UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La fée Valse - Page 3

  • Les baisers

    Baiser1.jpg


    Les premiers supposés les plus dégoûtants, bientôt les plus exquis, les plus entêtants.

    Les plus frais de nymphettes à la citronnelle, au retour de la plage des corps chocolat, et l’envie de tirer sur les élastique pour entrevoir le blanc d'en bas.

    Les plus tendres les yeux fermés. Les pour la vie à douze treize ans. Les langues fourrées au Carambar ou au chewing gum Hollywood.

    Les baisers de la première fois, sur le premier corps, toute la première nuit, toutes les spécialités, mêlis-mêlés.

    Les baisers ardents, les baisers alanguis, les baisers hardis.

    Les baisers blasés à la longue, les baisers bavés, les baisers distraits, les baisers glacés.

    Le baisers immondes ou mondains. Les plus désespérés les yeux fermés. Les baisers de la baise.

    Les baisers délicieux du début du déclin. Les chastes baisers des Noëls esseulés.

    Les baisers aux défunts.

    Le biseau. Le brûlant. Le bilan.

    Image: Robert Doisneau

  • La fugitive

    Panopticon99999.jpg
    Je reçois une lettre anonyme signée Un ami qui vous veut du bien, qui me dit que celle que je cherche se trouve dans le métro de Paris. Je fais donc croire à Pomme, qui me présente volontiers comme son compagnon de vie, que je dois passer trois jours à la capitale, et je m’y attendais: elle me dit qu’elle ne pourra m’accompagner à cause de son atelier de patchwork.

    J’aperçois celle que je cherche sur le quai de la station Gaîté, mais c’est évidemment de l’autre côté des voies et ce n’est même pas la peine que j’essaie de la rejoindre puisque sa rame arrive à ce moment-là. Un autre jour il me semble en distinguer le pur ovale du visage dans la foule de Saint-Michel, mais ce n’est peut-être qu’une fantasmagorie; en revanche elle s’assied bel et bien en face de moi sur le trajet de retour entre Bastille et Gare de Lyon, et là je m’en veux de ne pas avoir le cul de bouleverser la sacro-sainte organisation de Pomme, qui m’attend ce soir pour fêter la libération des otages du Liban avec ses amis du Groupe Solidarité.

    Bref, je n’en ai pas fini de lui courir après. D’ailleurs cela devait être écrit puisqu’au jeu de la bague d’or, déjà, ce n’était jamais celle que je voulais à laquelle il fallait que je me prenne un baiser-vous-l’aurez.

    Image: Philip Seelen

  • Nabucco bibliophile



    Les Nubiens n’ont pas leur pareil à la frotte du bois de pierre. Tout ce qui pèse en moi de mélancolie se trouve allégé quand un Nubien lustre mes fameux sols de chêne silicifié que les ambassadeurs étrangers prennent pour de l’ambre.

    Je ne sais si les Nubiens ont une âme, il n’est pas de mon ressort de relancer la controverse de Ninive, mais peu d’êtres animés ont autant qu’eux le sens des hiérarchies esthétiques.

    Mêmes réduits en esclavage mes Nubiens n’ont rien perdu de leur ascendant princier. Je les aime voir manger des fruits crus et déféquer dans la paille, j’aime les voir lutter à mains nues et se masser ensuite à grand renfort d’onguents parfumés.

    En ce qui concerne la reliure, je recommande un abattage traditionnel des individus certifiés les plus purs quant au sang et au derme. De tous les volumes de ma Librairie, il n’est pas un dont on puisse dire que la façon pleine peau n’a pas pour provenance un Nubien travaillé à la fleur de l’âge.

    De la qualité des onguents fournis à mes Nubiens dépend en outre, pour beaucoup, l’odeur qui émane de mes chers ouvrages.  Or chacun sait, jusqu'au Barbare, que l'odeur est le langage de Dieu...

  • Amarcord à Venise




    À Venise la culture est pour ainsi dire naturelle. La ville est un tel artifice poétique qu’on en oublie les processions moutonnières. Il m’apparaît aujourd’hui qu’il n’y a rien à visiter, à Venise, que Venise. Tout à l’heure nous irons à l’Accademia dire bonjour aux courtisanes de Carpaccio comme à des cousines, et saluerons amicalement Giorgione en passant, mais à l’instant c’est n’importe où que Venise nous atteint, et plus encore dans les arrière-cours qu’aux lieux d’affluence.

    L’Italie populaire et lyrique que nous aimons est filtrée, dans Amarcord de Fellini, avec un génie qu’elle a inspiré et qui se continue tous les jours au naturel, comme cela nous est apparu ce soir, en sortant du cinéma pour déboucher sur un canal.

    Nous étions encore, après le mariage de la Gradisca, tout bourdonnants de la musique de Nino Rota dont l’accordéon n’en finit pas de chalouper, et voici que le générique avait défilé et que, sous le charme encore, un peu titubants, nous passions la porte du cinéma pour nous retrouver dans l’air chargé de senteurs de mer et de gazole – et là-bas, sur les eaux moirées, une gondole s’en allait avec son accordéoniste et sa romance à épisodes...

  • L’éternel gôuter

    medium_Arcimboldo.jpg
    Ceci est mon corps, dirai-je volontiers quand le temps sera venu, sucez mon pouce c’est du caramel, mangez mes doigts de pain parisien, buvez mon sang de vendange tardive, ne vous gênez pas, tout ça repousse à mesure : voici l’Eternité dînatoire.
    Déjà je me réjouis de retrouver ceux que j’ai aimés et de goûter à chacun d’eux, car il est écrit que ce sera donnant-donnant, confit de cornée pour galantine de prunelle et dent de calisson pour canine de nougat. Enfin mordre dans le sein de sa mère à consistance de petite madeleine, enfin boire à l’armagnac hors d’âge du regard de papa, enfin lécher les boules à mille parfums des joues des cousines…
    Ils nous ont promis les flammes ou les hymnes selon notre conduite sans nous dire s’il y aurait là-bas ou là-haut de quoi survivre autrement que dans les cris ou les cantiques, et cela nous a manqué tout de même : le détail du menu. Les lugubres et les revêches ont répandu l’opprobre sur les saveurs et les odeurs, les mélodies et les couleurs du monde : ils en seront punis car personne ne voudra plus jamais goûter d’eux, ainsi remâcheront-ils leur bile amère. Plaignons-les.
    Mais les bonnes natures que nous sommes, les coeurs de massepain, les âmes gentilles avaient raison de ne pas désespérer : nous allons nous régaler…
    Image: Arcimboldo.

     

  • Café littéraire

    medium_Czapski3_kuffer_v1_.JPG

     

     J'aime bien le flipper des Verdurin, et c’est pour ça que j’y reviens tous les jours, malgré l’évolution de l’établissement dans un sens qui se discute.
    C’est pas que les Verdurin soient pas à la coule : les Verdu c’est la vieille paire de la belle époque de Woodstock, leur juke-box contient encore du passable, style Jailhouse rock et autres Ruby Tuesday, Amsterdam ou La mauvaise réputation, enfin tu vois quoi, mais tout ça est pourtant laminé sous l’effet des goûts du barman Charlus, fan de divas italiennes et de chœurs teutons.
    Plus grave : Charlus donne à lire à tous les serveurs garçons, et là ça râle à la terrasse et dans les recoins. Tu commandes vite fait une noisette ou un diabolo menthe, mais Alban te fait signe qu’il a juste pas fini son chapitre des Jeunes filles de Montherlant, ou c’est Robert qui annote Miracle de la rose de Genet sur un coin du zinc. Les serveuses, au moins ça, ne sont pas encore contaminées : la miss Vinteuil n’est pas du genre à lire autre chose que des mangas, et le travelo qui joue du pianola le soir, un Corse qui se fait appeler Albertine, est plutôt branché Clayderman que Johann Sebastian Bach, mais enfin tu vises la décadence...
    Aussi ce qui m’énerve c’est le Menu. Avant tu te faisais un steack frites pas compliqué, et ça s’appelait idem, tandis que maintenant Marcel, le cuistot, exige que Verdurin inscrive à l’anglaise sur les ardoises, pour chaque plat, un Nom, genre Fille de la Vivonne pour une truite au bleu ou L’Âme de Cambremer pour l’ancienne assiette normande, mais où ça va-t-y donc s’arrêter ?
    C’est ça que je me demande en me faisant une partie gratos de plus, moi qui suis de la vieille école: pas vraiment le gars à s’enferrer dans ces embrouilles de Recherche à la mords-moi…

    Joseph Czapski, Le joueur de flipper. Acryl  sur toile, 1981.

  • Le gong

    medium_Gong2.jpgGong sur le moment est à la fois mon surnom et la chose. En elle chaque coup retentit jusqu’aux extrémités de ses tsunamis. Je ne suis plus alors que ce battant du Big Bang originel annonçant l’universel Ding Dong.
    Après quoi je redeviens Monsieur Ming et elle Miss Mong, partenaires de ping-pong à l’Espace Détente de la prison de Sing-Sing.

  • Le lait des nuits



    Maman renifle ces portulans humides avant même que je ne sache de quoi il retourne. La semence de ce jeune homme était surabondante, dira-t-elle plus tard avec le manque total de retenue qui caractérise souvent la mère typique.

    Il me semble d’abord que cela sent la pêche. Non, ce n’est pas la pêche: c’est l’amande que cela sent, l’amande douce, plus exactement la fleur d’amandier dans le vent tiède, le verger tout blanc des matinées de printemps, ou je me fourre le nez là-dedans et je vois plein d’étoiles et je ne pense pas que ça sorte de moi: je me figure comme ça que je suis un pylône et que j’ai puisé dans la profondeur d’un puits de fuel blanc.

    Longtemps cela s’épancha de moi par nappes au gré de rêves que je n’ai jamais notés, mais qui me reviennent parfois du tréfonds des années.

    Enfin je redécouvre depuis peu ce plaisir pris à la chasteté par les curés et les joueurs d’échecs, quand le corps endormi fait l’amour au sommeil.



  • Radiations libidinales

    littérature

    J’ai localisé le site des Mille Phallus au moyen d’un banal détecteur de radiations, mais la communauté scientifique n’aura jamais vent de ma théorie relative auxdites radiations: la Carrière avant tout.

    C’était pourtant clair. J’avais traversé cent fois ce coin de steppe supposé très à l’écart des zones à fouiller, et c’est en roulant un patin à ma nouvelle adjointe, arrivée trois jours plus tôt de Brisbane, prénom Darlene, vraiment la plante, que l’appareil s’est mis à grésiller.

    - Tu vois ce qu’on rayonne, Baby, lui dis-je avec mon esprit coutumier, et je fis réviser l’appareil pour le travail du lendemain.

    Or au soir du jour suivant, toujours avec Darlene, le détecteur recommence de s’agiter un max. Et là mon esprit scientifique se met à trotter; et ça se corse à l’instant où Darlene s’éloigne, puis quand elle revient. Sur quoi j’ordonne une fouille à cet endroit.

    Le nom de Darlene fut associé au mien lorsque nos services diffusèrent la nouvelle de l’extraordinaire découverte de l’armée des Mille Phallus, et j’eus loisir de poursuivre mes observations initiales quand débarquèrent les médias du monde entier, avec leur lot de Superwomen.

    Darlene ne fit aucune difficulté lorsque je lui recommandai de s’abstenir de la moindre allusion publique à nos petites expériences et à ma théorie. C’est à notre découverte qu’elle doit son nouveau poste de directrice de recherches à Melbourne. Notre secret est tout ce qui me rappelle cette liaison. D’ailleurs je ne m’attache jamais: la Science est une femme jalouse.

  • L'Obsédé

    Dominator.jpg


    - La licorne est typiquement un mythe à caractère sexuel, remarque Bicandier en regardant les petites délurées du fond de la classe  qui pouffent de concert.

    Il te les dresserait à l’astiquer, se dit-il in petto. En attendant il mesure les limites très province de leur effronterie et ça lui donne des idées.

    Cependant il lui faut faire gaffe: par deux fois il a failli tomber, la première avec l’Africaine qu’il a dû menacer de lui faire sauter son permis de séjour si elle caftait, la seconde avec celle qu’il a retenue à la sortie des douches, dont il a joué de la réputation d’affabulatrice de première.

    C’est typiquement le mec qui se prend pour Dominator, mais il y a plus balèze que lui même s’il n’y voit que du feu.

    La preuve, c’est que pendant qu’il continue de jacter dans le vide, ce nul n’a pas idée de ce que matent les filles sous la table de l’Albanais, connu de tout le bahut pour être monté comme un âne sauvage.

  • Les pleureuses


    C’est à celle qui la première touchera les pieds du mort.
    On ne voit qu’une noire ondulation dans les psalmodies. C’est à la fois déchirant et intolérable (d’ailleurs cela a fait du potin dans l’immeuble partiellement affecté aux réfugiés où ces rites ne sont pas encore connus; les citoyens réguliers ont d’abord cru qu’on avait joué du couteau chez les Aigles; les flics ne se sont même pas déplacés cependant, avertis qu’ils ont été par l’ethnopsychiatre dont l’assistant a fait le joint; on s’est alors entendu pour que ça ne dure pas plus d’une plombe...)
    Le type a la cinquantaine. Du genre paysan déplacé. Un visage de bois sculpté qui paraissait martelé par le désarroi et que la maladie a délivré tout à coup de son obsession de rentrer au pays.
    Dans leurs sanglots elles le comparent à un arbre. Il n’était le père de personne mais son autorité était incontestée. Il ne parlait jamais de ses conquêtes mais on devine ce que signifie leur désir de toucher l’ivoire de ses pieds.

  • Le problème de Madonna

    Une limousine m’attend à l’aérogare et le produc s’avance pour m’accueillir sous le feu des sunlights. La conférence de presse aura lieu dans le Salon JFK du Sheraton, ensuite de quoi je me casse incognito destination le ranch de Michael.

    Tout roule. Au moins en apparence. A vrai dire je suis seule à savoir ce qui m’arrive, mais c’est au moins ça de pris aux tabloïds.

    J’ignore ce qu’ils diront demain de ma virée chez Michael, et je m’en tape. Je me taperai aussi Michael, mais à notre façon, c’est-à-dire que nous dormirons dans les bras l’un de l’autre comme Jésus et Marie.

    Michael est le seul à qui je peux parler de mon problème. Je ne lui cacherai rien. Bambi est le seul qui chialera sincèrement quand il verra mes radios.

  • Dans la farine

    medium_Fellini.JPG

    J’ai toujours aimé ses bras roses. Roses potelés. De porcelaine humide, genre Sèvres mou. Ses bras roses et ses seins de laitière.

    Quand elle me roule dans la farine et qu’elle se penche au-dessus de moi, ses deux seins pressés l’un contre l’autre suffisent à ma paix.

    Père lui recommande de ne pas oublier le sel, que je sois un homme nom de Dieu. Mère lui reproche de mettre trop de sa salive, mais elle n’en fera toujours qu’à sa tête et la voici qui tire la langue dès que Mère s’en va voir ailleurs si j’y suis.

    Vient alors le jeu des trois nénés, vite en douce, qui me fait tant plaisir. Ma tête entre les deux choses chaudes, nous ne formons plus qu’un, et tout à l’heure le lait me viendra sûrement à la bouche.

    Dessin de Federico Fellini

  • A l’usine


    Il se passe de drôles de choses dans les vestiaires de l’usine à glottes de tulipes.
    - Surtout dans les vestiaires Messieurs, précise le délateur dont personne ne sait qu’il collectionne les revues spéciales.
    Madame la Directrice ne montre rien de son vif intérêt.
    - Continuez, Monsieur Thielemans.
    - Les jardiniers s’attardent aux douches. On dit qu’il peut y en avoir jusqu’à des équipes entières. Cela fait beaucoup de savon.
    Madame la Directrice sent maintenant qu’elle le tient.
    - Ne me cachez rien, Thielemans.
    - Ils se massent. Parfois il se mêlent aux impubères et se livrent à des concours. C’est dégoûtant.
    - N’avez-vous rien oublié, Thielemans, interroge encore la directrice du personnel en fixant sévèrement le jeune complexé qui, tout à coup, rosit comme une très jeune fille des cantons de l'Est.
    C’est ainsi que Thielemans se coupe et que Madame la Directrice en fait sa chose.

  • Les filles de joie


    Nous en avons assez des lugubres. Nous manifestons contre les sinistres. Nous exhibons nos visage et nos bras au risque d’être fouettées mais nous sommes les messagères d’un nouveau monde: sus aux rabat-joie !

    Nous irons jusqu’au bout de notre rêve de galanterie. Car c’est cela, n’est-ce pas ? qui nous disconvient dans le comportement des coléreux: c’est cette muflerie de tous les instants et cette mauvaise humeur.

    Nous sommes les fille faciles. Nous en avons soupé de la méchanceté des prétendus sages et des prétendues saintes. Ces prétendus sages et prétendues saintes s’astreignent du matin au soir et ne pensent qu’à soumettre le monde entier à ce joug, et c’est cela qu’ils appellent honorer l’Unique.

    Nous ne voulons pas de leur Dieu sombre. Nous n’aimons pas ce père sans égards. Nous attendons de Dieu qu’il sourie et qu’il nous tienne la porte à la bibliothèque ou à la disco.

    Nous n’avons aucune peur. Nous sommes les filles de l’air. Ils ne peuvent plus rien contre nous que nous violer ou nous tuer.

  • Mademoiselle Papillon

    343a5ec6f2690e4fa7f8683f1535c1a0.jpg
    Je suis juché sur sa croupe et nous nous faisons tout le Val Sauvage en lentes glissades de couches en couches d’air, puis nous remontons par les courants ascendants.
    C’est une extraordinaire griserie, qui ne m’empêche pas de prendre conscience d’un phénomène étrange, peut-être illusoire mais combien troublant.
    De fait, il me semble vieillir à la descente et rajeunir quand Mademoiselle recommence à brasser de l’air.
    - Accroche-toi, me lance-t-elle au moment de virer au-dessus de Berg am See, dont on voit les parasols et les pédalos mille mètres plus bas, et cet aperçu balnéaire me revigore, je me sens des cuisses de jeune athlète et Mademoiselle en est elle aussi tout excitée.
    A la montée, c’est une jouissance accrue que de la sentir rajeunir. Son abdomen a la fermeté du torse des nageuses soviétiques des années soixante et l’air devient plus tonique à l’approche des glaciers tandis que je la pénètre je ne sais trop comment.

  • Antistress



    Nous continuons la visite.

    Voici la salle des immersions prénatales. Nous la réservons aux clients stressés, autant dire à tout le monde. Le temps y est ralenti et le bain commun dans le grand bassin consensuel a tôt fait de neutraliser les poussées hyperactives. Tout le monde y entre vêtu du même caleçon marial, ensuite de quoi chacun fait ce que bon lui semble. C’est alors que cela devient intéressant pour notre ami Fletcher que vous voyez là-haut dans la cabine de surveillance.

    Fletcher est un ancien obsédé du travail que nous nous enorgueillissons d’avoir guéri avant de le pousser dans la recherche appliquée. C’est lui qui pointe désormais les sujets méritant le Certificat de Tranquillité, sans lequel personne ne sort d’ici.

    Quand on étudiera l’histoire de la sublimation programmée, Fletcher pourra décrire le processus qui fait d’un drogué du sexe un élément recyclable. C’est ici le haut lieu de la détente généralisée. La montagne que vous apercevez par la grande baie est la Jungfrau.

  • Printemps

     

    Truie.jpg

    Lorsqu’elle sortit du bosquet jouxtant le parking de la Grande Entreprise, les gens se dirent qu’elle était allée s’y soulager, et de fait elle achevait de rafistoler le système de nippes superposées qui protégeaient des derniers frimas sa lourde viande sommée d’un faciès de lubricité.
    Il y avait quelque chose de puissamment animal dans son apparition de ce matin, une force soulevait sa vaste croupe, une espèce de triomphe irradiait la masse informe de son grand corps de fille de peine, enfin comme une lueur de sourire éclairait son mufle rose - de toute évidence, celle que le service de nettoyage de la Grande Entreprise appelait la Truie était satisfaite.
    Après elle et du même bosquet, de son pas bedonnant de crapaud, sortit Carlo le balayeur du quartier, dit aussi technicien de surface dans les registres municipaux, visiblement ragaillardi de se sentir ce matin le faune de la saison nouvelle.

    Image: Lucian Freud

  • Les napperons

    Panopticon1222.jpg

     

    ...Cette maison c’est l’enfer, se dit-on d’abord: on ne peut plus faire trois pas sans que Maman nous colle un napperon, toute la journée elle est à son crochet, à la moindre remarque ce sont des larmes : vous n’aimez pas mes napperons, je sens que vous avez quelque chose contre mes napperons, vous allez encore faire du chagrin à Maman; et puis, à la longue on devient plus cool, on se dit qu'il y a pire, on fait avec, on peut aussi se dire qu’avec les napperons on échappe aux patins et aux housses, et cela, mon amour, je ne le supporterais pas: les patins et les housses, je serais capable de devenir mauvais, il ne serait pas exclu que je la trucide grave si ta mère nous imposait des patins et des housses...

    Image: Philip Seelen

  • Nouvelles techniques de sublimation

    Pervers4.jpg

    Maintenant nous allons faire les marmottes, déclare Mademoiselle Lepoil. Nous nous sommes assez excités: nous nous replions dans nos bras et nous dormons le reste de la vie.

    Dès que vous sentez monter le sang vous vous efforcez de penser à votre mère. Ne faites rien, ne vous permettez aucun écart que désapprouverait votre mère, disent aujourd’hui les Américains.

    La nature est économe de ses énergies: sachons l’imiter. Voyez la délicatesse du rapprochement chez les campanules ou l’innocence du ballet des loutres. Observez qu’il n’est point de viol dans la nature. Penser à cela chaque matin peut aider.

    Il est recommandé de ne pas laisser l’oncle approcher l’enfant. Le regard du père doit être surveillé de près. On interdira, le dimanche, le pyjama des frères à devant fendu.

     

  • L'incongru

    Panopticon572.jpg

     

    ...Dans ma fameuse conférence du Collège de France j’essaie d’expliquer que l’expression faire l’amour est une aporie du langage codé. Tous les spécialistes éminents se pressent dans les premières travées, et quelques dames de la bonne société, mais nul ne bronche. Je suis en pyjama de pilou et crains fort que l’assistance ne s’en aperçoive, puis je pense à la tache blanche qu’il y avait au plafond blanc de la chambre nuptiale de Madame Mère et de Monsieur  Père et  je me dis alors qu’il faut que je sorte de ce putain de rêve, damned...

     

    Image : Philip Seelen

     

  • Les fioles

    Valse13.jpg

    Mademoiselle me les désigne sur la terrasse du Grand Hôtel de Berg am See, là où son Rainer Maria s’en venait lézarder.
    A ce propos j’ai du mal à comprendre qu’elle en ait pincé pour ce furet déprimé, mais il devait avoir un truc à lui, ça je soupçonne.
    Quant aux lascars qu’elle me charge de rabattre dans le cabinet aux fioles, elle les choisit d’un oeil plus que sûr, et c’est là que tu vois la salope, mais enfin tu sais ce que je pense d’un peu toutes.
    Cela dit ce que j’en pense n’a pas de poids à côté de son argument massue, soit cent francs suisses au donneur et la moitié pour mes colles.
    La situation étant ce qu’elle est même en ces lieux à milliards, je les amène facile, d’autant que la rumeur s’est répandue et que c’est quand même autre chose que le sang à la Croix-Rouge avec la spécialiste qui te trouve pas la veine.
    Quand ils s’y mettent derrière le paravent, je leur raconte ce qu’elle fait des fioles et ça les épate. La rumeur fait état d’une espèce de vampire, mais c’est du charre. Je leur garantis qu’elle n’en a qu’au parfum de la chose; et j’en ai la preuve, vu que c’est moi, les fioles, qui les rince.


    Peinture: Leonor Fini

  • Schubert

    e6ce5dd25b3a0bfa4403f6c4829cef27.jpg

    Il/elle écrit à elle/il que son absence lui manque plus que jamais ce soir mais que tout à l’heure il y aura Schubert entre eux. Elle/il lui avait dit que Schubert était le musicien d’entre tous qui lui avait donné le sentiment d’écrire spécialement pour elle/il, et c’est dans ce sentiment qu’il/elle se remet toujours au piano en pensant à elle/il, plus précisément : qu’il joue pour elle/il, depuis sa disparition.

    JLK : aquarelle d’après un motif de Stéphane Zaech

  • Le cabinet du Maître


    Le Maître nous reçoit dans un cabinet d’une blancheur aveuglante et nous fait nous déshabiller devant son assistante Blumlisalp en simple culotte. Lui-même ne porte qu’une vareuse de l’ancien régime, mais sa longue barbe grise dissimule peut-être quelque symbole de son pouvoir.

    Blumlisalp nous propose de faire le test de Roczak, mais nous déclinons poliment. Le Maître nous promet qu’il va nous faire parler et que nous aprendrons, de gré ou de force, à gérer notre sexualité. Pourtant c’est lui qui baisse les yeux lorsque nous l’affrontons du regard. Nous sommes jeunes et c’est un vioque: voilà pour les faits.

    Lorsque je lui dis que nous aimons faire ça dans les clochers, il le note dans son registre d’un air satisfait de poule tombant sur un couteau. Il note sûrement: rêve du clocher, rêve du battant, mais avec Wanda nous n’en avons rien à secouer. C’est pourtant clair: la morale bourgeoise, nous, ça nous gonfle.

    Enfin nous retrouvons nos vêtements soigneusement pliés dans les dépendances de la propriété. Nous avons hâte de nous en aller. Au même instant une foule en délire nous acclame car Wanda me le réclame, ce soir, à l’italienne.

  • Secrétaire particulier

    - Moi je ne pense qu’à ça, dit la femme très en chair en reprenant un sablé, je ne pense qu’à cette petite chose innocente, et le yorkshire Lula la mordille en roulant ses yeux de chauve-souris; et la femme dévisage, l’un après l’autre, les gigolos assis autour de la piste de danse. Celui-ci je l’ai goûté, me dit-elle: pouah. Celui-là aussi, et cet autre, je les ai tous essayés mais aucun ne m’allait, aucun d’eux ne m’a jamais donné tant de plaisir que Lula.

    Elle fait des mamours à cette espèce de chose osseuse et criseuse et me fait bien sentir que je ne suis qu’un scribe payé par elle pour arranger sa biographie, et pourtant je la sens qui s’abandonne.

    De toute façon je contrôle la situation. Que demander de plus ? J’ai maintenant la belle Eva Carlson pour moi seul. Elle croit me dominer alors qu’elle incarne à mes yeux le rêve réalisé. Elle ignore que j’ai d’elle la plus fantastique collection de photos de sa mythique paire de nichons.

  • En famille

    Famille.jpg
    Le dimanche matin nous nous retrouvions tous dans leur lit.
    On disait que ce serait le bateau La Fringante. Papa écartait les jambes, Maman se collait à lui, le grand Paulo s’enfilait ensuite tout contre elle, et deux filles en sandwich, puis deux garçons et les jumeaux enfin dans leurs chemises de nuit retroussées et ne se retenant pas de canonner des odeurs au scandale de tout l’équipage.
    Tous étant bien emboîtés, c’était Papa, seul maître à bord après Dieu, qui commençait de faire les vagues en serrant bien Maman dans sa fourche tandis que les grands se battaient pour qui ferait la sirène; et tout de suite il fallait gronder Paulo qui écrabouillait les seins de Maman ou griffait les filles de ses ongles carrés de grands doigts de pieds à la gomme.
    Bien entendu, comme il en va de toutes les bonnes choses, ces jeux ont pris fin à un moment donné, sans qu’aucun de nous puisse préciser qui en décida ni pourquoi.
    C’est bien plus tard, en tout cas, que Paulo nous a montré ses premiers poils, et plus tard encore que Maman a parlé à l’aînée des filles qui, de toute façon, savait déjà tout
    .

  • Lilith

    1618333611.jpg
    Ce n’est pas le combat grossier que les gars applaudissent mais ce qu’il y a derrière, et derrière il y a la Déesse.
    Aucun d’eux ne saurait l’expliciter. Cela se passe bien en deça des mots, à l’époque où ils pataugeaient dans leur propre matière. Elles ont d’ailleurs l’apparence de merdes mouvantes, mais ce n’est pas ça qui les trouble, au contraire: c’est ce qu’il y a de glèbe et de pluie, d’animal et de divin dans ces femelles endiablées.
    Il leur est en principe interdit de toucher et à elles de s’en prendre aux orifices, mais la tension n’en est que plus vive et le trouble plus lancinant, qui rappelle des choses confuses et fortes aux gars de la prairie et des montagnes, surtout les descendants d’Irlandais ou de Balkaniques.

    Ils se rappellent certain conte des temps anciens, et comme ils en redemandaient tandis qu’un vent brûlant charriait les cris des petits enfants dévorés par l’affreuse mère.

    Ils ne savent plus, à vrai dire, s’ils désirent ou redoutent les filles de Jutta qu’ils sont venus voir se battre dans ce sacré bourbier.

  • Un art perdu



    Longtemps ce fut la maison des Wei, aux confins des territoires impériaux riverains des Quatre-Mers, qui détint le Secret du Pal.

    Ce symbole de soumission faisait l’envie de tous les dominions. Quel prince, à l'instar de l'Empereur Wu des Wei, n’avait rêvé d’exposer ainsi la chair toute vive du vaincu au Pal, quel hiérarque n'aspirait à régner tant que vivrait le supplicié ?

    Jusque dans le bas peuple on connaissait l’extrême difficulté de mettre au Pal. La règle absolue veut le vaincu préservé dans ses quatre fonctions vitales et l’aptitude à mouvoir incessamment ses cinq membres, pour survivre au moins sept ans. Cet art se ramasse dans une formule, constituant le Secret.

    La chute de la maison Wei  restera liée, dans les annales, à la divulgation du Secret du Pal, imputable à la concupiscence d’un Conseiller. Pour une montagne d’or celui-ci vendit le Secret que jamais, au demeurant, le Barbare venu de l’Ouest ne sut faire appliquer par ses techniciens à la main faillible.

    La suite figure dans les livres d’histoire. Aujourd’hui encore les Américains ont recours à la chaise électrique ou à la chambre à gaz. Nous buvons certes du Coca-Cola, mais n’en pensons pas moins.

  • Un couple uni



    Nous aimons nous tenir par la main et déambuler ainsi le long des Ramblas.

    Notre dernière querelle date de 1987, le soir précédant mon départ en Pologne. J’étais rentré bourré. Elle m’a dit je ne sais plus quoi. Je lui ai mis une beigne avant de m’en rendre compte. Je lui fis dans l’avion une lettre que mes larmes de sentimental à la con trempèrent de grosses gouttes. Lorsque je suis revenu de Varsovie, elle portait encore des lunettes noires pour cacher son bleu.

    A Varsovie, j’ai passé toute une nuit avec un confident de l’ex-pape, amputé d’une main, qui se rappelait les décombres de la ville en 1945, il avait sept ans et son père lui disait de bien regarder - la ville entièrement reconstruite aujourd’hui où l’on trouve des boutiques de Cardin .

    C’est ce que je lui raconte sur les Ramblas, qui valent toujours le déplacement.

    Ah oui cela encore: notre position préférée est celle du missionnaire.

  • Les ciels arrivent


            Je devine l’arrivée des camions au frémissement des piliers du viaduc sur le Neckar , ensuite de quoi c’est à Lorelei de me décrire tout ce qu’elle voit de la fenêtre.
            - Cette fois nous avons  droit à de nouveaux malabars, me dit-elle en cette fin de matinée du premier jour de l’été, et je la prie de ne m’épargner aucun détail.
            Ce qui me touche dans la scène qu’elle rapporte  est la délicatese extrême avec laquelle ces brutes aux bras tatoués déchargent les miroirs avant de les disposer autour de mon fauteuil Voltaire.
            - Donne un Dollar Or à chacun de ces éphèbes, dis-je à Lorelei tandis que je les dévisage de mes orbites vides, puis je reste seul avec les ciels.
            La seule apposition des mains suffit à me couler dans la nue. Dans le choix d’aujourd’hui me sont dispensées de divines limpidités matinales en lesquelles j’identifie un ciel de Passau de mai dernier et un ciel de Pérouse exhalant comme une haleine sur les collines de l’aube. Le contrat stipule que les malabars disposent de la Lorelei tout le temps que je sublime; et je reste encore perdu dans un  ciel de Patmos apollinien tandis que claquent les portières des camions.