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Le tueur sans visage

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Découvert au festival Visions du réel : El Sicario, de Gianfranco Rosi. Le récit terrifiant d’un exécuteur des « narcos » mexicains.

Le sicaire, dénomination française « littéraire » du tueur à gage ou, antérieurement, de l’assassin (du mot latin sica désignant un poignard à lame recourbée), apparaît ici comme un homme au visage dissimulé par une voile noir, dans une chambre de motel de la zone frontière entre States et Mexique, où il a souvent « opéré », et qui s’y tiendra au fil d’une confession hallucinante durant laquelle il ne cesse d’illustrer ses propos par des dessins schématiques.

El sicario a été, durant une vingtaine d’années, l’exécuteur des basses œuvres de celui qu’il appelle El Padron, le patron qui est à la fois son père et son maître, son Dieu et son Diable et qui règne sur une fraction du cartel de la drogue. Le sicaire a été recruté très jeune, dans un lycée où les gens du cartel l’ont approché avec quatre autres jeunes gens, auxquels, après une fête, ils ont proposé de convoyer des voitures évidemment « chargées », destination El Paso. Trois ans après ces débuts, qui lui ont permis de se payer les seules Reebok du lycée, le garçon s’est retrouvé en fac et soudain confronté à un conseil de famille (treize personnes à la maison) qui a remis en cause son activité illicite subodorée par la mère, laquelle en est devenue malade. On le menace alors de l’envoyer à l’armée, ce qu’il esquive en entrant dans une école de police où ses « contacts » lui permettent d’entrer en dépit du fait qu’il est encore mineur et qu’il se drogue. Comme le lascar « assure » physiquement, il va donc accomplir sa formation de tueur dans le cadre de la police – ce qui n’est pas contradictoire puisqu’il nous a révélé, dès le début de sa confession, qu’un « narco » peut tout se payer : police, douaniers et tutti quanti. Initié de jour au tir, à la chasse aux narcos et à la psychologie criminelle, il fait le mur la nuit pour ses activités poursuivies de criminel aux ordres des narcos…

Sicario2.jpgLa dramaturgie du Sicario de Gianfranco Rosi  est minimaliste, qui s’en tient au récit du sicaire, assis avec son bloc de dessins ou se levant parfois pout mimer une scène d’exécution. Des plans extérieurs alternent avec le récit, comme en contrepoint figurant les lieux évoqués.

Tout cela pourrait être monotone ou même assommant. Or nous suivons le récit minutieux du sicaire, à tout instant illustré par les dessins compulsifs du personnage, comme une espèce de roman sadien sur l’Obéissance absolue au Crime absolu symbolisé par El Padron. Les détails accumulés au fil du récit sont d’autant plus saisissants qu’ils sont exposés avec une sorte d’objectivité scrupuleuse, en vertu du Scrupule essentiel présidant à l’efficacité du professionnel engagé dans une structure de crime organisé. C’est valable pour les circonstances détaillées de la torture, dont rien ne nous est épargné, autant que pour les lois générales de l’Organisation.

Le récit du sicaire n’est pas, évidemment, une grande nouveauté du genre, mais le ton, la manière, le contraste vertigineux entre la précision toute calme, parfois presque didactique (dessins à l’appui) de son témoignage, et les abominations qu’il rapporte, donne un relief tout particulier à celui-là.

Sicario1.jpgEt puis il y a le côté documentaire du document. Découvrir comment les écoles de police mexicaines forment de grands professionnels, dont une partie est déjà recrutée par les narcotrafiquants, est évidemment intéressant. Tout ce que raconte le sicaire sur les accointances entre le pouvoir, parfois au plus haut niveau, et le crime organisé, est également édifiant. Ainsi apprend-on l’existence d’innombrables maisons « sécurisées », surveillées par des policiers infiltrés, qui contiennent des centaines de séquestrés ou de cadavres…

Il faut préciser alors que le sicaire, quand il s’exprime devant la caméra, est un homme en cavale sur la tête duquel est fixé un contrat de 250.000 dollars. Après une période de doute et de prise de conscience, le tueur, en proie au cauchemar du souvenir, raconte comment il a été amené, après avoir été sauvé de justesse d’une exécution prévisible, à se retrouver dans un groupe d’évangélisation qui lui a fait connaître les transes de la foi partagée et de la prière collective, des larmes et du repentir véhément, préludant à sa rencontre finale avec Dieu, nouveau Patron auquel il s’est entièrement abandonné pour recommencer sa vie à zéro. Depuis 2008, plus de 8000 personnes ont été assassinées à Juarez, la ville la plus violente du monde…

El Sicario. Production France / USA. Gianfranco Rosi, d’après un article de Charles Bowden.      

 

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