Pour L.
Celui qui reconnaît en ce livre un viatique / Celle qu’émeut toujours l’apparition d’un animal sauvage / Ceux qui réparent la cabane dans les arbres de leur enfance / Celui qui observe le vol horizontal de l’épervier / Celle qui essaie de déchiffrer la langue à fulgurances des martinets / Ceux qui laissent entrer la nuit dans la maison où le feu veille / Celui qui s’avance dans le sous-bois avec des gestes silencieux / Celle qui croit entendre des voix dans la brise passant à travers les bouleaux jouxtant la maison de bois / Celui qui se demande en quoi l’engage la possession de la vie / Celle qui dit bonjour à la sittelle qu’elle retrouve tous les jours sans oser l’appeler « ma sittelle » / Ceux qui sont comme des perches à prières sur les cols de l’Himalaya / Celui qui en appelle à une nouvelle vie marginale que ponctueront les clics d’une espèce d’internet des oiseaux / Celle qui dit « on reste en contact » au chevreuil de passage / Ceux qui reconnaissent la saison rien qu’en fermant les yeux dans les odeurs de l’après-midi ou entre chien et loup / Celui qui arpente ses territoires d’une pierre crossée à l’autre / Celle qui est habités d’une présence plus forte que son faible pour les forts en sexe / Ceux qui pensent eau-de-vie quand ils boivent l’eau de source de la forêt à laquelle leur maison est adossée / Celui qui voit le lac à travers la forêt comme une sorte d’allusion au ciel / Celle qui sourit sereinement en se figurant la nuque broyée du mulot saisi par l’épervier / Ceux qui n’ont que faire de Baruch le polisseur de lunettes au milieu de la nature symphonique / Celui qui sait reconnaître le casse-noix sans le voir / Celle qui surprend le regard moqueur du blaireau (genre tu crois m’éblouir, pimbêche !) qu’elle éclaire pleins feux dans la nuit sourde / Ceux qui lisent les nuages sans se soucier de la météo / Celui qui parle de « frontière de rossignols » / Celle qui se rappelle l’odeur des foins dans l’arrière-pays et celle de son premier amant Aimé qu’aimait photographier le poète Gustave Roud / Ceux qui souriaient quand la sœur de Gustave Roud constatait en le voyant ramener une nouvelle série de photos de beaux jeunes paysans à demi nus : « Encore quelques poulains pour son paddock… » / Celui qui n’est touché que par l’art primitif y compris celui du dernier Hodler / Celle qui peint des lointains en rêve / Ceux qui collectionnent des araignées dont chacune a un prénom / Celui qui se demande où le pic noir a trouvé la ligne de son vol évoquant une brasse coulée pleine de vigueur retenue / Celle qui se définit comme une débile éclairée / Ceux qui franchissent des étapes à longueur de pensée, etc,
(Notes prises en lisant La pipe qui prie et fume, dernier livre de Maurice Chappaz, publié en octobre 2008 par Christophe Carraud à l’enseigne de la Revue Conférence et enrichi de monotypes de Pierre-Yves Gabioud)
Commentaires
J'aime la musique de ce "ceux qui", la douceur. On sent que cette petite suite est écrite sous l'égide d'une âme bienveillante. Amitiés. Frédéric
pourquoi avoir à nouveau censuré mon commentaire ? je comprends pas, c'était cadeau...
Quel commentaire ? Je lis ""^^"" et autres glup / zup / slup. Et je ne vois pas ce que ça commente. Donc je nettoie, et donc mon frère, yep, jaja.