Dialogue schizo à propos de Des gens très bien d’Alexandre Jardin, de Pierre Assouline et de l’«épaisseur de l’Histoire» selon Claude Lanzmann.
Moi l’un : - Tu m’as l’air bien songeur, camarade.
Moi l’autre : - Tu vois juste, Auguste : je suis tout songeur. Je viens de lire, après que Bernard de Fallois me l’a recommandé au téléphone, le papier que Pierre Assouline a consacré sur son blog (http://passouline.blog.lemonde.fr )à Des gens très bien d’Alexandre Jardin, sous le titre de Tintin chez les collabos, et j’en reste, comment dire ? partagé...
Moi l’un : - Tu trouves Assouline injuste envers Alexandre Jardin, à l'égard duquel tu t’es montré plutôt compréhensif l’autre jour dans ton édito de 24 Heures ?
Moi l’autre : - Non, je ne crois pas qu’Assouline soit injuste. Je crois que c’est Alexandre Jardin qui est injuste quand il taxe Une éminence grise, la bio d’Assouline, de complaisance, mais je persiste à « comprendre » la bonne-mauvaise foi d’Alexandre, son trouble probablement sincère, tout en déplorant certains aspects de son livre qui relèvent d’une démagogie inacceptable.
Moi l’autre : - Par exemple ?
Moi l’un : - Par exemple quand il établit une espèce de « liste de Jardin », impliquant les amis de Jean Jardin comme autant de collabos « notoires », tels Emmanuel Berl, Gustave Thibon ou Paul Morand. Là, on est carrément dans l’amalgame et la malhonnêteté intellectuelle. Quand Bernard de Fallois me dit qu'il se couvre de honte, je comprends...
Moi l’autre : - Et encore ?
Moi l’un : - Quand Alexandre Jardin affirme qu’il va « enjuiver la France » en la faisant accéder au rang de nouveau « peuple du livre », avec son association visant à faire lire, il me semble que le « cirque Jardin » repart de plus belle et avec moins d’élégance et de charme que dans Le nain jaune, livre que je n’aime pas tellement d’ailleurs. C'est à vrai dire un délire puéril.
Moi l’autre : - Et alors, finalement, qu’est-ce que tu en conclus ?
Moi l’un : - Rien, sinon qu’Assouline a raison quand il montre qu’il y a de l’auto-allumage dans la démarche d’Alexandre Jardin et que son procès ne tient pas la route par rapport à la culpabilité occultée de Jean Jardin. D’un autre côté, moi le Suisse aux mains pures, je me demande comment j’aurais réagi si j’avais appris que mon père ou mon grand-père avaient été mêlés directement aux refoulements de Juifs à nos frontières. Ces questions sont démêlées avec brio par certains jeunes historiens et autre jeunes plumitifs impatients de pointer la « Suisse collabo », mais je suis plutôt du parti de Claude Lanzmann, qui invoque l’ « épaisseur de l’Histoire »…
Moi l’autre :- À savoir ?
Moi l’un : - À savoir tout ce qui fait que, dans certaines circonstances, un homme ou un groupe agissent en fonction de composantes entremêlées qui constituent la réalité, et que leurs descendants ont trop beau jeu de les juger en fonction de critères moraux par trop « évidents ». Bien entendu, nous sommes tous d’accord pour dire que Jean Jardin aurait dû démissionner de son poste avant ou après le rafle du Vel d’Hiv. Mais tous ceux qui se sont penchés sur son cas, y compris les Klarsfeld, ont-ils été abusés et peuvent-ils être soupçonnés d’omertà quand ils constatent que ses responsabilités ne sont pas établies en l’occurrence ?
Moi l’autre : - C’est vrai que le fiston convainc plus par sa rage auto-allumée de vieil ado, probablement sincère une fois encore, que par la moindre preuve nouvelle apportée au dossier…
Moi l’un : - Oui, et tout de même, l’arrière-pensée qu’il y a là derrière un calcul personnel - et je ne parle pas que du coup éditorial, mais aussi du grand blanchiment perso -, donne à tout ça quelque chose de douteux. En tout cas de quoi te laisser songeur, camarade. Sur quoi je viens de voir que L'Hebdo consacrait la couverture de son dernier numéro à ce que les Suisses, Croix-Rouge en tête, savaient et n'ont pas dit pendant ces années sombres. Tu vois qu'on n'en est pas sorti...
Commentaires
Il y a chez ce type (alexandre) quelque chose de terrorisé. Il cède à un devoir comme à contre coeur.
Son couplet sur ses enfants a quelque chose de rigide et de pathétique.