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Livre - Page 133

  • L'ange du cabanon

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    «J’étais là dans le hurlement du monde»
    (Don DeLillo)



    Je ne sais pas comment raconter cette histoire.
    Et d’abord, je ne sais pas si j’en ai le droit. Je ne sais pas si j’en sais assez. Je ne sais pas si ça parlera vraiment de ce que je sais, ou plutôt de ce que je voudrais dire à propos de ça, ou si même ce ne sera pas simplement qu’une histoire ?
    Ce que je sais c’est qu’elle m’obsède, cette histoire de l’ange du cabanon, depuis plusieurs décennies déjà; que maintes fois je l’ai ruminée en passant dans le quartier où vit toujours ma mère, et que chaque fois que je me retrouve là, un peu après le virage de la route d’en haut, à l’emplacement de la nouvelle urbanisation qui a nivelé la moitié du coteau de l’ancien castel du réalisateur italien, je pense au poulailler désaffecté et je le vois, lui, l’ange à la nuque brisée, je le vois accroupi, efflanqué, les yeux perdus, ignoré des siens qui continuent de vivre juste en dessous, derrière la haie de charmille, dans la petite maison au mainate, je le vois ne faire qu’être là dans la cahute abandonnée et j’aimerais aller vers lui, mais quelque chose me retient.

    Or, à quoi rime le début de cette histoire ? Je n’en sais trop rien. Je ne vois, au début, que quelques images sans lien apparent entre elles. Je vois une photo de James Dean dans A l’est d’Eden, au mur de ma chambre d’adolescent, de la fenêtre de laquelle j’observe parfois le manège de celui que mon frère aîné appelle le crétin depuis qu’il l’a vu bercer, un après-midi durant, un petit bouvreuil déniché par les garçons du quartier. Je le vois assis sur un mur à se balancer d’avant en arrière pendant des heures. Je revois ce poulailler où je suis allé m’accroupir moi aussi, bien avant lui. Je revois les cheveux lisses de mon frère et mes boucles d’enfant. Il y a dans la nature les doux et les durs, les lisses et les tendres, les fils de Caïn et ceux d’Abel, mais lequel est lequel ?
    La seule chose que je sais, c’est que c’est une histoire de frères et de mort.

    Je sais aussi que ce premier enfant n’a jamais été accepté par sa mère: c’est de notoriété établie aux Oiseaux, cela fait pour ainsi dire partie de la chronique non écrite du quartier. On a dit que la très jeune mère eût aimé le faire passer, craignant de rester coincée avec l’homme qu’elle sentait déjà courir la femelle. On a dit aussi qu’elle était trop paresseuse pour se passer de l’homme mais qu’elle aurait préférer se prélasser sans avoir de mioche à torcher. On a dit ceci et cela, mais personne n’a été vérifier auprès des intéressés, qui affirmeront toujours, pour leur part, que ce qui bout dans la marmite du voisin ne regarde personne. Vous pouvez crever tout à côté: ce n’est pas notre affaire.

    Ce qui est sûr en outre, c’est que ce premier enfant sera maladif à vie, jamais nourri au sein et jamais bercé, jamais peloté, le visage ingrat, les cheveux raides, les traits flous jusqu’à sept ans où l’ange me dira lui-même qu’il est mort une première fois (faut-il incriminer l’oncle au pistolet, ou est-ce à son frère qu’il faisait allusion ?) puis lui poussera ce masque de plus en plus dur d’apparence alors qu’il est resté dedans, sous sa carapace, un être que tout blesse à vif.

    Le futur ange a cinq ans lorsque son frère Danilo se présente au monde, comme un enfant aussitôt parfait, et d’emblée il est interdit au vilain drôle de rôder autour du berceau. Dès le premier printemps, souvent on l’envoie dehors où il reste à ne rien faire. Moi qui aime jouer et n’ai pas beaucoup de partenaires sous la main je pourrais lui proposer une association mais déjà, là aussi, quelque chose me retient.

    Un autre détail est important à l’origine de la pulsion qui m’entraîne à raconter cette histoire: peu après la mort de son fils aîné, la mère dit à la mienne par-dessus les mûriers:
    - C’est la première fois qu’il m’a étonnée. Je ne croyais vraiment pas qu’il aurait le cran de se jeter de ce pont.
    J’entends cette voix et ces mots à travers les années. C’est une voix plutôt douce mais fêlée, comme d’une cloche de malheur dont le battant serait une pierre. C’est la voix d’une femme entre deux âges dont le fils mal aimé s’est suicidé en pleine ville deux ans après la mort de son frère cadet tué sur la route avec son meilleur ami. C’est une voix et ce sont des mots que je n’arrive pas à oublier. Si Dieu existe, c’est une voix qui doit Lui faire mal, mais la femme en question pense quant à elle que si Dieu existe ce ne peut qu’être le Salaud absolu après ce qui est arrivé à son Danilo.

    Dans ma transposition plus ou moins fidèle, ce sera l’histoire de huit frères (la soeur de Domino est en effet un garçon manqué à baskets) dont je suis le seul survivant. C’est à peu près quatre fois l’histoire de deux frères en rivalité devant leur mère ou devant Dieu ou devant eux-mêmes. Voilà pour le canevas dont je n’ai pas la moindre idée, à l’instant, de la manière dont je vais filer l’intrigue et l’étoffer si cela se peut.

    C’est aussi l’histoire d’un quartier périphérique de telle ville de moyenne importance de Suisse française, dont les gens se connaissent fort bien au début puis s’éloignent les uns des autres et finissent par s’ignorer, après sept suicides dans un périmètre très restreint, sept suicides et l’arrestation d’un couple de pervers d’envergure dite internationale (dixunt les médias) puisque aussi bien leurs crimes ont été filmés et diffusés sur le réseau des réseaux, et que toutes les télévisions ont fait chier les gens du quartier pendant une semaine.

    Cela commence du vivant de Joseph Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline, à une époque où la zone villa du quartier des Oiseaux fait figure de projet social subventionné, juste après la guerre - même s’il n’y pas eu de guerre en ces lieux.
    A cette époque déjà, quoi qu’il en soit, l’on remarque (par exemple le facteur Gustalin, dit Verge d’or) qu’il y a des maisons bien ou mal habitées.
    Ainsi, sur la deuxième rangée inférieure à partir de la route d’en haut, la maison bleue est immédiatement suspecte, et cela vaudra pour trois générations. A quoi cela tient-il ? Mystère. Mais le fait est que, dès sa première location, la maison bleue tombe en de mauvaises mains.
    Il y a d’abord le premier règne d’un type à l’air sinistre avec ses lunettes fumées et son long macfarlane.
    Je me le rappelle très bien: je dois avoir trois ans au plus, donc c’est un improbable cliché de mémoire, mais je m’en souviens par le truchement de ce qu’on raconte à l’enfant dans la cuisine ou à l’étendage. En fait, tout le monde, dans le quartier, parle volontiers (on flaire un peu le roman louche) de ce type qui va et vient en Citroën 15 CV (la voiture des gangsters au cinéma), et qu’on voit parfois débarquer de nuit avec des femmes à col de vison.
    Le ton seul de ceux qui racontent laisse à entendre que ce n’est pas le genre du quartier. Toutes les femmes du quartier guettent ces femmes à col de vison, qui signifient évidemment l’aventure, mais aussi l’inconduite et des turpitudes qu’on ne flaire que par les journaux. Plus tard on découvrira, dans la cave de la maison bleue, des milliers des petites ampoules oblongues dont l’usage ne fait aucune doute. Rien de plus cependant pour cette période des toxicos.

    Après quoi, tout de suite, ce seront les Dousse. Et que peut-on dire des Dousse ? On peut en dire que ce sont des catholiques au milieu des calvinistes et des gens terriblement engoncés. Mon père dit de lui: c’est un rond-de-cuir. D’elle ma mère affirme: elle est casanière, elle n’aère jamais, ces gens-là vivent dans le molleton. On ne les imagine ni à la plage ni sur un glacier, ni au marché ni au restaurant sauf pour les fêtes religieuses. Ils ne vont pas tant à l’église qu’à la messe. Ils attendaient un garçon qui n’est qu’une fille, mais qui chaussera des bottes et chassera les cancrelats en murmurant comme un vieux, sera même soupçonnée de manger des limaces. On dit qu’elle est retardée. Ils seront soulagés, trois ans plus tard, de voir lui succéder un magnifique enfant blond qu’ils appelleront Dominique, vite surnommé Domino.
    L’aînée de Dominique était une sorte de raté ou de mesure pour rien. C’était l’expression du côté maladif de ce couple qui avait l’air vieux bien avant quarante ans. C’était ce qu’on appelle un enfant demeuré. La pauvre n’avait rien de féminin, sa mère l’attiffait de façon lamentable, on aurait dit qu’il lui fallait nier cette erreur de la nature comme on a nié l’ange futur a trois maisons de là.
    A l’opposé, la période où a vécu Dominique est un intermède solaire, un âge d’or, une espèce de trêve accordée par la Vierge Marie aux Dousse.
    Dans toutes les maisons du quartier, la vie se répartit entre frères et soeurs avec une espèce de joyeuse anarchie, tandis qu’une rigoureuse et fatale géométrie semble marquer le destin des deux aînés et des deux benjamins de chez les Furrer et de chez les Dousse.

    Pour en revenir à la maison bleue, ce qui marquera la période Dousse et jusqu’à celle qui suivra, où débarqueront les sadiques de Rotterdam, ce sont les volets fermés.
    Les volets de la maison des Dousse, dite précédemment la maison des morphinomanes, se sont fermés le lendemain de l’accident de voiture qui a coûté, comme à James Dean, la vie à Domino et à son fère de sang Danilo (ils ont échangé leur sang au bord de la rivière aux écrevisses).
    Danilo venait d’obtenir son permis de conduire et son père lui a prêté la Simca Aronde au bord de laquelle il emmenait ses conquêtes dans les chemins creux de l’arrière-pays. Danilo et Domino avaient l’air de deux demi-dieux blonds à bord du petit bolide décapoté lancé en course de côte le long d’une route vertigineuse du Haut-Pays, ils ont frisé le 125 sur certains replats, puis ils ont abordé le fameux virage du Grenadier à une vitessse excessive, le véhicule a percuté le mur de pierre et a pris feu, mais les gosses ont été éjectés dans un pierrier où ils se sont fracassés ensemble, deux cents mètres plus bas, sur des vires fouettées par l’air glacial de l’Eau noire.
    Le hasard a voulu que, ce soir-là, je passe dans le quartier, où j’ai tout de suite deviné qu’un drame s’était produit. Sur les fils de fer de l’étendage, comme cela ne se fait pas un dimanche, avaient été suspendus les vêtements de Dominique et son fringant foulard à la Ricky Nelson.
    Dès ce funeste jour, sûrement, l’ange entrait en malédiction définitive et le garçon manqué fut confié aux religieuses pendant que la mère s’enfonçait définitivement dans la pénombre surchauffée de la maison bleue, en attendant (une quinzaine d’années) que son époux succombe à une angine de poitrine et que se succèdent trois présidents américains.

    Le temps se déroule de multiples façons selon les personnes: c’est cela aussi qui m’intéresse dans cette histoire.
    Je suis au regret, Madame la contrôleuse de la propreté des ongles enfantins, de vous avouer que je continue de vivre la plupart du temps dans la position de l’ange du cabanon et non du tout à l’unisson de la confrérie du Monsieur Responsable. Vous n’en voyez peut-être rien mais c’est ainsi. Vous vous figurez que je suis rentré dans le rang, comme l’attestent certaines apparences (dehors typiques de l’Occidental monogame rasé-lavé-branlé-qui-gagne-bien-sa-vie), et pourtant il n’en est rien en ce qui concerne ma formule secrète (Time is Honey) d’abeille solitaire aux ailes m’appariant naturellement à l’ange décédé en état de virginité.
    Je me suis dit parfois que je devais être le préféré de Yahweh, moi le dolce poeta, tandis que mon frère le dénicheur d’oiseaux, le voleur de cerises et le bâtisseur d’autoroutes faisait le Caïn symbolique parfait dont le rire me tuait avant que l’opprobre du Père suprême ne se retourne contre lui (son malheur et son cancer) mais peut-être en va-t-il tout autrement ?
    De leur vivant, les fils préférés ensoleillaient le quartier. A dix-sept ans ces garçons magnifiques suscitaient naturellement la même préférence que la même beauté et le même bon coeur d’Abel valurent à celui-ci de la part de Monsieur Dieu.
    Inversement, avec ses airs fuyants, sa maladresse native, sa jalousie et sa maigreur, l’ange futur était apparemment marqué du signe du réprouvé, mais comment ne pas penser, aussi, que les signes changent avec le temps ?

    La page blanche virtuelle sur laquelle je compute ce laborieux rapport (Police 14, style Palatino) procède d’un autre temps encore qui remixemaxe tout ce qui pouvait être dit selon l’ordonnance d’un puzzle psychomental dont je ne sais s’il est antérieur (Platon, la Caverne, ces choses-là) ou s’il s’autogénère à l’instant ?
    Je note seulement (il est sept heures du matin au treizième étage de la tour résidentielle du quartier des Oiseaux, la fenêtre plein sud de mon atelier signale un temps varié à couvert, avec des reflets mauves dans la couverture de cumulostratus traînant sur le Scex d’Yvoire, mon ami le Gitan et sa petite tribu rentrent demain soir de Roumanie) que j’ai été incapable, hier après-midi, dimanche, comme je m’attardais sur ce haut-lieu de ma mémoire, après avoir fait escale chez ma mère à laquelle nous avons apporté un cake financier pour goûter, de localiser exactement le poulailler et de le rattacher à aucune habitation de l’époque.
    Je me rappelle un talus ensoleillé au flanc du petit coteau sommé par le castel rose du réalisateur italien. L’accès de la propriété était défendu par un grillage et une espèce de poterne pseudomédiévale en commandait l’entrée. Le poulailler évoquait une cabine de bateau montée sur pilotis et assujettie par des haubans à mi-hauteur de la pente dominant la route d’en haut. J’ai rêvé maintes fois de ce lieu où j’ai passé des heures à lire ou à fumer des cigarettes américaines avec quelque compère. J’y revois un fauteuil défoncé de cuir jaune et une bouteille de Chianti Antinori transformée en chandelier romantique, et déjà s’annonce l’apparition, dans le tableau, de Citizen Jr dont le père, petit brasseur d’affaires jurassien, va racheter le castel et le cinéma du quartier. Lui-même deviendra projectionniste et, un quart de siècle plus tard, propriétaire de salles et producteur à cigare de nabab guetté par la banqueroute, mais je me perds.

    Je me retrouve en revanche, et avec une précision qui me fait supposer que c’est le Créateur d’univers himself qui se penche sur la scène avec sa loupe de scrutateur sans états d’âme, la première fois où, trois ans plus tard, dans le cabanon, et c’est exactement la fin de l’après-midi (moment symbolique de l’imminente disparition du soleil dont les lances obliques illuminent le fond chaulé de la cahute) de ce jour où celui que mon frère appelait le crétin, aux premiers rayons radieux de la matinée, s’est jeté du pont aux suicidés que la topographie locale signale à égale distance de la cathédrale et du laboratoire médico-légal - or je me trouve là par le plus pur hasard, poussé par je ne sais quelle force non identifiée, et voici que je distingue dans la lumière une autre lumière et que j’entends distinctement l’ange me dire que la vie, en somme, est tout aussi intéressante de son point de vue que du mien, qu’il me parle parce qu’il a senti que souvent j’avais été tenté de le rejoindre et qu’au fond j’étais de son bord, enfin qu’il aimerait que je l’adopte et que je l’écoute à chaque fois qu’il aura besoin de s’épancher.

    J’avais moins de vingt ans et des poussières lorsque le frère de Danilo s’est délivré de son poids, mon frère travaillait déjà sur les autoroutes, et le coeur de la mère du suicidé allait enfin pouvoir ressentir la blessure du remords.
    L’ange m’a raconté comment sa mère lui interdisait d’approcher de la maison lorsque la bicyclette de Gustalin, dit Verge d’or, se trouvait appuyé au portail. L’ange m’a dit qu’il les avait néanmoins surpris une ou deux fois, et que c’est à cette occasion qu’il a vu les poils de sa mère et cette chose effrayante.
    - Le sexe m’a toujours épouvanté, me dit plusieurs fois l’ange du cabanon, et les mots sont tout faux: ce n’est pas une verge d’or qui se dressait dans la broussaille de Gustalin mais un épieu ensanglanté, en tout cas moi cela me paraissait bien affreux.
    Et de fait le crétin passa du sommeil enfantin aux immersions de la coke puis de l’héroïne sans que sa chair ne caresse ou ne pénètre jamais une autre chair.

    A présent, à travers les années, me reviennent les visites de l’ange et s’accroît à chaque fois mon tendre sentiment envers le môme gisant les bras en croix au bord de la rue, ce matin-là.
    Crucifié par la pesanteur. Fustigé et lacéré par le malamour. Certains regards vous lapident et certains mots vous achèvent.
    - Elle m’appelait son triste sire ou le ténia, elle jetait tous mes cadeaux et jamais elle ne m’a serré contre elle, mais je crois qu’elle le regrette aujourd’hui.
    L’ange croit en effet les êtres meilleurs qu’ils ne sont. Il a toujours cru que la méchanceté cachait une bonté blessée et que nul ne se plaît à la cruauté gratuite. Il lui fallait absoudre sa mère et je l’y aidais comme je le pouvais, le laissant surtout parler.
    Il survenait le plus souvent à l’improviste, et parfois en endossant mon rôle de protecteur, durant certaines années-impasses ou dans les failles de la mélancolie.
    - Je suis là, me disait-il de sa voix tendre.
    C’était telle année de jeunesse au Vieux Quartier et ma vie me semblait un gâchis sans rémission.
    - Plutôt que ce tube de véronal, prends ce livre de poche et lis Le rêve de l’escalier.
    Et de fait ce conte de rien du tout, cette anné-là, m’avait aidé à passer le cap de la nuit.
    Ou c’était place Paul Verlaine à Paris, une autre année, et j’étais en train de lire Les palmiers sauvages quand je l’avais senti à côté de moi à la douceur de son nimbe.
    - J’ai passé la matinée en invisible passager d’une conductrice d’Aronde, sur les boulevards périphériques, à me rappeler combien j’ai regretté de ne pas savoir donner à mon frère ce que je reprochai à ma mère de ne pas me donner.
    Et j’allais lui parler de mon propre frère, mais déjà l’esprit fantasque s’était évaporé dans la lumière diaprée d’après la pluie. Ou peut-être ne faisait-il que se taire pour m’écouter mieux ?
    J’enviais un peu le don d’ubiquité de mon ange, qui me surprit dans les jardins parfumés de Séville ou dans les bouffées de vapeur des bains publics de Budapest, sur le campo de Sienne ou dans les forêts de l’arrière-pays, en mon habitacle de verre de l’ancienne rédaction ou certaines fois après l’amour, dans la pénombre de telle église ou sur telle arête de neige battue par le vent, mais aussi je le sentais de plus en plus présent partout sans même qu’il se manifeste, je le savais Abel désormais et d’autres signes changeaient en moi et autour de moi, mon frère ne me dit pas un mot avant de mourir mais je crois que son coeur saignait, moi aussi je veux croire les êtres meilleurs qu’ils ne paraissent, je crois que cette croyance nous rend meilleurs nous-mêmes et qu’Abel est un voeu silencieux plus qu’un nom.

    Sur les Champs-Elysées, un après-midi d’une autre année, je rencontrai Citizen Jr entouré de deux poules de chez Madame Claude, et bientôt nous fûmes tous quatre chez Maxim’s où mon compère d’enfance en costume griffé Dior de ponte du cinéma se mit à m’évoquer, devant les deux belles amusées, ses souvenirs chers du quartier des Oiseaux.
    Citizen Jr se rappelait le cabanon en souriant comme un enfant à quadruple menton. Il préparait une superproduction tropicale au générique étourdissant, mais je le sentais plus ému par le sort de l’ange et de son frère - et tout à coup les dames d’escorte sentirent la présence irradiante du saint volatile: mon récit les avait elles aussi touchées en dépit de leurs airs blasés; au fond d’elles la partie tendre de la vraie fille de joie ne pouvait que refléter la pure lumière de l’innocence.
    Citizen Jr le bâtisseur de chimères, Monsieur V. pour ces dames et le plus ardent collectionneur de vignettes de stars américaines au tournant des dix glorieuses qui allaient entraîner aussi la baraka et la chute de mon propre frère - notre ponte potelé des salles obscures a fondu en quelques mois comme mon frère et tous deux pour devenir plus émaciés que mon ange maigrelet, deux rescapés d’Auschwitz et pas du tout rescapés à vrai dire, mais envoyés au Crabe dépeceur de petits d’homme retombés en enfance.

    Notre enfance est toute là, dans ce cabanon conchié de souillures de poules et ne puant même plus que dans nos mémoires en lambeaux.
    C’est pourtant ici que tout revit, par les mots que me dicte le petit garçon mal aimé.
    Or, tous les frères se relèvent dans l’ombre ocellée de lumière des jardins, c’est la fin de la sieste mais c’est encore l’été, on en a plus qu’assez d’être mort, on nous attend sur le grand pré, le soleil s’est arrêté là-haut au-dessus du stade, de l’autre côté de la ville - il n’y a plus de temps les enfants: la mort n’existe pas.

    Cette nouvelle est extraite du recueil intitulé Le Maître des couleurs, paru en 2001.




  • Ceux qui récriminent

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    Celui qui se croit au-dessus de tout / Celle qui se morfond d’ennui morose / Ceux qui incriminent l’époque de pères en fils / Celui qui s’en prend au Système / Celle qui s’est toujours estimée lésée même d’avant sa naissance / Ceux qui font payer leur sort de victimes à leurs voisins de palier et même à tout l’immeuble / Celui qu’insupporte toute forme d’enthousiasme désintéressé / Celle que la joie naturelle de sa sœur remplit de méchanceté non moins naturelle / Ceux qui redoutent tout partage impliquant la moindre reconnaissance / Celui qui fuit ceux qui le freinent / Celle qui cultive les orties de son ressentiment / Ceux qui se moquent de ceux qu’ils appellent les créatifs non sans penser : les improductifs / Celui que son bon naturel porte naturellement à célébrer la nature bonne / Celle qui fait pèlerinage en Vivarais pour se faire remonter la pendule par Frère Lapin le souverainiste aux pieds nus dans ses mules / Ceux que l’envie tenaille au point que ça leur fouailles les entrailles / Celui qui se rit des récriminations de ses frères mulots qu’il domine par la seul fait de la Sélection surnaturelle / Celle qui cherche noise à la plumeuse d’oies toujours avenante / Ceux qui se content de peu et trouvent que c’est déjà beaucoup, etc.
    Image : Philip Seelen

  • Question d'éducation

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    … Et là encore, Marie-Paule, c’est le désaccord total entre nous sur l’éducation de ta fille : tu lui fais croire que ce sont des peluches, comme tu voudrais le croire toi-même, mais tu vois bien qu’on ne traiterait jamais des peluches comme ça - tu crois que les Ligues de Protection du Jouet permettraient ça ? Et te rends-tu compte de la confusion que tu entretiens dans l’esprit de ton enfant ? Non mais tu vois qu’elle se mette demain à bouffer ses peluches - tu t'imagines l'hygiène ?

    Image :Philip Seelen

  • Rentrée à la paresseuse

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    Dialogue du lecteur et de son double à propos d’Une forme de vie d’Amélie Nothomb.

    Moi l’autre : - Et c’est reparti pour la rentrée…
    Moi l’un : - C’est en effet reparti, et avec Amélie Nothomb, ponctuelle comme l’abricot de fin juin.
    Moi l’autre : - Croquant, son dix-neuvième titre ?
    Moi l’un : - Al dente, quoique pas loin du jabotage. Amélie joue son propre personnage en fana de l’épistole. On sait qu’elle entretient une correspondance surabondante…
    Moi l’autre : - Tu te rappelles la dernière fois que nous lui avons serré la pince chez Albin Michel : elle débarquait dans son bureau avec une pile de lettres plus haute qu’elle.
    Moi l’un : - Tout juste Auguste : c’est son lot quotidien, auquel elle répond brièvement à raison de douze par jour...
    Moi l’un : - Et donc, Une forme de vie parle de correspondance…
    Moi l’autre : - … Avec un de ses lecteurs fervents, qui lui écrit de Bagdad. C’est le 2e classe Melvin Mapple, en Irak depuis six ans, qui souffre comme un chien et bouffe pour oublier qu’il en bave.
    Moi l’un : - Je ne t’ai pas senti passionné…
    Moi l’autre : - Disons que ce n’est pas du meilleur Nothomb, au niveau par exemple des Catilinaires. Mais c’est quand même intéressant, comme toujours. D’abord parce que le correspondant en question bluffe complètement la romancière, en lui écrivant des lettres dictées par une absolue nécessité, en tout cas à ce qu’il semble. Et ensuite par les rebondissements. La façon par exemple, de suggérer à Melvin, qui va sur ses deux cents kilos, de s’assumer en tant que « sculpteur » de son corps, et de se vendre à une galerie de Body Art, vaut son pesant de grinçante malice. Et puis l’art de la digression de Nothomb, et sa patte, sa vivacité, son humour font toujours mouche.
    Moi l’autre : - J’aime bien aussi ses notations sur l’art épistolaire, Sévigné qui écrit « Pardonnez-moi, je n’ai pas le temps de faire court », ou sur Truman Capote, ou encore sur les relations entre écrivains et lecteurs, et puis c’est une espèce d’autoportrait en mouvement assez vif.
    Moi l’un : - On y découvre, notamment, que notre graphomane en est à son 65e manuscrit, et qu’elle ne manque pas une occasion d’exercer son droit de vote belge.
    Moi l’autre : - Et puis ça rebondit. Et le personnage de Melvin Mapple s’étoffe. Et l’on voit que l’apparente transparence de la correspondance peut s’ouvrir à des jeux de miroirs vertigineux.
    Moi l’un : - Or c’est là, aussi, que la romancière nous laisse une fois de plus sur notre faim, mais c’est aussi sa signature. Elle a des idées souvent formidables, qu’elle ne développe pas. Pourtant ce n’est pas vraiment qu’elle reste en surface. Non : c’est autre chose : c’est sa mesure.
    Moi l’autre : - C’est cela même : c’est vif, fin, ça a l’air jeté mais ça ne l’est pas, c’est plein d’aperçus inattendus et parfois pénétrants…
    Moi l’un : - Ici un peu moins qu’ailleurs, mais ça ne mange pas de pain, comme on dit. Et les gens vont rentrer de vacances complètement crevés, fin août ils se « feront » donc un p’tit Nothomb genre limonade acidulée, fraîcheur de limoncello - on se réjouit pour eux, si ça se trouve...
    Amélie Nothomb. Une forme de vie. Albin Michel, 168p

  • Ceux qui restent partants

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    Celui que rien n’a blasé / Celle que toute déception fortifie / Ceux qui sont trop poreux pour moisir / Celui qui parie pour le meilleur des gens / Celle qui coupe court à toute jérémiade / Ceux qui ont découvert l’origine de la guerre en jouant de la pétanque et qui n’en ont pas moins continué de jouer paisiblement / Celui qui sait qu’un éclair suffit à distinguer ce qui est de ce qui n’est pas / Celle qui plaint ceux qui se plaignent de ce qu’elle ne se plaigne pas avec eux / Ceux qui trouvent en chaque aube l’image du neuf / Celui qui reste connecté en dépit du vertige glacé que lui inspire le virtuel / Celle qui se signale dans son réseau par un pseudo de célébrité vintage / Ceux qui ont donné un petit nom (secret) à leur webcam / Celui qui fait de tout une expérience à bien prendre / Celle qui règle ses comptes sur les murs de Facebook / Ceux qui n’ont plus rien à craindre qu’eux-mêmes / Celui qui se sent surveillé / Celle qui laisse partout des messages sans réponses / Ceux qui résistant à l’indiscrétion générale / Celui qui s’exprime sans attendre de retour / Celle qui se répand en confidences énervées / Ceux qui se raccrochent les uns aux autres / Celui qui suit sa ligne déconnectée / Celle qui ajoute à la beauté sans s’en douter / Ceux qui participent au chant du monde, etc.
    Image : Philip Seelen

  • L'homme de la pire des nuits



    A propos de L'école d'impiété d'Aleksandar Tisma


    L’homme peut-il se considérer lui-même d’égale façon avant et après Auschwitz, avant et après Hiroshima, avant et après les révélations faites sur le Goulag ?
    Ces trois moments de l’ignominie contemporaine ne sont-ils que des péripéties de l’Histoire, ni plus ni moins affreuses que d’autres calamités du passé, ou faut-il y voir la manifestation d’une mutation de l’Espèce ?
    Comment croire encore à la “justice divine” en un temps où le “peuple de Dieu” a fait l’objet du plus grand génocide scientifiquement planifié et accompli avec quelle haute compétence technique, réellement sans équivalent ? Comment envisager la finalité d’une créature devenue capable de son propre anéantissement ? Enfin comment espérer discerner le Bien et le Mal dans un monde dont les valeurs réputées les plus nobles sont perverties par l’usage des mots qui les désignent ?
    Ces questions sont posées, implicitement, par le non-agir de l’homme de la pire des nuits que met en scène Aleksandar Tisma dans L’Ecole d’impiété. L’homme de la pire des nuits, que Tisma désigne ainsi, dans la nouvelle éponyme, comme s’il s’agissait d’un nouveau type humain, est l’un des millions de déportés confronté, à la veille de son arrestation, qu'il sait absolument sûre et certaine, à l’alternative de la fuite ou de la résignation. Pourquoi, conscient de ce qui va leur arriver à l’aube, l’homme de la pire des nuits ne réveille-t-il pas sa femme et sa fille pour se sauver avec elles ? Est-ce parce que, justement, certaine réalité faisait encore partie, avant Auschwitz, de l’impensable ? Ou bien est-ce parce qu’il est impensable de se sauver seul ?

    Aleksandar Tisma. L'Ecole d'impiété, L'Age d'Homme.

  • Ceux qui ont de la peine

    Celui qui nomme les choses / Celle que la laideur fait souffrir / Ceux qui ne se résignent jamais / Celui qui rayonne en dormant assis très droit dans le train de Saint-Gall / Celle qui sourit aux aveugles / Ceux qui n’écrivent plus de lettres / Celui qui propose à la fleuriste de lui montrer la mer / Celle qui ne supporte pas leur regard vainqueur / Ceux qui sanglotent sans savoir pourquoi / Celui qui se sent vieillir en toute sérénité / Celle qui accompagne ceux qui ont choisi d’en finir / Ceux qui font face / Celui qui rêve de présider l’Association du Trèfle à trois Feuilles / Celle qui intrigue à la buvette parlementaire du Palais Fédéral / Ceux qui militent pour l’instauration d’un Avocat de l’animal / Celui qui prétend lire dans les pensées de son compagnon de vie Rodolphe Clapier / Celle qui prétend que Dominique de Villepin est le nouveau Saint-John Perse / Ceux qui pensent que l’internet est une machination de Satan que prouve l’inscription www / Celui qui élit les Nobles Esprits digne de l’escorter sur la Voie / Celle qui prend un billet pour l’île d’Ischia dès après avoir lu Villa Amalia de Pascal Quignard / Ceux qui se réunissent chez Gontran de Sépibus pour causer chasse à la palombe / Celui qui disjoncte à la réu des Ressources humaines de la firme Fullfill / Ceux que leur incontinence rend plus indulgents / Celui qui déballe ses exploits sexuels au bar Le Bubble du Bowling de Bormes-les-Bains / Celle qui se remonte le moral en se bourrant de marshmallow qu’elle dit elle-même une immonde saloperie / Ceux qui disent au revoir à leur piano à chaque départ en villégiature, etc.

  • Ceux qui se demandent à quoi bon ?

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    Celui qui se réveille accablé / Celle que la visite d’Angkor Vat émeut à proportion du désespoir de son grand-oncle Groslier lorsque les Khmères rouges ont brûlé dix ans d’archives de l’Ecole française d’Extrême-Orient / Ceux qui ont fini de reconstruire leur cabanon détruit le mois dernier par la tempête et dont personne n’a parlé / Celui qui fait son lit au carré dans le monastère de n’importe quelle confession / Celle qui coiffe son enfant dont elle sait maintenant qu’il ne survivra pas / Ceux qui lancent la nouvelle livraison du petit journal que presque personne ne lit / Celui qui dit la messe dans la chapelle effondrée pour deux trois paumés / Celle qui a choisi de ne plus se souiller la vue à la lecture des tabloïds / Ceux qui mettent un point d’honneur à vivre selon la devise du père Charles de Foucauld qu’ils ont mémorisé en leur âge de scouts candides : « Toujours en route, jamais arrivé, loin du doute et de la peur » / Celui qui se lève à cinq heures du mat pour en remontrer à sa belle-mère défaitiste / Celle qui a toujours pensé que c’était le poète qui console l’Humanité et qui sourit en constatant que le jeune Ducasse est du même avis / Ceux qui ouvrent une petite boutique où ils vendent quelques pensées pratiques et autres maximes de survie / Celui qui pense parfois que le lecteur est un malade que l’Auteur soigne et parfois le contraire avec la même sincère (et plausible) conviction / Ceux qui ont besoin de plans-programmes d’application pour leurs journées et ceux qui se fient à l’ordre naturel à la manière des oiseaux à nids super compliqués / Celui qui pense qu’il n’y a qu’un homme au monde (un homme qui est à la fois une femme, mais oui) et qu’un Dieu et qu’une Vérité et que tout ça se transforme merveilleusement selon les latitudes et les cultures sans changer beaucoup du point de vue du poids spécifique des larmes / Celle qui admet la validité probable de toutes les religions tout en ne vivant que celle de sa mère / Ceux qui subissent les heures saoules du découragement taciturne / Celui qui se piège lui-même dans les trappes de l’orgueil et de l’amour-propre / Celle qui se traite de fashion victime en ourdissant et fourbissant sa prochaine vengeance / Ceux qui ont admis depuis longtemps que le goût était le nec plus ultra de l’intelligence sans en faire pour autant le thème d’une pose mondaine quelconque / Celui qui fait pouffer sa classe de philo en multipliant ses doux sarcasmes de pédéraste non déclaré / Celle qui relit les compositions de ses cancres les plus inspirés pour se donner du courage face au têtes de cons premiers de classe / Ceux qui prétendent donner le ton de la Nouvelle Poésie avec leurs stances aphones où foisonne le végétal froissé et le minéral griffé ainsi que l’onde moirée enfin tu vois ça / Celui qui vocifère que seule l’épopée valaque est défendable dans le cadre de l’Union européenne / Celle qui s’arrache à telle secte des femmes de lettres diaphanes comme l’alouette à la glu / Ceux qui laissent le désespoir au vestiaire de ce dimanche 27 mars comme un vieux pébroque détoilé, etc.
    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui se lèvent tôt (ou tard)

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    Celui qui se lave le visage à l’eau de source / Celle qui salue l’astre du jour d’une incantation imitée du chaman Wagadu / Ceux qui restent fans de la première heure même touchant à leurs derniers instants / Celui qui affiche son optimisme matinal sur une pub format Univers lui ayant rapporté l’équivalent du centuple du salaire annuel d’une caissière de la COOP / Celle qui spécule dès l’aube sur son laptop dernier cri /Ceux qui attendent que le petit matin devienne grand pour se lever en forme géante / Celui qui sent que ce jour sera marqué gagnant sans se douter comment / Celle qui repart du 36e dessous et rencontre au 33e son voisin de palier rescapé de sa dernière tentative / Ceux qui ont connu Léautaud au cachot et Léotard au mitard / Celui qui se fait appeler Jean Nouveau alors qu’il est fils de Jacques Deuil / Celle qu’on dit perdue pour la société et qui s’en trouve bien dans le carré aux topinambours du couvent des Clarisses / Ceux qui se disent de mélancoliques mammifères point barre / Celui qui reste ce qu’il est au milieu des mutants / Celle qui se prépare à la méditation collective dans l’Ashram géant où ça commence de transpirer grave / Ceux qui n’aiment plus que via Facebook et même Twitter à la rigueur / Celui qui s’est tellement éloigné de lui-même qu’il ne ne sait plus où se retrouver / Celle qui se contente de son état de modeste modiste abonnée au Bibliobus / Ceux qui n’en reviennent pas de ne point être revenus de tout / Celui qui modélise la formule informatique de la petite madeleine de Proust pour en faire un objet d’exploitation fiable du point de vue de l’alimentation durable / Celle qui se présente en tant que nouvelle Cézanne des cantons de l’Est sans trop jouer sur son état de transsexuelle au niveau marketing médiatique  / Ceux qui n’ont pas encore arrêté le sujet de leur prochain best seller entre Kafka et Houellebecq / Celui qui se lance dans un roman américain à la Tom Wolfe ou à la Bret Easton Ellis ou à la Thomas Pynchon mais d’une totale originalité enfin tu vois le genre / Celle qui soupçonne sa mère de regretter sa période trotzkyste et autres postures vintages / Ceux qui se reposent sur leurs enfants et petits-enfants tous plus ou moins formatés Bologne et non fumeurs / Celui qui n’a plus d’amis que pour affaires / Celle qui a fait le vide autour d’elle en se gardant une ou deux poires pour sa soif d’euros / Ceux qui désespèrent de leur bilan globalement positif, etc. 
    Image : Philip Seelen

  • Top Folk

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    …Notre recherche de concepts authentiques est à la base de l’opération Montée à l’Alpage, dont raffolent nos visiteurs indiens et nippons, l’offre de notre agence prévoit jusqu’à sept séquences par jour en décor naturel, l’enfant et les vaches sont d’origine, de même que les costumes des figurants kosovars…
    Image : Philip Seelen

  • La petite chauve

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    …Vous ne pouvez vous imaginer combien ma vie était morose et désespérée, cet hiver-là si terrible et noir, avant que je ne reçoive sa première lettre où il m’appelait son ange puceron sans m’avoir jamais rencontrée, on avait dû lui parler de moi comme de sa vague cousine malade de Paris au teint de lys flétri et au cœur esseulé, on l'a poussé à m'écrire pour le sortir de son propre cafard, mais que le petit Chose ait pu me deviner telle que je suis dès son premier message de passion, comme il appelait ça, là ça m’a pour ainsi dire donné ma première envie de guérir…
    Image : Philip Seelen

  • Les Justes

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    …Et comme il y a une Trinité, nous sommes là, les Préférées du Seigneur, face à Lui, en pleine Lumière, tandis que les autres, celles qui Le regardent de biais, ou qui Lui tournent carrément le dos, ne sont encore que de pauvres chaises cannées qui se cherchent, ma foi…
    Image : Philip Seelen

  • Human Touch

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    …Enfin le message que j’aimerais faire passer à la fin de ce week-end de coaching, amies et amis collaborateurs, c’est que toute cette réflexion sur le vécu de notre senti, y compris l’échange collectif sur le cri primal que certains d’entre nous, n’est-ce pas Mademoiselle Lepoil, ont vécu comme une révélation, ne trouvera son plein sens que par un réinvestissement de chacune et chacun dans le Corps revitalisé de l’Entreprise, et cela dès la reprise en mains de lundi…
    Image : Philip Seelen

  • Briefing

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    ...Il est donc stratégiquement important, en ces temps de crise, et par rapport à notre public-cible, de redéfinir les priorités du magazine en comptant à la fois sur la montée en puissance des nouveaux libertins de la classe mezzo, capucins compris, et sur le must que demeure une façade intellectuelle clairement affichée – tout cela restant à chiffrer scientifiquement selon notre Copy-Test…

    Image : Philip Seelen  

  • Note d'espoir

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    …Quant à l’avenir de la jeune garde, dont certains esprits chagrins vont prétendant qu’il n’est rien moins que radieux, notre Parti a choisi de parier pour l’encouragement positif en donnant, sur fond de grisaille indéniable, un signe clair à couleur d’espérance…
    Image : Philip Seelen

  • L'un dans l'autre

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     … Tu me diras ce que tu veux mais le corps de ce chien est celui d’une femme, de même que la façon du chien de regarder son Maître est celui de la femme qui regarde le maître de leur chien, et l’âme de la femme a la même douceur de la pierre dont émane l’âme du chien qui regarde le Maître de la femme…

    Image : Philip Seelen

     

  • Réminiscence

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    …Et pourquoi, je t’en prie, le petit pan de mur jaune de Proust ne pourrait-il pas être un grand pan de mur orange, regarde-ça, essaie d’expliquer ça à tes kids qui n’ont aucune idée de qui est Vermeer mais qui savent très bien ce que c’est qu’un souvenir perso ou l’impression que tu peux tout retrouver de telle ou telle année à travers tel ou tel détail, j’sais pas, Radiohead sur fond de ciel rouge la nuit où t’as rencontré la fille de tes rêves, des trucs comme ça…
    Image : Philip Seelen

  • L'Unique

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    … Ya plein de femmes dans le monde, c’est prouvé par les statistiques, mais cette femme que ce doigt désigne, même si c’est pas bien de montrer du doigt comme ça, cette femme est unique, comme toute femme d’ailleurs est unique, mais celle-ci est particulièrement unique puisqu’un homme unique, du nom de Duplomb, a pu dire de son vivant que c’était SA femme…

    Image: Philip Seelen

     

  • Les deux écoles

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    …Freud a prétendu, dans son analyse du rêve dit de L'enchaîné, que la transformation du piège en couronne, au front du Fils, illustre in-dis-cu-ta-ble-ment une forme patente de sublimation dont la mère castratrice (la Reine invisible) est évidemment l’Objet, mais Lacan revisite la thématique de l’arène invisible où se joue le drame du pied que le Prince coiffé des dents de la mère ne peut prendre…
    Image : Philip Seelen

  • Incognito

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    … L’agréable dans le quartier c’est que tu passes complètement inaperçu, même si tu viens de tuer quelqu’un ou de ressusciter quelqu’une, de faire danser un quatuor d’hippocampes dans l’aquarium de Maître Lin aux longues oreilles, ou d’extraire un cœur de rainette de son corps gracieux pour le voir battre sous le ciel mauve d’une tapisserie Song - moi dont le père était griot à Barbès, et qui maîtrise aujourd’hui l’Oud yéménite et les Essais de Montaigne, je traverse le quartier sans être plus remarqué que le djinn dans la médina ou au front de guerre, quand le danger rend plus belles les invectives matricides d’une dune à l’autre…
    Image : Philip Seelen

  • Ceci est mon cor

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    … A la différence de la trompette coudée ou du gyrophone ordinaire, notre instrument s’abouche à tous les vents de la Rose, de la plus frêle brise aux rugissants à grain noir, dont le souffle devient musique par la modulation du convertisseur de fluide éthéré - et c’est ainsi qu’un alizé rivalise avec le plus pur Fauré tandis qu’un vent d'orage te relance un Verdi du tonnerre de cuivres...

    Image : Philip Seelen  

     

  • Le pour et le contre

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    …Nostalgie, nostalgie, je ne sais pas, ah certes je ne saurais décrier le temps des fiacres, lorsque nous faisions cattleya sous la capote, pourtant gardons-nous d’idéaliser cette époque qu’on a dit Belle et qui fut celle aussi du gaz ypérite et de l’influenza, tandis qu’à présent, même sous les pluies acides ou les retombées de volcans vous sortez couvert et vous êtes tranquille…
    Image : Philip Seelen

  • Michel Tournier voyageur

     

    LireTournier.JPGL’auteur du Roi des Aulnes à travers la géographie du monde, des idées et des mots. Un nouveau titre de la collection Voyager avec... que dirige Maurice Nadeau.

     

    À en croire le grand éditeur et critique Maurice Nadeau, qui incarne « le » découvreur des littératures contemporaines   en France, de Malcolm Lowry à Michel Houellebecq, en passant par J.M. Coetze et tant d’autres, l’écrivain voyagerait autrement que le commun des mortels, touriste conditionné ou bourlingueur à tout va. Parce qu’il serait supérieur à ses semblables ? Nullement. « Par vocation, par habitude, par métier, il regarde. Il ressent, il rêve, il médite. Il se réjouit ou il regrette, il approuve ou il dénonce, comme nous tous ». Nuance pourtant : « À la différence de nous tous, il exprime. »

    C’est ainsi pour ce qu’expriment les écrivains en voyage, parfois sur commande, comme un Cendrars ou un Simenon en reportage, parfois pour raison de santé ou d’exil, parfois encore simplement pour voir le monde que la très remarquable collection « Voyager avec… » a été conçue par Maurice Nadeau à la double enseigne de Louis Vuitton et de la Quinzaine littéraire.

    Le vingt-deuxième titre de ladite collection est consacré aux voyages de Michel Tournier aux quatre coins de la planète. L’Auteur du Roi des Aulnes rejoint donc la liste des écrivains accueillis jusque-là, qui représente à elle seule un formidable programme de lecture-exploration à travers la littérature du XXe siècle. On y croise ainsi, pour citer deux grands classiques anglo-saxons, les routes au long cours d’un Joseph revenu de toutes les tempêtes avec un esprit d’analyse d’une pénétration sans pareille, ou d’un Henry James jetant des passerelles entre Europe et Amérique. Dans la foulée, nous voyons à quel point ces « vieilles barbes » ont pressenti, devant l’effondrement des empires, les mutations que nous vivons aujourd’hui. De la même façon, c’est à travers ses voyages à Berlin, à Paris, en Amérique ou au Mexique, que nous comprenons le rapprochement prémonitoire que le poète soviétique Vladimir Maïakovski établit entre le gigantisme des puissances technologiques rivales, tout en vivant un déchirement qui le conduira au suicide.

    Trois grands écrivains femmes, dans la même collection « Voyager avec… », à savoir Virginia Woolf, Marguerite Yourcenar et Simone de Beauvoir, illustrent, chacune à sa façon, une façon de voyager où le thème de l’émancipation se trouve modulé, qu’il soit à caractère affectif et existentiel ou fondé sur des composantes sociales ou politiques. Dans les trois cas, en tout cas, l’élément sensuel traluit avec plus d’intensité au fil de journaux intimes ou d’écrits épistolaires. La correspondance est d’ailleurs, pour tous les écrivains en voyage, une base littéraire récurrente, comme l’illustrent évidemment les Lettre à une compagne de voyage de Rilke. Quant à l’écrivain de science fiction Philip K. Dick, présenté comme un « zappeur de mondes », il rebondit pour sa part dans un voyage initiatique et psychédélique où « dérailler est peut-être la meilleure façon d’arriver ».

    Et chacun, de Le Corbusier à François Maspero, ou de Walter Banjamin à D.H. Lawrence, de parcourir et d’exprimer un labyrinthe à sa ressemblance. Ainsi, décriant toute vie intérieure, Michel Tournier célébrera-t-il le voyage « extime »…

     

    Tournier le géophile

    Michel Tournier a beaucoup voyagé au cours de sa longue vie. Or, c’est un autre voyage à travers la vie et l’œuvre de l’écrivain que nous propose ce très substantiel recueil de textes choisis et commentés par Arlette Boulaumié, spécialiste de l’auteur.

    Convaincu qu’un écrivain est marqué à vie par les lieux d’élection de son enfance, comme il le fut lui-même par ses vacances en Bourgogne, Tournier consacre de belles pages à cette terre première, puis à l’Ouest normand, à sa bohème parisienne en lÎle Saint-Louis et à la Provence, avant de s’attarder à l’Allemagne dont il parle, germaniste distingué, avec une connaissance approfondie.

    Pour le reste du monde, d’Afrique en Israël ou d’Islande au Japon – où il dit qu’il pourrait vivre -, via le Canada, l’Inde ou le Brésil, l’écrivain affirme qu’il a aimé tous ses pays en préférant, toutefois, le « repaysement » au dépaysement…

    Au fil des évocations, la constante mise en relation des observations de l’écrivain en voyage et de leur impact dans son œuvre de romancier, ou dans ses essais, double l’intérêt de l’ouvrage, encore enrichi par le contrepoint des photographie d’Edouard Boubat, complie ce longue date.

    Il en résulte un livre des plus éclairants pour qui s’intéresse à Michel Tournier et à son œuvre, illustrant son goût pour la géographie en tous ses états.

    Ces articles ont paru dans l’édition de 24Heures du 3 juillet 2010.

  • Les Invisibles

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    En vérité je vous le dis : notre secte est la seule au monde qui n’exige aucune espèce de présence repérable selon les normes visibles, et même si son influence s’accroît chaque jour de manière exponentielle à tous les niveaux de tous les pouvoirs, nul ne peut dire qui en est ou croit en être puisque nul n’accède jamais aux comptes du Chiffre Rouge…
    Image : Philip Seelen

  • Fierté de l'Agent

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    …C’est vrai que passer d’agent de la circulation à gérant des flux demande une certaine pratique et surtout du sang-froid, en fait tout est dans la maîtrise modulée des interconnexions et plus encore dans l’évaluation anticipée des dysfonctionnements aléatoires, mais tu verras que c’est plus difficile à dire qu’à faire, camarade policier, et qu’on n’a pas fait tout ce chemin pour se contenter de presser le bouton rouge…
    Image : Philip Seelen

  • Contamination

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    …T’as besoin d’une traduction, t’as besoin d’un dessin, t’as besoin d’un rappel des faits, t’as besoin d’un tableau statistique des conséquences de l’événement et de ses retombées à long terme, ah bon ça ne te rappelle vraiment rien, tu dis que personne ne vous a jamais parlé de ça, et tu penses que ça ne concerne plus les gens de ton âge, et tu estimes qu’il vaut mieux tourner la page ?...
    Image : Philip Seelen

  • Panopticon mode d'emploi

    Panopticon5643.jpgPanopticon99992.jpgPanopticon666.jpgPanopticon10.JPGPanopticon66.jpg Panopticon34.jpg

     

     

    Sur 20 mois d'exercice de contrepoint avec Philip Seelen (photos) et JLK (textes)

     

    Il y aura vingt moi, ces jours, que nous avons entrepris, avec Philip Seelen, grand connaisseur de l'art photographique et imagier lui-même, un jeu de contrepoint que nous avons intitulé Panopticon et qui compte, aujourd’hui, près de 300 unités, dont on retrouve une partie classée sous cette mention sur la page d'accueil du blog  littéraire de JLK : http://www.hautetfort.com. Mais de quoi s’agit-il plus exactement ?

    Il s’agit d’une brève séquence de texte accolée à une image. Le processus est inamovible. Philip, le plus souvent établi à Paris, m’envoie des séries d’images (il doit y en avoir plus de 2000 en tout), desquelles je retiens celles qui me parlent illico ou m’évoquent quelque chose. En regardant l'image d’un œil, je compose sous l’autre une phrase dont la seule ponctuation est faite de virgules, à la rigueur de points-virgules, entre deux couples de points de suspension. Si le procédé relève du système, voire de la contrainte, le ton et la manière de chaque texte sont absolument aléatoires, entre délire lyrique et pointes satiriques, observation du passant ou note méditative du flâneur. À ce propos, le hasard des parutions m’a fait recroiser en chemin celui de Walter Benjamin, maître flâneur et cueilleur de signes s’il en fût. Une sensibilité proche et le même goût de la ville autant que de la nature plus ou moins sauvage va de pair, chez Philip et moi, avec un goût prononcé pour le second degré, ce qui ne manque parfois de troubler certains lecteurs, voire de les déstabiliser. Nous en sommes désolés mais craignons, étant ce que nous sommes, d’avoir à persévérer dans ce mauvais esprit. À préciser enfin que l’ exercice du Panopticon se fait, entre nous, sans la moindre concertation. Philip n’a jamais conçu une image à partir de mes écrits ; il découvre ce que j’écris sur ce qu’il nous a fait voir sans jamais le retoucher – telle étant la règle du Jeu.

     

    La Désirade, ce 4 juillet 2010.

     

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  • Par delà la haine

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    La régate, un très beau film, violent et tendre, de Bernard Bellefroid.

    Alexandre, quinze ans et un potentiel de champion d’aviron, ne prend d’abord que des coups. Son père le tabasse, sa petite amie lui bat froid et son coach lui reproche ses absences. Au fil des épreuves, il comprend cependant qu’il ne s’en tirera qu’en surmontant sa rage orgueilleuse, avec l’aide de son entraîneur, de son amie bienveillante et d’un rival qu’il finit par accepter comme coéquipier au fil d’une épreuve partagée en mer...
    Si la victoire sportive finale lui échappe après que son père lui a brisé une main, le garçon sort grandi de ses tribulations. Le dernier regard qu’il adresse à son vieil ado de père en dit long à cet égard.
    Marqué par autant de violence que de tendresse, et réellement bouleversant dans les séquences finales, La régate de Bernard Bellefroid rappelle à la fois le réalisme social des frères Dardenne et le mémorable docu-fiction d’Ursula Meier, Des épaules solides. Si le thème central est le conflit entre un père loser et son fils s’acharnant à se sortir de la dèche par l’auto-affirmation exaltée du sport de pointe, le film en impose autant par sa tension radicale que par ses nuances affectueuses.
    De toute évidence, Bernard Bellefroid aime ses personnages, jusqu’à l’abjection du père, dont il travaille la pâte humaine en plein accord sensible avec ses comédiens. Tous sont remarquables de présence et de vérité, à commencer par la paire explosive du fils (le jeune Joffrey Verbruggen, d’une intensité incisive) et de son paternel délabré (Thierry Hancisse, formidable de veulerie émouvante), avec lequel contraste l’entraîneur (Sergi Lopez, tout de justesse lui aussi). Le mot justesse caractérise d’ailleurs ce film à tous égards…

    Sur les écrans romands dès le 7 juillet.

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  • Tentation

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    …Votre sagesse cherche le sens du mot écrit tandis que vous tendez la main vers la lumière que celui-ci diffuse,  puis votre main est saisie par votre folie qui la pousse à toucher le mot à quatre lettres, comme DIEU, mais votre sagesse rappelle à votre main que le mot DIEU dans cette langue se dit GOD, alors votre main, follement, tremble…

    Image : Philip Seelen

     

  • Ceux qui tiennent bon


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    Celui qui console la veuve dont l’orphelin n’est plus / Celle qui badigeonne les costauds de mercurochrome / Ceux qui chantent en chœur sous les fenêtres de la maîtresse de piano en fin de vie / Celui qui porte la paralytique jusqu’à la rivière aux creux revigorants / Celle que L’Annonciation de Fra Angelico réjouit toujours autant même à l’état de repro minable / Ceux que le seul souvenir de leur mère apaise / Celui qui remonte la pente en se récitant divers poèmes / Celle qui se calme en se rappelant que c’est jour de visite / Ceux qui se font du bien au parloir / Celui qui fait des patiences avec la dame russe / Celle qui remonte la pendule des esseulés de la barre Saint-Ex aux escaliers délabrés / Ceux qui s’en tirent finalement sans tirer / Celui que revigore le spectacle de la rue en liesse / Celle qui ne pleure plus que pour les autres / Ceux qui se reconnaissent à la salle de lecture de la prison en dépit de tant d’années / Celui dont le seul timbre de la voix rend confiance aux accros de la Ligne de cœur / Celle qui se rend au bal des éclopés d’un bon pas quoique boitant bas / Ceux qui se satisfont de mieux faute de mieux / Celui que les lettres de sa marraine belge font tenir le coup au pavillon des cancéreux / Celle qui échappe à son voisin moitié chapon moitié hyène / Ceux qui trouvent en la poésie tout ce qui les dépasse / Celui qui reste debout quand il s’agenouille / Celle qui trouve son bonheur dans les sorties du Groupe Spirituel / Ceux qui ne se fient qu’aux poètes / Celui qui n’est à l’aise que dans l’énoncé des contradictions par l’Image / Celle qui estime que parole et parabole vont de pair / Ceux qui savent que biens de cendres ne leurrent que doigts de fumée / Celui qui se dirige aux étoiles même par temps dans sa cellule aux relents d’urine / Celle qui voit à son tour « les méduses du rêve aux robes dénouées » / Ceux que leur pessimisme rend encore plus gais / Celui que déprime la frime positive / Celle qui se purge de toute vanité en se trouvant si vaine qu’elle en sourit d’indulgence plénière ou quéchose comme ça / Ceux qui savent que la poésie est un art de l’être mais n’en font pas un plat, etc.

    Image : Philip Seelen