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Au présent absolu

 

 

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Il n’y a pas une poésie du passé qui s’opposerait à celle du présent: il n’y a qu’un saisissement, d’angoisse ou d’émerveillement, de l’être qui se reconnaît au monde et l’exprime par le cri ou le chant, qui me fait le contemporain instantané du poète T’ang lorsque je lis: “Où donc s’enfuit la lumière du jour ? Et d’où viennent les ténèbres ?”

Je vois ces idéogrammes sans les comprendre, mais c’est alors qu’il m’apparaît que les mots parlent en deça et au-delà des mots, comme le corps se fait âme lorsqu’il danse, et quand je dis le corps “en chinois” je pressens qu’il est corps du pain et du vin et que son âme le déborde et le prolonge tant dans les sept sens que dans les songes de la mélancolie.

Tout à l’heure, et c’était en l’an 700, là-bas à la corne du bois je fermais les yeux dans le parfum du soir et je traduisais en murmure ces traits ailés de pinceau depuis des siècles redevenu poussière: “Des jeunes filles se sont approchées de la rivière; elles s’enfoncent dans les touffes de nénuphars; on ne les voit pas, mais on les entend rire; et le vent se charge de senteurs en passant dans leurs vêtements”.

Et mille deux cents ans plus tard, rentré dans ma trappe, j’avais les yeux ouverts sur le journal et je me rappelais les mots de Tou Fou: “A la frontière, le sang humain se répand, formant des lacs. Mais l’ambition de l’Empereur n’est pas satisfaite!”

 

264c0cd5e7cd88ee9d20398e40657ef8.jpgCalligraphie de Fabienne Verdier

Peinture ci-dessus: Fabienne Verdier, détail de Maturare No1, L'Esprit de la montagne, 2005.

Commentaires

  • salut Jean-Louis! Ai visité ton blog aujourd'hui encore. A bientôt!

    Emmelie

  • JLK en poète Tang, j'en rêvais, il l'a fait !

  • Tiens la même image est en couverture d'un petit Picquier que j'ai, que j'aime: "Le ciel pour couverture, le ciel pour oreiller (la vie et l'oeuvre de Li Po)!
    Très beau ce texte de dimanche, ces images... Autre chose que beau même: comme une transmission de l'idée du sublime, l'impression fugace de sa perception.

  • Il s'appelait vraiment Tou Fou ?

    Je plaisante, mais votre texte est grave, et la pensée de Tou Fou, donc, résume bien le malaise - le problème, c'est que l'ambition de notre empereur à nous ne réside pas dans la grandeur, il est définitivement un homme petit;

    Parfois, j'ai honte de la littérature, du plaisir des mots, des rencontres sur le net, des querelles autour d'un pastiche (ne pas abuser des pastiches et mélanges...;>), de l'érudition et du romanesque, à cause des coups sourds des philistins, juste au-delà du mur fragile qui nous protège tous, mais pour combien de temps encore ? Quand l'intérêt général, au lieu de primer les intérêts particuliers, se dissout dedans, devient cyniquement la somme des intérêts de quelques uns seulement, il faut d'autant plus croire à la littérature, aux arts, à tout ce qui fait une civilisation. Merci JLK de me le rappeler.

    Clopine

  • Un texte somptueux.

  • Il s'appelait bien Tou Fou, que je sache. Et le reste est sans importance. Seule importe La Chose. L'important c'est La Chose, comme disait l'autre, clopin clopine.

  • sommes-nous seuls, dans la nature, à savoir nous arrêter? et combien d'entre-nous osent ralentir le pas? je regarde Maturare No1 - - - l'inquiétude cesse

    je t'embrasse
    philippe

  • Fabienne Verdier ? L'immensité de son silence, sa patience, son humilité avant d'éclore et d'inscrire ces traces somptueuses où la connaissance devance la parole. Un geste qui mûrit lentement dans le vide absolu de l'être ouvert au chant du monde et cette bourrasque de vie, ces murmures font frémir le silence.
    Donc, il y a son écriture et celle de T'ang, de Tou Fou, de Li Qingzhao, de Li he et les calligraphies de Shitao, de Shu Shi, de Wang Xianzhi de Wang Xizhi... Et nous sommes là devant un grand mystère.
    Qu'est -ce qui fait qu'il y a un signe plutôt que rien ? Du repos, du calme, du silence viennent le ciel, l'eau et la terre. De ces zones apparentes du vide naît la tension, l'énergie qui va guider la main et l'encre.
    Et si nous arrivons à cette même qualité de silence, de vide, d'harmonie ces signes vont s'installer en nous, intemporels et justes et ce sera à nous de les échanger contre la terre , le ciel et l'eau...

  • Moi, pauvre ignorant, je découvre la calligraphie de la plus belle manière qui soit!
    C'est tout simplement, beau!
    Ce mot souvent dépressié reprend toute sa valeur perdue. Pour un instant. Pour l'éternité.

    A bientôt ici ou ailleurs.

  • Pigiste larron, (quel pseudo pétillant !), vous dîtes des choses épatantes : BEAU, par exemple. Dans la peinture, la calligraphie, la poésie chinoises , ce qui est beau est ce qui suggère une activité intérieure rythmée et harmonieusement organisée.
    "Shufa" : art de tracer (shu ; écrire, fa : art de faire) : exprimer une pensée et donner à cette pensée une beauté accessible à l'oeil. L'ensemble est fascinant. L'écriture a un rapport particulier avec la nature (le feu, l'eau, le bois, le ciel et la terre). Chaque trait s'inspire d'un élément de la nature (vague, vent, vol d'un oiseau, ruisseau...).
    Ensuite, tout passe par le corps, c'est pour cela qu'il est important pour le calligraphe d'entrer dans un calme(vide) parfait pour absorber et rendre les énergies du monde. Enorme activité intérieure : alchimie, recevoir, donner. Le geste de la main exprime le corps tout entier, rassemblé, bondissant et ralentissant le saut vers le geste, comme un film au ralenti d'un geste fulgurant. Fabienne Verdier explique très bien cela dans ses écrits.
    Alors vous serez prêt à l'attaque, lorsque le pinceau touche le papier.
    Amitiés.

  • Superbe, un saisissement, un surgissement...

  • Clopine
    l'orthographe en piyin est TU Fu mais on prononce Tou Fou
    l'un des plus grands poètes chinois.
    La dynastie Tang représente l'âge d'or de la poésie chinoise à tel point que le concours de Lettrés qui recrutait les fonctionnaires en avait fait l'épreuve principale !

  • D'où vient la lumière en nous ?
    Pourquoi pouvons-nous être responsables de ténèbres ?

  • Doit y avoir un lampadaire intégré, mais gare si on s'éteint: ça craint...

  • Dommage alors, qu'il n'y ait plus d'allumeurs de réverbères, ou si peu... Il fait bien sombre sur cette terre...

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