Michel Boujut, critique de cinéma et écrivain, est mort d'une hépatite à l'âge de 71 ans. Il avait raconté ses tribulations de déserteur de la guerre d'Algérie dans Le jour où Gary Cooper, beau récit d'une jeunesse révoltée, paru en janvier 2011 aux éditions Rivages. Retour sur une rencontre à Genève, en février dernier...
Michel Boujut, né en 1940, déserteur de la guerre d’Algérie en 1961 par opposition au militarisme et au colonialisme, salue ces jours la libération des populations arabes avec un enthousiasme tout personnel. « Ce soulèvement pacifique est inespéré ! On disait ces peuples serviles, pour mieux flatter leurs maîtres, et voici qu’on découvre des gens éduqués qui ont vaincu la peur et prônent la liberté et la dignité. Quelle honte pour la France, et quelle leçon pour tous ! »
Or cette leçon, Michel Boujut l’a intégrée de longue date par l’histoire des siens, recoupant celle de deux générations. Son grand-père paternel, le sergent Maurice Boujut, parti au front la fleur au fusil et tombé à 26 ans le 19 septembre 1914, écrivait à sa femme Elisabeth, cinq jours avant sa mort : « Nous sommes restés six heures sous une pluie d’obus, plusieurs camarades y sont restés. Eh bien, aujourd’hui, tout cela ne nous fait plus rien, c’est honteux de le dire, nous sommes là comme des sauvages : les amis meurent à côté de nous, et cela nous laisse tout à fait indifférents »…
Aujourd’hui, Michel Boujut précise que, lorsqu’il décida de prendre le « chemin du désert », il n’avait pas encore lu cette lettre déchirante conservée par son père Pierre dans un carton à chaussures baptisé « Boîte à pleurs, boîte à fleurs ». Cependant, toute sa jeunesse fut nourrie par la colère de son aïeul maternel, petit paysan qui connut lui aussi les charniers de la Grande Guerre et en revint pacifiste, autant que son père enfermé des années dans un stalag entre 40 et 45.
« Les larmes des veuves, qui s’en soucie ?», écrivait la grand-mère de Michel dans un petit cahier qu’elle demanda à son fils de brûler. Mais Pierre s’y refusa et c’est ainsi que le petit-fils eut accès à ces reliques «crucifiantes» qui le font écrire à son tour : « Je sais maintenant d’où vient la révolte qui m’a toujours habité»…
Dans un film de William Wyler datant de 1956, intitulé La Loi du Seigneur et interprété par Gary Cooper, celui-ci campe un pacifiste quaker qui refuse de participer à la guerre civile, jusqu’au jour où son fils y risque lui-même sa peau. Or, comme nous posons la question à Michel Boujut: réfractaire jusqu’où ?, celui-ci de préciser : « En fait, je ne suis pas absolument non-violent. Ce qui fait s’armer Gary Cooper dans La Loi du seigneur, mon père l’a vécu face au nazisme. Pour ma part, je n’ai jamais eu le sentiment de fuir. Mon geste traduisait juste ma colère contre « les bandits qui sont cause des guerres ».
Dans Le jour où Gary Cooper est mort, Michel Boujut raconte que, ce 13 mai 1961 où il déserta sans l’annoncer aux siens, personne n’était là pour lui souhaiter bon anniversaire. Mais une lettre poignante de son père, peu après, lui donnerait entièrement raison !
Son beau récit, construit comme une sorte d’Amarcord sans trémolos, s’adresse à une jeune journaliste (imaginaire) de la Radio romande, par manière de clin d’œil à ses amis de Lausanne où il débarqua bientôt en douce, exfiltré par l’Allemagne. Auparavant, planqué chez un membre du réseau Jeanson, le jeune homme s’était caché dans les salles obscures parisiennes où il contracta une cinéphilie aussi intense que sa révolte.
Michel Boujut parle de Lausanne avec tendresse, où il a découvert « une familiarité nouvelle avec la vie », célébrant un « je ne sais quoi d’intime, de gai, de simple, d’agreste et d’urbain ». Pour mémoire, rappelons que La Feuille d’Avis de Lausanne accueillit des papiers du futur critique parisien (à Charlie Hebdo et Télérama, notamment) devenu producteur, en 1982, d’un magazine télévisé légendaire, à l’enseigne de Cinéma, cinémas. Correcteur aux éditions Rencontre, puis collaborateur à la télévision romande où il dit avoir « appris énormément » de Claude Goretta, Michel Boujut a fréquenté les anciens cinémas de notre ville autant que la Cinémathèque de Freddy Buache, dont le successeur lui rend aujourd’hui la politesse avec une Carte blanche. L’occasion de constater que le « jeune homme en colère » est aussi un homme de cœur et de goût.
Lausanne. Cinémathèque. Carte blanche à Michel Boujut, les 2 et 3 mars.
Michel Boujut. Le jour où Gary Cooper est mort. Payot & Rivage, 163p.
Dates de Michel Boujut
1940 Le 13 mai, naissance à Jarnac.
1961 Le 13 mai, déserte de l’Armée française. Un supérieur a écrit dans son livret militaire : « Accomplit ses classes comme un chemin de croix »
1962-1978 Collaborateur à la TSR.
1982-1992 Producteur de Cinéma, cinémas, émission mythique d’Antenne 2.
Commentaires
Décidément, les naissances à Jarnac inspirent des destins singuliers !
J'suis né pas loin. Mais ça n'a pas suffi, apparemment...
Amitiés