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La fée Valse - Page 2

  • Les enfants perdus

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    Monsieur l’Abbé me dit que je donne ainsi naissance à des enfants perdus dont la plainte empêche les anges et Notre Seigneur de dormir.
    Chaque fois que tu le fais ils se trouvent comme chassés de ton vase sacré et voici qu’ils sanglotent dans la nuit, me dit Monsieur l’Abbé en s’approchant de moi.


    Monsieur l’Abbé mime les sanglots en posant sa main sur la mienne.


    Nous devons rester pur, me chuchote Monsieur l’Abbé dont la main s’appesantit sur la mienne, comme pour l’enfermer. Nous ne devons pas faire de peine aux anges et à Notre Seigneur.


    J’aimerais être un enfant perdu lorsque la main de Monsieur l’Abbé descend. J’aimerais être un sanglot quand la pince se referme sur ma chose dure et que Monsieur l’Abbé se redresse subitement, le visage tout bouleversé - on sent qu’il est du côté des anges et de Notre Seigneur. J’aimerais être pur quand Monsieur l’Abbé constate qu’une fois encore j’ai péché.

     

    (Extrait de La Fée Valse)

    Peinture: Rico Wassmer.

  • Le Bug de l'an 2000

    littérature,société«On dirait des marques de derrières», releva un employé sur le ton de la blague, puis un expert le confirma devant la commission d’enquête: «Ce sont des marques de derrières».

    De derrières nus. De jeunes derrières peints. Pour parler clair: des traces de culs d’Indiens.

    Les registres du receveur de l’Etat furent les premiers touchés. Puis ceux de tous les dicastères de l’Administration.

    Les demoiselles poussaient des cris. Les chefs de service, sommés de sévir, étaient aux abois. Surtout il ne fallait pas que les médias s’en mêlent.

    Mais nul ne fut surpris de ce que les médias s'en mêlassent.
     
    Ainsi les marques de derrières apparurent-elles sur les morasses des journaux, sur les visages des présentateurs de téléjournaux, aux moments et aux lieux les plus inattendus: partout il y eut des traces de jeunes culs insolents, jusqu’au douzième coup de minuit marquant le tournant du millésime, après quoi tout rentra dans l’ordre.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Lesbos

     

    C’était un spectacle que de voir le lieutenant von der Vogelweide bécoter le fusilier Wahnsinn.

    Je les ai surpris à la pause dans une clairière: on aurait dit deux lesbiches. J’ai trouvé ça pas possible et pourtant ça m’a remué quelque part.


    Il faut dire que ça n’avait rien de la fureur du sexe. En fait, il semblait que ni l’un ni l’autre n’y pensait, comme si ça n’entrait même pas en ligne de compte.

    Le Hans Wahnsinn est un garçon de la campagne. Il passe son temps avec les chevaux et les filles de métairies. Quant au lieutenant, c’est un type sensible et sportif qui fera son chemin dans la Carrière, dûment épaulé par sa jeune épouse Lena.

    Il y a dans les rapports physiques un mystère. Savoir comment Egmont Ulrich Eberhard von der Vogelweide est arrivé à deviner la faiblesse du fusilier Wahnsinn, qui gémit comme une fille de ferme quand on lui léchote les tétons, là je m’interroge.
    Mais tout ça reste entre nous.

    En tant que parrain des jumeaux purs Aryens des Vogelweide je me la coince; et ma fonction de fourrier du 7e Wunderkommando m’a permis d’apprécier le fusilier Wahnsinn, qui s’est toujours porté volontaire quand ça merdait au niveau des corvées et qui ne se débine pas lorsque les nôtres en chient au front.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Rite ancien

    littérature
    - Maintenant tu seras un homme, mon fils, me dit mon oncle à monocle en désignant ma queue de lion.

    Nous nous sommes éloignés du village par les sentes conduisant à la Maison des Femmes que jouxte la Case de la Vierge. Le contraste que nous formons n’a pourtant rien que de naturel dans le rêve: mon oncle est du genre à porter le frac dans la savane, et ma queue de lion ajoute une indéniable dignité cérémonielle à mon corps entièrement épilé et peint aux couleurs de la possession.

    Mon oncle à monocle me conduit à la femelle fraîche: c’est la vieille règle de la brousse. Je roule les mécaniques pour la galerie, mais pas plus que mon père et le père de mon père je n’échappe à la pétoche.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • En coulisses

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    J’aime les sentir me frôler quand elles bondissent hors de la scène. On dirait des souris blanches ou de petites poules affolées.

    Oui c’est surtout ça que je palpe au vol: c’est ce côté duveteux et furtif ou cette sensation de plume mouillée.


    Surtout je les trouve émouvantes. Dire qu’il y a près d’un siècle qu’elles font rêver les gens avec ce truc assommant qui s’appelle Le Lac des cygnes, et qu’il n’y en a toujours, à la fin, que pour les solistes!


    Cela étant, les parties fines en coulisses, ça c’est du pipeau.

    D’abord parce qu’elles sont crevées et vinaigreuses de sueur, ensuite du fait de leur squelette. En tout cas moi ça me glacerait de toucher le sac d’osses d’une danseuse, moi qui aime la femme bien en chair et plutôt du genre olé olé.

    Je sais bien que les tableaux du sieur Degas ont quelque chose d’assez émoustillant, mais faut jamais oublier les odeurs de pied et la poussière en suspens qu'il y a là derrière.

    Enfin je ne crois pas la trahir en précisant que Fernande n’aime faire ça que sous les draps et qu'en tant que pompier de l'Opéra j'ai ma dignité.

     

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Verts paradis

    littérature,poésie

    Dans le rêve je me trouve sous une Volkswagen enlacé à ma soeur benjamine, et nous y sommes superbien, mais rien de sexuel là-dedans.

    Nous jouons comme souvent, avec mes cousines, au Dromadaire. Cette fois nous faisons la course dans les dunes. Le vent soulève leurs jupons et j’y vois tout.

    Elle se regarde dans le grand miroir de la chambre de ses parents qui rentreront tout à l’heure de l’église. Elle est  vierge et pure, sainte en chemise, et pour la Mary Long qu'elle s'est allumée en douce, il suffira d'aérer. Poil au nez.

    Les filles se baignent ensemble dans le baquet de bois, les garçons dans celui de fer.

    Un oncle nous fait voir ses biceps. Nous faisons la queue pour les tâter. En passant nous humons les effluves de sa virilité. Il parle sept langues. J’essaie de me représenter ces sept langues dans sa bouche à lèvres.

    Je dois procéder à l’inspection des cousines. Il s’agit de vérifier le bon état de fonctionnement de leurs cycles. Les grandes ont de grandes roues et les petites de petits patins latéraux. La chair des unes et des autres est bien ferme. Je me sens ogre avec les petites et cuisinier de chasse avec les grandes. Mon frère les examine et note toutes les réparations dans son carnet du lait.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Romeo et Giulietta


    littérature,textes courts

    Romeo ne parle que de ça, vraiment ça l’obsède. Il me la faut, il me la faut, il me la faut, répète-t-il en salivant comme une bête, et ce qui suit est étrange.

    Dès qu’elle lui est livrée il se met à fréquenter les cinémas de province. La logique voudrait qu’il se montre en ville avec elle, mais pas du tout; et personne ne comprend à quoi rime le choix des toiles qu’il se paie.
    Personne n’a pigé qu’elle ne devait pas avoir de rivale.

    Personne n’a remarqué qu’il ne supportait plus les femmes à robes rouges.

    Personne ne remarque non plus que le mal qui le rongeait s’est résorbé, vu que personne n’était au courant.

    C’est grâce à elle que, de cinéma en cinéma de province, il découvre l’arrière-pays et la peinture sur le motif.

    Personne ne sait qu’il lui parle comme à un amante italienne:
    - Giulietta mia, ti voglio bene, ce genre d’inepties dont il est le premier à sourire.

    Lorsqu’il rate un virage et se précipite avec elle contre un chêne, il en réchappe mais restera paralysé. Elle, on l’envoie à la casse en dépit des râles du malheureux.

    Il en parlera toujours comme de l’amour de sa vie, mais personne ne comprendra de qui il s’agit.

    Certaines caissières de cinémas de province se souviennent de cet étrange garçon.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Les vieilles sirènes

    littérature


    L’avantage avec notre queue c’est que nous restons vierges. Cela facilite la concentration dans les travaux typiquement féminins.

    Contrairement à ce qu’il en est des humaines, c’est durant notre jeunesse que nous connaissons la mélancolie, ensuite de quoi nous devenons philosophes et beaucoup plus joyces.

    A l’asile, le long de la route poudreuse de fin juillet, nous restons sur les margelles de la fontaine et battons ainsi la mesure en tâchant d’attirer l’attention des faneurs demi-nus.

    Les faneurs demi-nus ne sont pas indifférents au battement de queue des vieilles sirènes des établissements médico-sociaux.

    Tout en attendant quelque bonne fortune, nous nous racontons nos rêves en cherchant un peu de fraîcheur sous les saules.

    L’une d’entre nous prétend qu’elle a passé la moitié de sa vie dans un bassin d’acclimatation de l’arrière-pays de Biarritz, dont le gardien prénommé Nestor lui mordillait les tétons avec un art qu'une geisha de passage dans le Sud-Ouest lui avait enseigné.  Nous l’avons d’abord prise pour une affabulatrice, puis elle nous a fait une imitation de la langue basque qui nous a fait pouffer, comme au bon jeune temps...

    Image: Le faucheur, de Gustave Roud

  • Les mains du masseur

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    On ne parle que de la réparation du malade, mais point assez de sa jouissance et de celle des mains des saints hospitaliers, filles et garçons.

    Prenez le cas du machiniste Pedro, le splendide athlète aux yeux verts du Kouros Club, transformé en torche vivante sur son chantier et ramené à l’hôpital sous forme de crevette calcinée: des semaines durant, entre la vie et la mort, il n’a connu que les flammes de l’inconcevable douleur, couché sur le feu du drap blanc, puis les mains sont arrivées.

    Dans le rêve éveillé de Pedro ce sont évidemment des mains de femmes vêtues de blanc qui le massent ainsi en lui murmurant de bonnes paroles. Puis il conçoit avec horreur, au fond de son délire, que les plus douces et les plus attentives, les plus patientes aussi sont celles d’un jeune Américain au prénom de Christopher.

    Les mains de Christopher ont connu le bonheur de ramener le grand brûlé à la vie avec force onguents et palpations. L’idée que les mains de ce type l’aient touché est officiellement insupportable à Pedro, mais il se dit aussi qu’il ne reverra plus jamais le Ricain, et cela lui est une espèce d’odieuse peine, puis il reprend l’entraînement et tout est oublié.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Fin de partie

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    Notre ami le coupeur de tresses a le meilleur jeu ce soir, et sans doute va-t-il nous plumer une fois de plus. Le jeune révérend lesbien relève en souriant qu’il y en a qui naissent coiffés, ce qui nous fait rire en vertu de notre vieille complicité, eh, eh.

    Notre convention stipule qu’à celui qui gagne on paie sur la cagnotte ce qui lui fait plaisir, et là ce ne sera pas compliqué vu le goût simple de Ferdi ; et vous savez que les filles tressées ne manquent pas dans cette partie de Vienne.

    Cependant Vienne, précisément, nous inquiète.

    Nous parlions ce soir de la situation générale dans le pays. Tout ouverts que nous soyons aux penchants spéciaux, nous nous inquiétons depuis quelque temps de voir s'affirmer en nombre les vociférateurs aux bras levés, et d'autant plus qu'ils nous vilipendent dans les journaux et les assemblées. En réalité, la marge de liberté s’amenuise pour les marginaux singuliers que nous sommes, tandis que les vociférateurs croissent en nombre et en surnombre les bras levés comme des membres.

    Mais que deviendrait la société vienoise séculaire sans nous autres innocents coupeurs de tresses, renifleurs d'aisselles et autres buveurs de larmes à l'ancienne, sans parler de nos amis poètes également menacés ?

    C'est de cela que nous parlons ce soir en brassant nos cartes, au fond du café que vous savez, dont nous ne savons pas, nous, quel sort l'attend avant longtemps, que nous partagerons.

    Image: Poupées de Bellmer.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Le Bouc

    littérature

     Il n’est pas facile de le repérer, et d’autant moins qu’il y a souvent de très beaux mecs chez les ramoneurs.

    Les femmes des villas des hauts de ville sont évidemment favorisées par rapport aux habitantes du centre, mais c’est surtout en zone de moyenne montagne que se dispensent le plus librement les bienfaits du ramonage.

    Il est en effet surexcitant de voir les bandes de ramoneurs passer d’un pâturage à l’autre. Elles les suivent aux jumelles. Dès qu’il y a un nouveau le téléphone arabe le signale. C’est alors à celle qui se fera la plus aguicheuse en feignant d’être surprise au saut du lit.

    Aucune d’elles, cependant, ne s’attendait à ce que leur offre Antonin le velu, dit Le Bouc.

    Toutes autant qu’elles sont, elles vous diront que le sobriquet pèche, car Le Bouc sent la fleur sauvage. Plus qu’il n’est velu, Le Bouc est à vrai dire chevelu, couvert d’une vraie toison dont la caresse est une rareté au dire de la gent féminine. Ses grands yeux bleu ciel, son corps sculpté jaillissant de la combinaison noire à l’âcre odeur de suie , sa douceur de mie et sa vigueur de quille, enfin les mots inimaginables qu’il murmure à tout le corps de celle qu’il fait jodler de plaisir tandis que ses potes ramonent en sifflotant, tout cela fait une réputation à l’équipe de Maître Leleu qui se répand sur tout l’arc alpin.

     

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Châteaux en enfance

    littérature,journal intime
     On voit toujours d’inimaginables châteaux de sable le long des rivages, et c’est le meilleur signe à mes yeux de la survivance de cette disposition créatrice qui caractérise la première enfance et la part artiste de chacun. N’est-ce pas un privilège absolu que de pouvoir faire un château de rêve d’un tas de sable de rien du tout ? Est-il rien de plus bellement gratuit et de plus gratifiant que de construire un beau château de sable, poème ou roman, que le vent soufflera ce soir ? 

    Le long des dunes, ce lundi 6 mai 2013.

  • Aux jardins Boboli

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    A Gérard Joulié.

    Ce que j’aime chez vous,
    c’est ce lord, mon ami.
    Chez vous l’élégance et la mélancolie
    diffusent comme une douce aura de nuit d'été.

    Nos conversations le soir
    à l’infini s’allongent
    au hasard des bars.
    et quand nous nous retrouvons à la nuit
    (rappelez-vous cette soirée d’été
    aux jardins Boboli, lorsque nous parlions
    de ce que peut-être il y a après)
    sur la marelle des pavés
    nous jouons encore
    à qui le premier
    touchera le paradis.

    Aux jardins Boboli, cette nuit-là,
    vous m’aviez dit que vous,
    vous croyez qu’on revivra,
    comme ça, tout entiers.
    Pour moi, vous-ai-je dit,
    je n’en sais rien: patience.
    Je ne crois pas bien,
    mais, comme au cinéma,
    j’attends:
    les yeux fermés,
    comme aux jardins Boboli de Florence
    je souris en secret.

    Comme aux jardins Boboli,
    je ne vois qu’une lueur
    à l’envers de la nuit.

    Thierry Vernet, Conversation nocturne. Aquarelle.

  • La paix des sens

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    L’apparition dans la pénombre du sous-bois de l’ammanite phalloïde au gland mauve ne trouble plus Mademoiselle Terrier notre ancienne maîtresse de piano.
    La nostalgie des anciennes élèves de l’école de couture de Plan-les-Ouates que les Italiens sifflaient si joliment à la sortie s’est diluée dans leurs souvenirs des éditions successives du Festival de San Remo, mort avant elles.
    Un docteur Uli Mauser a proposé à son vieil ami le juge Miauton qui lui a avoué qu’il ne « levait » plus, de lui injecter une dose d’un certain produit, mais ce cher Max a répondu qu’il en avait assez du va-et-vient auquel il préfère désormais les films d’animaux.
    Au total on voit un peu de tout : certains se calment avec l’âge, d’autres se découvrent des goûts de vendanges tardives, il y a maints dérivatifs offerts par les académies du soir et les matinées au hammam, les tea-rooms ou les clubs de bricolage - mais à part ça l’on sait encore certains chats le faire à vingt ans en douces volutes, alors pourquoi se gêner ?

  • Les cocolets



    Nous nous retrouvons, toute la bande, dans le ruissellement d’eau chaude des bains de Chianciano Terme. Nous passons toutes les après-midi à nous prélasser sur la pente ruisselante et là tout est permis. Je veux dire que nous sommes officiellement autorisés à nous cocoler en plein air, au su et vu de tout le monde. C’est ainsi que nous, toute la bande, qui nous cachons à l’ordinaire pour nous cocoler, nous nous sentons réhabilités dans notre goût innocent.

    Chacun et chacune fait ce qu’il veut dans le ruissellement d’eau chaude. Les vieilles catholiques de l’Acquasanta sourient aussi gentiment aux jeunes gens baraqués du Boston qu’aux filles en fleur du Savoia Palazzo, enlacés dans la vapeur sulfureuse comme aux murs du Dôme d’Orvieto les corps nacrés de la Résurrection de la Chair de Luca Signorelli.

    Quant à nous qui nous cocolons, nous nous réjouissons de nous retrouver toute la bande. Le soir nous évoquons, sur les transats du Grand Hôtel, nos années d’enfance à lire à longueur de nuits blanches des livres poudroyant de bactéries de sanatorium ou de poudre d’or du Far West. Nous sommes les petits blessés de l’âme aux infirmières zêlées, nous sommes les cocolets aux infirmières ailées.

  • Confusion

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    C'est l'une des seules fenêtres qui restent éclairées dans la masse ténébreuse de la cité, et le voyeur engoncé dans son pardessus continue d'espérer que des corps vont apparaître de dessous les draps formant là-bas comme un nuage.

    L'idée de corps enlacés dans cette nuit en banlieue le rend fou. L'idée qu'un couple fasse des choses sous ces draps qui bougent et qu'il n'en voie rien lui est une espèce de supplice, mais il ne perd pas tout espoir. À trois reprises déjà il a senti le froid le gagner quand la lumière s'est éteinte, puis la lumière est revenue.

    Et tout à coup il y a du nouveau. Hélas on dirait une infirmière et pas le temps de l''maginer nue sous la blouse car voici sortir des draps la tête d'un vieil oiseau déplumé qui lui rappelle celle de Clara.

    Alors cette pensée le ramène chez lui: ne se reproche rien pour autant mais se promet que, demain soir, il reprendra la lecture à sa vieille locataire aveugle qui lui dit que l'écouter la fait jouir.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • La Fée Valse



    Elle met ses jolis dessous dessus. Elle est la petite fille de tous les âges et de tous les pays. Elle est la sage tannée comme le cuir de l’humanité à la première heure. Elle est le sourire de la lune.
    Sur le tapis de chair elle est la mer ondulée. Tous les nageurs la prennent, mais elle se relève à chaque fois plus pure. Sa mère, la pauvre, n’a pas eu cette chance, que la besogne a ridée. Tandis que Valse renaîtrait de la pire misère, mille fois violée et souillée on la verrait rebondir en quête d’un verre de lait.
    Le sourire de la lune lui apparut à la mort de son père. Depuis lors une chose s’est brisée en elle, qu’elle sait ne pouvoir réparer que de sa propre lumière. C’est pourquoi vous la voyez sourire toujours au bord de la rivière de la rue.
    Vous l’achetez, vous montez le nez dans ses dessous dessus, vous croyez la tenir, la retenir mais elle vous danse dessus et quand la lune se lève sur les corps rejetés par la mer vous voici sourire à votre tour à la fée qui danse.

    (Cette prose est l'initiale d'un recueil à paraître sous ce titre)

  • Aux Fruits d'or

     

    Barbare.JPGJ’ai bien aimé aussi, en notre bohème de ces années-là, retrouver le libraire Clément Ledoux en sa librairie des Fruits d’or, les fins d’après-midi, quand la lumière déclinait sur le Vieux Quartier dont les jardins se peuplaient alors d’ombres bleues.

    C’est lui qui m’avait appris, d’ailleurs, autour de mes seize ans que le bleu était la couleur d’origine des auréoles, et c’est lui aussi, le mécréant lecteur de Montaigne et de Voltaire, qui me révéla l’étymologie du mot Evangile, message de joie, qui incite à penser que le Maître n’est pas venu décrier la vie, au contraire : qu’on est là pour en savourer les bonnes choses et les partager avec de belles gens -  et Ledoux rallumait une Gitane sans filtre à la braise de la précédente en toussant.

    Les cafards ont interdit la fumée, que nous maudissons autant que nous avons maudit le crabe de Monsieur Ledoux, ce cher Clément dont le nom et le prénom chantent encore en nous bien après que Les Fruits d’or ont été rachetés par les Chinois du quartier, mais quel bien ça fait d’en rallumer une, ce soir, en louant le Seigneur des mégots.  

     

    Image: Le rêve des escaliers. Dessins de Richard Aeschlimann, 1973.

     

     

  • Au présent absolu

     

     

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    Il n’y a pas une poésie du passé qui s’opposerait à celle du présent: il n’y a qu’un saisissement, d’angoisse ou d’émerveillement, de l’être qui se reconnaît au monde et l’exprime par le cri ou le chant, qui me fait le contemporain instantané du poète T’ang lorsque je lis: “Où donc s’enfuit la lumière du jour ? Et d’où viennent les ténèbres ?”

    Je vois ces idéogrammes sans les comprendre, mais c’est alors qu’il m’apparaît que les mots parlent en deça et au-delà des mots, comme le corps se fait âme lorsqu’il danse, et quand je dis le corps “en chinois” je pressens qu’il est corps du pain et du vin et que son âme le déborde et le prolonge tant dans les sept sens que dans les songes de la mélancolie.

    Tout à l’heure, et c’était en l’an 700, là-bas à la corne du bois je fermais les yeux dans le parfum du soir et je traduisais en murmure ces traits ailés de pinceau depuis des siècles redevenu poussière: “Des jeunes filles se sont approchées de la rivière; elles s’enfoncent dans les touffes de nénuphars; on ne les voit pas, mais on les entend rire; et le vent se charge de senteurs en passant dans leurs vêtements”.

    Et mille deux cents ans plus tard, rentré dans ma trappe, j’avais les yeux ouverts sur le journal et je me rappelais les mots de Tou Fou: “A la frontière, le sang humain se répand, formant des lacs. Mais l’ambition de l’Empereur n’est pas satisfaite!”

     

    264c0cd5e7cd88ee9d20398e40657ef8.jpgCalligraphie de Fabienne Verdier

    Peinture ci-dessus: Fabienne Verdier, détail de Maturare No1, L'Esprit de la montagne, 2005.

  • Docteur Ruth



    L’entreprise gère toutes les situations. En principe, les questions et les réponses stockées dans le Grand Fichier sont ventilées tous les matins sur les médias-cibles par les opérateurs de l’Agence.

    Ceux-ci, en parfaite parité sexuelle et raciale, sont triés sur le volet. Il leur est cependant recommandé d’éviter toute affaire perso dans le périmètre professionnel; en outre, il va de soi qu’il est rigoureusement interdit de fumer dans les locaux de l’entreprise, et que les opérateurs ont le devoir de dénoncer ceux de leurs camarades qui manifesteraient encore la moindre tendance.

    Cela ne nous empêche pas de fantasmer grave en gérant nos fichiers.

    Enfin, et par exemple lorsque Docteur Ruth recommande à Susan de Gainesville (Florida) de ne pas culpabiliser parce qu’elle aime que Jerry lui mette les pouces dans les oreille quand il la prend en levrette, nous éprouvons quelque part une certaine fierté d’appartenir à la grande famille de l’Agence.

  • Croupes

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    ... Les plus douces, au bord du ciel, me semblent celles qui ondulent en haute Toscane, du côté d'Asciano, qui s'enfilent par les sentes remontant entre les sillons rouges aux franges moussues, velues sous la brise sèche, mouillant un peu sous le doigt du printemps - mais j'aime bien aussi les culs de la Parisienne ou de la Brésilienne ou de la Lycéenne qui font valser les trottoirs de la ville-monde...

    Image: Toscane rêvée, huile sur toile de JLK.

  • Feu de glace

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    J’avais vu Père et Mère le faire dans la clarté laiteuse de la pleine lune, et ce fut le lendemain en fin de matinée, après avoir achevé les mémoires de Sir Roald Amundsen, que je me présentai au bureau de Père afin de lui demander de m’expliquer ce qu’était la glace.

    Père coiffa son panama. Cela signifiait que nous partions immédiatement pour la ville portuaire.

    Durant tout le trajet, dans la Dodge, les images de ce que j’avais vu la nuit passée et des hommes sur la banquise se bousculèrent dans ma tête, et j’eus crainte que Père ne s’avisât de mon état.

    Notre arrivée à la pêcherie fut remarquée. Ce fut avec certain orgueil que je vérifiai le pouvoir de Père, qui me conduisit alors jusqu’aux longues caisses.

    Lorsque Père m’ordonna de toucher la glace, je ne fus pas surpris et cependant il me sembla que mon front se teintait du rose laiteux du sang des daurades.

    Image: Philip Seelen

  • Aïcha

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    Elle est la seule en mesure de dire quelle odeur règne dans chaque maison, et comment ces gens-là rangent leurs affaires, ce qu’ils oublient ou ce qu’ils cachent. Elle est à la fois curieuse, envieuse, fataliste et résignée. Surtout elle a sa fierté, et la prudence fait le reste.

    En tout cas jamais elle ne se risquerait à la moindre indiscrétion hors de ses téléphones à sa soeur, elle aussi réduite à faire des ménages, mais en Arabie saoudite.

    Dans les grandes largeurs, elles sont d’accord pour estimer que les employeurs musulmans ne sont pas moins entreprenants que les chrétiens même pratiquants. Venant d’un pays très mélangé à cet égard, elles ne s’en étonnent pas autrement. De toute façon, se disent-elles en pouffant, de toute façon les hommes, faudrait les changer pour qu’ils soient autrement.

    Dans un rêve récent, elle découvre le secret du bonheur dans un coffret en bois de rose, chez ses employeurs de la Villa Serena. L’ennui, c’est qu’elle en a oublié le contenu quand elle se réveille, et jamais elle n’oserait en parler à Madame.

    Ce qu’il faut relever enfin, pour la touche optimiste, c’est que ni l’une ni l’autre ne doute qu’elle accédera bientôt à l’état de maîtresse de maison.

  • Munch

    littérature,art

    L’affaire est grave : il n’y a pas un seul sourire chez Munch. Cependant une grande poésie de la douleur, une profonde mélancolie et délectation, tout le bonheur atroce de la beauté qui se connaît, je t’aime je te tue, tu m’es désir mortel, et partout cet Œil à la paupière arrachée – je n’ose même dormir.

    Sa chair blessée n’est pas que d’un puritain misogyne (rien chez lui des ricanements gris et des verts vengeurs de Vallotton), mais c’est la triste chair du triste ciel métaphysique, c’est la chair dorée et mortelle de la Madone vampire, c’est l’incroyable rencontre azur dans l’univers noir et la catin rousse aux yeux verts, c’est la luxure et la mort exilant Béatrice et Laure – à l’asile, probablement.

    Ce qui est certain, c’est qu’on en sait désormais un peu plus sur les dangers mortels d’un certain blanc et d’un certain rose, le drame muet se joue sur fond vert naturellement apparié au noir cérémoniel, mais les couleurs ne sont jamais attendues ni classables, chaque cri retentit avec la sienne et tous sont seuls dans l’horreur splendide.

  • Casting

    FéeValse64.jpg« Je veux les matrones à dix heures pile. Tu les fais aligner dans le studio 7 et je les veux maquillées à outrance mais sans coulures. Ensuite tu m’accompagneras au studio 3 où j’ai quelques nouveaux fortiches à chapitrer »

    « Tu sais ce que sont pour moi les matrones !», avait ajouté le Maestro à l’ancien Carlo devenu Carla.

    Or c’était trop peu dire que Carla savait, qui avait passé de l’état de fortiche à celui de matrone épanouie à larges fesses et mamelles. Comme le Maestro, Carla était folle d’Italie matriarcale.

    Tant qu’elle était Carlo, le petit mâle teigneux du sud profond, son inquiétude de démériter sous la bannière de la Virilité l’avait empêchée de se réaliser pleinement. Mais depuis l’opération, Carla jouissait à fond de la vie romaine, et le Maestro, qui avait naturellement méprisé le fortiche de naguère, apprécia tant la matrone qu’il lui offrit de travailler dans son gang.

    A l’heure qu’il est, Carla dirige les castings en costume flottant de courtisane babylonienne. On la dirait sortie d’un film du Maestro, lequel n’oserait jamais, soit dit en passant, pincer la joue des fortiches comme elle le fait, parfois, jusqu’à laisser sa marque.

  • Goya

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    Chacun de ses portraits m’apparaît comme une rencontre: à chaque fois on est surpris par la folle individualité du personnage représenté, et chaque fois on remarque que de sa propre rencontre a découlé la manière du peintre, tantôt protocolaire et tantôt plus familière, subtilement narquoise dans le mise en valeur du Comte de Fernan Nunez en jeune héros romantique dont on subodore la suffisance, ou vibrant de tendresse filiale lorsqu’il représente son petit-fils Mariano Goya.

    Jamais Goya ne triche à ce qu’il semble, s’exposant lui-même à l’instant de traduire tout ce que lui inspirent ses modèles, sans les flatter le moins du monde. Ainsi de Charles III en tenue de chasse dont la tronche rubiconde se détache sur la conque rose bleuté d’un ciel immense, alors que l’esquisse du Duc de San Carlos capte au vol la dureté et la trouble complexité d’un autre grand personnage.

    La rencontre la plus émouvante m’a paru celle de la Comtesse de Chinchon en son nuage de soie presque immatérielle, dont la douceur de l’expression est accentuée par le fait qu’on la sait en espérance.

    Touchant de vérité jusque dans ses travaux de cour, Goya nous bouleverse dans ses représentations plus spontanées et véhémentes de la détresse humaine, comme dans cet asile de fous dont les visions angoissantes font pendant à celles des Désastres de la guerre.

    Il y a là tout l’homme du haut en bas de la société, avec ses joies et ses angoisses, ses âges en balance (Célestina et sa fille, sur ce même balcon qu’on retrouvera chez Manet) et le mélange de souffrance et de confiance que me semblent symboliser les bras grand ouverts du Christ de La prière au jardin des Oliviers, dont le dépouillement pascalien vibre de la plus humble humanité.

  • La belle inconnue

    littérature

    Ces cocktails en province se réduisent toujours à des attouchements virils. La garde personnelle qui m’accompagne dans l’hélico n’est faite, évidemment, que de balèzes, tous plus ou moins à la recherche du père ou du grand frère. Sur l’île, ensuite, les chemins jusqu’au lieu de la Cérémonie sont hérissés de costauds à portables qui repoussent les femmes avec une sorte de mépris équivoque.
    Mais le plus pénible est le cocktail, après les discours et les revendications entremêlées de flatteries des délégations locales. J’ai beau donner des ordres: la ronde n’est faite à chaque fois que de la même masse grise de costumes et de nuques révérencieuses, de lunettes d’or et de chuchotements graves à Monsieur Le Président; et ces mains, ces molles traces de mains qu’au moment de me retrouver seul au palais je dénombre sur mon costume pendu comme un étendard qu’une foule a palpé !

    Ce soir cependant la merveilleuse surprise est là: cette trace de main de femme dont, à aucun instant, je n’ai remarqué la présence au milieu du grouillement de paires de couilles.

  • La vouivre

    littérature,nouvelles
    C’est le printemps des amants clandestins et des serpents furtifs, mais l’enfant ne ressent ces présences qu’à l’instant d’être perdu du côté de l’étang.

    Il voudrait sentir Maman contre lui tandis qu’à vingt mètres de là s’agite la double bête bruyante du marchand de couteaux et de la femme de chambre au gros pétard - l’expression est de son père.

    Lorsque lui apparaît la Bête, il est persuadé que le reptile est une mèche remontant à la femme et que le pétard va lui sauter contre, mais l’homme râle alors de toute sa gorge de fumeur de tabac noir et cela le fait décamper dans les herbes en refoulant de gros sanglots, ses larmes ont un goût de rhume et de pollen, ensuite il ne se rappelle plus rien que de confus - tout cela remonte en effet à tant d’années.

  • La cueilleuse d’yeux bleus

     


    littérature

    Elle fait tous les marchés où se retrouvent les jeunes paysans aux pommettes roses et les journaliers en quête d’ouvrage.

    Elle les cueille du regard et la transaction se fait à l’ordinaire dans l’heure qui suit. Mais l’accord n’est possible qu’à certaines conditions physiques précises excluant les Nordiques et les Américains de souche allemande.

    Il les lui faut glabres et d’un métal tranchant, la barbe de jais quand elle pousse et le front de celui qui pense avec le corps - il est exceptionnel qu’elle ait cueilli des yeux bleus d’intellectuels, sauf durant ses années d’Argentine les étudiants lettrés qui fréquentaient la maison de Lady Ocampo. Il les lui faut baraqués et doux, le bleu d’autant plus émouvant qu’ils sont vigoureux. Il les lui faut clairs et brumeux, le bleu liquide s’ils sont d’airain et le bleu diamant si l’anima prime en eux. C’est presque à fleur de peau qu’elle décide, mais nul d’entre ceux qu’elle a choisis ne l’a jamais repoussée.

    Cette manie les fascine à vrai dire chez une femme qui ne devrait être qu’un objet de convoitise. L’idée qu’elle soit demandeuse les sidère. Certains éclatent de rire lorsqu’elle leur fait sa proposition. Elle a remarqué qu’une certaine caresse leur attendrissait le regard sur la photo, pourtant elle évite de passer pour une fille facile aux yeux des plus sévères, pas toujours les moins intéressants.

  • Des goûts et des couleurs

    freud.girl-white-dog (kuffer v1).jpgElle le lange, il chie, elle le nettoie, il paie, il retourne au bureau.

    Elle doit avoir la bouche pleine de chocolat quand il opte pour le French Kiss.

    Cet autre exige qu’on l’appelle Excellence et qu’on lui suce les annulaires tandis qu’il mate une vidéo de Bruce Willis qu’il a toujours avec lui dans son attaché-case.

    Les amateurs de conversations privées sont beaucoup plus nombreux qu’on ne l’imagine. Certains clients t’allongent jusqu’à des trois cents euros pour t’entendre parler de ton chien blanc ou de leur avenir.

    Donaldson le Brésilien attend, pour sa part, que nous lui flattions la croupe. Il sait que nous sommes des tombes question publicité. Ce serait un scoop que de voir le mercenaire avant-centre de l’équipe nationale dans cette position d’offrande, et ces dames lui tourner leur compliment, comme quoi ses fesses sont plus belles que celles de Maradona ou de Ronaldinho, mais le contrat stipule l’absolue discrétion des employées et nous sommes une maison top sérieuse.

    Peinture: Lucian Freud