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Livre - Page 147

  • Suisse terre d'asile

    Melgar9.jpg
    Dernières nouvelles de Fahad Khammas, par Fernand Melgar.

    Fahad K., le réfugié irakien menacé de mort dans son pays par des milices islamistes, est enfermé depuis le vendredi 23 mars dans une cellule dite « sécuritaire » de la prison de l’aéroport de Zurich. Dans cette cellule minuscule, appelée communément le bunker, il est en isolement complet, surveillé 24/24 heures par un gardien. Il n’a accès ni au téléphone, ni à sa mandataire juridique ni à sa famille. Il ne peut ni se doucher (il n’y a même pas de lavabo), ni lire un livre ni regarder l’heure (on lui a confisqué sa montre). On lui a même supprimé la promenade et il reste confiné depuis bientôt 4 jours dans cet endroit complètement vide, mis à part un lit, une couverture et des WC. Fahad K. a perdu 4 kilos et son état physique et psychique est alarmant (communiqués d’Amnesty International et de l'Organisation Mondiale Contre la Torture ci-dessous).

    Lundi après-midi 30 mars, une amie de Fahad K. a pris rendez-vous à la prison pour le rencontrer. Arrivée sur place, il lui a été dit que Fahad K. venait de partir il y a cinq minutes avec des policiers et qu’il ne se trouvait plus dans la prison. La visite a alors été annulée. Nous savons pourtant avec certitude que Fahad K. se trouvait dans la prison et qu’il a même vu, par la fenêtre de sa cellule « sécuritaire », son amie repartir de la prison.

    Pourquoi l’Office fédéral des migrations traite-t-il Fahad comme un criminel en lui infligeant ces traitements dégradants, à la limite de la torture, pourquoi s’obstine-t-il à le couper totalement du monde extérieur ? De quoi a-t-il peur pour se livrer à de pareilles maltraitances ?

    Des milliers de citoyenNEs suisses (plus de 6000 à ce jour) ont signé la pétition demandant à ce que Fahad K. puisse rester en Suisse. Parmi eux de nombreuses personnes nous ont fait part de leur émotion, et ne comprennent pas que notre pays puisse attenter pareillement à la dignité humaine. Elles ont raison : le traitement réservé à Fahad est tout simplement scandaleux et les atteintes à ses droits humains sont inacceptables. Elles doivent cesser immédiatement.

    Pour faire part de votre indignation, écrivez directement par courrier postal (ils ont bloqués leur boîte de courriel) au plus vite aux adresses suivantes pour demander la libération immédiate de Fahad K.:


    Madame la Conseillère fédérale
    Evelyne Widmer-Schlumpf
    Palais fédéral ouest
    CH-3003 Berne

    Monsieur Eduard Gnesa,
    Directeur de l'Office fédéral des migrations
    Quellenweg 6
    CH-3003 Berne-Wabern



    Merci pour votre aide,

    Fernand Melgar

    ***


    Melgar7.jpgORGANISATION MONDIALE CONTRE LA TORTURE
    COMMUNIQUE DE PRESSE



    Suisse: mise à l’isolement d’un étranger en détention administrative en vue de son renvoi malgré des risques pour son intégrité physique

    Genève, 31 mars 2009. Le Secrétariat international de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) est très préoccupé par l’enfermement en isolement et la dégradation de l’état de santé tant physique que mentale de M. Fahad Khammas, actuellement en détention administrative à la prison de l’aéroport de Zurich en vue de son renvoi.

    Selon les informations reçues, M. Fahad Khammas a été placé vendredi dernier en cellule d’isolement sans qu’aucune base juridique n’ait été jusqu’à aujourd’hui fournie. Ayant cessé de se nourrir, il est extrêmement affaibli physiquement et présente des signes de profonds traumatismes psychologiques. Il n’a pas accès au téléphone et s’est vu limiter dans son droit à recevoir des visites, y compris celle de sa mandataire juridique.

    L’OMCT est très préoccupée par les conditions dans lesquelles M. Khammas est actuellement détenu et exprime sa plus vive inquiétude quant à la détérioration de son état de santé mentale et physique, considérant que cet enfermement en isolement est une pression inacceptable exercée sur celui-ci. A cet égard, dans son rapport annuel daté de 2008, le groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a rappelé aux Etats que « les immigrants clandestins placés en rétention administrative ne sont ni des criminels ni des suspects». Il a également rappelé que la détention administrative appelle au respect de standards particuliers adaptés à ce type de détention.

    M. Fahad Khammas est actuellement en détention afin d’être renvoyé vers la Suède où il est fortement menacé d’un refoulement vers l’Irak, étant donné un premier rejet de sa demande d’asile par les autorités suédoises. En l’espèce, l’OMCT se joint avec force aux diverses voies qui se font entendre quant aux risques pour l’intégrité physique et mentale de M. Khammas en cas de renvoi en Irak étant considéré comme un « traitre » par des milices islamistes du fait de ses activités de traducteur pour l’armée américaine.

    L’OMCT voudrait donc rappeler à la Suisse ses obligations internationales en la matière soit celle de tout Etat qui expulse ou renvoie un étranger de s’assurer que celui-ci ne sera pas soumis à des traitements ou peines contraires à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, à l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, soit à la torture ou autres traitements ou punitions cruels, inhumains et dégradants. Ces éléments avaient déjà été soulevés dans un courrier du Secrétaire Général de l’OMCT adressé à l’Office Fédéral des Migrations début mars 2009 et qui n’a malheureusement pas trouvé d’écho jusque là.

    L’OMCT appelle donc les autorités suisses à prendre les mesures nécessaires pour garantir l’intégrité physique et mentale de M. Fahad Khammas durant sa détention administrative, à reconsidérer sa mise en liberté et à ne pas l’expulser au risque d’être en contradiction avec ses obligations internationales en matière d’interdiction de la torture et autres traitements ou punitions cruels, inhumains et dégradants.

    Pour plus d’informations, merci de contacter: Orlane Varesano, +41 22 809 49 39


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    AMNESTY INTERNATIONAL
    COMMUNIQUE DE PRESSE


    Fahad K., requérant d’asile irakien débouté
    Protestation contre la détention en isolement à la prison de l’aéroport de Zürich

    Lausanne, 31 mars. Amnesty International proteste contre les conditions de détention de Fahad K., détenu depuis vendredi dernier à la prison de l’aéroport de Zurich. Dans une lettre adressée à Markus Notter, Chef du Département de la justice du canton de Zurich, à Victor Gähwiler, responsable des prisons zurichoises et à la Conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, l’organisation des droits humains dénonce plusieurs violations du droit en vigueur.

    «Il est inacceptable que le jeune Irakien Fahad K. soit traité comme un dangereux criminel. Il est détenu à l’isolement depuis vendredi passé », déclare Denise Graf, coordinatrice réfugiés de la Section Suisse d’Amnesty International. Elle a rendu visite au détenu mardi matin et se dit extrêmement préoccupée par les conditions de détention de Fahad K.

    Dans une lettre adressée à Markus Notter, Amnesty International attire l’attention sur le fait que les autorités d’exécution du renvoi violent à plus d’un titre le droit suisse, le droit international ainsi que la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de détention administrative. La Conseillère d’Etat, Evelyne Widmer-Schlumpf et l’actuel responsable des prisons zurichoises ont également reçu une copie de la lettre. Dans sa lettre, l’organisation des droits humains demande une clarification rapide de la base légale permettant la détention à l’isolement de Fahad K., ainsi que sur les raisons qui justifieraient l’usage d’une paroi vitrée lors des visites.

    Le 23 mars 2009, le requérant d’asile Fahad K. a été arrêté par surprise à l’Office cantonal des migrations de Zürich. Le Tribunal administratif fédéral avait préalablement rendu une décision de renvoi vers la Suède du jeune Irakien de 24 ans. En Suède, il est menacé de renvoi sur Bagdad. Contrairement à la Suède, la Suisse ne renvoie ni dans le sud, ni au centre de l’Irak en raison de l’insécurité qui règne actuellement dans la région.

    Amnesty International se montre préoccupée par la sécurité de Fahad K. en cas de retour en Irak où il a travaillé comme traducteur pour les forces américaines. Accusé de "traitrise", il est menacé par les milices islamistes et a dû quitter le pays. Environ 300 traducteurs comme Fahad K. ont été tués depuis le début du conflit.

    Fahad K. est l’un des principaux protagonistes du film  La Forteresse, de Fernand Melgar. Ce film est actuellement projeté dans les salles de Suisse alémanique et présente le quotidien des requérants d’asile au centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe.

    Informations supplémentaires:
    Denise Graf, Coordinatrice réfugiés, Tél. 031 307 22 20, Tél. 076 523 59 36

    Images: Chez nous, par Philip Seelen. La Forteresse, de Fernand Melgar.

  • Pensées de l'aube (61)

    Alpinisme1 006.jpg

    De la pâle copie. – Vous pouvez me reprocher de voir ce matin le monde trop en bleu : en réalité il l’est tellement plus que je me reproche ma seule nullité à le dire, mais essayez donc, juste pour voir, je veux dire : pour mieux voir, de dire ce matin le bleu de votre âme, et vous m’en direz des nouvelles, du bleu pur de ce matin irradiant le gris des jours et le noir du monde…

    De la régénération. – Ils sont chaque jour plus jeunes de prendre plus d’âge et de s’épurer de tout ce qui n’est pas la jouvence de l’aurore, leur vieillerie se dérouille dans la fontaine de la première heure, ils ont beau se rappeler le mal qu’ont fait et que feront encore au monde les ravageurs, leurs semblables : ce matin neuf leur paraît innocent, ce matin ils seraient protégés par leur vieil amour retombé en enfance…

    De la filiation. – Rien ne sera de ce qui ne se projette, bouclé dans sa prison, groupé comme un fœtus, cousu comme un chapon : le désir obsédé par lui-même crèvera dans l’ignorance de la vie multipliée de l’immense famille aussi bête et sensuelle, prodigue et folle, divisée et pardonnable, nulle et pantelante d’amour que nous l’aurons été…

    Peinture JLK : Le bleu du jour. Huile sur toile, 2009. Photo Philip Seelen.

  • La dentelle des sentiments

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    Les brodeuses d'Eléonore Faucher

    C'est dans un monde d'une impitoyable dureté que nous plonge d'abord le premier film d'Eléonore Faucher où, sur fond de province dénaturée et de familles en déglingue, les rapports humains semblent limités à l'agressivité tous azimuts. Claire, enceinte à 17 ans, fuit le climat haineux de sa famille et la bêtise vulgaire de ses collègues de l'Intermarché où elle est caissière, pour se réfugier auprès d'une femme qui pourrait être sa mère et dont le fils vient de se tuer à moto. De l'âpre réalisme du début, au dialogue et au rythme teigneux, le ton du film évolue cependant vers une tout autre tonalité, évoquant la douceur des intimités flamandes, tissée par ce qu'on pourrait dire l'adoption réciproque de Claire et de celle qui l'accueille et qu'elle-même sauvera bientôt, à son tour, d'une tentative de suicide.

    Egalement blessées, l'une rejette son enfant à venir tandis que l'autre pleure celui qui lui a été arraché. Or le goût partagé pour la broderie (travail artisanal touchant à l'art) les apaisera, mais non sans heurts.

    Avec des riens, des regards et de petits gestes (la bonté que Claire manifeste à l'endroit de son aînée désespérée, qui la rejette avant d'accepter qu'elle l'ait retenue du côté de la vie), au fil d'un dialogue délicat et d'une justesse sans faille, Eléonore Faucher et les deux comédiennes principales, Lola Naymark et Ariane Ascaride construisent une de ces relations recomposées qu'on observe de plus en plus souvent dans la société actuelle, où la filiation du cœur se substitue à celle, nulle en l'occurrence, de la famille.

    Irradiant bonnement, la complicité croissante solidarisant les deux femmes englobe enfin le jeune Guillaume, ami du fils accidenté qui se reproche de lui avoir survécu, en même temps qu'elle rejaillit sur l'entier du tableau. Bref, sans jamais donner dans l'idéalisation ou la mièvrerie, ce premier film (qui obtint à Cannes le Prix de la SACEM) est à recommander absolument.

  • Pensées de l’aube (60)

    Panopticon99994.jpg

    De l’obstination. – Parfois tu t’éveilles découragé, te disant que rien ne vaut la peine, même que c’est écrit que tout n’est que vaine poursuite du vent, mais ce matin encore tu te rappelles l’injonction que les pêcheurs se gravent au sang sur les jointures de leurs mains : TENIR FERME, c’est peut-être du volontarisme à la con mais ça te retient à ton filet…

    De la rémission. – Si j’étais Dieu moi je te jetterais, franchement, t’es trop sale, chiffon dégoûtant, tu pues et tu ne sers plus à rien, t’es tout pisseux et poisseux, allez c’est bien la preuve qu’il existe pas, ce Dieu dont tu me tannes, s’il te jette pas, ou qu’il n’a pas les yeux en face des trous - ou alors c’est moi qui pige vraiment pas ce que ton nom de Dieu de Dieu peut bien te trouver…

    De la posture. – Une importante inscription se trouve apposée sur la porte de son bureau d’éminent intellectuel : NE PAS DERANGER, et chacun baisse la voix en passant dans le couloir, ayant entendu dire à la télé que là-dedans le penseur élabore l’œuvre la plus dérangeante de ce temps...

    Image : Philip Seelen

  • Question de solidarité

    Melgar22.jpgUn témoignage de l'historien Alfred Berchtold sur la Suisse et la question des réfugiés en 1942. Et le témoignage de reconnaissance de Fernand Melgar.


    D'aucuns se sont étonnés que je puisse, sur ce blog essentiellement littéraire, faire écho à une lettre-pétition lancée par le groupe de cinéastes lausannois Climage, autour de Fernand Melgar, en faveur du requérant d'asile irakien Fahad K., menacé de renvoi dans son pays où sa vie resterait en danger. Bien entendu, une telle initiative ne pouvait être le fait que d'un gauchiste niaiseux et traître à la patrie, comme l'ont insinué divers commentateurs courageusement anonymes de mon blog parallèle de 24 Heures ( http://passiondelire.blog.24heures.ch) qui se sont bientôt érigés en tribunal populaire jugeant que Fahad K. ne méritait pas notre accueil, pas plus que Melgar le natif d'Espagne barbaresque qui salit notre nid...

    J'en profite alors, moi qui ne dois pas avoir signé trois pétitions de ma vie et ne suis pas plus de gauche que de droite, ou plus exactement: qui suis autant de gauche que de droite selon la cause à défendre, de préciser qu'une culture non ancrée dans certaines valeurs fondamentales, et qu'une littérature qui se voudrait au-dessus de toute mêlée, me semblent une culture et une littérature mortes.

    Berchtold.jpgJ'en profite également pour citer, ici, une page du livre d'entretiens que j'ai eu l'honneur et le mémorable bonheur de réaliser en 1997 avec Alfred Berchtold, historien et homme libre - le Suisse selon mon coeur, démocrate et généreux. Sous le titre de La passion de transmettre, l'ouvrage a paru à La Bibliothèque des arts.

    Voici ce que me disait donc Alfred Berchtold ce jour-là: "Un événement exceptionnel, le 30 août 1942, s'est gravé dans ma mémoire: la réunion, au Hallenstadion d'Oerlikon, de huit mille jeunes appartenant au mouvement de la Junge Kirche, conviés au face à face, à propos de la politique des réfugiés, du conseiller fédéral von Steiger et du pasteur Walter Lüthi, de Bâle, barthien et antinazi engagé. Le matin fut réservé au sermon du pasteur. Je cite ses paroles de mémoire, telles qu'elles retentissent encoore en moi, sans avoir vérifié le libellé exact du discours dans les archives de l'époque: "Monsieur le conseiller fédéral, vous avez mis la Suisse en état de péché; seule la grâce du Christ peut nous sauver. Ne vous excusez pas: rien de ce que vous pouvez dire n'est convaincant; vous n'êtes d'ailleurs pas le seul coupabe: vos collègues du Conseil fédéral le sont autant que vous!" Et l'après-midi, le chef du Département de justice et police répondit. "Quand la barque est pleine, il arrive qu'on soit obligé de..." Alors André Berchtold de conclure: "Combien de fois, depuis lors, a-t-on cité la formule :"Das Boot ist voll !", la barque est pleine.

    Est-il besoin de rappeler que cet argument est à l'origine du refoulement de milliers de Juifs à nos frontières et d'une mentalité de repli, d'égoïsme et d'exclusion qui survit dans notre pays, même si, et c'est le premier mérite du film de Melgar, la situation actuelle est moins dramatique et plus complexe qu'en 1942.

    Or voici la lettre que nous envoie, ce matin, l'auteur de La Forteresse:

    Chers signataires,

    Jeudi matin, le proche collaborateur de Madame Widmer Schlumpf ne pouvait que le constater: “La boîte personnelle de courriels de la Conseillère fédérale est remplie de milliers de pétitions signées!” En effet, la pétition en faveur du jeune requérant irakien Fahad Khammas, lancée en ligne le mercredi 25 mars, a remporté un véritable succès auprès de l’opinion publique, toutes tendances politiques et de tous milieux sociaux confondus.

    Deux jours plus tard, plus de 3’500 pétitions en provenance des quatre régions linguistiques de la Suisse et même hors de nos frontières ont été envoyées à la Conseillère fédérale Evelyne Widmer Schlumpf et au Directeur de l’Office fédéral des migrations, Eduard Gnesa. Plusieurs groupes de soutien ont été créés sur Facebook. Et le décompte est loin d’être fini car on reçoit environ 50 nouvelles signatures par heure!

    De nombreux signataires ont accompagné la pétition d’un message personnel. Giusep Nay, ancien Président du Tribunal fédéral a notamment écrit : “Faire la preuve de nos hautes exigences en matière de droits humains serait, en particulier par les temps qui courent, fort utile à la réputation de la Suisse et susciterait de la compréhension pour les positions que nous défendons actuellement. Je suis confiant en une décision responsable et vous assure de mon plein soutien pour la défense des droits humains et des droits fondamentaux.”

    D’ores et déjà, la plus grande victoire de cette pétition est de mettre en lumière le profond attachement de notre pays aux valeurs de solidarité et des droits humains. Timothée, 13 ans, écrit : “J'ai visualisé le film La Forteresse avec l'école de Payerne, je suis en 8ème et j'ai été très touché... à un tel point que je vous envoie cette pétition, je sais pas combien vous en avez déjà reçu et vous allez encore recevoir, mais faites quelque chose...”

    En vous remerciant sincèrement pour Fahad Khammas,

    Fernand Melgar

  • Pensées de l'aube (59)

    Oiseau0001.JPG

    De la fascination. – Tu pourrais passer des nuits à mater cet écran, tu crois défier le vertige en scrutant ce vide qui ne reflète que le reflet de ce qui n’est pas, tu dévisages à mort ce qui n’a plus de visage, tu crois qu’il y a quelque chose à en tirer mais tu sais qu’il n’en est rien et que seule, ce matin, la fenêtre te délivrera de cette illusion…

    Du laisser faire. – Il n’y a pas de roue de secours qui fasse, pas de recours qui remplace le seul abandon, au tréfonds de toi, à cette attente de l’amour qui te dispose à le recevoir, sans rien vouloir ni pouvoir.

    Des mots de tous. - Dès avant l’aube c’est en vous comme une messe basse, un tendre marmonnement aux retrouvailles du point du jour et partout où vous allez humblement le long de vos sillons, et le jour se lève sur vous, sur nous, sur eux tous qui ont les mêmes mains pour pétrir le pain et pour étrangler, pour dire les mots du faux et du vrai…

    Image : aquarelle jlk 

  • Sursis pour Fahad K.

    Fahad2.jpg

    La ministre Eveline Widmer-Schlumpf intervient en personne pour annuler le renvoi.

    La matinée de jeudi a été marquée par de nombreux rebondissements, a révélé le journal de 12 h 45 de la Télévision suisse romande. Alors que Fernand Melgar était en route pour rencontrer Fahad dans son lieu de détention avant son renvoi prévu dans la matinée, le réalisateur a été informé qu'un avion avait été affrété et que l'expulsion devait avoir lieu à 10 heures de l'aéroport de Zurich.

    A l'arrivée de Fernand Melgar à Kloten, la police zurichoise l'a informé qu'Eveline Widmer-Schlumpf était intervenue en personne pour annuler le renvoi. Pour l'heure, les raisons qui ont poussé la conseillère fédérale à prendre cette décision ne sont pas connues, relate la TSR.

    L'incertitude demeure également quant au sort du requérant irakien. Ce dernier rebondissement ne pourrait être qu'un sursis dans sa procédure d'expulsion.

  • Pensées de l’aube (58)

    Panopticon8765.jpg
    Du changement. – On se promet de changer, le matin, on se promet d’être ce jour un peu meilleur que la veille, on ruse avec le serpent de la décréation qui ricane tandis qu’on se remet à l’ouvrage - et voici qu’une lumière me traverse et qu’elle m’inspire un quart de seconde avant que je ne retombe sur mes vieilles pattes, mais c’est elle qui me fait aimer un peu mieux ce matin mes vieilles pattes et ton ombre, mon amour, me retient de penser que rien ne changera jamais puisque ta lumière me fait pousser…

    De notre corps. – L’un me dit que c’est une guenille, l’autre un temple, juste une enveloppe qui se flétrit, une illusion plus ou moins séduisante, un sac de nerfs ou de nœuds, mon frère l’âne, notre maladie mortelle ou Dieu sait quoi d’inventé par ces drôles d’apôtres que sont nos frères humains, mais ce matin je me sens vraiment l’âme à fleur de peau, je t’ai vraiment dans la peau ce matin, ah ça ton corps est bon ce matin comme un pain, miam miam…

    De la rencontre. – Je ne sais si tout est écrit, prévu, noté comme sur du papier à musique, en fait je n’en crois rien, mais je sais parfaitement que rien de ce qui nous arrive n’est le fruit du hasard, rien n’a été prévu mais notre rencontre était prévisible, ni toi ni moi n’avons mérité cet amour mais l’amour est imprévisible et ça tu peux le noter et je l’écris aux enfants, tiens, tu as encore un peu de papier à musique sous la main ?

    Image : Philip Seelen

  • Pour sauver Fahad K.

     

    Fahad.jpgFahad K., protagoniste de La Forteresse, sera-t-il renvoyé aux bourreaux ?

    La Suisse s'en lavera-t-elle les mains ?

    La barque est-elle pleine ?

    Signez la lettre à ceux qui la mènent...

    Madame la Conseillère fédérale,
    Monsieur le Directeur de l’Office fédéral des migrations,

    J’ai appris l’arrestation de M. Fahad K., protagoniste du film La Forteresse, ce lundi 23 mars 2009 à Zurich. Par la présente, je tiens à vous exprimer ma plus vive inquiétude sur le sort de ce jeune requérant d’asile irakien qui risque d’être renvoyé, via la Suède, en Irak où sa vie est en grand danger.

    Menacé de mort par les milices islamistes irakiennes, Fahad K. a fui vers l'Europe. Il erre maintenant depuis deux ans, balloté d'un pays à l'autre, en quête de protection. En Suisse, une demande d'asile lui a été refusée en vertu des accords de Dublin et il a été renvoyé de force vers la Suède, premier pays européen où il a demandé l’asile. La Suède lui annonçant un renvoi forcé vers l'Irak, Fahad K. est revenu en Suisse se réfugier.

    Contrairement à la Suède, la Suisse, la France et Amnesty International sont opposés à tout renvoi forcé vers l'Irak vu la situation de violence généralisée qui persiste dans ce pays. Conformément à la position du Haut Commissariat aux Réfugiés, ils estiment que toutes les personnes originaires, comme Fahad K., du sud et du centre de l'Irak doivent obtenir le statut de réfugié ou une forme de protection subsidiaire. En Suisse, Fahad K. remplit donc parfaitement toutes les conditions légales lui permettant d’obtenir le statut de réfugié.

    Pour Amnesty International, Fahad K. court un très grand danger et a quitté l’Irak avec des motifs d’asile solides. Il ressort de son dossier que les autorités suédoises n’ont pas tenu compte de la portée des risques que ce dernier encoure dans son pays comme ancien interprète de l’Armée américaine. La Suisse a la possibilité de corriger cette erreur en faisant recours à la clause de souveraineté qui permet aux Etats signataires de Dublin de se saisir en tout temps d’une demande d’asile et d’appliquer ses propres critères.

    Je me permets de m’adresser à vous, Madame la Conseillère Fédérale, Monsieur le Directeur, compte tenu de l’urgence de la situation. Je souhaite que vous preniez toutes les mesures nécessaires pour protéger la vie de Fahad K. Je vous rappelle qu’il risque la torture et la mort dans son pays et que la Suisse ne saurait s’en laver les mains sans trahir profondément l’esprit des Conventions de Genève dont nous sommes les dépositaires.

    Je vous prie d’agréer, Madame la Conseillère Fédérale, Monsieur le Directeur, mes salutations
    respectueuses.

    JLK, écrivain, journaliste.

     


    Envoyez cette lettre  à votre nom:

    Mode d’emploi:
    1) Mettez votre prénom, nom et activité au bas de la lettre.

    2) Adressez la lettre après avoir effacé ce mode d’emploi à Madame la Conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, Monsieur le Directeur de l’Office fédéral des migrations, ainsi qu’au site du film La Forteresse.

    eveline.widmer@gs-ejpd.admin.ch
    eduard.gnesa@bfm.admin.ch
    info@laforteresse.ch


  • La Forteresse de l'asile


    Melgar10.jpgEn été 2008, La Forteresse, du réalisateur lausannois Fernand Melgar décrochait le Léopard d'or du Festival de Locarno dans la section Cinéastes du présent. Eveline Widmer-Schlump, ministre en charge du Département de l'intérieur, m'avait  dit être très impressionnée après la première du film. Celui-ci documente le séjour des requérants d'asile dans le centre d'enregistrement de Vallorbe. Aujourd'hui, l'un des protagoinistes est menacé de renvoi en Irak où sa vie est menacée.

    « Ce qui est terrible, c’est que nous ne savons pas d’où ils viennent et qu’ils ne savent pas où ils vont ». Ces mots d’une des collaboratrices du Centre d’enregistrement de Vallorbe, Fernand Melgar les cite en exergue de La Forteresse, qui en illustre magnifiquement la réalité. Le sentiment de « ne pas savoir » est au cœur de la question de l’asile, qui a permis, avant les votations de 2006, à la propagande blochérienne (notamment) de développer deux portraits-type du requérant : l’Africain dealer ou le Rom chapardeur. La réalité, on s’en doute, est bien plus complexe. Fernand Melgar, fils d’immigrés espagnols, clandestin lui-même en son tout jeune âge, a vécu le résultat des votations sur l’asile comme une trahison alors qu’il venait d’obtenir sa propre naturalisation. Autant dire qu’il était personnellement impliqué quand il a pris son bâton de pèlerin documentariste pour répondre à cette question : la Suisse est-elle xénophobe ?
    « Tout le monde a tenté de me dissuader de faire un film sur l’asile », commente-t-il aujourd’hui. « Mais lorsque j’ai expliqué à Philippe Hengy, l’un des responsables du centre de Vallorbe, que j’entendais y passer deux mois, soit la durée la plus longue d’un séjour de requérant, mon projet a commencé de l’intéresser… »
    Six mois de négociations (notamment avec l’Office fédéral des migrations) et de préparation avec une équipe qui partagerait son immersion, deux mois (de décembre 2006 à février 2007) de tournage, un patient travail d’apprivoisement de tous les « acteurs », requérants et collaborateurs du centre, des conventions de travail très précises et sécurisées : telle est la base logistique de ce documentaire qui voulait échapper au «contre » autant qu’au « pour » afin de vivre «avec» les protagonistes.
    Résultat : sur 150 heures d’enregistrement, 100 minutes d’observations et d’émotions parfois bouleversantes, mais ne jouant jamais sur l’effet. «Lors de mes premières approches, notamment avec des aumôniers, je sentais qu’on me peignait le centre sous des couleurs apocalyptiques», puis j’en ai découvert de multiples autres aspects. Avant de séjourner à Vallorbe, je me faisais une image simpliste de la réalité, comme la plupart des gens. Or ce qui m’est apparu de plus en plus fortement, c’est que la vie triomphe de l’enfermement. La réalité que je documente est très dure, mais j’ai voulu en capter toutes les nuances. « La seule fiction se trouve dans le réel », disait Godard. Et c’est à raconter ce réel que nous sommes efforcés avec mon équipe ».
    Ombres et lumières
    Le terme de « forteresse » a valeur de symbole : c’est à la fois ce centre vaudois qui tient bel et bien de la prison en dépit de son relatif confort, et la Suisse, l’Europe, l’Occident dont rêvent les damnés de la terre. Point de brutalité ni de hurlements à Vallorbe, mais des règlements stricts, l’ennui et la tentation pour les hommes de le fuir par l’alcool, l’encadrement sécuritaire – un gilet pare-balles entr’aperçu. Au fil de la procédure, des bribes de destins apparaissent. Récits parfois insoutenables. Avérés ? La tâche difficile des collaborateurs est de trier. Le film montre admirablement leurs cas de conscience autant qu’il reste à l’écoute de chacun. Et la vie filtre de partout : des fidèles africains transforment une messe en sarabande en entraînant le directeur bon pote, un enfant vient au monde, un Kurde invective un chiite irakien, un père Noël passe comme un ange pataud - et voici l’heure du verdict: permis accordé ou pas, transferts, lueur d’espoir, illusions perdues, départs vers on ne sait quelle clandestinité…

  • Pensées de l'aube (57)

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    De la confiance. – Tu te rappelles l’absurde injonction : garde ton cœur en enfer et ne désespère pas, tu tournes en rond dans ta cage et tu railles l’idée même d’un enfer et d’un espoir, et c’est ainsi que tu ne désespères pas de t’arracher à ton enfer…

    De la pudeur. – On leur reproche de ne pas être libérés, ils se gênent d’être gênés, leurs yeux se baissent devant l’exhibition des parties sacrées de tous ces inconnus, ils ne sont pas de leur temps, ils ont un peu honte de se cacher avec leur secret…

    De l’apaisement. – Heureux ceux qui se rappellent les mains de leur mère au travail, et pour les autres : heureux s’ils se rappellent les mains de leur mère au repos, sur le front de l’enfant malade ou jointes à ne rien faire...

  • Pensées de l'aube (56)

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    De l’envie dépassée. - Ce que j’aime chez toi c’est que tu aimes mon bonheur comme j’aime le tien, sans que rien de l’un ou de l’autre n’entame la joie de l’un ou l’autre, ainsi oublions nous que nous sommes deux sans oublier que chacun est seul devant sa joie…

    De la fausse parole. – Ce n’est pas que la langue leur fourche : c’est que leurs mots pour dire le vrai ne sont pas vrais, surtout quand ils proclament l’Urgence Absolue de dire le vrai pour pallier l’Horreur Absolue et le Mal Absolu et ceci et cela de tellement absolu que cela rejoint l’Absolu du Bio et du Budget…

    Du charme. – On constate que le penseur de charme descend le plus volontiers dans un hôtel de charme où l’attend la bonne vieille table de charme sur laquelle il aime à rassembler ses pensées de charme inspirées par les humiliés et les offensés hélas privés des charmes et des retombées de sa pensée de charme…

    Image : Philip Seelen

  • Sonate pour un homme seul

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     La vie des autres de Florian Henckel von Donnersmarck

    Il y avait beaucoup d’émotion l’été avant-dernier sur la Piazza Grande du Festival de Locarno, lorsque La vie des autres a été projetée pour la première fois devant cinq ou six mille spectateurs, et depuis lors, ce premier film d’un jeune Allemand né à Cologne mais de parents originaires d’Allemagne de l’Est, n’a cessé de passionner et d’émouvoir tous les publics, jusqu’aux States où il a obtenu l’Oscar du meilleur film étranger. 

    medium_Viedesautres3.jpgC’est une histoire à pleurer que celle de cet écrivain passant pour l'enfant chéri du régime, lié à une actrice non moins adulée, qui subissent d’un jour à l’autre (notamment parce que le ministre de l’intérieur a des visées sur la jeune femme) la surveillance la plus étroite de la Stasi, par le truchement d’un officier pur et dur de celle-ci, Wiesler de son nom. Usant des procédés techniques les plus au point, celui-ci se greffe pour ainsi dire sur la vie du couple. Parce qu’il défend un metteur en scène proscrit, et qui se suicidera en cours de route, l’auteur dramatique Georg Dreymann est soupçonné de duplicité, mais l’observation quotidienne à laquelle se livre Wiesler depuis le galetas de la maison, avec écrans et micros lui transmettant les moindres faits et gestes des amants, va l’amener à un revirement progressif alors qu’il voit les hauts responsables du Parti, auquel il obéit comme un véritable croisé de la Bonne Cause, se comporter comme des opportunistes de bas étage et des profiteurs carriéristes, de vrais porcs en ce qui concerne les ministres de l’intérieur et de la culture.

    medium_Viedesautres.jpgLa vie des autres est un film admirablement construit, dans une sorte de hiératisme crépusculaire où la menace de ne cesse de flotter, dont tous les interprètes sont impressionnants de vérité, à commencer par Ulrich Mühe dans le rôle de Wiesler et Sebastian Koch dans celui de l’écrivain. Si le rôle de la Stasi est bien illustré (qui mobilisa jusqu’à 91.000 agents et 180.000 informateurs pour une population de 17 millions d’habitants, soit le plus fort taux d’encadrement du bloc de l’Est), le réalisateur ne se contente pas de « dénoncer » vertueusement pour la satisfaction de notre bonne conscience, mais expose bel et bien  le dilemme tragique que beaucoup de socialistes sincères, entre autres artistes plus ou moins naïfs,  ont vécu, les uns cédant par fragilité (ainsi de l’actrice qui finit par trahir son amant après avoir été humiliée et abusée par l’abject ministre de l’intérieur) et les autres fuyant à l’Ouest ou se suicidant comme le metteur en scène ami de Dreymann, après la mort duquel celui-ci prendra sur lui de publier, à l’Ouest, un article éloquent sur le taux de suicide en RDA au mitan des années 80.

    Du film se dégage, finalement, le portrait d’un juste, auquel Georg Dreyman consacrera un roman après la chute du Mur lorsque, en possession des archives de la Stasi, lui qui se croyait épargné de toute surveillance, il découvre que c’est celui-là même chargé de sa filature et de la mise en fiches de ses faits et gestes qui lui a valu la vie sauve. Conclusion lénifiante que celle de La vie des autres, qui finit sur la vision de l’ancien agent de haut vol devenu petit employé postal anonyme  ? Nullement, car tout le film joue sur cette frontière imperceptible qui ne sépare pas d’office bons et méchants, héros ou salauds, mais évalue bel et bien, comme avec la plus fine balance, les sentiments et les actes de chacun. Qu’auriez-vous  fait à la place de chacun de ces personnages, dans telle ou telle  situation précise ? C’est le genre de  questions que pose implicitement, et très honnêtement, ce premier film magistral d'un jeune Allemand, à voir absolument.  

     

  • Pensées de l'aube (55)

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    Du chemin. - On repart chaque matin de ce lieu d’avant le lieu et de ce temps d’avant le temps, au pied de ce mur qu’on ne voit pas, avec au cœur tout l’accablement et tout le courage d’accueillir le jour qui vient et de l’aider, comme un aveugle, à traverser les heures…

    De rien et de tout.- En réalité je ne sais rien de la réalité, ni où elle commence ni si elle avance ou recule, pousse comme un arbre ou gesticule du matin au soir comme je le fais – ce que je sais c’est juste que tu es là, qu’ils sont là et que je suis là, à écouter cette voix de rien du tout mais qui nous parle, je crois…

    De l’exploit. - Ils ont fait du corps une machine lubrifiée à performances qui me donne froid à l’humanité, ce rutilement est la froide aura de ce culte sans mystère, jogging et baise numérique, course au point de plus ou au centimètre surpuissant dont la seule vue sereine des chemins et des bois et des toits et des monts et du ciel me délivre ce matin…

    Image: Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (54)

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    De la vue. – Il est certains jours - et ce peuvent être de beaux jours, où notre regard reste trouble ou troublé, et se pose alors la question des lunettes invisibles, mais où diable ai-je fourré ce matin mes lunettes invisibles ?

     

    Du nom d’emprunt. – Il est des Amateurs d’Art, ne considérant que Le Nom , qui renieraient leur émotion liée à telle Œuvre s’ils apprenaient que c’est un faux, alors que l’émotion n’a qu’un nom…

     

    Des invisibles. – Mirek m’écrit ce matin – Mirek que j’aime comme un frère ou un fils, sans l’avoir jamais rencontré, Mirek que j’aime à cause de ses poèmes et de sa passion pour les araignées, Mirek me remercie d’avoir accepté de publier ses poèmes, Mirek me dit qu’il va bien, Mirek dont je sais la tristesse liée à l'Amour Fou, Mirek qui m’avoue qu’il est ces jours horribly sad mais que ses poèmes aident à vivre…

     

    Image: Philip Seelen. 

     

  • Le réel absolu

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    En lisant Christiane Singer et Annie Dillard


    Je relis ces jours deux livres en alternance, ou disons plutôt que je les relis à tout moment, qui me font office, plus que de béquilles: de tapis volants. Ce sont les constats présents et joyeusement éternels d’une femme en train de mourir et d’une autre femme non moins attentive au plus vif de la vie.
    «Qui eût pu soupçonner qu’au cœur d’une aussi difficile épreuve se soit lovée la merveille des merveilles ? » se demandait Christiane Singer en janvier 2007, à un mois de sa mort, toute faible et ravagée, mais de plus en plus légère et rayonnante. A ses mots font écho ceux d’Annie Dillard qui évoque, au début d’Au Présent, le scandale énigmatique des enfants malformés, nains à tête d’oiseau et autres gosses à branchies de requins, pour constater : « Certes le monde est toujours aussi sublime, aussi exaltant, mais pour plus de crédibilité il faut bien commencer par les mauvaises nouvelles ».
    Il y a, chez Christiane Singer et chez Annie Dillard, un même mélange de porosité que je dirai christique, en cela qu’elles semblent accueillir toutes l’humanité dans leur observation, d’hypersensibilité délicate et de force, de force terrible, de formidable potentiel de joie. Est-ce par exaltation frisant l’hystérie morbide que Christiane Singer, sur son lit de mort, écrit d’un dernier bout de crayon «me croira-t-on si je dis que je n’ai jamais été plus heureuse que maintenant ?». Tout au contraire elle l’écrit les yeux ouverts sur la putain de maladie et la putain de mort, qu’elle accueille en fondant sa vie dans La Vie. De la même façon, c’est de toute son âme que Dillard interroge La Vie qui produit à la fois la merveille et le monstre, continuant de croire au sens de tout ça en scrutant les tempêtes sur le désert de Gobi, le Mal courant d'une génération à l'autre, les formations nuageuses, la vie en Israël, la pensée des Hassidim, les paradoxes apparemment insensés qu’on est prié de considérer comme allant de soi.
    Rien de va de soi quand on est à l’article de la mort ou sur la crête métaphysique de la vie, mais ne prenons pas pour de la résignation passive ces mots lumineux de Christiane Singer : « Ce lieu où tout cela advient m’apparaît si précieux que je dois en prendre passionnément soin. C’est le jardin où Dieu se promène chaque matin. »
    Dieu ne va pas bien ce matin, nous souffle Anne Dillard, ça a beau être dimanche, ça ne s’arrange pas dans le monde est c’est ça qu’il faut réparer nom de Dieu. « La divinité frêle est un Rien, un SUR RIEN », disait Angelus Silesius, et Christiane la mourante : « Je ne mange ni ne bois, je me sens cherchée ». Et cela aussi qui peut servir : « Je vous le jure. Quand il n’y a plus rien, il n’y a que l’Amour. Il n’y a plus que l’Amour. Tous les barrages craquent. C’est la noyade, l’immersion. L’amour n’est pas un sentiment. C’est la substance même de la création ». Et cela pour finir : « Je croyais jusqu’alors que l’amour était reliance, qu’il nous reliait les uns aux autres. Mais cela va beaucoup plus loin ! Nous n’avons même pas à être reliés : nous sommes à l’intérieur les uns des autres. C’est cela le mystère. C’est cela le plus grand vertige. Au fond je viens seulement vous apporter cette bonne nouvelle : de l’autre côté du pire t’attend l’Amour. Il n’y a en vérité rien à craindre. Oui c’est la bonne nouvelle que je vous apporte »…
    Christiane Singer. Derniers fragments d’un long voyage. Albin Michel, 2007.
    Annie Dillard. Au présent. Bourgois, 2001.

  • Pensées de l'aube (53)

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    De la prière. – Il ne me reste que les mots de l’enfance, et encore, parfois je bute – cette puissance et cette gloire me rebutent mais je traduis à ma façon, me retrouvant là-bas au milieu de mon jardin en enfance et dans nos bois sacrés qui me tenaient lieu d’Eglise et de Canon, toujours et encore ILS s’inquiètent de me ramener dans la Bonne Voie, comme ils disent, mais des clous : d’ailleurs je ne connais que ceux de la croix du rabbi Yeoshuah…

    De l’au-delà des mots. – S’il n’y avait que parler, mon pauvre toi, parler ou écrire, parler par la bouche et écrire de la main, mais tout te parle, animal à l’âme malade, ton moindre geste est là pour te dire ou te trahir – disons trahir le faux que tu dis, tout te traduit, surtout le regard, jusqu’au démon russe dont les paupières tombant jusqu’à terre trahissent le faux du regard, cependant dis-toi bien cela : que chaque mot que tu dis ou écris sera entendu pour ce qu'il aspirait à dire ou écrire…

    De l’après-ski. – Ce jeu merveilleux de votre enfance au milieu de l’immense nature glisse parfois vers l’imbécillité grégaire, mais tu n’en as cure, tu te fais vieux, raillent tes artères, tu auras bientôt droit à l’Abonnement Senior, misère, mais tu t’en bats l’œil car des ailes te poussent quand les enfants s’envolent, toujours et encore, dans la griserie de la neige vierge et de la poudre aux yeux…
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (52)

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    Du bon cours. – Cela te réjouit chaque matin, tu te rappelles vaguement le mot Matines à la cloche d’avant l’aube, au couvent d’à côté, et cela chantonne en toi même si tu n’es qu’un bon Dieu de ruisseau, après quoi tu deviens une espèce de psaume bondissant dans les hauts gazons direction la rivière et les horizons…

    De l’aléatoire. – Le putain de jour se lève sur l’arrière-cour défoncée et voilà le résultat du lendemain d’hier : c’est le Bronx, tu es né dans cette espèce de favella, c’est la faute à pas de chance et tu n’y réfléchis même pas : on t’envoie ce putain de jour de plus et ça te va, tu es déjà plus ou moins en manque sans trop savoir de quoi, mais tu sens que même ce manque t’iras pour cette fois puisque c’est toi…

    De la trace. – Parfois, pas tout le temps mais de plus en plus souvent, tu crois que quelque part tu vas laisser une trace, tu ne sais pas quoi, même pas ce que tu as fait ou pas fait, mais peut-être dans les cœurs, ou peut-être même pas, même si ces personnes seraient un peu de toi quand même comme tu crois que tu es une personne quelque part et que quelque part le mot de personne signifierait que t'es plus grand que tu crois…

    Image: Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (51)

    Scribe34.jpgDu cycle éternel. - Cher enfant de l’aube, les Egyptiens se figuraient que chaque matin représente le recommencement de la Création. Les Egyptiens saluaient chaque matin d’un hymne de reconnaissance qui rejoignait, aux premières lueurs du jour, les oraisons des babouins sur les collines du vieux Caire. La veille au soir le dieu Aton, vieilli sous le poids de la fatigue et du jour, avait conduit vers l’ouest la barque du soleil, et la déesse du Ciel, Nout la douce revêtue de ciel africain parsemé d’étoiles, avait fait voûte au-dessus de nos fronts et nous avions dormi. A la chaleur avait succédé la fraîcheur, le monde s’était reposé, aux douze portes du monde souterrain le soleil avait triomphé du grand serpent Apophis, personnification du néant de toute chose.

    De la pesée. - Et ce matin j’ai vu de loin la barque du soleil réapparaître et je me suis senti renaître, puis je l’ai suivie des yeux qui s’en allait vers l’ouest et vers toi que j’ai confié à la prière des enfants de l’éveil. Les Egyptiens associaient la beauté au sacrement de chaque chose et de chaque être. A l’instant de la mort ils se figuraient que le coeur du défunt était pesé sur une balance dont l’autre plateau portait une plume provenant de la chevelure de la déesse Maât, déesse de la Vérité. Il fallait aussi bien que le coeur d’un hommne mort fût trouvé aussi léger qu’une plume s’il voulait échapper à la dévoreuse d’âmes à forme de crocodile.

    Du jour qui vient. - Je me figure alors ce matin que je suis un scribe accroupi au milieu de la salle du renouveau et que je t’écris, petit pharaon au regard de Fayoum. Je me figure que j’ai toute la vie de ce jour pour ne faire que donner un corps à la pensée du matin et une âme aux signes du jour.

  • L’enchantement au bord de l’eau

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    Concert scénique, la dernière création de Heiner Göbbels, à Vidy, relève d’un art incomparable.
    La magie conjuguée du verbe, de la musique et de l’image émane en beauté pure de la dernière réalisation du compositeur et metteur en scène allemand Heiner Göbbels, à laquelle participe le sublime quatuor vocal anglais du Hilliard Ensemble, dans une scénographie également magistrale de Klaus Grünberg.
    Qualifier cette création polyphonique de «concert scénique» indique immédiatement le type d’écoute requis, où la perception sensible passe avant la compréhension d’un sens quelconque. Celui-ci n’est pas absent pour autant des quatre textes poétique rassemblés, à commencer par la fameuse Chanson d’amour de J. Alfred Prufrock, où l’humour du génial T.S. Eliot entremêle trivialité quotidienne et résidu de cérémonie sacrée. Au-delà du récit et de tout « message » discursif, dont La Folie du jour de Maurice Blanchot illustre le dépassement dans une modulation «simultanéiste» merveilleuse de Klaus Grünberg, le fil rouge d’une narration épurée lie les trois morceaux principaux, dont le Cap au pire de Samuel Beckett touche à une sorte de litanie sonore défiant la traduction, et l’intermède ironico-lyrique de L’excursion à la montagne de Franz Kafka.
    Les spectateurs impatients de comprendre ce que « ça veut dire » seront peut-être aussi désorientés que devant une toile de Rothko ou à l’écoute du Miserere d’Arvo Pärt (autre interprétation référentielle du Hilliard, soit dit en passant), mais rien, dans I went to the house but did not enter, de l’esbroufe sonnant creux de tant de spectacles de «recherche», car ici l’on «trouve», au sens des trouvères médiévaux. A partir de textes qui sont à retrouver (quatre pures merveilles à revisiter aussi bien), le compositeur-metteur en scène trouve, de concert avec cet autre homme–orchestre qu’est le scénographe-peintre, et avec quatre voix comme surgie hors du temps, la beauté où elle est, cernée d’abîmes, portée par le chant, voilée de mystère…

    Göbbels4.jpgLausanne. Théâtre de Vidy, jusqu’au 21 mars. Me-je-sa, 19h. Ve, 20h.30. Di, 17h.30. Durée :2h. Location : (021) 619 45 45 ou www.vidy.ch

    Images: La séquence tirée du Cap au pire de Beckett; Heiner Göbbels.

    Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 17 mars 2009.

  • Pensées de l'aube (50)

    Samivel4.JPGDe la louange. – Quant au complot des dénigrants, qui s’affairent tous les jours à défaire, ne lui oppose aucun autre argument que ce bonheur de faire qui t’a fait ce que tu seras et qui t’aide à faire, au sens qu’entend la poésie et qui soulève tes paupières de fer tandis que l’oiseau Bach vocalise les yeux fermés…

    Du l’exorcisme. – Tu me dis DEJA et je te réponds : JADIS en souriant au long récit qui se continue, tu me tentes avec un ENFIN satisfait, auquel j’oppose un ENCORE qui te freine et te confronte à mon attention présente, puis nous en revenons au JAMAIS et au TOUJOURS dont nous usons et abusons alternativement – et pour avoir le dernier mot, comme les curés, je te dirai que JAMAIS tu ne m’auras et que TOUJOURS je résisterai à notre commune tentation du désespoir…

    De l’aveuglement. – Une fois de plus, les beaux jours revenant, tu te dis que cet apparent triomphe de l’azur irradiant le bleu publicitaire n’est peut-être qu’un leurre, une autre façon de ne pas voir ce qui est, un agrément de tourisme abruti, quand la vraie musique est trempée de noir et du pire qui donne à entendre ce qui ne se dit pas…

    Image: Samivel 

  • L’âme nageuse

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    …Regarde-la pour mieux te voir toi-même, toi qui te crois changer avec l’âge alors qu’elle te signifie combien ton âme d’enfant lui reste consubstantielle, ton corps paresseux à se déprendre de ses vieilles peaux, ton esprit de chaque matin qui te retrouve dans la vague porté par ta joie de toujours, regarde-là qui t’ouvre le bleu du temps suspendu où ton verbe va modulant nue par nue…

    Photo  JLK: Nuage, le 20 août 2007.

  • Pensées de l’aube (49)

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    En mémoire d'Alain Bashung

    Des mots bleus. – Leur façon de parler poésie le front au ciel, eux qui ont toujours prétendu viser haut, ne s’est jamais traduite par aucune réelle envolée ni aucune traversée d’azur propre à nous donner des ailes, aussi est-ce dans la rue, à ras le pavé rugueux des poètes mal peignés, que nous aurons ramassé ces mots qu’on dit avec les yeux…

    Du vertige. – Une nuit encore et j’aurais crevé l’oreiller de ne plus te savoir à mes côtés, mais avant de me lever je te sens là toute émouvante en ta songeuse légèreté, plus besoin de te chercher partout où tu n’es pas car l’amour est partout où tu es, et plus encore ce matin neuf en pointillé…

    De nos belles illusions. – Oui c’est cela, gens de raison raisonnable, renouvelez s’il vous plaît nos abonnements à la berlue et ne cessez de vous en éberluer, vous les sages sous les massages de mains policées à cet usage - puis foutez-nous la paix s’il vous plaît et nous laissez tourbillonner…

  • Mélancolie bleu pétrole

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    Bashung a traversé le miroir...
    On avait beau le savoir au bout du chemin : c’est avec émotion qu'on a appris la mort, ce samedi préludant au retour des beaux jours, de l’étrange et magnifique Bashung dont le dernier opus, Bleu pétrole, nous a accompagnés ces derniers temps dans un climat de douceur crépusculaire aux errances rêveuses de résidents d’une drôle de république terrienne où le rose a des reflets bleus – des heures à se passer en boucle ces ballades aux mots-couleurs composant des tableaux-atmosphères «aux ongles un peu noircis» sur fond de jeunesses ébauchées, de tristesses surannées, sur «un grand terrain de nulle part » où règne une poésie sans rime ni raison…
    On pouvait ne pas vibrer à toutes les compositions de Bashung et, pour ma part, je ne suis jamais entré dans ses explorations musicales les plus déjantées voire destructurées, mais tout son parcours est constellé de vrais bijoux, à commencer par Bijou, bijou, où les tableaux bien ciselés alternent avec des visions plus ou moins délirantes dans lesquelles il faut oublier, le plus souvent, le sens des mots, et plus encore le « message », pour se perdre dans le labyrinthe des images et des séquences restituant le climat d’époques successives, entre le folk de C’est la faute à Dylan et les relents des sixties (Hey Joe ou Nights in white satin), les clairières mélodiques des Mots bleus ou les fugues de Malédiction, d’  Osez Joséphine ou de J’passe pour une caravane, entre tant d'autres.
    Le bleu pétrole, à la fois urbain et lyrique, correspond bien à la «couleur Bashung», avec une touche de surréalisme belge qui aura culminé dans la scène d’anthologie du dernier film de Samuel Benchetrit, J’ai toujours rêvé d’être un gangster, où le chanteur rencontrait, dans une cafétéria du bout de nulle part, cet autre allumé que figure son compère Arno.
    Là, à l’instant, Bashung me dit comme ça qu’il a des doutes sur la notion de longévité et sur la remise à flot de la crème renversée... donc voilà, pas de doute, le crabe  a bel et bien tué l'Artiste, comme celui-ci a flingué la pianiste / afin que l’on sache / que quelque chose existe…

  • Pensées de l'aube (48)

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    De cette voix en toi. – Tout semble avoir été soumis aux machines et aux arborescences virtuelles, mais une basse continue roule en toi le sanglot du vent autour de la maison seule autant que la rivière au primesaut de vos éveils enfantins - c’est une rumeur de partout sous les yeux clos du Temps étoilé…

    De l’altérité. – Je ne te demanderai jamais d’être l’Autre, je me défie de toute emphase empesée, je t’attends au coin du bois – qui est peut-être un désert ou ton lac de là-bas, sans savoir ce que tu me réserves et n’attendant que d’être surpris comme au premier jour, quand ta voix bondit pour la première fois de ta nuit à la mienne.

    Du ressentiment. – C’est de cela seul que je voudrais que tu me débarrasses, méchant moi, c’est de ce relent récurrent qui me taraude dans le bruit des bruyants malcontents, c’est de ce froid et de ce poids, gentil moi, que je te prie de me délivrer…

    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (47)


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    De ce qui t’est donné. – Ne te plains pas du bruit que font les bruyants, il y a partout une chambre qui attend ton silence comme une musique pure lui offrant toute ta présence entre ses quatre murs de ciel.

     

    Du temps imparti. – Tout ce qui vous manque est en vous, me disait l’homme des bois en juillet 1839, il n’y a qu’un remède à l’amour : aimer davantage, et c’est l’hiver à ce qu’il semble, mais c’est plus que jamais juillet 1839 pour l’homme des bois en toi qui te demande : pourquoi donc l’homme se hâterait-il, comme s’il y avait moins que l’éternité pour accomplir l’action la plus infime ?…

     

    De la fuite en avant. – Rien ne les arrêtera dans leur précipitation, ils sont plus que jamais hors d’eux, libérés de leurs chaînes tout en se croyant partout les maîtres, ils me font pitié les pauvres : moi je ne vis que de deux dollars par jour et c’est ce qu’ils jettent au mendiant qu’ils ne voient même pas, juste pour l’oublier tandis qu’ils traînent leur âme rouillée dans mon paradis...

    Image: Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (46)

    Thibon3.jpgDe ta jeunesse.- Tout est moche, me dis-tu avec ton intransigeance de dix-huit ans, de ce que vous avez fait de ce monde et de ce siècle ou laissé faire, tout est gâté et souillé, le monde que vous nous laissez est un foutoir, vous avez tout saccagé – alors je te reprends : pardon, petit, ILS ont tout vilipendé, et tu me reprends à ton tour : pardon, NOUS allons tâcher de réparer ce qui peut encore l’être, vieux frère…

    De la forêt. – En voyant ces livres s’entasser autour de vous – vos chers livres, vous constatez que la mort des arbres se fait de plus en plus à leur insu, sans qu’ils aient voix au chapitre, et c’est avec mélancolie et reconnaissance aussi que vous retournez à votre cher Henry David Thoreau, là-bas au fond des bois, loin de ces tas de livres qui n’en sont pas… 

    De l’au-delà. – Tu me dis vieille peau, que tu retourneras bientôt loin des oueds et des bleds et que tu t’en réjouis, et déjà cela me fait regarder ces immensités autrement, avec toi dedans, avec mon père et ma mère et tous les Indiens de la prairie retournés en poussière ou en fougères ondulant comme ta houppelande de marcheur du désert qui t’en vas maugréant sous le vent…

  • La double vue de l’aveugle

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    RECIT Brigitte Kuthy Salvi vit dans la nuit depuis l’âge de 15 ans. De ce qui lui a été arraché, la non-voyante a tiré Double lumière, un livre qui donne à mieux voir…
    Dans la vie de Brigitte Kuthy Salvi, il y eut un AVANT, suivi d’un APRÈS. Avant, c’est le souvenir d’une petite fille à laquelle son grand-père, sous le ciel étoilé de Carthage, fait découvrir la «couleur nuit » ou, lors d’une balade, lui dit « viens, sens cette belle de nuit».
    « J’ai tellement aimé voir ! », dira-t-elle… après. Mais avant, il y aura une première alerte, à onze ans, avec un premier décollement de rétine. « J’avais été opérée et je souffrais de la terrible interdiction de lire durant des semaines ». Suivra un répit durant lequel, amoureuse de peinture, elle commencera elle-même de peindre, jusqu’à ce soir fatal de sa quinzième année où son chirurgien ophtalmologue, lui annonçant l’échec d’une nouvelle opération, lui avoue qu’il ne peut plus rien pour elle. Alors elle : « Je l’ai consolé comme j’ai pu en me montrant reconnaissante de ce qu’il avait tout tenté pour que ma vie ne bascule pas dans cette obscurité terrifiante ».
    Et c’est l’après: « Pas une belle nuit noire qui invite au voyage » mais la peur, l’immédiate peur de s’endormir, les bouffées d’angoisse, les moindres bruits inquiétants, la panique à l’idée de perdre toute indépendance (surtout « que personne ne me prenne en pitié »…) et pourtant le recours aux autres, aux gestes parfois bouleversants, et son propre dédoublement : la Brigitte d’avant qui prend la main de l’aveugle…
    L’histoire n’est pas ordinaire, même rapportée à la statistique: environ 80.000 à 100.000 déficients visuels sur l’ensemble de la population suisse, entre 10.000 et 20.000 personnes suivies par des institutions spécialisées, 10% environ de celles-ci aveugles, 8 à 10% handicapées de la vue de plus de 74 ans. Autant de chiffres qui ne disent rien d’une réalité dont les voyants n’ont qu’une vague idée. Témoignages et reportages documentent certes les états du handicap, de l’aveugle de naissance aux victimes d’une cécité progressive. Rares, cependant, ceux qui nous font percevoir le drame « de l’intérieur». Plus rares encore les récits qui disent à la fois la souffrance physique et psychique de l’aveugle, mais aussi ses révoltes et ses espoirs, ses façons de passer de la peur et de la rage initiales à la vie partagée, active, constructive, ouverte à l’amour et à tout ce qui «reste» malgré la vue perdue.
    A cet égard, le récit de Brigitte Kuthy Salvi a quelque chose d’exemplaire. Pas tant pour la «performance» de la femme devenue avocate, ni pour sa façon de célébrer « ce qui reste », mais pour dire aussi ce que la cécité lui a apporté. « Depuis longtemps, explique-t-elle, tout ce qui se rapporte à la vue, et à ce qu’on ne voit pas même avec de bons yeux, me préoccupait, mais ce n’est que depuis trois ans que l’envie de casser ma solitude par l’écriture a trouvé sa forme, par fragments courts où je m’efforce de suggérer, de frôler les thèmes plus que de les traiter ».
    Rien pourtant d’évanescent dans ce récit qui dit les choses avec une sobre netteté. La double lumière fait certes allusion au dédoublement intérieur de l’aveugle, mais aussi à certaine Leila, « reine de la nuit » de la mystique soufie. Pourtant la « double vue » ne serait rien sans un combat terre à terre contre le handicap, mais aussi contre les autres et contre soi : dans les difficultés de l’adolescence et du réapprentissage, des études et de tous les emmerdements auxquels les voyants ne pensent même pas. Avec l’aide des siens, de ses frères et sœurs, de son compagnon dont elle perçoit le regard avec une saisissante acuité. Et de remarquer qu’il est des aveugles qu’elle ne rencontre pas mieux que certains voyants. Et de venir vers nous du même coup…
    « Si la vue m’était rendue, ce qui est complètement improbable dans mon cas, je me demande parfois ce que je voudrais garder de moi aveugle», remarque enfin Brigitte Kuthi Salvi, reconnaissante jusqu'à l’initiation que lui a valu son mal. Grande leçon d’humanité…

    Kuthy.jpgUne nuit scintillante de mots

    « On ne voit bien qu’avec le cœur », écrivait Saint-Exupéry. Vérité d’une pleine évidence mais parfois devenue poncif, et peut-être incomplète. Car on voit aussi avec les yeux du corps et de l’esprit: c’est tout un, se dit on en pénétrant dans le labyrinthe de Double lumière, tissé d’ombres lourdes et de peines, mais aussi d’allées plus légères (parfois illusoires, quand on retombe sur les angles durs des murs et des objets) et d’échappées vers le ciel des émotions, entre autre regards sur l’énigme de la création.
    Quand on lui demande pourquoi la musique n’est pas plus présente dans son livre, alors qu’elle va visiter des musées, évoque des films (y compris celui qu’elle a failli tourner) ou sa « rencontre » avec la sculpture de Giacometti, Brigitte Kuthy Salvi remarque justement que la musique est tout en elle et ne lui a jamais posé la moindre question, modulée en revanche dans ses mots. « Ce qui m’importe est de voir au-delà de la vue », dit en outre l’auteur de Double lumière, nous rejoignant alors par-delà son handicap.
    C’est en effet un livre de communion et de transmission que Double lumière qui nous aide, paradoxalement, à mieux voir…

    Brigitte Kuthy Salvi. Double lumière. Préface de Michel Cazenave. Editions de L’Aire, 161p.
    En dédicace à Lausanne : librairie Payot de Pépinet, le 19 mars, dès 17h.

  • Pensées de l’aube (45)

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    Du lieu commun. – On constate que la seule idée d’être comparé à qui que ce soit vous insupporte, rien que le mot fraternité vous fait grimper aux murs, nous lancez-vous avec le dédain de celui qui en sait tellement plus que les autres – ah les autres, quelle calamité grimace votre seul regard d’Unique, parlez-moi d’amour tant qu’à se vautrer dans les clichés ! d’ailleurs le moindre beau geste vous fait ricaner et toute belle personne ne saurait être à vos yeux qu’un faux-semblant…

    De la Béatitude.- Vous chantez l’immaculée innocence de tout ce blanc sans vouloir voir les mésanges aux mangeoires, mais c’est que c’est Gaza et toutes les étripées que les mésanges aux mangeoires, et je ne vous parle pas de l’arrivée du pic noir – là vous pourrez compter les millénaires avant la moindre négociation, et pourtant vous continuez de les alimenter ce matin encore: venez à moi les jolis assassins, heureux vous qui avez faim car vous serez rassasiés…

    De la ville enneigée. – À quinze ans tu te prenais pour Utrillo, cette neige de la ville aux murs tagués de suie et de rouille, cette légende de la Butte à poulbots et poivrots se cuitant avec les trottins du Lapin agile – tout ce lyrisme de pacotille de l’Artiste payant son litron en peignant des croûtes, tout ce rimbaldisme baudelairisant te faisait trouver beau ton vieux quartier décati de province à la Verlaine dont les hauts toits te reviennent ce matin sur le lin blanc de ton nouveau tableau…

    Image: Escaliers du Marché, dessin de Richard Aeschlimann, 1974.

  • Gloire à Daniel Kehlmann

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    Après Les Arpenteurs du monde, le jeune écrivain allemand rebondit en beauté en pleine dinguerie contemporaine. Un irrésistible conteur.

    Notre époque est formidable. Une erreur d’aiguillage de votre téléphone portable, et vous voici, quidam minable, destinataire de tous les SMS et autres appels ardents destinés à tel acteur célébrissime. Gloire à vous ! Et gloire à tous au plus haut des cieux actuels ou virtuels, que Daniel Kehlmann arpente en observateur aigu, drôle et tendre à la fois.

    Vous seriez donc ce quidam, réparateur d’ordinateurs un peu fatigué de votre femme, - elle-même lectrice assidue des livres new-age du fameux Miguel Auristos Blancos, auteur du Chemin du moi vers son moi -, et voici que l’achat (réticent) de votre premier téléphone portable vous vaudrait la surprise de recevoir les messages envoyés à l’acteur de cinéma Ralf Tanner. Hier encore, vous vous disiez : « Pourquoi certains ont-ils tout pour eux et d’autres presque rien ? », et voilà que le rêve ferait irruption dans votre vie. Mais vous pourriez, aussi, trois histoires plus loin, être ce Ralf Tanner, dont le téléphone portable cesserait de fonctionner et qui rencontrerait, en ville, un sosie puis un autre plus ressemblant à sa propre image médiatique que lui-même. Ou vous seriez le fameux Miguel Auristos Blanco, en train d’écrire Interroge l’univers, il parlera, et tout à coup l’interpellation d’une abbesse candide vous enjoignant, dans votre courrier, à répondre aux Vraies Question, vous découvrirait l’imposture de votre vie de moraliste mondial à la Paulo Coelho. Mais vous pourriez être aussi le jeune blogueur employé en téléphonie qui positiverait à la lecture de Miguel Auristos Blanco lui conseillant de « ne plus faire qu’un avec les choses » ou d’ « apprendre à accepter ». Or ces sages préceptes vaudraient aussi pour tel écrivain, du nom de Leo Richter, invité dans les centres culturels allemands du monde entier, persuadé de vivre une vie dangereuse malgré sa peur pour sa petite santé et auquel, lectrice, vous pourriez demander d’où lui viennent ses idées (question universelle à deux balles) tout en vous identifiant à sa compagne du moment, une Elisabeth cadre au CICR dont les délégués viendraient d’être enlevés en Afrique…

    Fantaisie et gravité   

    On pense au Voyage aux enfers du XXe siècle de Dino Buzzati en lisant Gloire, même si les personnages de Daniel Kehlmann ont plus d’étoffe affective et de présence charnelle que ceux du grand conteur italien. Par ailleurs, c’est bien dans le XXIe siècle postmoderne que nous plonge Kehlmann avec cette suite d’histoires communiquant entre elles, dont la plus émouvante est à la fois la plus « virtuelle». La vieille Rosalie, que son cancer du pancréas condamne à brève échéance, demande à l’auteur s’il ne pourrait pas lui réserver un meilleur sort que de l’envoyer se faire euthanasier à Zurich ? Or Daniel Kehlmann, comme le Marcel Aymé de la nouvelle intitulée Le romancier Martin, parvient à nous faire croire à sa vieille dame tout en négociant avec elle le scénario de sa fin de vie.

    Magie, malice, pénétration sensible, regard critique, voire satirique, mais aussi compassion : telles sont les qualités  de l’écrivain-médium dont le rire qu’il tire de nous à chaque page n’est jamais froid ni blessant. Superbement fluide et chatoyant, musical jusque dans sa parodie du langage des dingues de l’Internet, ce roman en neuf histoires se dévore d’une traite tout en laissant, après lecture, place à une vraie réflexion prolongée. Autant dire que le plaisir de lire Gloire n’a rien de gratuit.

    Kehlmann6.jpgDaniel Kehlmann.- Gloire. Roman en neuf histoires traduit de l’allemand par Juliette Aubert. Actes Sud, 174p.

     

     

     

      

     

     

     

     

     

    Daniel Kehlmann en dates:

     

    1975 Naissance à Munich. Fils du réalisateur Michael Kehlmann et de la comédienne Dagmar Mettler.

    1981 Installation de la famille à Vienne .Etudes de philosophie et de littérature

    2003 Accède à la célébrité avec Moi et Kaminski (traduit chez Actes Sud en 2004), après trois premiers livres.

    2006. Les Arpenteurs du monde. Succès de l’année. Plus d’un million d’exemplaires, traduit en 50 langues. Prix Kleist. Vient de paraître en poche Folio.