vouloir exprimer. Cher lecteur, comprends-tu bien ce que j'entends par là et sauras-tu lire entre les lignes pour me comprendre ? Sauras-tu déceler entre les détritus les lueurs que j'aurais réussi, malgré tout, malgré Moi, à laisser apparaître ? Car en disant cela, je ne me vante pas d'être profond (lire entre les lignes... n'importe quoi !) ni d'être riche en moelle (pour qui se prend-t-il ?) ; j'ai simplement vu quelque chose de grand et de beau que j'aimerais essayer d'exprimer, et c'est parce que je doute fort d'y arriver que je suppose qu'il te faudra peut-être plusieurs lectures, pour que tu parviennes à y lire ce que je n'aurai pas réussi à écrire.

    C'est donc toi qui fait tout le travail et tu me fais aussi vivre au sens propre du terme (de cette absence, je souffre aussi) car c'est toi qui m'achètes et ainsi tu me nourris, tu paies mon loyer et mes impôts. C'est donc justice de rendre l'avantage au lecteur.

    Gloire au lecteur ! Honte à l'auteur qui se sucre au passage !

    Fabien Dubois.

    Lecteur89.jpgJLK: Que la lecture est une rencontre...

    À mes yeux, cher Fabien, c'est beaucoup plus simple - donc infiniment plus subtil et compliqué, comme la vie, une pomme ou la pomme de Cézanne, le jardin d'à côté ou le Paradis de Dante. Bien entendu il n'y a de livres dignes d'être lu que les Personnes, car les livres sont des personnes ou ne sont rien. Pas des personnages de plateau de télé mais des personnes uniques et irremplaçables qu'on reconnaît à un grain de voix ou à un rythme de leur parler/écrire. Tout écrivain qui ne se prend pas pour Homère, les yeux fermés et en se foutant de la caméra, ne fera rien. Un écrivain qui ne se prend pas pour la Nature entière ne fera rien. Un écrivain qui se demande s'il va être lu ne fera rien. Quant à la question de savoir si le plus imporrtant est l'Auteur, le Lecteur, le Tier inclus ou tutti altri, c'est de la faribole. L'important est le miracle d'une rencontre, dont se dégage une énergie inouïe. Je suis en train, cher Fabien, de lire les nouvelles complètes de Flannery O'Connor, qui riait toute seule en se lisant et trouvait ses nouvelles formidables. Moi aussi je les trouve formidable, comme tant d'autres. Mais à qui apartiennent-elles ? Elle découlent du regard délirant porté par une femme pétrie d'humanité et de poésie, à qui on ne la faisait pas. Tu es l'un de ses personnages, Dutroux en est un autre, un Nègre aux tempes blanches portant un saphir à son doigt, un gosse mal embouché et son aïeul impatient de lui faire détester les Noirs, Silvio Berlusconi à plat ventre devant une bimbo en string, le frère Marie-Maximilien dans son cloître plein de chats et de gueux, ma bonne amie et nos deux filles et les lascars qui nous les ont volées, Pascal, la dépouille de Nabokov hisant sous mes fenêtres, tutti quanti.
    Il faut s'arracher absolument à la pensée binaire - spécialité française, et s'exercer à l'humour de la vie, via Shakespeare (qui était-ce seulement ?), et à la merveille tissée d'épouvante. Ah mais quel beau jours se lève ! Quelle belle journée à lire, à tous les sens que tu voudras !

    Lecteur3.jpgEric Poindron:

    Cher Fabien,
    Courageux de prendre ainsi la plume et de s'interroger. Je partage le beau commentaire de l'ami JLK...

  • L'exclu

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    …FOR YOU, Paulo, toi qui sais le rosbif, ça veut dire quoi, FOR YOU ? Quoi ? ça veut dire POUR TOI ? Alors là, tu m’étonnes ! Tu vois bien qu’y en a que pour toi, rien que pour les instruits, Paulo, même à ras le pavé et sur fond rose y a rien POUR MOI !...
    Image : Philip Seelen

  • Ceux pour qui la vie continue

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    Le départ d’Ewa

    Celui qui ne s’attendait pas à ce qu’Ewa se défende / Celle qui l’a aidée à faire valoir ses droits / Ceux que se détermination a sidérés / Celui qui a changé de tactique quand il a compris qu’elles étaient prêtes à dénoncer ses trafics d’organes en dépit de sa position de force / Celle qui savait qu’elle reviendrait de là-bas d’où elle assurerait pendant quelque temps la survie de l’enfant et de sa mère à elle / Ceux qui estimaient que la prétendue agression intime n’était pas un motif justifié pour sa décision de démissionner de son poste de nouvelle cheffe de clinique et de se faire réengager comme aide-soignante dans une autre division où elle fut accueillie avec sollicitude par les anciennes victimes du Manchot / Celui qui fut tellement bluffé par la détermination d’Ewa qu’il fut d’abord tenté de faire la peau du Manchot et ensuite de la reconquérir en jouant sur sa gueule d’ange et le fait qu’il restait le père de l’enfant / Celle qui comme sa mère comprit le désir d’Ewa de changer de ciel et d’en préparer un autre à son enfant / Ceux qui pensaient à l’époque qu’elle avait renoncé à tout espoir / Celui qui rapporta au Manchot la rumeur d’un règlement de comptes qui se préparait contre lui dans la bande de l’ex d’Ewa très au fait de ses menées illicites et résolu à lui donner une leçon pour cette affaire privée / Celle qui fut chargée par Ewa de dire à Jegor qu’elle ne désirait point revoir celui qui lui avait ordonné de faire passer l’enfant avant de l’abandonner / Ceux qui lui ont souhaité bonne chance à la verrée des aide-soignants / Celui qui lui a trouvé un poste de gouvernante dans la périphérie de Vienne / Celle qui était avec elle et sa mère quand Ewa a serré l’enfant à l’étouffer / Ceux qui auraient aimé l’accompagner à la gare ce matin d’hiver mais auxquels elle s’est contenté de dire : la vie continue, etc.

    Image extraite d'Import/Export d'Ulrich Seidl.

  • Ceux qui visent haut


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    Celui qui ne voit de tragique que Le Tragique AOC de la Tragédie Grecque et si possible en VO / Celle qui prétend n’enseigner que les Tout Grands et si possible à un public dûment épuré / Ceux qui parlent de « clients » en désignant leurs élèves de l’ancien Collège classique rebaptisé Unité d’Enseignement B4 / Celui qui décrie l’élitisme de l’enseignante Z. par ailleurs catho fan de Benoît XVI non mais tu rêves ? / Celle qui dit avoir beaucoup appris en matière de politique et de caractère humain à lire les pièces de Shakespeare (William) / Ceux qui vocifèrent à la cafétéria du Département Littérature à propos des Lettres de Céline que les uns refusent de voir figurer dans les rayons libre accès de la Biblio et que les autres proposent de faire lire à une commission ad hoc mais qu’aucun n’a vraiment lues jusque-là sauf ce facho de Muri / Celui qui préfère le paysan Louison qui te récite par cœur des tripotées de fables de La Fontaine aux spécialistes dix-septiémistes pratiquant le tourisme international des Colloques & Congrès / Celle qui se sait trop coquine pour devenir sainte mais assez courageuse pour faire une martyre potable malgré les injonctions de sa mère qui lui fait valoir qu’une fille de 10 ans est en âge de balancer ces fariboles aux orties et de penser Avenir / Ceux qui se font fait un programme de dépassement de leur lascivité naturelle et en deviennent indistinctement meilleurs ou pires tant les Voies du Seigneur sont impénétrables en ces matières à moins qu’ « Il » ne s’en fiche pas mal au fond du fond / Celle qui s’excuse de n’avoir pas lu Freud / Ceux qui cherchent un équivalent homo de la légende de Roméo et Juliette dont la structure thématique mène forcément à du feuilleton genre Love Story / Celui qui kiffe Nicolas Ray tout en sachant que c’est de la daube molle / Celle qui n’attache aucune importance à son habillement et qui se révèle d’une élégance folle aux douches de la Piscine de Pontoise / Ceux qui attendent assez impatiemment le Coming Out de la professeure Z. dont le mystère total de la vie intime fait problème au niveau de la transparence collégiale, etc.

  • Un geste partagé pour les Haïtiens


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    Afin de faire bon accueil aux Histoires cueillies pour Haïti

    « Parfois la terre est si meurtrie / qu’y poussent seulement des cris », note Carole Zalberg dans Veillées d’âmes, sous le titre d’Un cauchemar, immédiatement suivi d’Un geste évoquant « la déclaration rêvée : /il s’approcherait de lui/ après des nuits et des nuits / à regarder sa solitude laide / et il dirait : « Je vous aide ».
    Depuis le 20 janvier 2010, des nuits et des nuits ont passé, mais le cauchemar continue pour beaucoup, que le geste de ce livre à vingt voix voudrait conjurer à sa façon par des mots - ces pauvres mots, le meilleur de nous aussi, qui disent à leurs multiples façon la fraternité et l’espoir, le poids du monde et le chant du monde, comme d'un seul qui écrirait pour se faire le scribe de tous, selon la belle image d’Arnauld Pontier.
    Le malheur frappe à l’aveugle et se mêle à toutes nos heures, et nous sommes frappés quand les autres le sont, au nom de la ressemblance humaine, mais celle-ci même veut que toutes les voix réunies ici fassent usages de toutes les couleurs de la parole humaine et pulsent à tous les rythmes, comme la syncope poétique de Garp scande que « l’horreur gronde ronge /trépigne et piétine / s’acharne sculpte et grave /L’Enfer à l’échelle de Richter », autant de voix de nos contrées ou de là-bas (avec JP Christophe Malitte qui ce 12 janvier-là se promenait « du côté de la caserne Dessalines ») tandis que Thierry Desaules rappelle qu’il y en aura pour tout le monde au Mégastore mondialisé entre Fashion Week et Suffering Week...
    Dans la foulée d’un autre Jesus, Bernadette Marie-Orgeval retient « un cri dans la gorge », Mathieu Cupelin se demande ce qu’il arrivera au Petit Prince du port, tandis que Jean-Noël Sciarini nous remémore ce qui arriva un autre jour au petit Josue parmi les soldats, en cette même terre d’Haïti...
    Ils sont, ainsi, une vingtaine à avoir répondu à l’invite de Jean-Noël Sciarini, précisément, pour la réalisation de ce recueil d'Histoires cueillies pour Haïti, dont les mots sont comme aiguisés par le drame à la fois lointain et proche, sans commisération larmoyante. Bref, le gest collectif est à partager maintenant plus largementl, pour les Haïtiens.

    Histoires cueillies pour Haïti a été réalisé à l’enseigne de TheBookEdition.com., à l’initiative de Jean-Noël Sciarini. Y ont participé Ãnanda Safo / Carole Zalberg / Arnauld Pontier / Barbara Israël / Caroline Capossela / g@rp / JP Christopher Malitte / Maïa Brami / Jean-Louis Kuffer / Christine Féret-Fleury / Valérie Zenatti / Arnaud Huber / Thibaut de Saint-Pol / Rodolphe Massé / Thierry Desaules / Bernadette Marie-Orgeval / Mathieu Cupelin / Patrick Bénard / Jean-Noël Sciarini / Max Monnehay.

    Le meilleur de moyen de commander l'ouvrage est de passer par ce lien :
    http://www.thebookedition.com/histoires-cueillies-pour-haiti-collectif-p-33937.html
    A partir de ce lien, la possibilité s'offre de commander l'ouvrage soit en PDF (téléchargeable directement sur son ordinateur), soit en version physique.

  • Chers fantômes (re)venants

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    Sur L'Horizon, nouveau roman de Patrick Modiano

    On se retrouve dans l’univers de Patrick Modiano qu’on reconnaît les yeux fermés en respirant son « air » très particulier, comme nimbé de mélancolie, à la fois intime et vaguement étranger, dans un temps décalé, parcouru d’ombres douces. Tel est Bosmans, qui doit avoir passé la soixantaine et rassemble des bribes de scènes de sa lointaine jeunesse, où très vite apparaît le nom de Margaret, collègue de bureau à Paris d’un certain Mérovée et d’une certaine Bande Joyeuse à laquelle il ne tenait pas trop à se mêler, fréquentant à part «la Boche », selon le mot de Mérovée - cette Margaret Le Coz née à Berlin (?) et qui fut gouvernante à Lausanne un temps. Un amour de jeunesse ? Probablement, même si tout a « bougé » entre les faits et leurs réfractions parfois notés sur de petits cahiers.

    En ce temps-là ils se seront trouvés comme deux naufragés, lui maltraité par sa mère aux cheveux rouge et flanqué d’un défroqué, le pourchassant en quête d’argent; elle flottant un peu d’une place à l’autre, poursuivie par un drôle de type à manies et couteau. Et quarante ans après ? Bosmans revisite un décor changé, retrouve des personnages à peine reconnaissables, et pourtant...reconstruit une histoire qu’il aimerait ressusciter à Berlin avec Margaret qui s'y trouve peut-être, mais l’éternel retour est-il au programme ? Ce qui est sûr c’est que la fiction marque, chez Modiano comme chez Proust, autant sinon plus que ce qu’on dit le réel, et que la nostalgie de Bosmans gagne à son tour le lecteur, d'un passé restant peut-être à venir ?
    Patrick Modiano, L’Horizon. Gallimard, 171p.

  • Ceux qui perdent pied

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    Celui qui sent le sol se dérober sous son pas de moins en moins pesant au demeurant / Celle qui reste silencieuse devant ses patiences / Ceux que le bruit fait s’écarter de la Place de la Victoire / Celui que toute forme de violence même minime désarme / Ceux que la masse invisible mais omniprésente écrase / Celui que tout déçoit sauf les enfants en dessous de sept ans et les otaries au jeu / Celle qui diffuse encore un peu de lumière mais plus beaucoup / Ceux qui reviennent à la grabataire pour l’entendre chantonner contre le mur / Celui qui reprend son tour du bourg en se répétant qu’il est le Kant du canton et doit cette présence fidèle à l’Être Supérieur / Celle qui se dit que sa rage désespérée reste une façon d’espérer / Ceux qui égrènent des chapelets comme d’autres alignent des pages de sudaku / Celui qui se dit en recherche sans se souvenir de quoi et qui trouve pourtant sans savoir expliquer quoi / Celle qui va pour se jeter sous le train mais qu’un retard de celui-ci empêche d’arriver à ses fins donc elle rentre à la maison pour demander à sa fille au téléphone si les enfants vont bien / Ceux qui se croient aimés pour leur argent alors qu’ils sont ruinés et seuls à l’ignorer / Celui qui reprend la lecture régulière des journaux gratuits pour les faits divers abracadbrants qu’on y trouve comme l’histoire de la jeune fille qui a retenu son père cloîtré dans un cellier insalubre et gardé par un chien policier depuis qu’il lui a mis la main au sein et dit de sales choses sur sa mère demeurée mais bonne / Celle qui pouffe en songeant au dernier tête-à-tête de Chopin et de George Sand bottée et coiffée d’une bombe de fan de cheval / Ceux que l’humour irrésistible de la Vie en tant que telle dispose à la bonne humeur des scouts dits « malgré tout », tel Chef Lapin Fragile affligé de naissance d’une jambe torse et d’un bec-de-lèvre dont il défie les handicaps en sifflant des airs du genre Hello le soleil brille en sautillant sur sa canne de noisetier, etc.
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui foncent


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    Celui qui va dans le mur la tête en avant et sans casque / Celle qui s’est fait une silhouette aérodynamique de battante en dépit de ses oreilles délicatement ourlées / Ceux qui affichent l’Excellence à tous les niveaux du programme accéléré / Celui qui booste les plus méritants en louchant vers le scribe Bartleby / Celle qui pense efficacité jusque dans ses échanges affectifs triés par niveau de pouvoir / Ceux qui diligentent les rapports de rentabilité des nouvelles normes scolaires en milieu favorable / Celui qui défie les marqueurs de succès de sa seule présence molle à la Bartleby le scribe / Celle qui a un rôle impactant dans le team de tête / Ceux qui menacent la cohérence de la dynamique gagnante / Celui qu’on pressent le prochain maillon faible et qu’il s’agit de traiter en conséquence avant la procédure de décision sur la cure transgénique en matière d’énergies positives / Celle qui annonce le chiffres du Malus du mois dernier de la même voix blanche que lorsqu’elle annonce un décès non prévu / Ceux qui exigent un coming out explicite de la part de l’employé Raoul entrevu dans un fast food hallal tendance bi / Celui qui ne peut savourer pleinement la saison des jonquilles d fait du léger fléchissement des résultats les plus récents de la Maison mère de San Diego / Celle qui demande à sa fille Monique d’affronter le mois de mars 2010 avec une détermination tueuse / Ceux qui optimisent leur potentiel de manchots / Celui qui brûle ses vaisseaux à s’en faire péter la veine cave / Celle qui en pince pour le scribe Bartleby et lui demande s’il veut bien lui passer le raifort et à laquelle il répond « Je ne préfèrerais pas », Marylou…

    (Liste établie en feuilletant le volume IV des romans de Melville contenant notamment Bartleby le scribe, Billly Budd, marin, Benito Cereno et L’escroc à la confiance, qui vient de paraître dans la Bibliothèque de la Pléiade).

    Image: Philip Seelen

  • Les lectures de Rantanplan


    Quand Philippe Djian se mélange les papattes…
    Flash back en 2005. Avant le désastreux Incidences qui vient de paraître.


    Parce qu’il se présente comme un acte de reconnaissance manifesté aux écrivains qui ont changé sa vie entre sa vingtième et sa trentième année, le livre commis par Philippe Djian sous le titre d’Ardoise suscite aussitôt la sympathie. En évoquant ses grandes émotions formatrices, il lui vient une formule qui dit assez le caractère physique, tout instinctif, de son rapport à la lecture - et plus tard à l’écriture: «Je pense à une blessure qui aurait quelque chose d’amical, d’où le sang continuerait de couler avec douceur pour vous rappeler que vous êtes en vie et même bien en vie et capable d’éprouver une émotion qui vous honore et vous grandit».
    Passons sur cette « blessure qui aurait quelque chose d’amical », parce que c’est ensuite que ça se gâte vraiment…

    Après s’être présenté comme un «sauvage» de la passion littéraire, «hirsute et sanguinolent», Djian note, à propos du premier choc qu’a représenté la lecture de L’attrape-coeurs de J.D. Salinger: «Je pensais que les livres étaient une source de savoir: Je ne savais pas encore qu’ils parlaient d’autre chose». Et de parler de la «voix» particulière de Salinger, et de la question du style, en termes qui en sont hélas cruellement dénués: «Accoucher d’un style (...) n’est pas une promenade de plaisir. Car non content de tailler sa propre voie dans la jungle, au risque de s’y engloutir, il faut assumer sa différence»...

    Avec Céline, qu’il limite à Mort à crédit et chez lequel il ne voit que le style («Céline ne m’a rien apporté sur le plan humain»), Philippe Djian accumule un nombre de sottises qui laissent pantois. Taxant Céline d’«Ange exterminateur» et d’«écrivain du Mal», il explique son antisémitisme par le seul ralliement au conformisme de l’époque («Et peut-être que certains juifs faisaient vraiment chier, comme aujourd’hui certains cathos font vraiment chier»...) en reconnaissant pourtant que Céline «éblouissait le chemin» et que son oeuvre reste «une sorte de déclaration d’amour en forme de cassage de gueule». Vous voyez ça ?

    Sur Jack Kerouac dont la lame fouaille ses chairs («Non, Jack, arrête...») ou Faulkner (Tandis que j’agonise, dont il conseille d’arracher la préface de Valéry Larbaud, et ne dit à peu près rien du roman lui-même), Hemingway, Miller, Brautigan (qui «peut faire tenir une tragédie grecque dans un dé à coudre») ou Carver, Philippe Djian n’apporte à peu près rien non plus d’original.

    Sa sincérité est moins en cause, on s’en doute, que son discernement, dont le défaut le ramène finalement aux mêmes sortes de vénérations convenues des «vieilles carnes» de la critique qu’il stigmatise. Retournons donc à (certains de) ses romans...

    Philippe Djian. Ardoise. Julliard, 127p.


  • Ariel passant

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    ...C’est quelqu’un qui disparaissait dès qu’il se sentait aimé, et c’est quelqu’un dont on ne pouvait qu’aimer la douceur et l’attention délicate qu’il manifestait à tout un chacun ou chacune, plutôt chacune et les enfants et les animaux venant naturellement à lui - et ses fugues même ne pouvaient que lui valoir plus d’attachement, tant il était présent par ses absences sans qu’il n'y fût pour rien, sauf de n’être là que d'y rester pour y être passé…
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui restent attentifs

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    Celui qui ouvre les yeux pendant la prière / Celle qui se retourne tout le temps par acquit de conscience / Ceux qui notent tout au fur et à démesure / Celui qui remarque l’enfant pauvre dans la rue où sa gouvernante le promène en laisse / Celle qui évite son oncle réduit à l’état d’homme-sandwich dans le quartier des théâtres au déplaisir de leur famille proche du Margrave / Ceux qui ont découvert la Malaisie et le centre de la Terre sous leurs couvertures / Celui qui rêve que la ville sur la colline se trouve inondée par les eaux noires de la lune / Celle qui sait maintenant de quels balcons tombent les jattes meurtrières / Ceux qui ont appris la puissance de la nature en observant les grands éboulements qui ont emporté les fabriques de briquets multicolores / Celui qui étouffe au milieu des meubles couverts de housses / Celle qui relit la 5e Promenade du rêveur solitaire dans son fauteuil à oreilles / Ceux qui ont un tendre souvenir des journées bordéliques de Summerhill / Celui qui cesse de prendre des notes quand le professeur nihiliste passe de la mort de l’homme à la pensée qui danse et ces trucs de vioques qui cherchent à renouer avec le rap / Celle qui n’a jamais été dupe de l’excessive considération que lui manifestait Pierre Bourdieu en sorte de lui prouver qu’il comprenait le peuple et même une coiffeuse de la rue des Etuves / Ceux qui se font cirer les pompes par Habib le Sage dans la médina de Tanger en échangeant des propos doctes sur la pléthore du signifié dans l’Ulysse de Joyce / Celui qui constate avec des sentiments mêlés que les jours grandissent tandis que sa mère décline / Celle que déprime la progression de la délinquance gratuite dans les bourgs cossus / Ceux qui ne font pas attention à la marche et ne s’en relèvent pas toujours ça dépend des cas, etc.  
    Image: Philip Seelen

  • Un grand roman choral

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    À propos du magnifique dernier roman de Sarah Hall, Comment peindre un homme mort, nouvelle découverte de Dominique Bourgois.

    par Claude AMSTUTZ

    Les moments de vrai bonheur en littérature, sans arrière-pensées ni idées préconçues, sont rares. Dominique Bourgois nous avait fait découvrir l’un des plus lumineux romans de l’année 2009 avec Lark et Termite de Jayne Ann Phillips, objet d’une critique dans le Passe Muraille no 79, en octobre dernier.
    Aujourd’hui, avec Comment peindre un homme mort de Sarah Hall, l’éditrice peut se réjouir d’être une nouvelle fois à l’origine de l’une des publications les plus époustouflantes de la présente rentrée littéraire, car c’est bien d’un chef-d’œuvre dont il est question ici.
    Quatre personnages interviennent au cours de cette histoire qui s’étend sur trente ou quarante ans, construite avec beaucoup d’habileté et d’élégance, autour d’un thème central : l’art, son fragile équilibre entre la création et la – souvent – banalité du quotidien, puis son glissement progressif vers l’autre face des êtres ou des choses, la réalité intérieure.
    Le récit de Giorgio, Le journal aux bouteilles, situé en Italie dans les années 70 – inspiré par le peintre Giorgio Morandi, selon l’auteur – est raconté à la première personne. Dans son atelier, proche de la mort, il se souvient de ses débuts difficiles dans la période ambiguë des années de guerre, des bouteilles qui représentent son thème artistique favori, ainsi que d’une de ses élèves, la fleuriste Annette Tambroni, atteinte d’une cécité irrémédiable.
    A son tour, aujourd’hui totalement aveugle, capable de voir l’invisible, de déceler ce qui véhicule les corps et les âmes – les sources d’épanouissement ou les terreurs – mieux que ce que les yeux peuvent cerner, cette fleuriste intervient dans l’histoire en Italie et son récit, La vision divine d’Annette Tambroni, se décline à la troisième personne. De même que Le fou sur la colline, celui de Peter Caldicutt, sculpteur désormais célèbre, qui a entretenu dans sa jeunesse une brève correspondance avec Giorgio, qu’il admirait. Tombé dans l’interstice de deux blocs de pierre, de nos jours en Angleterre cette fois-ci, il croit sa dernière heure venue et se remémore les failles de sa vie.
    Enfin, en Angleterre également, résonne la voix de Suzie, la fille de Peter, dans La crise du miroir. Photographe de talent, elle vit un terrible traumatisme depuis la mort accidentelle de son frère jumeau Danny. Son récit à la seconde personne est une invention de l’auteur vraiment originale qui se prête à merveille au personnage le plus bouleversant de ce livre, avec celui d’Annette Tamborini. « Annette voit, à travers la pesante substance des maisons et le corps des arbres, qu’il y a derrière chacun une petite lueur, un tison qui palpite. Une émeraude brille à côté du cyprès, les nuages miroitent d’une luminescence de nacre. Les spirales de fer du portail renferment l’esprit orange de la fonderie. (…) ses frères possèdent chacun un cœur dans lequel l’amour s’épanouit comme une fleur écarlate. »
    Roman choral, l’ouvrage capte l’attention dès les premières lignes, joue avec les apparences, la profondeur et l’interrogation du regard sur l’amour, le désir, la violence, la passion, le désespoir, la perte ou la mort, thèmes universels auxquels Sarah Hall a l’intelligence de ne pas imposer une (trop) juste réponse, mais au contraire suggère indirectement une réflexion chez le lecteur, la possible modification de son angle de vue sur le miroir, sur les autres.
    Au coeur de Comment peindre un homme mort, la quête identitaire et la douleur de la perte réunissent ces quatre personnages dont la destinée, progressivement, s’expose sous nos yeux à la vie, à la lumière, comme une nature morte en cours d’élaboration.
    À l’art revient le dernier mot de ce récit, avec un texte de Cennino d’Andrea Cennini, peintre du Moyen Age, extrait du Livre de l’art, livrant la dernière clef de ce roman exceptionnel : Son titre !

    C.A.
    Sarah Hall, Comment peindre un homme mort. Christian Bourgois, 348p.
    Cet article est à paraître dans la prochaine livraison du Passe-Muraille, No 81, à paraître début mars 2010.

  • Ceux qui affabulent

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    Celui qui s’invente de nouvelles vies à la tête du client / Celle qui a tout dit à son psy de ce qu’il voulait entendre de Jason dont ils se partagent les faveurs sans se l’être jamais avoué / Ceux qui mentent pour ne pas peiner / Celui qui sourit de voir sa sœur Adèle corroborer les inventions de sa chronique familiale dont elle prétend se souvenir des moindres détails / Celle qui se rappelle tout haut ses amours romanesques au fil des conversations en pleine cohue de midi qu’elle tient dans le métro avec son portable éteint / Ceux qui ajoutent des épisodes à leur épopée guerrière qui se rapprochent de plus en plus de la vérité / Celui qui se dit moins menteur que Cendrars en précisant qu’il met Papillon bien plus haut que Moravagine / Celle qui n’a vu qu’une fois la Bonne Marie dans le poirier mais qui n’en parlera qu’à sa sœur laquelle ressortira le fait après son décès brusque en invoquant devant les médias la Vierge du Pêcher / Celui qui prétend que ce qui est vrai pour Martin ne l’est pas pour Justin avant de constater avec surprise que Martine et Justine ont reconnu la même vérité dans les méditations de Ron Hubbard / Ceux qui constatent que toutes les religions mentent sauf la leur / Celui qui ment avec un tel sourire qu’on en redemande / Celui qui prouve qu’il se sous-estime en prétendant ne jamais mentir / Celle qui fait semblant de croire Nathan qui fait semblant de ne pas lui mentir / Ceux qui bourrent le mou des vierges dures / Celui qui ne ment qu’à ses amis sachant que ses ennemis risquent de le croire / Celle qui acquiert une liasse de mensonges épistolaires de Greta Garbo à Drouot qu’elle prétend avoir décroché pour presque rien à son rapiat de milliardaire / Ceux qui jurent de dire LA vérité et RIEN QUE la vérité à ces menteurs de juges, etc.

  • Ceux qui glandent

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    Celui qui se tourne les pouces la moitié du temps dans la Salle de Marché de sa Banque d’affaires (la Crise est passée) et ne fout rien le reste du temps / Celle qui épie son voisin juste séparé d’un canon en espérant qu’il la remarque par la fenêtre entrouverte de sa salle d’eau (elle trouve super de penser « salle d’eau ») avant la prochaine fashion victim / Ceux qui se disent à la masse sur Facebook pendant qu’ils font des heures sup de repos mais ça c top hush / Celui qui se prétend à Courchevel alors qu’il est juste à court de liquide / Celle qui dit à Jean-Patrick qu’elle va se lancer dans la déconstruction sans se douter que ce truc est déjà plus ou moins vintage comme l’objecte son boy friend par ailleurs incapable de lui préciser si Derrida est plus cool que Lacan / Ceux qui téléphonent aux femmes de rupins du quartier des Oiseaux pour leur reprocher leur parasitisme social au nom des principes élémentaires d’égalité qui n’ont rien à voir avec Dieu sait quelle jalousie de bas étage en tout cas en ce qui les concerne / Celui qui a compris que le meilleur endroit du jardin public se situait tout près de la Buvette du Kurde dont l’ensoleillement permettait de stationner presque tout l’après midi à équidistance de la bière et des lycéennes préférant parfois les requérants interdits de travail aux frimeurs séchant les cours de Droit / Celle qui n’ose pas dire à ses camarades de fac qu’elle rêve de sentir sur sa peau de pêche la paluche du Kurde encore luisante de graisse d’agneau / Ceux qui ont toute une théorie sur le droit de ne rien faire tout en se disant qu’ils n’ont pas à se justifier dans une société qui ne les laissera pas de toute façon s’épanouir au niveau spirituel / Celui qui a tergiversé toute la semaine avant de se décider à payer un nouveau piercing à Léa / Celle qui peut passer des heures à la porte du Florida en attendant de rencontrer le beau Fabio par hasard alors qu’il est sorti par la porte de derrière pour dealer avec son cousin Dario / Ceux qui taxent d’improductifs les blaireaux qui n’ont pas compris qu’on peut multiplier le dinar comme les pains de Jésus avec de cette farine bien blanche qui se coupe facile, etc.

  • Ceux qui traversent la Volodina

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    Celui qui apprend en rêve qui sera le Roi des Rues / Celle qui sait la profondeur Du Puits / Ceux qui cartographient les désirs secrets / Celui qui selle le Grand Palindrome / Celle que le désamour fait se replier dans les orbes de la rêverie sans céder pour autant au dépit morne / Ceux qui mangent des livres sans être moines pour autant / Celui qui revêt le scaphandre à conférences lacustres / Celle qui arbore la mine antipersonnelle de la vierge ressentimentale / Ceux qui se méfient des purs du quartier de Bourgeoise Vertu / Celui qu’indigne la pratique de la Loterie à soins urgents / Celle qui connaît le dédale de traboules conduisant aux retraits des étages affectifs / Ceux qui se font masser le cœur par les chamanes sans mains / Celui qui reste réservé à l’approche des anges / Celle qui fréquente les géopsychologues aux pectoraux développés de choristes familiers des archétypes / Ceux qui ont dans les doigts la force de l’anaconda / Celui qui tire sa gaîté d’un bain matutinal dans la partie de la Volodina non contaminée par les pensées ethnocides / Celui qui a toujours pactisé avec les amis de ceux qui se disaient ses ennemis / Celle que l’opinion publique a vainement tenté d’éloigner du Roi des Rues et de sa garde rapprochée de Libres Danseurs / Ceux qui rappellent à l’enfant le conseil du Peintre de fermer les yeux s’il veut voir la mer / Celui qui sait d’expérience que toute honte bue délivre de l’ivresse de se flageller / Celle qui rôde sous les murs de la maison des fous en fixant le cordon de fil Bickford comme elle l’a appris en revoyant plusieurs fois Le Pont de la rivière Kwaï / Ceux qui tirent quelque orgueil pardonnable du fait qu’ils ont ramené le stock utile de pains de plastic d’un lieu secret sis par delà la Volodina / Celui qui rêve qu’explose la maison des fous sans être sûr de se réveiller pour en fuir avec la Volpina qui ne dort jamais que d’un œil sous sa frange de renarde / Celle qui s’impatiente de sentir bouger en elle le Saillant du poète / Ceux qui font une distinction fondamentale entre une virée le long du canal aux ordures et la revitalisante balade sur les rives de la Volodina qui virent tant d’imprudents piétistes tomber sous les balles des snipers des deux bords / Celui qui estime gagner au change en négociant ses dernières dame-jeannes de bière salée contre une seule plume Sheaffer à bec oblique / Celle qui accompagne les déplacements de la Cité Ambulante au titre de cheffe de succion des humeurs délétères / Celui qui prescrit l’ingestion quotidienne de pages de L’Invention des autres jours aux citoyens en déficit de Gai Trobar (joyeuse improvisation, NDLR) / Ceux qui s’agenouillent en silence devant l’ossuaire des moineaux dont ils se serviront pour fabriquer, au moyen des plus fins osselets, des lunettes à mieux voir ce qui est et des éventails pour assistants de clavecinistes, etc.

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    (Cette liste a été établie en marge de la lecture d’Invention des autres jours, saisissante rêverie poétique de Jean- Daniel Dupuy, parue le 1er mai 2009 aux étditions Attila, avec des dessins piranésiens de Georges Boulard. Fascinant dès le premier regard, ce kaléidoscope onirique et néocritique vaut ensuite d'être lu très attentivement et très annoté dans ses marges spacieuses par le lecteur voyageur en quête de merveilles métasophiques, de topologie affective et d'ethnoscopie pluridirectionnelle)

  • La geste des enfants perdus

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    À propos du premier roman de Sacha Sperling, Mes illusions donnent sur la cour.

    Par Matthieu RUF

    « A quatorze ans, on aime les tortures psychologiques. » Lucide, le narrateur de Mes illusions donnent sur la cour ne nous épargne rien. Il détaille sa vie de fils de riche, qui veut devenir adulte trop tôt, dans un Paris petit-bourgeois où règne le formatage. Un Paris nocturne, où à quatorze ans les filles en soutien-gorge, les garçons défoncés à la coke parlent comme des fantômes, baisent comme des robots.
    A dix-huit ans, Sacha Sperling fait preuve d’une patte d’écrivain étonnante de maîtrise et de cohérence. Malgré la lourdeur de certaines des sentences qui façonnent son style parfois télégraphique, le texte est tenu, lancé au lecteur comme en un seul geste de détresse et de fol espoir mélangés. Il est aussi construit comme une geste, celle, ironique, des exploits d’enfants perdus, orphelins de repères et d’autorité pour les guider. L’éternelle histoire des ados qui croient jouer avec le feu, sans se rendre compte qu’ils y impliquent leurs sentiments, viscéralement.
    Dans le train le ramenant des mornes vacances familiales, Sacha Winter rencontre un garçon de son âge, Augustin. Celui-ci l’emmène voler des jouets à Disneyland et c’est le début d’une sorte de voyage au bout de la nuit, d’une quête du « point où tout disparaît ». Par mimétisme envers Augustin, avec qui il « se sent adulte », Sacha fume des cigarettes et des joints, alors qu’il « n’aime pas beaucoup ça » ; il prend de la coke, il devient alcoolique et courbe les cours, il « sombre » enfin dans une spirale sexuelle avec son compagnon, d’abord secrète puis à demi assumée dans la honte. Mais si les soirées se succèdent où les jeunes de la nuit, « même plus sauvages, quasiment robotiques », reproduisent la mécanique du porno, le sexe avec Augustin devient bientôt tripal, et – avec l’alcool et la drogue – la seule échappatoire de Sacha enferré dans sa solitude, lui qui aimerait tant que ses excès « parlent pour lui ». Et fassent comprendre au monde, en premier lieu à des parents trop faibles, que le fils a besoin d’être aimé, véritablement, et n’aspire qu’à « se retrouver ».
    Le sexe devient amour, mais Augustin est un « vampire » qui prend tout sans rien donner. Le dernier mot est « mensonge » et le texte laisse un goût de désespoir. Sacha Sperling, petit génie ou provocateur facile ? Ni l’un, ni l’autre : un auteur à part entière qui dépeint le mal-être de l’adolescence avec les mots d’aujourd’hui. Et qui sait transformer cette quête de sens en poésie : « Dans l’orage, je ne sais plus si je respire. Je sombre puis je remonte, ivre de sel, bleu comme la glace. »

    Sacha Sperling, Mes illusions donnent sur la cour, Fayard, 2009, 272 p.

    Cet article est à paraître dans la prochaine livraison du journal littéraire Le Passe-Muraille, au début de mars 2010. Un clic pour accéder à notre site : http://www.revuelepassemuraille.ch/


  • Drôle comme la crise...

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    Sur Les lois de l'économie, de Tancrède Voituriez.

    L'auteur, économiste de pointe, écrit avec un bonheur de trader enfin libéré du stress, qui aurait lu Paul Morand et quelques autres fins stylos de la ligne claire. Son dernier roman, en tout cas, est un pur régal nuancé d'amer chocolat pour dessert. C'est l'histoire au lendemain du crash de la banque d'affaires Lehman Brothers, des tribulations de Julien, qui grappille les millions dans une salle de marché de la Défense, en un moment de la crise où une petite erreur d'appréciation peut coûter son poste au responsable de la bourde, liquidé en moins d'une heure. Cela pour le fil rouge du roman, qui se faufile entre l'histoire de Susanna, belle Romaine qui a lâché le théâtre pour son trader au dam de son père communiste, et celle de Cortès le dramaturge à succès, créchant trois étages en dessous et en train d'achever une pièce qui réunit John Maynard Keynes et Virginia Woolf. La double compétence de Tancrède Voituriez, son autorité présumée dans le traitement du sujet (savoir: ce qui fait que les convictions de Keynes l'ont fait tantôt gagner un max et tantôt se crasher) et sa malice dans le détail des situations et l'observation en finesse des personnages, nous vaut un roman frais et léger sur fond de désastre dont on est tout consolé de vérifier qu'il profite à d'aucuns, merci pour eux.Très brillant de papatte, Tancrède Voituriez ne cesse de nous faire glousser de rire et nous apprend deux trois choses sur les secrets de l'économie, qu'on se fera le même plaisir d'oublier vite fait...
    Voituriez.jpgTancrède Voituriez. Les lois de l'économie. Grasset, 201p.

  • Le vertige de notre époque

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    À propos d'Un roman russe et drôle, de Catherine Lovey

    par Bruno Pellegrino 

    Catherine Lovey est décidément pleine de ressources et de surprises : non contente de s’imposer dès son premier roman, un remarquable Homme interdit (Zoé, 2005, Prix Schiller découverte), suivi en 2008 d’un étrange texte (Cinq vivants pour un seul mort), déroutant et peut-être plus ardu que le précédent, elle publie en ce début d’année Un roman russe et drôle – assurément russe (quoiqu’à sa façon singulière), souvent drôle, et surtout très réussi.
    Valentine Y., Suissesse d’une quarantaine d’années, écrivain, célibataire à multiples amants et sans enfants, s’intéresse de près au sort de l’oligarque russe Mikhaïl Khodorkovski, envoyé dans un bagne sibérien suite à l’affaire Ioukos. À vrai dire, plus que de simple intérêt, c’est de fascination qu’il s’agit ici, fascination de cette femme, narratrice des deux tiers du livre, pour un homme qui aurait pu sauter dans un avion et se la couler douce dans une île privée, et qui a choisi de se laisser emprisonner à proximité de puits d’uranium à ciel ouvert – hautement radioactifs, cela va de soi. « Dans mon regard à moi, le destin de cet homme-là constitue un signe », écrit Valentine.
    Le début du roman installe le lecteur dans une écriture très libre, dont le rythme a quelque chose d’addictif, d’enivrant, orchestrant une multiplicité de voix mêlées sans guillemets, organisées par des marques plus subtiles et plus efficaces que la typographie. Cette impression générale de grande liberté (ce style fluide et jubilatoire, et cette narratrice presque sans attaches, qui peut décider de partir quand bon lui semble) baigne une bonne partie du livre, bernant le lecteur comme il berne Valentine, que ses amis auront pourtant tenté de retenir : « Tout arrive dans un roman », lui dit son ami S. dès les premières lignes, « et si ça se trouve, tu vas faire de ce personnage méprisable, haïssable, un héros ». Elle finit tout de même par s’en aller pour Moscou, où elle fait un séjour que clôt une longue scène hallucinée et mémorable dans les rues de la capitale à la recherche d’une galerie d’art contemporain. La dernière partie du livre est constituée par les mails de Jean à une certaine Ioulia Ivanovna, qui devrait l’aider à retrouver la trace de Valentine, disparue en Sibérie.
    D’une construction en trois parties similaire à celle de Cinq vivants pour un seul mort, Un roman russe et drôle raconte également l’histoire d’un individu qui quitte tout pour un autre pays, et qui s’y perd, qui s’y dilue, au milieu d’une polyphonie moins inoffensive qu’il n’y paraît. Pas de doute, on est chez Lovey : non seulement au niveau de l’histoire (cette façon de jouer avec la fiction et la réalité, d’envoyer le lecteur sur toutes sortes de pistes laissées ensuite en suspens), mais surtout dans ce rythme de la phrase et du récit, cet art de mêler à une intrigue captivante l’observation très fine de certains travers contemporains. Et là, ce dernier livre frappe plus juste et plus fort que les précédents.
    Il y est question de notre époque, des gens, des choses de notre époque, avec sérieux et légèreté, avec beaucoup de pertinence et beaucoup d’humour, sans verser dans l’essai ni la caricature. « Tout a été expérimenté, je dis bien tout, voilà le vertige de notre époque. » On y découvre la Russie comme un pays où « l’absurdité n’appelle aucun commentaire », le pays du « bal triste » d’après 1989, ce « possible de pacotille ». Plus généralement, tout le livre est une sorte de dialogue entre l’avant et l’après, un tissage ironique et mélancolique sur ce qui a changé, pour le meilleur ou pour le pire. Et il devient d’ailleurs bientôt évident qu’il ne s’agit pas vraiment de la Russie, encore moins de Khodorkovski, mais de quelque chose de bien plus large, bien plus universel, une génération qui « se meurt de n’avoir plus aucune raison valable de mourir », « la gabegie en vrai », ce genre de choses.
    Un roman russe et drôle est russe, oui, et drôle, c’est vrai – mais il est aussi, d’une certaine manière, à désespérer : il n’y a ici d’échappatoires, de sursis, de rémissions, que lacunaires et ambigus : « S’en aller sur les routes, le nez baissé ou levé, c’est égal, parce que c’est encore ce qu’il y a de mieux à faire quand on est vivant. »

    B.P.

    Catherine Lovey, Un roman russe et drôle, Éditions Zoé, 2010, 289 p.

    Cet article est à paraître dans la prochaine livraison du journal littéraire Le Passe-Muraille, au début de mars 2010. Un clic pour accéder à notre site:
    http://www.revuelepassemuraille.ch/

  • Ceux qui formatent

     

    Panopticon882.jpgCelui qui tient un  registre journalier des noms de celles et ceux qui vont fumer sur le toit de l’Entreprise / Celle qui écrit à la direction de la Télévision pour se plaindre de la tenue excessivement voyante du présentateur vedette du TJ eu égard à la dignité de sa fonction financée par la et le contribuable à ce qu’on sache / Ceux qui se disent bicurieux au dam de toute identification claire au niveau de la sexualité libérée / Celui qui aligne ses employés pour les féliciter ou leur adresser un blâme collectif / Celle qui ne survivra pas à la levée du secret bancaire dont elle a fait son principe de vie depuis qu’elle gère la fortune d’un milliardaire bavarois devenu son amant malgré son bec-de-lièvre et après un long siège / Ceux qui ont vu des fortunes colossales s’effondrer avec une jouissance secrète bien plus intense que la petite secousse surévaluée d’un orgasme trimestriel / Celui qui surveille les marches arrière du fils du voisin ce crâneur roulant BMW qu’il se réjouirait de désigner à l’attention de la police du quartier /   Celle qui estime que rouler japonais est un début de trahison chez des employés du service public même en voie de privatisation / Ceux qui redimensionnent chaque semaine leur cheptel de clandestins nettoyant les chiottes de l’Entreprise / Celui qui enrage de n’avoir pas encore atteint le format d’un membre viril occidental classique en dépit de traitements plus ou moins onéreux / Celle qui ne se formatise pas des écarts de langage de son neveu Léo que son père pédant tend à tancer / Ceux qui ont un cerveau carré et des pieds plats correspondant aux nouvelles normes globalisées, etc.

    Image: Philip Seelen 

  • Le héraut du neuf

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    À propos de l'autobiographie de J.G. Ballard, La Vie et rien d’autre

     par Jean-François Thomas

    En juin 2006, l’écrivain britannique James Graham Ballard apprend qu’il est atteint d’un cancer de la prostate. Sur le conseil de son médecin, il commence en janvier 2007 la rédaction de son autobiographie, qui paraît l’année suivante sous le titre The Miracle of Life. L’écrivain décédera finalement de sa maladie en avril 2009. La Vie et rien d’autre a paru en français à la fin de l’année dernière.

    J. G. Ballard s’était déjà livré à un tel exercice en publiant Empire du soleil (1980), dont Steven Spielberg a plus tard tiré le film éponyme, autobiographie romancée de ses années de jeunesse. Dans la première partie de La Vie et rien d’autre, il revient sur sa peu banale enfance. Né à Shangai en 1930, le jeune Ballard explore cette «grande ville européenne, créée par des entrepreneurs britanniques et français, puis hollandais, suisses et allemands ». Le lecteur le suit comme guide dans une Chine d’autrefois, à l’ambiance Lotus Bleu de Tintin : concession internationale, riches européens méprisants et alcooliques, malheureux chinois exploités, torturés, mourants dans l’indifférence, bars et bordels, violence omniprésente. La vie coloniale dans tous ses fastes et sa cruelle inhumanité. Très vite, Ballard prend conscience qu’il existe deux mondes différents.

    En 1941, sitôt après l’attaque de Pearl Harbor, Shanghai passe sous contrôle japonais. La famille Ballard est enfermée dans un camp d’internement à Lunghua. Le futur écrivain va y vivre son adolescence. Il y connaîtra la faim, le froid, la barbarie des soldats japonais, mais y développera aussi une admiration pour les Américains.

    A seize ans, libéré, il gagne l’Angleterre. Le pays lui apparaît sale, triste, dévasté; vainqueur mais vaincu. Se pose alors pour lui la question de son identité, qui aura une forte influence sur son destin. « Sans doute me poussa-t-elle aussi à devenir un écrivain voué à prédire et, si possible, à provoquer le changement. »

    Grand amateur de cinéma, il découvre avec passion le surréalisme. «J’avais la nette impression, je l’ai d’ailleurs toujours, que la psychanalyse et le surréalisme ouvraient les portes de la personnalité humaine et de la vérité de l’être, mais aussi mes portes personnelles ». Plus tard, l’art moderne rejoindra son univers. Plus que de littérature, d’ailleurs, c’est surtout d’art que Ballard nous parle dans cette autobiographie. Notamment d’une exposition, This is Tomorrov (Londres, 1956), considérée comme l’acte de naissance du pop art.

    Après deux ans d’études de médecine, il gagne un concours de nouvelles (1951) et décide de devenir écrivain. Erre une année en Lettres, avant de vendre des encyclopédies au porte-à-porte puis de s’engager dans l’armée pour devenir pilote, un vieux rêve. En stage au Canada, il découvre la science-fiction américaine, alors en plein essor, dévore les magazines spécialisés et rédige des nouvelles. Il se donne un but : «J’allais intérioriser la science-fiction, à la recherche de la pathologie qui sous-tendait la société de consommation, le paysage télévisuel et la course aux armements nucléaires, vaste continent vierge de possibilités fictionnelles inexplorées». Contrairement aux idées communément admises, Ballard pense en effet que raison et rationalité sont impuissantes à expliquer le comportement humain et que, quelque part au fond de lui, l’homme aime commettre des atrocités. Pour Ballard, la science-fiction doit s’intéresser à l’espace psychologique, ce qu’il nomme « l’espace intérieur». Cette vision non conventionnelle l’empêchera d’accéder aux magazines américains, qui jugent ses textes trop subversifs.

    Sa rencontre, puis son mariage (1955) avec Mary Matthews, eut une influence décisive. En effet, Mary crut dur comme fer, dès le début, que son époux allait devenir un grand écrivain. Il publie sa première nouvelle en 1956. Trouve un travail de rédacteur dans un hebdomadaire, Chemistry & Industry. Trois enfants naissent de leur union : James (1956), Fay (1957) et Beatrice (1959).

    Un nouveau drame l’atteint en 1963, avec la mort de son épouse, des suites d’une infection contractée après une opération de l’appendicite. Ballard devient alors, avant la coutume, un homme au foyer, s’occupant de ses trois enfants. Et il écrit. C’est un homme tranquille, un père aimant, très loin de l’image de l’écrivain provocateur, de l’auteur à scandales de Crash ! et de La Foire aux atrocités, que l’on peut avoir de lui. L’amour que ses parents et ses grands-parents ne lui ont pas donné, il a su le découvrir pour l’offrir à ses enfants.

    Vers la fin des années soixante, il rencontre Claire Walsh, qui deviendra sa seconde épouse et l’accompagnera jusqu’à la fin de sa vie.

    La Vie et rien d’autre porte bien son titre. On ne trouvera pas dans cette autobiographie les secrets d’écriture de l’un des plus grands romanciers de langue anglaise. Bien sûr, Ballard y évoque ses succès littéraires, ses amitiés, et ses déceptions. Mais surtout, on suit l’histoire d’un homme, dont l’optimisme et le bonheur sont présents tout au long de sa vie, en dépit des vicissitudes qui le frappent. Un honnête homme qui conte en mots simples et en phrases sobres, avec souvent le sens de la formule, son parcours à travers le vingtième siècle, en des pages émouvantes et parfois bouleversantes.

    JFT

    J. G. Ballard. La Vie et rien d’autre. Denoël, 291 p.
    Cet article est à paraître dans la prochaine livraison du journal littéraire Le Passe-Muraille, à paraître au début mars. Pour en savoir plus: http://www.revuelepassemuraille.ch

  • Ceux qui se cherchent un Agent

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    Celui qui a compris qu’un best seller c’est sujet-verbe-complément et se fait superchier depuis sept mois à faire du sujet-verbe-complément dans la cuisine où son projet ne dérange pas Monique et les jumeaux / Celle qui constate juste que son Eugène est très tendu depuis qu’il écrit le Best qu’il a demandé à son cousin Jean-Paul de gérer en tant qu’Agent pour l’Europe / Ceux qui bossent en atelier d’écriture sur la notion d’Incipit / Celui qui se plaint que tel poète minimaliste à la con ait obtenu des subventions pour son prochain recueil alors que son Best annoncé n’a rencontré que des moues dubitatives des commissions culturelles / Ceux qui savent par cœur le dernier Marc Levy que leur conjointe leur a raconté dans le jacuzzi ou sur l’oreiller / Celle qui se sent moins seule en constatant que toutes les femmes de la rame 12 du TGV Lyria se sont endormies sur leur Marc Levy quelque part dans un lit King Size / Celui qui découvre tout à coup que le sujet-verbe-complément de Marc Levy n’obéit pas au même rythme que celui de Guillaume Musso / Celle qui suggère à son amant Paul de lire L’élégance du hérisson pour qu’il se rende enfin compte qu’une concierge accro à Tchouang-tseu ne relève pas forcément de l’impossibilité bio-sociologique / Celui qui vexe sa colocataire japonaise en lui reprochant de ne lire que des mangas franchement sado-masos / Celle qui kiffe moyen De la grammatologie de Jacques Derrida que son prof lui a dit hyper-important pour comprendre le nouvel enjeu de la théorie littéraire post-moderne sans quoi t’as meilleur temps de faire serveuse dans un Mc Do qu’un Bachelor basique / Ceux qui disent franchement à Eugène qu’ils ne le voient pas en tête de gondole avec de si jolis jumeaux et Monique réellement épanouie / Celle qui écrit à Godard pour lui demander s’il ne pourrait pas le conseiller dans l’écriture d’un thriller déconstruit / Ceux qui entendent dénoncer le néo-fascisme libéral de la Télévision suisse dans le scénario radical qu’ils soumettent au producteur connu pour être une taupe d’ATTAC ou un truc comme ça /  Celui qui se trouve déstabilisé par la remarque de son coach de l’Institut littéraire qui lui conseille de voir tous les Derrick pour mieux objectiver les données socio-psychologique de l’observation fine en Allemagne du Sud / Celui qui se dit prêt à faire des concessions à l’écriture mainstream genre Martin Suter sans préciser que ça l’arrangerait d’éponger ses dettes de poker / Celle qui explique à son auteur qu’un bon roman doit au moins aligner cinq femme dont une fashion victim pour atteindre le minimum de 5000 lectrices sans quoi c’est tant pis pour vous Jean-Gab / Ceux se sont détournés de leur collègue Eugène M. quand ils ont vu son Best en tête de gondole et appris par les libraires qu’il restait tout simple en dépit de son succès phénoménal.

    Image : Philip Seelen      

  • Ceux qui errent dans les étages

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    Celui qui ne sait plus à quel dessein se vouer / Celle qui n’a plus aucune nouvelle de ses enfants diplômés / Ceux qui ne voient plus aucune secte ou société qui puissent les accueillir en leur giron / Celui qui vend à des millions d’exemplaires ses romans de gare qui ne l’intéressent plus ni ses droits d’auteurs non plus sauf qu’ils lui permettront de se retirer au Mont Athos d’où il envisage de lancer une Série Mystique pour public initié / Celle que l’Académicien a casée dans son dernier roman en lui faisant un passé de junkie croate non mais t’imagines la honte / Ceux qui travaillent à un logiciel de narration populaire de qualité / Celui qui écrit un roman porteur d’espoir et clairement orienté du point de vue développement durable / Celle qui recherche un livre propice à son épanouissement à tous les niveaux et qui ne lui demande pas trop de réfléchir / Ceux qui lancent une Association d’Aide aux Traders qu’ils pensent financer par des récoltes auprès des épargnants solidaires / Celui qui explique à sa voisine Sarah que l’antisémite Céline estimait la parole « Aimez-vous les uns les autres » typique de la manœuvre de déstabilisation juive visant à affaiblir l’Occident aryen / Celle qui constate dans un cocktail que le romancier spiritualisant Paulo Coelho n’a du Guerrier de Lumière que le feu des diamants de ses dix bagouzes / Ceux qui commercialisent la pilule du surlendemain à l’usage des femmes oublieuses ou convaincues que deux tu l’auras pas valent mieux qu’un tiens maintenant ça te concerne mon petit / Celui qui estime que le philosophe moustachu Friedrich Nietzsche apparaît aujourd’hui comme le Baptiste annonciateur de  Philippe Sollers le glabre Nouveau Messie français / Celle qui se dit la Vestale du Secret tout en remarquant que sa lutte contre le poil continue / Ceux qui ont la conscience tellement tranquille qu’on se demande si elle est encore mobilisable pour les Nobles Causes genre tri citoyen des déchets non biodégradables, etc.

    Image : Philip Seelen

     

     

  • Ceux qui tutoient Amadeus

    Panopticon54.jpgCelui qui rebondit ce matin bleu comme un lièvre blanc / Celle qui habite à merveille son prénom de Luciole / Ceux qui éteignent la médisance d’un sourire lointain / Celui qui a appris la joie dans les pires difficultés / Celle qui égaie sa mère grabataire en imitant des chants de passereaux de nos pays et environs/ Ceux qui estiment que chaque matin est le premier du monde / Celui qui parle du nez comme un phonographe du temps des 78 tours / Celle qui dit se bien entendre avec la peau de son conjoint Paul-André / Ceux qui se marrent tout seuls dans la foule de l’heure de pointe on ne sait trop pourquoi ni eux non plus / Celui qui parle à Mozart en regrettant qu’il soit mort si jeune mais en l’assurant de ce que sa musique l’aide à positiver au Bureau des réclamations dont il tient le guichet le vendredi / Celle qui se rappelle le crâne sourire de son fils Aurélien quand le Docteur lui a fait comprendre qu’elle le quitterait bientôt / Ceux qui aiment ce monde qui jamais ne fait la gueule / Celui qui a compris que c’est en agressant la toile qu’il en tirerait le portrait de sa Douce / Celle qui conseille à sa fille de ne rien faire à la va-vite et surtout pas l’amour et ses lettres à son père le taulard / Ceux qui sont obligés de voler très bas pour épandre de l’insecticide et risquent ainsi de tomber comme des mouches hélas c’est comme ça / Celui qui hésite à noter dans son mémoire de Master que Faulkner apprécie le fond de culotte des petites filles qui montent dans le poirier / Celle qui s’exclame « faites entrer les fauves ! » quand elle se met à sa table à écrire de romancière mystique sur les bords / Ceux qui considèrent leur enfance comme la seule expérience divine qu’ils ont faite de première main, etc.
    Image : Philip Seelen

  • Bienvenue à Gestapoland

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    Réponses à Yann Moix (2)

    Moi l’autre : - Donc la Suisse, à en croire Yann Moix, serait un Gestapoland…
    Moi l’un : - Eh mais, là encore, on peut aller plus loin. L’an dernier, paix à son âme, Jacques Chessex a même prétendu que l’origine d’Auschwitz se trouvait à Payerne où eut lieu, c’est vrai, l’immonde assassinat d’un Juif…
    Moi l’autre : - Un Juif pour l’exemple n’était-il pas un livre nécessaire ?
    Moi l’un : - Je ne dis pas le contraire. Mais le marketing qui a entouré ce livre m’a semblé plus douteux. Par ailleurs, il a été largement lu et commenté, par un lectorat qui l’a globalementapprouvé, ce qui met du plomb dans l'aile du Gestapoland. En outre, on ne cesse depuis des années de parler de Chessex comme d’un grand écrivain, en France autant que dans notre pays, alors même que ces nuls de Suisses sont supposés détester les artistes.
    Moi l’autre : - À ce propos, Yann Moix espère être arrêté comme Polanski…
    Moi l’autre
    : - Aucune chance, hélas, même s’il était délinquant sans papiers. Et puis, selon sa logique, il faudrait qu’il ait du talent, puisque c’est ça que nous détestons.
    Moi l’un : - Passons. Mais puisque c’est de Gestapoland que nous parlons, et que Moix nous taxe également de dictature molle (un de nos romanciers, très estimables par ailleurs, nous a déjà fait le coup dans son Soft Goulag), je recommanderais à cet ignare absolu de notre histoire de mettre le nez dans les Entretiens avec Jean-François Bergier (Zoé, 2006), où l’ancien président de la Commission indépendante d’experts suisse et étrangers (dont l’historien Saul Friedlander…) qui ont établi le fameux rapport sur les relations de la Suisse avec l’Allemagne durant la Deuxième guerre mondiale, expose ses incroyables tribulations. Cela ne prendra pas à Moix plus d’une heure de lecture, et c’est intéressant pour tout le monde. On pourra s’en tenir aux pages 59 à 137. On y verra combien l’accusation de Moix, faisant de la Suisse un pays globalement soumis à Hitler, est mensongère. On y verra aussi combien les cas scandaleux de refoulements de réfugiés à nos frontières ont fait l’objet d’études sérieuses et houleuses. On y voit la terrible intrication des intérêts multiples (politiques et économiques, humanitaires ou militaires et diplomatiques), le souci d’établir les faits avec l’aval de la Confédération et l’obligation pour toutes les parties d’ouvrir les archives. On y voit des historiens et des juristes mis sous la pression de l’opinion publique et des médias. On y voit apparaître une accusation accablante, mais tronquée et citée hors contexte, qui a soulevé le débat le plus largement médiatisé : « Les autorités suisse ont contribué – intentionnellement ou non – à ce que le régime national-socialiste atteigne ses objectifs ». Mais dans quelles circonstances précises ? C’est ce dont Moix se fiche évidemment ! Et la population suisse a-t-elle aidé les nazis à « atteindre leurs objectifs ». Moix n’en a que faire, lui que la haine absolue fait aboutir à la même conclusion que ceux qui prônent la destruction d’Israël…
    Moi l’autre : - Là tu y vas fort.
    Moi l’un : - C’est vrai et j’ai tort. Comme ont tort ceux qui réagissent si vivement aux provocations de ce pamphlétaire de carton-pâte. On parle maintenant d’interdire son livre à venir ! Foutaise. Même comédie qu’avec celui de Chessex. Marketing de bas étage…
    Moi l’autre : - Pissat de rat ! S’il savait seulement ce que les vrais écrivains ont écrit sur ce pays…
    Moi l’un : - Tu te rappelles Dürrenmatt balançant ses quatre vérités devant les huiles du pouvoir, en présence de Vaclav Havel ? Comme quoi notre Suisse bien aimée était une prison sans grilles dont les habitants étaient les gardiens…
    Moi l’autre : - Si je me rappelle ! Et là ça a fait vraiment mal, au point qu’aucun des grands politiciens présents ne sont venus lui serrer la main à la sortie.
    Moi l’un : Donc y en a point comme nous pour nous critiquer. Mais là on arrête, sous peine de devenir aussi cons que Moix...

  • La Suisse n'existe pas

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    Réponses à Yann Moix (1)

    Moi l’autre : - Donc Yann Moix prétend que la Suisse est un pays inutile…
    Moi l’un : - Je lui donne pleinement raison. De même que la poésie est inutile et que la musique est inutile et que le reflet des montagnes dans le lac est inutile, là-bas au bout de notre jardin suspendu. Mais Yann Moix ne va pas assez loin… 
    Moi l’autre : - Comment l’entends-du ?
    Moi l’un : - Yann Moix, de toute évidence, ne sait pas de quoi il parle. S’il le savait, il ne perdrait pas une seconde à en parler, tant il est vrai que La Suisse n’existe pas. Le constat date de l’Exposition universelle de Séville de 1992, et le concept, devenu cher aux fonctionnaires de la culture helvétique, toujours en veine de marketing, avait été fixé par le fameux slogan du graphiste Ben, dont l’inexistence rayonne depuis lors. Mais l’idée, la conviction que la Suisse n’existe pas s’étaient bel et bien répandus, déjà, depuis quelque temps... Probablement depuis le temps où quelque chose d’assez inexistant, qui se veut une sorte de ministère de la culture, a commencé de croire qu’il existait.
    Moi l’autre : - Yann Moix prétend, aussi bien, que la culture suisse n’existe pas. Selon lui, pas un génie littéraire ne serait apparu depuis Rousseau, que les Suisses ont pour ainsi dire annexé à son insu. 
    Moi l’un : - Yann Moix est excusable, car il ne sait rien. On pourrait évoquer Benjamin Constant, ou Cendrars, ou Ramuz, ou Walser, ou Frisch et Dürrenmatt, entre quelques autres pointures de dimension européenne (on citera Rougemont dans la foulée), rien que pour la littérature, mais à quoi bon ? La culture commence  ou finit le préjugé grossier, et tout ce que dit Yann Moix relève de ce sous-produit. Un Henry Miller, un Céline, un Buzzati furent ramuziens à outrance, bien avant que Ramuz n’entre dans La Pléiade. Mais Ramuz n’existe pas pour qui ne  l’a pas lu, et inversement. Donc Yann Moix n’existe pas…
    Moi l’autre : - Cependant Roman Polanski existe.
    Moi l’un : - Certes, puisqu’il a raffolé du Jean-Luc persécuté de Ramuz, comme il me l'a dit lui-même. C’était un soir au coin du feu, à Gstaad, le soir même où Ludmila lui a filél sa recette du vin chaud…
    Moi l’autre : - Parce qu’il faut dire que Polanski adore la Suisse…
    Moi l’un : - Ne nous égarons, mon cher, pas dans les platitudes à la Yann Moix…
    Moi l’autre : - Mais que penser alors de la décision policière d’arrêter Polanski ?
    Moi l’un : - Bah, tout a été dit à ce propos. Pour ma part, je l’ai trouvée judiciairement logique, mais humainement lamentable. Yann Moix s’en prend à « la Suisse » sans voir que « la Suisse » allait recevoir Polanski en toute bonne foi et lui rendre hommage, par l’entremise du chef de l’Office fédéral de la culture, Jean-Frédéric Jauslin , alors que « la Suisse »  policière préparait un jeu de menottes aux ordres de la justice internationale. Or quand Yann Moix en appelle aujourd’hui à « la Suisse » afin qu'elle se lève comme une seule pour « libérer » Roman Polanski, il montre plus que son ignorance crasse des rouages de la démocratie : sa stupidité de  démagogue simplificateur. De fait cette Suisse qu'il fantasme n'existe pas...
    Moi l’autre : - Mais « pourquoi tant de haine », comme on dit chez les jeunes filles bien élevées ?
    Moi l’un : - Pour vendre son prochain livre, darling.
    Moi l’autre : - Et n’y a-t-il pas du vrai, malgré tout, dans ce qu'il dit sur la Suisse et les Juifs pendant la guerre, la Suisse et les Américains, la Suisse et la Libye, entre autres graves accusations ? 
    Moi l’un : - Il y a  plus que du vrai mais cette vérité véritable, avec ses multiples aspects, lui échappe complètement. Sa haine est celle de l’ignorance imbécile. Podium, signé Yann Moix,  en est la preuve. Podium est d’abord un livre inepte, ensuite un film inepte, qui situent le niveau mental de Yann Moix. Malgré le charmant Benoît Pelvoorde, on n’est pas chez les Belges et Yann Moix n’est pas Baudelaire. Je peux te dire, moi, que telle  année, sous l’uniforme de commandant en chef de l’armée suisse, le général Guisan rédigea une note selon laquelle il fallait désormais considérer les Juifs comme des ennemis de l’intérieur. Cette note m’a sidéré et attristé. Par ailleurs, des Juifs ont été refoulés à nos frontières: on le sait. Mais la Suisse fut aussi un refuge salvateurs, pour beaucoup de Juifs aussi. La politique générale de Guisan ne fut pas d’un sous-ordre d’Hitler, contrairement à ce que prétend Yann Moix. Cela étant,   cette période a suscité une révision critique approfondie, qui a produit ce qu’on appelle le Rapport Bergier. Ledit rapport sur la Suisse pendant la seconde guerre mondiale est disponible dans une version simplifiée « pour les écoles », mais je me demande si elle est accessible à un Yann Moix…
    Moi l’autre : - Autre chose ?
    Moi l’un : - Non, cela ira pour ce soir. Mais peut-être demain. Si tu me lances sur la Suisse…

  • Le tout bon type

    n1058222313_30176484_674.jpg…Quand on a sorti le Léonide de la tourelle refroidie l’était comme un rôti oublié au four, n’en restait que du noir, que du charbon dans les orbites, ça sentait encore le grillon brûlé malgré que c’était un Renault à blindage renforcé, en tout cas rien à montrer à la veuve, donc ce qui était enterré là-dessous on ne sait pas trop, mais le médaillon, ça, ça reste tout Léonide avec son air de bon gars qu’on a tant regretté à l’Amicale de l’Avenir…
    Image : Philip Seelen