Celui qui boit un verre d’eau en ne pensant (pense-t-il) à rien / Celle qui regarde le vieux fol en faisant craquer ses jointures / Ceux qui reprennent le tramway nommé Désir / Celui qui dit qu’il a le brandon / Celle qui a rencontré Marlon au Gabon / Ceux qui se la jouaient James Dean à l’époque de La Fureur de vivre / Celui qui avait une banane et se shootait au beurre de cacahouète / Celle qui t’a recommandé l’eau sucrée pour faire tenir ta mèche à la Ricky Nelson noiraud / Ceux qui ont gardé tous les microsillons des Chats sauvages et des Chaussettes noires / Celui qui a vu Les Cœurs verts 27 fois en tant que placeur au Colisée / Celle qui apprend qu’il y a 35.000 espèce d’insectes en France et se demande : et au Schleswig-Holstein ? / Ceux qui lisent Quignard avec la satisfaction de penser que son Goncourt lui a permis de réparer le toit de sa maison dans l’Yonne / Celui qui sourit des propos de Kertesz sur la « parlote métaphysique sur laquelle le blabla idéologique construit sa tour penchée » / Ceux qui annotent les écrits de ceux qui ont lu ceux qui écrivent et les ont annotés / Celui qui se situait par rapport aux siècles à seize ans et par rapport aux millénaires à trente-trois ans et constate maintenant qu’il a des rides de fossile de deux ou trois millions d’années au moins / Celle qui te dirait « si une ligne de ce que tu écris me fait chier je te quitte » à laquelle tu répondrait du tac au tac : « Alors casse-toi, Mirza, tu me liras pas » / Ceux qui se disent « fragmentistes » en espérant qu’on les compare à Montaigne enfin tu vois ça / Celui qui déclare à la télé qu’il a brûlé son journal pour accentuer son côté destroy / Celle qui a fauché le journal de celui qui l’a jetée / Ceux qui se disent : à présent le vieil Hessel va pouvoir me filer un peu de thune / Celui qui a lu Indignez-vous et qui va lire Engagez-vous et ensuite se fâchera sûrement avec son beau-frère qui ne s’indigne et ne s’engage que sur ordre de l’Imam Amadou / Celle qui pense que « tout est ridicule quand on pense à la mort » et qui trébuche au même instant sur ses hauts talons et s’écrase sur le pavé gluant et se relève mais tellement enragée qu’elle nous fait une rupture d’anévrisme fatale et voilà ce qui arrive quand on pense à la mort Madame Roduit / Ceux qui se demandent ce qu’ils font ici pendant que des peuples se libèrent là-bas puis se demandent si ce qui se passe là-bas est vraiment mieux qu’ici, etc.
Image : Philip Seelen
Livre - Page 127
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Ceux qui se contentent de peu
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Un doux allumé
À propos de Circulations, de Matthias Zschokke. Après Maurice à la poule, Prix Femina 2009, l'écrivain signe une quarantaine de séquences voyageuses.
Matthias Zschokke, Bernois de Berlin, est un rêveur solitaire des plus singuliers. Dans son dernier livre, recueil d’une quarantaine d’évocations de coins et de recoins de notre drôle de monde, le regard de ce «piéton de l’air» sans bagages se signale par une acuité vive qu’enveloppe une sorte de douceur sidérée. Comme une stupéfaction d’enfant demeuré, qui se rappelle avoir presque fait dans sa culotte «d’enthousiasme» en écoutant, petit, son parrain chanteur interpréter des Lieder romantiques. Et voilà que ça le reprend en des lieux souvent inattendus, comme la rue arabe d’Amman en Jordanie où tout l’épate et le ravit assez inexplicablement. Ou c’est à New York, dont la profusion et l’énergie lui inspire de sidérantes observations.
Ou c’est ce plongeon hivernal libérateur, «comme en Sibérie», aux bains des Pâquis de Genève où il se sent absolument étranger au milieu des hommes d’affaires et des bonnes d’enfants kirghizes – «le tout n’étant qu’une immense catastrophe urbanistique, un mélange de Boston, de Nice et de Rapperswil»…
Un «ahuri sublime»
Dès la parution de son premier livre, paru en 1988 sous le titre de Max, Matthias Zschokke campa la figure d’un «ahuri sublime» le rapprochant de l’écrivain «culte» Robert Walser (1878-1956), autre Bernois qui traîna lui aussi ses guêtres entre Berlin, Vienne et Bienne, avant de finir sa vie dans le «modeste coin» d’un asile psychiatrique. Comme celui de Walser, l’univers de Zschokke est celui d’un individualiste décalé, dont l’esprit critique vif se distingue nettement des positions idéologiques plus ou moins doctrinaires ou partisanes de sa génération.
Si les pièces de théâtre du dramaturge, telles L’heure bleue ou la nuit des pirates et L’ami riche (beau souvenir d’une représentation à Kléber-Méleau), étaient bel et bien marquées par l’esprit libertaire de 68, c’est dans un registre plus poétique et personnel que cet écrivain a développé son œuvre travaillée par le décentrage.Malice et mélancolie
Pas vraiment romancier ou «storyteller», comme l’auteur à succès Martin Suter, Matthias Zschokke fonde son originalité sur sa perception très pénétrante et presque «panique» du monde, et sur son humour de défense souvent irrésistible, très différent cependant de celui d’un Hugo Loetscher. Une fois encore, c’est dans le sillage d’un Robert Walser que l’écrivain a développé sa propre vision du monde qu’on pourrait dire «postmoderne» sans aucune connotation de mode ou de posture. En ont témoigné deux romans aussi singuliers l’un que l’autre: Bonheur flottant (2002) et Maurice à la poule (2009), également marqués par le mélange d’humour pince-sans-rire et de mélancolie qui fait le charme de cet auteur dont le dernier livre déploie encore plus librement la très étonnante lecture du monde..Avec un grain de sel
« Et vous, que faites-vous de votre vie mystérieuse, unique, qui n’a pas de prix ?», nous lance Matthias Zschokke au détour d’une page de Circulations, à New York où «chaque endroit se réinvente en permanence» et qui lui inspire des constats ahurissants qu’aucun guide touristique n’avait prévu. Rien en effet chez l’écrivain de sentencieux ou de pédant, mais un humour parfois loufoque et une curiosité qui se nourrit de mille expériences et détails insolites: une nuit au cinq étoiles Baur au Lac de Zurich, un week-end à Grenchen où se tient un championnat du bras de fer, une soirée à Budapest au paradis de l’opérette kitsch, un aperçu de la cuisine alsacienne ou des Thermes de Caracalla de Baden-Baden, entre autres exultations (les gens d’Amman) et déconvenues comiques: le Jourdain de la Bible aux airs de ruisseau minable
Bref, le sentiment qui se dégage de ce livre, à savourer lentement, et qui demande attention et participation du lecteur, est que tout nous fait signe du monde qui nous entoure, et que tout peut faire sens. Avec un grain de sel...Matthias Zschokke. Circulations. Traduit de l'allemand par Patricia Zurcher. Zoé, 269p...
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Christine Angot vampire ?
La romancière, accusée de piller la vie d’une femme dans Les petits, va en répondre devant la justice.
Un romancier a-t-il le droit d’exposer la vie intime d’autrui dans une fiction, et jusqu’où défendre cette liberté ? Cette question, liée au risque de blesser un vivant, est souvent exorcisée par la formule conventionnelle selon laquelle «les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite». Malgré cette précaution, les procès ont émaillé l’histoire littéraire, et parfois les règlements de compte plus expéditifs, aux poings ou au pistolet…
Or voici que ladite question rebondit avec le dernier livre de Christine Angot, spécialiste du genre puisque plusieurs des personnages de ses romans antérieurs se sont déjà plaints de son indiscrétion et de sa cruauté. Ainsi, après la parution du Marché des amants, évoquant crument les amours de la romancière et du chanteur antillais Doc Gynéco, celui-ci s’était dit choqué par cet étalage intime. Plus grave : une certaine Elise Bidoit, méchamment décrite dans le roman avec moult détails reconnaissables, dont les prénoms éthiopiens de ses enfants se trouvaient reproduits dans le roman, fut tellement choquée qu’elle en référa à un avocat. L’affaire fut réglée « à l’amiable » pour 10.000 euros. Mais c’était mal connaître Christine Angot que de penser qu’elle s’en tiendrait là…
De fait, son dernier roman va beaucoup plus loin dans l’acharnement cruel, voire pervers, sur la même personne identifiable, puisque la protagoniste des Petits, prénommée Hélène, n’est autre qu’Elise Bidoit, tout au moins à en croire celle.ci. Mais les témoins sont nombreux à confirmer la chose. Et la « chose » est lourde, sans doute, à porter.
Car cette Hélène, ex-femme d’un chanteur antillais auquel elle se serait accrochée pour ses seules qualités d’étalon, et qui l’a pressé de l’engrosser à répétition, se révèle vite une hystérique castratrice, mesquine et raciste, se servant des « petits » comme d’otages avec un machiavélisme de sorcière.
Situation tout à fait plausible, évidemment, comme ne manque pas de le relever la romancière se défendant avec virulence et prétendant justement dénoncer une plaie actuelle : l’usage guerrier que font les parents désunis de leur progéniture. Le hic, c’est que « les petits » existent bel et bien en réalité, et qu’Elise Bidoit se voit clouée au mur comme une araignée malfaisante, alors que Christine Angot, qui tombe le masque en fin de roman, se présente en narratrice «innocente». Mais celle-ci couche aussi, en réalité, avec le chanteur antillais du roman, et s’en donne à cœur joie pour mieux « enfoncer » la pauvre ex…
Or Elise Bidoit, fille d’avocat et consciente de ses droits, a choisi de se défendre. Ainsi a-t-elle confié son désarroi de femme, battue par son conjoint, puis humiliée publiquement par la romancière, à notre consoeur Anne Crignon qui a enquêté sur l’affaire avant de lui consacrer un article accablant, pour Christine Angot, dans Le Nouvel Observateur. Dans la foulée, une assignation à comparaître devant le Tribunal de grande instance de Paris, pour atteinte à la vie privée et familiale, sera délivrée à la romancière par Me Vincent Tolédano agissant pour Elise Bidoit. À préciser que, depuis un arrêt de la Cour de cassation de 1986 condamnant la publication par Grasset de Non lieu, roman sur le crime de Bruay en Artois, la jurisprudence a maintes fois confirmé sa position de principe sur le respect de la vie privée dans les œuvres de fiction. Ladite fiction peut-elle « tuer » ? Ce qui est sûr, c’est que la victime présumée de la romancière dit avoir tenté de se suicider après avoir lu Les Petits….
Genre tueuse
Sans se prononcer sur la qualité du roman, qu’il évoque cependant avec une moue dégoûtée, le romancier et critique Pierre Assouline conclut sur son blog fameux: « Tout romancier a le droit de faire un roman de sa vie, quitte à tordre le cou aux faits les plus têtus ; il n’a de compte à rendre qu’à lui-même puisque la fiction est par excellence le territoire de la liberté de l’esprit. Mais s’il exploite la vie des autres, il serait mal venu de s’étonner ou de s’offusquer de la révolte de ses personnages »…
Or, la Littérature, avec sa grande aile dont se drape Christine Angot, justifie-t-elle les pratiques de celle-ci ? Telle n’est pas, et de moins en moins, notre impression. De plus en plus, en effet, le sentiment que la romancière investit une posture, va de pair avec le constat, dans son écriture même, d’une recherche de l’effet, accrocheur voire brutal, vulgaire même.
Plus précisément : Angot se la joue duraille. Avec des mots-couteaux, des phrases-rafales, elle défouraille. Ou joue la suave, en fausse douce « concernée ». Stylistiquement alors: du sous-Duras mauvais genre, en plus affecté. Quant à l’esprit du roman : une sourde haine le traverse, vengeresse. Et « les petits » là-dedans ? Comme par un retournement logique des choses : c’est de la romancière qu’ils semblent ici les otages, piégés par sa tendresse feinte.
Et l’ange de la littérature dans tout ça ? Disons qu’il vole bas...
Christine Angot. Les petits. Flammarion, 187p. -
Un Candide alémanique
À propos de Circulations, de Matthias Zschokke.
La lecture de Circulations, de Matthias Zschokke, m’enchante. Il y a décidément quelque chose de walsérien chez lui, mais sans qu’on puisse parler vraiment d’influence; plutôt une forme commune de douceur et de mélancolie qui va de pair, chez l’un comme chez l’autre, avec une acuité d’observation tout à fait remarquable, frottée de la même malice vaguement panique.
C’est un observateur tout à fait singulier que Matthias Zschokke, dont le nouveau livre rassemble une quarantaine d’évocations absolument épatantes, des lieux le plus divers. Ce livre, peut-être notre préféré de l’auteur, demande cependant l’attention vive du lecteur. De fait, rien n’est flatteur de ce que dit Zschokke de Berlin (où il réside depuis trente ans) ou d’Amman en Jordanie, de Guggisberg surplombant son Mitteland natal ou de New York, de Budapest ou Baden-Baden, Petra ou Ascona, notamment.
Promeneur solitaire et rêveur oscillant entre la franche gaieté et des coups de blues mélancoliques, Matthias Zschokke n’est pas du genre à s’extasier devant les paysages « incontournables » et les monuments « à visiter absolument », sans les fuir pour autant. Sans doute les hordes qui « font la Thaïlande », les cars de Bataves ou de Bavarois, de Japonais ou d'Helvètes retraités le font-ils se tenir à l’écart, mais il n’en est pas moins curieux de divers lieux fréquentés par ses semblables, des auberges alsaciennes aux bains turcs ou aux spectacles d’opérettes de Budapest, en passant par les hauteurs alpestres du Val Maderan où se consomme le civet de chamois à la purée de gentiane et le rôti de marmotte.
Matthias Zschokke dit avoir fait dans sa culotte « d’enthousiasme » en entendant pour la première fois son parrain chanteur interpréter des Lieder, et le même enthousiasme le saisit tant d’années plus tard dans la touffeur sèche d’Amman où il se sent en constant « état amoureux », sans viser personne de spécial. Et le fait est que les séquences de Circulations s’agencent un peu comme une suite musicale, succession de fugues et de variations, qui le fait passer d’un petit concert bernois au grand ramdam new yorkais où sa première escale coïncide assez naturellement avec une course-poursuite de rue se soldant par quelques cadavres, à deux pas du logis que lui a ouvert une Association culturelle espérant stimuler un regard neuf…
Ce regard est souvent d’un Candide pince-sans-rire. L’humour de Zschokke me paraît unique, qui me rappelle juste, parfois, celui de l'irrésistible Diary of a Nobody; en Suisse, ni Hugo Loetscher, ni un Emil n’ont cette finesse et cette pointe, surtout, qui aiguise le regard de l’écrivain partout où il va.
Matthias Zschokke. Circulations (Auf Reisen). Traduit d el'allemand par Patricia Zurcher, Zoé, 268p.
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Copains d'abord
À La Désirade, ce mardi 25 janvier. – Je découvre ce matin, sur le blog de La Tribune de Genève, à l’enseigne des Blogres d’écrivains, le premier écho publié à la lecture de L’Enfant prodigue, sous la plume de mon ami Antonin Moeri. Cela me touche fort. Les gens qui me détestent ou qui ne peuvent pas piffer Antonin concluront évidemment au copinage. Ils auront tout à fait raison. Tonio et moi sommes de vieux copains. Il m'est arrivé maintes fois, naguère ou jadis, de promener feu mon chien Cliff avec son père, Emile Moeri, cardiologue et médecin attitré de Charles-Albert Cingria. Je viens par ailleurs d'encenser le dernier recueil de nouvelles d'Antonin, Tam-Tam d'Eden. Donc il eût été outrageusement indécent qu'il ne me renvoyât pas l'ascenseur deux mois après. Ah les vendus ! Les culottés ! Tous pourris-gâtés...
Mais voilà ce qu'écrit Antonin Moeri de L'Enfant prodigue:
« Qu’il évoque un square parisien, les vagues du Grand Océan, une promenade à Tokyo, le tableau d’un maître ancien ou une nouvelle de Patricia Highsmith, Jean-Louis Kuffer a l’art de capter l’attention de celui qui l’écoute. Une lecture attentive des textes de Charles-Albert Cingria a certainement développé chez lui cette disposition. C’est à quoi je songeais hier soir, dans une cave veveysane, où JLK a lu des passages de son dernier roman L’enfant prodigue, paru aux éditions D’autre part.
C’est dans un état voisin de la transe qu’il a rédigé ce livre. Les bonheurs d’écriture y sont si nombreux qu’un lecteur de ma sorte ne peut que donner son adhésion. L’enfance, la découverte des mots, puis des premiers émois liés à ce qu’il est convenu d’appeler la sexualité, la naissance et le premier fou rire d’une fille du narrateur, le lyrisme de nos dix-huit ans, le roman familial, la conscience de la finitude et de la mort, l’aube où le conteur ressaisit les parfums, les sonorités, les grondements, les soupirs et les couleurs d’un monde avec lequel une réconciliation est enfin possible, tout cela est raconté dans une langue de jubilation et de foisonnement qui vous entraîne comme un swing ou un quatuor de Shostakovitch.
Foisonnement des comparaisons, des propos entendus, des images, des mots à tout faire, des verbes surprenants, des cadences et des répétitions. JLK fait danser la phrase, lui insufflant une efficacité mimétique. Il nous fait voir ce qu’il imagine, il nous promène dans le cirque de sa mémoire avec la verve d’un prestidigitateur. Il ne se contente pas de décrire ou de faire parler des personnages, il apprivoise les mots, les nourrit, les soigne, les charge d’un sens particulier. Il fait chanter les oiseaux qui nichent en eux. Comme si le logos était notre seule défense contre la mort.
Et c’est cela que nous communique l’auteur. Par-delà bien et mal, un amour véhément de la vie qui n’évacue pas l’attention aux autres, à la femme demeurée que violentent les lascars du quartier, au petit Mickey méprisé par son père, battu par sa mère, et qui choisira la mort violente en se jetant sous un train. L’enfant prodigue est un long et magnifique poème que nous sommes invités à habiter. »À La Désirade, ce dimanche 26 février. - Il y a un mois que mon dernier livre a paru, et les échos qui m'en reviennent sont tous assez favorables, mais l'un d'eux me touche plus que les autres, d'un compère de blog que je n'ai jamais rencontré mais que je connais un peu comme un frère lointain, dont j'ai lu deux livres, qui m'a envoyé une merveilleuse peinture et qui vit aujourd'hui à Sheffiled en Angleterre avec les siens.
Il s'agit de mon ami Bona Mangangu qui m'a envoyé, l'autre soir, cette lettre que je tiens à publier ici, après l'en avoir remercié tout personnellement, d'abord parce qu'elle est belle et émouvante et ensuite parce qu'elle témoigne de la qualité des relations possiblement établie spar le truchement des blogs ou des réseaux sociaux.
Un livre est une bouteille à la mer, et bienheureux celui qui en reçoit une réponse de cette qualité:
«Cher grand! J'ai promis de revenir vers toi après la lecture de L’enfant prodigue. Hélas, j'en suis au point où un terrible silence me pousse à rejoindre la cohorte de ceux qui ont choisi de se taire pour laisser pénétrer l'émouvante beauté des choses en eux, l'émouvante beauté de tes mots, l'émouvante beauté de ce qu'ils véhiculent. Comment me délivrer de ce point où les mots impatientent pour dire l'indicible? Voici donc les mots qui ne peuvent dire ce qu'il faudrait dire en pareille circonstance. Les mots de rien, les mots tournant sur le vide, les mots happés par le vide d'une bouche close. Je regarde autour de moi. Aucune présence, les enfants sont ailleurs. J'ai cependant la sensation d'être entouré d'une présence. C'est une ombre. Comment fait-on pour s'appuyer sur une ombre? Elle semble épaisse, parfois labile, souvent légère. Comment la serrer dans mes bras? Il me reste la voix, pour aller d'un point à un autre, dans les allées du temps sans me déplacer dans l'espace. Comment dire l'indicible lorsqu'on porte des couteaux dans la gorge, des rouleaux dans la voix. Non, non, les silencieux ne se taisent pas à jamais. Ils entendent, ils nous parlent, ils écoutent. Des voix vont et viennent. Celles que tu convoques, celles que ton Oratorio de l'enfance évoque, les miennes également, par ricochet; celles que je ne peux décrire, celles qui ont longtemps rejoint le royaume des aubes sans fin. Ta voix a libéré la mienne en me rendant tour à tour bègue, aveugle, bavard, clairvoyant. Et c'est par cette opération que je puis désormais faire bégayer le palimpseste redoutable de ma propre mémoire, je puis faire trembler mes ombres, convoquer leurs voix. Comment dire lorsqu'on porte les rouleaux dans la gorge, comment dire? J'écoute Novalis: « Parler pour parler est une forme de délivrance ». C'est ce que je fais en ce moment. Puis, te dire merci pour m'avoir transmis autant d'émotions, autant de frissons par ta poésie. Cela fait longtemps que je n'ai éprouvé de telles sensations devant un livre. Merci pour l'Enfant, du fond du coeur. Mon corps est enceint d'un enfant à venir. Pardon pour le bégaiement que tes mots ont suscité. »
Bona, le bègue.
Jean-Louis Kuffer. L'Enfant prodigue. Editions d'autre part, coll. Le Passe-Muraille, 288p.
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Ceux qui boostent leur Timing
Celui qui se dit overbooké par son job / Celle qui se profile dans le rooming / Ceux qui flirtent backstage / Celui qui gère la guest star / Celle qui se paie un Sweet Home flashy / Ceux qui optionnent les capteurs / Celui qui crashe sa console / Celle qui se dit out après son shooting / Ceux qui planchent devant le Power Point / Celui qui snobe la Top Doll / Celle qui se givre au Bloody Mary / Ceux qui merchandisent les labels juniors / Celui qui manage le relationnel de ses filles briefées Old Style / Celle qui sponsorise la garden party du boy friend de son neveu trader / Ceux qui ne kiffent pas les snuff movies / Celui qui tarde à checker son matos / Celle qui se shave le pussy / Ceux qui mobbent le nain Bad Babe / Celui qui se ramasse un burn out destroy / Celle qui relève le défi du challenge en surfant sur la vague hype / Ceux qui font leur come back genre success story / Celui qui slame dans le sloop du steamer / Celle qui fait un master en brain coaching / Ceux qui performent au moment du casting / Celui qui se dit cool pour se la jouer soft / Celle qui se fait un brushing avant le Skype Dinner avec son ami Gary / Ceux qui novélisent la confession de l’escort girl / Celui qui fait du chilling dans la chatroom/ Celle qui raffole des barbecues au marshmallow / Celui qui se prend du cash pour un soir de fun / Celle qui se sent down / Ceux qui se déloguent de Facebook, etc.
Image : Philip Seelen -
Ceux qui se trouvent bien partout
Celui qui estime que rien ne lui survivra / Celle qui affirme que Selle du baigneur d’Alfred Cahen est le plus grand roman d’amour de tous les temps / Ceux qui condamnent d’avance toute création nouvelle non soumise au contrôle des Mentors / Celui qui est payé pour exercer le Tutorat des jeunes plumes / Celle qui dirige le Bureau d’écriture automatique / Ceux qui obtiennent des subventions pour un projet qu’ils définiront ultérieurement en sous-commission / Celui qui ne fréquente que les résidences d’artistes avec piscines / Celle dont l’œuvre poétique est marquée par sa condition de femme d’attaché culturel à Bratislava / Ceux qui écrivent en résidence surveillée / Celui qui dit rêver d’Ailleurs comme on bâille / Celle qui erre dans Berlin avec le sentiment qu’elle est nulle part et partout à sa place / Ceux qui sourient à leurs souvenirs de l’été de la mort d’Hemingway qui fut aussi celle de Louis-Ferdinand Céline / Celui qui avait dix ans lors de la Tragédie de l’Eiger que les journaux appelaient l’Ogre de l’Oberland / Celle qui s’assied sur le banc offert par la Société des Dames Abstinentes / Ceux qui sont conscient de leur bon droit et n’en tirent aucun autre avantage que de passer tout le dimanche après-midi sur le banc offert à la communauté par la Société des Porteurs de Flamme / Celui qui se retrouve au Don Manoel de Porto où il oubliera le carnet noir dans lequel il a noté sa résolution d’en finir et l’oubliera elle aussi / Celle qui offre du vinho verde au désespéré et lui montre les testicules de son grand lapin / Ceux que la vie ne cesse d’interloquer même au Portugal ces jours de brouillard sur le front atlantique / Celui qui te reproche d’espérer plus d’enfants / Celle qui te prépare une soupe de chalet après ta grand virée sous les pics d’Europe / Ceux qui circulent avec bonheur dans les Circulations de Matthias Zschokke qui évoque Berlin, Amman, Budapest, Val Maderan, New York, Ascona et tant d’autres lieux avec la même originalité rare, etc.
(Liste établie en marge de la lecture de Circulations de Matthias Zschokke, recueil de notes de voyage paru récemment chez Zoé) -
Ceux qui reviennent sur leurs pas
Celui qui voulait juste revoir les fresques de Piero / Celle qui affirme que ce rouge-là est unique au même titre que le rouge Rothko / Ceux qui ont reconnu la Piazza Grande d’Arezzo sans l’avoir jamais vue qu’en rêve ou peut-être dans un film de Zeffirelli va savoir / Celui qui se rappelle qu’on appelait piafs les Italiens dans les années 60 mais qui ne se résout pas à qualifier d’Italiens les moineaux de Terontola / Celle qui t’a agressé au bar de Camucia au lendemain de l’assassinat d’Aldo Moro sous prétexte que tu défendais ce résidu de bourgeoisie pourrie / Ceux qui regrettent le temps du Duce pour des motifs à la fois nationaux et socialistes / Celui qui a juste eu le temps de graver ses initiales au pied de la statue de Pétrarque entre deux rondes du gardien / Celle qui loupe son train à cause de l’éloignement de l’edicolo et de sa jambe de bois / Ceux qui ne pensaient pas que la bataille de Trasimène se fût déroulée dans une région aussi touristique / Celui qui remonte la pendule de la paralytique / Ceux qui participeront au prochain Festival des Désespérés où Guido Ceronetti se fendra d’une performance / Celui qui boit du thé au miel dans la minuscule cuisine du Maestro qui lui rappelle discrètement que c’est le thé qui le boit et le purifie de son fiel / Celle qui fait la vaisselle du philosophe inconnu qui n’est pas loin de considérer que c’est un honneur qu’il lui fait enfin quoi / Ceux qui n’ont en commun que la fosse qu’ils appellent Jardin du Souvenir / Celui qui garde un chien de sa chienne à celle qu’on appelle la Renarde / Celle qui masse le bel aveugle fumeur de joints qu’enveloppe une odeur doucement écoeurante / Ceux qui vont fumer sous la marquise / Celui qui fleure le vieux caleçon moite de rond-de-cuir esseulé / Celle qui se sent plus propre de fréquenter les Salésiens / Ceux qui ont fait du cheval avec Gurdjieff sans présupposé sectaire pour autant / Celui qui se dit cathare parce qu’il tousse / Celle qui est trop coquette pour marner / Ceux qui mordent la poussière d’étoiles / Celui qui joue son va-tout-à-l’égout / Celle qui te fait une mine anti-personnelle / Ceux qui ne savent pas où tout ça finira et ne seront plus là pour le constater à moins que vous ne les consultiez en temps utile en suivant les procédure habituelles, etc.
Image : Guido Ceronetti -
Le double secret
À propos d’ Olivier, dernier récit de Jérôme Garcin
Jérôme Garcin écrit, parle et mène ses diverses activités comme il monte à cheval: calme et droit. Les lecteurs du Nouvel Observateur, dont il dirige les pages culturelles et de ses vingt livres, autant que les auditeurs de l’émission radio Le masque et la plume apprécient son style qu’on pourrait dire de main ferme dans un gant de velours.
Personnage public et personne privée cohabitent chez lui avec une harmonie enjouée de façade, dont son mémorable Théâtre intime (Gallimard, 2003) a déjà laissé entrevoir les zones sensibles toujours à vif. Elles sont notamment liées à la mort accidentelle de son frère jumeau Olivier, à leurs 6 ans, et celle de son père, tombé d’un cheval fou à l’âge de 45 ans.
Evoquant sa «carrière méandreuse de Tintin au pays des arts et des lettres», l’auteur d’un très futé Dictionnaire (François Bourin, 1988), consacré à la littérature française contemporaine et rédigé par les auteurs eux-mêmes priés de composer leur propre nécrologie (!), disait en préface y exercer le «sibyllin métier de journaliste culturel». Il avouait prendre «un insatiable plaisir à vivre quotidiennement entre la scène et le public, entre l’acteur et le spectateur. Au point de ne plus savoir vraiment s’il est le souffleur du premier ou l’ouvreuse du second, ni dans quelles proportions le cabot professionnel et le consommateur ordinaire se retrouvent chez lui»…
L’aventure publique de Jérôme Garcin a commencé sous les couvertures de son lit d’enfant de 10 ans et des poussières. Avec, pour «second oreiller», le premier poste de radio portatif que lui offrit sa mère. C’est par son truchement qu’il s’installa sur France Inter ; là qu’il découvrit le monde et, un soir de la fin des années 60, Le masque et la plume de Francois-Régis Bastide et son gang de critiques redoutés. Il reprit la direction du fameux programme en 1989, succédant alors à Pierre Bouteiller. Dans la foulée, précisons que Garcin se lança dans la critique dès ses 20 ans, aux Nouvelles littéraires, et qu’il fut successivement rédacteur en chef à L’événement du jeudi, animateur et producteur à la télévision. Pour la rubrique people, il épousa Anne-Marie Philippe, fille d’un Gérard de légende…
Jérôme Garcin est-il trop modeste pour se poser en écrivain alors que ses livres «personnels» s’inscrivent, avec élégance et sensibilité, dans le droit fil des chroniqueurs et des moralistes de la «ligne claire»? Disons plutôt qu’il reste élégamment réservé, digne descendant d’une longue lignée de médecins cultivés, républicains et catholiques, interrompue par son père, Philippe.
Or l’écriture n’a pas moins été décisive dans sa trajectoire personnelle, qu’il rende hommage aux autres (tels Jean Prévost, Bastide son mentor, Jacques Chessex son ami ou Bartabas l’écuyer-artiste) ou qu’il poursuive son travail de deuil et d’exorcisme «du côté de la vie.
Un exorcisme
"Je viens d’avoir 53 ans; nous venons d’avoir 53 ans. Je n’aime pas ce rituel (…) Il ravive une colère d’enfant révolté par l’injustice, une hébétude, un effroi, dont, malgré tous les efforts qu’on fait pour se tenir droit, on ne se relève jamais." Ainsi commence ce récit, prenant parfois à la gorge mais qui n’est plus de deuil: plutôt de double ressaisie, par l’intime et par l’«extime» psychologique, voire médical. Il interroge alors la petite enfance partagée par deux complices fusionnels et, plus «objectivement», le phénomène singulier de la gémellité. «Survivre à son frère jumeau est une imposture. Pourquoi moi, et pas toi?» s’est longtemps demandé Jérôme le solide, le terrien, le gourmand de la vie, alors que son frère Olivier semblait, en la «délicatesse suspecte» que capte une dernière photo, voué à ce destin tragique. Mais "c’est si facile de faire parler, longtemps, après, les petits morts"...
Or, oscillant entre la remémoration de la tragédie, à laquelle s’est ajoutée la disparition prématurée du père, une réflexion sur la mort des enfants et un regard sur la vie qui continue, ce récit touche aussi par sa musicalité intérieure.
Jérôme Garcin. Olivier. Gallimard, 152p.
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Back Zapping
Regard rétrospectif sur une année de lecture
Que reste-t-il de nos lectures de l’année écoulée ? Quels livres, lectrice ou lecteur, nous ont vraiment marqués ? Quel jugement critique serions-nous portés à développer ou à réviser avec le recul des jours ? Quel rendez-vous aurons-nous manqué ?
Autant de questions, entre autres, qui peuvent orienter un bilan transitoire à la fois partiel et partial, que chacun nuancera ou contredira à sa guise…
Jacques Chessex post mortem
Trois mois après la mort subite de l’écrivain vaudois, survenue le 9 octobre 2009, son dernier roman, encore corrigé de sa main, a paru dans un climat de scandale local exacerbé (on pourrait dire aussi commercialement boosté) par la mise du livre sous préservatif de cellophane, assortie d’une interdiction aux mineurs, à vendre donc comme un vulgaire magazine porno alors que Sade, Genet ou Bataille sont en poche et en vente libre dans les librairies. Tout cela qui relève du flafla hypocrite, mais le livre ? Sinon du grand Chessex : une assez forte figuration baroque de la dernière année du divin Marquis, alerte, insolent à souhait, enlevé, avec une frise de personnages bien silhouettés et un épilogue cocasse lié à la survie posthume du crâne fameux, qui rayonne encore comme un déchet nucléaire. Dernier pied de nez de l’écrivain aux puritains calvinistes ? On l’a dit un peu facilement, alors que l’inspiration claire-obscure de Maître Jacques est fondamentalement d’un puritain poète au lyrisme puissant, styliste parfois étincelant et merveilleux, mais aux pouvoirs nettement plus limités dans le registre du roman.
Jacques Chessex. Le dernier crâne de M. de Sade. Grasset, 170p. °°°Sainte Flannery
L'oeuvre fascinante de Flannery O'Connor (1925-1964) est ici réunie en un fort volume, avec une préface pertinente de Guy Goffette, un aperçu bio-bibliographique très substantiel, deux romans dont La Sagesse dans le sang (adapté au cinéma sous le titre Le Malin par John Huston), des essais éclairants, la correspondance également incontournable, réunie sous le titre de L'Habitude d'être, et enfin, et surtout pourrait-on souligner; les trois recueils de nouvelles qui lui valent la plus haute estime: Les Braves gens ne courent pas les rues, Mon mal vient de plus loin et Pour quoi ces nations en tumulte ?
De Faulkner à Le Clézio, les plus grands ont salué cette nouvelliste sans par eille, d'un humour, d'un mordant, d'une empathie humaine et d'une pénétration spirituelle qui ont pu la faire comparer à un Bernanpos au féminin transporté dans le Deep South de sa Georgie natale.
Flannery O'Connor. Oeuvres complètes. Gallimard, coll. Quarto, 1229p. °°°°
Cinquantenaire de la mort d’Albert Camus
Les commémorations saturent désormais les médias, dans un emballement que stigmatisait le regretté Philippe Muray, non sans raison. Mais rappeler quelle perte signifia, pour la littérature française de la deuxième mnoitié du XXe siècle, la mort accidentelle d’Albert Camus, le 4 janvier 1960, peut être l’occasion de rendre justice à un auteur stupidement rabaissé au rang de « philosophe pour classes terminales ». Surtout, on en profitera de rappeler l’urgence de lire Le Premier homme dont le manuscrit inachevé fut retrouvé dans la Facel-Vega fracassée de Michel Gallimard et qui annonce, de toute évidence, un nouveau départ dans l’œuvre du romancier dont la puissance d’évocation et la pâte humaine n’avaient jamais connu cette densité et cette ampleur. À relire aussi dans la foulée : La Chute évidemment, chef-d’œuvre dostoïevskien, le discours de Stockholm que fonde une éthique clairement réaffirmée, ou les magnifiques proses de Noces, par exemple. Tout cela disponible en poche ou en Pléiade, salon les moyens de chacun… °°°°
L’Amérique parano d’Ellroy
James Ellroy achève sa trilogie historico-panique avec Underworld USA, évoquant la face sombre des années Peace & Love, sinistre suite de tragédies amorcée en 1963 par le « grand moment » de l’assassinat de JFK, premier des complots suivi par les exécutions de Martin « Lucifer » King – selon le mot de l’affreux Hoover – et de Robert Kennedy, bête noire de ce dernier, jusqu’à la réélection de Nixon. Non sans brio, le maître du roman noir californien brosse une fresque grouillante sans donner, aux personnages de premier rang, le relief qui donnerait à l’ensemble sa valeur de chronique «à l’antique». Ellroy, si remarquable parfois dans ses romans plus serrés, se perd dans cette vision somme toute paranoïde et confuse, qu’on dira finalement l’Amérique d’Ellroy. Mauvais signe enfin : un an après sa lecture, on ne se souvient presque de rien d’Underworld USA…
James Ellroy. Underworld USA. Rivages/Thriller, 840p. °
Au Jardin de Philippe Sollers
Plus de 900 pages pour détailler son amour de l’amour, du bonheur, de la musique de Mozart et de la peinture de Fragonard, entre cent autres célébrations passagères (Hugo, Fitzgerald, Cioran, Beauvoir, etc.) ou récurrentes (Rimbaud. Nietzsche, Joyce, Dante), et comment le rejeter sous prétexte qu’on ne peut pas sacquer le personnage parisien, frimeur de première évidemment ? Or, Sollers a beau ne pas aimer qu’on préfère chez lui le critique au romancier, ou le liseur, le passeur, comme on voudra : le fait est que c’est par le chemin des autres qu’on le suit le plus volontiers à la rencontre de lui-même, essayiste inépuisable qui a l’art de sensibiliser tout ce qu’il touche et de l’inscrire dans sa mosaïque toute personnelle. Après La guerre du goût et l’Eloge de l’infini, cette suite représente, autant que les précédents, plus qu’un banal recueil de textes publiés dans les journaux, magazines et autres revues : un formidable Work in progress où puiser sans relâche à son tour.
Philippe Sollers. Discours parfait. Gallimard, 918p. °°°°
Jauffret forcément noir
Le noir a toujours marqué les romans de Régis Jauffret, souvent avec une sorte de complaisance morbide, à croire que l’écrivain « projette » sa sinistrose intime plus qu’il n’observe le monde tel qu’il est. À meilleure preuve : la frise lugubre de ses Microfictions, perdant de leur crédibilité à force de gros traits affreux. Or je suis loin d’être gêné par la noirceur – je place très haut la pure horreur de J’étais Dora Suarez, de Robin Cook -, mais je n’aime pas l’artifice affectant la noirceur. Surprise là-dessus : Sévère sonne plus vrai, qui constitue la mise en voix de l’affaire Stern, où le romancier parle au nom de la meurtrière, dans une forme cinglante qui n’a pas valeur de plaidoyer pro domo mais aide à certaine compréhension. Hélas, à un an de distance, rien ou presque ne me reste de ce roman « de circonstance »…
Régis Jauffret. Sévère. Seuil, 160p. °Le poète et les philistins
Paul Léautaud affirmait qu'un prix littéraire, comme une médaille à un bovin aux comices agricoles, déshonorait un écrivain... mais c'était après qu'il eut pas mal espéré le Goncourt pour Le petit ami. De son côté, Thomas Bernhard veut bien des prix, pour les facilités financières qu'ils lui rapportent, mais ce n'est pas pour autant qu'il se mettra à plat ventre - c'est le moins qu'on puisse dire - devant ceux qui l'honorent, et notamment ceux qui le font pour s'honorer eux-mêmes sans lui montrer le moindre intérêt. Huit récits et trois discours, dont une incroyable diatribe qui mit en rage un ministre de la culture et fit fuir la compagnie, composent ce cocktail explosif et délectable, illustrant autant le ridicule de scertaines institutions culturelles que la vanité blessée de l'écrivain. Curieusement, ce livre épatant resta inédit du vivant de l'auteur, disparu en 1989, mais ceux qui aiment TB se jetteront dessus ! °°°
Thomas Bernhard. Mes prix littéraires. Gallimard, coll. Du monde entier, 137p.
Nos années « russes »
La réapparition, ces derniers jours, au premier rang de la scène internationale, de l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski, qui fut l’homme le plus riche de la Russie et que Poutine, de plus en plus fortuné pour sa part, a « sacrifié » pour des raisons tout autres que morales ( !), rappelle l’improbable quête-enquête d’une des protagonistes de ce roman, qui évoque l’évolution de la Russie et des sentiments qu’a pu inspirer ce pays mythique à travers les générations. S’il n’est pas vraiment drôle, en dépit de l’humour qui en imprègne les pages, ce roman est en revanche original, très prenant en ses premières pages chorales et attachant ensuite par le jeu des relations douces-acides entre ses personnages. Une espèce de spleen, évidemment tchékhovien, en marque la tonalité sur l’air de la jeunesse perdue…
Catherine Lovey. Un roman russe et drôle. Zoé, 224p. °°°
Voir Bakou et ne pas mourir
La bourlingue rêveuse, érudite et grappilleuse, épique et poétique à la fois, donc forcément cendrarsienne sur les bords, d’Olivier Rolin, se poursuit ici sur le ton du journal-fiction relancé par auto-référence. Six ans après une première escale, et pour déjouer ( ?) un suicide annoncé en 2004 dans Suite à l’Hôtel Crystal, censé se réaliser en 2009, l’écrivain revient sur le lieu du crime et en tire un livre où son art de l’évocation donne le poids qui manque à la nécessité fondamentale (à mes yeux en tout cas) du projet.
Olivier Rolin. Bakou, derniers jours. Seuil, 173p. °°
Uchronie helvète
Les succès glanés en Germanie font désormais apparaître des auteurs en traduction française, via Paris, qui modifient nettement les rapports entre Confédérés de langue différente. Un journaliste parisien à la mode proclame tout à coup que le jeune Christian Kracht est un auteur suisse à ne pas louper. Ah Bon ? Comme on est curieux, on va y voir, pour découvrir un roman tout à fait curieux, de type uchronique, décrivant une Suisse soviétisée en guerre contre l’Allemagne nazie gagnante en Europe. Le roman punkoïde ne manque pas de chien mais est un peu court dans ses développements, le dino Dürrenmatt est allé plus loin et plus profond dans ses variations sur le Réduit national, mais la chose ne manque pas de sel.
Christian Kracht. Je serai alors au soleil et à l’ombre. Jacqueline Chambon, 142p. °°
Suter ou l’excellence
Martin Suter est au roman suisse à succès ce que Roger Federer est au tennis mondial : il réussit. Avec de vraies réussites romanesques, à commencer par Small World, étonnante plongée dans le dédale de la maladie d’Alzheimer, et des récits d’époque magnifiquement ficelés, abordant à chaque fois des thèmes intéressants au fil de stories crédibles. Storyteller : c’est l’auteur nouveau qui séduit sans faire forcément la pute, ce qu’un certain milieu littéraire a de la peine à avaler, qui rêve de réussite « pure ». À cet égard, Le cuisinier joue sur un velours tout de même équivoque : la passion des gens pour la cuisine, et en l’occurrence corsée de pouvoirs aphrodisiaques, et la mauvaise conscience des Suisses par rapport aux immigrés, en l’occurrence Tamouls. Résultat ? Une excellente story, fine et sensible, bien documentée sur les milieux traversés, propre en ordre comme un match de « rodgère », le top de la compétence, mais c’est ailleurs qu’on ira chercher failles et les vertiges qui font la grande littérature.
Martin Suter. Le Cuisinier. Christian Bourgois, 343p. °°
La tache américaine
Après Bret Easton Ellis, avec American Psycho, et La Tache de Philip Roth, un nouvel auteur se révèle en force avec un roman qui met en contraste deux sociétés antinomiques : celle des nouveaux traders de Wall Street, prêts à tout pour faire de l’argent avec l’argent, et celle de l’ancienne élite intellectuelle que représente la vieille prof d’histoire Charlotte, sœur du Président du Trésor. Entre Douglas Panning le battant sans scrupules, marqué à vie par une bavure militaire qu’il a vécue durant la guerre du Golfe, et Charlotte, titube un tout jeune ado sans repères dont le père, ruiné et suicidé, symbolise la ruine d’un Système déliquescent. Le roman ne se réduit pas pour autant à une démonstration : c’est un livre vrai qui fait mal, admirablement conçu et construit, filtrant aussi bien les composantes complexes de l’économie, et restituant aussi les nuances physiques ou affectives de la vie. À mes yeux : une des lectures les plus marquantes de l’année.
Adam Haslett. L’intrusion. Gallimard, 362p. °°°°
Un amour paradoxal
Après deux premiers romans affirmant une voix et une vision du monde assez proche de celle de Jacques Chessex, sur fond de puritanisme et de désirs contrariés, Anne-Sylvie Sprenger relève un défi romanesque assez casse-cou en revisitant le drame de Natascha Kampusch, la séquestrée autrichienne, dans un contexte romand et avec une paire de personnages crédibles en dépit de l’extravagance de leur confrontation. On connaît le phénomène qui fait s’attacher un otage à ses gardiens, précisément documenté par Kampusch. Mais la romancière investit ici un espace narratif propre, où la séquestrée devient en somme le maître du jeu, aimante et donneuse de vie, que son prédateur névrosé ne parviendra pas à suivre dans son dessein libérateur. Elliptique, et parfois abrupt, le roman n’en pose pas moins de vraies questions, et sa musique y ajoute.
Anne Sylvie Sprenger. La veuve du Christ. Fayard, 152p. °°°
Volodine multiface
Trois romans d’un coup, sous trois pseudos différents, à commencer par Ecrivains d’Antoine Volodine : cela devait faire un grand coup éditorial, qui a été dûment relayé par les médias, mais dont il reste quoi passé l’effet d’annonce ? C’est ce que je me demande tout de même après une année, et même appréciant la tentative de Volodine de constituer tout un univers imaginaire parallèle, aux multiples ramifications. Cela étant, et pour l’essentiel, la démarche collective du post-exotisme me semble de plus en plus montrer ses limites, manifestes en tout cas dans la mise en relation de ces trois livres de Volodine, Manuela Draeger et Lutz Bassman. Rien à voir, évidemment, avec le développement des œuvres hétéronymique d’un Pessoa, inventant à chaque fois des langues et des univers différents. Ici, l’idée d’un collectif travaillant à divers degrés sur une œuvre multiforme est intéressante à l’état de projet, mais son aboutissement littéraire laisse tout de même perplexe, pour parler gentiment.
Antoine Volodine. Ecrivains. Seuil, 185p. Lutz Bassmann. Les aigles puent. Verdier, 160p ; Manuela Draeger, Onze rêves de suie. L’Olivier, 196p. °°
Premier galop
Le critique littéraire guette la relève avec attention, impatient de découvrir une nouvelle voix, et particulièrement dans la jeune génération. Or il m’a semblé déceler, chez Cécile Coulon, comme chez Sacha Sperling à la fin de l’année précédente, un ton et une vivacité, un talent de narration et un potentiel annonçant peut-être un écrivain à venir en dépit des limites de cette variation « américaine » sur des thèmes rabattus par des auteurs « cultes » à la Carver et autres Carson McCullers. Reste à voir si la promesse de ce premier roman se confirmera, comme on l’attend aussi de Sperling…
Cécile Coulon. Méfiez-vous des enfants sages. Viviane Hamy, 107p. °°
Comme un chœur proustien
L’évidence d’un talent littéraire nouveau avait été remarquée dès la parution d’Une éducation libertine, confirmée avec Le sel, deuxième roman de Jean-Baptiste del Amo d’une tonalité toute différente. Les relations « sourdes » entre membres d’un même clan familial en tissent la substance vocale, très finement modulée par des dialogues qui s’inscrivent dans le flux d’une narration à multiples points de vue. Parfois trop marqué, le tour « littéraire », parfois trop ostensiblement « poétique» du roman nuit à son déploiement naturel puissant, lié à des situations fortes. Bien dessinés pour la plupart, les personnages pèchent ici et là par schématisme, à la limite de la caricature, à commencer par la figure du père dominateur contesté dans ses positions. Encore un peu formaliste et fié, le roman annonce cependant un vrai tempérament d’écrivain dont la modulation narrative du temps en impose.
Jean-Baptiste del Amo. Le Sel. Gallimard, 284p. °°
Un comique tout actuel
L’imagination « sociologique » des écrivains francophones est assez pauvre, et notamment en Suisse romande. J’entends par là que rares sont les auteurs qui traduisent, par leur observation, les faits et les mouvements significatifs qui « travaillent » nos sociétés en mutation, ou qui captent les faits de langage caractéristiques de ces changements, comme sait les ressaisir un Michel Houellebecq. Or, avec plusieurs romans et autres recueils de nouvelles, Antonin Moeri a bel et bien montré cette capacité, corsée par un sens du comique, du grotesque ou de la dérision qui font merveille dans son dernier recueil, savoureux en diable et ressaisissant un climat « classe moyenne » typique de la nouvelle société consommatrice et « positive » en diable. La chose est d’autant plus cocasse que ces nouvelles se passent, pour majorité, dans un bourg de la riviera lémanique chère au vieux Ramuz, qui souffrirait sans doute de voir à quel point le village planétaire a colonisé nos vénérables rivages vignerons où se pointent informaticiens névrosés et négresses pétant de santé…
Antonin Moeri. Tam-tam d’Eden. Campiche, 235p. °°°
Une voix nouvelle
Surprise épatante dès les premières pages de L’Embrasure : une voix, un allant irrépressible, un regard sur l’homme et la nature marquent l’apparition d’un nouvel écrivain en la personne de Douna Loup. On pense à La Bouche pleine de terre de Branimir Scepanovic en lisant ce récit d’un chasseur confronté à l’énigme de la destinée humaine, et aux instances secrètes de la mort, qui a cru pouvoir vivre en parfaite autarcie masculine et découvre un autre monde avec celle qui a été rebaptisée Eva. Sans une hésitation, malgré le recul des mois, ce livre m’apparaît comme un des cadeaux de l’année 2010, promesse qui nous fait attendre beaucoup de la jeune romancière genevoise.
Douna Loup. L’Embrasure. Mercure de France, 184p. °°°
Le roman à venir
Tonique et passionnant de bout en bout : tel m’est apparu Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal, listé sur la plupart des grands prix et gratifié d’un très mérité Médicis. La mention actuelle de Jules Romains fait très vieux jeu, que John Dos Passos mettait pourtant bien plus haut, à l’époque, qu’un Sartre ou que d’autres romanciers français, pour sa vision panoramique de la métropole parisiennes (Dans Les Hommes de bonne volonté) et sa façon de faire parler la communauté des hommes. En l’occurrence, la romancière nous propose un vrai roman de la mondialisation, dont le chantier géant du pont de Coca est le lieu. Epique et lyrique, polyphonique et conçu comme un merveilleux meccano mobile, ce roman vaut enfin par son rythme et ses qualités d’évocation, qui pallient ses limites dans la réalisation de ses personnages, dont la plupart restent stylisés, voire un peu schématiques.
Maylis de Kerangal, Naissance d’un pont. Verticales, 315p. °°°°Un génie revêche
Après Zatopek et Ravel, Jean Echenoz faufile une troisième biofiction sur le canevas de la vie et des oeuvres d'un ingénieur-artiste dont nous suivons l'irrésistble ascension, dans l'Amérique en train de s'électrifier à outrance, puis le déclin et la chute en douceur, dans un tourbillon plus ou moins odorant de plumes de pigeons - une autre de ses passions. En filigrane se module une réflexion-méditation frottée d'un rien de mélancolie, sur la captation des inventions des poètes par les tâcherons de l'utilitaire, la solitude de l'artiste et la beauté de l'Inutile. Tout cela porté par une écriture fluide et merveilleusement évocatrice, avec quelque chose de souplement constructiviste, si l'on ose dire - et l'on ose.
Jean Echenoz. Des éclairs, 180p. °°°
Adieu à Georges Haldas
C'est un grand écrivain de la Relation qui a disparu le 24 octobre 2010 à Lausanne en la personne de Georges Haldas, âgé de 93 ans et laissant qui laisse une oeuvre d'une centaine de titres, où domine la ressaisie de l'instant ou du temps déployé dans une constellation de chroniques inépuisables. Ses premiers livres marquants, Boulevard des Philosophes (1966) et Chronique de la rue Saint-Ours (1973), rendent hommage au père grec, un peu déclassé, communiquant à son fils la passion du football et l'attention à la chose politique, puis à la mère, figure discrète magnifiée, aussi, dans le recueil poétique des Funéraires. Quoique défendue à Paris par Georges Piroué, chez Denoël, l'oeuvre d'Haldas ne passa jamais vraiment la barrière du Jura, n'était par le truchement des éditions L'Age d'Homme, où Vladimir Dimitrijevic publia l'essentiel de ses livres. Dès 1975 parurent ainsi les quatre volumes, parfois bien touffus, de La Confession d'une graine, les seize volumes des carnets quotidiens de L'Etat de poésie, et quelques ouvrages plus largement connus du grand public, tel le triptyque de La Légende des cafés (1976), La Légende du football (1981) et La Légende des repas (1987). °°°°
Candide nègre
Ce livre manquait, qui joue avec brio sur les clichés de ce qu’on pourrait dire le Feuilleton planétaire, avec son carnaval échevelé de fantasmes recyclés tous les jours par les médias mondiaux. Le modèle voltairien du Candide n’est pas immédiatement évident, et pourtant c’est bien cette figure de témoin plus ou moins ingénu que l’auteur promène d’Afrique à Hollywood, puis des paradis du tourisme sexuel à la Suisse des femmes de banquiers frustrées. Peut-être déstabilisé, dans les premières pages, par la charge énorme sur l’Afrique à la fois pillée et cupide, le lecteur comprend ensuite que tout le roman se développe en deuxième degré sarcastique, parfois jusqu’à saturation. L’abus des marques citées, comme chez Bret Easton Ellis, ou des références musicales constituant la « bande-son » du livre, alourdit l’ouvrage, dont le tonus reste impressionnant.
Jean-Michel Olivier. L’Amour nègre. Bernard de Fallois/ L’Age d’Homme, 350p. °°°Bonaparte au col de l'Histoire
C'est un récit des plus originaux que ce nouvel aperçu, qu'on pourrait dire intimiste et très minutieusement descriptif, au demeurant, du fameux épisode du passage du Saint-Bernard par Bonaparte et son armée, en mai 1800. Comme en abyme, puisqu'il s'agit d'une leçon particulière à épisodes commandée au narratateur par un bon père, pour l'édification d'une demoiselle Oth, sa fille, l'épique épisode joue beaucoup sur un subtil mimétisme, puisque le prof s'ingénie à capter l'attention de sa pupille plutôt fascinée par telle maîtresse de Bonaparte en Egypte, tel fringant général (le superbe Desaix promis à la plus subite mort à Marengo) ou tel prince victime du sombre sacrifice qu'on sait (le duc d'Enghien), quand elle ne s'intéresse pas plus trivialement à l'intendance, détaillée à la folie. Or, de tout cela se dégage une vision kaléidoscopique du drame napoléonien, traité dans une sorte de spirale temporelle relevant de la rêverie romanesque au meilleur sens.
Jean-Yves Dubath. Bonaparte et le Saint-Bernard. D'autre part, 153p. °°°
Vitelloni à la valaisanne
On se rappelle en souriant les dadais provinciaux de Fellini, dans Les Vitelloni, en suivant les pérégrinations du double romanesque d'Alain Bagnoud, fils de vigneron du Valais qui débarque à Genève pour y faire ses études de lettres non sans hésiter entre les carrières de chanteur de rock, de peintre ou d'écrivain. Le titre de ce troisième volet d'un triptyque autiobiograpique (après La Leçon de choses en un jour et Le jour du dragon) est emprunté à un standard de Marclette Honoré, The Blues of passing vocations, sur lequel ont rêvé le protagoniste et ses compères Dogane (le fils d'immigrés italien dandy dont les errances sexuelles inquiètent un peu son ami), Léonard (le chanteur et guitariste du groupe The Dragon), entre autres figures de cette semi-bohème juvénile détonant plus ou moins dans la communauté encore soudée du lieu, où les émules de Dylan & Co se contentent pour le moment de faire les bals locaux...
Après un début qui rend bien le malaise du jeune plouc débarquant dans la grande ville froide où il a le sentiment d'être snobé par tout le monde, l'auteur égratigne les poses artificielles des étudiants se piquant de modernité jargonnant à qui mieux mieux, dans une veine qui se veut satirique mais qui lui convient peu, par trop lourdingue. Bien meilleur dans l'évocation des atmosphères et des personnages de son environnement naturel, et surtout après son retour au pays, Alain Bagnoud excelle à saisir la gêne liée au choc des mentalités, entre parents paysans et jeunes gens en train de s'américaniser, Valais traditionnel et nouvelle culture émancipée. Au fil de dialogues aussi elliptiques que significatifs, avec pudeur et tendresse, l'écrivain restitue bien ce moment des grandes espérances universalistes des années 70 en butte à la réalité rabat-joie de la Suisse profonde.
Alain Bagnoud. Le Blues des vocations éphémères. L'Aire,206p. °°
Portrait en creux
J.M. Coetzee n'est pas du genre à se flatter, comme on a déjà pu le constater à la lecture des Scènes de la vie d'un jeune garçon et de Vers l'âge d'homme, deux premiers récits à caractère autobiographique. Or il va beaucoup plus loin, dans L'été de la vie, en développant un portrait post mortem de l'homme qu'il a été dans l'Afrique du Sud des dramatiques années 1970, par le truchement d'une enquête biographique menée par un universitaire auprès de quatre femmes et d'un collègue. Le résultat est saisissant, relevant du vrai roman en abyme et jouant sur la multiplication des points de vue et la variété des genres, entre carnets et inteviews. D'un témoignage à l'autre, c'est en outre le portrait des témoins qui se dessine en même temps que celui de l'écrivain défunt dont rien ne permettait de penser, alors, qu'il allait élaborer une oeuvre majeure tant il semblait un homme ordinaire, voire falot. On se rappelle le magnifique Elizabeth Costello et ses aperçus sur les télescopages de la littérature et du réel, en lisant ce livre tendre et drôle, extraordinairement poreux et subtil, mobile, lucide et sourdement sensuel.
J.M. Coetzee. L'été de la vie. Traduit de l'anglais par Catherine Lauga du Plessis. Seuil, 315p. °°°°
L'art d'un conteur
Raphaël Fayolle a le sens de la narration, et plus précisément le sens du conte, au sens où l'entendait et le pratiquaient un Marcel Aymé ou un Pierre Gripari. Qui plus il est, il lui vient des idées absolument originales qu'il parvient à moduler de façon asticieuse et intelligible, avec des trouvailles épatantes et une sorte de poésie fluide et plastique qui rappelle un peu, aussi, les conteurs d'une certain réalisme magique italien ou latino-américain. Sept couleurs, de La Maison rose introduisant un saisissant paradoxe, aux Escarpins rouges nimbés d'enfantine cruauté, en passant par Le ballon jaune à la chute terrifiante, ordonnent cette suite incessamment surprenante d'histoires alternant aussi les climats et les intensités, où lon constate qu'un Châle orange peut former un contraste parfait avec le noir de telle nouvelle. Le titre du recueil annonce lui aussi la couleur, où l'humour le dispute à la fantaisie des situations et des rebondissments, mais avant d'être mort on est content de se faire plaisir avec une telle lecture...
Raphaël Fayolle. À la fin tout le monde est mort. Editions Jean-Paul Bayol, coll. L'Esprit de l'escalier, 154p. °°°
(Suivront des notices sur Anne-Lise Grobéty, René Girard, Philippe Muray, Pierre-André Milith, François Beuchat, Sébastien Meyer, Bertrand Redonnet, Jean d'Ormesson, Jay Parini, Michel Houellebecq, etc.)
Cotations de JLK
° Passable.
°° Appréciable.
°°° Recommandable
°°°° Incontournable.
°°°°° Insupérable. -
Ceux qui battent de l'aile
Celui qui claudique de la jambe que lui a laissée le tigre Mollah / Celle qui se relève de son crash sur le Grand Huit / Ceux qui flageolent des ailerons mais restent des requins en affaires / Celui qui peine au crime / Celle qui ne tue plus que le temps / Ceux qui ont passé du saut de carpe au sauté à la crème / Celui qui ne tire plus de coups qu’à blanc / Celle qui laisse tout tomber même sa playlist / Ceux qui déforment même les propos que vous n’avez pas tenus / Celui qui ne veut pas savoir que sa tante Lol s’est pendue vu qu’il ne s’occupe que du positif / Celle qui ne connaît pas sa chance et ne la tente donc pas / Ceux qui militent pour la mort à option avec accompagnement à la carte et versement échelonnés à la firme Indignitas & Co / Celui qui conseille l’insémination létale à la tromboniste désabusée / Ceux qui estiment que les anges blessés doivent être traités selon l’hygiène / Celui qui achève bien les chevaux et s’occupera plus tard de sa cousine qu’il appelle la Jument Caprice / Celle qui hennit de nonheur à chaque visite de Lachenal le facilitateur d’optimisme / Celle qui a renoncé aux conclusions homicides de son problème paternel / Ceux qui jouent du basson pour exorciser leur douleur animale / Celui qui se rapicole à la semence de hongre / Celle qui manque à sa parole de Grande Muette / Ceux qui piétinent au seuil du Paradou / Celui qui bat la semelle sur le plongeoir brûlant / Celle qui ramasse les restes de son Jack Russel écrasé par le piano de la pub Nescouac / Ceux qu’on croyait invulnérables et qui défuntent comme les autres sous l’avalanche de pierre du Val Canonica / Celui s’efface doucement à la gomme / Celle qu’on n’humiliera plus de son vivant / Ceux qui se déconnectent entre chien et loup / Celui qui panique à réception du courriel du serial killer / Celle que les motets de Schütz protègent décidément / Ceux qui reposent en paix dans le Requiem de Fauré / Celui que toute forme de violence désarme en apparence mais attends donc / Celle qui subit le contrecoup de l’effet papillon du Tsunami javanais dans son bain de boue de Chianciano Terme / Ceux qui savent où se dirigent les tanks pendant que vous vous la coulez douce bande de branques, etc.
Image: Philip Seelen
(Notes jetées dans le Pendolino à destination de Milan-Florence) -
Molière ou l'humour roi
En mémoire de celui qui défunta le 17 février 1673 et dont la dépouille fut escortée la nuit par mille porteurs de torches souriant de chagrin, après le rejet de l'Eglise. Tartuffe dégage ! Place à Molière dans La Pléiade !
Quoi de neuf? Molière ! Mais lequel? demanderont certains fâcheux : vous voulez dire Corneille ? Pas du tout répondront d'autres réducteurs de têtes : le seul Molière qui tienne la route, proche du peuple et des femmes en lutte, Molière et ses camarades qu’une Ariane Mnouchkine a si bien rendu dans son aura romantique...
Molière pré-révolutionnaire ? Molière censuré ? Molière maudit et enterré comme un chien ? Molière le «théâtreux» dont Pierre Corneille aurait écrit les pièces à en croire une légende vieille d’un siècle et que les ordinateurs seraient censés avérer aujourd’hui ?
Rien de tout cela, nous répondent d’un seul chœur trois « moliéristes » aussi fervents que ferrés érudits qui signent respectivement l’édition nouvelle de la Pléiade (Georges Forestier professeur de la Sorbonne, avec son collègue Claude Bourqui, universitaire fribourgeois qui eut l’idée de cette nouvelle édition en 2002) et l’Album très richement illustré qui l’accompagne (François Rey, autre grand connaisseur de Molière). Comme l’église au milieu du village, les trois compères remettent Molière au cœur de la Cour du Roi-Soleil, qu’il a fait rire comme personne avec L’Ecole des femmes.
«Bel esprit, écrivent ainsi Georges Forestier et Claude Bourqui, acteur comique hors pair, génial inventeur d’une comédie d’un nouveau genre et promoteur d’un type de spectacle princier inconnu jusqu’alors, Molière avait accédé à une situation enviée qui faisait de lui l’une des personnalités les plus en vue de la Cour : on ne voit pas en quoi il aurait pu en souffrir comme les deux siècles «républicains» qui viennent de s’écouler ont voulu le croire».
Quoi ? Molière royaliste ? Collabo du pouvoir, celui qui brocarde si bien les mères et pères abusifs, les cafards confits en dévotion ou en pédantisme, les amoureux jaloux et les bourgeois filous ? Tartuffe à sa façon, comme on a dit qu’il fallait être soi-même cocu pour montrer les cornes des autres, ou près de ses sous pour brosser le portrait d’un Harpagon ?
Rien de tout cela non plus, objectent encore nos trois moliéromanes. Ou plus exactement : nuances ! Proche de Louis XIV, Molière le fut dès son adolescence du fait de sa charge de tapissier et valet de chambre, assistant au lever du monarque. Devenu grand comédien, reconnu en province puis à Paris autant qu’à Versailles, auteur de pièces effectivement révolutionnaires en cela qu’elles peignaient la société – on l’appelait d’ailleurs « le peintre » -, Molière n’était pas plus un courtisan lécheur de bottes qu’un contestataire. Mais là encore : nuances. Car s’il y a chez lui du progressiste se piquant d’émancipation féminine ou de libre pensée religieuse, c’est à l’instar de toute une société civilisée qui s’exprime à la Cour et plus encore dans les salons de la Ville.
Par ses idées préfigurant les Lumières, Molière n’est pas si original qu’on le croit. Comme les « mondains » civilisés, dits aussi « galants », il défend le bon goût et la bonne vie contre les fâcheux, les pédants, les bourgeois parvenus et les bas bleus jouant les savantasses. Sa philosophie est d’un matérialiste sceptique, souligne Claude Bourquoi, qui traduit Lucrèce et se défie des fumées métaphysiques.
Molière n’est-il qu’un clone amusant de Corneille le docte ? Certains le prétendent aujourd’hui, invoquant la statistique lexicale. Mais les spécialistes en la matère se contredisent. Et puis, comment ne pas sentir la différence profonde qui distingue et même oppose les esprits et les "voix" de Corneille et de Molière ? Comme si le génie n’avait pas sa musique et sa voix, irréductibles ! La gravité de Corneille et la joie de Molière ! Mais les fâcheux n’aiment pas la joie de Molière. Mais ceux qui voudraient en faire un « collectif », un maudit aux mille galères, les écervelés du scoop et de la publicité qui ne voient en Molière qu’un mythe, ne semblent avoir aucune oreille alors que le grand public entend toujours Molière.
Or l’essentiel est ailleurs : s’il nous fait rire aujourd’hui encore, comme personne, alors que le XVIIe siècle a produit plus de 1000 pièces, c’est que l’humour incomparable de Molière touche au plus profond, mêlant satire et indulgence, bon sens et bonté - un « rire dans l’âme » qui fait du bien...
Oeuvres et vie en miroir
«Molière est le seul auteur du XVIIe siècle dont on a prétendu déchiffrer la vie dans son théâtre et expliquer le théâtre par sa vie», écrivent Georges Forestier et le Fribourgeois Claude Bourqui, dans la très éclairante introduction au premier des deux tomes des Œuvres complètes rééditées, après la version de Georges Couton remontant à 1971, dans la prestigieuse Bibliothèque de La Pléiade. «Dans l’imagerie – faut-il parler d’iconolâtrie? – républicaine, il y a beau temps que Molière a rejoint Marianne», ajoute François Rey en préambule à l’Album Molière, rassemblant une iconographie richissime, des gravures d’époque aux images contemporaines de théâtre ou de cinéma. A côté d’une grosse trentaine de pièces de Molière, des Précieuses ridicules au Médecin volant, dernière parue après la mort de Molière, en 1673, le lecteur dispose ici, au début des Œuvres et dans l’Album, d’une nouvelle chronologie de la vie de Molière constituant une mine de renseignements sur l’homme, son œuvre et sa postérité plus ou moins mythique.
Molière. Œuvres complètes, I et II. Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, édition dirigée par Georges Forestier, avec Claude Bourqui. Vol I, 1600 p; Vol II, 1758 p Album Molière. François Rey. Gallimard, 317 p.
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Petit-bourge et grand styliste
Mandarin des lettres parisiennes et écrivain parfois sous-estimé, François Nourissier laisse une œuvre considérable à (re)découvrir...
C’est une figure éminente et complexe des lettres françaises contemporaines qui vient de disparaître en la personne de François Nourissier, mort à Paris à l’âge de 83 ans après des années de maladie dont il avait tiré, dans ses derniers livres, tels Prince des berlingots et Eau de feu, des pages extraordinaires de liberté sarcastique et d’acuité sensible. D’aucuns se figurent avoir tout dit en classant François Nourissier écrivain bourgeois « de droite », figure dominante des lettres parisiennes au multiple titre de Président de l’Académie Goncourt, d’éditeur influent et de critique littéraire au Figaro Magazine et au Point, notamment. Or le vrai Nourissier était plus complexe et intéressant, par sa trajectoire et son œuvre, que ces étiquettes mondaines ne voudraient le faire croire. Il faut relire le portrait tout à fait saisissant que Jacques Chessex en a brossé dans Les Têtes pour saisir la mobilité d’un « homme lié de façon particulièrement nerveuse, vibratile et stratégique au monde du livre », qui avait eu l’air plus jeune (sans barbe) « d’un jeune chien beau et un peu cruel » et que la fameuse Miss P. (P comme p… et Parkinson) transforma finalement en une sorte de funambule de l’écriture, injuriant la maladie comme une amante cruelle.
Un mélange d’élégance et d’apparente trivialité découlait, chez Nourissier, de toute une vie beaucoup plus proche de la « France d’en bas » qu’on aurait pu le croire. Fils de bûcheron devenu « bourgeois » par la guerre au titre d’officier, François Nourissier avait huit ans lorsque son père mourut à côté de lui, au cinéma, en 1935, d’une crise cardiaque. Parisien dès l’Occupation (« une période d’intense et austère jubilation », notera-t-il en évoquant ses lectures boulimiques et sa valse-hésitation entre littérature et peinture, il cumula ensuite « études langoureuses » et passions diverses, dont celle des chevaux, conclut un premier mariage, signa un premier roman en 1951, L’eau grise, avant un deuxième mariage puis un troisième en 1962 , marqué par la naissance d’une fille, le refuge en Suisse et la publication d’Un petit Bourgeois.
De la banlieue lorraine des origines à Science Po et à l’Académie Goncourt, en passant par le Secours catholique, l’aide aux réfugiés palestiniens, l’amour des jeunes filles et la familiarité avec le judaïsme, l’itinéraire zigzaguant de l’homme, souvent victime de « fissures », de chutes en rédemptions, fut aussi bousculé que sa carrière d’écrivain était tiraillée par les exigences du « second métier » de critique, de la N.R.F. aux Nouvelles littéraires ou au Figaro Magazine.
« Autobiographe ou romancier ? » se demandait-il lui-même. « L’auteur craint de l’ignorer. Il préfère l’éclectisme à l’idéologie. Il continue de croire que seuls comptent la littérature de dévoilement, de risque. Celle qui vous chauffe les joues – et le style, cela va sans dire. «De là ses admirations et ses amitiés pour Rousseau et Aragon, Chardonne et Chessex, et jusqu’à Michel Houellebecq dont il n’appréciait pas que le chien. Côté roman, sur une trentaine de livres, on rappellera Une Histoire française, Grand prix de l’Académie française en 1966, L’Empire des nuages en 1981, ou La Fête des pères en 1985. Et du côté de l’autobiographie et des mémoires : Bratislava (1990), l’admirable constellation d’ À défaut de génie, (2000) et le fulgurant Eau de feu (2008) où, loin de sa légende de manœuvrier machiavélique, François Nourissier touche à la pointe de l’irréductible vérité de l’écrit.
François Nourissier, Jacques Chessex et la Suisse
« On ne comprend rien à Nourissier si l’on ne sait pas son attention méticuleuse à la naissance de l’écriture, à la peinture, à son goût des balades sauvages, des animaux blessés, des hôtels perchés, des courts de tennis où il s’épuise et se rassure derrière les haies de sapins alpestres », écrivait Jacques Chessex dans Les têtes. Or ces »balades sauvages », ces « hôtels perchés » et ces « haies de sapins alpestres » ne manqueront pas de rappeler, par delà la longue amitié liant les deux écrivains, l’attachement de François Nourissier à notre pays, qu’il exprima plus précisément en 1968 dans La Suisse que j’aime, un ouvrage publié aux éditions SUN et préfacé par Paul Morand, fameux habitant du Château de l’Aile à Vevey.
Nourissier, lui-même, possédait un chalet sur les Hauts de Caux, qu’il évoque à plusieurs reprises dans ses écrits, jusqu’à une rencontre malheureuse avec un molosse au maître irascible, qui fâcha l’écrivain, auteur lui-même d’une Lettre à mon chien.
Cela étant, c’est sans doute à travers la relation liant Nourissier et Chessex que l’accointance de l’écrivain français avec le canton de Vaud aura fait date, et notamment pour l’élection de l’auteur vaudois au Prix Goncourt 1973.
Plus récemment, outre son hommage des Têtes, Jacques Chessex avait, dans un livre intitulé Le simple préserve l'énigme (Gallimard, 2008), et préfacé par Nourissier, raconté leur rencontre préludant à cinquante ans d’amitié : « J'ai vingt-six ans, lui trente-trois. À l'époque il est long, maigre, souple, rapide, rieur et même moqueur. Le teint coloré, tirant sur le carmin en fin de repas, le sourire inquiété d'une petite cassure à une incisive.
Quarante-huit ans d'amitié sont nés là, je veux dire de mutuelle curiosité, d'histoires de livres, d'enfants, de maisons, de séparations, dans l'exigence légèrement consentie d'une communauté de sentiments sur nos lieux, nos origines, notre proximité — une totale indépendance des esprits et des mouvements. L'un et l'autre sachant ce qu'écrire pèse de silence, de travail contre soi et le monde, et d'exposition aux coups. »À recommander: le "Portrait-vérité" consacré à François Nourissier par le grand critique littéraire wallon Pol Vandromme, paru en 1993 à La Table Ronde.
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Le Juste et les enfants de Joux
Lecture de rando. A propos de Stéphane Hessel et de son Indignez-vous ! Salut à Gaston Cherpillod. Visite à La Pensée sauvage, au Sentier.
À quoi peut bien tenir l’extraordinaire retentissement de la plaquette publiée à la fin de l'an dernier par Stéphane Hessel, intitulée Indignez-vous !, comptant à peine une trentaine de pages, vendue à plus d'un million d'exemplaires et disponible dans toute librairie pour la somme d’une thune ?
Pourquoi ce succès phénoménal, autant en Suisse romande qu’en France, et comment expliquer aussi la violence des réactions que ce manifeste du vieux résistant a suscitées à la fin de l’an dernier, notamment de la part de Sammy Ghozlan, directeur du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, et de l’historien Pierre-André Taguieff, dont on a pu lire sur Facebook ces propos vifs : « Quand un serpent venimeux est doté de bonne conscience, comme le nommé Hessel, il est compréhensible qu’on ait envie de lui écraser la tête ».
Or je repensais à ce tumulte de mortels, l’autre jour, en remontant les pentes du Mollendruz d’où se découvre la couronne enneigée des Alpes suisses et savoyardes, je me rappelais la dernière belle et grande indignation des peuples asservis de Tunisie et d’Egypte, notre beau pays était comme sculpté par une lumière cristalline, et cependant j’avais encore mal de penser qu’un homme intelligent et cultivé de la trempe d’un Taguieff pût utiliser des termes aussi violents et orduriers, fleurant la vieille rhétorique de toutes les haines, brune ou rouge, contre un homme dont le seul tort est de s’en être pris, dans son bref libelle, à la politique menée par Israël contre les Palestiniens, et plus précisément contre l’opération Plomb durci de fin 2009 à Gaza. Est-il désormais interdit, sous peine de poursuites pénales, de dire ce qu’on pense d’Israël ?
Ce qui est sûr, c’est qu’il serait malhonnête de réduire le manifeste de Stéphane Hessel à ses critiques virulentes contre l’intransigeance d’Israël. « Les Israéliens n’ont pas d’intérêt réel pour la paix. Ils veulent garder les colonies, ils veulent garder l’occupation. C’est ça qui est contraire au droit international, aux Conventions de Genève. Je suis un défenseur acharné du droit international qui est bafoué par Israël », affirme certes Stéphane Hessel. Mais cela n’en fait pas pour autant un défenseur du terrorisme. L’indignation du vieil homme rejoint celle de Sartre, l’un de ses penseurs de référence avec Maurice Merleau-Ponty, qui prenait parti pour les damnés de la terre, et comment ne pas le suivre quand il relève l’hypocrisie de ces Israéliens purs et durs qui taxent de « terrorisme » les pacifistes eux-mêmes manifestant au pied du Mur ? « Pas mal », commente-t-il au passage…
Vous n’êtes pas d’accord avec Stéphane Hessel ? Eh bien, indignez-vous donc, mais n’en appelez pas à la justice humaine ou divine ! Voilà ce que je me disais l’autre jour en pleine nature immaculée, et par delà le col, descendant vers le lac gelé, comme un parfum d’enfance, le souvenir du lac de Sauvabelin (« On patine à Sauvabelin », annonçaient des pancartes en ville de Lausanne), les images de Breughel me revinrent pêle-mêle avant de passer Le Pont, Le Lieu où crèche le vieil indigné par excellence que représente Gaston Cherpillod, et finalement Le Sentier et son îlot de vraie culture et de liberté symbolisé par la libraire d’ancien et de moderne que tient Philippe Jaussy à l’enseigne de La Pensée sauvage.
Stéphane Hessel a-t-il raison de prôner le boycott des produits israéliens ? En ce qui me concerne, je ne crois guère à ce genre de gesticulations, mais est-ce cela qui lui vaut l’opprobre voire la censure ? Sûrement pas ! Ce qu’on ne tolère pas, c’est qu’il ose seulement dire ce qu’il pense, et de là à mettre en doute son passé de résistant et de déporté, il n’y aura qu’un pas.
La Pensée sauvage, où Philippe Jaussy règne en homme libtre, est un lieu où l’on respire au milieu des éditions de tous les siècles, de tels vieux rossignol du XVIIIe où un Dominicain vous livre tous les secrets de la peinture, à tel numéro de Bibi Fricotin ou à tel album NPCK, entre autres curiosités à n’en plus finir. J’y ai déniché récemment une édition de De l’amour, premier grand livre de Stendhal publié en Suisse au lendemain de la guerre. Une préface y défend précisément ces lieux préservés, îlots d’intelligence et de sensibilité, que sont les librairies et les bibliothèques où souffle encore l’esprit.
Pensez-vous que plus d’un million de lecteurs se sont intéressés à Indignez-vous ! pour motif d’antisémitisme sournois ? Je n’en crois rien. Je vois bien plutôt, en ce vieil homme, la figure du grand-père quasi mythique, vieux lutteur probe aux yeux duquel les hypocrites de tous bords qui règnent sur le monde ne méritent qu’indignation. Sarkozy et Berlusconi, Poutine et consorts : dégagez !
Or suffit-il de s’indigner saintement pour la modique somme de cent sous ? Sûrement pas ! Mais comment ne pas saluer ce refus du consentement au pire qui nous menace de tous côtés ? Voilà ce que je me disais l’autre jour en regardant, de loin, les enfants de Joux qui évoluaient sur le lac gelé, gracieux et insouciants, en espérant secrètement qu’eux aussi résisteront plus tard à l’inacceptable…
Stéphane Hessel, Indignez-vous !Librairie-galerie La Pensée sauvage, au Sentier. 13, route Neuve. Horaires: mercredi: 14h-19h; Samedi: 9h-16h. Tel: 077 422 29 59. La librairie déménagera en mars au Pont.
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Cendrars au bout du monde
Pour le 50e anniversaire de la mort du génial bourlingueur, le 21 janvier 1961, l’édition fait florès. À découvrir: le nouveau Quarto qui lui est consacré, intitulé Partir !
La vie mortelle de Frédéric Louis Sauser, alias Freddie, alias Blaise Cendrars, s’acheva en apparence le 21 janvier 1961 à Paris. On imagine le vieux boucanier confiant une dernière fois sa « main amie » à deux fées, Raymone sa compagne et Miriam sa fille. Scène sûrement bouleversante, comme tous les adieux, mais on passera pudiquement sur cette mort survenant trois jours après la solennité tardive d’un Grand Prix de la Ville de Paris qui faisait une belle jambe à l’auteur de L’Homme foudroyé. Déjà frappé à Lausanne, cinq ans plus tôt, par une première attaque paralysant son flanc gauche et donc sa main travailleuse, Cendrars avait consacré ses dernières années à la composition, physiquement héroïque, de deux bouquins de jeune homme : l’extravagant récit « érotique » d’ Emmène moi au bout du monde, suivi de Trop c’est trop. Le premier, curieusement, prenait l’exact contrepied de celui que Cendrars rêvait alors de consacrer à celle qu’il appelait la « Carissima », plus connue sous le nom de Marie-Madeleine, « sœur » du Christ. Or tout le paradoxe de Cendrars est là, que sa légende réduit parfois au personnage du bourlingueur extraverti, alors que c’était aussi un contemplatif et un grand spirituel à tourments et vertiges.
Mais Cendrars mort ? Pourquoi pas au Panthéon pendant qu'on y est ? Tout au contraire : Cendrars supervivant, jamais entré au purgatoire où tant d’auteurs sont relégués, Cendrars enflammant les cœurs et les esprits d’une génération après l’autre. Ainsi, après ceux qui ont défendu et illustré son œuvre de son vivant, tels un Pierre-Olivier Walzer ou un Hughes Richard, de nouveaux hérauts sont-ils apparus, tels Anne-Marie Jaton, dont une magnifique étude a fait date, et Claude Leroy, qui a conçu le volume paru ces jours dans la très référentielle collection Quarto, formidable « multipack » poétique et romanesque avec tout ce qu’il faut savoir sur le bonhomme et ses ouvrages.
De feu, de braise, de cendre et d’art
Revisiter Cendrars aujourd’hui, c’est en somme refaire le parcours du terrible XXe siècle, du Big Bazar de l’Exposition Universelle à la Grande Guerre où il perdra sa main droite (son extraordinaire récit de J’ai tué devrait être lu par tout écolier de ce temps), ou des espoirs fous de la Révolution russe (que Freddie voit éclore à seize ans à Saint-Pétersbourg), ou des avant-garde artistiques auxquelles il participe à la fois comme poète, éditeur, acteur et metteur en scène de cinéma, reporter et romancier, à toutes les curiosités et tous les voyages brassés par le maelstom de son œuvre.
« J’ai le sens de la réalité, moi poète. J’ai agi. J’ai tué. Comme celui qui veut vivre ».
Aujourd’hui encore, un jeune lecteur qui découvre Vol à voile ne peut que rêver de s’embarquer, avant que Bourlinguer lui fasse découvrir que le voyage réduit au tourisme est un sous-produit, et que lire Moravagine nous fait sonder les abîmes de l’être humain, mélange de saint et de terroriste, de fou et de génie.
Cendrars au boulevard des allongés ? Foutaise : ouvrez n’importe lequel de ses livres et laissez vous emmener au bout du monde !
Blaise Cendrars. Partir. Poèmes, romans, nouvelles, mémoires. Sous la direction de Claude Leroy. Gallimard, coll. Quarto. En librairie le 26 janvier.
Miriam Cendrars. Cendrars, L'or d'un poète. Découvertes Gallimard, nouvelle édition.
Blaise Cendrars. Dan Yack, Folio; Le Lotissement du ciel, Folio. -
Les pulls
…Ce qu’elle aime le plus, d’abord en imagination et ensuite pour de vrai, c’est enfiler leurs pulls dès qu’elle le peut, au repos quand ils pioncent après la chose, et là c’est royal cachemire & mohair et le plus cool sera le plus ballant autour du corps en soyeux nuage, ou plus tranquillement quand ils sont à leur job, alors à tiroirs ouverts, ou enfin à la clandestine, quand ils l’ont jetée, et donc par manière de revanche, dans ceux qu’elle leur a chouravés, sans plus d’odeur que celle de la chose en soi dans son informe douceur…
Image : Philip Seelen -
Proust sur écoute
L’intégrale de la Recherche du temps perdu lue par de grands comédiensAndré Dussollier est-il crédible lorsque, la voix ferme et douce à la fois, il nous confie: «Longtemps, je me suis couché de bonne heure»? Ce qui est sûr, à l'écoute des pages célébrissimes du tout début de Du côté de chez Swann, évoquant les lisières du sommeil du jeune Marcel et son attente du baiser maternel, c'est que le comédien trouve le ton juste et la bonne cadence, la parfaite netteté d'élocution pour ne pas nous anesthésier à l'instant de nous embarquer dans l'immense traversée que constitue l'intégrale sonore de la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, monument de la littérature française du XXe siècle désormais accessible sous coffret de 111 CD, subdivisé en 11 coffrets de 8 à 15 CD qu'on peut acquérir séparément, correspondant aux sept titres de l'ensemble.
Accomplie par six comédiens qui se sont répartis lesdits titres – sauf Le temps retrouvé que se partagent Michel Lonsdale, André Dussollier et Denis Podalydès -, cette lecture au long cours se module évidemment en fonction de chaque lecteur, mais aussi du climat de la séquence. C'est ainsi qu'on passe du naturel intimiste du premier roman (lu par Dussollier) à un ton plus mondain (Lambert Wilson dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs) maniéré (Guillaume Gallienne dans Sodome et Gomorrhe) ou fondu en douceur chaleureuse (Michael Lonsdale dans Le temps retrouvé), avec toutes les nuances dictées par le «théâtre» inépuisablement varié du roman.
Mais quel public pour un tel objet? «Dès le début de cette entreprise d'une dizaine d'années, explique Adeline Defay, collaboratrice des éditions Thélème, de nouveaux «lecteurs» ont découvert Proust par ce biais. L'écoute se fait individuellement (en voiture) mais aussi en famille, dans une sorte d'immersion qui renvoie ensuite au livre. La vente, en librairies et dans le réseau des bibliothèques, suffit à rentabiliser la production, non subventionnée, pour laquelle les cachets des acteurs restent modérés.»
Spécialisées dans le livre enregistré, les éditions Thélème ont conquis un public diversifié avec un catalogue où voisinent Bashung et Sapho lisant la poésie française, Michel Piccoli interprétant Les fleurs du mal ou Denis Lavant revisitant Mallarmé, entre autres séries policières vouées à Agatha Christie ou Fred Vargas… A préciser enfin que le coffret Proust est complété par un livret très substantiel assorti d'une présentation de Jean-Yves Tadié, connaisseur s'il en est de la Recherche …
Marcel Proust. A La Recherche du temps perdu. Prix de l'intégrale: 365 euros. Chaque volume peut être acheté séparément -
Ceux qui s'indignent
Celui qui s’indigne de cela qu’on puisse lui reprocher de gagner plus de deux millions de francs suisses par mois vu que sans lui le pays n’arriverait pas à nouer les deux bouts et qu’il a plusieurs loyers à payer avec les charges / Celle qui s’indigne de ce qu’on puisse reprocher à son ex de gagner plus d’un million par mois vu qu’il a plusieurs pensions alimentaires à verser chaque mois dont la sienne / Ceux qui s’indignent de ce qu’on ose incriminer le terrorisme d’Etat d’Israël alors que les vrais terroristes sont les pacifistes à la Stéphane Hessel n’est-ce pas / Celui qui s’indigne de ce qu’on puisse tomber amoureux quand on a des responsabilités dans l’Entreprise même en tant que nettoyeur tamoul / Celle qui s’indigne de ce qu’on puisse la soupçonner de ne pas s’identifier totalement à l’Entreprise alors qu’elle dort dans son bureau de cheffe de projet et se fait livrer des Hamburgers comme dans les téléfilms allemands / Ceux qui s’indignent du fait qu’on puisse empoisonner une stagiaire de l’entreprise avec des idées vintages genre défense du personnel / Celui qui prend un sédatif après chaque réu des cadres de l’Entreprise / Celle dont le sourire genre madone florentine cache un rictus de battante WASP / Ceux qui s’indignent de voir tant de beauté sous le boisseau du couvent réservée au seul Fiancé soi-disant ressuscité eh eh / Celui qui s’indigne de ça qu’on puisse minimiser la Faute de Bill Clinton / Celle qui affirme qu’un pompier reste un pompier et que ceci est une pipe / Ceux qui s’indignent sans le montrer vu que réellement ça les rend tristes de penser à cette femme qui ne sait où sont ses petites enlevées par son conjoint suicidé de son côté / Celui qui a soigné la première otite de la plus petite des petites / Celle qui trouve une certaine ressemblance entre les petites qu’on a vu à la télé et les siennes / Ceux qu’indignent ces prises d’otages d’enfant de parents mal barrés / Celle qui ne peut s’indigner tant elle comprend la détresse humaine / Ceux qui s’indignent pour la galerie / Celui qui dit comme ça que ce Stéphane Hessel doit bien être Juif pour gagner tout ce blé avec un bouquin de même pas trente pages à 3 euros l’exemplaire / Celle qui fait confiance à Marcel Gauchet dont le menton est aussi franc et massif que celui de Stéphane Hessel qu’il défend à l’émission d’El Kabache / Ceux qui aiment leur chien sans le lui dire / Celui qui est sensible à la remarque de celle qui dit qu’il a du doigté sans se douter de ce qu’elle entend par là / Ceux qui aiment voir un roman prendre de la consistance / Celui qui bandera vers la page cinquante-trois a décidé la romancière / Celle qui a écrit son roman comme un poème où tout communique et qui écrit comme ça que « les livres ne mentent pas toujours, pas tout le temps, pas tous » / Ceux qui se retrouvent ce matin d’effroi comme au petit déjeuner de Festen / Celui qui se sent de moins en moins bien tout seul dans un hôtel à étoiles / Celle qui fait des listes de choses à faire qu’elle ne fera pas soit parce qu’elle aura perdu la liste ou qu’elle n’aura pas eu envie de le faire / Ceux qui ont éprouvé de la gêne à l’idée que leur mère a mis le nez dans leurs draps croûtés de foutre / Celui qui s’indigne de ce qu’on puisse le supposer le faire autrement qu’à la missionnaire et avec Yolande sa légitime pharmacienne diplômée / Celle qui se dit qu’avec ce garçon aux mains petites ce serait possible / Ceux qui s’indignent pour cela seul qu’il serait indigne de ne point s’indigner, point, etc.
Image : Philip Seelen -
Ceux que la beauté laisse froids
Celui qui sort son flingue pour un mot de travers que lui adresse un Danois dans la salle d’attente des Urgences du CHU / Celle qui insinue que les bénévoles des soins palliatifs sont intéressés quelque part / Ceux qui estiment qu’un Adolf Hitler remettrait un peu d’ordre au jour d’aujourd’hui / Celui qui se retire au grenier pour se balafrer les joues en signe de vengeance / Celle qui prétend que l’hospitalité des Mandelman est une ruse de juifs / Ceux qui se réjouissent qu’il arrive enfin quelque chose dans le quartier des Muguets où l’on vient de retrouver un corps mutilé de Gitan / Celui qui signe l’exécution du peintre Chmielov dont les couleurs ont été jugés contre-révolutionnaires / Celle qui va cracher sur la tombe du plasticien slovène qui a contaminé son filleul Anatole / Ceux qui regardent le nouveau-né abandonné dans la gare de Shinjuku / Celui qui soigne sa paralysie faciale avec un sèche-cheveux / Celle qui lit attentivement la déclaration pendue au cou d’une mendiante / Ceux qui lâchent des rats affamés dans une assemblée de vieilles femmes / Celui qui essaie de maigrir grâce à l’acupuncture / Celle qui rêve (cauchemar) qu’elle est Arielle Dombasle / Ceux qui font épiler leurs jumeaux / Celui qui rote pendant la prière aux obsèques de l’évêque Ducommun / Celle qui raconte les crasses de son chef de bureau à son canari Pioupiou / Ceux qui regardent la nouvelle route nationale du haut de la lande du Pendu / Celui qui pense que l’Avenir appartient aux lecteurs de Michel Onfray / Celle qui donne des cours de taï-chi aux enfants retardés de la commune de Xuan / Ceux qui estiment que la peinture à chevalet n’a pas dit son dernier mot / Celui qui mâche un chewing-gum à l’approche de l’orage / Celle qui craint la grosse voix de l’oncle Fernand / Ceux qui font une ronde dans leur quartier de retraités, etc.
Peinture de Bona Mangangu
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Les filles de joie
Nous en avons assez des lugubres. Nous manifestons contre les sinistres. Nous exhibons nos visage et nos bras au risque d’être fouettées mais nous sommes les messagères d’un nouveau monde: sus aux rabat-joie !
Nous irons jusqu’au bout de notre rêve de galanterie. Car c’est cela, n’est-ce pas ? qui nous disconvient dans le comportement des coléreux: c’est cette muflerie de tous les instants et cette mauvaise humeur.
Nous sommes les fille faciles. Nous en avons soupé de la méchanceté des prétendus sages et des prétendues saintes. Ces prétendus sages et prétendues saintes s’astreignent du matin au soir et ne pensent qu’à soumettre le monde entier à ce joug, et c’est cela qu’ils appellent honorer l’Unique.
Nous ne voulons pas de leur Dieu sombre. Nous n’aimons pas ce père sans égards. Nous attendons de Dieu qu’il sourie et qu’il nous tienne la porte à la bibliothèque ou à la disco.
Nous n’avons aucune peur. Nous sommes les filles de l’air. Ils ne peuvent plus rien contre nous que nous violer ou nous tuer. -
Ceux qui se sentent inappropriés
Celui qui voit le jour se lever dont la pureté éclipse tout / Celle qui ne se sent pas indispensable à la floraison des campanules en quoi elle a tort je trouve / Ceux qui n’en peuvent plus de feindre de s’intéresser à tout ça / Celui qui s’excuse de ne pas rire de ce qui n’est pas drôle / Celle qui ne regarde pas la télé depuis qu’elle existe et même pas les films d’animaux vu qu’il y a un ours dans son lit et une araignée sous son plafond / Celui que le culte de la gastro a ramené au pot-au-feu / Celle qui abandonne sa Fiat Panda dans l’encombrement de l’autoroute et s’en va faire un tour dans la prairie aux coquelicots / Ceux que la stupidité collective interdit / Celui qui n’est pas sûr de détenir la vérité mais sent du moins ce qu’elle n’est pas / Celle qui se méfie de l’adjectif radical genre le discours de Ségolène est top radical / Ceux qui rutilent de prétention sous l’effet de succès hasardeux / Celui qui affirme que si Malraux a eu le même prix que lui ça prouve qu’il y a encore de l’espoir pour les conquérants / Celle qui commence à réaliser qu’elle va vivre avec un Prix Littéraire et que ça se mérite lui fait-il sentir / Ceux qui refusent de tomber amoureux par crainte que ça coûte un peu / Celui qui s’est pacsé avec Fernand pour se rapprocher de Ferdinand / Celle qui a changé de sexe juste pour voir et qui pense maintenant au couvent pour oublier / Ceux qui savent ce qui est poétique et ce qui ne l’est pas d’ailleurs les chiffres leur donnent raison / Celui qu’on croit snob parce qu’il refuse de participer à la Sortie des Aînés / Celle dont la présence diffuse de bonnes ondes dans le quartier / Ceux qui n’hésiteraient pas à installer une webcam dans votre salon pour vous voir remuer les pieds mais le problème c’est que l'idée d'un salon ne vous est jamais venue / Celui qui achète un journal de droite pour attirer l’attention de l’étudiante de gauche dont les colères le font bander grave / Celle qui se prénomme Sibylle et en tire les conséquence mythologiques en lâchant de loin en loin un pet discret / Ceux qui se figurent que votre médaille sportive va vous rendre moins modeste alors que c’est juste leur prix littéraire qui les a rendus encore plus cons, etc.
Image : Philip Seelen -
Ceux qui font place nette
Celui qui endosse son frac de pianiste pour continuer d’écrire / Celle qui liquide les affaires courantes afin d’être libre de rêver à la Suisse ce qui signifie selon le Dictionnaire : ne rien faire / Ceux qui préparent leur matos genre Cézanne le matin chafouin / Celui qui se prépare au jour qui se prépare dans le noir / Celle qui chantonne Mon Hommes entre deux sommes / Ceux qui accordent leurs instruments au milieu des silencieux / Celui qui a toujours pensé renouveau / Celle qui est plus belle de se renouveler / Ceux qui distinguent la foutaise de la nouveauté conditionnée et le neuf qui a du sens et du suc / Celui qui ouvre un livre avec l’espoir de s’y trouver bien / Celle qui se dilate à la lecture comme la grenouille subit l’effet bœuf de La Fontaine / Ceux qui changent de vie comme de parfum / Celui qui se réjouit de découvrir Bratislava / Celle qui se prête à tous les jeux sauf de dupe / Ceux qui sont tellement jobards qu’ils en deviennent barjos / Celui qui voit à l’instant (cinq heures du matin) le diadème de Novel en Savoie sur fond de ciel noir étoilé / Celle qui fume sa première clope sur le fauteuil de cinéma qu’elle a installé au bord du terrain vague / Ceux qui dépoussièrent les mots de l’aube / Celui qui tapote le genou de la mélomane aveugle / Celle qui se grise de l’air du matin même sans merle à ce moment de l’année / Ceux qui vont mourir et ne saluent pas César vu qu’il les a précédés à la morgue de l’hosto / Celui qui était pacifiste à treize ans et qui est tombé dans les tranchées d’un bureau / Celle qui est morte d’autosatisfaction prématurée / Ceux qui lisent L’Image de Beckett sur recommandation d’une Winnie chauve / Celui qui repart d’un bon pied de nez / Celle qui oppose sa malice foncière aux effets de la crise financière / Celui qui est tellement fait au feu qu’il répète qu’y a pas de quoi s’enflammer / Celle qui se rend à la messe à Matines pour être en forme et digne de son prénom de Martine / Ceux qui font contre mauvaise fortune bon chœur mixte avec Michel Corboz à la dynamo / Celui qui se réjouit de se réjouir ce matin sans savoir pourquoi / Celle qui montre son néné à Jésus le clodo pour l’encourager à se bouger l’osso buco / Ceux qui saluent le ciel oriental qui se lève à l’instant sur l’Occident continental, etc.
Image : Philip Seelen
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Reconnaissance oblige
Du besoin de dire merci. D'un drôle de bouquin intitulé Pfff. D'un autre intitulé La Trame des jours. D'un bel article de Jacques Sterchi paru dans La Liberté sur L'Enfant prodigue et d'un cabanon de rêve...
À La Désirade, ce dimanche 6 février. – Un élan de remerciement me prend ce matin, presque dix heures et remercier qui je n’en sais rien, peut-être bien Dieu dont je ne sais que le nom et le sentiment vague et précis que tout en découle même s’il a d’autres noms dans d’autres pays, mais bon : ce qui est sûr est que je me sens ce matin tout frais et bien dispos après m’être déjà levé à quatre heures du matin et avoir écrit une liste dédiée à Ceux qui participent aux frais tout en relisant les cinquante premières pages d’un drôle de bouquin intitilé Pfff et signé Hélène Sturm, comme Sturm und Drang pour ne pas risquer Strum, et déjà ces deux première heures m’ont tiré du noir avec les personnages doux et perdus de dame Sturm les promenant comme dans un labyrinthe à la Escher, puis je me suis recouché et fait de drôles de rêves manipulés par une fée de mohair et voici que me réveillant l’élan de remercier m’a donc saisi tandis que je lisais La Trame des jours de Lambert Schlechter, écrivain luxembourgeois qui nous rappelle qu’on peut être écrivain au Luxembourg (Nord de la France, précise Wikipédia) et se trouver ce matin (magie des livres) en Toscane du côté de Montalcino et lire des Chinois et Vialatte sur une terrasse qu’il appelle plutôt balcon, et se foutre autant que moi du con qui s’agite sur le balcon de l’Italie – bref c’est à tout ça que je dis merci.
Je dois aussi un merci à Sterchi. Je remercie Jacques Sterchi, critique littéraire à La Liberté de Fribourg, qui m’a valu hier un plaisir vif puisqu’il a été le premier à chroniquer, sur papier, mon dernier livre, L’Enfant prodigue, que j’ai vu paraître avec la même émotion que le premier en 1973, comme si cela restait un événement de publier son dix-huitième livre - et ce l’est en effet cette fois comme si ce pouvait être le dernier après quoi l’on arrêterait d’écrire, comme certains.
L’élan du remerciement nous contraindra cependant de continuer d’écrire, les Hélène et les Lambert et tous les autres fans fondus de la Présence Réelle, les Ludwig Hohl et les Robert Walser, les Vialatte et les Cingria et cent mille autres dont je crois humblement être, pour dire ce que c’est simplement, juste dire simplement ce que c’est que d’être, de vivre et de s’ennuyer, ou pas, de se poser mille questions à la mords-moi et d’aimer plus ou moins son prochain, de se lancer dans mille entreprises et d’y aboutir ou de se planter, enfin quoi d’aller son chemin et de tout noter pour se donner l’illusion que tout ça sera retenu, qui n’est peut-être pas, qui sait, du tout une illusion.
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Le premier récit, si je me le rappelle bien, des premiers écrits du tout jeune Tchékhov, raconte la joie folle d’un grand gosse dont vient de paraître le premier billet de rien du tout dans le journal du coin. J’ai vécu cela à quatorze ans, dans un petit papier où je saluais le pacifisme d’Henri Lecoin le réfractaire. Publier avant de baiser : c’est énorme ! En tout cas ce l’était en ces années-là mais cela le reste pour certains au temps des blogs et des réseaux. Evidemment, comme je publie à tour de bras depuis des années, je devrais être blasé, mais non : j’ai beau publier tous les jours, et j’ai beau avoir publié il y a des années des centaines de papiers dans La Liberté, cela me fait quelque chose de découvrir un papier me concernant dans ce journal à peu près resté ce qu’il était au temps où Charles-Albert Cingria le disait un des meilleurs journaux suisses, notamment pour le motif que ce journal, fermement maintenu dans sa ligne par un aréopage de Sœurs éditrices et imprimeuses, à l’enseigne de Saint Paul le converti, y faisaient paraître alors une quotidienne évocation de la sainte ou du saint du jour...
Si je suis toujours aussi content, voire ému, d’être publié, la vanité n’y est même pas pour un quart (mettons tout de même 20%), tandis que le Sens du Devoir et le Plaisir Ardent y comptent pour l’essentiel. Il ne faut pas se cacher la Vanité de l’Auteur, que celui-ci appelle plus volontiers orgueil. C’est à choix et l’on s’en fout. Mais le Plaisir commande assurément, auquel le Sens du Devoir s’ajoute pour que la morale soit sauve, et c’est ce plaisir que je trouve tout autant à la lecture, comme ce matin avec La Trame des jours de Lambert Schlechter, achevé d’imprimer en Bulgarie en portant en exergue ce fragment des Os de seiche d’Eugenio Montale : Non domandarci la formula che mondi possa aperti.
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Je reviens maintenant à Cingria, qui m’a valu de partager le même éditeur que Lambert Schlechter, à l’enseigne de L’Escampette dont tout le stock a brûlé vif, pour recommander à la relève des lecteurs (de seize à vingt ans) la lecture de Musiques de Fribourg. S’y trouve notamment raconté l’effondrement d’un mythique pont suspendu, dit du Gottéron, le vendredi 9 mai 1919 à trois heures cinquante-cinq de l’après-midi, qui n’eut qu’un seul témoin et ne fit qu’un mort. L’accident se signala à la ronde par « un craquement qui n’avait rien d’analogue avec ce qui avait été entendu depuis la préhistoire », et c’est en ces termes concis que Cingria en décrit l’aboutissant hiératique : « Le camion, chu d’une hauteur considérable, s’enfonce dans le sol à six mètres d’une maison. Du conducteur, on le comprend, tué net et non moins enterré verticalement, il ne subsistait plus qu’un buste posé aimablement sur la prairie ». Il me semble qu’Hélène Sturm, autant que Lambert Schlechter, sont capables de telles phrases, ou plutôt : j’en ai cent preuves à chanter.
Par exemple du second : « Disait le vieux Renoir que, les mains paralysées, il continuerait à peindre ses rondes belles filles : avec sa queue. » C’est une phrase que j’aime lire ce dimanche matin. Et celle-ci de dame Sturm : «Parfois il se demande si les gens existent tout le temps ou seulement quand on les regarde. »
Et quelques pages plus loin, dans Musiques de Fribourg, on voit une photographie d’époque du pont sinistré, mais c’est à la page 62 que se trouve l’éloge de La Liberté en ces termes précis : « Je ne crois pas qu’il y ait de journaux mieux rédigés et surtout mieux écrits que les journaux fribourgeois. La Liberté non seulement se lit avec plaisir, mais avec profit ».
Je fais mienne cette opinion en découpant l’article de Jacques Sterchi consacré à mon livre, dont je recopie juste ceci qui me justifie en somme pas mal : «Sans cesse, le narrateur se réveille tôt pour écrire, regarde par la fenêtre de la maison le temps qu’il fait et les saisons qui passent. Pour se remémorer sa vie. Exercice délicieusement proustien que sublime Jean-Louis Kuffer par une écriture ouvragée, fluide, précise. Surtout lorsqu’il s’agit de retrouver les observations, sensations ou émotions de l’enfant de sept ans. En tout, dans L’Enfant prodigue, il y a le dedans, le dehors, mais surtout le « cela ». Signe d’une révélation. Surgissements de blocs de réel dans le temps qui passe insidieusement. Ainsi les très belles pages consacrées à la mort d’un petit camarade, le maladif Pilou, qui va marquer à vie le jeune narrateur. L’enfant, on le retrouve partout dans ce livre, jusque dans l’éloge du nouveau-né révélateur de ses parents. »
Ainsi de suite, tout aussi bien senti et exprimé par l’un des derniers chroniqueurs littéraires qui subsistent dans notre pays avec un rien de cœur et de tripes. Donc je remercie Jacques Sterchi, que je retrouverais volontiers un de ces quatre sous la yourte de Pérolles ou à l’ Auberge du Sauvage, voire à L’Ange d’où l’on aperçoit le nouveau pont du Gottéron, tout armé de béton à l'image des temps qui vont…
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Or c’est dimanche et bientôt l’heure de passer à table avec celles et ceux que j’aime, puis je m’en irai récurer la vaste bergerie que notre voisin et ami Pierre a mis à ma disposition dans l’alpage où son propre père l’avait fait construire jadis pour son fermier, je me vois déjà peinturlurant dans ce qui deviendra mon atelier grand ouvert au-dessus du lac et des mondes, c’est le retrait parfait, la cabane au Canada de nos rêves de Robinson de tous les âges et couleurs - et tiens, le premier papier que j’y collerai sera signé Lambert Schlechter: «Bestioles ailées que nous nommons éphémères, parce qu’elles ne vivent que très peu de temps, - nous avons donné ce nom à ces petite mouches pour nous vanter, je crois, ou pour nous consoler, faisant entendre (mais qui nous écoute), que nous, les humains, ne sommes pas éphémères, que nous avons même le temps de nous ennuyer, le temps de rêvasser, le temps de chercher des noms pittoresques pour baptiser des mouches qui ne nous ont rien demandé »…
Hélène Sturm. Pfff. Editions Joëlle Losfeld, 2011.
Lambert Schlechter. La Trame des jours; Le murmure du temps 2, fragments. Editions des Vanneaux.
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Ceux qui participent aux frais
Pour Helene Sturm
Celui qui ne supporte pas la pensée de tant de cruauté distribuée à la diable / Celle qu’on traitait de timbrée parce qu’elle disait avoir mal au monde / Ceux qui voient de mieux en mieux le chaos de ce qu’on appelle le Nouvel Ordre / Celui qui pallie l’horreur en s’habillant joliment ce matin / Celle qui soigne son apparence en dépit d’une pauvreté certaine / Ceux qui ne prononcent pas le mot FUCK comme les autres / Celui qui pense champagne au moment de commander une noisette / Celle qui se verrait bien des NIKE à hauts talons / Ceux qui se croient sur le trottoir côté soleil et pensent en même temps aux Egyptiens / Celui qui se rappelle la grâce du felouquier Brahim / Celle qui voyant le mot BYRRH lâche un imperceptible pfff / Ceux qui pourraient agresser Elodie (pense-t-elle) dans les escaliers en cage / Celui qui se rase la boule à zéro pour se voir l’arrière de son crâne qu’il appelle le cul de la pensée / Celle qui fait l’inventaire matinal et machinal des choses futiles pendant que tant d’ouvrières turbinent déjà de par le monde / Ceux dont les tacots fleurent le vieux cuir tiède et le santal / Celui qui lorsqu’il mastique ressemble à un lapin de dessin animé qui fait scrith scrotch / Celle qui pisse debout sous la pluie brésilienne / Ceux qui s’habillent pour sortir ou rentrent pour se déshabiller selon les cas / Celui qui commence àlire la presse par les morts / Celle qu’une agression dans la cage d’escalier panique et tente un peu quand même / Ceux qui redoutent les faits divers sordidement sexuels de l’été / Celui qui met la langue et c’est déjà baiser de léchoter comme ça la glotte de Lolotte / Celle qui s’inonde rien que d’y penser / Ceux qui ont les poches pleins de cailloux d’enfance / Celui qui ne possède que quelques livres mais qui tiendront une vie / Celle qui se passe des DVD d’orgies gays en affirmant que ça repose de voir ces grands garçons tchèques s’amuser pour du blé / Ceux qui restent démodés par flemme / Celui qui se sent lâche de n’écrire point ou presque rien / Celle qui dit à son amant burkinabé : chevale-moi ! / Ceux qui viennent ensuite dans la longue liste des Portraits de Libé / Celui qui porte un fin bracelet à sa cheville gauche pour se rappeler sa part féminine quand il signe un contrat à six zéros / Celle qui se sent inappropriée de naissance et se rattrape au Jeu de Go / Ceux qui renoncent à la chair mais personne n’est au courant / Celui qui devrait se mieux soigner s’il veut rester Monsieur Météo à la TSR / Celle qui lit quelque part « un café fermé c’est de la liberté en moins » et qui opine du bonnet / Ceux qui font comme un cortège d’invisibles / Celui qui se sent soudain tout Pygmalion en matant l’écolière visiblement avancée / Celle qui dit p’pa au M’sieur qu’elle connaît pas plus que ça / Ceux qui font collection d’idées coupables qu’ils couvent comme autant de secrets / Celui qui se dit qu’à présent sa vie doit s’envoler et qui en reste là / Celle qui fait la gueule au mec qu’elle convoite et sourit à la salutiste qui va la tancer / Ceux qui écrivent des livres que personne ne lira que des gens comme eux / Celui que son surpoids rend parfois hésitant mais pas longtemps / Celle qui raffole des poignées d’amour et des portefeuilles bombés / Ceux qui font nombre en vieillards râleurs / Celui qui a tout misé sur Coco Bisou et qui s’en est fait des couilles en or pour quelques mois / Celle qui se demande l’heure à elle-même et ne se répond pas par nonchaloir ou par mélancolie va savoir / Ceux qui attendent un rendez-vous qui ne vient pas / Celui qui rêve d’une jeune fille qui rêverait d’une aventure de plus d’un soir mais pas plus / Celle qui ne manque à personne et ne s’en plaint pas mais tu sais ce que sont les Japonaises / Ceux qui en croquent pour Odile – ça y est je l’ai fait mamie Sturm / Celui qui a du métal dans la voix et qui rouille même quand il pleut pas / Celle qui écrits des fins de romans avant les débuts et le reste suit plus ou moins / Ceux qui s’habillent comme dans les romans et se déshabillent comme dans les nouvelles de Morand / Celui qui décide que ce sera aujourd’hui et pas demain la veille que / Celle dont le Glock fait gloup vu qu’elle a glissé dans la flaque / Ceux qui ne se rappelaient pas que vous existiez et voilà qu’il vous souvient que vous non plus donc vous allez vous en jeter un / Celui qui a l’air falot et en pince pour Odile qui n’en jette pas plus mais enfin ça reste entre elle et lui et la nave va / Celle qui a toujours un peu d’arsenic sur elle pour relancer l’action qui fait pfff / Ceux qui ont tout dit quand après avoir maté Mata Hari du bout des lèvre sils ont fait pfff…
(Cette liste jetée à cinq heures ce matin fait écho à la lecture de Pfff, premier roman d’Hélène Sturm qui vient de paraître chez Joëlle Losfeld. L’image est signée Philip Seelen) -
Ceux qui sont comme ils sont tous
Celui qui les regarde s’agiter de loin / Celle qui reprend sa veille aux soins palliatifs en matant l'Argentin à créole / Ceux qui n’ont plus d’envies sociales que virulentes / Celui qui considère tranquillement ce qui altère sa libido de taxidermiste prenant de l’âge / Celle qui décourage les solliciteurs érotiquement hésitants / Ceux qui s’incrustent chez la milliardaire accro à la réglisse / Celui qui se tient à la rampe de lancement / Celle qui retient ses grands chevaux / Ceux qui s’accrochent à leurs droits de gauchers de droite / Celui qui jette son dévolu sur l’évadée olé olé / Celle qui recueille les Lettons esseulés / Ceux qui ont tout misé sur l’Avenir du Poitou / Celui qui ne renoncera point à son Idéal mélodique / Celle qui se parfume à la fleur d’orange amère / Ceux qui n’en croient pas leurs yeux fermés / Celui que le remords ne cesse de remordre / Celle que sa tache dans le dos fait craindre la levrette / Ceux qui redoutent les flux dînatoires / Celui qui fait la cour aux courtiers / Celle qui en pince pour un body jaune coucou / Ceux qui descendent à Djerba dans le jet privé de Ben Allah / Celui qui se pose en libérateur des Acolytes Anonymes / Celle qui rabroue le paltoquet qui la cuisine au TJ / Ceux qui ont le pied sous-marin / Celui qui reconnaît que la juge est partie / Celle qui sait que nous savons qu’ils ne sauront rien sans sonder le Sénat / Ceux qui affirment que la danse les fait entrer en transcendance ou quelque chose comme ça - va savoir avec les Coréens, etc.
Image : Philip Seelen -
Ceux qui se dorlotent
Celui qui évoque les folles soirées du Palace que tu n’as pas connu pauv'loquedu / Celle qui invoque la grande déprime des militants / Ceux qui vous disent comme ça qu’ils vont mal avec l’air de penser que vous aussi le devriez / Celui qui se fait un petit cadeau pour s’encourager ce matin dur dur / Celle qui rentabilise son sentiment de la vacuité en tournant des vidéos placébos / Ceux qui évoquent leurs galères avec une sorte de jouissance persistante / Celui qui s’écoute se taire / Celle qui voit partout du fascisme en puissance / Ceux qui se font une soirée Paolo Conte entre amis sûrs / Celui qui cite Duras et Deleuze pour rester entre soi / Celle qui te remercie d’exister poil au nez / Ceux qui disent volontiers qu’ils relisent La Recherche pour en imposer à leurs voisins Verdurin / Celui qui occulte le passé d’épicier de son père / Celle qui revendique le passé de catin de sa mère / Ceux qui « font avec » leur particule sans préciser que c’est un recollage tardif de Dupont sans Nemours / Celui qui dit à celle qu’il drague qu’elle comprend mieux que personne son état de paumé ukrainien alors que lui-même accepte son faciès chafouin d’Alsacienne coincée ce qui fait qu’on est bien parti pour une Love Story / Celle qui estime qu’elle a assez donné avec ses ex pour ne penser désormais qu’à ses ragondins / Ceux qui n’ont même pas un sourd-muet à qui parler / Celui qui se dénigre en espérant qu’on le démente mais pas moyen / Celle qui attend sa retraite pour s’éclater / Ceux qui savourent leur défaite en prétendant qu’ils sont gagnants à la fin / Celui qui vibre tellement devant un Rothko qu’on lui conseille une tisane calmante à la cafète du Musée / Celle qui avoue à son psy que le seul nom de Mélanie Klein la fait mouiller / Ceux qui mouillent encore leur boxer Calvin Klein malgré leurs dix-huit ans sonnés / Celui qui te dit qu’il a eu de la peine à entrer dans ton livre sans oser préciser qu’il n’en est jamais sorti / Celle qui demande un orthographe au romancier flapi / Ceux qui signent d’un croissant vu que la croix fait trop chrétien / Celui qui te dit que son dimanche est sacré et qui le passe à lustrer son Opel Kadett / Celle qui se fait un Skype avec son boy friend auquel elle montre enfin ses nipples / Ceux qui en ont tellement vu que les djeunes n’ont pas idée, etc.
Image : Philip Seelen -
Ceux qui lisent dans les salles d'attente
Pour Lambert Schlechter
Celui auquel les rires enregistrés foutent le cafard / Celle qui découvre toujours de nouvelles têtes dans Closer / Ceux qui suivent le mouvement de la foule encerclée / Celui qui trouve que Marc-Edouard Nabe ne mérite pas sa réputation ni dans un sens ni dans l'autre / Celle qui déjoue la méchanceté d’une certaine France suffisante et coincée à la fois / Ceux qui lisent Le Murmure du temps sans stresser / Celui qui revient toujours à ces livres qui sentent bon la littérature comme Le retour de Philippe Latinovicz de Miroslav Krleza découvert à vingt ans à Trieste dans le café d’Umberto Saba alors qu’il bruinait sur la ville / Celle qui cultive les amours difficiles avec d’autres femmes à cran / Ceux qui ont été heureux cet été-là à Positano où le personnage de Ripley est apparu à Patricia Highsmith qu’ils ont rencontrée au Miramar et avec laquelle ils ont eu un contact assez tendre / Celui qui se trouve plutôt bien à bord du Titanic actuel / Celle qui évoque la Révolution dite du jasmin avec un trémolo censé lui faire croire à elle-même qu’elle est concernée alors qu’elle n’est allée qu’une fois au Club Med de Djerba et que ça ne s’est pas superbien passé avec Brahim et les autres mecs qui n’en voulaient qu’à son chose et à ses dinars / Ceux qui disent j’hallucine chaque fois que tu sors une vanne inappropriée / Celui qui lance «à très vite» à ceux qu’il n’est pas autrement pressé de revoir / Celle qui a vécu des moments amicaux irremplaçables sans se rappeler précisément avec qui / Ceux qui découvrent les délices de la déconnection tout en restant hypersensibles à l’hypertexte / Celui qu’on cherche activement sur Facebook « dans l’intérêt de la famille » / Celle qui se planque downtown où personne n’aurait l’idée de la chercher / Ceux qui ne sont joignables que sur répondeur et seulement par identification vocale excluant les raseurs dont tu n’es pas mon chéri / Celui qui arrive de plus en plus en retard par réflexe de survie / Celle qui dit qu’elle est surbookée alors qu’elle lit tranquillement les notes rêveuse de cet écrivain luxembourgeois que lui a recommandé à l’époque l’adorable Gerhard Meier autre maître en rêverie / Ceux qui ont découvert Gerhard Meier par Handke / Celui qui relève une parenté certaine entre Le Poids du monde de Peter Handke et Le murmure du monde de Lambert Schlechter / Celle qui a pleuré comme une Madeleine lorsqu’elle a vu le film consacré à Gerhard Meier qu’on voit d’abord avec sa femme hyper-complice et ensuite sans elle à exorciser son chagrin dans son admirable Ob die Granatbäume blühen / Ceux qui ont fait le pèlerinage de Niederbipp comme d’autres ont fait celui de Carrouge pour goûter chez Gustave Roud / Celui qui profite de cette liste publiée sur Facebook pour faire remarquer à son ami Lambert que Meier ne s’écrit pas Meyer mais Meier / Celle qui a offert un exemplaire rare de la traduction française des Trois Ours de Tolstoï à Gerhard Meier le tolstoïen que celui qui rédige cette liste a retrouvé par miracle dans un lot de livres d’enfants de la bouquinerie de Philippe Jaussy, au lieudit Le Sentier, à l’enseigne de La Pensée sauvage / Ceux qui recopient ce matin serein (montagnes enneigées, ciel de traîne et silence sur le val suspendu) ces mots du Murmure du monde : «il y avait des hivers avec de la neige, il y avait des soirs avec des hirondelles, l’herbe poussait, et aujourd’hui l’herbe continue à Pousser », etc.
Image : Les Trois ours de Léon Tolstoï. Traduction française avec les dessins de V. Lebedev. Exemplaire ayant appartenu à Gerard Meier, auteur de Borodino.
(Cette liste a été établie en lisant Le murmure du monde de Lambert Schlechter, paru au Castor astral en 2006.)
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Cinéaste du plus-que-réel
Le réalisateur lausannois Jean-Stéphane Bron décroche le Prix de Soleure pour Cleveland contre Wall Street.
Le «génie helvétique» en matière de documentaire a été récompensé hier, au terme de la 46e édition des Journées du cinéma suisse, avec l’attribution du Prix de Soleure, d’une valeur de 60.000 francs, à Cleveland contre Wall street de Jean-Stéphane Bron, un documentaire traitant de la crise des « subprimes» aux Etats-Unis sous la forme d’un procès fictif.
Très remarqué dès sa sortie à la prestigieuse Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes, non moins favorablement accueilli par la critique et les médias français et romands, nominé pour les prochains Césars, le 4e long métrage de Jean-Stéphane Bron a déjà « cartonné » en France (plus de 85.000 spectateurs) et en Suisse romande (28.000 spectateurs), et sera distribué aux Etats-Unis dès mars prochain. 7 ans après le Prix du cinéma suisse à Maïs im Bundeshuus ; le Génie helvétique, Jean-Stéphane Bron dit son bonheur d’être également reconnu « au village »…
- Que représente pour vous ce Prix de Soleure ?
- Je suis évidemment comblé, d’abord parce que les films nominés, tous genres confondus, étaient de haut niveau, et surtout parce que ce prix récompense un travail de longue haleine dans sa préparation, particulièrement difficile dans sa réalisation. Ainsi, le 22 juillet 2009, date du début du tournage de trois semaines, rien n’était joué : je n’avais aucune assurance quant à la réussite du « procès ». J’ai eu l’énorme chance de tomber sur les bonnes personnes, plus précisément la plaignante de choc Barbara Anderson et l’avocat Josh Cohen, puis de compléter ma « distribution » avec des témoignages-clefs.
- Comment expliquez-vous que vos « acteurs » des deux bords aient joué le jeu avec tant d’engagement ?
- Un prof genevois, Jérôme David, l’a remarquablement expliqué par le fait que je les ai fait jurer « devant Dieu », ce qui compte en effet aux Etats-Unis. Cette composante a en somme fait « oublier » le côté factice du procès filmé. Part ailleurs, les Américains ont gardé cette capacité de critiquer ouvertement et radicalement le système auquel ils participent. Tous les intervenants ont senti l’enjeu symbolique de ce procès, y compris le fameux Peter Wallison, ancien conseiller de Reagan et chantre de l’ultra-libéralisme.
- Qu’en est-il de la distribution du film aux Etats-Unis ?
- La situation vient de se débloquer, et le film sera projeté dans les plus grandes villes, à commencer par Cleveland, New York. Chicago, Los Angeles, San Francisco dès la mi-mars. Pour la version américaine, la fin a été légèrement modifiée par l’ajout de « cartons » qui en actualisent l’impact tout en palliant ce que la conclusion pouvait avoir de frustrant. Je suis très curieux de la découvrir. Ce qui est important à relever, c’est que la réalité a dépassé ma conclusion en suspens…
- Vous voulez dire que le film a eu un impact sur la réalité économique ?
- Plus exactement, c’est la ville de Cleveland qui, à la suite du « procès », a enregistré de nouvelles plaintes, qui ont ensuite fait boule de neige dans d’autres villes des Etats-Unis. Par ailleurs, le succès d’Inside Job de Charles Ferguson, traitant lui aussi de la crise financière sur la base d’une investigation très serrée, nous fait espérer un bon accueil…
- Avez-vous des projets en chantier ?
- J’en ai plusieurs, dont un film qui devrait se tourner à Genève et dans lequel j’aimerais décrypter le fonctionnement de l’OMC…
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Ceux qui se font du cinéma
Celui qui prétend vivre une vie dangereuse en dépit de son salaire de fonctionnaire de la culture cachetonnant à la télé / Celle qui est toujours en instance de casting / Ceux qui citent volontiers ce qu’ils ont dit la semaine dernière à France Culture / Celui qui affirme que le palace de Gstaad n’est plus ce qu’il était avant l’arrivée des Hallyday / Celle qui envoie son dernier recueil de vers à PPDA pour « au cas où » / Ceux qui ont été de tous les aftères des années 90 après quoi y a plus qu’à tirer l’échelle / Celui qui annonce le tsunami éditorial de son prochain roman à clefs / Celle qui se fait un brushing ébouriffé genre après le viol sauvage de la Bête / Ceux qui ne parlent qu’en termes de goût pluriel / Celui qui remarque que celui qui lit du Sade n’engage que lui / Celle qui affirme que Sade doit être jugé en fonction des séquelles du sadisme dans les cours de récré / Ceux qui te reprochent ton « rire inapproprié » et auxquels tu réponds par un regard qui signifie que tu leur pisses au cul mais ces gens-là ne savent plus lire dans les yeux des malappris de ton espèce et ça vaut mieux pour l’ambiance / Celui qui te demande comment tu te situes dans le champ littéraire et auquel tu réponds que tu y pionces volontiers les côtes en long / Celle qui optimise la valeur « soleil » de sa journée de battante / Ceux qui n’en ont qu’au sous-texte / Celui qui suinte de compassion dès que la caméra tourne / Celle qui ouvre un Espace Lecture où elle espère s’éclater avec de jeunes poètes attentifs à des muses d’un certain âge / Ceux qui ont les enfants en horreur surtout en piscine couverte / Celui qui montre son vilain membre à une écolière qui passe son chemin sans rien remarquer vu qu’elle est myope comme un ange / Celle qui croit que sa fille ira au ciel plus tard et qui aura en effet un tas d’amants charmants plus tard ou peut-être même avant / Ceux qui se préparent à fêter les 35 ans de la mort du chat de Céline qu’était pas antisémite au moins celui-là, enfin j’espère Bébert, etc.
Image : Philip Seelen -
Ceux qui sont tout bio
Celui qui se trouve seul à Soleure devant une salade de céleri censée le faire saliver / Celle qui pèle sa pomme dont elle n’ingère que la pelure vu que c’est là que se concentrent les bonnes énergies / Ceux qui mastiquaient une noisette jusqu’à trois cent fois en 1974 et le font aujourd’hui en invoquant l’éternel retour / Celui qui cherche en cette « ville de culture » un enregistrement potable de Lucio Silla et ne trouve que des merdes des Solisti Veneti et d’André Rieu entre le rayon des strings excitants pour employés de bureau et celui des soutifs de viscose pour cheffes de projet / Celle que la vulgarité du cretinus terrestris a toujours portée à l’hilarité ah ah ah / Ceux qui se disent que cette préparation vinaigrée à base de rampon et de croûtons doit être hyper-efficiente au niveau des neurones vu son prix / Celui qui allume son cigare au milieu de la Séance de Méditation où tous se sentent participer au Grand Un / Celle qu’on taxe de cynisme pour sa façon de désamorcer toute forme de Transport Spirituel / Celui qui ne jure que par les derniers quatuors de Beethoven et le rappelle volontiers sur Facebook / Celle qui cite Rothko pour donner le ton dans le cocktail des La Poisse de Miremont dont elle cherche à attirer l’attention du fils designer / Ceux qui ont toujours un enthousiasme d’avance / Celui qui affirme avoir lu tout Proust sans en rien retenir ce qui prouve juste qu’il est à la fois mythomane et con / Celle qui te regarde de haut parce que tu kiffes Torugo / Ceux qui ne comprennent pas qu’on puisse préférer le Tasse à L’Arioste et la Fan Cruiser Toyota à la Cherokee 4x4 / Celui qui en pince tout à coup pour Tallemant des Réaux alors qu’il a fait HEC / Celle qui décore sa conversation comme d’autre le font de leur coin-cuisine / Ceux qui ont le coup de cœur sur la main / Celui qui se dit citoyen du monde du spectacle tendance intermittent solidaire / Celle qui embrasse la cause kurde pour faire chier l’ami turc de sa sœur Aglaé / Ceux qui font honte à l’Espace Schengen / Celui dont le cœur a été trafiqué dans le dos du Dr Kouchner / Celle qui donne dans le télévangélisme militant de base / Ceux qui annotent les Poëmes de Dominique de Villepin cette grande âme disent-ils / Celui qui exalte l’exception cuculturelle française / Celle qui adopte un orphelin pour amuser son bonobo / Ceux qui ont passé de la macrobiotique à la nanothérapie, etc.
Image : Philip Seelen