La 63e édition du Festival international du film de Locarno, qui se tiendra du 4 au 14 août prochains, rebondit avec une nouveau directeur artistique, en la personne d’Olivier Père, lequel porte l’accent sur le jeune cinéma en train se faire dans le monde.
« Le Festival de Locarno n’est pas qu’une manifestation nationale ni ne se limite à l’aire européenne : c’est au niveau mondial qu’il s’affirme », déclarait récemment Marco Solari à l’occasion de la présentation de cette nouvelle édition.
Président du festival depuis dix ans, le bouillant Tessinois est le premier défenseur de l’ « esprit de Locarno », qu’on pourrait caractériser par une propension renouvelée à la découverte sous toutes ses formes, excluant cependant une cinéphilie trop exclusive ou élitiste. Ce festival se distingue de Cannes et de Venise en cela qu’il est largement ouvert au public le plus varié, sans intérêt du point de vue mondain même si de nombreuses personnalités du monde politique ou culturel s’y pointent. Largement soutenu par les pouvoirs publics et les sponsors, il a vu son budget passer, ces deux dernières années, de 4 à 11.5 millions de francs. D’où la demande insistante d’une rallonge de 300 à 400 000 francs, rappelée par Marco Solari.
Magie de la Piazza
La Piazza Grande, qu’on dit volontiers la plus grande salle de cinéma du monde, en est évidemment le fleuron populaire, avec des pointes de 8000 spectateurs certains soirs, mais l’ « esprit de Locarno » a empêché de lieu de devenir un Open Air de plus où projeter les derniers Blockbusters…
Par ailleurs, cinq autres salles de jauges variées (d’environ 200 à 5000 spectateurs) permettent à la programmation de se moduler en fonction de l’audience estimée. Ce qui frappe, au demeurant, c’est le taux d’occupation élevé de toutes ces salles, et l’aspect toujours convivial et intéressant des présentations de chaque film, souvent en présence du réalisateur, et la qualité des débats qui font suite à chaque projection. Quand on sait que la région de Locarno, avec ses lacs cristallins et ses hautes vallées, ses terrasses et ses grotti (tavernes à la tessinoises) ombragés se prête merveilleusement aux balades et aux randonnées, la présence d’un public souvent assez jeune (entre 25-65 ans) dans ces salles obscures, en plein été torride, a quelque chose de réjouissant.
De Maire en Père
Comment l’édition 2010, conçue par le nouveau directeur artistique du festival, Olivier Père, se présente-t-elle à quelques jours de son ouverture. Quelle touche nouvelle l’ancien patron de la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes va-t-il apporter ? Au dire de Marco Solari, visiblement très satisfait, le nouveau directeur « respire le cinéma ». Et de rappeler qu’il succède au « prince » Marco Müller, à la « volcanique » Irene Bignardi et à la « force tranquille » incarnée ces quatre dernières années par Frédéric Maire, qui dirige désormais la Cinémathèque suisse à Lausanne.
- Qu’entendez-vous amener de personnel au festival de Locarno ? Quelle sera la « touche » d’Olivier Père ?
- Après la Quinzaine des réalisateurs, au Festival de Cannes, Locarno me donnait l’opportunité extraordinaire de poursuivre un travail de découvertes des jeunes auteurs et des talents de demain, ce qui coïncide d’ailleurs avec l’esprit initial de Locarno. Ainsi, plus qu’un changement, je vois ma contribution comme un retour aux racines du festival. Je me réjouis d’accueillir de nombreux jeunes cinéastes qui sont des néophytes absolus et peuvent être présentés dans les diverses sections du festival. Ceci dit, si le festival est un « laboratoire», je ne voudrais pas que celui-ci se transforme en ghetto ou en chapelle. C’est pourquoi, dans Cinéastes du présent, les genres les plus variés sont représentés.
- Nicolas Bideau a regretté, l’an dernier, le manque de « glamour » de Locarno. Qu’en pensez-vous ?
- Le « glamour » est une dimension du cinéma que j’apprécie et qui doit être représentée, mais il faut être réaliste : Locarno n’est pas Cannes ni Venise. Faire venir des grandes stars hollywoodiennes est une question d’argent, et je ne pense pas que Locarno doive sacrifier à la folie des grandeurs avec un Tom Cruise ou une Angelina Jolie... Cela étant, je trouve très bien de rendre hommage à la belle Chiara Mastroianni, et la présence de Melivil Poupaud dans le jury ou de Jeanne Balibar en compétition me réjouit. En ce qui me concerne, j’aime beaucoup les acteurs et j’ai envie qu’il y ait du charme et de la séduction dans le festival…
L’édition 2010.
Au premier regard, l’offre de cette année est aussi riche que les précédentes, pour ce qui peut en être jugé d’avance. Même si le nombre total des films a été revu à la baisse – bonne initiative au demeurant -, restent tout de même 280 longs métrages. Mais encore ? Mais encore ceci :
Great Memories – Rétrospective Ernst Lubitsch
À l’ordinaire, c’est en fin de liste qu’on mentionne la rétrospective d’un festival, comme un « plus » plus ou moins muséal. Il en va différemment à Locarno, et notamment cette année avec la présentation d’une cinquantaine de films de ce grand maître de la comédie, de la mise en scène et du découpage que fut Ernst Lubitsch, dont l’œuvre reste une véritable école de cinéma à elle seule où les apprenants (c’est comme ça qu’on dit aujourd’hui…) devraient se précipiter.
Après Kaurismäki en 2006, les divas du cinéma italien en 2007, Nanni Moretti en 2008 et les Mangas en 2009, la rétrospective Lubitsch, qui sera reprise à la Cinémathèque en automne, fera sans doute double office de découverte absolue pour beaucoup (et notamment avec les films muets, dès 1914, avec Der Stolz der Firma de Carl Wilhelm dans lequel Lubitsch est acteur, ou Als ich tot war ) et de (re)découverte dans les grandes largeurs du grand écran, notamment avec la projection sur la Piazza Grande du chef-d’œuvre que représente To be or not to be (1942) le 12 août.
Réunissant, sous la direction de Joseph McBride, des films de Lubitsch réalisateur mais aussi producteur, tel Desire de Granz Borzage ou co-réalisateur, avec Otto Preminger (A royal Scandal), la rétrospective sera présentée alternativement par des personnalités du cinéma qui ont été marquées par Lubistch, tels Freddy Buache, Lionel Baier, Stefan Drössler, Benoît Jacquot ou Luc Moullet, entre autres. En outre, le 12 août, au Forum, à 10h.30, une table ronde réunira Jean Douchet (qui présente To be or not to be sur le DVD disponible du film) et Joseph McBride, animée par Carlo Chatrian.
Les "musts" de la Piazza
Du 3 au 14 août, ce ne sont pas moins de 20 films qui feront les beaux soirs de la Piazza Grande. Aperçu.
J Par manière de bienvenue, une projection gratuite, offerte en «pré-soirée» aux Locarnais et aux festivaliers déjà présents, marquera le retour de Daniele Luchetti avec La nostra vita. On se rappelle l’excellente impression laissée, en 2007, par Mon frère est fils unique, chronique familiale évoquant la cohabitation d’un jeune gauchiste brillant et de son cadet flirtant avec les néofascistes pour s’affirmer. Quant à cette nouvelle réalisation, elle a marqué la seule présence italienne dans la compétition de Cannes. 3 août, à 21h.30. Entrée libre.
J En ouverture, un seul film à l’affiche en première mondiale, attendu puisqu’il s’agit de la dernière réalisation de Benoît Jacquot, intitulée Au fond des bois et confrontant, dans les années 1850, un jeune homme des bois débarqué de nulle part et la fille d’un médecin humaniste qui s’entiche du sauvageon. Mercredi 4 août, 21h.30, après la cérémonie d’ouverture.
J Parmi les nouveaux films réunis sous la rubrique Appellation suisse, alors même que la Journée du cinéma suisse a été supprimée cette année, Hugo Koblet – pédaleur de charme, ne manquera pas d’intéresser le public de notre pays, s’agissant d’une figure légendaire du cyclisme helvétique. Daniel von Aarburg en signe la réalisation avec un mélange de documents d’archives et de séquences ajoutées. Vendredi 6 août, à 21h.30.
JJ Après le magnifique Lemon Tree (Les citronniers), le retour du réalisateur israélien Eran Riklis est également très attendu avec, en première mondiale, Le responsable des ressources humaines tiré d’un formidable roman d’Avraham Iehoshua. Mardi 10 août, 21h.30.
JJJ Autre grand moment assuré sur la Piazza Grande, qu’on espère bénéficier d’un ciel pur : la projection de To be or not to be d’ Ernst Lubitsch, pure merveille de mise en scène et d’humour grinçant, avec un Hitler d'opérette, mélange de ridicule et d'effroi, où se mêlent les relents de la tragédie, sur fond de pogroms, et une mise en abyme théâtrale des liens de l’art et de la réalité. Le film sera projeté en fin de soirée, après Monsters, premier film du réalisateur anglais Gareth Edwards. Jeudi 12 août.
JJJ Soirée faste également, pour une fin d’édition, avec la première internationale d’un sombre thriller allemand de Baran bo Odar, Le dernier silence, suivi d’un court métrage de Bernardo Bertolucci datant de 1967, Il canale, et d’Uomini contri (Les hommes contre), de Francesco Rosi, datant de 1970, avec Alain Cuny et Gian Maria Volontè, qui relève du réquisitoire pacifiste. Le film sera projeté en présence du grand réalisateur italien, âgé de 88ans. Vendredi 13 août, dès 21h.30.
Les Léopards en compétition
Concours international
Réunissant une vingtaine de candidats de toutes provenances, le concours international mêle les auteurs nouveaux et leurs pairs plus chevronnés, tels le Français Christophe Honoré et son Homme au bain, avec Chiara Mastroianni, le provocateur canadien Bruce LaBruce dont L.A. Zombie arrive précédé d’une réputation sulfureuse, le Québecois Denis Côté déjà connu à Locarno où il revient avec son tout récent Curling, ou encore la jeune Isild Le Besco, qu’on verra dans le film de Benoît Jacquot et qui défendra son troisième long métrage intitulé Bas-fonds, tandis que Pia Marais roulera pour l’Allemagne avec Im Alter von Ellen (Au temps d’Ellen) avec Jeanne Balibar.Par ailleurs, la compétition internationale accueille deux films suisses d’auteurs à découvrir dans le « long », à Savoir Stéphanie Chuat et Véronique Reymond qui cosignent La Petite chambre, avec Michel Bouquet, première œuvre déclarée « très sensible et émouvante » par Olivier Père, tandis que Katalin Gödrös honore la Suisse multiculturelle avec Songs of Love and Hate. Enfin, et pour la première fois, le concours est ouvert aux ouvrages documentaires, comme l’illustrera cette année le film chinois Karamay, réalisé par Xu Xin et dégageant une forte émotion sur fond de réflexion politique.
Cinéastes du Présent
Autre fleuron de la compétition, souvent plus pointue dans ses choix, cette section rassemble elle aussi une vingtaine de longs métrages dont treize ( !) premières œuvres. Vous avez dit que le cinéma d’auteurs se mourait ? On en jugera sur pièces. En attendant, faute de pouvoir entrer dans le détail, on relèvera tout de même la présence du Romand Stéphane Goël, du groupe lausannois Climages, avec un documentaire consacré à un aspect très intéressant de notre société, savoir les tribunaux de litiges professionnels. D’où le titre de Prud’hommes. Par ailleurs, Olivier Père relève un caractère récurrent de cette section, touchant à la proximité de divers films avec d’autres formes d’expression comme la musique (Ivory Tower, d’Adam Taylor avec Chilly Gonzalez ) ou les arts plastiques (September 12, d’ Özlem Sulak), notamment.
Léopards de demain
Toujours au titre de la compétition, le concours réservé aux courts métrages suisses et étrangers, dont les sélections comptent souvent des bijoux, fête cette année son vingtième anniversaire et permettra de découvrir un choix des meilleurs courts découverts à Locarno.
Hors concours
Parallèlement aux deux compétitions principales, une section Hors compétition présentera un large choix d’œuvres récentes, courts métrages ou essais cinématographiques, documentaire ou travaux collectifs, ainsi que des ouvrages de cinéastes importants Jean-Marie Straub, Luc Moullet ou Angela Ricci Lucchi, notamment. C’est dans cette section que nous découvrirons C’éait hier, le nouveau film de la Lausannoise Jacqueline Veuve, et Low cost de Lionel Baier, de même que le cycle documentaire d’Emmanuelle Demoris, Mafrouza, qui sera montré dans son intégralité alors que son dernier épisode participera au concours Cinéastes du Présent.
Prix et hommages divers
Le festival de Locarno accoutume d’honorer les « bons génies » du cinéma, qu’ils soient réalisateurs, producteurs ou techniciens de plus ou moins haute volée, comme l’an dernier un Renato Berta, maître imagier s’il en fut…
Cette année, c’est au grand cinéaste suisse Alain Tanner que sera remis un Léopard d’honneur, pour l’ensemble de son œuvre, ainsi qu’au réalisateur chinois JIA Zhang-ke, comptant parmi les révélations de ces dernières décennies.
Le Prix Rezzonico, qui récompense un producteur indépendant, sera remis à l’Israélien Menahem Golan, mogul aventureux et flamboyant qui a réalisé des films autant qu’il en a produits – et des plus prstigieux, de Love Streams de Cassavetes à Fool for Love d’Altman, entre beaucoup d’autres. Un hommage particulier sera rendu à l’acteur américain John C. Reilly et un Excellence Award reviendra à la jeune comédienne Chiara Mastroianni. Entre autres.
Las but not least…
Comme bien l’on pense, cet aperçu du festival reste lacunaire et à compléter, mais on ne saurait manquer de signaler encore les projections de deux films d’auteurs « cultes », à savoir Film socialisme de Jean-Luc Godard, et Ich will doch nur, dass ihr mich liebt de Rainer Werner Fassbinder, réalisé par la télévision allemande en 1976 et considéré par Olivier Père comme un chef-d’œuvre.
Infos complémentaires sur le programme et les données pratiques. http://www.pardo.ch
Commentaires
En fait, je me rends compte que c'est avec vous que j'aurais commencé véritablement à lire sur le festival de Locarno, et j'y prends de plus en plus goût !
Un jour, peut-être...