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Livre - Page 132

  • Ceux qui restent dignes

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    Celui qui noue très soigneusement sa cravate dans son logis de sanglier papivore abandonné de tous mais continuant de lire Epicure / Celle qui porte élégamment son costume de prisonnière politique / Ceux qui chipent des bouts de pain de rab à la Soupe populaire sans lâcher leur Livre de poche / Celui qui se lave les dents avec la même vigueur que lorsqu’il était Scout de France genre Signe de Piste et que son éthique personnelle se résumait aux préceptes du père du désert  Charles de Foucauld / Celle qui reste petite fille modèle au milieu des effeuilleuses du Peep Show CuniGuli / Celui qui fait le tour des vioques de sa paroisse en écoutant Gun’s and Roses dans sa Volkswagen vert pistache de diacre à plein temps / Celle qui joue du clavecin dans la chambre de l’autiste / Ceux qui honorent leur particule jusque dans le ruisseau de la rue des Claques / Celui qui  mendie avec le regard plein d’amour intemporel de l’Abbé Zundel à l’instant sacré de l’Eucharistie / Celle qui conserve religieusement le portrait de Walter Benjamin par Gisèle Freund  dans son portefeuille en peau de pis de chamelle que lui a offert son ami Abdou renvoyé tout récemment dans son pays / Ceux qui font contre mauvaise fortune Sentiment Distingué / Celui qui a fait adapter à ses moignons d’artiste victime de la Révolution culturelle des pinceaux lui permettant désormais de peindre comme avec des ailes / Celle qui dit volontiers que ce monde n’est qu’une esquisse qu’il incombe à chacun de parfaire même s’il n’a aucun don reconnu par les Staracadémies / Ceux qui n’ont pas honte de leur mère coiffeuse avec laquelle ils traversent fièrement la rue de l’Université, etc.

     

    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui restent de vieux ados

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    Celui qui ne sait (toujours) pas nouer une cravate / Celle qui te supplie de grandir enfin quoi / Ceux qui ont l’air de rescapés de Woodstock / Celui qui ne sait pas ce qu’est un horaire / Celle qui a conservé toutes ses jupes d’indienne / Ceux qui ne parlent jamais nostalgie des sixties puisqu’ils ne les ont jamais quittées / Celui qui se trouve au mieux l’air de Davy Crockett sexa et au pire celui d’un vieil iguane aux yeux roulant comme des planètes / Celle qui se sent mieux auprès de ses vieux restés jeunes qu’avec ses condisciples trentenaires de l’Ecole de Gestion / Ceux qui ont essayé d’entraîner Michel Houellebecq dans leur footing du matin puis ont renoncé / Celui qui considère les progrès de son arthrose avec une curiosité qu’il ne manifesterait pas pour les genoux d’un autre et sans en conclure qu’il est lui aussi un senior non mais des fois / Celle qui refuse de se maquiller comme à ses vingt ans de sauvageonne / Ceux qui savent que le tramway nommé DESIRE conduit à la station terminus CEMETERY et qui se disent qu’ils descendront avant / Celui que la seule expression freudienne Principe de Réalité ramène à la réalité plénière dont les principes ne sont qu’un aspect secondaire en somme / Celle qui autopsiait les enfants morts-nés à 25 ans et qui s’occupe maintenant des défunts qui ont l’âge de ses parents paralysés / Ceux qui rêvent toujours d’une dernière virée aux Marquises / Celui que le seul timbre de la voix de Jacques Brel ramène à ses dix-sept ans purs et doux / Celle que sa jupe plissée n’empêchait pas à seize ans de danser le twist comme une diablesse / Ceux qui essaient de se faire bien voir par les kids / Celui qui considère que toute expérience nouvelle est intéressante comme par exemple de se payer un paquet de Gauloises bleues trois lustres après avoir cessé de fumer / Celle qui réécoute Cat Stevens sur vinyle dans le studio de sa fille aînée orné de l’effigie du Che en dépit de tout le mal qu’on lui a dit sur le personnage / Ceux qui n’ont pas encore touché à la dope malgré leur âge avancé / Celui qui conduit sa BMW hors d’âge avec la même désinvolture affichée qu’au temps de sa 2CV verte d’écolo à la manque / Celle qui a pratiqué la polygamie tout le temps qu’ont duré ses études de germanistique à Tübingen et jusqu’à sa rencontre du grand Sepp riche et jaloux / Ceux qui ne sont jamais partis pour Goa et n’en sont donc pas revenus non plus / Celui qui trouvait imbécile de mourir pour des idées à vingt ans et qui continue de trouver imbécile l’idée de mourir / Celle qui faisait du crochet à l’âge de 20  ans tout en lisant Marcuse et dont les filles tricotent aujourd’hui en regardant avec elle l’émission de télé Je Décore Mon Intérieur /  Ceux qui ont la révolte en eux sans savoir exactement où / Celui dont le col est aussi ouvert que son mental est fermé / Celle qui pense que tout ce que Schubert (Franz) a composé l’a été spécialement pour elle / Ceux qui se trouvent des airs de vieilles tortues malades et le disent pour se faire pardonner, etc.   

    Image: Philip Seelen

  • Procès d'un système pervers

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     À propos de Cleveland contre Wall Street, de Jean-Stéphane Bron.  Un grand film de fiction hyperréelle, d'une lumineuse clarté quant à l'exposé des faits, et plein d'humanité, sur le cynisme des banques surendettant les plus démunis pour les plumer, mais aussi sur le "rêve américain" tel que nous, consommateurs de tous les pays, nous le vivons aussi. Prix du public au Festival de Paris Cinéma 2010. Avant-première ce 12 septemnbre à la Cinémathèque de Lausanne, en présence de Barbara Anderson. 
    Bron17.jpgC'est un film captivant et très singulier que Cleveland contre Wall Street de Jean-Stéphane Bron, auquel on assiste comme à un procès filmé à l'américaine, alors que c'est tout autre chose, joué par des acteurs formidables, dont aucun n'est comédien. Réalité ou fiction ? Réalité plus vraie d'être portée par une fiction, alors que celle-ci n'est que de forme. Acteurs plus vrais de jouer leur propre rôle, sans qu'aucun dialogue ne soit écrit. Situations toutes captées dans la vie réelle, mais qui se chargent ici d'intensité dramatique. Le « cinéma du réel » prend corps au fil d'un montage très élaboré, mais c'est un autre « corps » qui nous en reste, qu'on pourrait dire le corps des gens, disons : corps et présence, avec l'âme de chaque regard.

    Pour les seuls faits, Cleveland contre Wall Street documente les circonstances et les séquelles de la crise financière dite des subprimes, aux Etats-Unis, mais le film va bien plus loin dans l'approche de toute une société et de ses aspirations ou de ses fantasmes, jadis recouverts par la formule magique de « rêve américain ».

    Nous avons tous entendu parler de la crise des subprimes, sans savoir exactement de quoi il s'agit (du moins était-ce mon cas ce matin encore), nous avons appris quels ravages sociaux en ont découlé aux Etats-Unis, frappant des millions de personnes expulsées de leurs maisons, mais ce n'est qu'aujourd'hui que, grâce à un film dont tous les faits et les acteurs sont réels, projetés dans la fiction d'un procès fictif, nous comprenons, la gorge serrée, de quoi il s'agit précisément.

    Cela se passe dans la ville de Cleveland, en Ohio, et plus exactement dans ses quartiers les plus défavorisés, où plus de 100.000 personnes incapables de rembourser des prêts ont été expulsées de leurs maisons entre 2006 et 2008. Le désastre local a pris une telle dimension qu'en 2008, le maire de la ville, Frank Jackson, appuyé par un groupe d'avocats, a assigné en justice une vingtaine de banques et organismes de prêts hypothécaires de Wall Street (y compris le Crédit suisse), considérés comme responsables des saisies immobilières.

    Comme on s'en doute, l'action en justice ne se fera vraisemblablement jamais. Cependant, Jean-Stéphane Bron a eu l'idée géniale de mettre sur pied ledit procès avec un vrai juge, de vrais avocats, de vrais plaignants et de vrais jurés. Dans le vrai palais de justice de Cleveland, mis à disposition par la ville, défilent ainsi des habitants du quartier de Slavic Village, l'un des plus touchés par la crise, mais aussi divers « acteurs » du drame, tel cet ancien conseiller économique de Reagan, tel ce jeune broker issu du « ghetto des ghettos » et passé du trafic de drogue au démarchage de prêts, ou tel encore ce concepteur d'un logiciel de gestion catastrophé par les séquelles d'une crise à laquelle il a participé...

    Bron15.jpgPour illustrer la situation dans son impact humain, Jean-Stéphane Bron n'a pas choisi la voix de la sentimentalité facile, pas plus que celle de la polémique à la Michael Moore.La première séquence est cependant très émouvante, qui voit un shérif, genre droit dans ses bottes mais les larmes aux yeux, témoigner du cas de conscience invivable qu'a représenté pour lui, un jour, l'ordre de faire vider les lieux à une vieille femme de 86 ans qui venait en outre de perdre son compagnon. De tels cas sont sans doute légion, mais Jean-Stéphane Bron a préféré, aux effets émotionnels prévisibles, l'aperçu de situations qui font intervenir, aussi, la naïveté ou la bêtise, l'appât du gain ou le simple désir de consommer autant que son voisin. On voit ainsi témoigner tel brave travailleur qui, incapable de régler ses dettes d'une première maison, en a acquis une autre sur la base d'un prêt alléchant, pour se retrouver finalement dépouillé des deux objets. Alors une dame d'entre les jurés, le type de la Républicaine économe, d'observer que ces gens qui vivent au-dessus de leurs moyens ne méritent point tant de pitié. Et d'en conclure que les banques ne sont pas plus responsables que ceux qui se sont laissé allécher. Sur quoi l'avocat de Wall Street, Keith Fischer d'affirmer que chacun, créancier ou débiteur, connaissait le risque qu'il prenait.

    Or, justement, la question est posée: les banques ont-elles vraiment pris le moindre risque en prêtant à des pauvres. Evidemment non, puisque l'argent récolté en surendettant les pauvres leur a fait faire encore plus d'affaires par voie de titrisation! Et qui a-t-on renfloué après la catastrophe ! Les banques une fois encore. Ainsi l'une des plaignantes affirme-t-elle que son malheur profite encore aux requins de Wall Street qu'on gratifiera d'un Bonus complémentaire...

    Un participant au procès résumera : d'un côté, quelques privilégiés et de l'autre, des masses de floués qui continuent d'être expulsés au nom de la liberté du marché...

    Ce dimanche 12 septembre à 19h, la Cinémathèque propose en avant-première le film Cleveland contre Wall Street, du réalisateur suisse Jean-Stéphane Bron, "documentaire" présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. En présence de son auteur et de celle par qui toute cette histoire est arrivée, Barbara Anderson.

     

     

     

    Le film, actuellement distribué dans les salles françaises, sera visible dès le 18 septembre en Suisse romande; il a déjà décroché le Prix du public au Festival cinéma Paris 2010.

    Dramatis Personae de Cleveland contre Wall Street: tous les protagonistes du film et du procès:  http://clevelandcontrewallstreet.com/protagonistes.html

     «J'ai été volée par un homme en costume-cravate. Pas seulement moi, mais toute la ville de Cleveland.» Victime des «subprimes», Barbara Anderson a vu sa maison saisie, incapBron19.jpgable de rembourser un emprunt qu'elle fut obligée de contracter après plusieurs incendies qui ont dévasté sa propriété. Depuis, elle est devenue le symbole du combat contre les banques, militante au sein d'une organisation qui défend les droits de leurs nombreuses victimes. Elle est aussi l'une des figures majeures de «Cleveland contre Wall Street».

  • La tribu Volodine

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    Le conteur proliférant publie trois livres à la fois

    Antoine Volodine et ses éditeurs ont voulu « faire fort » pour cette rentrée littéraire française, et leur «coup » sort assurément de l’ordinaire. D’abord parce qu’il focalise l’attention sur un romancier qui ne manque pas d'originalité, créateur d’un univers foisonnant et largement reconnu pour la vingtaine de romans qu’il a publié sous son premier pseudo. Ensuite par la révélation du fait que, depuis des années, ce même Volodine a publié une autre vingtaine de romans sous les noms de Manuela Draeger, de Lutz Bassmann et d’Elli Kronauer, participant de la même inspiration «post-exotique», selon le terme fondé et théorisé par l’écrivain.
    Voici donc que paraissent simultanément, chez trois éditeurs différents, trois romans signés Volodine, Draeger et Bassmann, dont la lecture «croisée» donne un nouveau relief et de nouvelles arborescences au monde selon Volodine. 
    Or, comment caractériser ce fameux post-exotisme ? Disons qu’Antoine Volodine a conçu, sur les décombres encore fumants des révolutions, des guerres et autres génocides du XXe siècle, sur fond d’utopies sans lendemain, un univers romanesque qui touche à la fois aux genres plus ou moins marginaux de la science fiction (à quoi se rattachent ses premiers livres), de la fiction onirico-politique ou du polar fantastique, dans le sillage des visionnaires à la Kafka, Buzzati ou Kadaré, toutes proportions gardées. Ses livres se déroulent dans des décors de ruines, où se multiplient des récits jouant sur des réminiscences historiques recyclées (la « bolcho Pride » des Onze rêves de suie, de Manuela Draeger) ou des échappées vers de multiples ailleurs, avec des inventions architecturales ou dramaturgiques aussi inventives que leur bestiaire. Les contes apocalyptiques racontés à ses enfants par Gordon Koum, dans Les aigles puent de Lutz Bassmann, évoquent des lendemains de catastrophe nucléaire bien différents des personnages «soviétiques» des Onze rêves de suie, et pourtant l’horizon de ces récits « post exotiques» est le même que celui dont parle Linda Wood dans le Discours aux nomades et aux morts du recueil Ecrivains de Volodine. Dans un monde où l’ordre de «laisser toute espérance» semble prévaloir, l’imagination poétique et narrative devient gage de survie, jusque dans ses formes les plus dérisoires: ainsi de cet écrivain, emprisonné pour terrorisme, qui invente des listes de nouveaux mots dans sa cellule alors que le hante l’idée du suicide.
    L’univers de Volodine traduit en somme le désenchantement d’une génération (il est né en 1949 ou 1950, selon les versions…) marquée par les désastres du XXe siècle, et l’effort d’échapper à la fois à la résignation grégaire et au cynisme. C’est un monde «catastrophiste» et ludique à la fois, que sauve une certaine poésie. Entreprise littéraires d’envergure, l’oeuvre en cours de Volodine le chamane et de sa tribu délirante n’en reste pas moins marginale, et son approche de l’Histoire reste à discuter...

    Triptyque en labyrinthe
    Antoine Volodine est à la fois conteur et théoricien grave de ce qu’il raconte en toute fantaisie, dont la meilleure illustration reste Le post-exotisme en dix leçons, leçon onze paru chez Gallimard en 1998. Mais cette alternance du récit et de sa propre glose ne cesse en outre de se développer dans les multiples ouvrages procédant du post-exotisme, depuis Biographie comparée de Jorian Murgave, publié par Volodine chez Denoël en 1985.
    Au nombre des auteurs post-exotiques, dont une des particularités est l'impatience d’assassiner les assassins, afin d’éradiquer le crime (notamment le crime d’Etat) à leur façon, Linda Woo, qu’on rencontre dans Ecrivains de Volodine, théorise ainsi, avec son Discours aux nomades et aux morts, ce que Mathias Olbane, protagoniste du premier portrait du même livre, a vécu en cellule et continue de vivre, frappé d’une maladie atroce, dans sa chair meurtrie.
    Comme des poupées russes, que Volodine excelle à manier autant que la langue de Gogol, de Platonov ou de Zamiatine, qu’il prolonge en mineur, les trois livres s’emboîtent et se déboîtent dans un labyrinthe à multiples «entrevoûtes» et autres passerelles qu’un Enki Bilal illustrerait à merveille...

    Antoine Volodine, Ecrivains, Seuil; Manuela Draeger, Onze rêves de suie, L'Olivier; Lutz Bassmann, Les aigles puent, Verdier.


  • A fleur de mémoire


    Tristano meurt d'Antonio Tabucchi

    Le philosophe russe Léon Chestov évoquait, dans Les révélations de la mort, ce moment décisif, dans la vie du jeune Dostoïevski condamné à mort pour menées subversives, où il fut confronté au “mur” ultime avant d’être gracié. in extremis. Or c’est dans une situation comparable, à certains égards, que se trouve le vieux Tristano en ce mois d’août de la dernière année du XXe siècle, dans une maison de campagne de Toscane écrasée de chaleur, au milieu du crissement des cigales, sachant la mort certaine et proche, et non moins convaincu de la nécessité de parler tout en se méfiamt des mots, “l’écriture fausse tout”, dit-il même, et à l’écrivain qu’il a convoqué à son chevet pour se confier à lui, de lancer acerbe “vous les écrivains vous êtes des faussaires”. Lui-même, considéré comme un héros pour d’anciens faits de résistance qu’il rappellera plus tard, n’est pas moins lucide à son propre égard, et pourtant Tristano va parler. Sa parole semble d’abord surgir du silence crissant de l’été comme de l’ébluissante nuit d’un autre temps, sous la forme de bribes d’une chansonpopulaire surgie des années 40 et se prolongeqant ensuite par bribes désordonnées, délirantes parfois même à proportion des doses de morphine que lui administre la Frau revêche qui veille sur lui, puis un récit, discontinu mais non moins cohérent, accidenté mais traversé de visions et incessamment pimenté d’humour, va se développer, de plus en plus ample, en suivant les méandres de la mémoire, ressaississant à la fois une vie et toute une époque aussi.

    Emprunté à une personnage de Leopardi, le prénom de Tristano rayonne ici de la même sombre lumière filtrant dans la poésie et la pensée du grand poète italien, tout en associant le lecteur à une vertigineuse traversée de ce qu’il est convenu d’appeler “la réalité”. Réalité d’une enfance, d’une adolescence, d’une histoire nationale précipitant les troupes de Mussolini sur la Grèce, réalité de l’acte soudain déviant (mais à un millimètre près) du jeune soldat Tristano tirant sur un “camarade” allemand avant de rallier la Résistance et d’endosser la figure du héros, réalité revisitée après que son interlocuteur muet (qui fut naguère son biographe) l’eut fixée une première fois, et redite cette fois “pour de vrai” (mais qui écrit, sinon celui qui a écouté...), réalité “à la vie à la mort” qui voudrait dire pour l’essentiel une histoire en train d’être prostituée à toutes les sauces par le nouveau monde du dieu “dingodingue” de la société médiatique et berlusconienne. Tristano se meurt et , pour reprendre le titre d’un autre admirable roman de Tabucchi, “il se fait tard, de plus en plus tard”. Et pourtant la musique des mots, la poésie des images, la chanson alternée de nos amours et de nos idéaux de jeunesse résiste à la corruption - la vive voix de Tristano est là pour en témoigner, et si l’écriture ne rend pas toute la voix de Tristano, du moins l’écriture ressuscite-t-elle en nous la réalité d’une vie transmutée par le verbe...

    Antonio Tabucchi. Tristano meurt. Traduit de l’italien par Bernard Comment. Gallimard, coll. “Du monde entier”,203p.

  • Ceux qui restent poreux

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    Celui qui lit Un Véronèse, le dernier roman d’Etienne Barilier, près de la porte-fenêtre de sa villa spacieuse de chef de clinique donnant sur un jardin soigné / Celle qui a toujours pensée que le fils Barilier écrivait trop et que ça pouvait nuire à la réputation de son père pasteur / Ceux qui ont tous les livres de l’éminent auteur sous papier pergamin / Celui qui est impressionné par la compétence et le sérieux de ce putain de joueur d’échecs / Celle qui noue les cravates du Maître quand il va recevoir un prix / Ceux qui ont souffert en leur adolescence comme souffrent les personnages de Laura et de Passion et d’Un Véronèse / Celui qui s’inscrit dans la filiation droite d’un Thomas Mann auquel on souhaiterait la réplique plus cinglante d’un fils genre Klaus / Celle qui pense en musique et trouve beau ce roman qui pense en peinture / Ceux qui sentent que tel ou tel livre restera / Celui qui se revoit à Venise l’hiver de ses vingt ans sous la neige / Celle qui ne se souvient plus du titre du morceau qu’il y a dans La Mort à Venise mais qui se rappelle que c’est du Malher et qu’elle a le disque vinyl quelque part / Ceux qui sont allés le même jour voir au Kunstmuseum de Vienne le Véronèse dont parle Thomas Bernhard dans Maîtres anciens et qui se sont rencontrés là et se sont ensuite mariés et ont vieilli comme le vieux de Véronèse et sont allés se recueillir sur la tombe de TB au-dessus de laquelle gloussait un pigeon symbole de pureté dans certaines cultures / Celui qui est premier partout et que ça fait parfois se sentir un peu seul / Celle qui confie à son amie Doris qu’en fait son écrivain est moins chiant qu’il n’y paraît / Ceux qui ne s’intéressent qu’au motif dans le tapis / Celui qui se sent plutôt du parti des sans-cravates mais ne crache pas pour autant sur les réguliers / Celle qui a gardé la jupe plissée qu’elle avait en mai 68 / Ceux qu’émeuvent toujours les avancées d’un artiste / Celui qui à son quarantième livre retrouve une espèce de candeur / Celle qui sait voir la vraie noblesse là où elle se trouve / Ceux qui savent pourquoi Thomas Bernhard et Cézanne regardaient Véronèse avec tant d’attention, etc.

    Image: Jeune homme entre le vice et la vertu, de Véronèse.

  • Ceux qui révisent leur jugement

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    Celui qui pense que l’écrivain a bonifié grâce à son chien / Celle que la bonté diffuse irradiant La Carte et le territoire (en librairie le 8 septembre) a immédiatement scotchée / Ceux qui ont toujours craché sur M.H, sans ouvrir aucun de ses livres / Celui qui estime qu’aucun romancier français actuel ne voit la société avec plus de juste aplomb que l’amer Michel / Celle qui objecte que l’amer Michel l’est de moins en moins / Ceux qui n’aiment rien tant qu’être surpris par un écrivain qui les a parfois déçus pour parler gentiment / Celui qui prend ces notes à la terrasse ensoleillée du Café Les Trois Rois de Fribourg surplombant les eaux vert olive de la Sarine / Celle qui voit en Houellebecq un poète de la réalité dure adoucie par son regard / Ceux qui décident d’être artistes « pour avoir l’monde à refaire / se la jouer anarchistes / et vivre en millionnaires » / Celle qui éclate en sanglots en constatant que Damien Hirst l’a pas reconnue au cocktail d’Amanda Lear / Ceux qui invitent Jeff Koons à leur partouze pour leur Action de Body Art recyclée en sérigraphies par la Banque de Crédit Genevois / Celui qui expose les brouillons volés à Houellebecq par sa voisine irlandaise / Celle qui se propulse attachée de presse de l’artiste conceptuel Jed Martinson en jouant sur l’influence de son père enrichi dans le pétrole russe / Ceux qui travaillent « dans l’humain» sans renier leur parti pris minimaliste / Celui qui ne lit plus les journaux depuis qu’il y collabore / Celle qui a gardé quelques « supports fétiches » dans les médias / Ceux que les guêpes et les cloches endiablées du couvent voisin énervent à la terrasse des Trois Rois où ils savourent un poulet au panier en se racontant le dernier Houellebecq / Celui qui constate à l’observation de son oncle Palamède que la sécrétion de testostérone diminue décidément avec l’âge alors que l’élévation de la masse graisseuse peut s’accentuer malgré la diète / Celle qui se dit spirituellement plus proche de Michel Drucker que de Jean-Pierre Pernaut / Ceux qui ne se sont pas reconnus au cocktail d’Amanda Lear mais se sont promis de se rappeler de toute façon / Celui qui se dit un guerrier en matière de rendement / Celle qui n’a pas levé un Winner pour le laisser douter de son art / Ceux qui s’exclament « Yes we can » en se targuant de leur potentiel win-win, etc.

    Notes prises en lisant le nouveau roman de Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, en librairie le 8 septembre.

  • Ceux qui sont à cran

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    Celui qui ne supporte plus les silences de sa conjointe au caractère trempé en dépit de son prénom de Solange / Celle qui rappelle toujours à Victor qu'elle lave ses caleçons malgré sa qualité de membre du Rotary / Celui qui remet sa décision de tout à l'heure à plus tard / Celle qui ne peut trancher sans se couper / Ceux qui ne décideront qu'après avoir consulté la base / Celui qui prend le temps de vous prendre le vôtre / Celle qui est jalouse de ton temps perdu à lire Proust et autres auteurs obsolètes selon ses codes de battante qui attend le prochain Marc Levy / Ceux qui ramènent tout à du déjà-vu / Celui qui reste vacher à la tâche / Celle qui en pince pour le bouèbe / Ceux qui ne craignent pas de se montrer pédants en précisant que le terme patoisant de « bouèbe » vient du mot allemand Bube, le garçon, et qu'il désigne l'aide d'alpage que les armaillis charrient plus souvent qu'à leur tour en rêvant plus ou moins de le peloter après deux ou trois verres de kirsch mais charrette on est des hommes nous faut pas croire / Celui qui se fait tatouer un Edelweiss sur l'épaule / Celle qui se fait surprendre à cueillir des orchis vanillés par un membre de l'Eglise des derniers jours / Ceux qui raffolent des paysages de Kokoschka qui rendent la nature alpine moins alpestre, etc.

    Image : Le Cervin, vu par Oskar Kokoschka

  • Un amour de rapt

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    Anne-Sylvie Sprenger publie son roman le plus abouti avec La veuve du Christ

    Anne-Sylvie Sprenger vivait la double expérience de l'attente d'un enfant et de la perte d'un ami (Jacques Chessex) lorsqu'elle écrivait son troisième livre. Comme Vorace et Sale fille, La veuve du Christ confronte les pulsions du sexe et les interdits de la morale puritaine en terre calviniste. Or, maîtrisant une situation « limite », la romancière lausannoise donne ici son meilleur livre.
    - Quel est le point de départ du livre. On pense évidemment au sort de la jeune Autrichienne Natascha Kampusch, mais en quoi cet acte de séquestration vous parlait-il particulièrement ?
    - Ce livre poursuit en quelque sorte le questionnement de Sale fille, où je tentais de comprendre les liens ô combien complexes et perturbants qui unissent une enfant abusée à son parent abuseur. Si je me suis ici inspirée de l'histoire de Natascha Kampusch, c'est parce qu'elle était pour moi la plus emblématique de ce fameux «syndrome de Stockholm», qui veut que la victime, pour supporter l'intolérable, commence à nourrir des liens affectifs pour son bourreau. Imaginez qu'ils allaient skier ensemble! C'est ce mécanisme de défense, de survie, qui m'a interpellée. Cette façon de transcender l'horreur par l'illusion de l'amour. N'est-ce pas d'ailleurs ce que fait l'écrivain quand il sublime les enfers par l'illusion esthétique?
    - Quel mobile anime votre bourreau ?
    - Comme c'est souvent le cas pour les pédophiles ou ceux que les médias appellent des «monstres», Victor est un faible. Un homme meurtri, inadapté aux rapports sociaux et enlisé dans ses peurs. Une relation avec un enfant lui apparaît alors comme le seul lien affectif possible, tant il craint les autres adultes. Or je ne voulais pas faire de Victor un monstre : je voulais voir ce qu'il pouvait y avoir d'humain chez un tel personnage. J'y ai trouvé une grande solitude, un grand besoin d'amour, mais aussi, paradoxalement, un grand désir de pureté. Victor ne cherchait pas à assouvir ses besoins sexuels. Sa solitude va bien au-delà.
    - Qu'en est-il plus précisément de son obsession de la pureté?
    - J'avais envie de confronter, dans ce roman, deux visions du christianisme. Il y a la vision déprimée de Victor, figée sur l'image du Golgotha, coupable et terrifiée. Et puis il y a la vision de Lena, qui entrevoit la Résurrection, et qui a donc accès au rachat. Loin des dogmes, Lena voit plus clair. Elle ressent cette présence et cet amour divin auquel elle s'abandonne. Elle peut alors affirmer, en toute simplicité: «Dieu nous aime, Victor, Dieu nous aime.» Mais Victor ne se sent jamais digne de cet amour.
    - L'amour de Lena vous semble-t-il réellement crédible ?
    - Je suis convaincue, au plus profond de moi, et ce de façon totalement instinctive, qu'une telle histoire d'amour est possible. Je crois plus que tout à la rencontre de deux solitudes, et les bribes de récit qu'a confiés Natascha Kampusch à sa sortie n'ont fait que me conforter dans cette conviction.
    - Par le corps, le sexe puis l'amour, le roman va vers l'acceptation de la chair porteuse de vie. Mais pourquoi « suicidez »-vous Victor ?
    - Parce que Victor est un lâche. Il n'a pas la force de vivre ce destin trop grand pour lui que lui propose Lena: s'enfuir ensemble et commencer une vie normale ailleurs. J'avais envie, dans cette histoire, de montrer la force d'une victime. Lena a repris le dessus sur sa vie, elle a accepté son destin d'enfant kidnappée, mais elle ne veut pas en rester là. Elle exige de Victor qu'il ait le courage d'assumer leur amour en le vivant pleinement. Hélas Victor n'en a pas la force, empêtré qu'il est dans ses propres obsessions coupables. Et plus Lena se révèle outrageusement forte, pleine de ce mystérieux instinct de survie, plus Victor est confronté à ses faiblesses et son incapacité à vivre normalement. D'où le suicide.
    - Vous dites tenir particulièrement à ce roman. Pourquoi cela ?

    - Ce roman contient quelque chose d'intime : un déchirement total dans lequel la vie m'a jetée l'année passée: j'ai écrit ce roman enceinte et en deuil. Et j'ai l'impression d'y avoir mis toute ma joie d'être mère et toute ma peine d'avoir perdu un des êtres les plus chers de ma vie. Peut-être est-ce illusoire, mais je pense que ces émotions résonnent dans ce roman. Comble d'ironie, ce livre est aussi la promesse faite à l'ami décédé. Je me devais de l'écrire.
    - Qu'en est-il de son écriture ? Vous y exprimez souvent beaucoup en peu de mots, avec des ellipses assez nouvelles chez vous. Cela résulte-t-il d'un travail particulier ?
    - J'ai plutôt l'impression d'avoir accepté ma voix. Cette écriture, c'est ma voix intime, celle qui me vient spontanément, celle avec laquelle je vis le monde. Au départ, je ne lui faisais pas confiance. Je pensais qu'il fallait écrire autrement, mieux, plus beau. Avec Sale fille, où je me suis risquée un peu plus à cette musique intime, j'ai compris que je pouvais faire confiance à cette voix venue de si loin en moi.
    - Les thèmes et le climat, physique et moral, des livres de Jacques Chessex sont très présents dans ce livre. Y a-t-il là une sorte d'hommage explicite de votre part ?
    - Depuis mon premier roman, les lecteurs et professionnels ont vu une parenté entre mon univers et celui de Jacques Chessex - alors que je n'avais alors jamais lu ses livres! Effectivement, après découverte de son œuvre, la parenté me semble aussi évidente. Elle n'est pas voulue, elle est juste là, comme lorsque deux amis se retrouvent l'un à travers l'autre. Cela ne se fabrique pas et ne s'explique pas. Quant à l'hommage, il est dans cette promesse, dont je vous parlais un peu plus tôt...


    Un pur amour
    C'est une histoire assez atroce que raconte Anne-Sylvie Sprenger dans La veuve du Christ dont il se dégage pourtant une tendresse proportionnée à l'horreur subie par la protagoniste: non tant d'avoir été séquestrée de sa huitième à sa dix-huitième année par une espèce d'homme-enfant, plus égaré que méchant, que de s'être retrouvée en butte à la normalisation, livrée aux psychiatres, aux médias et à ses parents, qui se sont empressés de lui arracher l'enfant de son inadmissible bonheur. Du moins Lena trouvera-t-elle un dernier refuge auprès des «fiancées» du Christ d'un couvent, accomplissant son pur amour.
    Comme dans ses deux premiers romans, et proche en cela de Jacques Chessex, Anne-Sylvie Spremger sonde les zones les plus délicates, parfois les plus scabreuses, où la sensualité se trouve en butte aux interdits moraux ou religieux. Séquestrée par un névrosé que les femmes terrorisent (sa propre mère incarnant la femme castratrice, qui a probablement poussé le père au suicide), la jeune Lena découvre le plaisir – alors que Victor espérait la garder pure –, puis l'amour auquel il finit par accéder lui aussi, avant de fuir dans le suicide. Elliptique, poétique et remarquablement musical, ce roman en impose, par une sorte d'invraisemblable vraisemblance.

    Anne-Sylvie Sprenger. La veuve du Christ. Fayard, 152p.

  • Ceux qui restent pensifs

    PanopticonS3.jpgCelui qui se convertit tous les matins / Celle qui attire la lumière / Ceux qui méditent jusque dans les encombrements du Centre des Affaires / Celui qui pense en termes de sphères / Celle qui pense en termes de cycles / Ceux qui en ont assez de s’abaisser / Celui qui ressent toute rencontre à fleur de coeur / Celle qui se met dans la peau des autres / Ceux qui ont des problèmes d'affect / Celui qui vit Cézanne comme une polyphonie silencieuse / Celle qui va découvrir Naples / Ceux qui se sont enfin rencontrés / Celui qui gère son angoisse (dit-il) / Celle qui cherche toujours un petit coin de ciel bleu / Ceux qui ne se remettent pas d’une séparation / Celui qui égrène son chapelet devant le Temple du Sexe / Celle qui pense être libérée à mort / Ceux qui font régner le froid dans les assemblées paroissiales et les clubs de bridge / Celui qui ne sort jamais sans son carnet de notes / Celle qui appelle Paul Eluard : grain d’elle / Ceux qui se positionnent au niveau du groupe / Celui qui ne signe jamais ses tableaux / Celle qui aime les vieillards pensifs / Ceux qui se retiennent de moucher les idiots / Celui qui sent l’indulgence le gagner dès 5h. du matin / Celle qui chante toute seule / Ceux qui économisent pour leurs petits-enfants / Celui qui se sent prêt à LA rencontre de sa vie / Celle qui savait que Jean-Marcel la suivrait au bout du monde / Ceux qui errent entre les tombes / Celui qui pense sérieusement que la vie est un gag / Celle qui va de musée en musée / Ceux qui voient partout l’Ennemi, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Ceux dont la vue baisse

     

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    Celui qui ne voit plus les couleurs / Celle qui découvre tout ce brouillard dans sa chambre de la rue d'Odessa / Ceux qui entendent le verdict du professeur Lesieur sur un décollement de rétine irréversible / Celui qui inaugure sa canne blanche rue de Rennes / Celle qui constate que plus jamais elle ne verra ni l'aurore ni le crépuscule / Ceux qui se rabattent sur les Solisti Veneti / Celui qui estime que Rembrandt parle même aux aveugles / Celle qui maximalise son potentiel à 3 dioptries / Ceux qui se refont tout Hitchcock en DVD / Celui qui dresse son flambeau: la Liberté / Celle qui se définit comme socialiste clitoridienne / Ceux qui pensent que leurs détritus nous renseignent sur les gens / Celui qui boit pour ne pas oublier / Celle qui apprend par cœur des chants royalistes / Ceux qui ne se lavent pas à dessein / Celui qui pense que les étudiants ne font rien / Celle qui se brise une cheville chaque hiver / Ceux qui se donnent des tâches stratégiques / Celui qui se croit le Nouveau Savonarole / Celle qui préfère les tailles XL / Ceux qui se disent « plutôt Sheraton » / Celui qui collectionne les baïonnettes / Celle qui rugit au lit comme un lutteur de sumo / Ceux que le lait fait gerber / Celui qui rêve d’entrer au Rotary / Celle qui affirme que les nègres c’est les nègres / Ceux qui ne jurent que par l’Esprit Citoyen / Celui qui appelle son sexe vieille saucisse / Celle qui préfère le clavecin au pianoforte / Ceux qui savent par cœur la composition de l’équipe d’Arsenal / Celui qui parle de pratiques émergentes / Celle qui se positionne pour la télé / Ceux qui se font briefer sur leur avenir / Celui qui palpe les visages de ses neveux / Celle qui mâche de la réglisse sur la pergola de la Casa Ramona /Ceux qui lèchent les bottes de la Maréchale des Logis etc.

    Image: Philip Seelen

  • Zapping critique

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    Festival de Locarno 2010

    Zapping1.jpgErnst Lubitsch. Je n’aimerais pas être un homme. 1918. Muet. 44’

    Pas de meilleur antipasto, pour aborder la rétrospective, que cette comédie dont la pétulance doit beaucoup à la présence explosive de la comédienne Ossi Oswalda. D’une impertinence frondeuse, Lubitsch fait fi de toutes les conventions bourgeoises avec sa jeune fille insoumise, bravant ses chaperons (son oncle ronchon, sa gouvernante et le tuteur qu’on lui colle) et se travestissant en jeune gandin pour vivre ce qu’une jeune fille comme il faut ne peut que fantasmer. Le comble de l’ironie, qui paraît subversif aujourd’hui encore, tient ici à la relation qu’Ossi, au cours d’un bal inénarrable (Lubitsch joue sur les effets de groupes avec un sens du burlesque proche de Chaplin), se retrouve finalement seul(e) en face de son tuteur qui ne l’a pas reconnu(e) et qui le (la) saoule et le (la) séduit en poussant l’équivoque à l’extrême. JJJ

     

    Zapping3.jpgErnst Lubitsch. Die Austernprinzessin. Comédie. 1919. Muet. 63’

    Lubitsch disait que cette satire carabinée d’un capitaliste simiesque, empereur de l’huître ou du cirage (ou les deux), était la première qui fût vraiment caractéristique de son style, et le fait est que son baroquisme et ses « chorégraphies » burlesques atteignent déjà des sommets du point de vue de la mise en scène. Ossi Oswalda est littéralement démontée en fille de nabab volcanique et capricieuse, et le film dégage une gaîté folle bien accordée à un lendemain de guerre. JJJ

     

    Zombie1.jpgBruceLaBruce. L.A. Zombie, 2010. 63’ Trash parodique. Compétition internationale.

    Jouant sur les conventions de genre des films de zombies et du porno gay, le réalisateur canadien underground construit un film d’art et d’essai qui n’est ni gore ni à classer Xgay - ou pas encore puisqu’une version « hard » est encore à venir...Picturalement et musicalement, la chose a du fruit et de la bête, laquelle s’incarne en outre dans le protagoniste solitaire et finalement assez émouvant du zombie auquel François Sagat prête son physique sculptural et sa présence mélancolique. Olivier Père a été vertement critiqué pour le choix de cet ouvrage dans la compétition internationale. À tort. JJ    

     

    Koblet3.jpgDaniel von Aarburg. Hugo Koblet, pédaleur de charme, 2010. 97’ Docu-fiction.  Piazza Grande.

    Figure légendaire, à la fois éclatante et tragique, du sport cycliste suisse, Hugo Koblet méritait assurément cette évocation alternant les images d’archives, les témoignages en plan-fixe (dont le plus marquant est celui de l’autre K., en la personne de Ferdi Kübler) et les séquences jouées par des acteurs, dont le rôle-titre est campé par Manuel Löwensberg. Le climat de l’époque et les aspects contrastés du personnage sont aussi bien rendus que la part tragique de cette destinée immédiatement rappelée par le crash de l’Alfa blanche contre un arbre. Cinématographiquement parlant, le film est intéressant par son montage, mais les séquences jouées pèchent un peu par statisme. JJ  

     

    Zapping13.jpgMarvin Kren. Rammbock.2010. 64’. Film de zombies. Piazza Grande.

    On peut ne pas être un amateur de films de zombies et trouver, à cette première réalisation allemande homologuée dans le genre, une qualité de forme et d’esprit tout à fait hors norme. Michi débarque  à Berlin pour y retrouver Gabi, l’amour de sa vie, à l’adresse d’un grand vieil immeuble décati soudain assiégé par des hordes de créatures affreuses contaminées par un mystérieux virus. En compagnie d’un jeune plombier coincé en ces lieux, Michi se débat comme un fou, d’abord pour récupérer son portable chu dans l’escalier où les zombies règnent, mais surtout pour retrouver Gabi, laquelle finira par lui coller le virus tandis que le joli plombier et sa bonne amie fileront en aveuglant les morts-vivants de flashes salvateurs. D’une construction folle et sans faille du point de vue pictural et musical, à la fois très stressant et très jouissif, porté par un humour noir constant, Rammbock est un vrai bijou. JJJ     

     

    Jacquot1.jpgBenoît Jacquot. Au fond des bois. Drame psychologique. 2010. France. 102’. Piazza Grande.

    Au mitan du XIXe, en France profonde, un médecin humaniste voué aux soins des pauvres et porté à l’écoute de l’autre, voit sa fille Joséphine, bien blonde et bien pieuse, tomber sous la coupe d’un jeune vagabond qui la ravit au figuré puis au propre, la viole une première fois, se l’attache ensuite et la fait participer très activement à un ensauvagement sensuel et sexuel en phase avec les puissances telluriques, avant que la loi des hommes ne brise le charme. Sur de très belles images de Causses et de montagnes désertes, Benoît Jacquot module bien le conflit entre culture bourgeoise catholique et vieux fonds païen, sans caricaturer, avec une sorte d’oscillation vécue par Joséphine (Isild Le Besco), qui se retourne finalement contre Timothée (Nahuel Perez Biscayart) le sauvageon prenant tout sur lui au procès. Très riche de résonances, ce film attachant pèche un peu en revanche par son dialogue, souvent plat ou figé, et ses séquences « historiques » fleurant le téléfilm. JJJ   

     

    Zapping30.jpgChristophe Honoré. Homme au bain. Drame psychologique. 2010. 72’

    Le nouveau film du réalisateur français se réfère à un tableau de l’impressionniste Gustave Caillebotte, où l’on voit un homme nu à côté d’un tub, sans la moindre équivoque. On n’en dira pas autant de la mise en scène très érotisée des protagonistes homosexuels de ce récit d’une rupture entre Omar, filmeur en partance pour New York et profitant de ce départ pour larguer Emmanuel, son ami plus ou moins gigolo. Or celui-ci (François Sagat) souffre bel et bien de cette rupture, tandis qu’Omar relance une nouvelle relation avec Dustin, aux States, sous l’œil amusé de Chiara Mastroianni. Sur un scénario plutôt bancal, cousu de dialogues jetés, ce film pourtant riche de notations sensibles a été hué par une partie du public de Locarno que ses séquences chaudes, sinon pornos, a importuné.

     

    Zapping12.jpgKitao Sakurai, Aardvark. 2010. 80’. Comédie noire. Compétition Cinéastes du Présent.

    Inspiré par la propre trajectoire de Larry Lewis, l’acteur principal aveugle qui cherche à se sortir de l’alcoolisme en s’initiant au jiu-jitsu, ce film investit le registre du film noir avec un mélange de naturel et d’invention narrative tout à fait singulier. Premier long métrage de ce jeune réalisateur né (en 1983) au Japon et vivant aujourd’hui à New York, Aardvark, aussi énigmatique que son titre, rend à la fois l’énigme que ses personnages demeurent les uns pour les autres, en dépit de la connaissance sensible et sensuelles des corps en contact par le sport et l’érotisme, et la puissance que l’art cinématographique peut représenter dans l’approche explicite ou plus souvent implicite de cette si énigmatique réalité. Jouant le rôle du méchant, visiblement convaincu qu’un aveugle ne put rien contre lui, Kitao Sakurai apprend (et le spectateur avec lui) qu’il faut se méfier d’un aveugle décidé à venger l’assassinat de son ami, capable tout de même de flinguer « à l’oreille ».    

     

    zapping8.jpgVanja d’Alcantara. Beyond the Steppes. Drame historico.psychologique. 2010. 82’ Compétition internationale.

    Premier long métrage d’une réalisatrice de 32 ans, ce film magnifique et bouleversant saisit par sa maîtrise, en toute simplicité, d’un grand sujet historique (la déportation d’1 million de femmes polonaises en Union soviétique, entre 1940 et 1941) traité comme une histoire de tout temps et de partout : le drame, plus précisément, d’une femme arrachée avec son enfant à son mari soldat, la mort de l’enfant en déportation et le retour au pays. D’une sobriété et d’une intensité de tous les instants, le film traite certes de l’asservissement des femmes polonaises en Asie centrale (aux frontières du Kazakhstan et de la Sibérie), contraintes à des travaux absurdes par des gardiens soviétiques féroces, mais son propos est à vrai dire plus large, qui rejoint les méditations poétiques d’un Varlam Chalamov découvrant la beauté de la vie dans les conditions les plus rudes. D’origine polonaise par sa mère, mais née à Bruxelles, la Vanja d’Alcantara s’est servie des carnets de déportation de sa grand-mère pour établir cette admirable chronique qu’elle lui dédie.JJJ

     

    Zapping6.jpgBenedek Fliegauf. Womb. 2010. 107’. Drame psychologique. Compétition internationale.

    Un trouble profond se saisit de nous à la vision de ce film traitant, par anticipation, des implications affectives et psychologiques du clonage. Liés en leur enfance par une sorte de pacte, Rebecca et Tommy se retrouvent douze ans plus tard et s’apprêtent à tout partager lorsque l’homme est fauché par une voiture. Refusant cet état de fait, Rebecca décide de recourir au « Département de reproduction génétique » afin de ressusciter une parfaite copie de Tommy, qu’elle portera elle-même. Par delà l’enfance et l’adolescence du nouveau Tommy, l’émancipation de celui-ci fait buter la mère-amante sur l’impossibilité de cette relation, aussi factice pour elle que cruelle pour son fils, qui la possède finalement pour s’en détacher aussitôt. Aux limites du supportable, ce film vaut à la fois par sa poésie plastique et par sa remarquable interprétation, sans parler du débat qu’il ouvre pour chacun. JJ

     

    Zapping11.jpgQuentin Dupieux. Rubber, 2010. Thriller burlesque. 85’ Piazza Grande.

    Olivier Père annonçait un nouveau Spielberg européen, et de fait il de ça chez dans cette variation sur le thème du fameux Duel, à cela près que l’ennemi n’est pas ici un camion mais un seul pneu aux humeurs de massacre. Des trouvailles épatantes, comme la mise en abyme de l’action observée à la jumelle par des spectateurs-voyeurs, ponctuent ce film  qui module plaisamment l’idée que plus le ressort d’une histoire n’a  «aucune raison» et meilleur elle est – ce qui se discute. J

     

    Zapping15.jpgStéphane Goël. Prud’Hommes. Documentaire. 2010. 85’. Cinéastes du Présent.

    Pour pallier l’opacité des entreprises en matière de conditions de travail, le documentariste lausannois a obtenu, de l’ordre judiciaire vaudois, la permission de filmer les audiences du Tribunal des Prud’hommes, qui se déroulent tous les soirs dans les murs solennels du Tribunal cantonal de Montbenon. La cour prud’hommale a cela de particulier qu’elle est accessible à tous, gratuitement. Les requérants sont parfois accompagnés de conseillers syndicalistes ou d’avocat, mais ils peuvent aussi se défendre seuls. Le cinéaste, en équipe réduite, a filmé quelques cas significatifs et autres variations sur un thème récurrent lié aux licenciements abusifs. Un jeune mécanicien viré de son garage après avoir traité son patron de voleur, une Noire virée de la boucherie où elle était surexploitée, un vendeur viré de la boîte où il s’est lui aussi permis de critiquer son patron, etc.  En résulte un reflet de la société rappelant le travail de Raymond Depardon, où le désir d’être reconnu dans sa dignité compte souvent plus que l’indemnité réclamée. La mise en scène théâtralise les lieux, vides de toute autre activité puisque les audiences se tiennent le soir, et le cinéaste rend l’aspect humain, parfois émouvant, souvent drôle aussi,  de chaque situation. JJ

         

    Zapping20.jpgStéphanie Chuat et Véronique Reymond. La petite chambre. Drame psychologique. 2010. 87’. 

    Traumatisée après l’accouchement de son premier enfant, mort-né, Rose a fait de la chambre de Colin un véritable sanctuaire que Marc, son compagnon, a de la peine à tolérer. Devenue la soignante ambulatoire du vieil Edmond, ronchon que son fils s’impatiente de caser dans une EMS, Rose s’attache au personnage, très sensible sous sa carapace, poreux à la musique et jamais guéri lui-même de la mort de sa femme. Le canevas dramatique du film pourrait sembler simple, voire téléphoné, mais l’interprétation hors pair des deux protagonistes (Florence Loiret Caille et Michel Bouquet), la qualité de sa construction, le soin porté à tous les personnages (notamment de Marc, interprété par Eric Caravaca) et la justesse quasi sans faille du dialogue font de ce premier long métrage, filmé dans le décor naturel de Lavaux en évitant le redoutable effet «carte postale» de ces lieux sublimes, l’une des plus évidentes réussites du cinéma suisse de ces vingt dernières années. Nul hasard qu’il ait fait, par ses qualités de cœur et d’esprit, un vrai tabac auprès du public de Locarno. Avec le soutien logistique de Vega Films et de sa très influente directrice, Ruth Waldburger, le film devrait connaître une belle carrière. JJJ

     

    zapping22.jpgEran Riklis. Le directeur de ressources humaines. Comédie. 103’.

    Un jour que le poète algérien Kateb Yacine demandait, à Bertolt Brecht, comment parler de la tragédie de son pays, le dramaturge lui répondit : écris une comédie ! Or, après Les citronniers, film d’impact politique évident sous ses grandes qualités humaines, Eran Riklis s’est lancé, avec Le directeur des ressources humaines, dans une comédie plus endiablée, voire folle, mais qui dégage finalement une non moins vive émotion. Tiré du mémorable roman de l’auteur israélien Avraham B. Yehoshua, le film suit les tribulations épiques du directeur des RH d’une boulangerie industrielle de Jérusalem dont une employée a été tuée dans un attentat-suicide et qui est accusée d’inhumanité par un journaliste à sensation. Pour sauver la face, la directrice de la firme boulangère ordonne au pauvre cadre (campé avec maestria par Mark Ivanir) de ramener le cercueil de la jeune femme aux siens, au fin fond de l’Europe ex-communiste (le tournage s’est fait en Roumanie) où, accompagné du journaliste crampon, il retrouvera le fils paumé de la défunte dans des circonstances illustrant superbement  la déglingue des pays traversés avec le cercueil, finalement arrimé à une voiture blindée. Il y a trois ans de ça, la Piazza Grande a été marquée par la projection de La vie des autres, d’abord inaperçue de la critique et qui a fait la carrière qu’on sait, jusqu’aux Oscars. La découverte du dernier film d’Eran Riklis m’a fait la même impression, voire plus forte…JJJ

     

    Zapping19.jpgErnst Lubitsch. Trouble in Paradise. Comédie. Rétrospective.

    C’est une histoire absolument amorale, résolument subversive  et joyeusement innocente que nous racontent Lubitsch et son scénariste Samson Raphaelson dans cette comédie merveilleusement légère, alliant une mise en scène éblouissante et une interprétation hors pair. Que dire de plus d’un chef-d’oeuvre qui a suscité mille gloses ? Que si vous ne l’avez pas (re) vu à Locarno, il vous sera bientôt donné de le (re)voir à Lausanne puis à Paris, aux cinémathèques respectives. Mon Service de Renseinements me signale en outre que le film existe en DVD dans la collection Criterion. Si vous n’avez pas les moyens de vous le procurer, volez-le à votre petite ami(e) quand il (elle) l’aura volé en boutique. JJJJ     

     

    Zapping34.jpg Lionel Baier. Low Cost (Claude Jutra). 2010. Autofiction. 60’.

    Commencé en juin dernier, achevé hier par l’auteur dans sa chambre d’hôtel, ce film entièrement tourné avec un téléphone portable constitue plus qu’une performance acrobatique : un véritable poème cinématographique, à la fois rapide et léger, mais non moins grave et juste dans son évocation du bilan prématuré d’un protagoniste (David Miller) averti de la date de sa mort. Ce David est un avatar évident de Lionel Baier, mais le petit jeu des identifications est sans importance dans ce chant à la mémoire s’efforçant de capter la beauté fugace du monde et de rassembler les images d’une vie ressuscitée magiquement par le cinéma. De Cabourg ( !) à Lausanne et de Paris à certain pont de Montréal d’où Claute Jutra, le cinéaste quebecois atteint d’Alzheimer s’est jeté, au fil de rencontres (le frère de David, sa mère, un ancien ami, un stoppeur, d’autres encore), de remémorations et de séquences multipliant les effets de réel, sans oublier la superbe bande-son (peut-être juste un peu trop belle par rapport au grain de l’image, a remarqué Renato Berta dans le débat suivant le film…), Lionel Baier est parvenu à transcender les limites de son outillage minimal au fil d’une narration éminemment cinématographique. À la réflexion sur le « bon marché » de nos vies, qui le « retourne » bonnement par le truchement de l’attention poétique à l’instant, s’allie une sorte de ressaisie phénoménologique du prix de la vie, précisément, pleine de tendresse et d’humour aussi. Bien plus abouti que le même exercice accompli l’an dernier par Pippo Delbono, Low Cost (Jutra) nous emmèene plutôt, sans imitation ni pastiche, du côté de Godard ou d’Alain Cavalier, avec une patte vive qui n’est que de Lionel Baier, poète de cinéma… JJJ           

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    Gareth Edwards. Monsters. Science fiction. UK, 2010.

    On pense évidemment à la guerre des mondes en découvrant cette épatante variation de science fiction romantique sur le thème des créatures extra-terrestres semant la terreur sur notre planète rien moins qu’innocente. De fait, c’est à la suite d’une opération prédatrice de la NASA que des échantillons de ces créatures ont été ramenées sur terre, et ont proliféré par accident au Mexique, déclaré zone contaminée où les Etats-Unis interviennent alors par voie militaire. Réalisé avec des peanuts (15.000 dollars, dit-on), quatre acteurs et des effets spéciaux reconstituant le ballet des monstres à formes de pieuvres gracieuses, ce film plein de malice satirique, dont le militarisme américain fait évidemment les frais, et réunissant tous les ingrédients d’un film d’aventures magnifié par un couple adorable, est également un geste épique de beau souffle, notamment marqué par l’apparition du mur immense, genre muraille de Chine, protégeant les States de la contamination. Avec Rammbock, c’est l’un des bonheurs que nous aurons vécus sur la Piazza Grande. JJJ 

     

     

  • Locarno, Prix du grand écart ?

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    Le jury de la compétition internationale du 63e Festival du film de Locarno, présidé par le réalisateur singapourien Eric Khoo et composé de l'actrice iranienne Golshifteh Farahani, du réalisateur suisse Lionel Baier, de l'acteur français Melvil Poupaud, et du réalisateur américain Joshua Safdie, a rendu samedi son verdict. Qui suscite des questions...

    - Le Léopard d'or, Grand Prix du Festival, de la Ville et de la Région de Locarno (90.000 francs suisses à partager entre le réalisateur et le producteur) a été attribué au film Han Jia de LI Hongqi (Chine). Ce film exigeant, voire austère dans sa forme, réduite à de longs plans fixes, sans dialogues, raconte le quotidien de quatre adolescents désoeuvrés et de leur famille dans un petit village perdu du Nord de la Chine.

    - Le Prix spécial du jury revient à Morgen, de Marian Crisan (France/ Roumanie/Hongrie), le film le plus primé par les divers jurys du festival, qui évoque les tribulations de l'immigration dans les pays de l'Est.

    - Autre film chinois qui a enthousiasmé plusieurs membres du jury et obtenu quatre autres mentions : Karamay, documenaire-fleuve de Xu Xin qui constitue un tableau de la société chinoise contemporaine à travers la remémoration d'une tragédie.

    - Le Prix de la meilleure mise en scène est attribué à Denis Côté pour le film Curling (Canada). Pour ce même film, l'acteur Emmanuel Bilodeau est récompensé pour la meilleure interprétation masculine.

    - L'actrice Jasna Durici reçoit le Léopard de la meilleure interprétation féminine pour le film Beli beli Svet d'Oleg Novkovic (Serbie/Allemagne/Suède).

    - À l'exception de distinctions nationales, le cinéma suisse n'a reçu aucun prix dans la compétition internationale.

    zapping22.jpg-Le prix du public UBS récompense Le Directeur des ressources humaines, d' Eran Riklis (Israël/Allemagne/France).



    Autres compétitions


    - Dans la seconde compétition de la section Cinéastes du présent, le Léopard d'Or revient à Paraboles, cinquième partie d'une série documentaire de la Française Emmanuelle Demoris.

    - Un Léopard de la première œuvre a été décerné à Foreign Parts, de Verena Paravel et JP Sniadecki (Etats-Unis/France), avec une mention spéciale à Aardvark de Kitao Sakurai (États-Unis /Argentine).

    - Dans la compétition des Léopards de demain, réservée aux courts métrages, le Léopard d'or a été attirbué à History of mutual respect de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt (Portugal), alors que le léopard d'or pour le meilleur court métrage suisse revient à Kwa Heri Mandima (Good Bye Mandima) de Robert-Jan Lacombe. En outre le Prix Action Light pour le meilleur espoir suisse revient à Angela de David Maye. Deux étudiants de l'Ecal lausannoise sont ainsi récompensés.

    -A relever également que le Prix du jury Cinema et Gioventù a récompensé Yuri Lennon's Landing on Alpha 46 d' Anthony Vouardoux, tandis que la premier Prix du Jury des jeunes couronne Karamay de XU XIN.

    - Le Variety Piazza Grande Award, distingué pour ses qualités d'originalité et son potentiel d'exploitation en salle, attribué par un jury de critiques, revient à Rares exports: a Christmas Tale, de Jalmari Helander (Finlande/Norvège/France/Suède).

    - Le prix de la Fédération Internationale de la presse cinématographique confirme le choix du jury international en distinguant Han Jia de LI Hongqi, avec une mention spéciale à Karamay de XU Xin, Chine.

    - Enfin, le Prix du Jury œcuménique est décerné à Morgen, avec des mentions spéciales à Han Jia et Karamay, alors que le Prix de la Fédération internationale des ciné-clubs récompense également Morgen, avec des mentions spéciales à Han Jian et Karamay.

    Comme un hiatus...
    Le prix du grand écart ne devrait-il pas être attribué au Festival du film de Locarno ? C'est la question qu'on pourrait se poser après l'avoir vécu et partagé, avec un public attentif et fervent, de belles et parfois grandes émotions, puis en découvrant le palmarès de la compétition réservé, une fois de plus, à des œuvres austèrement élitistes qui ne seront jamais vues en salles par le grand public. Ainsi de deux derniers léopards d'or, consacrant des films chinois comme cette année, et qui sont restés, comme ce sera probablement le destin de Han Jia, des films de festivals récoltant des lauriers d'un festival l'autre. Selon toute probabilité, un premier film comme La Petite chambre, qui n'est certes pas un grand ouvrage de cinéma mais n'en module pas moins une très forte émotion, devrait faire une carrière publique plus heureuse, préfigurée par l'accueil enthousiaste des salles de Locarno. Autre exemple: on relève une fois de plus que le Prix du public UBS consacre, avec Le Directeur des ressources humaines d'Eran Riklis, un film qui, loin de donner dans la facilité, a toute les chances de faire une carrière publique.

    Festival schizophrène, alors, que Locarno, de plus en plus populaire en apparence, et cherchant visiblement cette popularité, tout en laissant le dernier mot de ses compétitions à des spécialistes crispés sur leurs codes d'excellence ? La question frise déjà la polémique, mais ne remarque-t-on pas, entre la critique cinématographique de pointe et le public, un hiatus nettement plus accusé qu'entre la critique littéraire et les lecteurs ? Et les jurés de festivals de cinéma ne constituent-ils pas une « élite » particulière peu en phase avec un public même averti ?
    D'un autre point de vue, cependant, on pourrait dire que le Festival du film de Locarno réalise, plutôt qu'un grand écart, un équilibre louable entre la défense du cinéma d'auteurs et l'illustration de toutes les tendances actuelles, jusqu'aux réalisations « de genre » les plus prisées de ce qu'on appelle le grand public.
    Une chose frappe au Festival de Locarno, qui se déroule en période de vacances, le plus souvent par grand soleil: c'est la ferveur et la qualité d'écoute du public remplissant les salles obscures au lieu de se prélasser au Lido ou dans les vasques fraîches de la Maggia. Or, le prix du public UBS, réservé aux seuls films projetés sur la Piazza Grande, est-il représentatif du talent de ce public ? Sûrement pas !
    D'où la question que nous pourrions poser à Olivier Père et Marco Solari : pourquoi ne pas instituer un véritable Prix du public du Festival de Locarno, approprié aux diverses sections, et qui pourrait mieux refléter certaines passions partagées et moduler les jugements des divers jurys ?

  • Le léopard a rebondi

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    Aujourd’hui s’achève la 63e édition, passionnante, du Festival du film de Locarno. Olivier Père a séduit (presque) tout le monde avec une programmation très contrastée.

    « Je connais la plupart des festivals de cinéma, mais Locarno a quelque chose de particulier», déclarait jeudi soir le grand producteur hollywoodien Menahem Golan, gratifié d’un léopard d’or. Et le Mogul aux plus de cents films de saluer la salle archicomble de la FEVI, et de se féliciter que tant de jeunes y soient présents.

    Or, la fraîcheur de la jeunesse a bel et bien caractérisé la programmation de cette première édition conçue par Olivier Père. Des films de la Piazza Grande jouant avec les genres prisés par la nouvelle génération (zombies de Rammbock, fantastique de Rubber ou science fiction romantique de Monsters), aux premiers longs métrages de jeunes réalisateurs en compétition (La Petite chambre, Songs of Love and Hate, Beyond the Steppes), le goût du public jeune a été intégré, sans qu’on sacrifie pour autant au « jeunisme » débile ou conformiste.

    « Trop pointu, trop élitaire », ont protesté certains confères tessinois. « Moralement indéfendable », a-t-on même lu à propos de L.A.Zombie de Bruce LaBruce, avant qu’une partie du public ne siffle Homme au bain de Christophe Honoré pour ses scènes de sodomie ou que d’autres ne conspuent Bas-fonds,  le premier film lesbien trash d’Isild Le Besco.

    Pourtant, réduire l’ensemble de cette édition à ces bémols, alors même qu’elle a été allégée de ses anciens appendices les plus élitistes, paraît injuste. Certes exigeante, la programmation d’Olivier Père a drainé un public très dense dans toutes les salles, jouant sur l’éclectisme et les contrastes.

    Un festival des gens

    Avec beaucoup d’enjouement dans ses présentations, Olivier Père a su accueillir Chiara Mastroianni, Alain Tanner, Nicolas Lubitsch ou Menahem Golan, entre autres, et séduire le public avec une maîtrise parfaite des langues assez rare chez nos amis de l’Hexagone. Du glamour absolu de Lubitsch, dont la fabuleuse rétrospective sera reprise sous peu à la Cinémathèque de Lausanne, au bouleversant Karamay, de XU Xin, nous plongeant au cœur d’une tragédie chinoise contemporaine, Locarno a été une fois de plus un festival de (re)découvertes. Plus encore : il confirme sa vocation de festival des gens, et de tous les âges, aimant le cinéma sous toutes ses formes.

     

    Un autre phénomène, significatif des difficultés rencontrées par le cinéma d’auteur contemporain, a été mis en exergue cette année par des films réalisés avec peu de moyens, tels Monsters (15.000 dollars) ou Beyond the Steppes de Vanja d’Alcantara(1 million et demi d’euros pour une mini-épopée en Asie centrale) dont l’exemple de Lionel Baier, avec le superbe poème cinématographique de Low Cost (Claude Jutra), réalisé en trois mois sur son téléphone portable, constitue l’exemple extrême. Puisse l’Office fédéral de la culture ne pas en tirer de conclusions…

    Bref, de Maire en Père, le Festival de Locarno n’a pas sacrifié le « bébé » en changeant l’eau du bain…

  • Retour de flammes

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    Dialogue schizo sur le cinéma contemporain après une conversation avec Freddy Buache sur la terrasse de Da Luigi, à Locarno...

    Moi l’autre : - Et alors ?

    Moi l’un : - Alors quoi ? T’as entendu le père Buache : il n’y a plus rien. Plus rien de grand ne se fait dans le cinéma d’aujourd’hui. Le Festival de Locarno n’est plus rien ou pas loin. Après Bergman, nib de nib. On retire l’échelle. Même chanson que Godard : après nous le déluge…

    Moi l’autre : - Et  ça t’énerve ?

    Moi l’un : - Et comment que ça m’énerve ! Surtout qu’il y a du vrai dans ce qu’il dit, le Freddy. On a vu ce même soir Uomini contro de Francesco Rosi, sur la Piazza Grande, et du coup tout se remet en place, comme avec Lubitsch : il y a le grand cinéma d’un côté, et de l’autre cette foison, pour ne pas dire ce magma : plein de films, pleins même de bons films, mais lequel qui nous marque vraiment comme To be or not to be ? Dis-moi lequel sur les vingt ou trente nouveaux films que nous avons vus à Locarno cette année…

    Moi l’autre : - À y réfléchir, des tas d’images me reviennent, des tas de moments, quelques grands moments, surtout des grands moments d’émotion…

    Moi l’un : - Ce n’est pas ce que je te demande. Je te demande de me citer un film qui t’aurait fait un effet comparable à celui d’Irène, le dernier film d’Alain Cavalier, ou de Saraband de Bergman, des Vitelloni de Fellini ou de Mère et fils de Sokourov, ou Film socialisme de Godard…

    Moi l’autre : -  Je dirai : Le Directeur des ressources humaines d’Eran Riklis.

    Moi l’un : - Tu auras relevé la réaction de Buache quand je le lui ai cité : rien que de parler d’un Israélien le fait grimper aux murs.

    Moi l’autre : - N’importe quoi ! Tu connais son côté dogmatique et partisan. Mais ça peut nous aider à relativiser, aussi, l’avis de ces vieux hiboux dont le jugement a si souvent été soumis à leur idéologie…

    Moi l’un : - La nouvelle génération n’en est plus du tout là, et c’est peut-être ce que les « vieux » ont de la peine à encaisser. Cela étant, au-delà de l’engagement proclamé des Tanner et consorts, l’observation et l’implication sociales des « jeunes » comme Fernand Melgar, Jean-Stéphane Bron, Ursula Meier ou Lionel Baier, pour ne parler que des Romands, sont tout aussi conséquentes.

    Moi l’autre : - Avec le film de Riklis, j’ai aussi envie de citer Low Cost de Baier, justement, même si ça reste dans les petites largeurs…

    Moi l’un : - Là encore, Freddy Buache regimbe. Comme à la sortie de Garçon stupide, quand il nous a fait sa petite bouche : c’est encore du cinéma, ça ? Je n’en suis pas sûr. Et là non plus, le cher homme n’est pas sûr que ce soit du cinéma, alors que c’en est à pleins tubes. J’en aime un peu moins la fin, comme écriture, mais les deux premiers tiers sont magnifiquement filés et résolvent la question du cinàma telle qu’Alain Cavalier la résume : comment passer d’un plan à l’autre…  

    Moi l’autre : - C’est un film de poète et de peintre, mais qui en reste à une espèce de projet fulgurant. Le côté Work in progress de Baier. Son souci de vitesse et d’immédiateté vécu quasiment en temps réel.

    Moi l’un : - Oui, Buache est une trop vieille tortue pour le suivre, mais il a envie de parler avec Baier : donc ça le travaille. Encore un effort, Freddy. Il lui en a d’ailleurs fallu pour se mettre àé Godard en d’autres temps. Et la patte-pensée de Baier a une parenté avec celle de Godard, ça ne fait pas un pli…

    Moi l’autre : - Mais nous parlions de choc lié à une oeuvre vraiment marquante et qui « restera », comme on dit…

    Moi l’un : - Alors là, je n’en vois pas une. Même pas Film socialisme, si on ne le relie pas à l’ensemble de l’œuvre de Godard. Buache me dit que James ou pas, de Michel Soutter, lui est apparu comme l’œuvre parfaite. Donc à revoir… Mais Le directeur des ressources humaines, Low cost, et le très attachant Beyond the Steppes, ou La petite chambre si émouvante, n’atteignent pas le niveau des œuvres vraiment référentielles, comme Trouble in paradise pour citer un sommet du 7e art… 

    Moi l’autre : - Cuvée décevante alors que Locarno 2010, malgré le bien que tu en as écrit ?

    Moi l’un : - Absolument pas ! Passionnante, mais par fragments rassemblés et mis en rapport les uns avec les autres, comme d’un immense Work in progress collectif, précisément, qui relie les films d’hier et d’aujourd’hui, les courts et les longs.

    Moi l’autre : - Point de grand film de « synthèse », mais une quantité d’essais et d’analyses, si l’on peut dire…

    Moi l’un : - C’est tout à fait ça, et ça recoupe ce qu’on vit en littérature. L’époque est à la mutation et à l’absorption d’une réalité tellement nouvelle, dans ses données, que son expression adéquate mettra encore du temps à se trouver, et c’est vrai pour toutes les formes d’art. Quand Freddy Buache m’a dit comme ça que le cinéma après Bergman lui semblait fini, je lui ai répondu qu’on pouvait dire qu’après Nicolas de Staël la peinture ne faisait que se répéter, ainsi de suite. Ce nivellement par les hauteurs, à vrai dire, peut se pratiquer jusqu’à l’absurde. Jouhandeau estimait qu’après le XVIIe la littérature française avait sombré dans la vulgarité, et notre prof d’italien réduisait la littérature italienne à Dante et quelques gnomes siciliens, de Pirandello à Sciascia. Bref la gondole de Fellini se dandine entre absolu et relatif, e la nave va…       

  • Baier le fulgurant

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    L'événement du jour à Locarno: la projection de Low Cost (Claude Jutra), du réalisateur lausannois, magnifique poème cinématographique réalisé avec un téléphone portable.

     

    Commencé en juin dernier, achevé hier par l’auteur dans sa chambre d’hôtel à Locarno, ce film entièrement tourné avec un téléphone portable constitue bien plus qu’une performance acrobatique : un véritable poème cinématographique, à la fois rapide et léger, mais non moins grave et juste dans son évocation du bilan existentiel prématuré d’un protagoniste (David Miller) averti de la date de sa mort.

    Ce David est un avatar évident de Lionel Baier, mais le petit jeu des identifications est sans importance dans ce chant à la mémoire s’efforçant de capter la beauté fugace du monde et de rassembler les images d’une vie ressuscitée magiquement par le cinéma.

    De Cabourg (!) à Lausanne et de Paris à certain pont de Montréal d’où Claude Jutra, le cinéaste quebecois atteint d’Alzheimer s’est jeté, au fil de rencontres-retrouvailles-exorcismes (le frère de David, sa mère, un ancien ami, un stoppeur, d’autres encore), de remémorations et de séquences multipliant les effets de réel, sans oublier la superbe bande-son (peut-être juste un peu trop belle par rapport au grain de l’image, a remarqué Renato Berta dans le débat suivant le film…), Lionel Baier est parvenu à transcender les limites de son outillage minimal au fil d’une narration-montage éminemment cinématographique.

    À la réflexion sur le « bon marché » de nos vies, qui le « retourne » bonnement par le truchement de l’attention poétique à l’instant, s’allie une sorte de ressaisie phénoménologique du prix de la vie, précisément, pleine de tendresse et d’humour aussi. Bien plus abouti que le même exercice accompli l’an dernier par Pippo Delbono, Low Cost (Jutra) nous emmèene plutôt, sans imitation ni pastiche, du côté du dernier Godard de Film socialisme  ou d’Alain Cavalier dans son Filmeur, avec une patte vive qui n’est que de Lionel Baier, poète de cinéma… JJJJ        

     

    Image: La très mauvaise captation, ci-dessus, prise au portable (!) dans la salle de projection, représente Pierre Chatagny, acteur principal de Garçon stupide retrouvé par David Miller sur une route de France  en stoppeur plaidant pour la compassion...   

  • La soirée des grands

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    Trois grands moments ce dernier mardi, septième jour du Festival de Locarno. Avec un hommage à Alain Tanner, la projection du dernier film d’Eran Riklis, Le directeur des ressources humaines, et le chef-d’œuvre de Lubitsch : Trouble in Paradise.

    Au huitième jour de la 63e édition du festival, on peut déjà dire que celle-ci comptera parmi les plus belles de ces dernières années, avec une rétrospective somptueuse, une foison de découvertes et des nouveaux films en compétition d’un niveau réjouissant. LE film que le public a déjà plébiscité, pour ses grandes qualités de cœur et d’esprit, mais aussi pour sa forme très maîtrisée, est La petite chambre de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, avec deux acteurs principaux (Florence Loiret Caille et Michel Bouquet) réellement bouleversants, mais il faut revenir aussi sur la soirée de mardi, marquée par la projection du nouveau film du réalisateur israélien Eran Riklis dont on se rappelle Les citronniers, et qui se déploie ici dans les grandes largeurs d’une tragi-comédie de haut vol.

    En ouverture de soirée, Olivier Père et Serge Toubiana, directeur de la Cinémathèque française, ont conjugué les superlatifs pour rendre hommage à Alain Tanner, gratifié d’un léopard d’honneur pour l’ensemble de son œuvre, et pour lequel Jacob Berger, fils spirituel et ami, a composé un court métrage en forme de lettre de reconnaissance touchante et belle à ce maître incontesté du cinéma suisse, dont plusieurs des films les plus marquants (Dans la ville blanche, Jonas, Les années Lumière et Paul s’en va) étaient à (re)voir à Locarno.

    zapping22.jpgRoad movie dans la déglingue
    Un jour que le poète algérien Kateb Yacine demandait, à Bertolt Brecht, comment parler de la tragédie de son pays, le dramaturge lui répondit : écris une comédie. Or, après Les citronniers, film d’impact politique évident sous ses grandes qualités humaines, Eran Riklis s’est lancé, avec Le directeur des ressources humaines, dans une comédie plus endiablée, voire folle, mais qui dégage finalement une non moins vive émotion. Tiré du mémorable roman éponyme de l’auteur israélien Avraham B. Yehoshua, le film suit les tribulations épiques du directeur des RH d’une boulangerie industrielle de Jérusalem dont une employée a été tuée dans un attentat-suicide et qui est accusée d’inhumanité par un journaliste à sensation. Pour sauver la face, la directrice de la firme boulangère ordonne au pauvre cadre (campé avec maestria par Mark Ivanir) de ramener le cercueil de la jeune femme aux siens, au fin fond de l’Europe ex-communiste (le tournage s’est fait en Roumanie) où, accompagné du journaliste crampon, il retrouvera le fils paumé de la défunte dans des circonstances illustrant superbement la déglingue des pays traversés avec le cercueil, finalement arrimé à une voiture blindée…
    Il y a trois ans de ça, la Piazza Grande a été marquée par la projection de La vie des autres, d’abord inaperçue de la critique et qui a fait la carrière qu’on sait, jusqu’aux Oscars. Or, la projection du dernier film d’Eran Riklis m’a fait la même impression, voire plus forte…

    Zapping19.jpgUn cynisme gracieux
    Quant à Trouble in Paradise de Lubitsch, projeté en toute fin de soirée, qu’en dire sinon pour rappeler que le génial réalisateur le considérait comme un sommet de son art. Que celui-ci célèbre malicieusement les méfaits « artistes » d’une kleptomane ravissante entichée d’un escroc non moins séduisant ne laisse évidemment de réjouir la filoute ou le filou qui sommeille d’un œil en chacun de nous, quitte à attenter au passage à la propriété de telle richissime créature. Le cynisme de la belle paire, gracieuse à l’extrême, ne cesse d’électriser l’action de ce film à la mise en scène prodigieusement sophistiquée, inventive, toute de légèreté et comme nimbée, tel un cristal vaporeux, par la lumière des chairs et des étoffes, projection kaléidoscopique dont chaque plan porte la fameuse Lubitsch Touch…

  • Entre glamour et frissons

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    Une soirée idéale avec Chiara Mastroianni, Hugo Koblet et les zombies berlinois du formidable Rammbock.

    Alliant la douceur d’une soirée d’été, la ferveur du public de la plus grande salle de cinéma du monde (8000 spectateurs), un hommage mérité à une actrice faisant honneur à ses parents, la projection du film consacré à Hugo Koblet en présence de quelques vieux de la vieille équipe du champion, pour finir dans le huis-clos terrifiant d’une bâtisse berlinoise décatie assiégée par des zombies: tel fut le menu copieux et savoureux de vendredi soir à Locarno, présenté par un Olivier Père en costume blanc et assez à l’aise nella lingua di Dante…

    Chiara Mastroianni fait du cinéma depuis une vingtaine d’années et pourtant, chose étonnante, l’Excellence Award Moët & Chandon, assorti d’un léopard d’or, est la première distinction qui est attribuée à cette interprète intelligente et très librement sensible, qui a joué avec les plus inventifs des réalisateurs contemporains, de Manoel de Oliveira (en princesse de Clève, dans La Lettre) à Raul Ruiz, André Téchiné, ou Xavier Beauvois dans N’oublie pas que tu vas mourir (« in which she was sublimely beautiful, a real Renaissance madonna », précise Olivier Père en locarnais dans le texte), jusqu’à l’Homme au bain de Christophe Honoré, en compétition à Locarno.

    Pince-sans-rire, Olivier Père a souligné le fait que cet hommage à la belle Chiara, tout émue devant l’immense assistance en tenues d’été sans chichis, suffisait à faire de Locarno le festival le plus « glamoureux » de la planète, avant que Melvil Poupaud, membre du jury et superbe acteur, complice en outre de la première heure, ne vienne dire son admiration et son amitié à la comédienne.

    Dans la foulée de ces salamalecs frottés d’ironie bon enfant, l’arrivée de l’équipe de Daniel von Aarburg, débarquée de Zurich en procession vélocipédique (avec une étape ferroviaire due à la pluie...) avait elle aussi quelque chose d’émouvant puisque plusieurs papys de la petite reine y étaient associés, que l’on retrouve en témoins directs dans Hugo Koblet, pédaleur de charme, dont c’était la première projection.

    Mélange d’archives filmées et de séquences reconstituées avec des acteurs (dont Manuel Löwensberg, fils de Moritz Leuenberger, dans le rôle principal, le film de Daniel von Aarburg nous fait suivre les étapes du champion de ses débuts de fils de boulanger fonçant sur son petit vélo à ses victoires au Giro et au Tour de France, après une ouverture dramatique rappelant immédiatement la fin tragique de cette « icône » drainant des foules, avec la course d’une Alfa blanche se crashant contre un arbre. Cette alternance du documentaire et de la fiction réserve la meilleur part à celui-là, notamment avec quelques témoignages en plans-fixes, dont celui du nonagénaire Ferdy Kübler. Paradoxalement plus statiques, surtout plus lisses, les séquences jouées font bien ressortir, pourtant, la part d’ombre de la carrière du champion, avec le rôle peu glorieux d’un entourage n’hésitant pas à pousser le champion à ses limites, voire à les dépasser, par appât du gain…

    Rammbock.jpgHuis-clos terrifiant

    Autres suceurs de sang vif, à la fois plus et moins inquiétants que les rapaces du sport: les morts-vivants de Rammbock, premier film de zombies allemand à la connaissance d’Olivier Père, signé par le jeune réalisateur (né en 1980 à Vienne) Marvin Kren, et constituant un exploit de mise en scène et d’interprétation. On pense à Polanski (mais plutôt celui de Répulsion ou de Rosemary’s Baby que du Bal des vampires) dans cette saisissante évocation d’un grand immeuble décati où les vivants se claquemurent tandis que les zombies déferlent de toute part, porteurs d’un mystérieux virus. Le protagoniste, un prénommé Michi (Michael Fuith, réellement épatant), type parfait d’amoureux niaiseux, débarque à Berlin pour y retrouver sa petite amie adorée Gabi, supposée vivre dans cette maison de plus en plus hantée. Avec un humour noir de haute volée et un dosage formidable de terreur et de répit, réduisant la part des zombies à des apparitions fulgurantes en gros plans ou en plongées vertigineuses, à des clameurs et à des mouvements de groupes endiablés, Marvin Kren construit un espace labyrinthique extraordinairement prenant et stressant, en maîtrisant une image également envoûtante et belle (la découverte des toits de la ville enfumée, à un moment donné), sans se départir d’un humour complètement dingue. Bref, si Locarno vise à la découverte, celle de Rammbock, dans un genre délicat, valait absolument une fin de soirée sur la Piazza…

  • Femmes en lice

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    Véritable phénomène : les réalisatrices suisses s’affirment en

    nombre. Et en qualité. Un nom à retenir : Katalin Gödrös.

     

    Jacqueline Veuve, pionnière romande du docu et chaperon de quelques  

    jeunes réalisateurs romands, dont un  Lionel Baier, est cette année de

    retour à Locarno avec un nouvel opus. Or l’octogénaire aux soixante films

    est moins seule aujourd’hui, au premier rang des réalisatrices helvétiques,

    comme l’illustre généreusement la programmation d’Olivier Père.

    Trois d’entre elles participent ainsi à la compétition internationale, avec

    des films d’une égale tenue. À savoir : Stéphanie Chuat et Véronique

    Reymond pour La Petite chambre, avec Michel Bouquet; et la Zurichoise

    d’origine hongroise Katalin Gödrös, dont le festivaliers ont découvert hier

    le «quartet» familial intense et révélateur de Songs of Love and Hate,

    plongée hypersensible dans les rapports entre une adolescente et son

    père. Rien pourtant d’« un film de plus sur l’inceste », mais la modulation

    d’un nouveau type de relations entre les membres d’une même famille,

    vivant des rapports d’intimité accrue, parfois ambiguë, au fil de liens moins

    hiérarchisés que naguère.

    «La famille que je décris n’a rien de malade, précise la réalisatrice, et je

    ne voulais pas traiter du fait pathologique de l’inceste. Ce qui m’intéresse,

    c’est la situation qui découle de la maturité précoce des adolescents

    actuels, et plus précisément des adolescentes, qui vivent la sexualité plus

    naturellement, avec une force singulière, et des attitudes qui peuvent

    toucher à la provocation. »     

    Dans la foulée, on notera que le regard de Katalin Gödrös recoupe, par le

    biais de la fiction, l’aperçu documentaire de Béatrice Bakhti dans sa

    formidable  série de Romans d’ados, présentée aussi à Locarno.

     

    Un regard élargi

    En outre, la réalisatrice se défend d’avoir voulu illustrer une situation  

    «typiquement suisse», en quoi elle rejoint d’ailleurs les cinéastes hommes

    et femmes de sa génération. «Les relations que nous évoquons,

    notamment entre la fille et le père, sont d’aujourd’hui et de partout, mais

    également de tout temps : c’est un phénomène universel, depuis la Grèce

    antique». À cet égard, un personnage d’handicapé intervient dans le

    drame, qu’on pourrait associer, précise Katalin Gödrös, à l’antique

    Cassandre.   

    Plus prosaïquement, l’on relèvera l’intensité affective du film  et son

    ancrage social (ici dans un village au pied des Alpes, où le père est

    vigneron), maiis aussi sa qualité d'écriture et de dialogues (signés par la

    réalisatrice) qui en font une œuvre potentiellement accessible au grand

    public, comme Das Fräulein d’Andrea Staka ou Home d’Ursula Meier,

    également présentes à Locarno avec deux courts métrages.

    Or ajoutant, à ce brillant générique féminin du nouveau cinéma suisse, les

    noms de Séverine Cornamusaz, dont le Cœur animal est aussi au

    programme de la section Apellations Suisse, et de  Bettina Oberli, qui a

     « cartonné » en 2006 avec Les mamies ne font pas dans la dentelle (Die

     Herbstzeitlosen) et revient en force avec le thriller La ferme du crime

     (Tannöd)force est de conclure à une avancée significative, combien

    réjouissante.

     

     

     

     

  • L'icône fracassée

     

     

    Koblet3.jpgL’événement demain soir sur la Piazza Grande de Locarno: un docu-fiction sur Hugo Koblet le « pédaleur de charme », signé Daniel von Aarburg. Interview.

     

    Le champion cycliste Hugo Koblet fut un mythe vivant, ignoré des jeunes d’aujourd’hui mais toujours présent dans la mémoire des plus de cinquante ans. Elégant en course autant qu’à la pose, véritable « star » médiatique avant la lettre, très aimé des dames et le leur rendant en véritable Casanova de la petite reine, le rival (et complice) de Fredi Kubler (91 ans) connut une gloire mondiale après ses victoires au Giro en 1950 et au Tour de France en 1951. Mais le poids de la célébrité fut aussi ce qui le fit déchoir, avant sa fin tragique. Fasciné par le personnage, Daniel Von Aarburg, 45 ans, a vu dans cette trajectoire le sujet d’un film « romanesque » à souhait.

    Koblet2.jpg

    -         -- Comment avez-vous « découvert » Hugo Koblet ?

    -         - C’est mon père qui m’a parlé le premier, maintes fois, de la fameuse paire  K et K, mais j’ai plutôt grandi avec Russi et Colombin. Fan de foot et cycliste amateur, j’ai découvert en 2005 un album de photos consacré à Koblet et ce matériau visuel m’a tout de suite épaté, que j’ai ensuite étoffé en faisant des recherches dans les archives télévisées. S’il y a peu d’interviews de Koblet, il restait encore quelques témoins vivants, dont Fredi Kubler et la veuve – l’épouse « officielle » qui le menaçait de divorce à la fin de sa vie pour ses innombrables infidélités. Son témoignage m’a été précieux, mais elle n’a pas désiré apparaître dans le film.

    -         La légende du séducteur n’est donc pas un mythe…

    -         Absolument pas ! Au point même que son besoin de femmes avait quelque chose de « pathologique », selon ses proches. Son rapport avec les femmes est d’ailleurs l’un  des « trous noirs » du portrait,  de même que les rapports avec la mère et, sujet combien actuel,  le rôle que le dopage a joué dans l’accélération de son déclin.

    -         Plus précisément ?

    -         En 1952, alors qu’il devait participer au Tour de Suisse, Koblet était malade, mais ses médecins ont fait en sorte qu’il puisse courir et ont probablement forcé la dose. Ce qui est sûr est que son cœur en a pâti et qu’il a fini par s’effondrer.

    -         Comment Fredy Kubler parle-t-il de son rival ? En ami ?  

    -         Certainement, et c’est émouvant de l’entendre évoquer ces années légendaires et cette rivalité mythique. On sent que les deux hommes s’estimaient beaucoup, et Kubler raconte ça comme s’il avait encore vingt ans. Un vrai gamin malgré ses nonante ans ! Hélas, je crois qu’il n’est plus en état, aujourd’hui, de faire le voyage de Locarno… 

    -         Quelles parts respectives le film réserve-t-il aux documents et à la fiction ?

    -         À peu près moitié-moitié. On peut ainsi parler d’un « drame documentaire ». C’est d’ailleurs un mélange que j’ai déjà pratiqué dans mes autres films, et qu’on retrouve chez beaucoup de réalisateurs suisses...

    -         Concluez-vous au suicide de Koblet ?

    -         Non. Nous laissons la question ouverte, même s’il y a des fortes présomptions en faveur de cette explication de sa mort. L’idée du suicide a été réfutée, sur le moment, par les gardiens de l’icône. Nous avons actuellement plus de recul, mais un certain mystère peut demeurer sans trahir la "vérité" de Koblet…

      

    Koblet6.jpgKoblet alias Leuenberger Jr

    Le public romand n’y verra que du feu en découvrant l’affiche de Koblet pédaleur de charme, où apparaît, dans le rôle de Koblet,  le nom de l’acteur zurichois Manuel Löwensberg, comédien déjà bien connu de nos Confédérés, notamment pour sa prestation dans la film à succès Tag am Meer, de Moritz Gerber.   

    Il s’agit donc, au moment de passer la Sarine et le Gothard, de préciser que Manuel Löwensberg n’est autre que le fils d’un certain Moritz Leunberger, conseiller fédéral annoncé comme bientôt sortant. Coup de pub du réalisateur ou ressemblance avérée entre le pédaleur et son double ?

    « En fait, explique Daniel von Aarbourg, Manuel Löwensberg s’est montré le meilleur à l’épreuve cyclo du casting ! C’était quand même important que l’acteur jouant Koblet sache se tenir sur un vélo, mais il y avait autre chose qui comptait : c’est que le fils du ministre pratique un züritütsch absolument conforme à celui de Koblet. Enfin, il y a une vaie ressemblance physique entre ces deux grands maigres également séduisants… »

    Quant à Manuel Löwensberger, qui a été suivi de très près par les médias alémaniques durant le tournage du film, il s’est dit impressionné par ce rôle, et même « tout petit » à l’idée d’incarner le champion, n’était-ce que parce que Koblet atteignait le mètre nonante tandis que l’acteur ne mesure que son mètre septante-sept et ne se fait aucune illusion sur la comparaison que feront les dames entre les beau visage régulier du champion et le sien. Ainsi a-t-il crânement concentré son identification « par l’intérieur », dont le public jugera…

     

     

    Bio-express de Daniel von Aarburg

     

    Daniel Von Aarburg, né en 1965 à Zurich mais établi avec sa famille à Coire, a passé par l’ancien DAVI (Département des arts visuels) de Lausanne, après une licence de lettres à Zurich. Sensible aux questions de société, il s’est intéressé au sort des réfugiés de l’ex-Yougoslavie en Suisse (Lettres à Srebrenica ou Ina, Amer et Elvis)  autant qu’aux retombées possibles d’un médicament nouveau (Nebenwirkungen), notamment. Autant dire que son intérêt pour Koblet ne se borne pas à l’aspect anecdotique du personnage mais touche à l’ensemble d’une destinée avec son éclat et sa part d’ombre.   

       

     

     
  • Le blues du zombie

    Sur L.A. Zombie de Bruce LaBruce, en compétition à Locarno.

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    Précédé d’une rumeur sulfureuse, encore accentuée par son récent retrait intempestif de l’affiche du dernier Festival de Melbourne, le nouveau film du réalisateur underground canadien Bruce LaBruce, L.A.Zombie, n’a pas
    paru indigne à Olivier Père de figurer dans la compétition internationale.
    Présenté hier soir à une heure tardive, avec la mention «interdit aux moins
    de dix-huit ans», ce film subvertissant les codes trash des films d’horreur
    et de la pornographie homosexuelle, dépasse à vrai dire la provocation par ses évidentes qualités plastiques, évoquant le lyrisme urbain d’un David Lynch ou, picturalement, la splendeur des tags à la Basquiat, tout en constituant une traversée du monde des sans-logis de Los Angeles.
    Singulièrement, le zombie de LaBruce (étonnante présence du « hardeur » gay François Sagat) n’a rien du vampire prédateur, puisqu’il sauve les
    victimes de morts violentes en les pénétrant de sa longue trompe sexuelle à pointe de queue de scorpion humanoïde, projetant ensuite sur eux une espèce de sperme noir régénérateur…
    Les familiers de films gore de moins de 18 ans poufferont, les amateurs de formes « paniques » dans la tradition surréaliste à la Topor ou Arrabal
    souriront tout en appréciant la créativité visuelle du réalisateur et de ses
    complices affreux-jojos. Quant au public adulte moyen non averti, il risque
    de trouver cela adulte moyen trouvera cela tout à fait abject, comme en
    convient d’ailleurs Bruce LaBruce.
    D’un point de vue plus intérieur, l’originalité du film tient à l’émotion
    réelle qui se dégage de la solitude et de la mélancolie de ce mort-vivant
    rappelant l’ange de Wim Wenders dans Les ailes du désir, finalement plus
    tendre et « humain » que les violents qui l’emportent dans la Cité des
    Anges…

  • Locarno appassionato

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    Doublement présent au festival, en tant que membre du jury et réalisateur, Lionel Baier est un fan de la manifestation. Qui s'ouvre officiellement aujourd'hui. Avec la projection d'Au fond des bois, nouveau film de Benoït Jacquot, sur la Piazza Grande.

    Lionel Baier met la dernière main, ces jours, à un nouveau long métrage de fiction entièrement réalisé avec son téléphone portable, intitulé Low Cost (Claude Jutra) et qui sera présenté hors concours à Locarno. De fait, sa qualité de membre du jury de la compétition internationale l’empêche d’y participer. En revanche, l’un de ses documentaires, La Parade, y sera également présenté. Belle présence, et reconnaissance, pour l’un des cinéastes les plus originaux de la relève suisse – dont on peut rappeler qu’il a signé les très remarqués Garçon stupide et Un autre homme, doublé d’un prof de cinéma apprécié de l’Ecal.

    - Que représente Locarno pour vous ?

    - C’est une histoire personnelle très forte, étroitement liée à ma passion pour le cinéma. J’ai découvert Locarno à 15 ans, avec mes parents qui y avaient fait escale sur la route de l’Italie où nous devions passer nos vacances. Or, après avoir vu La belle noiseuse de Rivette sur la Piazza Grande, le climat du festival nous a tellement enchantés que mes parents ont décidé d’y rester jusqu’à la fin. Par la suite, j’y suis revenu chaque annéeavec des amis. Locarno m’a donné un socle cinéphilique très important. En fait, c’est une école incomparable, et j’y enbvoie aujourd’hui nos étudiants de l’ECAL. Comme j’avais déjà commencé à faire du cinéma dans mon coin, j’y ai aussi trouvé une stimulation faite de rencontres  et de discussions passionnantes. J’ai eu l’occasion, ces dernières années, de visiter des quantités de festivals. Mais Locarno me semble le plus beau !

    - Que sera votre nouveau film ?

    - Comme il m’a appelé à faire partie du jury, Olivier Père m’a proposé de montrer un de mes films dans la section réservée aux jurés. J’ai préféré en faire un nouveau en développant un travail, avec mon téléphone portable, que j’avais amorcé depuis quelque temps déjà. C’est une technique qui m’intéresse parce que tout le monde la pratique désormais tous les jours.  Or je voulais aller au bout d’une mise en  forme représentant, aussi, le degré zéro, ou presque, de l’investissement financier. Son titre est d’ailleurs Low Cost (Claude Jutra)…

    - Quel en est le thème ?

    - C’est l’histoire d’un certain David Miller, dont je précise qu’il n’a rien à voir ave moi, qui sait qu’il va mourir et qui fait une sorte de bilan de sa vie avec divers personnages de sa connaissance. Le film est une interrogation sur le prix de la vie, au sens fort, à une époque où tout a été « low costisé », si j’ose dire, à savoir amené à prix réduit. Imaginez ce qu’était le prix d’un voyage à l’époque de Stendhal, et ce qu’il est aujourd’hui. Dans la même optique, David Miller s’interroge sur le « prix » de ce qu’il a vécu…   

    - Expérience concluante ?

    - Autant que je puisse en juger, c’est un drôle d’objet, plutôt inclassable, que ce film, mais le mérite du Festival de Locarno est justement d’accueillir ce genre de réalisations…

    - Un conseil aux festivaliers ?

    - Comme à mes étudiants de l’Ecal : Lubitsch ! Auquel je suis venu par Truffaut. Un maître absolu en matière de mise en scène et plus encore de découpage. Une façon de faire durer un plan un poil de plus qu’attendu, inimitable. Et cet humour incroyable, plus fort que Chaplin, notamment dans To be or not to be, si l’on pense à sa destinée de juif fuyant les nazis. Et à ne pas manquer non plus : ses films muets. Sur quoi je me la coince…  

     

     

    Baier.jpgLionel Baier en dates

     

    1975          13 décembre. Naissance à Lausanne, de père pasteur.

    1990-99    Gymnase et études de lettres. Anime le cinéma Rex d’Aubonne.

                       Premier court métrage, Mignon à croquer, et Celui au pasteur, documentaire personnel diffusé par la TSR.

    2001          La parade, documentaire sur la Gay Pride en Valais.

    2002          Chef du département cinéma de l’Ecal.

    2004          Garçon stupide. Premier long métrage.

    2005          Prix Jeunes créateurs de la Fondation vaudoise pour la promotion et la création artistiques.

    2006          Comme des voleurs. Long métrage d’autofiction.

    2009          Un autre homme. En compétition à Locarno.

    2010          Low Cost (Claude Jutra) hors concours à Locarno.

     

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    Au fond des bois, de Benoît Jacquot.

    Première mondiale.

     Vers 1865, en France profonde (grands espaces montagneux et magnifiques évoquant les  Causses, puis l’Auvergne), Joséphine, la jeune et vertueuse fille du docteur Hughes, médecin des pauvres, cède à l’attrait, ensuite à l’envoûtement caractérisé d’un jeune vagabond aux pouvoirs parapsychiques spéciaux, se présentant d’abord comme sourd et muet au toubib,  puis s’expriment en étrange sabir latino-français. Fasciné par la beauté virginale de la jeune fille, le jeune sauvage l’hypnotise puis la possède. Revenue à elle, Joséphine chasse son abuseur, puis court le rejoindre, après quoi s’établit, entre l’un et l’autre, une relation faite de violents rejets (de la part de Joséphine) et de retours non moins passionnés, où l’on sent que se heurtent les principes d’une éducation catholique et les pulsions irrépressibles de la sensualité et des forces telluriques. Sur fond de relents plus ou moins sataniques (celui qui finit par avouer son prénom de Timothée s’est d’abord présenté comme le fils de Dieu, avant de se dire la réincarnation des empereurs romains les plus mal famés…), ce nouveau film de Benoît Jacquot, disciple lointain de Robert Breson, joue sur l’opposition des apparences de l’innocence et des réalités humaines à la fois charnelles et sociales, lesquelles commandent un dénouement policier et judiciaire, puis un retour à un ordre de façade. Isild Le Besco, au beau visage de vierge apparemment au-dessus de tout soupçon, campe le personnage de Joséphine en soulignant avec force les deux faces de sa personnalité, et Nahuel Perez Biscayart incarne un Timothée aussi inquiétant qu’attachant. Piazza Grande, 4 août, à 21h.30, après la cérémonie d’ouverture.   

     

    Pandora.jpgLe clin d’œil de Pandora

    On sait qu’à Locarno les stars sont les films, mais il est quand même moult vedettes de cinéma qui y ont défilé en soixante ans, de Marlene Dietrich à King Vidor ou d’Alberto Sordi à Anthony Hopkins, comme se le rappelle aussi la tortue Pandora, hôte sexagénaire des jardins désaffectés du Grand Hôtel.

    Pandora est l’une des mémoires du Festival de Locarno, qui ne se nourrit que de salade : c’est dire la netteté de son mental. A cela s’ajoute chez elle une sorte de sagesse d’expérience, qui la rend indulgente et même bonne. Ainsi n’est-elle guère étonnée d’apprendre que, sur la Piazza Grande, le plaisir suprême des spectateurs est d’être filmés, le soir, avant la représentation, et d’apparaître ainsi sur le grand écran pour une seconde de pure gloire, tandis que, sous sa carapace, avec son profil à la Edward G. Robinson, la tortue Pandora sourit de rester, quant à elle, la star à jamais incognito…

    Clin d’œil du jour : Pandora se doit de saluer la course cycliste « du souvenir » amorcée aujourd’hui à Zurich par l’équipe de Daniel von Aarburg, réalisateur de Koblet pédaleur de charme, partie ce matin et censée arriver à Locarno demain, veille de la projection du film sur la Piazza Grande, vendredi 13 août à 21h.30.

     

     

          

     

     

     

     

     

     

  • Zoom sur Locarno 2010

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    La 63e édition du Festival international du film de Locarno, qui se tiendra du 4 au 14 août prochains, rebondit avec une nouveau directeur artistique, en la personne d’Olivier Père, lequel porte l’accent sur le jeune cinéma en train se faire dans le monde.

    « Le Festival de Locarno n’est pas qu’une manifestation nationale ni ne se limite à l’aire européenne : c’est au niveau mondial qu’il s’affirme », déclarait récemment Marco Solari à l’occasion de la présentation de cette nouvelle édition.

    Solari.jpgPrésident du festival depuis dix ans, le bouillant Tessinois est le premier défenseur de l’ « esprit de Locarno », qu’on pourrait caractériser par une propension renouvelée à la découverte sous toutes ses formes, excluant cependant une cinéphilie trop exclusive ou élitiste. Ce festival se distingue de Cannes et de Venise en cela qu’il est largement ouvert au public le plus varié, sans intérêt du point de vue mondain même si de nombreuses personnalités du monde politique ou culturel s’y pointent. Largement soutenu par les pouvoirs publics et les sponsors, il a vu son budget passer, ces deux dernières années, de 4 à 11.5 millions de francs. D’où la demande insistante d’une rallonge de 300 à 400 000 francs, rappelée par Marco Solari.

    Locarno77.jpgMagie de la Piazza
    La Piazza Grande, qu’on dit volontiers la plus grande salle de cinéma du monde, en est évidemment le fleuron populaire, avec des pointes de 8000 spectateurs certains soirs, mais l’ « esprit de Locarno » a empêché de lieu de devenir un Open Air de plus où projeter les derniers Blockbusters…

    Par ailleurs, cinq autres salles de jauges variées (d’environ 200 à 5000 spectateurs) permettent à la programmation de se moduler en fonction de l’audience estimée. Ce qui frappe, au demeurant, c’est le taux d’occupation élevé de toutes ces salles, et l’aspect toujours convivial et intéressant des présentations de chaque film, souvent en présence du réalisateur, et la qualité des débats qui font suite à chaque projection. Quand on sait que la région de Locarno, avec ses lacs cristallins et ses hautes vallées, ses terrasses et ses grotti (tavernes à la tessinoises) ombragés se prête merveilleusement aux balades et aux randonnées, la présence d’un public souvent assez jeune (entre 25-65 ans) dans ces salles obscures, en plein été torride, a quelque chose de réjouissant.

    Père.jpgDe Maire en Père
    Comment l’édition 2010, conçue par le nouveau directeur artistique du festival, Olivier Père, se présente-t-elle à quelques jours de son ouverture. Quelle touche nouvelle l’ancien patron de la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes va-t-il apporter ? Au dire de Marco Solari, visiblement très satisfait, le nouveau directeur « respire le cinéma ». Et de rappeler qu’il succède au « prince » Marco Müller, à la « volcanique » Irene Bignardi et à la « force tranquille » incarnée ces quatre dernières années par Frédéric Maire, qui dirige désormais la Cinémathèque suisse à Lausanne.

    - Qu’entendez-vous amener de personnel au festival de Locarno ? Quelle sera la « touche » d’Olivier Père ?
    - Après la Quinzaine des réalisateurs, au Festival de Cannes, Locarno me donnait l’opportunité extraordinaire de poursuivre un travail de découvertes des jeunes auteurs et des talents de demain, ce qui coïncide d’ailleurs avec l’esprit initial de Locarno. Ainsi, plus qu’un changement, je vois ma contribution comme un retour aux racines du festival. Je me réjouis d’accueillir de nombreux jeunes cinéastes qui sont des néophytes absolus et peuvent être présentés dans les diverses sections du festival. Ceci dit, si le festival est un « laboratoire», je ne voudrais pas que celui-ci se transforme en ghetto ou en chapelle. C’est pourquoi, dans Cinéastes du présent, les genres les plus variés sont représentés.

    - Nicolas Bideau a regretté, l’an dernier, le manque de « glamour » de Locarno. Qu’en pensez-vous ?
    - Le « glamour » est une dimension du cinéma que j’apprécie et qui doit être représentée, mais il faut être réaliste : Locarno n’est pas Cannes ni Venise. Faire venir des grandes stars hollywoodiennes est une question d’argent, et je ne pense pas que Locarno doive sacrifier à la folie des grandeurs avec un Tom Cruise ou une Angelina Jolie... Cela étant, je trouve très bien de rendre hommage à la belle Chiara Mastroianni, et la présence de Melivil Poupaud dans le jury ou de Jeanne Balibar en compétition me réjouit. En ce qui me concerne, j’aime beaucoup les acteurs et j’ai envie qu’il y ait du charme et de la séduction dans le festival…

     

    L’édition 2010.

     

     Au premier regard, l’offre de cette année est aussi riche que les précédentes, pour ce qui peut en être jugé d’avance. Même si le nombre total des films a été revu à la baisse – bonne initiative au demeurant -, restent tout de même 280 longs métrages. Mais encore ? Mais encore ceci :

     

     Lubitsch1.jpgGreat Memories – Rétrospective Ernst Lubitsch

     

    À l’ordinaire, c’est en fin de liste qu’on mentionne la rétrospective d’un festival, comme un « plus » plus ou moins muséal. Il en va différemment  à Locarno, et notamment cette année avec la présentation d’une cinquantaine de films de ce grand maître de la comédie, de la mise en scène et du découpage que fut Ernst Lubitsch, dont l’œuvre reste une véritable école de cinéma à elle seule où les apprenants (c’est comme ça qu’on dit aujourd’hui…) devraient se précipiter.

     

    Lubitsch2.jpgAprès Kaurismäki en 2006, les divas du cinéma italien en 2007, Nanni Moretti en 2008 et les Mangas en 2009, la rétrospective Lubitsch, qui sera reprise à la Cinémathèque en automne, fera sans doute double office de découverte absolue pour beaucoup (et notamment avec les films muets, dès 1914, avec Der Stolz der Firma de Carl Wilhelm dans lequel Lubitsch est acteur, ou Als ich tot war ) et de (re)découverte dans les grandes largeurs du grand écran, notamment avec la projection sur la Piazza Grande du chef-d’œuvre que représente To be or not to be (1942) le 12 août.

     

    Lubitsch3.jpgRéunissant, sous la direction de Joseph McBride, des films de Lubitsch réalisateur mais aussi producteur, tel Desire de Granz Borzage ou co-réalisateur, avec Otto Preminger (A royal Scandal), la rétrospective sera présentée alternativement par des personnalités du cinéma qui ont été marquées par Lubistch, tels Freddy Buache, Lionel Baier, Stefan Drössler, Benoît Jacquot ou Luc Moullet, entre autres. En outre, le 12 août, au Forum, à 10h.30, une table ronde réunira Jean Douchet (qui présente To be or not to be sur le DVD disponible du film) et Joseph McBride, animée par Carlo Chatrian.          

     

    Locarno09.jpg Les "musts" de la Piazza    

     

     Du 3 au 14 août, ce ne sont pas moins de 20 films qui feront les beaux soirs de la Piazza Grande. Aperçu.  

     

    J Par manière de bienvenue, une projection gratuite, offerte en «pré-soirée» aux Locarnais et aux festivaliers déjà présents, marquera le retour de Daniele Luchetti avec La nostra vita. On se rappelle l’excellente impression laissée, en 2007, par Mon frère est fils unique, chronique familiale évoquant la cohabitation d’un jeune gauchiste brillant  et de son cadet flirtant avec les néofascistes pour s’affirmer. Quant à cette nouvelle réalisation, elle a marqué la seule présence italienne dans la compétition de Cannes. 3 août, à 21h.30. Entrée libre.

     J En ouverture, un seul film à l’affiche en première mondiale, attendu puisqu’il s’agit de la dernière réalisation de Benoît Jacquot, intitulée Au fond des bois et confrontant, dans les années 1850, un jeune homme des bois débarqué de nulle part et la fille d’un médecin humaniste qui s’entiche du sauvageon. Mercredi 4 août, 21h.30, après la cérémonie d’ouverture.  

     

    Koblet.jpgJ  Parmi les nouveaux films réunis sous la rubrique Appellation suisse, alors même que la Journée du cinéma suisse a été supprimée cette année, Hugo Koblet – pédaleur de charme, ne manquera pas d’intéresser le public de notre pays, s’agissant d’une figure légendaire du cyclisme helvétique. Daniel von Aarburg en signe la réalisation avec un mélange de documents d’archives et de séquences ajoutées. Vendredi 6 août, à 21h.30.

     JJ Après le magnifique Lemon Tree (Les citronniers), le retour du réalisateur israélien Eran Riklis est également très attendu avec, en première mondiale, Le responsable des ressources humaines tiré d’un formidable roman d’Avraham Iehoshua. Mardi 10 août, 21h.30.

     

    Lubitsch7.jpgJJJ Autre grand moment assuré sur la Piazza Grande, qu’on espère bénéficier d’un ciel pur : la projection de To be or not to be d’ Ernst Lubitsch, pure merveille de mise en scène et d’humour grinçant, avec un Hitler d'opérette, mélange de ridicule et d'effroi, où se mêlent les relents de la tragédie, sur fond de pogroms, et une mise en abyme théâtrale des liens de l’art et de la réalité. Le film sera projeté en fin de soirée, après Monsters, premier film du réalisateur anglais Gareth Edwards. Jeudi 12 août.

      

    Rosi.jpgJJJ Soirée faste également, pour une fin d’édition, avec la première internationale d’un sombre thriller allemand de Baran bo Odar, Le dernier silence, suivi d’un court métrage de Bernardo Bertolucci datant de 1967, Il canale, et d’Uomini contri (Les hommes contre), de Francesco Rosi, datant de 1970, avec Alain Cuny et Gian Maria Volontè, qui relève du réquisitoire pacifiste. Le film sera projeté en présence du grand réalisateur italien, âgé de 88ans. Vendredi 13 août, dès 21h.30.

      

    Les Léopards en compétition

     Concours international

    Réunissant une vingtaine de candidats de toutes provenances, le concours international mêle les auteurs nouveaux et leurs pairs plus chevronnés, tels le Français Christophe Honoré et son Homme au bain, avec Chiara Mastroianni, le provocateur canadien Bruce LaBruce dont L.A. Zombie arrive précédé d’une réputation sulfureuse, le Québecois Denis Côté déjà connu à Locarno où il revient avec son tout récent Curling, ou encore la jeune Isild Le Besco, qu’on verra dans le film de Benoît Jacquot et qui défendra son troisième long métrage intitulé Bas-fonds, tandis que Pia Marais roulera pour l’Allemagne avec Im Alter von Ellen (Au temps d’Ellen) avec Jeanne Balibar.Par ailleurs, la compétition internationale accueille deux films suisses d’auteurs à découvrir dans le « long », à Savoir Stéphanie Chuat et Véronique Reymond qui cosignent La Petite chambre, avec Michel Bouquet, première œuvre déclarée « très sensible et émouvante » par Olivier Père, tandis que Katalin Gödrös honore la Suisse multiculturelle avec Songs of Love and Hate. Enfin, et pour la première fois, le concours est ouvert aux ouvrages documentaires, comme l’illustrera cette année le film chinois Karamay, réalisé par Xu Xin et dégageant une forte émotion sur fond de réflexion politique.  

     Cinéastes du Présent

      Autre fleuron de la compétition, souvent plus pointue dans ses choix, cette section rassemble elle aussi une vingtaine de longs métrages dont treize ( !) premières œuvres. Vous avez dit que le cinéma d’auteurs se mourait ? On en jugera sur pièces. En attendant, faute de pouvoir entrer dans le détail, on relèvera tout de même la présence du Romand Stéphane Goël, du groupe lausannois Climages, avec un documentaire consacré à un aspect très intéressant de notre société, savoir les tribunaux de litiges professionnels. D’où le titre de Prud’hommes.  Par ailleurs, Olivier Père relève un caractère récurrent de cette section, touchant à la proximité de divers films avec d’autres formes d’expression comme la musique (Ivory Tower, d’Adam Taylor avec Chilly Gonzalez ) ou les arts plastiques (September 12, d’  Özlem Sulak), notamment.     

    Léopards de demain

    Toujours au titre de la compétition, le concours réservé aux courts métrages suisses et étrangers, dont les sélections comptent souvent des bijoux, fête cette année son vingtième anniversaire et permettra de découvrir un choix des meilleurs courts découverts à Locarno.

     Hors concours

     Parallèlement aux deux compétitions principales, une section Hors compétition présentera un large choix d’œuvres récentes, courts métrages ou essais cinématographiques, documentaire ou travaux collectifs, ainsi que des ouvrages de cinéastes importants Jean-Marie Straub, Luc Moullet ou Angela Ricci Lucchi, notamment. C’est dans cette section que nous découvrirons C’éait hier, le nouveau film de la Lausannoise Jacqueline Veuve, et Low cost de Lionel Baier, de même que le cycle documentaire  d’Emmanuelle Demoris, Mafrouza, qui sera montré dans son intégralité alors que son dernier épisode participera au concours Cinéastes du Présent.

     Prix et hommages divers

     Le festival de Locarno accoutume d’honorer les « bons génies » du cinéma, qu’ils soient réalisateurs, producteurs ou techniciens de plus ou moins haute volée, comme l’an dernier un Renato Berta, maître imagier s’il en fut…

     

    Tanner.jpgCette année, c’est au grand cinéaste suisse Alain Tanner que sera remis un Léopard d’honneur, pour l’ensemble de son œuvre, ainsi qu’au réalisateur chinois JIA Zhang-ke, comptant parmi les révélations de ces dernières décennies.

     

    Le Prix Rezzonico, qui récompense un producteur indépendant, sera remis à l’Israélien Menahem Golan, mogul aventureux et flamboyant qui a réalisé des films autant qu’il en a produits – et des plus prstigieux, de Love Streams de Cassavetes à Fool for Love d’Altman, entre beaucoup d’autres. Un hommage particulier sera rendu à l’acteur américain John C. Reilly et un Excellence Award reviendra à la jeune comédienne Chiara Mastroianni. Entre autres.

     

    Godard35.jpgLas but not least…

     Comme bien l’on pense, cet aperçu du festival reste lacunaire et à compléter, mais on ne saurait manquer de signaler encore les projections de deux films d’auteurs « cultes », à savoir Film socialisme de Jean-Luc Godard, et Ich will doch nur, dass ihr mich liebt de Rainer Werner Fassbinder, réalisé par la télévision allemande en 1976 et considéré par Olivier Père comme un chef-d’œuvre.

     

    Infos complémentaires sur le programme et les données pratiques. http://www.pardo.ch

     

     

  • Fête nationale

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    Pour un 1er août propre-en-ordre

    …Le territoire de la Confédération doit être nettoyé des corbeaux roumains et des corneilles bulgares et kosovares, entre autres volatiles jaunes et noirs,  et c’est pourquoi le sac Ad Hoc a été distribué à tous les cantons et à toutes les communes, avec la peau de banane indispensable à la chute de l'élément étranger, avant sa capture et son ensachement sous vide devant notaire assermenté, lavé et branlé…
    Image : Philip Seelen

  • Vert paradis

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    Note sur un expo à voir à Lucerne...

     

    À La Désirade, ce dimanche 1er août. – Il y avait ce matin un ciel turquoise au-dessus des montagnes de Savoie bien détaillées dans les gris bleu et les vert tendre, où flottaient de petits nuages blancs qu’on aurait dit peints par Hodler vers 1906, à cela près qu’ils se sont bientôt  transformés et se reconstitués en longues bandes horizontales superposées, moins figuratives, annonçant en quelque sorte l’abstraction américaine des dernières années du peintre, vers 1914-1918… 

     Cette apparition m’a rappelé l’état de réceptivité extrême dans lequel je me suis retrouvé hier au Kunstmuseum de Lucerne où peut se voir, ces jours, une belle exposition consacrée à un trio de compères proches, à savoir Ferdinand Hodler précisément, Cuno Amiet et Giovanni Giacometti.

    Hodler est évidemment hors catégorie ou écoles, même s’il touche au classicisme réaliste en ses débuts, au symbolisme et aux franges du fauvisme ou des nabis, puis à l’abstraction lyrique dans ses derniers paysage jamais « abstraits » au demeurant selon l’appellation conventionnelle, mais l’exposition très sélective que propose ici Christoph Lichtin établit bel et bien un lien de parenté entre trois coloristes helvètes qu’on sent proches aussi de la nouvelle peinture-peinture européenne et plus précisément française, du côté de Gauguin et des fauves, entre autres.

    La première salle, toute dévolue à un choix haut de gamme de paysages d’Hodler, nous rince illico le regard : c’est un bain de jouvence voire de jouvencelle dans un lac vert tendre. La plus belle chose est d’ailleurs pile au fond de la salle avec un cadre excessivement doré-mouluré qu’on oublie : c’est ce lac de Brienz d’un vert très tendre qui évoque le vert très pâle, entre l’absinthe et le turquoise assourdi, littéralement serti dans un paysage structuré en vue de balcon dont le rebord du premier plan est un agreste haut gazon dégagé de toute pesanteur réaliste. Tout aussitôt cette couleur m’a suggéré l’adjectif : candide, associé au blanc qu’il y avait dans ce vert pour ainsi dire « innocent », comme un vert marial de source glaciaire épurée de son limon…

     

    Lucerne. Kunsthaus. Hodler. Amiet. Giacometti. Jusqu'au 10 octobre.

     

    PS. La repro ci-dessus, piquée en douce sur mon portable, ne vaut pas un clou. Le vert du lac est infiniment plus subtil et doux, et le reste du paysage plus finement et précisément dessiné. Bonne raison de faire le voyage de Lucerne...

     

  • Ceux qui écoutent la rivière

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    Celui qui ouvre grands les yeux sous l’eau pour entrer dans les miroirs / Celle qui retrouve sa fluidité de conteuse en racontant sa descente du Mékong avec son ami d'origine irlandaise par sa mère / Ceux qui agrémentent leur diaporama des fonds de la Mer Rouge de morceaux de Händel ou de Beethoven genre Le Messie ou l’Hymne à la joie par Maurice André ou les Solisti Veneti / Celui qui est en quête d’authenticité et préfère en somme les paysans du Nord Laos à ses collègues cadres de chez Microsoft / Celle qui a fait rire toute la terrasse de cette guest house du Sud Laos où une petite grenouille orange aux yeux bleu prune a chu du toit de bambou suintant de pluie sur sa chevelure blond vénitien / Ceux qui ont l’impression continue qu’une rivière coule en eux et notamment les prisonniers à longues peines / Celui qui entrouvre son grand manteau de renne blanc pour offrir un refuge momentané à la poétesse anorexique / Celle qui nourrit son éléphant de peluche comme elle l’a vu faire des moines déposant leurs offrandes devant les Bouddhas de bois ou de pierre / Ceux qui comparent la pureté de l’aube sur le Mékong et sur le Nil et n’en tirent aucune conclusion pour ne pas déprécier l’émotion ressentie par l’autre / Celui qui voudrait avoir barre sur tout / Celle qui n’est pas dupe des boniments du hâbleur / Ceux qui patinent sur la glace de leur trop beau langage / Celui que son amour de soi fige dans une sorte de componction de cuistre feignant l’enjouement / Celle qui regarde dormir celui qui le fait l’appeler Le Commandeur et qui est tout attendrissant avec son bedon et ses poils gris à la barbe d’en bas / Ceux qui jouent un peu tous les rôles « pour voir » / Celui que la prétendue stratégie des plus fortiches de ses collègues de l’Entreprise fait carrément se poiler, ah, ah / Celle que les Grands Débats de la chaîne dite culturelle n’a jamais empêchée d’écouter la Rivière / Ceux qui prêtent l’oreille au clair déluge qui sourd des prés, etc.
    Image : Philip Seelen

  • Antistress



    Nous continuons la visite.

    Voici la salle des immersions prénatales. Nous la réservons aux clients stressés, autant dire à tout le monde. Le temps y est ralenti et le bain commun dans le grand bassin consensuel a tôt fait de neutraliser les poussées hyperactives. Tout le monde y entre vêtu du même caleçon marial, ensuite de quoi chacun fait ce que bon lui semble. C’est alors que cela devient intéressant pour notre ami Fletcher que vous voyez là-haut dans la cabine de surveillance.

    Fletcher est un ancien obsédé du travail que nous nous enorgueillissons d’avoir guéri avant de le pousser dans la recherche appliquée. C’est lui qui pointe désormais les sujets méritant le Certificat de Tranquillité, sans lequel personne ne sort d’ici.

    Quand on étudiera l’histoire de la sublimation programmée, Fletcher pourra décrire le processus qui fait d’un drogué du sexe un élément recyclable. C’est ici le haut lieu de la détente généralisée. La montagne que vous apercevez par la grande baie est la Jungfrau.

  • Amours et orgues

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    …Avec elle tout a toujours été au pluriel, ç’a été les petits amis, les grands chagrins, les castings à ne plus savoir lequel choisir, les défilés et les clips, et quand elle revenait chez nous c’était tellement cadeau que ça prenait un X, mais bon ça ne l’a pas empêchée de rencontrer le type le plus singulier qui soit, et maintenant qu’ils sont deux c'est comme s'ils n'étaient plus qu’un…

    Image : Philip Seelen  

  • Panique à la Love Parade

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    Une lecture de La Divine Comédie (6)

     

    Chant V. Cercle des luxurieux. Tourbillons des damnés emportés par les airs. Rencontre émouvante de Francesca da Rimini. Dante flageole derechef...

     

     

     

     

    On arrive maintenant au lieu « où la lumière se tait », gardé par le redoutable Minos qui désigne, par le  nombre de cercles qu’indique sa queue enroulée, à quel cercle de l’Enfer précisément est affecté le damné qui se pointe.

    Dans la foulée, ce sont les luxurieux que Dante va rencontrer en foules virevoltant dans les airs comme de folles bandes d’étourneaux. L’image est d’ailleurs précise et d’une saisissante plasticité quand on suit le déploiement du texte original, plus proche de Lautréamont que du dolce stil nuovo, non sans se rappeler le sort récent de la foule multitudinaire de la Love Parade allemande se précipitant dans un tunnel pour s’y piétiner... De la même façon, les damnés sont emportés, littéralement malaxés par les zéphyrs du Désir, et souffrant physiquement à proportion inverse des jouissances qu’ils ont connues sur terre – ce qui ne laisse évidemment de plonger Dante dans la perplexité navrée, et le peinera plus profondément un peu plus tard.

    Dans l’immédiat, il identifie quelques célébrités historiques connues pour leurs débordements sensuels ou leurs amours entachées de violence, telles Sémiramis et Cléopâtre, mais également Hélène et Achille, Pâris et Tristan, « et plus de mille ombres » tournoyantes. Mais la rencontre d’un couple moins tourmenté, auquel Dante demande à Virgile de pouvoir parler, va marquer l’un des épisodes les plus fameux et les plus émouvants de la Commedia, avec Francesca da Rimini, que le poète connue de son vivant, et du beau Paolo Malatesta, couple adorable que Gianciotto Malatesta, époux épais de Francesca et frère de Paolo, a trucidés. Or, Dante a beau se consoler à l’idée que l’affreux fratricide se tord désormais dans les flammes de la Caina, neuvième et dernier cercle de l’Enfer où sont précipités les traîtres et les meurtriers de même sang : le sort si cruel de Francesca et de Paolo ne laisse d’attrister et d’intriguer notre chantre de l’amour courtois.

    Pour mieux démêler la question de la paradoxale damnation des amants, qui ne tient évidemment pas qu’à leur état d’adultères,  notre bon François Mégroz (dans L’Enfer, p.50) rappelle alors les concepts liés sous l’appellation d’Amour, combinant amour humain et divin, noblesse et perfection. Plus troublant, et René Girard l’a souligné dans Mensonge romantique et vérité romanesque, citant précisément cet épisode comme une scène primitive du mimétisme amoureux: c’est en lisant ensemble un texte évoquant l’amour de Lancelot pour la reine Guenièvre, que Francesca et Paolo ont « craqué », comme on dit…

    Bien compliqué tout ça, voire tordu ? C’est évidemment ce qu’on peut se dire en jugeant ce récit avec nos critères contemporains, mais là encore François Mégroz nous conseille de suspendre notre jugement en replaçant celui de Dante (ou de la justice divine imaginée par Dante) dans le contexte, non tant de la morale médiévale que d’une métaphysique de l’amour dont nous n’avons plus la moindre idée de nos jours. Bien entendu, le lecteur émancipé de 2010 se récriera: enfin quoi, ce Dante ne fait que relancer la malédiction de la chair et du plaisir en disciple de Paul et de toute la smala des rabat-joie. Quel bonnet de nuit ! Mais La Divine Comédie, une fois encore, ne se borne absolument pas à un traité de surveillance et de punition.  À cet égard, une relecture de L’Amour et l’Occident de Denis de Rougemont serait aussi opportune. Passons pour le moment...

    Et constatons, du même coup, que  Dante n’a pas supporté cette épreuve non plus, puisque le revoici tombé raide évanoui. Décidément…

     

    Rappel bibliographique.

    Dante. La Divine comédie. Traduite et présentée par Jacqueline Risset. Garnier/Flammarion, en trois vol. de poche, sous coffret.

    François Mégroz. L’Enfer. L’Age d’Homme.

    René Girard. Mensonge romantique et vérité romanesque. Grasset.

  • Ceux qui prennent le temps

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    Celui qui descend un jour du train pour voir de plus près la petite maison dans les prés qui lui fait signe depuis des années / Celle qui interrompt tout à coup la dictée de Monsieur Lepoil son chef de bureau et se lève et s’en va faire un tour avec son chapeau vert / Ceux qui ont tellement tué le temps qu’ils n’en ont plus à perdre / Celui qui est parti ce matin en sens opposé / Celle qui ne stresse plus depuis que les RH l’ont déclarée ingérable / Celle qui pense que son temps viendra sans savoir trop où et quand / Ceux dont ont dit qu’ils ont fait leur temps et qu’on case dans des asiles dont les pendules tournent au ralenti / Celui qui s’est mis en tête de ferrer les chevaux marins / Celle qui revient dans la Campagne de la Solitude juste pour le nom / Ceux qui n’ont jamais le temps d’écouter, les pauvres / Celui qui fait des patiences à journée faite non sans composer de tête des poèmes clairement affiliés à l’Ecole du Silence et qu’il ne publiera jamais / Celle qui a gardé la fraîcheur de ses sept ans pour avoir su prendre le temps de ne pas vieillir / Ceux qui cheminent le long de l’autoroute à pied en tirant parfois la langue aux enfants de la lunette arrière des bolides vrombissants / Celui qui reproche à sa mère de penser qu’il pourrait n’avoir pas le temps de la venir voir / Celle qui passe des heures à regarder les enfants du parc Denantou / Ceux qui trouvent toujours le temps de niquer la fille de la concierge / Celui qui a inventé un huitième jour durant lequel il a tout loisir de se tourner les pouces et parfois même de fonder une entreprise à broyer les minutes / Celle qui ne vit pas toujours hors du temps puisque la voici se pointer au Bancomat avec un air fébrile / Ceux qui enjolivent les temps passé en oubliant les ravages de la grippe espagnole ou de l’Inquisition catholique fatale à leurs parents sorciers ou supposés tels / Celui à passé plusieurs années à relire Le Temps retrouvé en boucle / Celui qui prends le temps de relire dans Le Temps retrouvé les passages où Marcel Proust entreprend le procès de la guerre mondiale et souligne cette exclamation du général Pau à la déclaration de la guerre : « J’attendais ce jour-là depuis quarante ans, c’est le plus beau jour de ma vie ! » / Celle qui se demande ce que ce Monsieur Proust aurait pu écrire encore après avoir comme qui dirait retrouvé le temps / Ceux qui prétendent qu’ils n’ont même pas le temps de respirer alors qu’ils passent leur carrière de fonctionnaires à ne rien branler dans leur bureaux réglés à l’heure de partout / Celui qui a pris le temps et l’a caché dans un recoin de la maison close / Celle qui prend toujours le temps de régaler le très beau jeune pauvre surnommé Le Bouc et qui n’a que sa vigueur et ses yeux verts pour la payer / Ceux qui estiment avoir encore tout le tempos de penser à tout ça, etc.