Celui qui n’ose pas aborder celle qu’il a repérée là-bas au fond du Buffet de la Gare / Celle qui regarde de loin celui qui n’a jamais osé faire le premier pas / Ceux qui se sont manqués par timidité ou par prescience de l’échec / Celui qui surprend le regard de son ennemi (croit-il) dans la foule attendant le train de nuit / Celle qui hésite à sourire à la femme voilée à laquelle elle a enseigné la langue de Voltaire et que son frère l’imam serre toujours de près / Ceux qui font la fête au Nouvel-An vietnamien où se retrouvent les plus ou moins damnés de la terre de la classe d’accueil de Lady L. / Celui qui draguait la Bosniaque dodue dont sa famille l’a séparé au motif de ses origines libériennes et de son état d’orphelin, cohabitant désormais avec une Lisboète trapue / Celle qui retrouve son soupirant raseur de quinze ans à la sortie de la Coopé où il s’est acheté un pack de bière pour tenir le coup (dit-il) après deux divorces et ses enfants qui ne le relancent que pour le tauper mais il faut ce qu’il faut (dit-il encore) et ça ne nous rajeunit guère / Ceux qui se retrouvent au club des motards aînés où ils se défoncent sur des simulateurs vidéo / Celui qui a tenté vainement de rassembler les anciens de sa classe de Latin/Grec de la fin des sixties dont la plupart sont remariés ailleurs ou se planquent sur répondeur ou sont carrément décédés / Celle qui fait la tournée de ses ex juste pour voir (dit-elle) / Ceux qui ont perdu toute curiosité envers autrui après deux ou trois déboires personnels dont ils s’estiment victimes ce qui se discute / Celui qui n’arrive pas à se lasser de sa compagne qui n’arrive pas non plus malgré certaines pulsions parfois liées à l’orage ou à leurs artères ou à Diable sait quoi / Celle qui se reconnaît dans le regard de celui qui l’aime / Ceux qui ses reconnaissent au son de leurs voix dans l’Espace détente de l’Asile des aveugles, etc
Image: Philip Seelen