UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Salonique en front de mer

 Bratislava7.jpg

 

Lecture nomade. Sur Le Banquier anarchiste de Pessoa. À Salonique pour la seule gloire de Jacques Chessex. Brume sur le front de mer. Les premières pages de Lieber Niels, de Matthias Zschokke...

 Salonique, ce mardi 15 mars. – Reparti ce matin en fin de matinée, mes papiers livrés à 24 Heures, j’ai passé le vol de Genève à Athènes à lire Le Banquier anarchiste de Fernando Pessoa dont les paradoxes me font penser, je ne sais trop pourquoi, à ceux de Dürrenmatt.

 Dürrenmatt15.JPGOu plutôt je le sais bien, car l’un et l’autre usent des mêmes arguments, évidemment lestés de mauvaise foi, pour démonter les raisonnements non moins intenables de l’anarchisme en ses divers états. Ce qui m’intéresse le plus, dans le discours du banquier, se rapporte à ce qu’il appelle des « fictions sociales », dont nous n’avons pas assez conscience, et qui pourraient nourrir des observations si intéressantes en littérature, comme on le voit chez un Ballard ou chez un Houelleecq, et chez Philip Muray en matière plus théorique. Dans les aires de la sexualité, il y aurait beaucoup à dire aussi sur lesdites « fictions»… 

 °°°

À mon arrivée à Athènes, le suppléant de l’ambassadeur de Suisse, un Monsieur Péclard avenant comme tout et qui a organisé lui-même, avec sa collaboratrice Maria Papadopoulou, cette tournée à la seule gloire de Jacques Chessex - avec deux conférences que je donnerai demain à Salonique et jeudi à l’Institut français d’Athènes -, m’a accueilli et tenu compagnie jusqu’au départ de mon avion. Après quoi, d’aéroport en avion et d’avion en aéroport, puis dans une voiture de l’Institut français jusqu’au centre de Salonique, je me suis laissé guider par ma « feuille de route »…

 

Salonique3.jpgBref, je n’étais pas fâché,  en fin d’après-midi, de prendre mes quartiers dans le somptueux palace Electra de la place Aristote, de la chambre duquel je vois la mer. J’avais tellement mal aux jambes, tout à l’heure, que je n’ai pas marché bien loin le long du front de mer, et d’ailleurs une brume épaisse s’est levé qui m’a fait bientôt regagner mes pénates. Mais je me rattraperai demain…

°°°

Ensuite, avec le jeune directeur de l’Institut français, le polyglotte et fringant  Julien Chiappone-Lucchesi, nous avons rejoint, tout à côté, dans un café haut de plafond et fleurant bon la Grèce du nord, un Monsieur Georges Freris, prof de littérature comparée extrêmement ouvert et intéressant, et une de ses collègues non moins sympathique, dont je n’ai pas retenu le nom. Bref, « tout baigne » jusque-là et j’espère faire, demain, bonne figure à mon premier show… 

 

Bratislava9.jpgSalonique, ce mercredi 16 mars. – Grisaille humide sur Salonique, posant une brume épaisse sur tout le front de mer. Du restau en attique de l’Electra Palace, j’ai eu tout loisir d’admirer la vue panoramique sur ce néant ouaté, tout en dégustant un petit déjeuner d’une extravagante prodigalité comme je n’en ai jamais vu, même pas au Sheraton de San Francisco, à l’Hôtel Ibis de Louxor ou au Takanawa Prince de Tokyo, au milieu de clients plutôt négligés d’apparence, genre arrivistes américano-russes ou grécos-levantins, parfois en baskets ou presque, pas tout à fait en survêts à la kosovare mais peu s’en faut -  ce qu’on appelle la démocratie mondialisée du fric ; et pour ma présence en ces lieux, je me suis laissé dire par les gens de l’ambassade, qui m’y ont généreusement casé, qu’ils « ont des prix »…   

 °°°

 Ensuite, et en  dépit de mes articulations grinçantes et de mes douleurs jambaires, ou plutôt afin d’exercer tout ça, j’ai marché de la place Aristote à l’autre bout de la baie, bientôt attiré par une rumeur qui me semblait celle d’une manif – et de fait je voyais, bien au-delà de la statue d’Alexandre, un cortège scandé par des rythmes de fanfare  et surmonté de drapeaux et de calicots. J’ai donc pressé le pas sous l’effet de la curiosité, mais le rassemblement n’avait rien de politique ni de protestataire: juste un cortège de lycéens flanqué de joyeux fanfarons, saluant l’apparition du premier soleil de fin de matinée avant de se disperser sur les quais. Tout cela me rappelant, au vol, mon arrivée à Salonique en 1993, juste après le pénible congrès de l’orthodoxie mondiale en Chalcydique, théâtre de vrais délires nationalistes des religieux serbes applaudis par les Grecs de gauche comme de droite – et combien la jeunesse de Salonique m’avait alors paru libre et belle !

Le long des quais, d’ailleurs, m’a frappé ce matin l’image de trois jeunes gens assis face la mer, comme enveloppés de brume et plongés dans je ne sais quelle rêverie…

  °°°

 Zschokke33.JPGSur le chemin du retour, je me suis arrêté à la hauteur de trois musiciens macédoniens en jeans, que j’ai écoutés durant un quart d’heure en me rappelant les nouvelles solaires et fruitées de Jivko Cingo, puis je leur ai filé une pièce et me suis arrêté dans un Starbucks ( !) pour lire quelques pages de Lieber Niels, le nouveau livre de Matthias Zschokke, tout entier constitué par les mails qu’il a envoyé à son ami Niels Höpfner entre 2002 et 2009, et dont la forme, concentrée et très spontanée, autant que la matière – la vie au jour le jour d’un écrivain-cinéaste extrêmement poreux dans ses observations de toute sorte -, m’ont immédiatement captivé en dépit de mon allemand parfois lacunaire.     

Matthias Zschokke lui-même, avec sa feinte modestie ironique, m’avait recommandé de ne pas lire son livre, ayant constaté que je me consacre au même type d’observation pléthorique sur mon blog.

« Vous allez perdre votre temps en me lisant, vous faites bien mieux d’écrire que de me lire », m’a-t-il répété au fil des divers mails que nous avons échangés ces derniers temps - et puis ce livre est trop lourd pour le voyage, m’a-t-il seriné en exacerbant du même coup mon désir de lire ce pavé qu’il me disait de plus d’un kilog. Je l’ai fait rire en lui objectant que je m’étais pesé sans Lieber Niels, puis avec, et que la différence n’était que de 999,9 grammes...

Or la première satisfaction que j’ai trouvé à cette lecture est d’y découvrir une espèce de carnet de bord dont maintes notes recoupent, en amont, ses récits de voyage  de Circulations, à quoi s’ajoute la complicité amicale qu’il entretient avec son interlocuteur dont les messages, non publiés, se lisent comme « en creux » ; et puis il y a là-dedans une foule de détails cocasses, comme cette note consacrée à ses nouvelles socquettes en laine d’opposum (dire qu’il voulait me priver de ça !), entre autres considérations sur des lieux, des lectures ou des films, des gens que je connais parfois – tel mon ancien prof d’allemand Wilfred Schiltknecht – ou sur le milieu littéraire et la Suisse qu’il juge, hum, très librement. À ce propos, il m’a dit dans un mail qu’il déteste être détesté, en véritable «toxicomane d’harmonie » et que, fort de ce qu’on lui a dit à mon propos sur le fait que pas mal de gens du milieu littéraire romand me détestent (ah bon ?), il se proposait de me demander un cours sur l’art de se «faire impopulaire». Et de m’avouer qu’il craint de se rendre bientôt aux Journées littéraires de Soleure « parce que, dans les rues, il n’y aura que des collègues insultés par moi ».

Quant à moi, qui me fiche de plus en plus de ce que racontent mes « collègues » à mon propos, et dont je ne dis le plus souvent, d’ailleurs, que le centième du mal que je pense d’eux, je vais bel et bien prendre une leçon d’allemand quotidienne à la lecture, à petite dose, de Lieber Niels…

°°°

Ce midi, le Consul général de France, Christian Thimonier, m’attendait dans un restau «littéraire» de la vieille ville de Salonique où nous avons eu une longue et bonne conversation, en compagnie d’un auteur de « polars de campus » également très intéressant, dont je n’ai pas relevé le nom. Comme Thimonier a été en poste à Belgrade pendant la guerre d’ex-Yougoslavie, les sujets de conversation n’ont pas manqué, et ce d’autant que le bonhomme est du genre très cultivé et particulièrement en matière de littérature slave. Quant à l’autre convive, auteur de polars situés à Salonique et spécialisé dans le crime « universitaire », dont David Lodge a fait un genre, il s’est également montré plein de ressources et très cordial – bref, je ne pouvais rencontrer de meilleurs interlocuteurs en ces zones périphériques de la fameuse francophonie, et tous deux se sont dits poliment intéressés par Jacques Chessex dont ils n’ont, évidemment, rien  lu.

(Soir) – Ma première conférence sur Jacques Chessex à l’Institut français s’est bien déroulée, en présence d’une trentaine de personnes qui ont fait mine de suivre attentivement mon exposé, dûment adapté à la communication orale. La causerie a eu lieu en présence de notre consul honoraire – un fringant homme d’affaires grec passionné de ski alpin et de voitures de sport -, de Christian Thimonier - qui m’a offert un DVD « macabre » du redoutable Dusan Kovacevic -  et de diverses autres personnes liées à L’Institut français, puis une généreuse verrée a suivi, à l’occasion de laquelle j’ai été gentiment complimenté par un peu tous. Enfin je suis rentré seul à mon camp de base de grand luxe, mais j’étais vanné et plutôt content de finir la soirée en Oblomov solitaire, juste réduit aux ressources alcoolisées du minibar et à la mise en ligne sur Facebook, de ma dernière liste, Ceux qui ne font que passer      

Matthias Zschokke. Lieber Niels. Wallstein, 761p.

 

Les commentaires sont fermés.