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Livre - Page 130

  • Le roman comme un pont

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    Editorial

    Le roman comme un pont à construire

    « Il n’y a plus d’autre raison d’être à l’art romanesque que d’arriver à saisir l’époque », écrivait Philippe Muray. « En long, en large, en travers. Découvrir le cœur du « système » nouveau. Capter ses aspects encore invisibles. Mettre à nu la voix du temps, son caquetage incessant, et toutes ces inflexions changeantes d’une musique inédite à travers laquelle se tresse l’éloge qu’il porte sur lui-même ».

    C’est exactement cette démarche qui porte l’un des plus beaux romans de la rentrée française 2010, Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal. Par delà le soupçon jeté sur le genre même du roman, réduit par Céline à la « lettre à la petite cousine » puis « déconstruit » par les Modernes, Barthes en tête, contre l’histoire, le personnage et même la notion d’auteur. Rêve d’un texte textuel qui s’éclate dans la textualité et dans l’intertextualité. Les gogos, universitaires en tête, se seront pâmés devant la nouveauté. Mais Joyce avait déjà tout fait dans Ulysse et défait avec Finnegan’s Wake, et le dernier Céline de Guignol’s Band tirait l’échelle, avant le défilé vertigineux des rhapsodies poétiques, de Paradiso de José Lezama Lima à Zone de Matthias Enard…

    Et le roman là-dedans ? Plus que de la romance ? Du fait divers étoffé ? Ou n’importe quoi : confession, carnets de voyage, choses vues dans  la garrigue ou Rive gauche, derniers ragots sur les pipoles ?

    Allons plutôt voir ailleurs, via Philip Roth, Annie Dillard, Bret Easton Ellis, Thomas Pynchon,  J.M. Coetzee, J.B. Ballard, Don DeLillo, Vargas Llosa ou Fuentes avant de revenir au sourire mélancolique de Michel Houellebecq et au pont jeté par Maylis de Kerangal vers un nouveau possible…       

      «Le roman n’est pas mort, parce que l’homme ne l’est pas », disait un jour Soljenitsyne.

    Or, tout reste à dire de la nouvelle réalité dans laquelle nous sommes immergés, jusqu’au plus fantastique et au plus fantasmatique. Jusqu’au plus irréel du réel que nous vivons. Le roman d’aujourd’hui et de demain reste à construire. Naissance d’un pont…

    JLK

     

     

  • La revanche de Michel Houellebecq

     

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    Prix Goncourt 2010 sans surprise pour La Carte et le territoire, roman déjà plébiscité par le public...

    À l’enterrement de Michel Houellebecq, son éditrice Teresa Cremisi sanglote dans le giron de Frédéric Beigbeder en considérant le cercueil d’enfant dans lequel les restes de l’écrivain, méchamment découpé en fines lanières par un pervers collectionneur d’art, ont été recueillis.

    La scène est tirée de La Carte et le territoire, dernier roman du plus juteux « poulain » de dame Cremisi, éminence dorée de l’édition parisienne, passée de Gallimard à la tête de Flammarion et qui avait déjà « boosté » les romans précédents de l’écrivain avec un art consommé du marketing.

    Résultat de la course : l’auteur le plus  controversé et le plus  « culte »  de la littérature française du tournant du siècle, a obtenu hier le plus prestigieux des prix littéraires parisiens avec un roman  caracolant, depuis quelques semaines déjà, en tête des listes de ventes. Cette « consécration » rappelle celle de Marguerite Duras, en 1984, quand L’Amant, best-seller de la rentrée, avait été «goncourtisé» de manière jugée opportuniste par d’aucuns. En ce qui concerne Houellebecq, ce Goncourt 2010 fait en outre figure de « rattrapage », en matière de reconnaissance symbolique, après que les jurés des grands prix de l’automne  eurent « snobé » ses quatre romans précédents, à commencer par les Particules élémentaires, tous traduits aujourd’hui en une quarantaine de langues…

    De fait, souvent honni de ses pairs français, irrités par ses provocations mais plus encore par son succès international, Michel Houellebecq est sans doute l’écrivain français considéré hors de France comme le plus représentatif de sa génération, en phase avec les nouveaux auteurs du monde entier.

    Un ton nouveau

     Dès Extension du domaine de la lutte, publié en 1994 par un grand découvreur des lettres contemporaines, en la personne de Maurice Nadeau, Houellebecq s’est signalé par une perception nouvelle de la réalité contemporaine, et une façon très directe de parler du monde du travail et de la sexualité, de toutes les formes de déprime et de la fuite en avant dans la course à la réussite et la recherche d’un bonheur souvent factice.

    Clonage, échangisme, tourisme sexuel, dérives sectaires ou fanatiques (sa fameuse phrase sur l’islamisme dans Plateforme…), solitude de l’individu dans une société de plus en plus formatée, simulacres de la charité ou de la culture : tels sont, entre autres, les thèmes abordés par ce médium frotté de douce désespérance…     

    Au-delà des manoeuvres

    Donné pour gagnant, la semaine passée, sur deux pleines pages du Nouvel Observateur, Michel Houellebecq a obtenu le Goncourt après une délibération-éclair d’une minute et 29 secondes, au dire du juré-secrétaire Didier Decoin, et par sept voix contre deux à Virginie Despentes. La campagne de promotion orchestrée par son éditrice, avec son consentement faussement ahuri, a fait converger stratégie de longue date et tactique de dernière ligne. À lui le pompon !

     

    Humour panique et mélancolie

    On a parlé, pour dégommer La carte et le territoire, d’un roman « consensuel » purgé des aspects «sulfureux» de ses précédents romans, comme s’il s’agissait pour l’écrivain de faire le gros dos en matou matois péchant le compliment. Or, s’il y a un peu de cette suavité composée dans la campagne de promotion de son roman, celui-ci marque une évidente évolution du regard de l’écrivain, devenant ici son propre personnage, sur le monde et sur les gens.

    Surtout : Michel Houellebecq reste un observateur aigu, et parfois percutant, de la société qui noue entoure. Des menées personnelles d’un artiste, à la fois intéressant  et « piégé » par un marché de l’art délirant, aux relations de plus en plus équivoques entre culture et commerce, vie privée et publicité, au royaume des marques et de la spéculation, l’écrivain joue avec son propre personnage dans une mise en abyme pleine d’humour tantôt tendre et tantôt noir. Le sentiment du temps qui passe, et du vieillissement, pondère la satire (même si l’association Dignitas en prend pour son grade) et le dessin des personnages se fait plus nuancé, leur substance plus étoffée.

    Dans une chronique malveillante témoignant d’une piètre lecture, l’académicien Goncourt Tahar Ben Jelloun a parlé de la mégalomanie de l’écrivain pour le « scier ». Or c’est une tout autre image qu’en donne La Carte et le territoire, roman d’un clown triste jouant le vieillard en pyjama fripé avec une énergie et un fond de jubilation sardonique que nimbe un non moins perceptible mélancolie…

     Michel Houellebecq. La Carte et le territoire. Flammarion, 428p.

     

    SMS en coulisses ?

    Un rien de temps après que l’annonce du Prix Goncourt, attribué hier à Michel Houellebecq par sept voix, contre deux à Virginie Despentes, la nouvelle tombait que le  Prix Renaudot 2010  revenait à ladite romancière « trash », au 11e tour et par  quatre voix, contre trois à Simonetta Greggio.

    Or, eût-il pu se faire que Virginie Despentes décrochât à la fois le Goncourt et le Renaudot, à supposer par exemple que, vexés par la rumeur médiatique d’un Goncourt assuré à Houellebecq, les jurés de l’Académie reportent leur voix sur la punkette ?

    Cela eût très bien pu se faire, comme cela s’est fait en 1995 où, sans concertation probable, l’écrivain russe francophone André Makine obtint coup sur coup le Prix Médicis, le prix Goncourt et le Goncourt des lycéens pour Le Testament français. De la même façon, la lauréate du Médicis 2010, Maylis de Kerangal, aurait pu décrocher à la fois le Grand Prix du roman de l’Académie française, le Femina, le Médicis et le Goncourt, puisque son (très remarquable) roman, Naissance d’un pont, figurait sur les dernières listes de ces divers prix…

    Y a-t-il eu, alors, des téléphones, des billets échangés et autres SMS de concertation ? On peut le supposer. Ou pas. Et qu’importe finalement ?        

     

     

  • L'intruse

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    À propos de Nagasaki d'Eric Faye, palmé par les Académiciens...

    C’est un petit livre à la fois troublant et prenant que Nagasaki d’Eric Faye, dont l’épisode central est tiré des journaux japonais de mai 2008 : à savoir l’installation clandestine d’une femme dans l’appartement d’un homme seul qu’elle squatte à son insu durant une année. On pense au protagoniste d’Iriku (Vivre), le chef-d’œuvre de Kurosawa, en commençant de lire le récit de la vie de Shimura, quinquagénaire employé dans un office de météorologie et vivant seul dans une maison individuelle dont il néglige de fermer la porte d’entrée, et dont l’existence est cependant très réglée, maniaque même, au point qu’il ne peut que constater, tel jour, la diminution du niveau d’un jus de fruits multivitaminé dans son frigo, et tel autre jour la disparition de quelque autre aliment. Au premier sentiment de malaise succède bientôt une vague angoisse, qui l’incite à installer une webcam dans sa cuisine qui lui permettra de surveiller celle-ci depuis son ordinateur de bureau. Or il lui faut peu de temps pour surprendre, en effet, une silhouette furtive, puis une femme vaquant chez lui avec des gestes d’habituée, à ce qu’il semble, dont la présence le plonge d’abord dans le trouble avant de l’inciter à appeler la police. Alertée, celle-ci débarque bel et bien dans l’appartement du plaignant, qui en est déjà à regretter son geste, débusque la femme réfugiée dans un placard, l’embarque et obtient l’aveu qu’elle squatte une chambre de Shimura depuis des mois déjà. L’anecdote est évidemment singulière, mais on pourrait en rester là, avec le procès suivant l’arrestation de la squatteuse clandestine et le dénouement prévisible de l’affaire. Mais Eric Faye fait bien plus que « romancer » un fait divers, nous faisant vivre de l’intérieur le bouleversement d’une vie toute plate et sa remise en question, comme dans le film de Kurosawa, en beaucoup moins radical cependant, avant la bifurcation de la narration qui nous fait revivre les faits par le témoignage de la squatteuse, ancienne militante d’une fraction terroriste qui survit chichement comme un autre « zéro » social et affectif.

    Sans un atome de sentimentalisme, avec quelque chose de kafkaïen, ou plus exactement de walsérien dans le regard, ce roman dégage pourtant une espèce de chaleur humaine qui rappelle, une fois, encore, la perception « tchékhovienne » d’Iriku, sur fond de Japon marqué par la Catastrophe. Comme la neige dans le film de Kurosawa, et comme l’inoubliable complainte de « la momie », une sorte de chanson triste court entre le lignes de Nagasaki, qui laisse au cœur une marque sensible… Eric Faye. Nagasaki. Grand prix du roman de l’Académie française. Stock. 107p.

  • Houellebecq en traversée

     

    Houellebecq (kuffer v1).jpgLa carte et le territoire - Lecture annotée.

    Avertissement : il est déconseillé de lire ces notes avant d’avoir lu le roman.

    Exergue de Charles d’Orléans : « Le monde est ennuyé de moy. Et moy pareillement de luy ».

    - « Jeff Koons venait de se lever de son siège, les bras lancés en avant dans un élan d’enthousiasme ».
    - En face de la star de l’art kitsch-porno-branché : Damien Hirst, autre figure de la pseudo-avant-garde contemporaine hyperfriquée.
    - On comprend que les deux lascars sont en train d’être portraiturés dans un décor chicos, par un certain Jed.
    - Jed éprouve autant de peine à saisir l’expression de Koons que s’il s’agissait d’un « pornographe mormon ». Bien vu.
    - Kui trouve également une dégaine de vendeur de décapotables Chevrolet. Pas mal vu non plus.
    - C’est tout de suite très vif, comme dans les premières pages d’Extension.
    - On est le 15 décembre, et son chauffe-eau fait de drôles de bruits.
    - Un an auparavant, il était carrément tombé en panne.
    - Or il se met en quête d’un réparateur.
    - Qu’il finit par dénicher au matin du 24 décembre en la personne d’un Croate.
    - Lequel lui donne l’impression d’en « savoir gros sur la vie ».
    - Jed se rappelle comment in s’est installé dans son atelier d’artiste, neuf ans auparavant.
    - Il a fait récemment un portrait de son père au milieu de ses collaborateurs. Dont la composition est inspirée par une toile de Lorenzo Lotto…
    - Son père, architecte, est un homme fini.
    - Il va passer Noël avec lui.
    - Le vieux vit à Raincy dans une zone désormais à risques.
    - Un an plus tard, le chauffe-eau a tenu et le portrait intitulé Jean-Pierre Martin quittant son entreprise se trouve chez le galeriste de Jed.
    - Excellente modulation de la temporalité narrative.
    - Le père a quitté le Raincy pour une maison de retraite.
    - Se retrouvent Chez Papa.
    - Il parle de sa prochaine expo à son père, dont il évoque la vie de vieux veuf (p.22)
    - Et l’idée de son galeriste de faire un portrait de Michel Houellebecq.
    - Que son père, à son étonnement, connaît.
    - Le père de Jed : « C’est un bon auteur, il me semble. C’est agréable à lire, et il a une vision assez juste de la société »…
    - Jed observe les autres vieillards pendant qu’ils conversent.
    - Voit son père désormais « dans la position de l’enfant pensionnaire ».
    - Tout cela tendrement amer et mélancolique. Très fin, très bien perçu.
    - Jed de son père : « Il attend la libération, l’envol »…

    - Se réveille pendant la nuit suivante.
    - Son chauffe-eau lui rappelle le réparateur croate.
    - Qui lui a dit qu’il rêvait d’ouvrir une location de scooters des mers en l’île de Hvar.
    - Va voir sur Internet ce qu’il en est de Hvar…
    - Puis revient à sa toile inachevée de Koons et Hirst.
    - Se demande s’il ne faudrait pas peindre des ailes à Jeff Koons…
    - La paire canaille est au top du classement mondial d’ArtPrice, Hirst No 1 et Koons No 2.
    - Jed, lui, est No 583, mais 17e Français.
    - « C’était vraiment un tableau de merde qu’il était en train de faire ».
    - Il se considère lui-même à une « fin de cycle ». (p.31)
    -
    - Première partie
    - Retour à l’enfance de Jed.
    - Qui a connu ses premiers moments d’extase en dessinant.
    - Des fleurs pour commencer.
    - Dont il a compris le sort dès ses 5 ans…
    - Sensible aussi à la volonté de vivre des animaux.
    - Son père est PDG d’une entreprise de construction de stations balnéaires.
    - La première peinture de Jed, une gouache, représentait « Les foins en Allemagne ».
    - Une œuvre d’imagination…
    - Considère que la beauté est « secondaire en peinture ».
    - Son grand-père était photographe, et son père a eu de grandes espérances d’artiste.
    - En entrant aux Beaux-Arts de Paris, Jed a abandonné la peinture pour la photo.
    - Il a hérité une chambre Linhhof Master Tecnika Classic de son aïeul.
    - Pendant ses études, il s’adonne à la photo des objets manufacturés de toute sorte.
    - Son ambition encyclopédique est de « constituer un catalogue exhaustif des objets de fabrication humaine à l’âge industriel ».
    - Me rappelle une idée de Walter Benjamin.
    - Après son diplôme il se rend compte qu’il va être seul…
    - Il a accumulé quelque 11.000 photos.
    - Après ses études, il revient vivre avec son père au Raincy.

    - Il est alors question de la mère de Jed, Anne, qui a épousé son père par amour et s’est suicidée à l’âge de 40 ans.
    - Son père, un jour, lui propose de l’aider à acheter un appart à Paris, pour mieux percer.
    - Ce qui l’amène au boulevard de l’Hôpital.
    - Sa mère ressemble au portrait d’Agathe von Astighwelt ( ???).
    - Une nature apparemment angoissée.
    - Ne l’imagine pas à un concert de rock dans les années 60…
    - Jed a été casé dans un internat dès sa sixième.
    - Accomplit des études sérieuses et tristes. Lit beaucoup. Sa qualité d’orphelin le protège.
    - Soin projet d’artiste de donner « une description objective du monde » se fonde donc sur un terreau dense.
    - En tout cas on voit très bien le personnage.
    - Après son installation dans le XIIIe, le goût pour la photo lui passe.
    - Quelque temps, il va se passionner pour l’émission de Julien Lepers, Questions pour un champion.
    - Julien Lepers dispute la place de Jean-Pierre Foucault dans son top ten des animateurs…
    - Puis son père l’invite à se rendre à l’enterrement de sa grand-mère, dans la Creuse.
    - C’est au cours de ce voyage qu’il subit son second grand choc esthétique, en achetant la carte « Michelin Départements » de la Creuse, dont la sublimité le bouleverse…
    - Une carte au 1 :150.000e.
    - « L’essence de la modernité, de l’appréhension scientifique et technique du monde, s’y trouvait mêlée avec l’essence de la vie animale. »
    - Devant le corps de sa grand-mère dans son cercueil de chêne, son père lui dit timidement : « Elle croyait en Dieu, tu sais »…
    - Suit un enterrement « à l’ancienne », évoqué avec une sorte de tendre ironie.
    - Le prêtre est un « vieux routier » qui ne cherche pas à escamoter « la réalité du décès ».
    - Son père reparti à Paris, Jed repense à une certaine Geneviève, avec laquelle il a perdu sa virginité.
    - Une Malgache qu’il a connue à l’époque des Beaux-Arts et qui lui a raconté les coutumes de son pays
    - Une étudiante en art qui fait commerce de ses charmes pour arrondir ses fins de mois, et qui lui a tout appris.
    - En matière de dessin, Geneviève était essentiellement « innocente et joyeuse », ce qui le touche.
    - Mais Geneviève lui a préféré un avocat d’affaires.
    - Quant à la maison de la grand-mère, on a décidé de la garder.
    - Considérations sociologiques bien filées sur l’évolution de la campagne française, qui prendront tout leur sens vingt ans plus tard… (p. 61)
    - À son retour à Paris, Jed achète toutes les cartes « Michelin Régions ».
    - Il va travailler pendant six mois sur ce matériau.
    - Et vient le jour du vernissage.
    - Auquel il remarque bientôt « la plus belle femme qu’il ait jamais vue ».
    - Elle montre beaucoup d’attention à ses travaux.
    - Lui dit travailler chez Michelin : Olga Sheremoyova, du Servie de la communication.
    - La rappelle le lendemain.
    - Se voient Chez Anthony et Georges, rue d’Arras.
    - Olga essaie de pousser le mécénat de Michelin dans le domaine de l’art.
    - Olga trouve les cartes de Jed « vraiment belles ».
    - Après le repas, fin, elle l’accompagne chez lui.
    - Mais il vaut mieux aller chez elle.
    - Où ils vivront leur liaison.
    - Olga est une jeune Russe de l’élite.
    - Elle le fait beaucoup sortir.
    - Il apprend à se tenir en société, sur la défensive.
    - Avec une « courtoise neutralité ».
    - Il en vient à rencontrer Beigbeder en conversation avec une ex-hardeuse qui vient de poublier des entretiens avec un religieux tibétain.
    - Beigbeder à Jed : « Alors c’est vous ? ». par allusion à Olga, qu’il a « eue ».
    - Mais Jed ne sait pas quoi répondre. Et MH philosophe : « Que répondre, en général, aux interrogations humaines ». Exquis.
    - Croquis rapide de FB. Pas mal.
    - Déconne gentiment : « La littérature, comme plan, c’est complètement râpé », dit-il à Jed, sous entendu. C’est artiste qu’il faut être pour lever les plus belles femmes. Ce gens de choses.
    - Dans la foulée, Jed s’est trouvé « lancé ».
    - Sa prochaine expo est projetée, à laquelle collaborera une attachée de presse, Marylin, qui dit travailler « dans l’humain ».
    - Marylin fait très fort.
    - Titre de l’exposition : La carte est plus forte que le territoire.
    - Marylin gère les médias en championne.
    - Les articles vont gicler.
    - Patrick Kéchichian va délirer dans le genre mystique.
    - On fête l’événement chez les deux tantes sympas.
    - Anthony a un peu forci. MH : « c’était sans doute inévitable, la sécrétion de testostérone diminue avec l’âge, le taux de masse graisseuse augmente, il abordait l’âge critique ». Toujours la note romantique…
    - Où il est question de l’outing décisif de Jean-Pierre Pernaut, décisif pour les cuisiniers…
    - Un mois plus tard, Marylin débarque avec la presse. « On a tout le monde »…
    - Et Marylin repart vers sa destinée obscure de « guerrière »…
    - Considérations de MH sur les effets de mode et les engouements spontanés. (p.89)
    - Le succès de Jed mis en rapport avec celui des cours de cuisine, de la randonnée et des nouvelles créations charcutières ou fromagères, entre autres vins exquis.
    - De la « magie du terroir » et autres tartes.
    - Patrick Forestier, patron de Michelin, convoque Jed et lui déclare : We are a team »…
    - Lui propose de se déployer par lui-même, non sans lui proposer un contrat win-win.
    - Tout ça est finement et rondement mené.
    - Jed découvre ensuite les arcanes de la « formation du prix ».
    - En plaçant se sphotos en ligne, constate qu’il vaut cher : 2000 euros pour du 40x60.
    - Son revenu, entretemps, a dépassé celui d’Olga.
    - Considérations sur les goûts culinaires de l’époque et la préférence pour unecuisine « à l’anciene », qui incite Olga à contacter le directeur du segment Food luxe pour booster la gastro vintage. Exquisite.
    - Jed et Olga vivent plusieurs semaines de bonheur.
    - Souvent trois pages assez carabinées sur l’épicurisme tendance, la « cuisine d’intuition » et toutes ces sublimités coûteuses.
    - Cependant Olga va poursuivre sa vie en Russie, pour développer la présence de Michelin.
    - Elle propose à Jed de la suivre.
    - Mais il met du temps à répondre… (p.103)
    - Le 28 juin, Jed accompagne Olga à Roissy.
    - Se sent un peu démuni.
    - L’impression qu’il va franchir une nouvelle étape.
    - Réflexion sur les relations humaines, où il ne brille pas, et sur la famille.
    - Après lke départ d’Olga, de retour chez lui, son travail récent lui semble compètement vide. Il fiche tout à la poubelle.
    - Des années plus tard, devenu extrêmement célèbre, il dira qu’être artiste a toujours représenté à ses yeux le fait d’être soumis.
    - Il faudrait plutôt traduire : poreux.
    - Soumis à ses intuitions.
    - C’est pour ça qu’il détruit son travail.
    - Forestier, le directeur de la communication de Michelin, n’accueille pas mal la nouvelle.
    - Forestier déplore la mutation d’Olga.
    - Estime que la DG l’a enculé.
    - Les investisseurs étrangers dictent la nouvelle donne.
    - Il encourage Jed à rebondir.
    - Ils ont collaboré win-win…
    - Rien ne se passe pendant les semaines qui suivent.
    - Puis un type, la cinquantaine. L’aiur d’un situationniste belge, le hèle. Un certain Franz Teller, qui se dit galeriste.
    - Attiré par la mutation de Jed.
    - Se présente comme un pur intuitif, puis fait visiter sa galerie à Jed, une ancienne usine de construction métallique.
    - Jed est décontenancé par cette rencontre.
    - En octobre il fait une autre expérience intéressante qui l’amène rue Trudaine, dans le cabinet de son père.
    - Qu’il va retrouver.
    - Pour lui conseiller de se retirer.
    - Ce qui interloque son père : « Mais qu’est-ce que je ferais ? ».
    - Jed aussi vit un mauvais passage en matière de vie végétative.
    - Le souvenir de Joe Dassin, trèps apprécié d’Olga, le tarabuste…
    - Sur quoi, Jed passant devant le magasin Sennelier, va se décider son « retour à la peinture », qui sera très commenté plus tard…
    - Du pur Houellebecq. « Par la suite, Jed ne devait pas rester fidèle à la marque Sennelier »…
    - Ses deux prochaines toiles seront consacrée à un boucher chevalin et à un gérant de bar-tabac. À l’huile…
    - Se lance dans une série de métiers. Très Cavalier cela.
    - Sans rien de nostalgique au demeurant.
    - Cette série va durer sept ans.
    - Il y aura aussi une Aimée, escort girl.
    - Et La conversation de Palo Alto, chef-d’œuvre probable de la série de « compositions d’entreprise ».
    - 22 tableaux réalisés en moins de 18 mois.

    - Deuxième partie
    - Le 25 décembre, Jed décide d’organiser une nouvelle expo.
    - Envoie un mail de relance à Houellebecq.
    - Pui il appelle Beigbeder pour lui demander un service.
    - Ils se retrouvent à la Closerie des Lilas.
    - FB est d’accord de l’aider à s’introduire chez MH.
    - Lui suggère de jouer sur l’argent.
    - MH a été « séché » par son divorce.
    - Lui apprend qu’Olga l’a vraiment aimé.
    - Et qu’elle va diriger Michelin TV, sous l responsabilité de Jean-Pierre Pernaut.
    - Jed quitte Roissy pour Shannon.
    - Réagit à la vision d’une galerie de portraits de célébrités.
    - Se rend donc chez Houellebecq.
    - Qui a choisi l’ « option bungalow » et néglige sa pelouse…
    - Houellebecq s’excuse pour l’état de sa pelouse.
    - En ces lieux depuis trois ans.
    - MH lui offre de la charcuterie.
    - Puis se lance dans une défense fervente du porc « capable d’une affection sincère et exclusive pour son maître ».
    - J’aime beaucoup cet humour au second degré. MH ne craint pas de paraître idiot. Bon point.
    - MH examine ensuite les travaux de Jed et conclut qu’il va accepter.
    - Parle ensuite des radiateurs en fonte, et du parcours de la fonte dans le monde actuel, lié à un drame humain…
    - Jed explique qu’il est revenu à la peinture à cause des personnages.
    - Trouve que la nature morte n’a plus aucun sens depuis la photo.
    - Puis MH propose un dîner au Oakwood Arms.
    - Fait ensuite l’éloge de la Taïlande, qui est plus simple que l’Irlande, « équatorial, administratif »….
    - Puis, comme Jed lui reproche un peu de jouer son rôle, MH annonce qu’il va retourner sans la Loiret. Où il pourrait chasser le ragondin…
    - Ils vont donc dîner. MH parle de la haien qui le poursuit.
    - Parlent des journaux.
    - Puis du retour à la peinture.
    - Jed dit que ce qu’il fait se situe « entièrement dans le social ».
    - Jed lui propose de le payer avec un tableau.
    - MH dit que la seule chose qu’il possède dans sa vie se réduit à des murs… (p.150)
    - Le lendemain, Jed va dans une grande surface puis gagne l’aéroport. Nouvelles considérations sur la topologie du monde.
    - Sur le départ, Jed téléphone à MH pour lui dire qu’il aimerait faire son portrait.
    - Dialogue exquis : « Il y a un jour, une semaine spéciale où vous êtes libre ? ». Et MH : Pas vraiment. La plupart du temps, je ne fais rien… »
    - Franz est emballé par la perspective.
    - Marylin refait surface.
    - La série des portraits fera l’objet de la prochaine expo.
    - Une dizaine d’années se sont écoulées.
    - Il est sorti du circuit de l’art. Et ce sera donc son grand retour.
    - Il retourne ensuite en Irlande.
    - Où MH le reçoit en pyjama rayé gris, puant un peu.
    - Le reçoit plutôt mal. Il a replongé au niveau charcuterie et ressemble à une vieille tortue malade.
    - Très méfiant quand Jed s’approche de ses manuscrits.
    - Plus inattendu que jamais, MH se livre à une apologie de Jean-Louis Curtis. Pour ses pastiches de La France m’épuise…
    - Deux pages sur Curtis (pp.168-168)
    - Suivent des considérations sur les goûts de MH en matière de consommation : à propos des chaussures Paraboot Marcje, de l’ordi Canon Libris et de la parka Camel Legend…
    - Evoquant la disparition de la Parka Legend, MH pleure…
    - Puis l’ « illustre écrivain », comme Houellebecq appelle MH, se livre à diverses facéties, en « vieux décadent fatigué ».
    - Trouve l’idée du portrait « ronflante »…
    - Jed se rappelle ce qu’Olga lui a dit de son regard : un regard intense…
    - MH lui dit que son sentiment d’apartenance à l’espèce humaine diminue de plus en plus. (p.175)
    - Puis MH se livre à une diatribe contre Picasso qui selon lui a une « âme hideuse ».
    - Puis, quand Jed le quitte, il lui dit avec un sourire désarmant qu’il prend la peinture au sérieux…
    - Jed revient par Beauvais.
    - OÙ il « prend du recul »…
    - Suivent des considération, émises par des historiens d’art, sur le portrait de MH par Jed. (Pp. 184-185)
    - Il y est question de l’ « incroyable expressivité » du sujet, avec quelque chose de démoniaque dans la « transe »…
    - Le texte de MH, pour le catalogue, arrive le 31 ocobre. Une cinquantaine de pages contenant des « intuitions intéressantes ».
    - MH qualifie le regard de Jed comme d’un ethnologue.
    - Suit un développement, à propos de leur portrait, sur Bill Gates et Steve Jobs (pp.189-190). Très intéressant ! Cela donne envie de voir le tableau…
    - Le vernissage de l’expo est fixé au 11 décembre.
    - Avant de se pointer à l’expo, Jed se rend dans une grande surface. Bain de foule et d’objets…
    - Se demande s’il n’est pas gagné par un certain sentiment d’amitié pour Houdellebecq.
    - Quand il arrive à l’expo, Marylin lui dit : « Ya du lourd ».
    - Et de fait il y a de l’acheteur international et François Pinault et autres huiles…
    - Patrick Kéchichian en prend pour son grade, dont la dame du Monde refuse l’article genre « cuculterie bondieusarde».
    - La fortune commence de sourire à Jed.
    - Qui a l’air plus ou moins de s’en foutre.
    - Franz lui parle des offres d’hommes d’affaires qui veulent qu’on leur tire leur portrait, comme sous l’Ancien Régime.
    - Jed est toujours décidé à donner son portrait à MH, estimé 750.000 euros.
    - Jed est devenu l’artiste français le plus payé.
    - Mais on sent qu’il en est déjà fatigué. Ce que Franz perçoit.
    - Il va passer Noël avev son père.
    - Dont le cancer du rectum s’est aggravé.
    - « Je peux plus supporter la gueule des êtres humains », lui dit-il.
    - La rencontre est émouvante.
    - Jed raconte longuement la motivation de sa peinture, visant à décrire les rouages de la société.
    - Dit à Jed qu’il ne va pas lui expliquer les causes du suicide de sa mère, vu qu’il n’en sait rien (« Probablement est-ce qu’elle n’aimait pas la vie, voilà tout ») mais précise que le cyanure l’a empêchée de souffrir.
    - Le père n’a connu aucune autre femme, mais il envie de clopes.
    - Que Jed va lui chercher au coin de la rue.
    - Evoque ensuite le temps de la fumée et des grandes discussions, de ses espérances de jeune architecte, de son opposition au fonctionnalisme et de son sentiment d’écolo avant la lettre, de Fourier – très intéressant aperçu. (p.222)
    - Evoque son opposition à Corbu.
    - Très intéressant développement sur William Morris.
    - Distinction entre art et artisanat, sur la ligne de Gropius.
    - Comment il a fini par se résigner à fabriquer des stations balnéaires, qui l’ont enrichi. L’homme des illusions perdues…
    - Le 25 décembre, Olga refait surface.
    - Qui l’infite à une grande réception chez Jean-Pierre Pernaut.
    - Notes gratinées sur la « personnalité visionnaire » de cet apôtre de l’authenticité et des vraies valeurs.
    - Le lendemain, il achète « Les Magnifiques Métiers de l’artisanat », qu’il rapproche de William Morris et de sa notion de « progrès lent ».
    - Divers propos délicieusement pince-sans-tiure sur le monde des médias,
    - Puis il téléphone à Houellebecq, qui vient de couper du bois pendant une heure et se trouve en pleine forme. Lui annionce qu’il va lui amener son portrait…
    - MH a l’air heureux.
    - Réception mahousse chez Jean-Pierre Pernaut,
    - Dont l’hôtel particulier, en Vendée, est gardé par des paysans à fourches.
    - Une dizaine de binious bretons font la musique.
    - Jed n’a jamais vu in si grand appart de sa vie.
    - Il y a là 200-300 invités.
    - Jed a peint « Le journaliste Jean-Pierre Paraut animant un comité de rédaction », un tableau « discret ».
    - Il y a là Patrick Le Lay, Julien Lepers, Pierre Bellemare, Claire Chazal, et le staff de Michelin qui donne le ton…
    - Finalement, Olga ramène chez elle le « petit Français fragile ».
    - Le lendemain Jed, bientôt 40 ans, se réveille auprès d’Olga.
    - « La sexualité est une chose fragile, il est difficile d’y entrer, si facile d’en sortir »…
    - Il se rend compte que c’est fini entre eux.
    - Le portrait de Houellebecq fait partie de sa dernière synthèse.
    - Jed avance par synthèses successives. Très intéressant.
    - Ensuite monte dans son Audi direction le trou de province où Houellebecq se terre.
    - L’écrivain a changé depuis la dernière fois.
    - Il dort dans son ancien lit d’enfant.
    - Il prétend qu’il a essayé d’écrire un poème sur le soiseaux, et qu’il vieillit « tranquillement ».
    - Le remercie pour le tableau.
    - Sans faire autrement attention.
    - « Il me rappellera que j’ai eu une vie intense, par moments ». Tordant.
    - Parle de Tocqueville.
    - Puis de William Morris.

    - Troisième partie
    - Où il est question d’un certain Jasselin.
    - Un flic, dont le collègue Ferber est prostré.
    - Trois gendarmes sont également sonnés.
    - On flaire la scène de crime.
    - À côté d’une « longère ». Et c’est comme ça qu’on a appelé la maison de Houelebecq.
    - Pas mal de mouches sur les lieux.
    - Et de fait, la victime est Michel Houellebecq.
    - Un crime affreux. La victime retrouvée décapitée et en charpie…
    - Suit un peu de documentation sur le commissaire
    - Satire sur le village culturel reconstutué.
    - Avec une rue Heidegger et une place Parménide. Mouais.
    - On est alors en 2011…
    - Jasselin revient aux lieux du crime.
    - Les experts s’activent.
    - La tête de l’écrivain et du chien ont été découpées proprement, par un pro.
    - Suivent quelques pages détaillées sur le commissaire.
    - Longue digression pourquoi ?
    - Digression sur son chien Michou, bichon bolonais…
    - Un peu fastidieux à mon goût.
    - De la stérilité du commissaire et de son chien bichon Michou…
    - Tout ça pas vraiment passionnant.
    - Les flics à propos de MH : « Ce type semblait n’avoir aucune vie privée ».
    - Divorcé deux fois, un enfant qu’il ne voyait pas.
    - L’enquête se poursuit sur la piste médicale.
    - Le lendemain, la nouvelle éclate dans les médias.
    - Tout le monde se dit « atterré ».
    - Teresa Cremisi évoque les ennemis littéraires de MH devant les flics.
    - Puis c’est l’enterrement (p.317), au cimetière du Montparnasse.
    - Dans une concession proche de la tombe d’Emmanuel Bove !
    - MH le présumé athée s’est fait discrètement baptiser six mois auparavant, apprend-on.
    - Les restes très déchiquetés de l’écrivain ont été recueillis dans des sachets et placés dans un cercueil d’enfant.
    - De l’opinion de Jasselin sur les seins siliconés (p.329)
    - Jasselin et sa femme Hélène, économiste, ont d’intéressantes conversations.
    - Jasselin à propos de MH : « Au total, il avait rarement vu quelqu’un ayant une vie aussi chiante ».
    - L’enquête se poursuit dans l’ordinateur de MH.
    - Un « petit vieux» et sympa…
    - Quelques Ex qui témoigneront.
    - On remonte jusqu’à Jed Martin.
    - La mort de MH a surpris Jed.
    - Son père l’a convoqué pour lui dire qu’il a décidé de se faire euthanasier. En Suisse.
    - Jed réagit assez piteusement.
    - Etre l’enfant de deux suicidés ne lui plait pas. Trouve que ça fait beaucoup.
    - Son père le prend mal.
    - Mais lui-même n’éprouve pour la vie qu’ »un amour hésitant ».
    - Jed va comparaître devant Jasselin. (p.348)
    - « La modernité était peut-être une erreur, se dit Jed pour la première fois de sa vue » en avisant le bâtiment de l’Institut à la rotondité inutile…
    - Jasselin lui apprend que MH a été découpé en lanières.
    - Sur les photos, le sol jonché des bouts d’Houellebecq évoque un Pollock. Comique.
    - Jed est assez secoué par le Pollock.
    - Ils se rendent ensemble dans le Loiret, au domicile de MH.
    - Discussion sur le mal (p.358).
    - « Le monde est médiocre », dit Jed, « et celui qui a commis ce meurtre au augmenté la médiocrité dans le monde ».
    - Ils arrivent à Souppes, où l’écrivain a vécu ses derniers jozrs.
    - L’évocation des lieux fait très fort penser à du Ballard.
    - Jed constate aussitôt que son tableau a été volé.
    - Un tableau qui vaut maintenant 900.000 euros.
    - Jasselin conclut que l’affaire est résolue : le vol a été maquillé en crime.
    - On retrouve Jed à Zurich, sur le straces de son pèpre et de l’association Dignitas d’aide au suicide.
    - L’entreprise jouxte un bordel de luxe.
    - Un peu téléphoné, mais on est dans la satire.
    - Jed voit les cercueils sortir à la queue leu-leu du bâtiment de Dignitas.
    - Mais Jed arrive trop tard.
    - « Tout est en ordre », lui dit la réceptionniste. Bien vu ! Il la gifle violemment. Bien fait !
    - Et dire que Ben Jelloun trouve de l’émotion à cet épisode ! Foutaise.


    - Epilogue
    - Quelques mois plus tard, Jasselin part en retraite.
    - Se retire en Bretagne pour jardiner.
    - Fait jurer à Ferber de ne pas laisser tomber l’affaire.
    - L’affaire n’est résolue que 3 ans plus tard, par hasard.
    - Lorsqu’on arrête un trafiquant d’insectes.
    - La piste conduit à un chirurgien collectionneur pervers grave.
    - On trouve chez lui des plastinisations de Von Hagens et le portrait de MH.
    - À présent le tableau vaut 12 millions.
    - Et revient à Jed.
    - Lequel prend congé de son chauffe-eau et s’établit en Creuse à la Candide.
    - Et les années passent.
    - On enterre Beigbeder.
    - L’œuvre de Jed va connaître diverses autres étapes.
    - La France se ruralise de plus en plus vers 2020.
    - Tout est bien.

  • Houellebecq goncourtisé ?

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    Deux mois après sa parution, La Carte et le territoire caracole au top des ventes. Selon Le Nouvel Observateur, le Prix Goncourt lui est acquis. Verdict lundi...

    Michel Houellebecq fut immédiatement remarqué, en 1994, à la parution d’un petit livre percutant au titre suggestif, Extension du domaine de la lutte, annonçant une satire mimétique de la société actuelle obsédée par la réussite sociale, avec de multiples modulations dans la vie quotidienne, au bureau, en ville ou au lit. Observateur aigu des comportements individuels ou collectifs, Houellebecq s’affirma aussitôt par un ton unique, assorti d’un point de vue sur le monde également déjanté, politiquement incorrect à maints égards, plus proche des contre-utopistes à la J.G. Ballard que de ses pairs français. 

    Ces traits se déployèrent  bien plus amplement dans Les particules élémentaires, en 1998, qui firent de lui le véritable «auteur culte» de sa génération, avec la part de frime que peut contenir l'expression, et pas moins  conspué au demeurant qu’adulé. Médium vivant d’une déprime d’époque, Houellebecq passa pour un nihiliste cynique, contre toute évidence. Par ailleurs, le personnage public de l’écrivain, jouant souvent les provocateurs, ne manquait pas une occasion de faire parler de lui.   

    «J’ai la sensation d’avoir participé à des années innovantes et brillantes », déclarait-il dans un entretien avec Paris-Match en 2006. « Ravalec, Dantec et moi, nous avons regardé le monde en face. Cela manquait dans le paysage… ». Or il y a du vrai dans ce rappel de la secousse qui se produisit, en 1994, avec la parution de Cantique de la racaille, de Ravalec, et d’Extension du domaine de la lutte, dans la foulée de Philippe Djian et avant l’expansion de Maurice G. Dantec. En rupture avec le «politiquement correct» de leurs aînés soixante-huitards, ces auteurs, marquèrent une nouvelle façon d’«intervenir» dans les médias, jouant souvent la «provoc». Citant la mort de Guillaume Dustan, autre agitateur extrême, et celle de Philippe Muray, franc-tireur de la pensée critique, comme un double signe de déclin, Houellebecq constatait encore : «On s’est bien amusés, mais la fête est finie. La littérature, elle, continue. Elle traverse des périodes creuses, puis cela revient ».

    Pour Houellebecq, cela ne cessa à vrai dire de «revenir», plus ou moins à son avantage. Entre un procès (en 2006) qui lui fut intenté suite à des termes jugés infamants pour les musulmans (dans le roman Plateforme, où il écrit que « la religion la plus con, c’est quand  même l’islam ») et un recueil épistolaire où il pose, avec Bernard-Henri Lévy, au maudit en butte à toutes les avanies, l’écrivain hyper-médiatisé, et pour le moins consentant, se fit de plus en plus d’ennemis. Ses incursions dans la chanson et le cinéma, mal jugées, ne firent rien pour rehausser sa cote… 

    Parallèlement, son œuvre n’a cessé pour autant de trouver plus de retentissement dans le monde, notamment avec La possibilité d’une île, fascinante saga futuriste jouant sur les avatars du clonage, notamment.

    Enfin, traduit en plus de 40 langues, Michel Houellebecq reste bel et bien le plus marquant des romanciers français du tournant du siècle, en dépit des attaques de tous bords. La dernière en date émane de l’académicien Goncourt Tahar Ben Jelloun, qui condamne (dans La Repubblica) son nouveau roman en termes aussi vagues que définitifs. Pour ne citer qu'un exemple, après l'avoir dénigré dans les grandes largeurs, Ben Jelloun concède le fait que la mort du père du protagoniste, euthanasié à Zurich, est un moment réellement émouvant. Or, s'il y a de l'émotion dans la fin du père de Jed Martin, c'est dans leurs ultimes relations entretenues dans un mouroir de la région parisienne et sûrement pas à Zurich, où le père meurt seul au dam de son fils arrivé trop tard. On espère que tous les Goncourt ne sont pas aussi désinvolte, mais il y a fort à parier que ce premier tir de barrage en annonce d'autres...

     

    Ainsi va toute vie humaine…
    Lorsque Jed Martin, artiste contemporain venu de la photo (par son grand-père), de l’architecture (par son père) et de la vie difficile (par sa mère suicidée), entreprend de faire le portrait de l’artiste millionnaire Jeff Koons et de son pair milliardaire Damien Hirst, il peine. Il va même piétiner et lacérer cette toile, alors que d’autres de la même veine, dont le portrait de Michel Houellebecq, lui vaudront de devenir l’un des artistes français les plus cotés de l’époque.
    Depuis qu’il a commencé de dessiner, avant de passer à la photo de boulons et de clefs anglaises, puis à la prise de vues en relief démarquées des cartes Michelin, Jed s’est ingénument ingénié à représenter les objets du travail humain, puis des acteurs de ce travail dans sa série des métiers simples, avant sa représentation des célébrités jouant le grand jeu actuel de l’activité mondiale, de Bill Gates à Steve Jobs. Or, ce qu’il n’a pas prévu, c’est que ses tâtons artistiques le propulsent soudain au premier rang du marché de l’art, comme Houellebecq s’est retrouvé au top de la notoriété littéraire mondiale.
    Tout cela qui n’est à peu près rien au vu du vieillissement de chacun et de l’évolution du monde, où les Chinois investissent le tourisme rural de France profonde, dont l’agriculture repique vers 2020 alors que les immigrés vont chercher meilleure fortune ailleurs…
    Portrait d’un « enfant du siècle » mêlant clairvoyance réaliste et bonne volonté, dans le sillage d’un père résigné à ne pas accomplir ses grandes espérances, La carte et le territoire est à la fois une satire carabinée de tous les simulacres sociaux (l’impayable réception chez Jean-Pierre Pernaut) et des joyeuses impostures de la culture, où une toile se vend soudain 12 millions d’euros comme par magie.
    Plus que dans les romans précédents de Michel Houellebecq, qui reste un incomparable observateur des mécanismes sociaux, ce roman « travaille » les liens affectifs fondamentaux (à commencer par les retrouvailles de Jed avec son père, mais également dans son approche des personnages féminins) et l’interrogation douce-amère sur le sens de nos destinées. Sauvagement assassiné avec son chien en 2016, l’auteur joue magnifiquement, enfin, avec les clichés littéraires au goût du jour (dont ceux du thriller gore) tout en développant une méditation mélancolique sur nos fins humaines. On notera enfin que le Michel Houellebecq du roman, avant que son corps décapité ne se fasse découper en longues lanières, se fait discrètement baptiser catholique. Pour démentir Tahar Ben Jelloun qui le taxe de mégalomanie aggravée, Houellebecq enterre son clone littéraire avec une certaine discrétion, au cimetière de Montparnasse, dans un cercueil d'enfant qui suffit à contenir ses pauvres restes...
    Michel Houellebecq. La carte et le territoire. Flammarion, 428p. 
     

  • Ceux qui remettent ça

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    Celui qui ne s’est jamais laissé abattre / Celle qui revient de plus loin qu’on ne croit / Ceux dont les bleus sont autant de médailles / Celui qui repart comme en 40 à sa drôle de guerre / Celle qui brode sa vie au point de croix / Ceux qui ne manqueraient pas un ancien épisode de Derrick repris à la télé / Celui qui passait alors pour le meilleur coup de Lisbonne ce qui lui fait une belle jambe à la veille de son amputation / Celle qui peut témoigner de la vaillance du bel Antonio qui pouvait remettre ça 7 fois ce qu’elle le laissait faire tout en lisant son New Yorker peinard / Ceux qui ne vous remettent pas / Celui qui se remet à ne plus boire / Celle qui n’en revient pas de n’être jamais partie / Ceux qui remettent à jamais voire à plus tard / Celui qui se rapasse tous les 78 tours du Chaliapine de la grande période avant qu’il ne boive / Celle qui se remet à pleurer comme la mousson à pleuvoir / Ceux qui pensent Chine et Indochine pour relativiser leurs mécomptes / Celui qui a constaté que les mécomptes faisaient fuir les amis qui ne comptent pas / Celle qui a tout remis dans la remise / Ceux qui ont vu brûler la remise dans laquelle Aglaé avait remis tous les papiers de l’héritage / Celui qui a remis son costime de communiant pour aller commettre la fornication dans une maison spécialisée du canton d’à côté / Celle qui se remet à sangloter rien qu’à l’idée que Johnny ne puisse pas se remettre / Ceux qui ont mis les clefs de la réussite à leurs fils aînés sans leur dire où qu’était la serrure / Celui qui a repris le droit chemin en attendant mieux / Celle qui tremble à l’approche de celui qu’elle désire ah que la vie est compliquée Daisy / Ceux qui ont connu la tramelote nommée Daisy / Celui qui remet sa camelote dans le circuit / Celle qui fait la chèvre dans le film osé évoquant Les amours de M. Seguin / Ceux qui se remettent à déconner grave / Celui qui préfère le cresson et Monteverdi / Celle qui garde ses lunettes pendant le gang bang / Ceux qui arrêtent de déconner allez faut qu’on aille gouverner, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Lionel Baier voit double

    Baier.jpgÀ voir aujourd'hui au cinéma Capitole, à Lausanne, sous l'égide de la Cinémathèque: deux nouveaux films de Lionel Baier. À 19h, Toulouse, et à 21h. Low Cost (Claude Jutra), découvert cet été au Festival de Locarno. Deux projections en présence du réalisateur. Entrée gratuite, sur réservation...



    Commencé en juin dernier, achevé à la veille de sa projection par l’auteur dans sa chambre d’hôtel à Locarno, Low cost, entièrement tourné avec un téléphone portable, durant une dizaine d'année, constitue plus qu’une performance acrobatique : un véritable poème cinématographique, à la fois rapide et léger, mais non moins grave et juste dans son évocation du bilan existentiel prématuré d’un protagoniste (David Miller) averti de la date de sa mort.

    Ce David est un avatar évident de Lionel Baier, mais le petit jeu des identifications est sans importance dans ce chant à la mémoire s’efforçant de capter la beauté fugace du monde et de rassembler les images d’une vie ressuscitée magiquement par le cinéma.

    De Cabourg (!) à Lausanne et de Paris à certain pont de Montréal d’où Claude Jutra, le cinéaste quebecois atteint d’Alzheimer s’est jeté, au fil de rencontres (le frère de David, sa mère, un ancien ami, un stoppeur, d’autres encore), de remémorations et de séquences multipliant les effets de réel, sans oublier la superbe bande-son (peut-être juste un peu trop belle par rapport au grain de l’image, a remarqué Renato Berta dans le débat suivant le film…), Lionel Baier est parvenu à transcender les limites de son outillage minimal au fil d’une narration éminemment cinématographique.

    À la réflexion sur le « bon marché » de nos vies, qui le « retourne » bonnement par le truchement de l’attention poétique à l’instant, s’allie une sorte de ressaisie phénoménologique du prix de la vie, précisément, pleine de tendresse et d’humour aussi. Bien plus abouti que le même exercice accompli l’an dernier par Pippo Delbono, Low Cost (Jutra) nous emmène plutôt, sans imitation ni pastiche, du côté du dernier Godard de Film socialisme ou d’Alain Cavalier dans son Filmeur, avec une patte vive qui n’est que de Lionel Baier, poète de cinéma… 


  • La furia d'un jeune écrivain

    Meyer3.jpgÀ propos de Wagner ≠ 1  de Sébastien Meyer, jeune auteur et éditeur romand qui en veut.

     La lecture de ce petit livre ardent et pur de Sébastien Meyer, âgé de 22 ans, m’a rappelé une phrase fameuse de Paul Nizan, qui amorçait ainsi son premier récit Aden Arabie, en  1931 : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ».

    Cette phrase nimbée de sombre romantisme, à nos vingt ans de soixante-huitards, nous parlait toujours alors que les vingt ans de Paul Nizan, vers  1925, l’avaient vu passer du premier parti fasciste français, du genre socialiste-révolutionnaire, au parti communiste avec lequel il rompit en 1939 à la signature du pacte germano-soviétique, désormais considéré comme un traître, vilipendé par Aragon et consorts, pour être tardivement réhabilité à la fin des années 1970, dix ans avant la naissance de Sébastien Meyer…

    Or curieusement, malgré tout ce qui sépare évidemment des jeunes gens de 1925, 1968 et 2008, et sans réduire pour autant ce qui les rapproche à « la jeunesse », la citation de Paul Nizan m’a semblé retrouver sa pleine validité au fil du récit d’Alexandre Wagner, jeune révolté immédiatement campé en posture d’échappée par un premier message jeté à la machine à écrire sur un bout de papier : « Une chose était certaine : je ne pouvais pas rester. Il fallait partir. Fuir ».

    D’emblée en effet sont opposées une vie faite de «trop de défaites accablantes » et de « réussites insipides », et l’alternative d’une existence « intense et vibrante jusqu’à l’agonie, jusqu’à l’épuisement total, jusqu’à l’anéantissement absolu ».

    Or c’est à proportion de l’intensité de son élan vers ces grandes notions abstraites – que ses aînés projetaient dans les idéaux politiques et les utopies diverses –, que notre solitaire  incarnera bel et bien son impatience de vivre « autrement ».

    Survivant  en traduisant des textes pour le Courrier international, Alexandre se trouve en contact permanent avec le monde comme il va, ou plutôt ne vas pas. Toute velléité révolutionnaire retombée, il imagine cependant l’alternative d’une réalité microsocpique  plus habitable, où il puisse « chorégraphier» son présent. Cette intuition d’une vie « dansée » sera d'ailleurs déterminante dans son futur proche, alors qu’il se rend compte que seuls les autres le tireront de son impasse stérile. Mais que faire « avec des secs, avec des graves, avec des étriqués », et comment se contenter des errances d’un « vulgaire prédateur des nuits alcoolisées » ?

    Or voici que quelques rencontres, d’une première Ludivine le poussant au bout de ses retranchements sensuels, puis d’un groupe fusionnel de danseurs, fille et garçons, et d’une femme plus âgée - cette Maud étonnante de présence qui a la vie derrière elle et l’aide à se libérer de son carcan de cérébral tourmenté -, vont le pousser à se révéler à lui-même en s’affirmant et plus encore : en s’incarnant bonnement.

    Tant par la dégaine du livre, relevant de l’artisanat sommaire (plus de rigueur dans les corrections ne gâterait rien, et l’on aimerait bien savoir de qui sont les lavis qui l’illustrent…), que par son contenu, Wagner ≠ 1  séduit et impressionne par une sorte d’affirmation d’indépendance d’une complète fraîcheur, qui n'exclut ni la gravité ni des pointes d'humour toniques. Surtout, il y a là un vrai talent qui a fait de grands pas après un premier livre, une vraie rage de survivre et de s’exprimer, quelque chose qui sent bon la littérature et le bel âge retrouvé de nos éternels vingt ans, sans la moindre nostalgie pour autant.

    Meyer1.JPGSébastien Meyer. Wagner ≠ 1. Editions Paulette, 102p.

  • Femina raffiné

    Lapeyre.jpg

    Ces dames choisissent La vie est brève et le désir sans fin,  au 6 e tour.

    C’est en beauté que le coup d’envoi  des grands prix littéraires de l’automne parisien a été donné hier, avec l’attribution du Prix Femina à Patrick Lapeyre, pour un roman déjà célébré par la critique : La vie est brève et le désir sans fin, paru aux éditions P.O.L. Dans la foulée, on relèvera ce nouvel hommage rendu à l’éditeur Paul Otchakovsky-Laurens, dont la maison fut gratifiée du Goncourt en 2008 avec Terre de patience d’Atiq Rahimi.

    Or c’est également dans le registre de la sensibilité poétique raffinée que se situe le nouveau roman de Patrick Lapeyre, déjà connu du public. De fait, rappelons que L’Homme-sœur, paru en 2004, lui valut le Prix du Livre Inter et qu’il devint best-seller.  

    Variation sur le thème de la passion mimétique et obsédante que deux hommes vouent à la même femme, qui ne voit aucun des deux l’aimer comme elle le désirerait, La vie est brève et le désir sans fin vaut part son thème autant que  par la subtilité de son élaboration et la qualité, « proustienne », de son écriture fluide, limpide, suggestive et comme nimbée de mélancolie.  

  • Besoin d'Amériques

     

    PanopticonP10.jpg

    Que se passe-t-il ?  Et comment le dire ? Que nous arrive-t-il ? Qu’est-ce que le monde actuel ? Comment le décrire ? Que faire ?

    Meyer3.jpgTelles sont les questions de toujours qui se reposent aujourd’hui aux écrivains de tous âges et de partout. D’un début de siècle à l’autre, le Que faire ? lancé en 1902 par Lénine se charge cependant d’un nouveau sens après la faillite des idéologies totalitaires et des utopies tous azimuts, alors que tout semble se relativiser dans l’universel micmac. Ainsi tel petit livre tout récent, du plus jeune de  nos écrivains, Sébastien Meyer, vingt ans et des poussières, relance-t-il la question avec la candeur impatiente d’un enfant du siècle : « Que nous reste-t-il ? Que reste-t-il à faire qui n’ait déjà échoué ? »

    Lui répondrons-nous, comme tant de désabusés, que tout a déjà été fait, dit et écrit, et que plus rien n’est à attendre désormais ? Et pourquoi lui accorderions-nous la moindre attention ? Y aurait-il donc encore quoi que ce soit à découvrir ? 

    Ya t-il encore des Amériques à découvrir ?

    C’est la question qui me revient avec la déferlante de chaque nouvelle rentrée littéraire, et cet automne 2010 l’aura relancée avec une ironie particulière puisque les traductions de l’américain y foisonnent en effet et que Prix Nobel de littérature est revenu au Péruvien Mario Varga Llosa. Mais les Amériques que nous rêvons encore de découvrir se bornent-elles à la littérature du Nouveau-Monde ? Sûrement pas !

     

    Douna21.jpgC’est ainsi que, ce matin d’été indien, l’une de mes découvertes porte le nom de Douna Loup, dont le premier roman, L’Embrasure, m’a ramené  au seuil de mes Amériques, quand à seize ans j’ai commencé de lire, trouvé par hasard dans la bibliothèque familiale, ce gros bouquin dépenaillé, paru chez l’éditeur lausannois Marguerat et dont le titre, La Toile et le Roc, me semblait ne vouloir rien dire et m’attirait pour cela même,  aussitôt captivé par la prose de ce Thomas Wolfe dont j’ignorais tout, et rebondissant bientôt à la vitesse des mots destination New York où grouillaient de toute évidence le vrai monde et la vraie vie.

    Douna Loup m’a tout de suite rappelé en outre, fût-ce à sa petite échelle de débutante,   les  Amériques de Céline et de La Bouche pleine de terre de Branimir Scepanovic, les Amériques de Paul Morand et d’Agota Kristof, avec ses mots précis et inattendus , ses mots enfilés sur des cordes tendues ou des lianes souples, ses mots et ses phrases qui vont direct au corps et au cœur et à l’esprit et à l’âme puisqu’il y a à n’en pas douter une âme derrière les mots ou au bout des mots, avec autant de mystère.

    La forêt du chasseur de Douna Loup m’a tout de suite rappelé la forêt de La Bouche pleine de terre, surtout quand le chasseur découvre celui qui s’est laissé mourir sous les arbres par goût de l’absolu.

    Or cette forêt où s’enfuir se retrouve dans le petit livre de Sébastien Meyer dont le protagoniste aspire à « poursuivre le rêve d’une existence intense et vibrante jusqu’à l’agonie, jusqu’à l’épuisement total, jusqu’à l’anéantissement absolu ».

    Kerangal.jpgEt la même forêt magique nous attend aussi au cœur des ténèbres incandescentes de Naissance d’un pont, dernier roman paru de Maylis de Kerengal, peut-être le plus beau livre français de cette année, dont la ville à la fois hyper-réelle et mythique , au bord du fleuve et au seuil de la forêt, dans le désordre organisé des hommes et sous le ciel immense, brasse le goût et le dégoût des hommes entre l’immanence et l’absolu.

    Mes  Amériques sont en effet liées à ce goût de l’absolu qui brasse les saveurs et le dégoût du monde, et c’est ce goût des choses rendu par les mots que vivifie immédiatement l’écriture inouïe (au sens propre de jamais entendue) de Douna Loup et de Maylis de Kerangal , ce goût des mots qui ont du fruit et de la bête dans ce monde où tout a un nom précis, jusqu’au mystère.

    °°°

    Ramuz1 (kuffer v1).jpgVous commencez de lire Aline de Ramuz - ce serait votre  Amérique de naguère -, vous vous  lancez à dix-huit ans et des poussières dans ce premier roman d’un tout jeune homme aussi, et vous vous  le rappellez comme de ce matin : c’est ça, c’est là, c’est comme ça, la vie, la beauté et la cruauté de la vie sont comme ça, la vie de cette jeunote de peu qui s’amourache du fils du notable du coin, lequel  la saute, l’engrosse et l’abandonne, la poussant finalement au suicide -  c’est l’histoire de toujours et de partout, comme Roméo et Juliette à Vérone ou au village, tout ce qu’on apprend en rêvant d’Amérique pour buter sur la réalité qui est, en somme, le grand sujet de L’Embrasure et de Naissance d’un pont, la beauté et la cruauté de la vie et peut-être l’amour là-dedans qui se faufile comme la biche au bois.

    Flannery.gifTrois sacrées bonnes dames nous ont beaucoup appris de la réalité, je veux dire : ces bonnes dames d’Amérique qui ont pour nom Flannery O’Connor, Patricia Highsmith et Annie Dillard, toutes trois réalistes à mort et suivant, chacune à sa façon, les voies impénétrables de la poésie : par le frénétique et joyeux exorcisme du mal dont  la sainte et diabolique Flannery s’était fait la sarcastique spécialiste, par l’attention panique et médiumnique à la médiocrité quotidienne de la « poétesse de l’angoisse » que fut Patricia Hisghmith, selon le mot de Graham Greene, ou par la pénétration spirituelle et religieuse de tous les paradoxes de la nature animale, humaine ou cosmique telle que l’exerce la pensée inspirée d’Annie Dillard.    

    Notre besoin d’Amériques est un besoin vital de poésie qui est aujourd’hui nié par les bruyants, les distraits, les inattentifs que nous sommes tous plus ou moins. Cette poésie est immédiatement perceptible dans toutes les nouvelles de Flannery O’Connor, dans Les braves gens ne courent pas les rues ou dans Mon mal vient de plus loin, comme elle l’est dans l’épopée quasi légendaire  des Vivants d’Annie Dillard, dont les pionniers réapparaissent dans Naissance d’un pont, dans les milliers de pages de Thomas Wolfe évoquant à la fois l’Ancien Testament et préfigurant la Trilogie américaine de Philip Roth, ou dans celles de Paul Morand dressant New York devant nous, dans la transe musicale du Voyage au bout de la nuit ou dans la fuite éperdue du désespéré de La bouche pleine de terre dont la sombre fable renvoie à celles de Faulkner.

    Powys2.jpgTout communique sur la planète Littérature : tout n’est certes pas égal mais on peut s’imaginer qu’un seul livre se tisse par tous, qui raconte notre histoire commune, ainsi que l’exprimait John Cowper Powys : « Un homme peut réussir dans la vie sans avoir jamais feuilleté un livre, il peut s’enrichir, il peut tyranniser ses semblables mais il ne pourra jamais voir Dieu, il ne pourra jamais vivre dans un présent, qui est le fils du passé et le père de l’avenir, sans une certaine connaissance du journal de bord que tient la race humaine depuis l’origine des temps et qui s’appelle la Littérature.

    °°°

    Le toujours incontournable Ramuz, rejetant toute idée d’une littérature nationale découlant d’une idéologie identitaire exclusive et fermée sur elle-même, n’en revendiquait pas moins, à la fin de la méditation fondatrice de Raison d’être, datant de 1914, la légitimité d’une littérature où l’ici et le maintenant ne fussent pas bornés par des frontières et autres drapeaux. « Mais qu’il existe, une fois, grâce à nous, un livre, un chapitre, une simple phrase qui n’aient pu être écrits qu’ici, parce que copiés dans leur inflexion sur telle courbe de colline ou scandés dans leur rythme par le retour du lac sur les galets d’un beau rivage, quelque part, si on veut, entre Cully et Saint-Saphorin, - que ce peu de chose voie le jour et nous nous sentirons absous. »

    Moeri2.jpgOr il me plaît, en ce matin d’été indien, de marquer un fort contraste de générations et de mentalités en reliant ce « beau rivage » de Ramuz à l’actuel bourg lacustre de Cully où se passent, précisément, les épatantes nouvelles de Tam-tam d’Eden d’Antonin Moeri, à vrai dire fort peu soucieux de s’en tenir au « peu de chose » poétique de Ramuz, pour traiter une matière en somme «mondialisée», comme le fait aussi Jean-Michel Olivier dans L’Amour nègre. De fait, c’est bien loin de ce qu’on a appelé « l’âme romande », dont Ramuz a été le supérieur parangon avec Gustave Roud, que ces auteurs évoluent désormais, ces deux-là brillant particulièrement dans l’observation « panique » de la société contemporaine telle que la pratiquent un Bret Easton Ellis, dont L’Amour nègre s’inspire assez clairement, ou un Michel Houellebecq, duquel Antonin Moeri est également proche.

    Que se passe-t-il autour de nous ? Quelle mutation se prépare - quelle régression ou quelle avancée dont la littérature établie, notamment française, ne dit à peu près rien ? Mais aussi, qu’attendre des graves Cassandre qui concluent à la nullité de tout ce qui s’écrit aujourd’hui, tirant derrière eux l’échelle sacrée ?

    Après avoir lu Naissance d’un pont de Maylis de Karanval et  L’Embrasure de Douna Loup, comme en lisant Tam-tam d'Eden d’Antonin Moeri et L’Amour nègre de Jean-Michel Olivier, après avoir lu La carte et le territoire de Michel Houellebecq, je me suis dit ce jours, et je me le répète ce matin d’été indien : qu’il nous reste décidément des Amériques à découvrir – un vif besoin d’Amériques.

     

    Ce texte constitue l'ouverture-manifeste de la prochaine livraison du journal littéraire Le Passe-Muraille. No 85, novembre 2010. Consultez notre site et abonnez-vous: http://www.revuelepassemuraille.ch/

      Image: Philip Seelen

     

     

     

     

  • La nuit maudite

    LocarnoPasolini.jpgLa notte quando è morto Pasolini, de Roberta Torre. (Italie).
    Tandis qu’un employé des archives criminelles romaine déballe les sacs de plastique remplis des derniers vêtements portés par Pier Paolo Pasolini la nuit où il fut massacré, un quinquagénaire à gueule carrée et grêlée, du nom de Pelosi, raconte ce qu’il a vu et vécu en sa qualité de dernier partenaire nocturne du grand cinéaste et poète. On sait aujourd’hui que le personnage n’a pu être seul impliqué dans le meurtre de Pasolini. Sa rétractation complète, après des années de prison, et les accusations qu’il porte aujourd’hui, longtemps après la mort des probables coupables, contre les vrais assassins qui le terrorisèrent avant de le livrer aux flics, reste entourée de mystère. Son témoignage n’est est pas moins troublant et même bouleversant quand il détaille la scène du lynchage de l’artiste maudit. Plus encore, l’art de Roberta Torre sublime le seul document.

  • Le Meccano Merveille

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    À propos de Naissance d’un pont, révélation de la rentrée littéraire française, signé Maylis de Kerangal. Impressions de lecture, I.

    C’est un livre extraordinairement prenant, intéressant et stimulant, que Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal, combinatoire de « meccano démentiel » et de prose fuguée d’une extrême précision poétique, à jet continu de fluide invention. À l’image du grand œuvre de pharaonie moderniste qu’il évoque, on y sent un immense travail d’assemblage de mots et d’affûtage de sonorités et d’images et de rythmes et de volumes plastiques dans le blanc de la page - tout ça dans le mouvement du récit, j'veux dire : des multiples récits intégrant les monologues et les dialogues des multiples personnages engagés dans le chantier (il faudrait dire champ de bataille, avec son front et son arrière, comme dans Voyage au bout de la nuit il y a un front et un arrière et l’Afrique et l’Amérique) de cette grande entreprise romanesque entée sur la grande entreprise du pont géant de Coca.

    Le pont géant de Naissance d’un pont est un défi jeté à la fatigue et à la paresse des temps qui courent en notre vieux monde démoralisé. C’est un salubre pari que ce livre à la fois très construit et très rêvé, très minutieusement élaboré et très libre dans ses mouvements, très pensé et très senti, très béton et rêverie, très infra et superstructure, très mec meuf vioque djeune mais sans affectation au goût du jour, la langue comme coulée dans le nouveau bronze du volapück mondial et marquée du sceau Maylis & Kerangal, très neuf par conséquent et pas nouveau au sens des avant-garde resucées, très flambant comme un sol poétique jamais foulé même s’il évoque (de loin) l’unanimisme de Jules Romains ou le constructivisme de John Dos Passos – et l’on peut oeillader aussi vers le Butor de Mobile ou le Le Clézio de La guerre et autres Terra Amata -, mais tellement elle-même cette voix neuve qu’on y voit une voie neuve et effet et ça y va sur 300 pages qui semblent en « compacter » 3000 avec ténacité têtue et grâce de longtemps jamais vue…

    ( À suivre…)

    Maylis de Kerangal. Naissance d’un pont. Verticales, 316p.

  • Présence d'un ardent

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    Entretien avec Georges Haldas. Pour mémoire...
    En Suisse romande, Georges Haldas s'imposait au premier rang de ceux qui nous aident à réfléchir sur le sens de notre destinée personnelle, dans une perspective à la fois intime et globale, à l'écart des partis et des idéologies, mais avec la passion d'une homme engagé au sens le plus profond.


    - Que cela signifie-t-il pour vous d’écrire en Suisse ?
    - Lorsque j'écris à propos des choses qui sont pour moi fondamentales, telles que le sens de la vie, la place de la mort dans l'existence, la fonction de chaque être humain, la vocation de l'espèce humaine dans la totalité de l'Univers, etc. , bien que travaillant en Suisse, à Genève, chez Said, je n'en ai n'ai pas conscience. Après coup, étant donné que je parle de ce qu'il y autour de moi et des choses que j'aime dans cette ville, le quartier de Plainpalais, la rumeur de l'Arve, une matinée lumineuse quand je traverse le jardin des Bastions, ce sont les autres qui pourront dire que j'ai peut-être rendu tel ou tel aspect de Genève. J'aime cette petite grande ville où se concentrent une intensité, un mouvement, une certaine fièvre et une mesure qui font que je m'y sens plus à l'aise qu'ailleurs. Ma double appartenance grecque et romande fait cependant que je suis toujours resté un peu à distance des traditions locales ou de ce qu'on appelle "l'esprit de Genève". C'est que les questions qui requièrent mon attention impliquent la personne humaine et ses grands fonds, plutôt que la société. En fait, toute appartenance est inconsciente. Dès qu'elle est consciente, elle se charge de quelque chose de social et de voulu qui me paraît factice.
    - Vous passez pourtant pour un écrivain qui s'intéresse vivement à la société...
    - C'est vrai, mais je m'explique. Pendant la guerre, je trouvais honteux de n'appartenir qu'à la DAP (Défense Aérienne Passive, ou débine-toi-avant-que-ça pète!). Mais si je brûlais de m'engager dans l'active, ce n'était pas pour défendre à tout prix le territoire da la mère patrie. C'était par solidarité avec les garçons de mon âge, et parce que je considérais que la vie est sacrée, alors que l'idéologie nazie allait à l'encontre de ce que poétiquement et humainement je considérais comme le fondement de l'existence. Pareillement, si j'ai été un compagnon de route du parti communiste, ce n'était pas pour des raisons idéologiques, mais parce que les cocos et les chrétiens étaient des ennemis du fascisme et du nazisme et prônaient l'avènement d'une société plus fraternelle – hélas, on a vu le résultat ! Ceci dit, je n'ai jamais pu dissocier l'émotion qu'on a devant la beauté du monde et l'émotion qui découle de la fraternité humaine. On ne peut comprendre la psychologie d'un peuple si l'on n'en connaît pas les fondements, et c'est pourquoi je me suis approché de l'islam.
    - Qu’est-ce qui vous attache particulièrement à la Suisse, ou qui vous y rebute ?
    - Une telle question suscite tant d'impressions en moi que je ne sais par où commencer ! D'abord, c'est le simple bonheur de retrouver des choses familières, et le soulagement d'échapper à une certaine angoisse qu'on éprouve dans les grands pays. Il y a des lieux (Genève, les Franches-Montagnes, Lavaux) qui m'émeuvent autant qu'en Grèce, mais mon attachement à la Suisse tient aussi à d'infimes détails: la solidité des tasses au petit déjeuner, ou l'épaisseur et la sécurité des loquets de porte en Suisse allemande... En même temps me pèse, passée la frontière, la tendance à la somnolence de ce confetti privilégié qui n'a pas été mêlé depuis deux siècles aux guerres, aux conflits sociaux ni même aux grandes catastrophes naturelles du monde, et qui s'abandonne à une certaine sclérose paisible, d'autant plus insidieuse qu'elle se situe dans un cadre idyllique. Il y a en outre une réalité meurtrière, camouflée derrière les géraniums. Or cette atmosphère de repli sur soi et de prudence nous renvoie aussitôt à l'histoire de ce pays et à la complexité des choses. Le sentiment que j'éprouve envers la Suisse est complexe et contradictoire, mais tout se réduit au fait que j'aime y être. Je ne me sens pas particulièrement suisse, mais j'aime être en Suisse. Je ne supporte pas, lorsque je suis à Paris, d'entendre les Français se gargariser de slogans et de clichés. J'aime bien Le canard enchaîné, mais le dossier qu'il a consacré à la Suisse dégoulinait du crétinisme le plus avancé, d'ailleurs alimenté par certains Suisses. A l'opposé de ce dénigrement facile, le vrai travail d'un écrivain, mais aussi d'un journaliste, devrait être de montrer la complexité des choses et non pas de réduire la réalité à des schémas ridicules.
    - Que pensez-vous des médias actuels ?
    - Première impression: saloperie de presse, lamentable, vulgaire ! L'impression que toute cette bande n'a qu'un souci: vendre, vendre, vendre à n'importe quel prix ! Tant de bêtise et de confusion me fout en colère ! Puis je ris, je me dis que c'est la vie. Mais en même temps cette rage vient de la haute idée que je me fais de la presse et du métier. J'ai connu des journalistes de valeur qui avaient une culture, un sens de la vérité humaine, qui exposaient leurs opinions avec calme et politesse, qui avaient un sens réel de la complexité des problèmes. Un journaliste, c'est quelqu'un qui, de tout son coeur et de toute son intelligence, cherche à comprendre ce qui se passe dans l'histoire immédiate si difficilement déchiffrable, puis s'attache à éclairer les faits sans parti pris ni slogans meurtriers. C'est parce que beaucoup de journalistes trahissent cette mission que je suis furibard. Et puis il y a un phénomène à mon sens catastrophique, c'est l'aplatissement de la presse écrite devant ce monstre qu'est la télévision. La télévision pourrait être un instrument formidable, mais la plupart de ses dirigeants sont des larbins de l'Audimat sans visée globale. Ainsi la télévison mène-t-elle à une banalisation de la vie qu'on peut dire géologiquement stupide. Une fois encore, ce n'est pas par esprit négatif que je fais ce constat, mais parce qu'il se trouve des émissions intelligentes, émouvantes, et des journalistes honnêtes qu'il faut soutenir.
    - Comment vivez-vous la saturation de notre monde par l’image ?
    - Les images ne sont qu'un aspect de la réalité. Prenez un match de football: le reportage télévisé a beau être très précis, il ne restitue aucunement tout ce qui se passe sur le stade, avec les gens, l'atmosphère, les pronostsics, le souvenir des matches d'autrefois qui vous revient, les odeurs, les blagues du public, l'attente, la foule qui lévite ou qui gronde, tout un monde intérieur et extérieur que l'image aplatit complètement. A ce nivèlement de la réalité, on ne peut résister que si on s'occupe soi-même de gens vivants et qu'on a une expérience de la souffrance d'autrui. Vous savez: on n'est vraiment sensible qu'à ce qu'on voit de près. Pendant la guerre, dans la rédaction du journal où je travaillais, les nouvelles qu'on recevait des fronts étaient souvent terribles: cent mille morts par ci, cent mille morts par là. Et voici qu'un jour, un typo qu'on aimait bien, qui s'appelait Billard, a eu une crise cardiaque. Or cinquante ans plus tard, j'ai un souvenir plus vif de la mort de Billard que des nouvelles de Stalingrad. C'est le même constat qui fait dire à Jung que les grands événements sont insignifiants par rapport aux moindres choses qui nous arrivent…

  • Ceux qui donnent le change

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    Celui qu’on tenait pour un méchant homme et dont la servante Aglaé a brûlé les carnets prouvant le contraire / Celle qui pose à la belle âme et récite donc par cœur des Poëmes de Dominique de Villepin / Ceux que la flatterie ne fait point ciller d’un cil docile / Celui qui déjoue tout attentat à la pudeur / Celle qui sniffe les confessions cathodiques des invités de Delarue / Ceux qu’on croit sur parole sans qu’eux-mêmes y prêtent la moindre foi / Celui qui se la joue impénétrable style Ombre jaune de Bob Morane / Celle qui ne montre rien de son impatience de les écraser tous / Ceux qui avancent en tortue romaine vers le Siège de la DG / Celui qui négocie à l’instinct style main de singe sous gant de caïman / Celle qui ruse avec le Cobra / Ceux qui avancent masqués de leurs visages nus / Celui qui passe pour l’affidé de Ceux du Siège / Celle qui grimace son contentement au personnel colère / Ceux qui n’ont jamais l’air de marner / Celui que son passé chinois tient debout / Celle qui passe de la vertigineuse lucidité du réveil au flou artistique de son tailleur Chanel / Ceux qui survivent dans le sexe anonyme / Celui qui dit peut-être en pensant jamais / Celle qui mégote pour faire chier les apprentis foutraques / Ceux qui invoquent Ben Laden pour mater la meute / Celui qui se réfugie dans les films de nature / Celle qui repart dans la vie avec une nouvelle déco fantaisie / Ceux que le seul nom de rue des Cascades fait pisser / Celui qui danse son architecture devant le colloques des financiers / Celle qui pense Futur dans son bureau de la Twin Tower en passe de s’effondrer / Ceux qui la ramènent sans être de la partie et voteront de toute façon contre par principe / Celui qui gère ses affects par SMS / Celle qui fait l’innocente malgré sa dégaine de Russe avérée / Ceux qui ont toujours l’air de passer chez Drucker / Celui qui feint de tout pardonner / Celle qui met l’embargo sur ses aveux / Ceux qui croisent leurs bois comme des élans sociaux, etc.


    Image : Philip Seelen

  • Grand écrivain de la Relation

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    Hommage à Georges Haldas, qui vient de nous quitter à l'âge de 93 ans.

    C’est un grand écrivain de la Relation qui vient de disparaître en la personne de Georges Haldas. Relation à soi. Relation à l’autre. Relation à Dieu qu’il appelait pudiquement le « grand Autre ».

    Or déjà nous l’entendons protester: « Pas écrivain ! Plutôt homme qui écrit ! ». Scribe, en effet, de la vie la plus ordinaire. Témoin, pour citer le titre de sa première chronique, des « gens qui soupirent, quartiers qui meurent ». Veilleur du matin qui a dit, mieux que personne, le chant de l’aube.

    Avant la figure légendaire des cafés genevois penché sur ses carnets comme un mandarin chinois : un capteur de vie sous tous ses aspects, dont ses livres rendent le sel et le miel des «minutes heureuses». Tout ce qu’il écrit : carnets, poèmes, chroniques, coule de la même source et diffuse la même aura sans pareille. Et dans la vie déjà: rien de comparable avec une soirée en tête-à-tête avec Haldas. Présence unique, intense, fraternelle. Haldas ou la passion. Féroce parfois, même injuste, voire cruel, mais aussi drôle et vivant, exécrant la bonne société et vitupérant le «grand Serpent». Cherchant enfin, et de plus en plus, la lumière christique. Continuant d’écrire dans la quasi obscurité avec l’aide de « petite Pomme », sa dernière compagne.

    Cent livres comme un seul
    Georges Haldas laisse une œuvre avoisinant les cent titres, d’une totale cohérence. Il a raconté maintes fois comment le « petite graine » de la poésie a été vivifiée, dès son adolescence, pour fonder un véritable Etat de poésie. Ses premiers livres majeurs, Boulevard des philosophes (1966) et Chronique de la rue Saint-Ours (1973) rendent hommage au père grec, un peu déclassé, communiquant à son fils la passion du football et l’attention à la chose politique, puis à la «Petite mère», dont l’humble présence sera magnifiée dans les admirables Funéraires.

    D’emblée, cependant, c’est aussi le boulevard et la rue qui revivent, et le quartier de Plainpalais, et tout Genève, avec des ramifications vaudoises et grecques. C’est l’époque aussi, avec ses affrontements sociaux, la tentation du communisme et l’aventure commune des éditions Rencontre où il préfacera les chefs-d’oeuvre de la littérature universelle.

    Compagnon de route des «cocos», mais en « gauchiste christique », Georges Haldas est également resté en marge du milieu littéraire. Quoique défendue à Paris par un Georges Piroué (qui le publia chez Denoël) et quelques critiques, son oeuvre franchit mal la barrière du Jura. Trop de métaphysique là-dedans, au goût de nos voisins cartésiens, et la langue de l’écrivain, volontairement cassée, hachée, a fait obstacle plus encore que celle de Ramuz. Une rencontre décisive enracinera du moins son œuvre en terre romande: celle de l’éditeur Vladimir Dimitrijevic, peu soucieux de langage policé et de l’aspect peu « vendeur » des livres d’Haldas. À l’enseigne de L’Age d’Homme paraîtront ainsi, dès 1975 et avec tout le reste, les quatre chroniques fluviales de La Confession d’une graine, massif central aussi passionnant que touffus, autour duquel gravitent des ouvrages plus accessibles qui ont connu de vrais succès populaires, tel le merveilleux triptyque de La Légende des cafés (1976), La Légende du football (1981) et La Légende des repas (1987).

    Au cœur de la Relation, avec ses contradictions quotidiennes et ses fêlures, le poids du monde et le chant du monde, c’est enfin par les seize volumes des carnets de L’Etat de poésie que Georges Haldas continuera de nous aider à vivre.

    «Le pire qui puisse nous arriver, c’est de donner dans l’élévation spirituelle», note le scribe qui va jusqu’à moquer la «haute foutaise» d’écrire. Mais voici qu’il relève «ces passages d’un train dont la rumeur, dans la campagne, le soir, lentement décroît - et c’est chaque fois un peu ma vie, avec l’enfance, qui se déchire». Ou ceci : «Ce n’est pas d’exister que je me sens coupable, mais d’exister tel que je suis. Fragile, incertain, contradictoire, minable. Bref, un chaos d’inconsistance. Et plus nuisible aux autres encore qu’à moi-même. Et condamné à faire avec ça».

    Or le lecteur en témoignera bien après la mort de Georges Haldas: que ce «minable» le désaltère comme personne, le revigore et le tient en éveil...


  • Le moment du rire

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    Triptyque critique, III.  De la satire: pertinence et limites. Peut-on rire d'un enfant noir ?

    Devant la démence du monde actuel, le parti de rire représente, sans doute, un moment important. Dans un chaos soumis à la fausse parole, selon l’expression d’Armand Robin reprise récemment par Yves Bonnefoy, où tous les simulacres de la Vertu et du Bien ne visent qu’à fortifier les pouvoirs de l’oppression et de la destruction, tandis que les postures d’une rébellion infantile dissimulent tous les accommodements au confort intellectuel et à l’avachissement, un premier refus, quasi physique, tripal, doit passer par le rire aux éclats.

    Nous avons ri aux éclats en découvrant, quelques années après la publication de L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne, la satire la plus dévastatrice qui ait été faite du totalitarisme soviétique dans Les Hauteurs béantes d’Alexandre Zinoviev. En poussant, à l’extrême, l’absurde logique communiste, pour en «retourner» la rhétorique ubuesque et mensongère, Zinoviev faisait œuvre salubre dans le moment du rire. Bien entendu, la charge du logicien russe simplifiait la réalité, comme la charge du Candide de Voltaire la schématise aussi. Les Hauteurs béantes ont marqué une brèche notable dans la langue de bois, mais ce grand livre ne remplacera jamais le moment de la connaissance que représente L’Archipel du Goulag ou les écrits de Varlam Chalamov, de Vassili Grossmann et de tant d’autres témoins de la tragédie du communisme russe.

    Pour en revenir à L’Amour nègre de Jean-Michel Olivier, dont je me garderai de comparer le talent caustique au génie profus (et souvent égaré d’ailleurs…) de Zinoviev, il pose bel et bien, dans le moment du rire qu’il nous fait vivre, la question de la satire et de sa légitimité, mais aussi de ses limites.

    Le livre a d’autres limites liées à quelques défauts, sur lesquels je passerai vite. En premier lieu, il me semble pécher par saturation de références et de clins d’yeux entendus, qui frisent parfois le pédantisme. Pour nous montrer qu’il est à la coule en matière de cinéma et de musique, l’auteur truffe littéralement son texte de citations de films et plus encore de titres de morceaux de musique, constituant une véritable playlist, qui en dit plus long cependant sur ses goûts que sur ceux de ses personnages. Ainsi, que Moussa ait vibré en Afrique à l’écoute d’Otis Redding (Sitting on the dock of the bay, 1968) paraît-il hautement improbable, mais on comprendra vite que la vraisemblance est le dernier souci du satiriste, qui prête en somme ses propres goûts aux ados des années 90…

    Par ailleurs, l’énoncé répétitif de centaines de noms de marques de vêtements ou d’objets, qu’on retrouve en effet aux quatre coins du monde, à l’enseigne de la globalisation, aurait pu s’émincer sans dommage. On avait fait le même reproche, à l’époque, au roman de Bret Easton Ellis intitulé American Psycho, lui aussi boursouflé dans cet ordre du Name dropping. En revanche, le souffle de l'auteur est tel qu’on n’a pas trop envie de chipoter, sa verve s’exerçant jusque dans ses parodies du kitsch lyrique dont raffolent les auteurs de best-sellers. Ainsi pourrait-on dire que Jean-Michel Olivier parodie un Philippe Djian ou un Marc Levy en écrivant : « Les nuages sont des livres qui refluent vers la nuit »...

    Quant aux limites effectives d’un tel roman, il me semble qu’elles tiennent essentiellement aux limites de la satire elle-même, où le sarcasme et l’ironie « panique » dominent, plus que l’humour.

    Enfin, peut-on rire aujourd’hui des tribulations d’un enfant noir alors que tant de ses semblables en bavent sur le terrain, n’est-ce pas ? Bien sûr que oui, qu’on le peut, et le grand Ahmadou Kourouma l’a prouvé, et l’on rit aussi de bon cœur à la lecture de Demain j’aurai vingt ans d’Alain Mabanckou, même si la dominante des ouvrages de ces deux-là est l'humour plus que l'ironie. Or l’important, en fin de compte, est que ce moment du rire participe de ce qu’il y a de meilleur en nous, pur de tout cynisme, et que ce moment du rire nous confronte au tragique de la condition humaine par le biais de la comédie. Ce n’est pas autre chose que Bertolt Brecht conseillait au poète algérien Kateb Yacine quand celui-ci lui parlait des malheurs de son peuple : « Ecrivez donc une comédie ! »

    Jean-Michel Olivier. L’amour nègre. Editions L’Age d’Homme / De Fallois, 346p

  • L'Amour nègre, storyboard.

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    Triptyque critique, II. Le scénarion du livre détaillé.

    La narration en cinq parties (Africa, America, Oceania, Asia, Europa) de ce qui se donne pour un roman-monde est assurée par un personnage attachant, et de plus en plus, au fur et à mesure que son bonheur s’affirme d’une cata à l’autre – à l’instar du Candide de Voltaire -, Africain de naissance et successivement prénommé Moussa par son père biologique, Adam par ses parents adoptifs américains et Aimé sur son dernier passeport suisse que lui fait bricoler une banquière enamourée avant de le ramener à Genève comme un bonobo sexuel.
    Jusqu’à l’adolescence, Moussa a vécu l’état de nature tel que le fantasment encore pas mal d’Occidentaux, brossant à distance (car c’était « il y a longtemps » et il n’a pas trop de souvenirs du « coupe-gorge » de son enfance) un tableau folklorique à souhait, sur fond de matriarcat collectif (les Reines) entretenant de sanglants rites archaïques, tel celui qui consiste à élire le plus fringant jeune homme, qui les consomme toutes avant d’être occis et dévoré, tandis que les hommes se livrent à de bas trafics avec les touristes de passage. Le tableau est absolument caricatural, mais il préfigure en somme l’image que, des années plus tard, les tabloïds de la Cité des Anges reproduiront de Moussa devenu Adam Hanes, fils de stars : ce négro se nourrissant de criquets au chocolat et jouant du tam-tam d’une main et de sa machette de l’autre.
    Par ailleurs, le tableau initial joue d’emblée sur une sexualité exacerbée : la nuit africaine est scandée par « le tam-tam des négresses qui astiquent le bambou des nègres », et toute la nature participe à ce joyeux ramdam. Passant par là, la touriste n’a qu’une hâte qui est de faire se déshabiller Moussa et de le peloter dans la rivière, quitte à se faire entraîner soudain par le courant vers les crocodiles affamés. Et puis cet Eden ne nourrit pas son bon sauvage : ainsi le père prolifique de Moussa, aussi cupide que lubrique, vend-il ses enfants aux plus offrants, et par exemple, s’agissant de «notre héros», à ce couple de mégastars que forment Dolorès Scott et Matt Hanes, dont il obtiendra en bonus la promesse d’une télé à écran plasma 60 pouces avec Bluetooth et WiFi intégré...
    Après cette ouverture africaine à grands traits elliptiques jouant sur les clichés coloniaux, c’est dans le vif du sujet que le lecteur va se trouver plongé dès l’arrivée en la Cité des Anges, et plus précisément dans l’hacienda «de rêve» de Dol et Matt (deux personnages aux profils évoquant plus ou moins Brad Pitt et Angela Jolie, ou Madonna par certains traits), où Moussa, rebaptisé Adam, et gratifié d’un passeport, aura tout loisir de ne rien foutre pendant quelques années au milieu de la ménagerie de sa nouvelle mère, bientôt augmentée d’un croissant orphelinat, tout en restant «aux aguets», sans rien perdre du show permanent qui se joue alentour, entre Matt son père-pote collectionnant les vieilles voitures et les beautés rencontrée d’un film à l’autre, et Dol sa mère ruisselante d’amour et passant ses heures chez le psy à exorciser son angoisse de n’être rien entre deux attaques de zombis.
    Après Bret Easton Ellis et Tarantino, ou plus encore Gore Vidal dans son mémorable Duluth, entre autres observateurs paniques du «cauchemar climatisé», l’on pourrait se demander ce qu’un Helvète écrivain-prof a de nouveau à dire sur Hollywod et environs. Or la satire de L’Amour nègre fonctionne remarquablement, jouant sur une foison d’observations qui font du roman une espèce de collage de séquences de films, ou de feuilletons, ou de sitcoms dont l’auteur restitue les clichés dramaturgiques ou verbaux avec maestria. Entre autres scènes pimentées du chapitre America, l'on relèvera celle du paparazzo flingué par Matt dans un arbre et dévoré par un singe; la sauterie durant laquelle Adam coupe à la machette (cadeau de Matt…) la main d’un producteur surpris au moment où il allait violer sa sœur d’adoption; la séance de tripotage de bambou à laquelle le soumet un certain chanteur en son ranch, ou la visite humanitaire (non moins que publicitaire) de Mère Dolorès aux enfants d’un bidonville qui lui chantent un hymne du chanteur en question : We are the World,we are the Children,  suivez mon regard…
    La grande trouvaille du roman me semble, au demeurant, le scandale que provoque Adam, sur fond de déliquescence généralisée, et alors que se multiplient les adoptions, en engrossant innocemment la jeune Chinoise Ming, sa sœur virtuelle par adoption. C’est que tout peut se tolérer dans la Cité des Anges: la consommation délirante, la drogue, le sexe à outrance et toutes ses variations (tout le monde est bi ou gay et tout le monde refuse les enfants, sauf par adoption), mais pas l’amour nègre de deux ados bien dans leurs peaux - surtout pas un enfant né par voie naturelle, horreur et damnation !
    Sous les titres d’ Oceania, puis d’ Asia, les tribulations épiques de Moussa/Adam vont se poursuivre sur l’île Sainte-Lucie, acquise avec sa population de pêcheurs par Jack Malone, pote de Matt et troisième papa de Moussa (en qui l’on reconnaîtra plusieurs traits de George Clooney) dont l’aura paradisiaque ne va pas tarder à se ternir, puis dans un autre haut-lieu du tourisme sexuel asiatique où le protagoniste se réfugie, rejeté par tous, et tombe sur une touriste suisse friquée, femme frustrée (et liftée plusieurs fois) d’un banquier genevois. Passons sur le détail de ces épisodes gratinés où l’on rencontre, notamment, un maître zen très porté sur le Jack Daniel’s et diverses divas du cinéma cherchant à percer le secret de Jack, l’amant convoité des femmes du monde entier qui ne « conclut » jamais.
    Reste Europa, à savoir la Suisse où Gladys, la richissime banquière, ramène son gigolo vite oublié. Et la satire de se nuancer, alors, d’un arrière-fond de mélancolie, voire de tristesse ravalée, malgré la vitalité de Moussa-Adam devenu Aimé Clerc pour la société genevoise, (on ne sait pas où il a appris le français, mais le Candide de Voltaire savait lui aussi toutes les langues de la terre ou peu s’en faut…) en quête de sa sœur Ming casée dans un internat quelconque.
    Bien entendu, la situation de notre Black en Suisse, rejeté par sa bienfaitrice et vite réfugié chez les dealers solidaires, puis se refaisant auprès d’un devin marabout et développant l’amour nègre à coup de bambou, si l’on peut dire, relève aussi de l’ellipse satirique, même si elle renvoie bel et bien à certaine réalité bien connue de chez nous.
    Or l’impression finale qui se dégage de L’Amour nègre, en dépit de sa drôlerie et de son élan tonique, dépasse la seule charge, accumulant parfois les effets jusqu’à la saturation, pour toucher à une autre gravité. Mais c’est pourtant le pied-léger que Jean-Michel Olivier conclut sur une image de la Suisse de demain repeuplée par l’amour nègre...

    Image: Philip Seelen


    (À suivre…)

  • D'une erreur de lecture

    Olivier3.jpgEn lisant L’Amour nègre, de Jean-Michel Olivier. Triptyque critique, I. Ce roman est-il raciste ? Attention au deuxième degré !

    Le sentiment panique que nous vivons, aujourd’hui, dans un asile de dingues doublé d’un lupanar, peut s’exacerber à tout moment, chaque jour, à la seule lecture des tabloïds du matin ou en zappant à la télé du soir. L’espèce de folie collective qui s’est emparée de notre drôle d’espèce, incessamment boostée par l’appât du gain et le rêve d’un bonheur aussi standardisé que factice, déploie sous nos yeux un spectacle hallucinant et continu mais que nous ne voyons plus guère, saturés que nous sommes par l’Information - grande machine à tout rendre incidemment informe – et la Publicité, sa variante mercantile et dominante. Or comment parler de ce monde ? Comment le décrire ? Comment en illustrer la démence ? Comment raconter la course du rat humain dans ce dédale ?

    En 1759 parut, à Genève, un conte philosophique intitulé Candide ou l’optimisme, qui racontait, sur fond de guerres et de séismes, d’expéditions au bout du monde et de tribulations extravagantes, la quête d’un garçon rebondissant à travers toutes les vicissitudes et finissant par tirer un bilan sage des plus cuisantes désillusions. Dans la foulée, Voltaire nous fit beaucoup rire, et j’avoue avoir finalement beaucoup ri en lisant L’Amour nègre de Jean-Michel Olivier, dont la satire carabinée peut être dite aussi voltairienne, dans une manière « panique » usant, comme au judo, tous les mouvements de l’adversaire pour lui faire piquer du nez. Comme un Michel Houellebecq, Jean-Michel Olivier se sert de tous les standards de la culture de masse (cinéma, musique, modes et marques) et de tous les poncifs du langage au goût du jour pour les « retourner » et en montrer, sans moraliser pour autant, la monstruosité.

    Un couple de stars de cinéma qui va s’acheter un enfant en Afrique, un célébrissime acteur qui se paie une île de rêve pour jouer à l’ermite zen, un diable de Tasmanie qu’on envoie chez le psy pour soigner ses crises d’abandonite, et mille formes de folie ordinaire dont les plus sanglantes ont défrayé la chronique passée (de la bande à Manson au procès de Phil Spector, entre tant d’autres) constituent une matière que L’Amour nègre revisite à sa manière sarcastique, non sans paradoxe de départ.

    C’est ainsi que, trompé par un début de lecture trop « politiquement correcte », j’ai d’abord cru voir dans cette histoire de jeune Africain, fils d’un tas de mères et d’un père lubrique et cupide, acheté par un couple d’acteurs américains mondialement connus (on pense immédiatement à Angelina Jolie et Brad Pitt, avec un zeste de Madonna), un roman cynique et vulgaire, au langage aussi artificiel et truffé de clichés qu’un best-seller de Paulo Coelho. La chose m’indignait d’autant plus que l’auteur est un compère dont j’ai apprécié la plupart des ouvrages, que j’imaginais soudain égaré dans ce qu’il m’avait annoncé comme un « roman-monde ». Et voici qu’il réduisait l’Afrique à des femmes astiquant le bambou des hommes et ne rêvant que de faire pisser le dinar des touristes…

    Plus je progressais, cependant, dans cet invraisemblable récit (invraisemblable dans une optique réaliste), et plus je me demandais si JMO avait viré raciste grave, jusqu’au moment où l’énormité du discours sur l’Afrique m’est apparu comme la parfaite projection de l’image grotesque qu’en donnent nos médias, alors que le tour essentiellement satirique du « conte » me fit soudain penser à la charge parodique explosive que représente Duluth, roman de Gore Vidal qui gorille virulemment l’univers du feuilleton Dallas avec ses personnages passant incessamment entre fiction et réalité, écran plat et vie quotidienne en 3D.

    Or, éclairé soudain par ce rapprochement, alors que d’autres auront tout de suite compris le deuxième degré du roman, ma lecture de L’Amour nègre se modifia ensuite du tout au tout et je commençai de rire de bon cœur en maudissant cordialement l’auteur. Du coup, je lui envoyai un SMS lui disant exactement : « Vieille salope, tu m’as bien eu ! », non sans lui expliquer ma méprise. Et lui bon prince de me répondre aussitôt de Crète où il se prélasse ces jours avec ses diverses femmes : » Te absolvo a peccatis tuis ! Baci. » (À suivre...)

    Jean-Michel Olivier. L'Amour nègre. L'Age d'Homme / Bernard de Fallois, 346p.

  • Ceux qui excellent dans leur partie

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    Celui qui a choisi ce qu’il appelle le terrain / Celle qui revient (dit-elle) à la case réel / Ceux qui ont l’Esprit d’Entreprise avec E majuscule / Celui qui a beaucoup plus appris sur le chantier du barrage que dans les auditoires de la fac de droit / Celle qui a choisi le béton pour en remontrer à son père polygame et plein de morgue / Ceux qui ont tout soumis à l’acquisition de la Compétence / Celui que le démarrage d’une dragueuse de fleuve dernier modèle impressionne autant que celui d’un orchestre philharmonique / Celle qui relance à sa façon l’unanimisme de Jules Romains / Ceux qui drillent leur progéniture dans les domaines du sport de compète ou de la romance à succès pour tirer la smala de la dèche / Celui qu’on dit le maillon fort de la boîte intérimaire qui le gère à l’international / Celle qui assure dans le domaine du mégaturf / Ceux qui donneraient cher pour gagner plus / Celui qui aura au moins fait construire un métro dans sa carrière d’édile jugé débile par d’aucuns qui n’ont rien foutu pour leur part / Celle qui a su se vendre à Dubaï et ne craint donc plus rien / Ceux qui cessent de se la péter quand la sirène du matin les appelle au turbin / Celui qui se sent plus près de Dieu dans sa cabine de grutier nickel à 50 mètres au-dessus du commun des mortels / Celle qui a tout fait pour que son fils Sanchez ne se retrouve pas dans une cabine de routier comme son père le loser / Ceux qui vont quand le bâtiment va / Celui qui roule une pelle à cette tête de pioche de sous-cheffe de chantier / Celle qui est tellement gaufrée au Botox qu’elle en rutile de beauté polaroïde / Ceux qui croisent leur premier lynx derrière les containers de déchets carnés / Celui qui considère son premier accident de travail sur ce nouveau chantier comme un affront personnel / Celle qui suffoque dans le caisson sans regretter pour autant de n’être point Miss Intérim / Ceux que la sécurité tangente fait reconsidérer leur salaire de prolos casqués / Celui qui s’émeut devant les pieds nus de la battante à créole / Celle qui s’est blindée pour affronter les sangliers à deux pattes / Ceux qui se font beaux pour la cérémonie du ruban, etc.

    (Cette liste à été notés sur un coin de table du Bout du monde, à Vevey, en lisant Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal)

    Image :Philip Seelen

  • Eloge du brouillard


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    D’aucuns vont prétendant que le brouillard est l’ennemi Numéro Deux, après la pluie givrante, de la déambulation radieuse. Or je m’inscris en faux contre cette vision des choses. Le brouillard, que Gustave Roud disait le Seigneur de l’Automne, et qui agit à vrai dire quand il veut et partout où il veut, jusqu’à Salamanque - le brouillard est un révélateur de visions précisément.
    De ma fenêtre haute de Sent, en basse-Engadine, d’où se déploie ordinairement la vue du val splendide à tendres gazons jusqu’au château de Tarasp, sous le promontoire duquel l’Inn descend en gracieux méandres dont les multiples S annoncent Scuol et Seraplana et Sbruck en Autriche, on ne voyait ce matin-là qu’une grande présence de velours de suie aux reflets d’anthracite et j’étais comblé : je me revoyais en Cornouailles et à Salamanque.
    Le brouillard de Cornouailles est aussi remarquable, on le sait, que celui qui remonte soudain le long des flancs du Machu Pichu, mais le brouillard le plus étonnant au monde (in the World) est le brouillard à Salamanque, qui flotte à moyenne hauteur de passants et coupe ceux-ci à la taille, au tronc ou à fleur de tête, produisant dans ses meilleurs moments d’intéressantes variations de Magritte.
    A Sent, ce matin-là, le brouillard était également inventif,  traversé de longues grandes formes inquiètes cheminant comme des âmes en peine, sans doute sortie des légendes du Trentin voisin, peut-être montées des contes de Dino Buzzati, soudain dissipées par un coup de dague de la lumière matinale ouvrant une faille vers les hauteurs de Guarda, à trois coups d’ailes de choucas, et de nouveau plus rien, autant dire : tout à imaginer…

  • Quand Douna sort du bois

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    Avec son premier livre, L’Embrasure, la romancière genevoise impose immédiatement un univers et un style. Superbe découverte !

     

    Douna Loup entre en littérature sous son vrai prénom mais avec le masque d’un pseudo qui la pare aussitôt d’une espèce de charme sauvage, et de même son écriture s’affirme-t-elle d’emblée par sa rapidité féline et sa sensualité, sa force et sa grâce. Son premier livre, composé en quelques mois et envoyé par la poste aux éditions Gallimard, y a trouvé la meilleure place aux côtés des Romandes Pascale Kramer et Gisèle Fournier, à l’enseigne du Mercure de France. Rien cependant de « fait pour plaire » au goût du jour parisien dans ce roman fulgurant dont la pâte humaine, déjà très dense et vibrante, laisse deviner une maturité scellée par  une expérience vécue loin des serres académiques ou littéraires conventionnelles. Et le fait est que, sans avoir atteint la trentaine, Douna Loup a déjà vu pas mal de pays, comme on dit.

    Née à Genève en milieu artiste, de parents marionnettistes initialement proches du fameux Théâtre du Loup (encore lui !) en ses débuts, Douna passa ses jeunes années dans la Drôme avec les siens, dans la région de Dieulefit, poursuivant ensuite ses études à Valence avec une option théâtre qui lui fut d’un premier apport évident aux yeux de qui lit son roman, autant qu’on y sent la forte présence de la nature forestière.  

    Une expérience humaine décisive la marque, ensuite, à la fin de sa scolarité, lorsqu’elle s’engage comme volontaire dans une mission de Madagascar et découvre la détresse des orphelins sur fond de pauvreté, tout en assistant une sage-femme qui ne fut pas loin d’influencer ensuite sa propre vocation.

    « Cette immersion dans la vie des plus démunis m’a apporté énormément », constate aujourd’hui Douna, qui ne parviendra guère, plus tard, à persévérer dans ses études universitaires (sociologie et ethnologie), trop abstraites à son goût, leur préférant bientôt un travail d’écrivain public spécialisé dans les récits de vie. C’est d’ailleurs par ce biais que Douna Loup, revenue à Genève où elle vit désormais avec son conjoint malgache et leurs deux filles, qu’elle a rencontré le Congolais Gabriel Nganga Nseka avec lequel elle a composé un premier livre intitulé Mopaya, récit d’une traversée du Congo à la suisse (L’Harmattan, 2010). Jusque-là, l’écriture s’était limitée pour elle à une journal intime tenu depuis des années et à quelques nouvelles.

    Quant à son roman, c’est lors d’un atelier d’écriture à Romainmôtier que Douna en a trouvé l’amorce. «Le déclencheur en a été cette phrase d’un chasseur que j’ai relevé dans un journal : « Quand je tire, ce chevreuil ne sent pas venir sa fin. Rien à voir avec ces bêtes qui attendent et puis meurent à l’abattoir ». À partir de là, sachant juste quelle courbe son histoire dessinerait jusqu’à son dénouement, la romancière s’est laissée guider par son instinct. « Certaines expériences fondamentales, comme le rapport avec la mort que j’ai observé à Madagascar, me sont revenues, mais le roman s’est développé de manière très physique, pour ne pas dire organique»...  

     Douna Loup, L’embrasure. Mercure de France, 155p.

    Comme une initiation 

    On entre dans ce roman clair-obscur par une page immédiatement saisissante, dont les mots nous prennent par la gueule et ne nous lâchent plus ensuite. On y entre par une forêt « grande, profonde, vibrante, vivante et vivifiante », dans la foulée sûre et souple d’un jeune chasseur ardent bien dans son cuir qui traque la bête comme il le ferait d’une femme. Mais dans cette forêt, qui est elle-même comme une femme, la chasse est « mieux qu’un flirt »…

    Bref, le protagoniste de L’Embrasure est un mec « qui assure », comme on dit, malgré la faille et la pénombre qu’il y en en lui, où se tapit un secret qu’il refoule.

    On pourrait le dire macho, mais s’il aime, avec ses compères, chasser ou lever des filles sans problème, son problème à lui, lié à la mort de ses parents, va lui revenir en pleine figure à la découverte, dans les bois, du cadavre d’un type de son âge qui a choisi de se laisser mourir par idéal, comme il l’a expliqué dans ses carnets. Or voici qu’une femme, survenue après d’autres mais qui « assure » elle aussi, le force à confronter son propre secret à celui du mort avant de revenir du côté de la vie, où elle l’attend pour essayer un pas de deux.

    Il y a de l’initiation dans ce magnifique petit roman, qui passe par le savoir de l'aïeul et  la médiation de la femme. Au fil de phrases fluides et belles, filant dans le courant vif, Douna Loup conduit son récit avec autant de force que de sensibilité, laissant au cœur une trace marquante.

    Douna Loup. L’Embrasure. Mercure de France, 157p.

  • Ceux qui s'aiment comme ils sont

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    Celui qui en a sa claque des parfaits / Celle que la notion d’excellence selon Bologne fait gerber / Ceux qui ont dans les poches des adresses de maisons / Celui qui s’accuse grave pour mettre un peu d’ambiance dans le confessionnal de l’Abbé Crabe / Celle qui s’adresse à elle-même de messages osés sur son blog ludique intitulé On s’éclate / Ceux qui se retrouvent au 13 de la rue des Campanules pour une partie carrée du tonnerre avec les collègues de la Coopé / Celui qui allume un cigare à la verrée du fitness Hyperforme / Celle qui crache sur les lauriers roses du jardin des Du Pontet de Sous-Garde / Ceux qui admettent qu’ils ne sont absolument pas libérés au niveau sexe et qu’ils s’en tapent si ça vous gratte / Celui qui explose soudain dans le Compartiment Méditation du train soumis à la règle du silence non mais des fois / Celle qui préfère son nez genre trompette au pif parfait genre Dombasle de la bêcheuse structuraliste / Ceux que leurs qualités éminentes constipent éminemment / Celui qui n’aime pas les vertueux point barre / Celle qui soutient à Adèle que son péché peut lui coûter son ticket pour Là-Haut aussi Adèle réfléchit-elle / Ceux qui se repentent dans l’impatience de recommencer / Celui qui pratique la confessée / Celle qui supplie son confesseur noir de la punir à fond / Ceux dont l’âme noire a de beaux reflets / Celui qu’il faudrait payer pour qu’il pèche enfin sans compter / Celle qui se roule et roucoule dans sa chasteté autoproclamée / Ceux qui ont noirci leurs ailes aux bordel cramé / Celui qui est juste amoral quoique caporal / Celle qui sera très jalouse aujourd’hui entre dix heures dix et douze heures douze / Ceux qui sont frustrés de ne pas être claqués par leur père quand ils l’envoient chier même à mots couverts / Celui qui deviendra mauvais à force de s’y essayer / Celle qui avoue ce qu’elle croit le Péché des Péchés à l’Abbé Zundel qui lui dit : petite, continuez… / Ceux qui pensent que tout déviant se soigne par la chimie si l’électricité n’y suffit pas / Celui qui aimerait s’en sortir sans savoir trop de quoi / Celle qui pèse les péchés de ses sept garçons baptisés qu’elle fait châtier par cet Abbé Férule de Montjoie dont les damnés médias diront plus tard des choses qu’elle ne voudra point savoir / Ceux qui sont de moins en moins tolérants au fond / Celui qui s’en remet les yeux fermés au Nouveau Pouvoir Citoyen qui les lui crèverait s’il les ouvrait / Celle qui se réfugie dans les bois tout pleins d’oiseaux et de génies rigolos / Ceux qui ont fait le tour de la Question et vous font dire que vous seul détenez la Réponse, etc.
    Image : Philp Seelen

  • Ceux qui positivent à mort

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    Celui que le mauvais temps n’atteint point dans son recoin / Celle qui se la joue Pollyanna en pyjama sans fente / Ceux qui sourient par défi au mur gris qu'il y a là dans leur cachot pas vraiment rigolo / Celui qui trouve an brouillard un attrait postromantique convenant à sa dégaine de petit gothique émo à bagouzes sataniques / Celle qui s’enrhume dans la brume et n’en fredonne pas moins un refrain plein d’entrain poil aux seins / Ceux que réunit la passion du croquet / Celui qui rit tout seul en voyant le jour grincer comme un vieux canapé / Celle qui montre ses dents au vent et son derrière au cimetière / Ceux qui font la pige aux moroses et autres déprimés prosélytes / Celui que même la foule du métro tôt l’aube réjouit / Chelle qui ne dichconvient point que la vie che matin a du chien / Ceux qui somment le temps vilain de s’aller faire voir en Estonie mais le temps n’obéit point le mesquin / Celui qui se lève du pied gauche et se botte le fondement du pied droit / Celle qui sourit au vieux décati dans son youpala / Ceux qu’accable la bonne humeur programmée des hystériques de l’aérobic / Celui qui a tellement positivé qu’il en a crevé cet été dans son jardin arboré / Celle qui trouve tout vachement bonnard et l’écrit ce matin pour y croire / Ceux qui te disent à tout moment de profiter sans te demander ton avis / Celui qui se réjouit de te savoir son ami et toi aussi donc vous voilà deux c déjà ça / Celle qui remercie Son Créateur (elle dit Mon Dieu) d’avoir fait le monde en couleurs / Ceux qui vont par les chemins en humant de loin les parfums de la forêt / Celui qui reconnaît avec volupté la chaude odeur du crottin que sa canne de non voyant (ça se dit aveugle en français matinal) lui permet du moins d’éviter / Celle qui arrose les fougères de son ample pissat de vachère / Ceux qui ayant à gouverner y vont à présent puisque de sot métier il n’y a point, n’est-ce pas, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui ont la baraka

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    Celui qui tombe dans l’escalier du Palace Baur Au Lac et se brise toutes ses dents de devant / Celle qui prétend avoir vu le lièvre d’eau sur les bords du lac de Constance / Ceux qui sont fiers de leur drapeau de gymnastes vétérans de La Chaux-du-Milieu / Celui qui lit le dernier Beigbeder dans le tumulte de la Fête Fédérale de Gymnastique / Celle qui essaie de réveiller son conjoint Marcel ronflant à la messe de la communauté intégriste de Murmeldorf / Ceux qui continuent à taxer les Allemands de Boches au camping Les Gentianes / Celui qui réduit tout au déterminisme de la géographie / Celle qui estime les homos globalement plus corrects que les hétéros / Ceux qui disent qu’un citoyen qui ne vote pas ferait mieux d’aller vivre à l’étranger / Celui qui espère que l’Eglise catholique va redevenir leader mondial / Celle qui se voit tout à fait en phase avec les Golden Dolls / Ceux qui militent pour l’accueil des chiens et des hamsters au culte protestant / Celui qui comprend qu’il vaut mieux adorer l’Eternel Absent que de se faire larguer tous les trois jours / Celle qui a trouvé auprès de l’Abbé Christinat le substitut de ses antidépresseurs / Ceux qui prisent le « roulis moral » cher à Dostoïevski / Celui qui écoute Bach sur son i-Pod au milieu de l’île Saint-Pierre / Ceux qui reviennent fatalement à la Cinquième Promenade du rêveur solitaire / Celle qui lance à sa mère qu’elle a raté sa vocation de kapo / Ceux qui sont plutôt Rottweiler / Celui qui se dit fait pour ce qui part en couille / Celle qui cherche une forêt de bouleau pour lire du Pouchkine dans l’ambiance / Ceux qui regrettent la grand époque des Boyards / Celui qui lit L’homme de désir dans son cabanon du Perche / Celle qui se trouve trop girly et pas assez wild / Ceux qui ont juniorisé la meuf idéale / Celui qui dit préférer les paysages irlandais aux petites Anglaises / Ceux qui ont laissé passer leur chance au tournant du XXIe siècle / Celui qui pense qu’une religion varie en fonction de la température ambiante moyenne / Ceux qui concluent la lecture du dernier Houellebecq en se disant : ça c pile de l'amer Michel, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui se cooptent

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    Celui qui fait pression pour que le cadre sup qui vit avec son ex lui amène sa voix à charge de revanche / Celle qui rappelle que toute décision de l’économat doit être soumise à l’aval des RH / Ceux qui militent pour des licenciements plus démocratiques au niveau des cadres moyens / Celui qui consulte sa base avant de déclencher l’offensive à fleurets mouchetés genre néo-socialisme / Celle qui demande que les chroniques ostensiblement néo-libérales de Kristel l’adjointe du réd en chef soient cooptées par le team des rédactrices globalement centre-gauche / Ceux qui décident en petit comité avant de faire croire au grand comité qu’il est à fond partie prenante / Celui qui estime que l’ensemble du Groupe doit surmonter son conflit de loyauté en votant pour le rejet de la motion du comité sortant à moins d’un désistement en dernière instance d'un des nouveaux membres désignés ou de plusieurs / Celle qui exige un vote à main armée / Ceux qui font rimer charité et duplicité dans les suaves embrouilles de leurs magouilles / Celui qui manipule le sous-groupe de pression lié au Lobby prête-nom / Celle qui booste les majorettes hésitant à lâcher prise / Ceux qui lâchent la proie pour la pénombre / Celui qui invoque les disparus de l’année pour inciter le Groupe à resserrer ses rangs de plus en plus clairsemés / Celle qui sape l’ambiance des RH en les criblant de SMS signés Qui Vous Savez / Ceux qui se sont dissolvés dans le groupe de fusion et ça c’est vachement dur à résolver, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Story et story

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    Récits de l'étrange pays, 11.

    Cette histoire de story était dans l’air, il n’y a que la story qui compte, avait martelé le réd en chef du Populaire, il n’y a d’intéressant que la story de chacune et chacun, d’ailleurs chacune et chacun en ont une, avait martelé le réd en chef Levasseur, dit aussi le vassal de sa sœur - ex légitime du proprio du Populaire -, et le message avait passé, Levasseur l’avait d’ailleurs relevé devant ses amis du Rotary : j’ai fait passer le message à mes troupes, à présent la nouvelle formule ce sera La Story.

    Or Pascal Ferret avait vu défiler les réd’s en chef au cours des années, et cette histoire de story lui convenait en somme tout en se répétant en son for intime qu’il y a story et story, mais je n’ai pas de leçon à donner se disait-il en raillant l'expression convenue et songeant à ce qui relevait à ses yeux du secret.

    L’époque est à la divulgation du secret, songeait-il: l’époque est à l’effraction et à l’indiscrétion généralisée et c’est la mort aussi de toute histoire vraie qui n’est rien sans protection du secret; l’époque prétend tout mettre à plat, selon l’expression, et c’est ainsi que la story s’aplatit à l’énoncé des faits d’où tout secret se trouve éjecté - de fait l’époque ne peut qu’éviter le fond de l’histoire en éjectant son secret.

    Pascal laissait venir à lui l’immensité des choses tandis que l’aspirant romancier à succès Attila M. se creusait les méninges, auprès de son évier, pour trouver enfin le thème porteur du scénar qui le révélerait ; Pascal avait souri lorsque le pantelant Attila, durant son stage avorté au Populaire, l’avait taxé de collabo du pouvoir et d’individualiste pour ainsi dire cryptofasciste, selon l’expression du délateur, Pascal lisait pour ainsi dire dans l’avenir qu'il croyait sans histoire du poète du quotidien sans poésie ni quotidien, et l’immensité des choses emportait le pauvre Attila dans le tumulte de son flot, à l’instant Pascal songeait au secret ressentimental d’Attila le prétendu dissident de l’intérieur, selon l’expression de son blog perso, lequel relevait en outre ses visées radicales de vrai forcené, et Pascal se rappelait tous les vrais forcenés qu’il avait vu défiler au cours des années, et quelques forcenées aussi, quelques mères dites criminelles, quelques ados violents ou violeurs dans la foulée, mais les temps étaient passés où les localiers du Populaire parlaient encore de mauvaise graine ou de mères indignes, désormais on s’en tenait aux faits, et, pour les faire parler à chacune et chacun, aux modulations de la seule story.

    Pascal Ferret se rappelait le forcené à la Fan Cruiser fonçant dans la foule du marché puis dans un mur, écrasant dix passantes et passants et ressortant de l’amas de ferraille bien vivant et furieux, accusant le Système et se faisant exploser la cervelle au terme de son discours endiablé ; ou cet autre justicier surgissant dans un bar gay et mitraillant cette vermine, selon son expression, qui avait fait de lui le déchet qu’il était devenu par contamination, avant de se faire justice, selon l’expression consacrée ; ou cet autre encore jetant sa grenade au milieu des députés réunis du Grand Conseil et se flinguant pareillement, et cette autre junkie pétant les plombs, selon l’expression, ces quantités d’autres désespérés ne trouvant recours que dans ces extrémités.

    Cependant, avait relevé Levasseur comme à regret, quoique non sans positiver, selon son expression préférée de ces derniers temps, nos troupes ne peuvent se borner à la story à sensation, genre le chien sidéen qui mort l’enfant orphelin, selon l’expression préféré du proprio du Populaire, nos troupes ont appris à déceler la story concernant chacune et chacun, martelait Levasseur, ainsi nos troupes traqueront-elles aussi la story citoyenne et sans donner de leçon.

    Et Pascal Ferret souriait vaguement en songeant au secret d’Attila M. qui l’avait agressé l’autre soir au Buffet de la Gare en le taxant de vendu, avant de revenir à sa table et de s’excuser, puis de lui avouer qu’il était ces temps un peu perdu, sa compagne de vie s’étant tirée depuis peu, et lui révélant ensuite, après force demis aux frais de Ferret, le début d’une espèce de story dont un romancier populaire n'eût probablement pas su trop que faire.

    Image: Philip Seelen

  • Seniors et djeunes

    Panopticon1237.jpgRécits de l’étrange pays, 10.

    Evidemment les seniors ne se sentaient plus en sécurité, j’veux dire : certains seniors, avec tous ces étrangers dont certains ne foutaient rien à ce qu’il semblait, et les seniors renaudaient de plus en plus dans l’étrange pays où leur nombre aussi avait augmenté.

    De plus en plus d’étrangers avaient bel et bien afflué dans l’étrange pays au cours de ces années, cela se voyait dans les rues et les trains, aux antennes de télé orientées vers les Balkans ou l’Orient moyen et le Sud des continents, sur les places passantes et les terrains de jeux variés, partout il y en avait et de toutes les races, et de plus en plus de seniors le relevaient, de plus en plus s’en inquiétaient et les plus amortis n’étaient pas les moins violents.

    Or il était de bon ton, dans les médias et autour des tablées politiques du Buffet de la Gare première classe de notre chef-lieu, de stigmatiser la pusillanimité des seniors, mais dans les plus grandes largeurs les opinions se divisaient et se subdivisaient, comme elle se divisaient et se contredisaient à propos des djeunes, les seniors et les djeunes faisant en somme partie, quoique souvent opposés dans les faits et les opinions - comme les étrangers et les éléments minoritaires de la communauté -, de ces sections de la société dont on ne pouvait trop parler sans être jugé soi-même et catalogué.

    Il ne faut pas simplifier et moins encore généraliser, disait-on communément à propos des seniors, après tout il faut comprendre qu’ils se sentent écartés d’une société où tu n’es plus rien si tu n’es pas dans le trend, ils bénéficient de facilités en tant que seniors mais convenons qu’ils peuvent aussi se sentir oubliés et humiliés, ils ont trimé toute leur vie et voici qu’après avoir turbiné, selon l’expression, ils se retrouvent en ville avec tous ces noirs et ces basanés, selon l’expression de certains, et certains de ces noirs et de ces basanés dealent et violent et ça j’te jure que c’est la réalité et pas que de la propagande du parti populacier, mais enfin l’étrange pays reste encore préservé, les djeunes n’y font pas encore la chasse aux seniors, et pas mal de seniors voyagent tant et plus de par le monde et pas mal d’entre eux surfent et se prennent de bec sur Facebook et se draguent sur Meetic où c’est aussi plein de djeunes et d’étrangers et j’te jure qu’ils ne font pas que se caillasser, même que ça s’écoute parfois, seniors et djeunes – et Monsieur James marchait à pas comptés, le long du chemin des douaniers, au bord du lac aux brumes bleutées de la mi-octobre, humant parfois la forte odeur de l’eau vivante lui rappelant ses jeunes années de poisson adolescent, et ce pédé d’Ernesto le soutenait en l’appelant cher papa, enfin tu vois le tableau…

    Toujours est-il que le Service des Statistiques de l’étrange pays confirmait un accroissement indéniable de la criminalité imputable à la population étrangère, dont les uns affirmaient qu’elle était proportionnée à la précarité de ses conditions de vie alors que d’autres fustigeaient la démagogie permissive des autorités et que d’autres encore pointaient l’excessive prospérité de l’étrange pays motivant cette croissante attirance - enfin certains seniors concluaient à l’avènement de la Barbarie et de la Babylonie en associant basanés et djeunes alors que l’inspecteur Verdeil et le juge Michel de la Section des Mineurs fumaient leurs cigarillos de concert en évoquant, débonnaires et désespérément confiants en la foutue nature humaine, la dernière story du jour.

    Image: Philip Seelen

  • Autres constats

     

    PanopticonA31.jpgRécits de l’étrange pays, 9.

           La pensée positive se répandit, en ces années, à proportion du double sentiment de vide et de vague angoisse refoulée que suscitait le bien-être et la perception non moins vague quoique lancinante d’une nouvelle espèce de solitude de l’individu confronté à un trop grand congélateur ou à un trop grand véhicule genre 4x4 Fan Cruiser, pour aboutir au succès phénoménal des traités de développement personnel et autres revues spécialisées dans la gestion d’un peu tout et n’importe quoi. On vit alors l’expansion et même la prolifération, dans l’étrange pays, comme dans toutes les nations nanties,  d’établissements plus ou moins performants ou onéreux voués au ressourcement physique et psychique, voire même spirituel de la mortelle et du mortel, et la tendance au suicide assisté se professionnalisa à l’avenant.

    En mauvais esprit caractérisé, lecteur impénitent de Lucrèce et du Canard enchaîné, le vieillissant Lesage, vigile indocile de la librairie Les Fruits d’or sise au coeur du Vieux Quartier de notre chef-lieu, avait prophétisé le formatage absolu du relatif, selon son expression, et l’avènement du parfait ennui par l’accomplissement de l’excellence à tous les niveaux du Nouvel Homme, et ses clients, rares mais choisis, jusqu’aux plus jeunes, avaient surabondé.

           L’un d’eux, surtout, vingt ans d’âge et les tifs douteux, prénommé Sylvain, alias l’homme de la forêt, se plaisait plus qu’aucun autre à s’éterniser au fin fond des Fruits d’or, dans le retrait à fauteuils défoncés, à lire et fumer des roulées tout en partageant, avec le vieux fol, des idées de renouveau sans rapport aucun avec les molles velléités des adeptes de la  nouvelle religion Business & Wellness, et Sylvain soumettait ses dernières compositions à la Lautréamont revisité cyberpunk, entre Kerouac et Bove, au libraire qui l’admonestait et l’encourageait de la même voix chevrotante et nette, lui trouvant de bons  accents érotisants  à la Miller et de belles envolés anarchisantes à la Stirner.

           Ainsi des îles de bon sarcasme émergeaient-elles encore de l’océan du Simulacre, et douze Sylvains, j’veux dire douze cents Violaines et Valentins, douze mille Thyfaines et Corentins frottés de mauvais esprit survivaient-ils et procréeraient-ils au dam de l’assommante positivité, sus au suave sourire des élus à la petite semaine, j’veux dire : des élues et des élus.

    Image : Philip Seelen   

  • Léa

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    Récits de l'étrange pays, 8.

    Léa est si sensible à la beauté des choses et des gens que cela la touche, parfois, à lui faire mal.

    Elle resterait des heures, ainsi, à regarder la Cité des Oiseaux de son douzième étage. Elle en aime les âpres murs couverts de graffiti et l’enfilade des blocs au pied desquels, là-bas, les matinaux se hâtent vers les parkings ou l’abribus de la ligne numéro 6.

    Il y a ce matin des gris à fendre l’âme. On dirait que le ciel et la ville s’accordent à diffuser la même atmosphère un peu triste en apparence, à vrai dire plutôt sereine, disons sereine et grave, comme apaisée, hors du temps, qui lui évoque le temps de Théo, avant Pascal et la Solderie.

    Elle vit toujours au milieu de ses tableaux, malgré tout ce temps écoulé depuis la mort de Théo, et parfois le vertige la prend de le sentir plus présent que jamais, mais ces moments-là qu’il était le seul à ressaisir dans l’effusion de ses couleurs, surtout aux fins de journées ou à ces instants qu’il disait de l’état chantant, le manque de Théo la reprend et personne n’a pu le compenser jamais, pourtant elle aime, Léa, ce manque qui lui rappelle ce que ça a été alors de s’aimer.

    Ou alors la rage la reprend et ces jours, notamment, avec les ignobles affiches placardées en ville et partout dans le pays par le parti populacier qui en appelle à redoubler de haine pour l’étranger et toute forme d’étrangeté, dont elle sait que Théo y eût trouvé un nouveau motif de tempêter contre l’esprit moutonnier, et cette rage bonne et belle le lui ressuscite d’une autre façon qu’elle a besoin de communiquer, la poussant alors à battre le rappel de ses amis, à commencer par Hassan et Pascal, puis à descendre à la Solderie où l’attend sa chère racaille.

    En attendant, à la fenêtre de la tour nord des Oiseaux, Léa regarde une fois de plus ce qu’il y a là, que d’autres trouveraient sinistre et qui l’enchante à travers tout ce qu’en a chanté Théo dans ses toiles les plus épurées: tout ce béton et ces grillages, le dallage noir du pied de la tour où la camée du seizième s’est fracassée il y a maintenant des années de ça, les arbres défoliés du ravin d’à côté, les blocs décatis aux façades rongées par les pluies acides et la ville, là-bas, avec son chaos de toits se diluant dans la brume d’automne – tout cela chante en elle et lui donne envie de se griller une Lucky.

    C’est en effet comme ça et Pascal sera le dernier à le lui reprocher : Léa fume de nouveau et comme par défi, depuis la mort de Théo et pour faire pièce aussi à trop d’injonctions de faux culs au nom de la bonne santé du client juste bon à payer double son droit de se la cramer, c’est sa façon à elle de résister en se rappelant la bravade qu’elle a relevée dans les carnets secrets de son cher compagnon: « La mort, ma mort, je veux la faire chier un max à attendre devant ma porte, à piétiner le paillasson. Mais quand il sera manifeste que le temps est venu de la faire entrer, je lui offrirai du thé et la recevrai cordialement ».

    Or, autant que Léa fume – pensant alors qu’elle se fume elle-même comme un saumon pêché par un Indien -, elle s’imagine qu’elle se dépouille du superflu et se purifie peu à peu comme un arbre qui se minéralise, et la voici sentir en elle ce diamant fin sans lequel Théo disait que rien ne pourrait jamais se graver de durable.

    Image: Philip Seelen

  • Au niveau de l'évier

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    Récits de l'étrange pays, 7.

    L’envie d’accéder enfin au succès tenaillait si fort l’écrivain Attila M. qu’il passait désormais toutes ses matinées à sa table lustrée à la cire d’abeilles, à proximité de l’évier qui l’avait fait connaître.
    Le futur best-seller Attila M. devait, en effet, son premier succès d’estime, en tout cas dans le milieu littéraire cantonal et le cercle plus fermé de la politique culturelle nationale, à un premier recueil de proses minimales évoquant les objets usuels de la vie quotidienne de l’écrivaine et de l’écrivain tels que la table, la chaise, les rames de papier, les crayons et les gommes, les plumes et le plumier, enfin toutes ces humbles choses qui, de se trouver ainsi nommées, retrouvaient ainsi de leur dignité, en tout cas au regard du milieu littéraire cantonal et des fonctionnaires de la culture nationale en charge de l’attribution des bourses et autres subventions qui avaient tous vu à l’unisson, en ce nouvel auteur, la parangon du talent à soutenir à proportion de sa fragilité de fils d’étrangers acclimatés, type lui-même du parfait secundo.
    Avec un instinct sûr de ce qu’il fallait faire en société, peut-être hérité du Système sous lequel il avait vécu lui-même en ses jeunes années, et sous l’impulsion probable aussi de Frieda, sa compagne de vie, Attila M. sentait ce qu’il lui faudrait accomplir en sorte de percer, comme on dit, ou tout au moins en avait-il l’idée qu’il lui restait à concrétiser, mais l’art est difficile et l’écrivaine et l’écrivain doivent en baver, répétait volontiers Attila M. à la vive satisfaction de la critique établie et des médias qui l’appréciaient en tant que représentant parfait du jeune auteur à dorloter.
    Un best-seller conforme au goût du grand public, avait observé Attila M., se compose essentiellement de phrases réduites aux trois éléments d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Ce n’est pas plus sorcier que ça, avait constaté le futur best seller avant de le répéter à sa compagne de vie Frieda, de retour de l’Unité d’Enseignement où elle gagnait leur vie, et Frieda avait applaudi et conclu : alors vas-y, on y va, on le fait ce best mais il te faudra un agent, sur quoi, plus réaliste pour une fois que Frieda, Attila avait remarqué que d’abord il lui fallait un sujet.
    Jusque-là, et dans la foulée de L’évier, son premier recueil salué dans les cantons de langue française et même au-delà, puis gratifié du prix littéraire désigné comme le Goncourt suisse français par les membres de son jury composé de critiques et de professeurs établis, les sujets traités par Attila M. s’étaient alignés sur les thèmes favoris de la littérature suisse digne de cette appellation, à savoir la problématique des outils de l’écrivain et de l’écrivain, comme dans le fameux Evier, puis les thèmes de l’identité de l’écrivaine et de l’écrivain et, plus récemment, le thème de l’altérité vécue comme un partage par l’écrivaine et l’écrivain, à l’enseigne du slogan Vivre Ensemble qu’incarnaient positivement Attila et sa compagne de vie. Mais tout ça, ma foi, ne constituait pas l’ombre d’un début de sujet de best-seller accessible au grand public, songeait Attila M. en ce début de matinée d’octobre un peu cafardeux, lorsque l’évidence lui apparut au terme d’une longue contemplation de l’évier : comme quoi le best-seller par excellence se devait d’allier sexe et violence - par conséquent à nous deux Attila !

    Image: Philip Seelen