
C’est LE spectacle de la saison théâtrale lausannoise : John Gabriel Borkman, mis en scène par Thomas Ostermeier. Dès ce 14 juin à Kléber-Méleau.
Une pièce-bilan d’Henrik Ibsen, sombre et magnifique : John Gabriel Borkman, dans la version de Thomas Ostermeier, l’un des grands de la scène européenne. L’interprétation (en allemand, avec sous-titres) des acteurs de la Schaubühne a fait sensation. Rencontre avec le metteur en scène.
- Qu’est-ce qui vous attache particulièrement à Ibsen ?
- Le plus important à mes yeux, n’est pas le psychodrame, illustré par la plupart des metteurs en scène, mais la base de ses pièces liée à l’économie. Bien sûr, la psychologie des personnages compte, mais ce qui m’a frappé dans les cinq pièces que j’ai déjà montées, c’est l’importance de l’argent. Cette contrainte sur les personnages, déjà très présente dans Maison de poupée et Hedda Gabler, devient centrale avec Borkmam, figure du businessman libéral typique. La pièce est en outre, pour Ibsen, une sorte de règlement de comptes avec sa propre vie. Il y a de l’artiste chez Borkman, qui a sacrifié sa vie privée pour son œuvre. Borkman immole l’amour sur l’autel de sa carrière, d’une manière monstrueuse, voire diabolique, en sacrifiant la femme qu’il aime et sa sœur rivale, qu’il épouse par intérêt. Et c’est aussi un poète à sa façon, un entrepreneur et un créateur.
- Qu’est ce qui fait l’actualité d’Ibsen ?
- Lorsque nous avons crée la pièce à Rennes, en 2008, c’était bien avant la crise financière, et pourtant, durant les répétitions, les faits liés à la débâcle financière se succédaient dans les journaux. Ibsen, cependant, était trop intelligent pour se limiter à une critique du capitalisme. C’est en lui-même qu’il a découvert ces forces dangereuses qui, par les mécanismes du pouvoir économique, échappe à la maîtrise.
- Le théâtre d’Ibsen est habité par de formidables personnages. Cela pose-t-il un problème de distribution ?
- C’est évident, et d’ailleurs, pour cette pièce, j’avais « mes acteurs » avant de décider de la monter, ce qui n’aurait pas été possible hors de la Schaubühne. Je me suis d’ailleurs attaché à constituer une sorte de «famille», comme je travaille en étroite complicité avec Marius von Mayenburg sur les traductions de Shakespeare. L’ennui, c’est que mes « stars » sont également très demandées au cinéma…
- Quel dénominateur commun marque-t-il votre approche d’auteurs si différents que Shakespeare et Ibsen, Lars Noren ou Brecht ?
- Il y a deux « lignes » parallèles dans mes préférences, qui ont pour point commun la prise en compte de la réalité humaine dans sa complexité. Une ligne est plus axée sur les destinées individuelles, comme chez Ibsen, Jon Fosse ou Lars Noren, et l’autre est de type épique, dont Shakespeare est le grand représentant, que j’ai abordé avec Le Songe d’une nuit d’été, Hamlet et Othello, et que je continue d’explorer en lui découvrant tous les jours de nouvelles ressources.
- À quoi travaillez-vous actuellement ?
- Précisément, nous préparons une nouvelle version de Mesure pour mesure de Shakespeare, avec Marius von Mayenburg, pour le Festival de Salzburg d’août prochain. Et je compte bien monter encore quelques autres pièces d’Ibsen. À vrai dire, alors qu’on vient de me décerner un Lion d’or, à Venise, pour « l’ensemble de mon œuvre », je me sens comme au début de ma carrière…
Les fruits amers de la puissance
Avant-dernière pièce du dramaturge norvégien Henri Ibsen (1828-1906), John Gabriel Borkman voit s’affronter, dans un raccourci saisissant (quelques heures d’une nuit d’hiver où se concentrent vingt ans d’illusions perdues), les forces antagonistes de l’ambition et de l’amour. D’un côté, la volonté de puissance « nietzschéenne » du banquier Borkman, qui pensait faire le bien de tous, a été condamné à la prison et a passé les années suivantes à fantasmer sa réhabilitation. De l’autre, deux femmes : Ella qu’il a aimée et laissé tomber pour Gunhild, sa sœur jumelle, épousée par intérêt. Ajoutons à ceux-là le jeune Erhart, qui ne pense qu’à vivre sa vie et dont les deux sœurs rivales s’arrachent les faveurs alors que le père voit en lui un possible successeur.
Mélange de pessimisme lucide et de poésie crépusculaire, la pièce tourne autour d’une sorte de péché sans rémission commis par Borkman en tuant « la vie d’amour », chez celle qui l’aimait et qu’il aimait, pour accomplir son « œuvre ». L’esprit de vengeance de l’épouse au cœur dur, l’impatience du fils fuyant ce nœud de vipères avec une femme plus âgée que lui, la maladie mortelle menaçant la sœur aimante et la « main de fer » terrassant finalement Borkman illustrent la part d’ombre d’une humanité qu’Ibsen « sauve » par de minces rayons de tendresse et de compassion.
Lausanne-Renens, Théâtre de Kéber-Méleau, du 14 au 19 juin.


« Quand je serai moins bête
La mémoire tragique du XXe siècle revit à travers la figure lumineuse d’Alexandre Soljenitsyne. La fondation Martin Bodmer, à Genève, patronne une exposition et un livre admirables, sous la direction de Natalia Soljenitsyne et Georges Nivat.
La présence de cette bonne fée, mère de trois fils dignes de leur paternel, est particulièrement visible dans les corrections successives des feuillets préparatoires
…Elle a toujours tiré à droite et son chien à gauche : je veux dire : ses chiens, ses chiens et ses hommes, depuis son premier chien et son premier homme ç’a été la tendance, mais ça peut évoluer, on est surpris dans la vie, des fois qu’elle épouserait un homme de droite et qu’elle tombe sur un chien pas comme les autres, chiche qu’elle pourrait tirer « à gauche »…


À propos de La Tête des gens, de Jean-François Schwab




La vraie peinture, comme la vraie littérature, se font à la fois par le travail continu et par le désir intense que celui-ci entretient quand on ne travaille pas, les yeux fermés…
La grande question que nous pose le Céline des pamphlets, souligne justement Henri Godard dans sa nouvelle somme (parue ces jours chez Gallimard), bien au-delà de son antisémitisme d’époque, est celle que nous pose sa haine, qui recoupe la haine actuelle se déployant tous azimuts dans tous les rejets de tous les racismes, et qui fait cet homme tellement humain et fraternel basculer dans l’abjection. Or, Henri Godard a mille fois raison de ne pas séparer les pamphlets du reste de l’œuvre. Ils sont là et ils doivent y rester. Le ressentiment de Céline a une histoire et Godard la suit pas à pas de l’enfance à la guerre et de l’Afrique aux prisons du Danemark, sans cesser d’interroger les romans et les lettres de l’écrivain, non seulement ses contradictions fameuses mais cette espèce de fascination vertigineuse qui le fait augmenter son mal par un mal plus grand et que nul ne saurait juger sans le prendre tout entier, par delà la jouissance du texte et les plus troubles plaisirs de la haine relancée par le lecteur lui-même…
Jean Dutourd me disait un jour qu’une idée notée est une idée perdue, mais je l’entends tout autrement pour ma part, à savoir qu’une idée notée est une idée en passe d’être travaillée et qu’elle procède donc d’une transmutation féconde, comme une journée notée peut être dite (c’est Paul Léautaud qui le disait) vécue deux fois. Cela n’invalide pas pour autant l’opinion de Jean Dutourd, qui s’exprimait en romancier ou en chroniqueur pressé craignant d’être freiné par la note, mais après tout chacun ses pratiques et formules, d’ailleurs amovibles ou à géométrie variable. Tout noter, à mes yeux, n’est pas tout figer mais tout sensibiliser.
Milan Kundera s’est efforcé de couper court à tout aveu personnel dans son œuvre, comme à tout investissement de type autobiographique, ce qui ne me dérange pas plus que ça ne m’en impose. Mais l’homme Kundera n’en est pas moins sûrement omniprésent dans ses romans autant que dans ses essais. À ce propos, les auteurs qui voient une supériorité dans le genre même du roman, par rapport aux écrits autobiographiques et autres autofictions (terme actuel plus chic) me font sourire, car nombre d’entre eux, incapables de composer de vrais romans (ce que fait à l’évidence un Kundera) se contentent en somme d’appeler romans des récits dont ils sont les protagonistes (je pense autant à Philippe Sollers qu’à Jacques Chessex, entre bien d’autres), quand ce ne sont pas des carnets et autres journaux « extimes »…

La photo n’a rien à voir avec la peinture, j’entends : même la vraie photo, avec la vraie peinture. La peinture qui reste de la photo ne m’intéresse pas, moins même que la photo, qui en dit souvent plus que la peinture en terme d’image, mais il me semble que la peinture, j’entends la vraie peinture (disons jusqu’à Nicolas de Staël et ensuite celle de quelques-uns seulement de plus en plus rares) surpassera toujours la photo en terme de perception totale, par tout ce qui fait notre corps physique et spirituel, et de diffusion par la forme dépassant les formes…
Ce film, ce livre relève-t-il de l’érotisme ou de la pornographie ?



- Mais qui êtes-vous donc, jeune fille ?
- Qu’est-ce que cet «être de langage» que vous dites être ? 





