Notre ami le coupeur de tresses a le meilleur jeu ce soir, et sans doute va-t-il nous plumer une fois de plus. Le jeune révérend lesbien relève en souriant qu’il y en a qui naissent coiffés, ce qui nous fait rire en vertu de notre vieille complicité, eh, eh.
Notre convention stipule qu’à celui qui gagne on paie sur la cagnotte ce qui lui fait plaisir, et là ce ne sera pas compliqué vu le goût simple de Ferdi ; et vous savez que les filles tressées ne manquent pas dans cette partie de Vienne.
Cependant Vienne, précisément, nous inquiète.
Nous parlions ce soir de la situation générale dans le pays. Tout ouverts que nous soyons aux penchants spéciaux, nous nous inquiétons depuis quelque temps de voir s'affirmer en nombre les vociférateurs aux bras levés, et d'autant plus qu'ils nous vilipendent dans les journaux et les assemblées. En réalité, la marge de liberté s’amenuise pour les marginaux singuliers que nous sommes, tandis que les vociférateurs croissent en nombre et en surnombre les bras levés comme des membres.
Mais que deviendrait la société vienoise séculaire sans nous autres innocents coupeurs de tresses, renifleurs d'aisselles et autres buveurs de larmes à l'ancienne, sans parler de nos amis poètes également menacés ?
C'est de cela que nous parlons ce soir en brassant nos cartes, au fond du café que vous savez, dont nous ne savons pas, nous, quel sort l'attend avant longtemps, que nous partagerons.
Image: Poupées de Bellmer.
(Extrait de La Fée Valse)