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SFCDT

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Sur une abréviation cryptée de Stendhal...

Philippe Sollers, dans son très stendhalien Trésor d'amour ( roman à paraître chez Gallimard la semaine prochaine), cite en passant l’abréviation cryptée SFCDT, très dans la manière de Stendhal, qu’on trouve souvent en marge de ses manuscrits et qui signifie Se Foutre Complètement de Tout, laquelle formule ne contredit en rien l’extrême souci que depuis tout jeune Henri Beyle voue à ce qui lui importe et à cela seulement, c’est à savoir l’essentiel pour un garçon qui veut se consacrer sérieusement à la saisie de la sensation juste et à son expression appropriée, telle qu’on la relève très tôt dans les pointes de son Journal.

Par exemple il écrit à dix-huit ans : «L’homme du meilleur esprit est inégal ; il entre en verve, mais il en sort ; alors, s’il est sage, il parle peu, il n’écrit point, il ne cherche point à imaginer : ses plus grands efforts ne seraient que des réminiscences ; ni à plaire par des traits brillants : il serait gauche. Il doit alors conformer sa parure, son maintien, ses propos, à l’état où il se sent. Ce jour-là, il doit aller voir les hommes ou les femmes de sa connaissance, qu’il sait aimer la tranquillité et le genre uni. Qu’il évite surtout ses rivaux, qui lui feraient oublier ses résolutions et qui auraient ensuite beau j pour le couvrir ridicule ».

On voit que le jeune homme ne se fout pas des détails, le même qui écrit un peu plus tard : Je fous Mme Rebuffet depuis le commencement de fructidor, avant de se donner, l’année de ses vingt ans, un programme carabiné d’œuvre à composer : comédies (quatre pièces), tragédies (quatre pièces dont un Hamlet et un Œdipe-roi « avec toute sa pompe »), poèmes (refaire Le Paradis perdu et L’Art d’aimer…), entre autres ouvrages en prose dont une Histoire de Bonaparte, une Histoire de la Révolution française et une Histoire des grands révolutionnaires… à commencer à 35 ans, précise-t-il...

Sans doute, le SFCDT se justifierait après tout ce que Beyle a vécu de l’Histoire et de la Politique, et notamment la retraite de Russie, mais là n’est pas le propos ni le problème pour quelqu’un qui sait le prix réel des choses. Sa devise exprime le contraire du je m’en foutisme que nous voyons sévir partout à l’heure qu’il est. Il y a une vie entre l’inattention fumiste au goût du jour, fondée sur l’ignorance et la vanité de l’ignorance (l’ignorance revendiquée), la dérision ricanante et le mépris d’un peu tout, les préjugés, les idées d’emprunt, les opinions fondées sur des ragots de médias, les convictions endossés comme de molles capuches – il y a une vie entre la foutraque attitude et le détachement hyper-attentif du SFCDT stendhalien qui n’est pas plus un relativisme cynique qu’une morgue supérieure, même si Sollers a raison de voir en Beyle un aristocrate républicain. Stendhal progressiste, comme l’affirme Claude Roy ? Sûrement pas dans un sens récupérable par la seule gauche moderne, mais sûrement oui au sens d’un progrès humain dans la science surexacte qui fonde l’art de vivre et d’aimer, avec quelque chose de paléochrétien là-dedans, j’entends : d’évangélique et de généreux, de bon et de civilisateur, à l’opposite des dogmatiques de la Contre-Réforme mais pas loin des curés de campagne. Aristocrate anarchisant alors, je dirais, à l’italienne ou à la Suisse, pas loin de Rousseau et de Constant – enfin c’est comme je le vois de mon balcon des Préalpes, lisant à l’instant, sous sa plume, le nom de Clarens où il passe imaginairement dans le Journal, dans la foulée des personnages de La Nouvelle Héloïse – Clarens que je vois sous mes fenêtres, huit cents mètres plus bas, au bord du lac, dans une soie brumeuse très stendhalienne en somme…

(À Suivre)

Stendhal. Journal. Edition intégrale, préfacée par Dominique fernandez. Gallimard Folio, 1266p.

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