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Livre - Page 131

  • Dernières nouvelles

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    Récits de l'étrange pays, 6.

    À vrai dire, et ça ne s’arrangeait pas avec le temps, Pascal Ferret ne se trouvait bien qu’avec les gens et quels qu’ils fussent, très bons ou très cons, même les pires selon son goût mais qu’il écoutait de la même façon. De fait, ne parler qu’avec lui-même ne lui suffisait pas plus que jamais il ne s’en était contenté, l’ennui de se sentir au fond le même en dépit de moult mues et métamorphoses, la barbe de ne s’engueuler qu’avec son double ou de se réjouir en Suisse, comme on dit, la gêne aussi de se sentir tellement épargné par la mouise et comme préservé à vie, tout cela nourrissait et renouvelait son inépuisable propension à recevoir les autres à sa table, pour ainsi dire, et les autres y étaient attirés et se confiaient plus qu’à qui que ce fût dans les lieux où il s’attardait, aux Fruits d’or où il bouquinait, à la Solderie des Oiseaux, dans les troquets du Vieux Quartier ou à la cafète de la rédaction désormais sans âme mais point sans personnes vivantes et trébuchantes, à parler de tout et de rien, et même des nouvelles du nouveau jour, mais surtout de la vie qui va sans croiser forcément le fait divers sanglant qu’il était toujours supposé chroniquer - le chien ou l’enfant qu’on oublie sur l’aire autoroutière, la jeune écervelée qu’on écrase la nuit et qu’on oublie de relever, le schizo barjo que son moche caractère a fait que tous l’ont oublié jusqu’au jour où il crève la UNE des journaux en forcené déchaîné -, Pascal fameux pour la Human Touch de ses papiers, disait la chefferie du Populaire, Pascal le dino, soixante balais passés sous ses airs de beatnik attardé, Pascal donc qui aimait les gens quels qu’ils fussent sans se faire trop d’illusions ni trop de mauvais sang non plus, Pascal Ferret qui savait fort bien, lui, qu’il n’avait pas tout vu, et qui partait en somme de cet axiome : qu’on n’a rien vu jusque-là, petite, petit, et donc qu’on s’en raconte sans faire semblant de s’en conter - bref, Pascal faisait attention aux gens, mais attention : très attention…


    Des nouvelles du jour, que Pascal recevait, comme chacun, sur son computeur personnel connecté à longueur d’heures, les multiples personnages qu’il y avait en lui faisaient l’usage qui leur était propre, mais ces derniers temps le révolté en lui, en activité volcanique depuis ses treize ou quatorze ans, ne décolérait pas devant les délits des fuite et toutes espèces, de tout en bas de la société où se développait la vieille idée repoussante du pas-vu-pas-pris, à tout en haut où se déployaient les auréoles du bien-penser et autres parachutes dorés.

    Autant dire que, sous ses dehors absolument sereins de briscard localier qui en a vu d’autres, comme on dit, le jeune révolté en Pascal Ferret piaffait tandis qu’il attendait le Dr Selim au nouveau kebab jouxtant Les Fruits d’or, et le vieux moraliste protestant en lui s’indignait de concert, mais l’acteur tragique raté, en Pascal, le poète shakespearien sans œuvre, l’ami de l’impossible libraire Lesage qui avait crevé de tabagisme il y avait à peine un an de ça et que Cléo avait remplacé au pied levé aux Fruits d'or, ce Pascal infiniment mobile et plastique sous son air de vieil Indien, le doux ami de ces dames qui se racontaient ses attentions, le doux ami des enfants du quartier des Oiseaux que la Mère Moderne surveillait évidemment, Pascal le très divers sous son nom tout simple fumait à l'instant sa clope à laquelle, tout à l’heure, son ami Hassan jeté, la veille, de son job, allumerait la sienne.

    Image: Philip Seelen

  • Amis virtuels

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    Récits de l'étrange pays, 5.     

    Je retrouve mes amis Léa et Pascal chaque mercredi soir, sous le Cervin mandarine du Buffet de la Gare de première classe, un peu à l’écart des groupes politiques, à notre table où le serveur Eusebio, mon complice portugais, prépare mon seul couvert et les trois verres rituels.

           Le fait que je mobilise trois places pour une soirée entière, avec les deux personnages que je préfère de mon roman virtuel, ne pose aucun problème à Eusebio, pas plus qu'à Narval, le patron de l’établissement qui m’aime bien lui aussi, s’amusant de ma lubie et me demandant parfois, comme Eusebio, de lui raconter la suite de mon roman en chantier, ou me rapportant des épisodes de sa vie à lui, comme Eusebio de la sienne, dont je ferai sûrement un chapitre captivant, pensent-ils tous deux en leur candeur. 

    Comme tant d’autres fois, cependant, c’est à Léa et Pascal que je consacre toute mon attention, toujours avide de les voir me ramener à ce que je tiens pour la vraie vie, dans laquelle chacun est immergé jusqu’au cou, Léa la première.

    Léa a toujours marché du côté de la vie, elle n’a fait toute sa vie que rompre avec ce qui la séparait de la vie, elle a fait plusieurs fois le tour de plusieurs mondes avant de s’établir aux Oiseaux où elle a tiré quelque temps Pascal de sa mélancolie avant d’aller de l’avant de son côté, jusqu’à la Solderie des Oiseaux sur laquelle elle règne désormais à sa façon de fée bohème, au milieu d’objets de toutes provenances et de force livres et de force journaux, à écouter les gens se raconter et à rédiger toutes espèces de papiers que leur qualité de sans-papiers requiert.   

    Pourtant ce n’est pas parce qu’elle passe ses journées avec ces gens de partout que nous aimons Léa, ni pour ses penchants humanitaires que nous raillons un soupçon, Pascal et moi - ce n’est pas son côté samaritaine qui nous touche mais c’est parce qu’elle est Léa, comme Pascal est ce Pascal que Léa et moi tenons pour notre ami à vie, Pascal qui s’est toujours tenu du côté de ceux qui  ne vont pas vers la vie mais la laissent les imbiber, comme l’alcool l’a imbibé et comme la poésie l’a imbibé et continue de l’imbiber dans ses menées d’ancien reporter au long cours désormais réduit aux basses besognes du Quotidien de naguère devenu tabloïd, auxquelles il se plie d’ailleurs sans rechigner, comme une sorte de vieux pirate rangé des bordées ou de saint laïc dont la seule présence m’est aussi chère que celle de Léa, et leur extravagante douceur à tous deux.

    À l’effrayante violence du monde, tantôt exaltée et tantôt acclimatée sous les traits de la plus fade et fausse bonté, je ne vois ce soir à opposer que le murmure de trois amis virtuels réunis à une table et qui ne font que parler de la vie bonne, de la vie belle, de cette putain de vie qui continue sous les dehors de la mort partout en mal de contamination, je ne vois à opposer à la consommation forcenée que notre seule présence qui est consumation, et toutes les tables alentour se mettent à tourner tant j’ai sifflé de demis avec mes amis, puis Eusebio me rejoint et nous parlons, le patron Narval nous rejoint et nous parlons, les tables politiques de nos supposés amis et de nous présumés ennemis se rapprochent et tout le monde se met à parler sous le Cervin mandarine -  et c’est la vie…  

     

    Image: Philip Seelen

  • Dernier amour

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    Récits de l'étrange pays, 4.
    C’est par le diacre indien Kishore, qui l’avait assisté à la maison de repos L’Etoile du Matin, que la famille fut informée, à l’enterrement de son fils Matthieu, de ce qui était arrivé à l’oncle James depuis sa première tentative de suicide, au lendemain de sa mise à la retraite anticipée.

    Malgré le silence ombrageux dans lequel s’était replié l’oncle James, longtemps considéré comme le boute-en-train par excellence, la famille savait déjà que sa mise à la retraite anticipée l’avait pour ainsi dire cassé, alors qu’il aurait pu y voir un geste de reconnaissance de l’Entreprise, eu égard à ses quarante ans de bons et loyaux services. Or, ce que le diacre Kishore apprit ce jour-là à la famille, c’est que l’oncle James en avait été terriblement humilié, comme il avait été humilié, des années après son veuvage, d’apprendre que son fils Matthieu, revenu d’Angleterre, s’était désormais établi dans le chef-lieu d’un canton alémanique où il avait ouvert un cabinet de vétérinaire avec son ami cubain Ernesto, sans oser lui en parler.

    Bien entendu, comme tout se sait dans une famille, la préférence sexuelle de Matthieu, le fils de James, était connue de tous, mais personne n’y avait jamais fait allusion de vive voix, sauf peut-être l’oncle Victor à l’heure des cigares, en l’absence de James et quand les langues se déliaient entre messieurs. Plus qu’aucun autre, le solide Victor, qui enrageait lui-même de n’avoir qu’une fille, se doutait de l’humiliation qu’avait dû représenter pour James, boute-en-train par excellence et joyeux drille jamais en mal d’une plaisanterie leste, le fait de se retrouver avec une pédale sur les bras, selon l’expression de Victor, et probablement de James lui-même. Cela étant, la famille était restée aussi discrète que gênée à ce propos; après tout la tuile menaçait un peu tout le monde au jour d’aujourd’hui, se disait-on, et les relations avec James s’étaient espacées, la famille avait juste revu le père et le fils à la mort de la tante Noémie, beaucoup plus âgée que James et mal portante depuis des années, puis on avait entendu parler du départ de Matthieu à Manchester, de la casse de James et de son internement à L’Etoile du Matin dont on ignorait qui l’avait ordonné et où il était en somme considéré comme relégué à vie…

    De toute évidence, le diacre indien Kishore savait que la famille n’avait plus prêté la moindre attention au sort de l’oncle James après sa première casse, suivie de plusieurs autres tentatives d’en finir, qu’il avait interprétées lui-même comme autant d’appels au secours ; et Kishore ne fit pas la moindre allusion à son propre rôle dans le retour à la vie de l’oncle James, mais il insista néanmoins, mine de rien, sur le fait que jamais Monsieur James n’avait demandé la moindre nouvelle d’aucun membre de la famille, sauf de son fils auquel, précisa le diacre, il désirait plus que tout demander pardon.

    La famille ignore, aujourd’hui encore, la raison pour laquelle l’oncle James a éprouvé le besoin de demander pardon à celui que certains continuent, en leur for intérieur, d’appeler cette pédale de Matthieu.

    Un certain malaise a été remarqué lorsque le diacre a raconté les retrouvailles du père et du fils, en présence de l’amant cubain de celui-ci, mais le diacre Kishore n’a rien cru devoir dire à la famille de l’amour avec lequel Ernesto s’est occupé du père dès le début de la maladie de cette pédale de Matthieu, enterré ce jour-là...

    Image: Philip Seelen

  • Délit de faciès

     

    Zarkawi.jpgRécits de l'étrange pays, 3.

    Il m’a paru évident, lorsque la Cheffe du service des prothèses de la Top Clinique m’a appris que mon traitement ne pourrait se poursuivre avec le Dr Selim, après que j’eus insisté sur le fait que je tenais précisément aux soins de ce spécialiste, que l’argument selon lequel le Dr Selim avait trouvé un nouveau job plus satisfaisant pour lui cachait autre chose qu’on ne voulait pas me dire - et je me suis dit alors qu’il y avait toujours eu, décidément, autre chose avec le Dr Selim.

    M’étant ensuite adressé au responsable des Ressources Humaines de la Top Clinique, suavement glacial comme la plupart des responsables de RH, je m’entendis d’abord confirmer la version selon laquelle le Dr Selim s’en était allé de son plein gré, ce qui me paraissait peu crédible après ce que le Dr Selim m’avait dit de son peu de chance de trouver le moindre emploi hors de la Top Clinique, puis, constatant mon insistance et se doutant que je savais autre chose à propos du Dr Selim, le responsable des ressources humaines de la Top Clinique convint en soupirant qu’il avait été prié par la DG de se séparer de ce spécialiste pourtant éminent, sans doute le meilleur que l’établissement avait employé jusque-là dans le domaine des prothèses modulables.

    Sans me vanter, et les assistantes du Dr Selim me l’ont fait remarquer d’ailleurs à plusieurs reprises, non sans me laisser entendre qu’il y avait peut être autre chose dans l’intérêt que me portait le spécialiste, je crois pouvoir dire que j’étais devenu le client préféré du Dr Selim, et presque son ami, jusqu’au jour où un séjour en Italie m’avait contraint d’interrompre le traitement durant quelques temps.

    Si le Dr Selim m’appréciait plus que ses autres clients, m’avait-il dit, c’était à cause d’un certain humour à froid qui m’avait fait lui remarquer, un jour, qu’il lui manquait juste la barbe islamiste classique pour représenter le sosie absolu d’un des hommes le plus recherchés de l’époque, en la personne du terroriste Abu Musad Al-Zarkawi. Déjà intéressé par les complications particulières que lui imposaient la préparation de ma prothèse modulable, le Dr Selim avait apprécié le fait qu’un type de mon genre, partageant avec lui le goût des chansons de Johnny Cash et de la poésie arabe, puisse s’accommoder des soins d’un quasi sosie du redoutable Al-Zarkawi sans regimber, alors que maints clients prétextaient autre chose quand ils découvraient à quelle espèce de spécialiste des prothèses modulables ils avaient été confiés, pour lui préférer un de ses collègues.

    Même sans barbe, et même roulant en Volkswagen blanche, m’avait confié le Dr Selim, ma vie est pourrie à chaque frontière et dans les gares, je ne vous raconte pas, sur les places de nos villes et partout où les nouveaux plans de sécurité permettent à n’importe quel agent de m’interpeller, de m’arrêter et de me fouiller, à priori convaincu que mon badge de la Top Clinique cache autre chose.

    Bien entendu, je ne saurais nier qu’il y ait effectivement autre chose entre le Dr Selim et moi, qui motive finalement mon impatience de le retrouver, et non seulement pour la maintenance de ma prothèse. De fait, mis en confiance par mon attention, Hassan a commencé de me raconter l’histoire de sa famille, entièrement massacrée lors des événements qu’on sait, et du coup je me suis senti plus proche de lui, sans trop savoir pourquoi… 

     

  • Le forcené

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    Récits de l'étrange pays, 2.


    Des années après l’affaire dite du forcené de Nidau, il nous arrivait encore, à l’Auberge de la Treille, d’évoquer les péripéties qui avaient fait la une des tabloïds pendant une bonne semaine, alors que ce fut, pour nous autres mauvais esprits, l’occasion de fustiger tout ce qui, de près ou de loin, représentait l’Autorité à nos yeux d’anciens étudants enragés, tout en manifestant notre soutien à notre camarade de la grande époque de la Jeunesse Progressiste, devenu symbole d’une résistance panique aux forces de l’ordre alors même qu’il s’était pour ainsi dire retiré du monde depuis des années et que nous l'avions tous perdu de vue.

    Dès que nous avions reconnu notre ancien compère au TJ du soir, dont le regard farouche et la barbe hirsute avaient immédiatement été associés à l’expression réitérée de forcené, nous nous étions sentis à fond de son côté, selon l’expression de notre compère Lustig. Le lendemain, quand les tabloïds avaient diffusé la première série d’image du présumé forcené défendant la maison familiale mal entretenue dont l’Autorité prétendait le chasser, ce parti pris solidaire s’était trouvé décuplé, encore accentué par le fait que notre ancien camarade avait lâché une première salve de chevrotine contre les collaborateurs de la police locale, crevant l’œil de l’un d’eux et provoquant la montée en puissance de l’action policière, l’arrivée de 500 collaborateurs de l’Unité Spéciale et l’évacuation de tout le quartier des Bleuets au milieu duquel, selon les médias unanimes, la maison familiale mal entretenue, désormais comparée à Fort Apache, détonait.

    Parmi les réactions que l’affaire dite du forcené de Nidau avait provoquées, entre autres analyses de psychologues et de spécialistes de l’incivilité, nous aimions particuliètrement nous gausser, à la Treille, de celle du romancier en vue R., notre ancien condisciple de la Faculté des sciences politiques de Neuchâtel, qui était intervenu en duplex de Rome, où il se trouvait alors en résidence d’écrivain, pour dénoncer l’intervention massive des unités de choc de la police assimilables, selon lui, à un exercice de type préfasciste, selon son expression, annonçant de sombres lendemain dans ce pays travaillé, toujours selon lui, par un instinct de mort. À propos de notre compère dit le forcené de Nidau, l’écrivain avait insisté sur le fait que son attitude, quoique confuse, signalait un malaise éprouvé par la plupart des habitants de ce pays incapable de gérer la différence, comme l’illustraient d’ailleurs ses propres romans. Lustig n’avait pas son pareil dans l’imitation du romancier R., dont nous nous gaussions de la propension à répéter que ce pays rampait devant les banquiers alors que lui-même vivait pour ainsi dire de subventions de l'Etat depuis qu’il avait décidé de consacrer sa vie au seul sacerdoce de l’écriture.

    Avec le recul des années, entre une partie d’échecs et une partie de cartes, nous aimons nous rappeler l’affaire dite du forcené de Nidau, à La Treille, en revenant sur tel ou tel détail plus joyeusement grotesque que les autres. Nous aimons nous rappeler la mine grave du Commandant des unités spéciales, le soir de l’arrestation du forcené, après l’intervention décisive du chien de police Iago, félicitant ses collaboratrices et collaborateurs d’avoir ménagé leur vie et celle des habitants du quartier des Bleuets. Lustig imite volontiers, aussi, l’air penaud du maire de la bourgade, jusque-là sans histoires, de Nidau, venu confesser au TJ du soir certains dysfonctionnements de son Administration dans le suivi social du forcené. Nous aimons nous rappeler les racontars liés au parcours public et privé de notre camarade dit le forcené de Nidau, présenté d’abord comme un as en physique au caractère jugé difficile par son entourage, puis comme un mathématicien toujours dans les nuages, ou encore comme un ancien sympathisant de la Rote Armee terroriste, ou enfin comme un collectionneur d’armes de guerre, mais ce que nous préférons est de relancer Lustig dans son imitation de l’ancienne institutrice du prétendu forcené, venue témoigner à l’émission télévisée Forum pour affirmer que le jeune Gaspard K., sujet intelligent mais un peu renfermé, marqué par la dureté d’un père notoirement adonné à l’alcool, lui était apparu comme un garçon excessivement soumis aux variations atmosphériques et particulièrement sensible aux périodes de foehn.

    Quant au chien de police Iago, présenté dans les tabloïds comme celui qui permit l’arrestation du forcené, nous ignorons à vrai dire, à La Treille, ce que diable il est devenu après son heure de gloire.

    Image: Philip Seelen.

  • L'état des choses

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    Prologue

     

    L’entretien du romancier R., considéré comme l’un des meilleurs écrivains suisses de sa génération, avec le chroniqueur du fameux journal Le Monde, se tint au Buffet de la Gare de première classe du chef-lieu de notre canton.

           Reliquat du style 1900 en nos murs, le restaurant était apprécié de l’intelligentsia locale pour ses mets de brasserie, et notamment sa langue de bœuf aux câpres, autant que pour ses fresques évoquant divers lieux du pays, dont un Cervin majestueux, mais les deux hommes semblaient trop préoccupés pour se soucier de ce décor et commandèrent deux plats du jour.

    Dans la conversation précédant l’entretien à proprement parler, qui devait porter sur le passé douteux de l’architecte C., notre gloire nationale, que le romancier R. avait été le premier à dénoncer dans le magazine L’Hebdomadaire cher aux élites de nos contrées, le chroniqueur du journal Le Monde interrogea l’écrivain sur l’état réel de ce pays classé au premier rang des nations les plus riches du monde et comptant un taux de suicide également des plus élevés.

           Le romancier leva les yeux vers le Cervin avant de résumer son point de vue -  non sans recommander à son interlocuteur étranger le sorbet à la fée verte proposé sur la carte des desserts -, en affirmant que ce pays était le moins intéressant qu’un romancier puisse trouver du fait que rien ne s’y passait humainement parlant, et il insista sur l’expression.

           Sur quoi l’entretien démarra, durant lequel le romancier répéta ce qu’il avait écrit dans son article du magazine de la gauche libérale, pour lequel il avait encaissé 500 francs, tout en espérant que le chroniqueur du Monde en viendrait à le faire parler des livres dont la notice biographique le présentait comme l’un des meilleurs écrivains suisses de sa génération, selon les termes qu’il avait suggérés lui-même à son éditeur, lequel n’avait à vrai dire lu aucun de ses ouvrages, pas plus hélas que le fameux chroniqueur du Monde.

     

    (Ce texte constitue le début de mes Récits de l'étrange pays, en cours de composition, avec des images de Philip Seelen).  

     

  • Thomas Bernhard en rit encore

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    En lisant Mes prix littéraires...

     

    On sourit tout le temps à la lecture de Mes Prix littéraires de Thomas Bernhard, et le rire éclate même aux passages les plus cocasses de ce recueil consacré en partie à de mordantes considérations sur les circonstances dans lesquelles  TB a reçus diverses récompenses dès  ses débuts d’écrivain, à quoi s’ajoutent trois discours de réception.

    Comme on s’en doute, TB n’a pas une très haute opinion des prix littéraires, et moins encore de ceux qui les décernent. La comédie qui se joue autour des prix littéraires n’est pas moins grotesque, à ses yeux, que toute comédie sociale à caractère officiel. L’honneur qui s’y distribue lui paraît une bouffonnerie, et il se fait fort de l’illustrer. Ainsi, lorsqu’il se rend à Ratisbonne, ville allemande qu’il déteste, en compagnie de la poétesse Elisabeth Borchers, lauréate comme lui, pour y recevoir le Prix du Cercle culturel de l’industrie allemande, et que le président de ladite institution, sur son podium, se réjouit d’accueillir et de féliciter Madame Bernhard et Monsieur Borchers, nous fait-il savourer ce que de telles cérémonies peuvent avoir de plus grotesque.

    Mais le propos de TB ne vise pas qu’à la dérision, pas plus qu’à tourner en bourriques les philistins incompétents ou les gens de lettres qu’il estime ridicules. Il y a en effet pas mal d’autodérision dans ses évocations où la vanité de l’Auteur n’est pas épargnée, ni l’inconséquence qui le fait accourir pour toucher l’argent que lui rapportera aussi (pour ne pas dire surtout) ces prix…

    Il faudrait être bien hypocrite, au demeurant, pour reprocher au jeune TB, en 1967, d’accepter les 8000 marks que lui vaut le Prix du Cercle culturel de l’industrie allemande, alors que, très gravement malade,  il a payé un saladier pour être admis dans un mouroir de la région viennoise – celui-là même où il rencontre Paul Wittgenstein, dont il parle dans l'inoubliable Neveu de Wittgenstein...

    Le recueil s’ouvre sur le récit, assez irrésistible, de l’achat d’un costume décent, une heure avant la remise du Prix Grillpartzer à l’Académie des sciences de Vienne, par le lauréat qui, trop pressé, acquiert un costume d’une taille inférieure à la sienne, dans lequel il va souffrir quelque peu, durant la cérémonie, avant de retourner au magasin de vêtements pour hommes Sir Anthony, et y prendre une taille au-dessus - et de dauber sur le costume qui a participé à la remise d'un prix littéraire prestigieux avant d'être rapporté au marchand...

    Paul Léautaud affirmait qu’un prix littéraire déshonore l’écrivain. Mais c’était après s’être pas mal agité dans l’espoir d’obtenir un éventuel Goncourt pour Le petit ami, et l’on présume qu’il aurait mis un mouchoir sur son honneur pour recevoir telle ou telle distinction qui lui eût permie d’améliorer l’ordinaire de ses chiens et de ses chats.

    Thomas Bernhard, pour sa part, se réjouit de pouvoir se payer une Triumph Herald blanche avec les 5000 marks du Prix Julius-Campe qu’il reçoit après la publication de Gel, son premier livre que la presse autrichienne descendra en flammes. Le récit de son « bonheur automobile » est d’ailleurs épatant, autant que celui de la collision finale sur une route de Croatie et des démêlés qui en découlent avec les assurances yougoslaves se soldant, contre toute attente, par une extravagante « indemnité vestimentaire ».

    La rédaction de ce recueil date des années 80-81. TB se proposait de le remettre à l’éditeur en mars 1989, mais l’ouvrage n’a finalement été publié qu’en 2009, pour les dix ans le mort de Thomas Bernhard. C’est un document très amusant et  intéressant à de multiples égards, notamment pour ce qu’écrit l’auteur à propos de son travail et de la foire aux vanités littéraires…

    Thomas Bernhard. Mes prix littéraires. Traduit de l’allemand par Daniel Mirsky. Gallimard, Du monde entier, 137p.

  • Ceux qui crèvent d'envie

    Panopticon145.jpgCelui qui ne supportera pas longtemps la vision de la Toyota Cressida de son voisin kosovar / Celle qui aimerait aussi un Home Cinema tout semblable à celui que l’oncle Adalbert a fait installer dans sa villa La Colchique / Ceux qui ont enfin résolu de s’endetter pour vivre ce qui s’appelle une vie /Celui qui est jaloux de naissance à ce que dit sa mère qui lui a toujours préféré son cadet / Celle qui ronge son frein jusqu’à l’os / Ceux qui ne désirent que par contamination / Celui que son envie de rien rend suspect à ses propres yeux / Celle qui a commencé d’écrire des poèmes osés à l’époque où elle faisait tapisserie / Ceux qui ignorent le sens de l’expression faire tapisserie / Celui qui a renoncé à la tapisserie pour se lancer dans la pâtisserie / Celle qui demande au pâtissier si c’est lui qu’a pissé sur le tapis / Ceux qui jalousent le pâtissier Fabrice pour sa bâtisse tapissée à l’anis / Celui qui envie les idées du romancier R. que son nègre utiliserait mieux que le sien / Celle qui se fait un look à la Virginie Despentes pour sortir enfin de l’anonymat / Ceux qui ont décidé de prendre un nouveau départ en avant c’est parti mon fifi / Celui qui lit Pascal dans sa carrée d’étudiant et qui a juste envie de pisser / Celle qui se ferait bien prendre en levrette mais que son ami Polo ne prend qu’en Lambrette / Ceux qui ne se sont jamais bougés que sous l’aiguillon de l’envie / Celui qui se rappelle sa lecture de L’Envie de Iouri Olécha dans une soupente de la rue de la Félicité / Celle qui sait que le mot envie a partie liée au mauvais œil / Ceux qui affirment qu’il vaut mieux faire envie que pitié pour signifier qu’ils préfèrent écraser qu’être écrasés / Celui qui constate que sa femme n’a plus ces temps que des envies sur les mains / Celle qui passe ses envies de coucher un peu en mangeant beaucoup / Ceux qui subliment leurs envies en imitant Notre Seigneur pas jaloux pour un clou / Celui qui prétend que Fellini était jaloux de Pasolini autant que de Rossellini et de Viscontini / Celle qui n’a jamais nourri d’autre envie que celle d’être la nouvelle Bardot du quartier ouvrier mais ça lui a passé / Ceux qui estiment qu’une existence sans envie n’est pas une vie qu’on puisse envier, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui ont milité

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    Celui qui a passé des jeans troués aux jeans griffés / Celle qui a gardé tous les disques des Clash / Ceux qui étaient encore ensemble à l'époque où la plupart ne l'étaient plus / Celui qui a laissé la garde des enfants à celle qui a également recueilli ceux des autres qui l'ont larguée / Ceux qui ont vécu en trio puis à sept puis en squat puis à deux dans un loft blanc / Celui qui se disait en relation ouverte et qui en est resté là c'est-à-dire vieux garçon chiant / Celle qui a toujours interdit tout interdit sauf l'interdit de l'insecticide / Ceux qui n'ont découvert la jalousie qu'en commençant d'aimer / Celui qui considérait ses partenaires comme interchangeables jusqu'à sa rencontre de Raymonde / Celle qui a intégré la cuisine zen dans la lutte politique anti-Thatcher / Ceux qui ont longtemps pensé au niveau du groupe à un point qui m'a toujours paru dégoûtant je m'excuse mais c'est comme ça / Celui qui est devenu Chevalier des Arts et des Lettres à l'insu de ses anciens camarades du groupe de fusion / Celle qui a pas mal cuisiné pour le Groupe Prisons / Ceux qui se retrouvent à Locarno comme au bon jeune temps mais avec des chapeaux blancs sur leurs calvities / Celui dont on ne sait pas de quel bord il est ni lui non plus / Celle qui a essayé de mettre de l'ordre dans la vie de Max qui s'en est sorti en faisant l'acquisition de la nouvelle BMW GT décapotable / Ceux qui se rappellent leurs prises de parole à caractère mao-spontex / Celui qui avait une éthique incompatible avec la possession de chats et qui élève maintenant des ragondins / Celle qui fait des sudokus dans la file d'attente du tunnel routier du Gothard estimée à environ trois plombes / Ceux qui se rappellent les ouvriers morts durant le percement du tunnel ferroviaire du Gothard en majorité des Italiens donc c'est moins dommage pensent encore certains Suisses à vrai dire de moins en moins nombreux heureusement n'est-ce pas, etc.

    Image: monument aux victimes du percement du tunnel du Gothard, à Airolo.

  • Ceux qui en ont vu d'autres

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    Celui qui perd le petit Rom sur la table d’op' / Celle qui s’effondre en apprenant la nouvelle dans sa vieille caravane à liaison satellitaire / Ceux qu’on ouvre et qu’on referme aussi sec / Celui qui entend parler d’ombre suspecte / Celle qui comprend à la gueule du veilleur de nuit que pour Rudy tout est fini fi-ni / Ceux qui fauchent les fleurs de la diva défuntée / Celui qu’agace la soignante virago / Celle qui craint surtout le réveil / Ceux qui rasent le pubis de la vieille irascible / Celui qui sous narcose révèle des secrets d’Etat / Celle qui en pince pour l’anestho malgache / Ceux qui boivent l’eau des fleurs devant le patron facho pour lui montrer qu’eux aussi ils en ont / Celui qu’épatent les gestes si précis du traumatologue Pilet / Celle qui a les gestes de la vie / Ceux qui se plaignent de leur chti bobo en parfaits Ritals machos auxquels toute la smala fait écho mamma mia / Celui qui pense que son genou gauche sera jaloux du droit qu’a passé à la télé / Celle qui subit toute la nuit les prédictions apocalyptiques de sa voisine au profil de batrachienne / Ceux qui arrivent trop tard pour la visite de celui qu’est parti trop tôt / Celle qui frôle de ses seins lourds les fronts des beaux garçons qu’elle humecte longuement / Ceux qui désencastrent la vieille diva camée de la cuvette de son WC / Celui qui se remet à lire dès la salle de réveil / Celle qui se shoote au chocolat au dam de la dame d’à côté que cela constiperait / Ceux qui en sont à leur énième intervention qui en fait en somme les champions de la compète / Celui qui sait à quoi sert la porte dérobée qu’on voit là-bas derrière les thuyas / Celle qui voit son cœur palpiter à l’écran et qui se dit que c’est pour Fredi ça aussi / Ceux qui signent leur bon de sortie et font un AC dans la soirée ma foi ça peut arriver / Celui qu’on dit donneur universel et qui ne s’en sent pas meilleur pour autant / Celle qu’a bien pleuré sa petite mère quoique délivrée à la fin / Ceux qui exigent de voir Les Experts en chambre commune au risque de faire chier ceux qui veulent voir Déco / Celui qui écoute Radio Hawaï dont le yukulele lui fait l’effet du Dafalgan + / Celle qui refuse de montrer son cul nu à l’infirmier basané / Ceux qui se regardent en découvrant les croix gammées tatouées sur le torse du petit skinhead / Celui qui trouve un air d’ange au petit skinhead endormi / Celle qui sait que le petit skin ne s’en sortira pas / Ceux qui lavent le corps du pseudo nazillon que personne ne viendra réclamer / Celui qui ne se remettra jamais des enfants et des ados qu’il a perdus sur la table / Celle qui était enceinte quand elle disséquait les enfants en anatomie pathologique / Ceux qui estiment que les assurances font plus mal que la maladie, etc.


    Image : Ulrich Seidl, dans le film ImportExport.

  • Ceux qui se défilent

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    Celui qui dit n’être pour rien dans les tractations foireuses et frauduleuses de l’Union de Banque Scélérate quoique faisant partie de son gang directorial / Celle qui ne dira rien de ce qu’elle a appris sur l’oreiller du banquier scélérat Gospel vu qu’on ne crache pas dans la soupe / Ceux qui estiment qu’un procès public fait à l’Union de Banque Scélérate serait dommageable aux privés dont toi et moi mon p’tit gars / Celui qui ne dira rien à son homologue chinois vu que c’est pas avec des droits de l’homme qu’on fait tourner la boutique et surtout pas une fabrique d’horlogerie à complications / Celle qui ne comprend rien aux lois du marchés mais estime que si le ministre en charge estime que les lois du marchés sont les lois du marché alors faut lui faire confiance vu qu’il a quand même fait l’école de commerce celui-là / Ceux qui renoncent à changer de banque vu que toutes sont soumises au lois du marché les pauvres / Celui qui te plume en souriant du fait que tu n’as jamais rien pigé aux lois du marché / Celle qui t’a épousé en toute connaissance de cause en se disant qu’elle pourrait te revendre le cas échéant conformément aux lois du marché / Ceux qui se couchent devant les puissants et se justifient en se tortillant devant les médias innocents / Celui qui n’ose pas dire en public que le tabloïd qui l’emploie le fait gerber en privé / Celle qui n’ose pas dire même ce qu’elle ne pense pas vu qu’on sait jamais / Ceux qui n’osent pas dire que ce qu’ils préfèrent dans la vie est leur travail et ceux qu’ils aiment et la sieste et la volière d’à côté / Celui qui n’ira pas à la réu des anciens militants / Celle qui se faufile plus qu’elle ne se défile / Ceux qui se défaufilent avec l’âge et même sans / Celui qui ne prend plus l’avion sans son parachute doré / Celle qui excuse les banquiers scélérats qui vont quand même à l’église et tout ça / Ceux qui concluent que nous sommes tous des banquiers suisses allemands, etc.

    Image : Philip Seelen  

  • Ceux qui tombent des nues

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    Celui qui surprend son fils Poulou en train de boursicoter sur Internet / Celle qui comprend ce qu’est un pacte de stabilité en dépit de ses sept ans / Ceux qui découvrent que leurs kids en savent plus qu’eux en matière de géostratégie virtuelle / Celui qui n’en croit pas l’œil de sa webcam / Celle qui constate que l’encéphalite de son fils aîné est du type islamiste / Ceux qui se mettent à l’écoute du Chien / Celui qui dialogue franchement avec son clone Paul-André / Celle qui parle du concept d’éternel retour à ceux qui ne reviendront jamais / Ceux qui se sont perfusés ensemble pour arriver ensemble Là-Haut / Celui qui vit un conflit ethnique à chaque réu de la smala / Celle qui gère une Bulle de soutien psychologique que son propre malaise fait éclater un mercredi après-midi de foehn / Celui qui pense que donner c’est danser et qui donne par conséquent pour danser par conséquent en dépit de son pied-bot / Ceux qui ne supportent pas la moindre résistance à la Grande Libération / Celui qui s’étant foutu à poil dans la Party se sent tout à coup si mal qu’il se rhabille / Celle qui prétend qu’y a pas de problème au niveau sexe alors qu’y en a vachement quand même mais c pas des choses qu’on dit / ceux qui sont tout moroses dans la Love Parade / Celui qui se dit que la vie est comme une partie de rollerskate et qui n’ose pas demander à son vieux de lui en payer un vu qu’on est trop serrés avec son salaire d’ouvrier même pas spécialisé / Celle qui trouve tout ce matin moche et beau dans l’Oxymore amoral du monde moralisant / Ceux qui vont à la fois de l’avant et de l’arrière ça dépend du critère / Celui qui dit que les jeunes sont paumés sans en être sûr / Celle qui affirme que la jeunesse est l’espoir du monde sans trop savoir lequel / Ceux qui disent tout et son contraire de ce monde où tout se vaut et son contraire / Celui qui dit que seul son désir compte et se retrouve assez seul en fin de compte / Celle qui fait d’autant plus la morale à son fils qu’elle en jalouse la liberté / Ceux qui affirment qu’il faut interdire tout ce qui n’est pas obligatoire et inversement / Celui qui plaint ses cinq frères siamois de ne pas s’étonner en ajoutant que cela ne l’étonne pas / Celle qui réduit tout à l’Amour avec une sorte d’agressivité / Ceux qu’accable une grande fatigue / Celui qui se rend à la prochaine Fête en traînant un peu / Celle qui a passé des Pampers aux Poppers / Ceux qui se réfugient dans les films d’animaux / Celui qui entrevoit le Nouvel Homme du ressentiment / Celle qui continue de s’émerveiller d’un peu tout malgré les pluies acides et les pesticides et les tabloïds / Ceux qui établissent la liste infinie de ce qui les réjouit ce matin du 9 octobre 2010 où se fête la Saint Denis torturé sur ordre de Fescennus à la pointe orientale de la Cité (« Allez-y ! Prenez-moi ce glouton / Ne l’épargnez pas plus qu’un mouton, / Rompez le cuir et la ventraille ! /( Que de partout le sang lui saille » ) et rendant grâces à Dieu avant d’être frit sur le gril (le gouverneur jubile : « Foi que je dois Torche Moireau, vous le verrez tantôt fumer. Faites grand feu sous ce vieillard ! »), livré aux fauves puis au four et s’en relevant le sacripant, donc envoyé finalement le lendemain au Mont Martre où l’on le décapite, mais Denis reprend ensuite sa tête et s’en va se purifier à la source d’à côté », tant que la mort se sent petite, etc.
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui sont dans le Trend

    Celui qui a toujours le sourire approprié / Celle qui gère les nettoyeuses de couleur de la Top Clinique / Ceux qui décident parce qu’ils banquent / Celui qui s’est blanchi le faciès dans la clinique de la Forêt-Noire / Celle qui formate les stagiaires du tabloïd / Ceux qui se disent trop rebelles pour accepter ce salaire de sous-prolo / Celui qui dose les applaudissements enregistrés de l’émission Tous des Stars / Celle qui paierait de la thune rien que pour apparaître dans le public de Tous des Stars / Ceux qu’on a vus dans le public de Tous des Stars et qui sont retournés à l’usine le lendemain / Celui qui dit à sa mère qu’elle est une star sans le savoir comme Chef Cabrel à sa mum / Celle qui n’a manqué aucun concert de Patrick Juvet sauf ceux du Japon / Ceux qui louent l’ancienne villa nordique de Patrick Juvet au Vallon de Villard / Celui qui a observé une famille de blaireaux dans le jardin de l’ancienne résidence secondaire de Noah au Vallon de Villard / Celui qui habite incognito au Vallon de Villard alors qu’il est mondialement connu des numismates spécialistes du Bas-Empire / Ceux qui se sont pacsés en même temps que Noah sortait son premier disque et qui habitent maintenant dans son ancienne résidence secondaire du Vallon de Villard où il dit avoir eu des pannes d’inspiration les jours de mer de brouillard vu que  là-bas on est dessous et pas dessus comme chez nous / Celle qui garde les chats de son oncle dont elle n’évoque jamais les mœurs vu que ça ne la regarde pas / Ceux qui sont devenus millionnaires grâce à l’émission Devenez millionnaires et ont tout perdu à cause de l’émission Risquez Tout / Celui qui en fait un max pour être dans le coup sans y parvenir mais sans y renoncer non plus tant il est sûr que ça vaut le coup / Celle qui se peint les ongles en vert pour se la jouer Ophélie Winter qui y a renoncé entretemps / Ceux qui disent qu’Arielle Dombasle est une belle personne pour se donner à eux-mêmes un air glamour / Celui qui n’a pas lu le dernier Houellebecq mais qui affirme tantôt qu’il est top et tantôt que c’est du bullshit selon le lieu où il gravite / Celle qui prétend que les poèmes de Michel Houellebecq l’aident à croire en l’Avenir / Ceux qui en chient dans leur coin en essayant d’écrire un roman à succès genre Guillaume Levy / Celui qui a passé du bouddhisme zen à la poterie toltèque / Celle qui pense que ses poèmes gagneront à se voir traduits en chinois / Ceux qui ont été déçus d’apprendre que le Docteur Ruth n’était pas une personne / Celui qui a l’impression d’exister plus sur Facebook où il a pour amis un Darius Rochebin, une Amanda Lear et un Leonid Brezhnev / Celle qui égrène sur son blog L’Optimiste des sentences positives genre Ce Matin Alphonse Je Fonce  /  Ceux qui estiment que la reconnaissance ne leur viendra qu’après leur disparition qu’ils souhaitent entourée de la plus grandePanopticon11120.jpg discrétion comme il sied aux êtres d’humilité enfin tu vois le genre de parfaits raseurs, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Larry Clark et les Tartuffes


    ken-park.jpgKen Park de Larry Clark, ou la censure des Tartuffes.

     


    Je n'ai pas vu l'expo actuelle des images réalisées par Larry Clark, présentée à Paris et interdite aux moins de 18 ans. J'ai vu en revanche tous les films de ce réalisateur attentif à la misère affective et spirituelle du monde actuel, dont le regard sur la jeunesse n'a rien de pervers. Pour plus bel exemple: ce grand chant de tendrese et de révolte que figure Ken Park, où ados et adultes sont abordés frontalement, dans leur misère quotidienne, avec la même franchise blessée.


    Cela commence, sur une piste de skateboard ensoleillée d'une petite ville de Californie, par le suicide d'un garçon au visage enfantin grêlé de taches de rousseur, qui se tire une balle après une sorte d'envoi verbal tout enjoué. Son nom est Ken Park, on n'en apprendra guère plus à son propos durant le film, à la fin duquel on le retrouve cependant avec sa petite amie enceinte à l'air de petite fille elle aussi. Au demeurant, la figure immature de Ken Park reste présente, comme en creux, tout au long de ces scènes de la vie ordinaire qui constituent le quatrième film de l'auteur de Kids (1995), entremêlant les relations souvent pourries entre quelques jeunes gens et leurs parents.

    Il y a Shawn, que son petit frère déteste et que sa génitrice rudoie, qui se console dans les bras et les draps de la mère de sa petite amie, inquiet de savoir si sa « vieille » amante à tête de Barbie l'aime et s'il « le » fait aussi bien que le mari champion de football. Il y a Claude, le fou de skateboard, que son père rabaisse en lui reprochant son manque de virilité et ses fumettes, alors que lui-même picole après la perte de son emploi et en arrive, un soir de défonce alcoolique, à tenter d'abuser de son fils endormi. Il y a l'adorable Peaches que son père à elle, fondu en religion et vouant un culte à son épouse disparue, adule jusqu'au jour où il la surprend avec son petit ami — et c'est alors un déchaînement de violence justifié à grands coups d'anathèmes bibliques. Enfin il y a Tate au regard inquiétant, qui se livre à d'étranges rituels et se montre odieux avec les grandsparents « modèles » qui l'ont recueilli, avant de les massacrer.

    On pense à la fois à l'attachante frise de personnages de Short Cuts, de Robert Altman, et à la Middle Class évoquée dans American Beauty en découvrant cette suite de portraits en mouvement de Ken Park, qui traduit plus douloureusement les névroses d'une société et le désarroi de ses personnages, et nous confronte à leur intimité avec une sensibilité rare.

    L'on sait que Larry Clark, 60 ans, a défrisé les censeurs (aux Etats-Unis et en Australie, notamment) par son parti pris de « tout montrer » de ce qui constitue la vie, y compris ce que la morale courante taxe d'obscénité. Ainsi certaines scènes dites « hard » sont-elles d'ores et déjà citées en exergue, comme si l'intention du réalisateur avait été de pimenter son film par telle séquence de masturbation ou telle autre de triolisme. Or lesdites « scènes » se distinguent absolument de la pornographie ordinaire en cela qu'elles s'incorporent naturellement — et innocemment, pourrait-on dire — à la vie des personnages. La scène durant laquelle Tate, autostrangulé par une ceinture accrochée à la porte, se masturbe le regard fixé sur une joueuse de tennis en action à la télévision, est essentiellement une représentation de sa solitude démente, comme la scène finale rassemblant Shawn, Claude et Peaches sur un canapé, relève de la sensualité pure et fait allusion à l' « ailleurs » paradisiaque qu'ils évoquent précisément, loin de ce sale monde. Selon le même parti pris du « tout montrer », Larry Clark choisit de cadrer à un moment donné le père de Claude, ivre, en train de pisser, avec gros plan sur sa verge pissant. Or cette image ajoute-t-elle quoi que ce soit à notre connaissance du personnage ? Peut-être pas, mais cette approche de l'intimité du père de Claude, reliée à la vision de son visage défait par sa propre détresse (« Personne ne m'aime », gémit-il lorsque son fils le repousse violemment), participe bel et bien d'un regard englobant et sans œillères, à la fois honnête et compréhensif. De la même façon, aucun des personnages de Ken Park n'est jugé en fonction de son âge ou de ses penchants particuliers. « Voici la vie nue », semble nous dire Larry Clark avant de nous faire sourire à la réplique de ce marchand de saucisses lançant à la fin du film, à Ken Park réapparu, que « le hot dog c'est la vie »

    Alors que la violence imbécile, et non moins hideuse, du talkshow de Jerry Springer se déchaîne sur le petit écran en arrière-plan, et tandis que le commerce du sexe mécanique envahit les médias et le réseau des réseaux, Larry Clark reste du côté des nuances tendres de la vie dont il tire, avec la complicité d'Ed Lachman son imagier, une lumière à l'étonnant rayonnement. Dans la foulée, on remarquera l'admirable travail accompli avec les acteurs, qu'il s'agisse des professionnels (les personnages adultes) ou la plupart des jeunes gens trouvés « dans la vie » par le réalisateur.

    Malgré tout ce qu'il y a de triste dans ce film où il est question, fondamentalement, d'une « famille » humaine en perte de sens et de lien social ou affectif, le plus surprenant nous semble enfin la beauté non accrocheuse qui se dégage de Ken Park, où les objets et les visages, les corps et le monde extérieur semblent exonérés du mal et de la saleté par une tendresse encore possible.

  • Vargas Llosa, enfin...

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    Le Prix Nobel de littérature, attendu depuis des années, consacre le romancier péruvien.

    La littérature latino-américaine compte, aujourd’hui, deux ou trois des plus grands écrivains vivants au monde. À côté de Gabriel Garcia Marquez (Nobel en 1982), les Mexicains Octavio Paz (Nobel en 1990, mort en 1998 ) et Carlos Fuentes (nobélisable depuis longtemps), le Péruvien Mario Vargas Llosa a produit une œuvre que même les ennemis idéologiques de ce «libéral» reconnaissent comme l’une des plus éclatantes. Traduite dans le monde entier, cette œuvre puissante d’artiste «mené par des démons», et non moins soumise à une vision éthique primant sur les idéologies, a d’abord exorcisé les cauchemars d’une jeunesse en butte à l’autoritarisme du père, des prêtres et de l’armée, avant de déployer des thèmes beaucoup plus universels.

    Né en 1936 à Arequipa, dans le sud bolivien, Vargas Llosa s’est fait connaître par un premier recueil de nouvelles, intitulé Les caïds (1959), évoquant son adolescence en butte à la violence marqué par l’influence de Sartre et de Faulkner. Dans la foulée, La Ville et les chiens (1963), La Maison verte (1964) puis Les chiots (1967), établirent sa première réputation internationale et lui valurent le prestigieux prix Romulo Gallegos, dans le discours duquel il affirma que « la littérature est feu ».

    Après 1975, c’est plutôt dans la postérité d’un Camus qu’il poursuivit son œuvre, répondant à la montée des intégrismes et du terrorisme par La guerre de la fin du monde (1981) et l’Histoire de Mayta (1984), notamment. Son expérience directe du terrorisme, en 1983, quand il enquêta sur le terrain, aboutit au roman « policier » Qui a tué Palomina Nero, autre titre « phare » de son œuvre.

    S’il refusa longtemps de s’engager politiquement, Mario Vargas Llosa fonda en 1987 le mouvement de droite libérale Libertad, qui l’amena à se présenter à la présidence de la République en 1990.

    Témoin des révolutions tournant aux dictatures, « frère ennemi » de Garcia Marquez dont il a fustigé la soumission aveugle à Fidel Castro grand humaniste cosmopolite, Mario Vargas Llosa a raconté son expérience politique dans Le poisson dans l’eau (1993) avant de produire de nouveaux grands romans, tel Lituma dans les Andes (1993), qui aborde la question du fanatisme à partir du cas particulier du Sentier lumineux, et La fête au bouc (2000), magistrale peinture romanesque de la dictature de Trujillo à Saint-Domingue. Déjà consacré par le Prix Planeta et le Prix Cervantès, sans compter une quarantaine de doctorats honoris Causa, l’auteur de Conversation à la « cathédrale », de La vie en mouvement et d’une trentaine d’autre romans et essais, nous reviendra sous peu - et cela vaut bien un Nobel - au fil d’un nouveau grand roman dont Joseph Conrad est l’un des héros…

  • La fête à Vargas Llosa



    Retour à Mario Vargas Llosa, Prix Nobel de littérature 2010, à propos de La Fête au bouc.

    «Bon, la politique, c'est ça, c'est marcher sur des cadavres», remarque l'un des personnages de La fête au bouc, et sans doute l'observation est-elle fondée pour ce qui concerne le règne de Son Excellence le docteur Rafael Leonidas Trujillo Molina, dit aussi le Chef, le Généralissime, le Bienfaiteur, le Père de la Nouvelle Patrie, qui régna sur la République dominicaine trente ans durant avant d'être abattu dans sa voiture en mai 1961 par des conjurés, dont plusieurs avaient été auparavant des «trujillistes» convaincus.

    C'est que Trujillo, longtemps allié privilégié des Américains, décoré par le pape Pie XII et considéré comme un héraut de l'anticommunisme, pouvait s'enorgueillir aussi d'avoir fait de son pays une nation moderne, dotée d'une armée forte. Passé maître dans l'art de donner leur chance aux plus capables afin de mieux les soumettre, il s'était également fait aimer de son peuple en grand démagogue paternaliste qui multipliait, par exemple, les parrainages personnels assortis de sommes rondelettes.

    Cela étant, la corruption et la férocité du régime se faisant de plus en plus criants, il fut l'objet d'un premier complot en juin 1959 et, en janvier 1960, d'une mise en accusation publique courageuse de la part de l'épiscopat dominicain. Or, c'est un an après que nous allons vivre sa dernière journée sous la plume de Mario Vargas Llosa, lequel décrira en même temps la préparation de l'attentat, les coulisses du régime et l'histoire, vécue par de multiples personnages, de cette dictature fondée sur la compromission de toute une société.

    Le règne de Trujillo, sa personnalité singulière de Titan du travail obsédé par l'hygiène et la bonne tenue vestimentaire, son fascinant regard d'iguane et sa voix de fausset, ses frasques de macho exerçant son droit de cuissage sur les femmes de ses ministres, les scandales provoqués par son fils débauché dans la jet set internationale, les millions planqués par son clan dans les banques suisses, la corruption de sa justice et la brutalité de sa police - toutes ces composantes de son régime ubuesque ont fait l'objet, déjà, d'ouvrages documentés. A cette base sûre et solide, le romancier ajoute ni plus ni moins que la vie et ses innombrables détails, la vie et ses petites misères (le tyran se compisse par faiblesse prostatique, et cela le mine...), la vie sur cette terre sensuelle de la Caraïbe et la vie dans le temps. Avec un art consommé, Vargas Llosa raconte ainsi, dans le même mouvement puissant, le présent du dictateur, l'évolution passée du régime et ce qui se passa après son exécution.

    Le roman commence, en effet, avec l'arrivée à Saint-Domingue, trente-cinq ans après la mort de Trujillo, de l'avocate Urania Cabral, fille d'un ministre du tyran qui ne s'est jamais expliqué la soumission de son père. Retrouvant celui-ci à l'état d'impotent à peine conscient, elle replonge dans ces années de honte sur lesquelles elle n'a cessé de se documenter après son exil prolongé aux Etats-Unis. En alternance avec ce récit d'une femme généreuse mais durcie par l'épreuve, qui vit ces retrouvailles comme une expiation et produit une sorte de vision cavalière de l'histoire écoulée, le romancier nous fait retrouver au présent, et comme pris dans la tenaille de la même journée, le tyran levé avant l'aube et les conjurés attendant le même soir l'arrivée de sa Chevrolet dans leur guet-apens.

    Au premier regard du matin, frais comme un gardon, et malgré le mépris humain que trahissent ses pensées, Trujillo n'a rien d'un monstre. Est-ce bien cet élève policé des marines américains qui fait jeter ses opposants aux requins du haut de falaises ou d'hélicos? Ce qui est sûr en tout cas, c'est qu'il est bien moins dégoûtant que les exécuteurs de ses oeuvres plus ou moins basses, tel le sinistre colonel Johnny Abbes Garcia, chef du Service d'intelligence militaire (sic), passé du journalisme à la délation et de la torture sadique aux exécutions; tel aussi le juriste expert Henry Chirinos, surnommé «l'ordure incarnée» par son maître, ou «l'ivrogne constitutionnaliste», qui n'a pas son pareil pour donner «une apparence de force juridique aux décisions les plus arbitraires de l'Exécutif» et qu'Urania Cabral, des années après l'assassinat de Trujillo, retrouvera à Washington.

    Au-delà de l'histoire particulière de cette dictature bananière, le roman de Mario Vargas Llosa aborde la question du consentement qui se rapporte à bien d'autres régimes de même nature, qu'il s'agisse de l'Allemagne nazie ou de la Roumanie de Ceausescu, notamment. Loin de le traiter en idéologue, le romancier module ce thème en racontant, dans l'atmosphère tendue de la planque, les destinées des quatre conjurés principaux. Pourquoi le plus jeune d'entre eux, le brillant lieutenant Amado Garcia Guerrero, qui fait partie de la garde personnelle de Tru
    jillo, a-t-il juré la mort de celui-ci? Parce que sa loyauté a été éprouvée au prix d'une exécution forcée qu'il ne pourra jamais se pardonner. De la même façon, tous ses compagnons ont été «mouillés», à un moment donné de leur vie, par un régime jouant systématiquement sur le chantage au consentement.

    On pense évidemment, en lisant La fête au bouc, au portrait d'un dictateur brossé naguère par Gabriel Garcia Marquez dans L'automne du patriarche. De celui-ci, le nouveau roman de Mario Vargas Llosa n'a peut-être pas la somptuosité baroque, alors qu'il nous semble aller beaucoup plus loin dans la ressaisie romanesque des tenants et des aboutissants personnels et collectifs d'une tragédie politique aux résonances universelles.

    Mario Vargas Llosa. La fête au bouc. Traduit de l'espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan. Gallimard, Coll. Du Monde Entier, 604 pp.

  • Ceux qui ont vu passer le temps

    Panopticon888.jpgCelui qui découvre son âge dans le regard des kids / Celle qui a ouvert une maison d’hôtes après des années de galère et deux maris usés / Ceux qui ont fait coloriser le portrait de leur garçon défunt au même âge que leurs actuels petits-enfants / Celui qui retrouve son pote Gaspard quarante ans après leurs belles années et chacun se félicite d’être resté si cool / Celle que les deux mecs ont convoitée à leur vingt ans et qui leur a préféré ce Victor avec lequel la vie ne fut pas drôle et qu’ils enterrent tous trois cet après-midi de crachin / Celui qui n’arrive pas à ne plus croire qu’il a dix-huit ans alors qu’il se sent dedans plus frais que jamais / Celle qui répète tellement qu’elle baisse qu’en effet elle baisse et que ça ne lui passera pas avant que ça nous prenne / Ceux qui baisent encore à 77 ans mais ce n’est pas si fréquent et peut-être moins important que ce n’est écrit dans les magazines visant les 40-60 / Celui qui se détourne quand il croise à la COOP un ancien condisciple progressiste de la fac de médecine auquel il se gêne d’avouer qu’il a fait fortune dans le domaine des farines carnées / Celle qui a tellement bien vieilli qu’elle fait la pige aux Barbies quadra et aux Bimbos quinquas / Ceux qui se retrouvent dans l’Espace Aînés où la solidarité règne leur a-t-on dit / Celui qui gère le Groupe de Conscience des homos octogénaires / Celle qui supervise les réus de délibération des retraités libres penseurs / Ceux qui se disent imperméables aux problèmes générationnels vu que selon eux l’humain reste l’humain entre autres pensées nobles / Celui qui a commencé de voyager vraiment pour faire le deuil de Claudine / Celle qui se fait tartir dans le Périgord noir depuis le départ de ce salaud d’Ancelin qu’elle a tant aimé au point d’en oublier les beignes et les bleus / Ceux qui ont tenu grâce à la canasta et aux séries genre Experts Miami / Celui qui dit volontiers « mon pauvre vieux » aux garçons de vingt ans se lançant dans la Carrière / Celle qui recommence à faucher des objets chers pour se donner un coup de jeune / Ceux qui montent un coup ensemble comme au bon jeune temps / Celui qui se vante de n’avoir jamais fauché de livres chez Maspéro par la même éthique de gauche qui le faisait razzier les librairies de la rue de Rivoli / Celle qui à vingt ans a peint un phallus vert sur le Rolls du principal actionnaire de son journal de bourges / Ceux qui sentent passer le temps en eux comme une ondulante rivière qui va se jeter dans un lac coulant lui-même très doucement vers le Sud en fleuve alluvionné jusqu’à la mer sur laquelle le soir la nuit fait penser à l’infini étoilé enfin tu vois comme on devient poète quand on est paralysée et que la télé est en panne, etc.   

     (Cette liste a été jetée dans les marges de Tam-Tam d’Eden, recueil de nouvelles d’Antonin Moeri à qui rien de ce qui passe avec le temps n'est étranger en dépit d'un présent foisonnant.)  

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  • Ceux qui vivent avec leur temps

    PanopticonA29.jpgCelui qui pète un câble dans la cuisine relookée de son compagnon de vie / Celle qui fait un AVC le jour de son back up / Ceux qui sont rattrapés par la crise financière dans leur entresol du quartier sous-gare / Celui qui note les dernières choses à faire avant d’ouvrir aux videurs de l’Entreprise /  Celle qui fait la liste des objets de valeur laissés par l’oncle Archibald à ses nièces et neveux presque tous homophobes / Ceux qui ont fait le test avant de se pointer dans l’appartement du Belge où ils participeront à leur premier gang bang nokapote / Celle qui raconte sa mission dangereuse au Cachemire non sans remarquer le drôle de goût du sushi mal décongelé que la Neuchâteloise snob a servi à son cocktail / Ceux qui ont un sosie de Brad Pitt dans leur équipe de démarcheurs de contrats immobiliers genre néo-subprimes / Celui qui prend des somnifères pour pallier la présence de sa légitime / Celle qui prend des somnifères pour pallier son manque d’illégitimes / Ceux qui se sentent en prison dans leur pyjama rayé dont la lecture du dernier Marc Levy les fera peut-être s’évader on peut rêver-quand-même-ou-quoi / Celui dont le pacemaker s’affole sous les lignes à haute tension mais son cousin l’électricien lui dit qu’y a aucun rapport / Celle qui affole les portiques de l’aéroport de Nagoya avec ses nouvelles hanches de titane style Johnny / Ceux qui se disent que le pire n’est pas d’avoir une vieille peau dans son lit mais de ne plus savoir comment la ou le faire rire ou même sourire de ça / Celui qui avait notoirement les mêmes yeux que Tony Curtis et qui se sent ce matin bien seul / Celle qui se place ce soir sur une grille d’aération jouxtant la sortie du Brummel et qui se la joue Marylin sans le moindre effet à cause peut-être du poids de sa robe en lamé / Ceux qui rêvent de fonder un foyer stable pour en finir avec leur période de squat / Celui qui sort avec une lingère du Beau-Rivage pour se mettre à l’écoute du peuple / Celle qui offre des Navyboots à son gig équatorien pour le mettre à l’aise quand elle le sort au Club de Voile / Ceux qui se lèvent et menacent de partir à chaque fois que leur ami le Bulgare malmène sa conjointe suisse alors qu’il a juste le permis B / Celui qui insiste au brunch des cadres de l’Entreprise afin qu’on voie en lui un ami de la Chine / Celle qui a épousé celui qui ne s’intéresse qu’à ceux qui gagnent / Ceux qui ne gagnent pas à être connus même de loin, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Des visages

    Inlassablement je regarde les visages, et partout le drame, inscrit en rides et en traits durcis ou épurés au contraire; et les humbles, muettes figures de l’autobus ou de la salle d’attente; et la comédie des peaux liftées, tendues comme sur autant de masques d’un éreintant carnaval; et la ménagerie, le casoar ou le sanglier; et le cabinet de curiosités des natures subies ou sublimées, la babine sexuelle ou l’icône de vieux bois.
    Or curieusement, plus je les regarde et plus je me surprends à les accueillir tous.
    En regardant de tout près le visage de quelqu’un qu’on aime, on se sent parfois défaillir de tendresse. Ce seul visage n’a pas au monde son pareil, se dit-on, et tous les visages y délèguent cependant un reflet. Un instant, on se figure qu’on perdrait tout en le perdant, puis à le regarder vraiment on s’aperçoit que sa lumière n’est pas que de lui: que sa présence n’est qu’allusion à l’on ne sait quoi d’éternel.

     

  • A l'écoute de la poubelle

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    Martine * ne sait plus à quel saint se vouer. Vous connaissez Martine: elle est à l'édition littéraire ce que le soldat fidèle est à toute armée. Martine donnerait sa vie pour un bon livre. Martine est entrée en édition comme sa cousine Bluette * de Clermont-Ferrand choisit d'offrir sa vie à l'Epoux divin, et sa fonction de Lectrice aux prestigieuses Editions Madrigal * relève à ses yeux du sacerdoce au même titre que le titre actuel de Bluette, Abbesse crossée de son couvent.

    Des lustres durant, la tâche de Martine consista, dans sa cellule feutrée du sanctuaire de la rue Saturnin-Potin *, à trier, à réception des 333 manuscrits quotidiennement reçus par l'illustre maison, le bon grain de l'ivraie. A savoir, en termes non châtiés: fiche au panier l'essentiel de ce papier. Sans le moindre état d'âme, se rappelant que l'élection rarissime du génie (comme celle du spermatozoïde zélé) suppose un sacrifice multitudinaire, Martine répéta donc mille fois ce geste, à la fois sévère mais juste, de balancer 999 manuscrits sur mille à la poubelle.

    Or voici que, tout récemment, une note de service tombée des hautes sphères de Madrigal, probablement sous l'influence de l'occulte service commercial de l'institution, s'en est venue rompre la sublime ordonnance de la tâche de Martine en ces termes clairs et nets:

    Le Service Lecture est prié, désormais, de se mettre à l'écoute de la poubelle.

    A l'écoute de la poubelle: voilà ce qu'on demande à Martine. Mais que cela signifie-t-il au fond ? Martine le sait mieux que personne, qui poubellise depuis tant d'années ce qu'un grand auteur de la maison (Céline le maudit) appelait non sans dédain misogyne la « lettre à la petite cousine ». Autrement dit: le bavardage quotidien, la confidence à ras la fleurette, le cancer du chien de Paul * ou les fantaisies sexuelles des perruches de Jeanne *, bref le tout-venant de l'immense déballage alimentant, tous les soirs, le Confessionnal cathodique et, tous les matins, les tabloïds dont Martine n'envelopperait même pas les déchets de la salade de sa tortue Clitemnestre *.
    Certains lecteurs, méfiants envers les « cimes » de la Littérature ou simplement attachés aux « choses de la vie », l'auront peut-être déjà conclu: votre Martine est une oie blanche corsetée. Ce qu'elle balançait à la poubelle relevait peut-être de ce qu'il y a de plus vivant dans l'expression humaine. Le maudit Céline n'a-t-il pas lui-même donné du galon au populo et du brillant à la dégoise ? A vrai dire, ils auront pris Martine pour une autre, tant il est vrai que la littérature brassant la vie et la langue, de Rabelais à Cendrars ou de Villon à Guilloux, l'a toujours « vachement branchée », pour causer comme sa nièce Elodie *. Mais une chose est le récit au premier degré d'une aventure style Papillon, et tout autre chose la transposition que suppose la magie du conte et de la fiction, vieille comme le monde et qui fait se taire tous les peuples quand retentit la formule-sésame d' « il était une fois ». Autant dire que ce n'est pas la vie simple, mais la platitude que Martine vouait jusque-là à la poubelle. La parole intime n'a jamais rebuté non plus Martine, qui aime sentir le souffle de Montaigne à fleur de page, ou les jérémiades de Rousseau, les rosseries de Léautaud, les notes journalières de cette suave peste de Jouhandeau, les pages déchirantes d'Hervé Guibert en ses derniers jours. L'aveu personnel ne relève en rien, aux yeux de Martine, de la fameuse poubelle, à l'opposé du ragot qui flatte les plus bas instincts de la foule ou de l'étalage éhonté qui fait désormais « pisser le dinar », selon l'expression d'Elodie.

    Mais à quel Bienheureux se vouer alors, si le saint des saints du Critère littéraire se trouve à son tour contaminé ? Martine se tâte. Va-t-elle rendre son tablier et rejoindre Bluette en son désert ? Penchée sur sa poubelle, Martine reste à l'écoute depuis ce matin. Et si son éditeur la faisait raconter à son tour sa story ? Elle a des choses sûrement porteuses à raconter, Martine ...

    * Noms et prénoms fictifs.

  • Mon Amérique


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    Mon Amérique, ce matin, s’appelle Douna Loup. Je ne connais pas cette bonne femme, cette Genevoise du bout du lac, cette gamine de vingt-huit ans et des bricoles, mais son premier roman, L’Embrasure, m’a ramené ce matin en Amérique : au seuil de mon Amérique, quand j’ai découvert à quinze seize ans Thomas Wolfe dans la bibliothèque de la maison, au cœur de mon Amérique, dans les forêts et les bibliothèques de mon enfance et de mon adolescence et d’aujourd’hui et de tout le temps.

    Douna Loup m’a tout de suite rappelé l’Amérique de Céline et de La Bouche pleine de terre de Branimir Scepanovic, l’Amérique de Paul Morand et d’Agota Kristof, avec ses mots précis et différents, ses mots enfilés sur des fils tendus ou des lianes souples, ses mots et ses phrases qui vont direct au corps et au cœur et à l’esprit et à l’âme puisqu’il y a à n’en pas douter une âme derrière les mots et au bout des mots avec autant de mystère.

    L’Amérique du chasseur de Douna Loup m’a tout de suite rappelé la forêt de La Bouche pleine de terre, surtout quand le chasseur découvre celui qui s’est laissé mourir sous les arbres par goût de l’absolu.

    Mon Amérique est donc liée à ce goût de l’absolu qui brasse le goût et le dégoût du monde, et c’est ce goût des choses rendu par les mots que vivifie immédiatement l’écriture inouïe (au sens propre de jamais entendue) de Douna Loup, ce goût des mots qui ont du fruit et de la bête dans le monde où tout a un nom, même le mystère.

    Tu commences à lire Aline de Ramuz, ce serait ton Amérique de naguère, tu te lances à dix-huit ans et des poussières dans ce premier livre d’un gamin de vingt-quatre ans, et tu te te le rappelles comme de ce matin : c’est ça, c’est là, c’est comme ça, la vie, la beauté et la cruauté de la vie sont comme ça, la vie de cette gamine de peu qui s’amourache du fils du notable du coin qui la saute et l’abandonne la poussant au suicide, c’est l’histoire de toujours et de partout, comme Roméo et Juliette à Vérone ou au village, tout ce qu’on apprend en rêvant d’Amérique pour buter sur la réalité qui est, en somme, le grand sujet de L’Embrasure de Douna Loup, la beauté et la cruauté de la vie et peut-être l’amour là-dedans qui se faufile comme la biche au bois.

    Trois sacrées bonnes femmes m’ont beaucoup appris de la réalité, je veux dire : ces bonnes femmes d’Amérique qui ont pour nom Flannery O’Connor, Patricia Highsmith et Annie Dillard, toutes trois réalistes à mort avec le même goût de l’absolu.

    Mon Amérique est un besoin vital de poésie qui est aujourd’hui nié par les bruyants, les distraits, les inattentifs que nous sommes tous plus ou moins. Cette poésie est immédiatement perceptible dans toutes les nouvelles de Flannery O’Connor, dans Les braves gens ne courent pas les rues ou dans Mon mal vient de plus loin, comme elle l’est dans les milliers de pages de Thomas Wolfe ou de Paul Morand dressant New York devant nous, dans la transe musicale du Voyage au bout de la nuit ou dans la fuite éperdue du désespéré de La bouche pleine de terre qui n’a pas rencontré Eva, la femme que nous rencontrons dans L’Embrasure de Douna Loup…

    (À suivre...)

  • Femme de coeur et de mémoire

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    Veuve est honorée à la Jacqueline Veuve est honorée par la Cinémathèque suisse, à Lausanne, avec une rétrospective et la projection de son dernier film, « C’était hier ».

     

    On voit d’abord le beau château de Lucens, au second plan d’un magnifique champ de fleurs jaunes, tandis qu’une voix féminine égrène Le Temps des cerises. Puis arrivent une quinzaine de vieillards débonnaires, derniers représentants d’une classe de « primaire supérieure» photographiée il y a plus de septante ans de ça et qui se retrouvent, plus ou moins fringants. 

    Tel est le décor et tels seront les acteurs  d’une remémoration qui va faire alterner deux récits : d’une part, la vie à Lucens durant sept décennies, fortement marquée par le développement puis le déclin de l’industrie locale des pierres taillées pour l‘horlogerie et la joaillerie, et, d’autre part, le leitmotiv des passages du Tour de Suisse cycliste dans la bourgade vaudoise, dès 1937 où brillait le nom du fringant Léo Amberg, vainqueur de l’année en question. Or, mêlant documents d’archives (photos ou films) et témoignages filmés aujourd’hui, au fil d’un montage vif et jamais pesant, Jacqueline Veuve ajoute, à son palmarès déjà impressionnant, un film à la fois très personnel et très intéressant par son approche d’une communauté contrastée (riches et pauvres cohabitant parfois durement) et en butte à l’évolution économique et sociale.

    À l’écoute

    La double force de Jacqueline Veuve, entre autres qualités de grand artisanat cinématographique, a toujours été son objectivité, du point de vue social, et son empathie humaine. Issue de la bourgeoisie locale (son grand-père est capitaine d’industrie, qui dirige la fabrique Reymond et caracole fièrement à cheval), elle documente la vie des ouvriers dont le témoignage de certains n’est pas tendre. Dureté de conditions de travail, sévérité de la redoutable Mademoiselle Emma dont le mot d’ordre est « travail, travail, travail », salaires précaires, mobbing occasionnel : les faits sont là, sans donner lieu pour autant à un réquisitoire.

    Car Jules Reymond, comme le fameux industriel Louis-Edouard Junod  chez lequel il s’est formé, fait de son mieux à la tête d’une entreprise de type « familial ». Des logements sociaux, diverses associations d’intérêt public et l’attention occasionnelle de Madame Reymond (une bûche pour le Noël des plus pauvres) complètent un tableau nuancé. Telle dame  dira qu’elle a vécu « au paradis » chez les Reymond. D’autres durciront le trait. Résultat pour tout le monde aujourd’hui : de la taille de quatre  pierres à l’heure par ouvrier, on est passé à 10.000 pièces au laser. Et le « cimetière industriel » des Reymond est à vendre sur Internet…

    Et c’est demain… 

    Pas plus que dans ses autres films, Jacqueline Veuve ne distille de nostalgie sucrée. Le contraste de la couleur actuelle et du noir/blanc capte les charmes de chaque époque, ici avec une évocation de la bicyclette passant de l’objet de luxe au véhicule « popu », là en commentant l’évolution du Tour de suisse par la voix d’un vieux passionné de la petite reine. Et l’attention portée sur la désaffection progressive d’une grande fête de naguère, à l’Ascension, va de pair avec l’apparition finale, sur un balcon de la gare, d’une famille de jeunes Noirs. Nulle aigreur au demeurant, mais voilà, semble dire Jacqueline Veuve : c’est comme ça. Or c’est ce type de constats qu’on retrouve, en aval, chez plusieurs jeunes cinéastes romands, tel le Lionel Baier de Celui au pasteur ou tel le Jean-Stéphane Bron de Connu de nos services. Est-ce à dire que la doyenne du cinéma romand ait fait école ? Disons plutôt qu’elle a montré l’exemple d’un regard non partisan, laissant les faits parler par eux-mêmes…  

     À la Cinémathèque

    • C'était hier (2010)

     Avant-première romande: Mardi 3 octobre, 17h
    à la Cinémathèque suisse, Lausanne
    dans le cadre d'une Rétrospective Jacqueline Veuve
    (toutes les projections en présence de la cinéaste)

    La mort du grand-père (5 octobre 18h30 )
    Jour de marché (10 octobre, 18h30)
    La nébuleuse du cœur (12 octobre, 18h30)
    La petite dame du Capitole (en avant-programme:
    Irène Reymond, artiste peintre; 17 octobre, 18h30)
    Un petit coin de paradis (19 octobre, 18h30)

    Sortie en Suisse romande : 6 octobre 2010
    Sortie en Suisse allemande : 10 février 2011

     

  • Del Amo vous aimez ?

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    Bourse Goncourt du premier roman en 2009, le jeune écrivain revient avec Le Sel, aux rives de Sète…

    Jean-Baptiste Del Amo, Garcia de son vrai nom, 28 ans, ex-travailleur social actuellement pensionnaire à la Villa Médicis de Rome, a fait « tout juste » dès son entrée dans le « cirque » littéraire en 2008. Si son premier roman, Education libertine, n’est pas arrivé à décrocher « Le » Goncourt de cette année-là, où il était pourtant très bien placé, du moins fut-il gratifié, consolation notable, d’une Bourse Goncourt du premier roman au printemps 2009.
    Avec ce premier ouvrage d’une sensualité fruitée non moins qu’acide, et d’un baroquisme très maîtrisé du point de vue de la langue, évoquant l’apprentissage sentimental et charnel du jeune Gaspard dans le Paris truculent d’avant la Révolution, Jean-Baptiste Del Amo imposait d’emblée une écriture élégante et l’art de la composition d’un vrai romancier, avec un regard féroce sur l’arrivisme social et l’avilissement d’un jouisseur désespéré.
    Or ce brillant début, à l’enseigne déjà prestigieuse de la collection blanche chez Gallimard, salué par la critique et non moins bien reçu par le public, allait-il se trouver confirmé, deux ans plus tard, à l’épreuve parfois cruelle du deuxième roman ? De fait, Le Sel nous vaut une belle surprise avec un roman complètement différent de ton et d’écriture, dans le genre « choral ».
    Rompant avec le baroquisme échevelé, voire excessif, d’Une éducation libertine, ce nouveau roman, plus sobre et plus limpide dans sa forme, poursuit cependant une approche des êtres qui est de la même « patte », avec une qualité d’écoute remarquable. Le décor de la cité portuaire de Sète chère à Valéry et à Brassens, et son environnement naturel de dunes et d'étangs salins, compte pour beaucoup dans le climat du roman. « C’est une ville prolétaire, une ville d’immigrés, et il y a l’eau qui me fascine », précise l’écrivain, qui s’immerge dans cette confrontation familiale tout en finesse, mais également en éclats, sous une lumière tour à tour soyeuse et cruelle.
    Attentif, comme dans Une éducation libertine, aux déterminismes sociaux ou psychologiques qui marquent les comportements et les relations humaines, Jean-Baptiste Del Amo témoigne, dans Le Sel, d’une empathie humaine que son expérience personnelle a sans doute nourrie et avivée. À ce propos, on peut rappeler que, dès 2006, il avait reçu le Prix du jeune écrivain pour sa nouvelle intitulée Ne rien faire, inspirée par son expérience au sein d’une association de lutte contre le sida en Afrique. Retraçant alors les circonstances de la mort d’un nourrisson, le jeune auteur était parvenu à rendre, sans pathos, les multiples manifestations de la douleur que nous retrouvons, sous une autre forme, dans son dernier roman. Celui-ci, malgré son évidente qualité, ne figure « que » sur la liste du prix Médicis, belle distinction littéraire qui lui conviendrait cependant. Mais la concurrence sera rude. Est-ce important ?

    Musiques du coeur
    C’est un tour de force impressionnant que réalise le jeune auteur avec cette plongée dans les coeurs et les entrailles d’une douzaine de protagonistes de la même famille, qui se retrouvent un soir pour un repas après la mort du père, le redoutable Armand, patriarche à l’ancienne. Autour de Louise, la veuve , se retissent peu à peu tous les liens dans une sorte de spirale ascendante du temps qui va déboucher sur le présent chauffé à blanc.
    Avec un art consommé, malgré certains traits trop esthétisants et certains détails discordants du tableau social, l’auteur parvient à ressaisir des personnages vivants et vibrants, comme le grand frère Albin s’arrachant à l’influence du père et s’affrontant à sa femme Emilie, Jonas traité de «pédale» à huit ans par Armand et devenant bel et bien homosexuel, ou Louise se retrouvant en face de sa fille Fanny, notamment.
    Sous l’égide un peu solennelle des trois Parques (Nona, Decima et Morta), Le Sel impressionne par le brassage «proustien» de sa remémoration , qui nous rend présent et sensible tout ce qui reste caché de nos tribulations quotidiennes, et les actualise dans une sorte de musique sensible lancinante et belle.
    Jean-Baptiste Del Amo. Le sel. Gallimard,284p.


  • Ceux qui ne font que passer

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    Celui qui passe la main / Celle qui cède le pas / Ceux qui restent à quai / Celui qui est trop pur pour durer / Celle qui n’a pas désiré s’attacher / Ceux qui se sont excusés sans le penser / Celui que la méchanceté désarme / Celle que la vanité fait sourire / Ceux qui ont fait le deuil de leur enfance sans la renier pour autant / Celui qui accepte d’être devenu ce personnage décevant qu’on appelle un adulte responsable / Celle qui fait sienne la rêverie du poète ingambe / Ceux qui regardent à l’Ouest d’Ouessant / Celui qui repart en mer dès qu’il revient de montagne / Celle qui te regarde comme une sœur et parfois comme une mère et que tu regardes le plus souvent comme l’amie bonne de Vermeer penchée sous la lampe à faire son sudoku / Ceux qui se voient décliner et s’inclinent / Celui qui écoute le silence d’avant les oiseaux / Celle qui attend son taulard au Liberty Bar / Ceux qui repartent sans y penser / Celui qui habite le matin qu’il appelle l’Heure de Dieu en dépit de sa mécréance proclamée / Celle qui comprend que Dieu t’est comme un pantalon seyant / Ceux qui enfilent Dieu comme un bonnet / Celui qui réprouve cette façon par trop familière de parler de l’Être Suprême / Celle qui voit dans les petits enfants la présence de quelque chose ou de quelqu’un qui dépasse la sentimentalité pralinée / Ceux qui ont mal aux genoux de s’agenouiller mais pas mal au cœur d’en manquer / Celui qui dit hello les enfants à la sainte Trinité quand il se pointe à l’office du matin qu’il célèbre en sautillant à la manière typique du cureton Maximilien-Marie du Sacré-Cœur dit aussi Frère Lapin / Celle qui reconnaît que l’hostie lui fait plus de bien que le boudin / Ceux qui font des thèses sur Dieu avec autant d’habileté qu’ils en feraient des antithèses / Celui qui n’en a rien à branler de ces bondieuseries mais qui va prier Marie qu’elle l'aide à payer sa moto nom de bleu / Celle qui appelle enfant de Dieu le machin mou qui bouge en elle et dont le père s’est tiré / Ceux qui te sont confiés et que tu châties bien / Celles qui prient derrière les grilles / Celui qui se choisit un cercueil assez spacieux où il puisse rester en chien de fusil comme dans son lit de petit garçon / Celle qui refuse de faire urne commune avec son trop infidèle Gaston / Ceux qui trouvent que le vieux met bien du temps à cramer alors qu’ils ont toutes ses affaires à régler / Celui qui revit de savoir que le mort l'est enfin / Celle que son désespoir ramène à la joie / Ceux qui prétendent qu’ils ressuscitent tous les matins et que la mort attendra, etc.

  • Le premier Labyrinthe

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    Ce fut mon compagnon occulte en enfance: le Petit Larousse illustré. Avec lui j’ai découvert le monde. À plat ventre sur mon lit ou dans les herbes j’ai pénétré dans le Labyrinthe en passant sous l’arche de l’A initial, et déjà la dame au profil de déesse Art Nouveau, sans cesser de souffler sur son pissenlit, me révélait que “ne savoir ni A ni B” signifiait rien de moins qu’”être fort ignorant”, et moi j’avais faim de savoir un peu tout.

    Aussi j’aimais la musique que font les mots sur leurs portées typographiques, et je paressais de longues heures sous le soleil de perpétuelles vacances, égrenant le chapelet d’inépuisables litanies: “picotin”, “picoture”, “picpouille”, “picrate”...

    Et puis il y avait les images, les planches et les tableaux historiques ou géographiques de la seconde partie, les têtes fameuses (saint Pie Ier, juste après Picrochole) et les notices artistiques (La pie voleuse, opéra-comique).

    Le casoar avait la même coiffure hirsute et le même bec pincé que ma maîtresse de piano qui, lorsqu’elle jouait certaine Polonaise de Chopin (né en 1810 près de Varsovie, il a “rénové le style du piano”), semblait avoir autant de mains que le dieu Shiva de la gravure illustrant l’Art Hindou.

    Dès que je m’ennuyais, je savais en outre qu’il suffisait, pour échapper aux lois de la pesanteur, de s’abandonner à la contemplation de la page des Navires (le majestueux “voilier” à trois mâts, nanti de son “grand cacatois”, de ses “focs” et de sa “brigantine”, mais aussi le “paquebot” et le “cuirassé d’escadre”), ou à celle, écornée, des Véhicules montrant la “litière” et le “tilbury”, la “diligence” ou le “ballon sphérique”.

    Le ballon sphérique ! Dans un de nos albums des éditions NPCK (Nestlé, Peter, Cailler, Kohler) fleurant l’industrie chocolatière et l’université familiale, j’avais colorié la nacelle d’Auguste Piccard dont on disait qu’il était l’”homme le plus haut du monde”, qui avait inspiré le modèle du professeur Tournesol et que nous surprenions parfois avec sa loupe de naturaliste et ses calepins, fouinant dans les fougères ou le long de la rivière, dans les bois des hauts de ville que nous hantions toutes les fins de semaine...

    Et ce mot annonçant l'envol des vocables: Je sème à tout vent...

  • Ceux qui se retrouvent en forêt

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    Celui qui se retrouve chez lui dans les pénombres de la forêt et des bibliothèques / Celle qui a sa clairière privée dont nul ne sait rien / Ceux qui aiment ce temps hors du temps de la forêt marquée en hauteur par des mouvements d’oiseaux / Celui qui sait qu’Adam a partie liée avec l’humus et se le rappelle charnellement à l’instant / Celle qui pense à New York comme à une forêt debout / Ceux qui aiment s’attarder dans les cimetières / Celui qui a connu son premier orgasme en forêt et tout seul dans ce parfum mêlé de sirop de pêche et de feuillages / Celle que tu as baisée en petite brute dans un trou de souche tapissé de feuilles fraîches avant qu’il ne tonne et pleuve sur vous comme une onction / Ceux qui boivent en chasse à la gourde de thé que leur a préparée leur mère la veille / Celui qui a ses bois de prédilection selon la saison et ses humeurs d’ange ou de sanglier / Celle qui a surpris l’homme nu au bord de la rivière du Bois du Pendu / Ceux qui ont remonté la rivière dite Vuachère de son embouchure sur le lac à ses sources en passant par les canalisations de dessous la ville où que ça pue la merde humaine / Celui qui a découvert cette odeur qu’il dit l’odeur de l’écrevisse par allusion au printemps sexuel / Celle que son veuvage a fait découvrir les forêts de Mazurie / Ceux qui se laisseraient bien mourir en forêt mais qui se trouvent toujours un motif d’en revenir / Celui qui dit aux enfants qu’il a vu des elfes et des trolls dans le Bois des Fées / Celle qui ne voit des elfes et des trolls que dans ses rêves à caractère assez érotique il faut bien le dire malgré sa qualité de sœur visitandine / Ceux qui sont étrangers à toute imagination féerique / Celui qui voit bel et bien un jour des elfes et des trolls dans la forêt mais qui dit aux enfants qu’il n’a rien vu cette fois-là / Celle qui sait que tu sais qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent en évoquant la Forêt de la Connaissance / Celui qui s’est pendu dans la forêt qui porte désormais le nom de Bois du Pendu / Ceux qui ont dû reconnaître leur fils au pied de l’arbre innocent / Celui qui cueillait des myrtilles au peigne et s’est fait cueillir dans un champ voisin par une faucheuse alors qu’il était en état d’ébriété hélas c’est le risque / Celle qui parle de raser sa petite forêt mais personne n’en fait un plat comme en Amazonie et tout ça / Ceux qui ont vécu les dévastations forestières de l’ouragan Lothar comme un drame personnel / Celui qui marque les arbre à abattre pour faire mieux vivre la forêt / Celle que son Alzheimer pousse régulièrement dans le Bois du pendu de sorte que c’est pas une affaire de la retrouver la mémé / Celui qui ferait des kils pour retrouver un vrai bois de chênes / Celle qui moule un joi caca d’enfant dans les fougères qu’elle arrose en même temps de son pissat de poupoune de cinq ans / Ceux qui sont aussi douillets à pieds nus sur les aiguilles de sapin que des chats d’appartements / Celui qui exulte à la vision furtive d’un chevreuil dans les brisées / Celle qui fait sa biche aux abois au zinc du bar de la Selva / Ceux qui se prénomment Sylvestre mais c’est plus rare que Sylvain, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui transmettent

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    Celui qui écoute ses enfants / Celle qui se sent la partie d’un tout / Ceux qui sont dans le tableau entre le bois noir et l’étang aux carpes d’or / Celui qui peint comme on prie / Celle qui n’est plus qu’une présence silencieuse mais attentive / Ceux qui voient les choses telles qu’elles sont en leur irradiante beauté / Celui qui découvre ce matin l’irradiante beauté des murs de l’usine de placoplâtre qu’il voit de sa fenêtre / Celle qui sent en elle qu’en ce matin chantent tous les matins du monde / Ceux qui lisent les poètes T’ang avec le sentiment d’en être contemporains ce matin / Celui qui surprend des dialogues dans la nuit de sa bibliothèque / Celle qui entend Montaigne mais écoute plutôt Pascal / Ceux qui disent certains jours qu’ils préfèrent les livres aux gens et certains autres jours qu’ils préfèrent ne pas dire ce qu’ils préfèrent / Celui qui se construit en se démolissant bien plus férocement que ne s’y emploient ses détracteurs manquant un peu d’imagination tout de même / Celle qui pratique une manière de critique métaphysique à laquelle les mecs de la fac ne comprennent que pouic / Ceux qui attaquent la philosophe avec une virulence qu’exacerbe évidemment sa saisissante beauté vintage / Celui qui sait déceler la Qualité sous les dehors les plus encanaillés / Celle que déroute les penchants de la nature et notamment chez les crustacés millénaires / Ceux qui aiment plutôt les philosophes poètes présocratiques le matin, plutôt Paul Valéry à midi sur la terrasse donnant sur la mer, plutôt les romancières anglaise l’après-midi et plutôt le roman noir le soir mais ça peut changer de jour en jour / Celui qui s’endort dans la barque que nul courant ne risque d’emporter / Celle qui remonte aux sources du ruisseau de son enfance auquel elle trouve un aire de cloaque à l’approche des nouvelles zones industrielles / Ceux que le nom de Wells fait songer plutôt à Orson l’ours ou plutôt à Herbert George né le 21 septembre 1866 à Bromley dans le Kent / Celui qui se demande ce qui relie Virgile et Kafka qui tous deux ont exigé qu’on détruisît  leurs écrits après leur mort / Celle qui de toute façon n’aurait lu ni ce Virgile ni ce Kafka vu qu’elle est Tatare et se fait tartir dans sa yourte / Ceux qui se sont intéressé à la condition des Indiens pour des raisons purement narcissiques et s’en sont désintéressés pour les mêmes raisons au moment de s’inscrire sur Face de plouc / Celui qui gère les droits de son oncle poète et Nobel de littérature dont il n’a encore rien lu pour « rester objectif » dit-il / Celle qui dit aimer les peintres siennois à cause de T.S. Eliot mais c’est juste pour faire chicos car elle ignore tout de l’un et des autres / Ceux qui ont des états d’âme alors qu’ils prétendent que l’âme n’existe pas / Celui qui reprend la route du même pied-léger que Friedrich Nietzsche avant sa déroute / Celle qui s’égare dans les fallacieux arguments d’Edgar le factieux / Ceux qui ont toute la vie derrière eux mais font comme s’ils l’avaient aussi devant, poil aux dents, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Du Coca dans le stylo

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    Méfiez-vous des enfants sages, type représentatif du premier roman prometteur, marque l’apparition d’un nouveau talent de vingt ans : Cécile Coulon. À  laquelle on souhaite la longévité de Sagan

    Cécile Coulon, née en 1990 et grandie sous les volcans d’Auvergne, déboule en souplesse, et le sourire lavé au Coca, dans la cour de la rentrée littéraire, avec son premier roman intitulé Méfiez-vous des enfants sages et publié par une  éditrice, Viviane Hamy, au catalogue littéraire de bon renom .

    La concurrence sera rude, puisque 85 premiers romans se trouvaient au départ. Déjà, quelques nouveaux auteurs, pas forcément jeunots, ont été repérés. Telle Douma Loup, romancière genevoise de 27 ans qui s’affirme d’emblée, avec L’embrasure, paru au Mercure de France, par une écriture très originale, plus mûre assurément que celle de Cécile Coulon.

    Mais la fringante Cécile a de bons atouts pour elle. D’abord parce qu’elle a, de toute évidence, la « papatte », qui distingue un écrivain d’un faiseur. Elle a le sens du mot, le sens du récit, le sens de la construction, le sens des personnages. Ensuite, elle ressaisit, avec un mélange de candeur et de culot, les thèmes et le ton, les carences affectives et la révolte individualiste de  la jeunesse du tournant du siècle, comme Françoise Sagan exprimait le ton et les thèmes de sa génération en veine de libération, au mitan des années 1950. Cécile est-elle pour autant la nouvelle Sagan ? Probablement pas plus qu’elle n’est la nouvelle Carson McCullers évoquée  par l’éditeur.

    Mais le fait est que Cécile Coulon, comme l’an dernier le très jeune Sacha Sperling, auteur de Mes illusions donnent sur la cour, et comparé lui aussi à Sagan pour sa précocité, correspond aux normes, voire aux fantasmes liés au jeune auteur béni des fées rappelant évidemment le Raymond Radiguet du Diable au corps. Pour mémoire, rappelons  que Bernard Grasset lança ce premier roman, en 1923, année de la mort du jeune prodige,  « comme un savon » en annonçant « le premier livre d’un romancier de 17 ans », quitte à susciter  la réprobation de pas mal de critiques peu accoutumés à ces mœurs publicitaires…

    Un peu moins d’un siècle plus tard, le bluff et les « coups » éditoriaux ou médiatiques aidant, le risque advient, pour un jeune auteur, d’être lancé de la même façon, quitte à être abandonné dans la foulée s’il ne « marche » pas. À cet égard, nous pourrions aligner une liste de nouveaux Radiguet et de nouvelles Sagan qui ont fait « pschiitt » avant d’être relégués dans les oubliettes. Or, ces jeunes auteurs de premiers romans font encore figure de privilégiées par rapport à tous ceux dont les débuts non remarqués resteront sans lendemain.

     

    Cécile Coulon, bien dans sa peau et bien entourée, poursuit ses études à Clermont-Ferrand en affirmant qu’elle aimerait bien élever des chèvres, acheter des motos et se couper les cheveux, sans savoir dans quel ordre le faire. « Donc, en attendant, j’écris un nouveau roman ». Le premier a l’air américain, du côté de marginaux à la Carver. Pourtant elle se défend d’avoir écrit un roman américain avec Méfiez-vous des enfants sages. « C’est un roman qui se déroule aux Etats-Unis, ce qui est très différent. J’ai choisi ce lieu car d’une part, c’est le lieu de tous les possibles, et d’autre part, parce qu’à ce moment là, j’étais réellement accro à la culture américaine littéraire, cinématographique, musicale et populaire, et je le suis toujours. Disons que le logo Coca-Cola m’inspire beaucoup plus qu’une conserve de petits pois Bonduelle »…

     

     

    Doux oiseau de jeunesse

    On pense un peu (notamment) aux nouvelles douces-acides de Raymond Carver en lisant Méfiez-vous des enfants sages, autant à cause de ses personnages non conventionnels, voire un peu paumés, que pour le climat de bohème romantique qui le baigne. C’est d’abord le pur bonheur d’être au monde, éprouvé par Kerrie depuis qu’elle a débarqué à San Francisco de son trou de province, à vingt ans et des poussières.

    Puis, dans la petite ville du sud où elle est revenue après la mort de sa mère, c’est la vie partagée avec Markku le Suédois, passionné d’entomologie et s’éloignant peu à peu, et avec leur fille Lua, très indépendante en dépit de la tendresse qu’elle porte aux siens, et développant une amitié farouche pour Eddy l’ex-junkie. À la mort solitaire de son «vieux pote», Lua connaîtra son premier grand chagrin, entre autres expériences formatrices.

    Au fil d’une narration jouant sur des points de vue alternés, ce premier roman d’apprentissage filtre bien les désarrois et la révolte de l’ado révoltée, avec un regard lucide sur son époque et sa propre génération. Or, l’étonnante maturité de la romancière le dispute à une pétillante fraîcheur, qui fait passer quelques faiblesses et autres facilités juvéniles.

    Cécile Coulon, Méfiez-vous des enfants sages.Editions Viviane Hamy, 107p

    Ces articles ont paru dans l'édition de 24Heures de ce samedi 18 septembre.

  • L’autre désir – la poésie

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    Vient de paraître chez Albin Michel: L'Inachevable, recueil très substantiel d'entretiens avec le poète. Qui nous avait accordé celui qui suit pour Le Passe-Muraille, en 1993.  

    Entretien avec Yves Bonnefoy

    La tendance massive de l’époque est à la parole vilipendée à grande échelle, à la présence émiettée, à la distraction planifiée, aux certitudes assenées et qui tuent, au doute qui paralyse et qui stérilise, à toutes les formes du leurre et du simulacre – et comment résister à ce qui paraît un mouvement fatal ?A ces questions bien générales, certaines œuvres particulières répondent et d’abord par la simple évidence d'une voix à sa plénitude d’être et d’expérience. Ainsi celle d’Yves Bonnefoy, poète exemplaire de la présence au monde vécue à tous les degrés de l’intuition sensible, de la connaissance tous azimuts et de la réflexion.


    - Quelle place l’écriture tient-elle exactement dans votre vie ? Est-ce une discipline régulière ou une suite de mûrissements et de jaillissements ?
    - Quelle place ? Des jours aucune, puisqu’il y a tant de tâches qui nous requièrent dès qu’on a une profession. Nombre de mes journées sont occupées ainsi, dévorées ainsi, et il vaut mieux que je n’essaye pas de les retenir à quelque illusion d’écriture, elles ont leur vérité propre, d’ailleurs, leur enseignement. Et ce qui est vrai pour des jours l’est aussi pour des mois, parfois, si ce n’est même pour des années. Le fait poétique ne cesse pas de me préoccuper pendant ces périodes, il me donne matière à réflexion, sur l’exemple d’œuvres que j’ai toujours avec moi, mais je puis rester longtemps sans écrire. Après quoi, eh bien, c’est comme si j’entrais, parfois peu à peu, dans une autre sorte de vie, et il y a des saisons de la mienne pendant lesquelles je me penche chaque jour ou presque, et pour des heures recluses, sur cette feuille où des surgissements se produisent, que je me propose de comprendre, de raccorder entre eux, en les refusant s’il le faut, c’est-à-dire le plus souvent.
    - Qu’en est-il, plus précisément, de cette germination du poème ? Vous semblez dire qu’elle est difficilement accordée ?
    - Pour moi en tout cas elle est bien longue, et c’est là un fait qui me rassure, car je ne crois pas qu’il y ait de vraie poésie qui ne soit le renversement de la parole ordinaire par une autre qui monte de très profond dans notre inconscient et cela ne peut donc s’accomplir qu’au travers de maintes péripéties, où il faudra déjouer nombre de pseudo-évidences : certaines d’ailleurs suggérées par cet inconscient même que j’évoquais à l’instant, quand il agit par ses formes superficielles. L’inconscient, autrement dit, ce n’est pas simplement cette parole du désir dont on parle tant depuis Freud. C’est vrai que le désir, l’éros s’est façonné un langage en nous, avec ses symboles, sa scène, son autorité et son énergie, si bien qu’il suffit d’écrire, et le voilà qui afflue : ce vont être ces évidences dont je dis qu’il faut se méfier, celles qui font que l’on croit savoir ce qui est beau, ce qui a du sens. Mais tout cela n’est qu’une image du monde, de l’irréel : et plus profond dans notre rapport à nous-mêmes il est un autre désir qui veut, lui, la réalité et rien d’autre, un désir qui veut la voir, la toucher en ce qu’elle a d’inentamé par les mots – d’immédiat, disons aussi, de présent à notre présence -, et s’impatiente donc contre le discours de l’éros, et cherche à en déjouer les structures, à remonter à travers ses pour nous arracher à leur séduction, pour nous montrer comme à nu, du coup, la montagne, là-bas, ou l’arbre dans le soleil, ou le nuage immobile. Cet autre désir, c’est la poésie. Et comment espérer que l’écoute en soit facile, quand tant de prestiges l’étouffent ? Il ouvre des failles mais on n’en finit pas d’y descendre.

    - On a parlé des aspects religieux de votre poésie. Vous considérez-vous comme un esprit religieux ?
    - C’est une question de mots. Si un esprit religieux, c’est celui qui croit en un dieu, je n’en suis pas un : il ne m’est donné aucune croyance. Mais si religion signifie désir de vivre dans l’unité plutôt que le fragmentaire, avec respect pour les aspects les plus immédiats, les plus simples de l’être naturel, alors j’accepte ce grand vocable et je voudrais qu’il ait sens pour la société tout entière, sinon celle-ci est perdue, qui ne sera plus qu’un réseau de signes, aveugle au mystère de ce que j’évoquais tout à l’heure : l’arbre dans la lumière, le silence des pentes de la montagne.
    - Que diriez-vous aujourd’hui à un jeune poète ?
    - Qu’il ne faut pas qu’il ait peur de cette sorte de préoccupation, mais surtout qu’il ne s’y prête pas que de façon négative, c’est-à-dire en cherchant la rupture, la faille dans le discours de la société, mais fasciné malgré tout par l’infini propre de celui-ci, qui a certes de belles phosphorescences. C’est bien cette rupture que veut la poésie, je l’ai déjà dit, et j’aime la retrouver dans l’apparent décousu ou le minimalisme de bien des poèmes de notre époque, mais le rôle de la rupture, c’est de révéler l’immédiat, l’indéfait du monde, vers lequel il faut donc aussi que l’on se porte en des moments de vie simplement vécue parmi les grandes et belles choses.
    - Que pensez-vous de la coupure que l’on constate aujourd’hui entre la poésie et la société ?
    - Y en a-t-il vraiment une ? Ou ne s’agit-il pas simplement de la même sorte de distraction qui prive d’eux-mêmes, tous les premiers, ceux qui ont souci de la poésie ? A tout instant celle-ci leur échappe, le discours du concept s’y substitue, et cela qui a lieu aussi pour le groupe social dans son ensemble, depuis surtout que la science détourne de la pensée symbolique, qui gardait l’esprit auprès de la chose, mais voilà qui peut laisser espérer, tout aussi bien, que ce qu’on oublie peut être également ce qui tout se resignifie, et appelle. Peu de place pour les livres de poésie sur les rayons des librairies, mais que de films pour nous éblouir par de brusques instants épiphaniques, poésie brute !
    - Quelle pourrait être la fonction de la poésie dans l’univers de fausse parole des médias ?
    - Assurément, de combattre ce que l’on peut appeler l’idéologie, laquelle est d’articuler les uns aux autres quelques concepts absolutisés, refusés à tout avenir d’expérience, afin de les substituer au monde et d’ainsi enfermer les êtres, séduits ou contraints par force, dans ce champ d’abstraction, d’intolérance, de mort. Puisqu’il n’y a de poésie que par mémoire d’un au-delà du langage, tout recours au poème est aussi l’accusation, comme par surcroît, mais avec grande efficacité, de ces caricatures de langues qui sont des captations de pouvoir. Et cela me conduit à dire que la poésie est donc, de ce fait, le complément naturel du projet de démocratie – ce droit de chacun à sa parole – et la condition nécessaire à son véritable plein exercice. Il y a de la poésie même aux époques totalitaires, par des recherches individuelles, qui réussissent quelque eu à modifier la pensée commune, comme ce fut le cas à la Renaissance, ou préservent l’avenir. Mais il n’y aurait plus de démocratie si disparaissait l’activité poétique, et il faut donc prendre garde à ce que celle-ci soit protégée et révélée là où c’est possible, c’est-à-dure d’abord dans l’enseignement. Un professeur peut préserver un enfant de la tentation d’être dogmatique, intolérant, tyrannique – ou d’accepter d’être un esclave – en lui donnant simplement à lire – simplement, oui, sans les commenter, pour qu’il reste seul avec elles – quelques pages de Baudelaire ou de Rimbaud…

  • Une ballade américaine


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    Méfiez-vous des enfants sages marque l’apparition d’une nouvelle romancière talentueuse de vingt ans : Cécile Coulon, à laquelle on souhaite la longévité de Sagan…

    Cécile Coulon, née en 1990 et grandie sous les volcans d’Auvergne, déboule en souplesse, et le sourire lavé au Coca, dans la cour de la rentrée littéraire, avec son premier roman intitulé Méfiez-vous des enfants sages et publié par une éditrice, Viviane Hamy, au catalogue littéraire de bon renom .

    - Quel a été votre parcours jusqu’à ce matin ?
    - C’est très rapide : je suis née le même jour que Malcolm McDowell, mais pas la même année, ce qui m’a fait arriver un peu en retard au casting d’Orange Mécanique. J’ai fait mes études à l’ombre des volcans, entourée par les chats, les cassettes vidéos et les livres de mes parents. J’ai commencé à bafouiller du stylo vers douze ans, avec de très courtes nouvelles qui se sont peu à peu épaissies. En seconde, après la chouette lecture de L’éducation Sentimentale écrit par un certain Gustave, j’ai pondu un roman intitulé Le Voleur de Vie, publié un an plus tard par les Editions Revoir. L’année suivante, le même éditeur sortait Sauvages, un recueil de nouvelles. Puis j’ai découvert les cheeseburgers, les comics et John Steinbeck, et depuis, je me lave les dents au Coca-Cola. Entre-temps, j’ai fait deux ans de classe hypokhâgne et khâgne avant d’entrer en fac, au moment de la sortie de mon dernier roman, Méfiez-Vous des Enfants Sages.
    - Comment en êtes-vous arrivée à l’écriture ?
    - Très naturellement. J’aimais la lecture, la musique, le cinéma, je crois que tout s’est combiné. Ça s’est fait tout seul. C’est comme ça, ça vient instinctivement.
    - Quelle place la lecture occupe-t-elle dans votre vie ?
    - Une place beaucoup plus importante que l’écriture ! Je crois que c’est un réflexe de quand j’étais gosse : je ne peux pas m’endormir sans une histoire, un chapitre, un roman. Je lis tous les jours, et de tout. De Batman à Tennessee Williams en passant par Desproges…
    - Pouvez-vous évoquer la genèse de ce texte ?
    - J’ai écrit Méfiez-Vous des Enfants Sages il y a deux ans, pendant le mois d’août. Il n’y a pas eu d’idée de départ, de grande ligne directrice. C’est sorti d’un coup d’un seul, comme une langue de caméléon. Ça se passe toujours de cette façon: les idées viennent, c’est un mélange de films, de chansons, de textes, d’histoires, qui finissent par faire une bonne mayonnaise. Pour ce qui est du thème, je crois qu’à cette période, j’étais plongée dans la littérature américaine, le rock’n’roll et le chili con carne. J’aurais du mal à dire de quoi parle le texte ; et pourquoi je l’ai écrit, c’est quelque chose qui m’amuse, c’est un jeu, un tour de passe-passe entre ce que je vois, ce que je ressens, et ce que j’écris.
    - Pourquoi le situer aux States ?
    - Méfiez-vous des Enfants Sages n’est pas un roman américain, c’est un roman qui se déroule aux Etats-Unis, ce qui est très différent. J’ai choisi ce lieu car d’une part, c’est le lieu de tous les possibles, et d’autre part, parce qu’à ce moment là, j’étais réellement accro à la culture américaine littéraire, cinématographique, musicale et populaire, et je le suis toujours. Disons que le logo Coca-Cola m’inspire beaucoup plus qu’une conserve de petits pois Bonduelle.
    - Qui est Lua à vos yeux ? Vous identifiez-vous à elle ?
    - Lua est un personnage dont le parcours ne dépasse par la première et la dernière page du livre. Je ne m’identifie pas du tout à elle, même si c’est un peu bête de vouloir prendre de la distance par rapport à son propre livre, puisque toute création est forcément un peu autobiographique, quand on y pense. Dans cette optique, je m’identifie à tous mes personnages. Lua n’est qu’une nuance du tableau, et même si c’est elle qui raconte une partie de l’histoire, les autres ont une importance égale.
    - Comment les personnages vous sont-ils apparus ?
    Ils sont le résultat d’expériences musicales, cinématographiques et littéraires. Des mutants. Ils sont polymorphes, je me les suis figurés comme on cuisine un plat sans savoir la recette : on balance tout dans la gamelle, on touille, et on goûte.
    - Comment avez-vous construit votre histoire ? De manière concertée ou à l’instinct ?
    - À l’instinct. Rien d’autre.
    - Comment travaillez-vous ?
    - Course à pied, hamburgers et Coca : ça fonctionne un max ! J’écris la première mouture d’un roman en un mois et demi, puis le vrai travail d’ordre grammatical et syntaxique commence, avec ceux qui relisent derrière moi. J’utilise les conseils qu’on me donne comme une manière d’améliorer le texte, et cela m’oblige à reconsidérer mon propre fonctionnement, à me pencher sur mes faiblesses d’écriture.
    - Qu’est-ce qui compte à vos yeux dans un roman ?
    - Le détail. Que l’auteur capte le génie de l’infime. Et jouer avec ce décalage entre l’histoire globale et ce petit rien qui donne toute son épaisseur au texte, j’adore. C’est ce qui permet aux personnages d’exister.
    - Lisez-vous les romanciers français actuels ?
    - À fond. Chateaubriand est vraiment tip top. Plus sérieusement, le dernier livre français qui m’a plu est Cutter, d’Yves Ravey, publié chez Minuit. Il redonne au mot le sens qu’on lui arrache jour après jour.
    - Quel a été le parcours de votre manuscrit jusque chez Viviane Hamy ? L’éditrice vous a-t-elle fait retravailler le texte ?
    - C’est une amie qui a envoyé le manuscrit chez Viviane Hamy. Celle-ci m’a demandé de retoucher légèrement le texte, en particulier le personnage de Kerrie. C’est tout. Il n’y a pas eu de gros changements. J’ai étoffé certains passages et changé le titre : au début, le roman s’intitulait Bye-Bye Lua.
    - Et Dieu là-dedans ? Et vos prochains projets ?
    - Il paraît qu’Il a adoré le livre. Maintenant, j’aimerais bien élever des chèvres, acheter des motos et me couper les cheveux, mais je ne sais pas dans quel ordre le faire. Donc, en attendant, j’écris un nouveau roman...

    Coulon1.jpgDoux oiseau de jeunesse
    On pense (notamment) aux nouvelles douces-acides de Raymond Carver en lisant Méfiez-vous des enfants sages, autant à cause de ses personnages non conventionnels, voire un peu paumés, que pour le climat de bohème romantique qui le baigne. C’est d’abord le pur bonheur d’être au monde, éprouvé par Kerrie depuis qu’elle a débarqué à San Francisco de son trou de province, à vingt ans et des poussières. Puis, dans la petite ville du sud où elle est revenue après la mort de sa mère, c’est la vie partagée avec Markku le Suédois, passionné d’entomologie et s’éloignant peu à peu, et avec leur fille Lua, très indépendante en dépit de la tendresse qu’elle porte aux siens, et développant une amitié farouche pour Eddy l’ex-junkie. À la mort solitaire de son «vieux pote», Lua connaîtra son premier grand chagrin, entre autres expériences formatrices.
    Au fil d’une narration jouant sur des points de vue alternés, ce premier roman d’apprentissage filtre bien les désarrois et la révolte de l’ado révoltée, avec un regard lucide sur son époque et sa propre génération. Or, l’étonnante maturité de la romancière le dispute à une pétillante fraîcheur, qui fait passer quelques faiblesses et autres facilités juvéniles
    Cécile Coulon, Méfiez-vous des enfants sages.
    Editions Viviane Hamy, 107p.