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Carnets de JLK - Page 171

  • On intègre

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    …Voilà les gars, la Fête est finie, vous allez me nettoyer ces arbres, je ne veux plus voir un ballon, plus une balle, plus une boule, et pas de boulettes dans les hautes branches: tout en légèreté que vous y allez - comme dans vos pays, les gars, le service de l’immigration de la Municipalité se recommande: surtout pas de complications…
    Image : Philip Seelen

  • Gaza vu de Paris

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    Lettre de Philip Seelen, Paris.

    Chers amis,

    Nous sommes tous un peu Méditerranéens et donc tous affectés plus ou moins profondément par les tueries du territoire de Gaza. La dernière lettre de notre frère-correspondant à Ramallah est prenante par le transfert de la terreur vécue par les cibles civiles palestiniennes sur la cible que devient Serena, à qui on s'identifie naturellement, cette Serena au prénom de chez nous, cette Serena si proche culturellement, cette Serena si douce et si généreuse avec les cibles palestiniennes...cette Serena avec qui nous vivons en direct, avec l'image et le son, et avec son amoureux, la terreur qu'engendre la situation de cible à la merci de brutes armées jusqu'aux dents dont la mission consiste à éliminer ces cibles...fire... target out... game over...en hébreu bien sûr.

    Ce qui me bouleverse dans toutes ces nouvelles, toutes ces images, ces prises de position, c'est l'impression de déjà vu, déjà lu...de 1968 avec les massacres de plusieurs milliers de Palestiniens par les troupes spéciales du petit roi de Jordanie dans les camps de réfugiés de Amman à aujourd'hui et ces 500 morts et 2'500 blessés déjà alignés sur le sinistre compteur des agences de presses internationales...

    Ces cadavres de femmes et d'enfants dans leur linceul blanc couchés à même le sol de l'hôpital attendant leur inhumation selon les rites musulmans ou chrétien puisque, ne l'oublions pas. plus de 10 % des Palestiniens sont chrétiens.

    La plus grande victoire des partisans de la guerre intermittente-permanente, chez les Israéliens comme chez les Arabes, c'est de nous faire vivre avec cet arrière-goût de sang en permanence au fond de nos gorges...toutes ces petites vies qui ne grandiront jamais, toutes ces mères qui ne caresseront plus leurs enfants, tous ces pères qui ne seront plus admirés et aimés...

    Panopticon119.jpgEt toutes ces haines qui viennent encore alimenter les banques de la colère...j'ai suivi de loin cette immense manifestation de plusieurs dizaines de milliers de manifestants à travers Paris, samedi. Je n'y ai rencontré que des cris colériques, des appels à la vengeance, des slogans convenus, des manipulateurs d'émotions, des gérants prospères des comptes banquaires de la colère, des insultes antisémites proférées sans retenues ni réprobation, appelant à l'anéantissement d'Israël, je n'ai perçu aucune expression de compassion silencieuse et respectueuse de la mémoires des victimes, seuls les cris, la colère, la vengeance, la gérance des politiques...je n'avais aucune envie de prendre une quelconque image de ce rassemblement sans dignité dont les participants me semblaient ressembler en négatif à leurs adversaires sur l'échiquier abstrait où se joue la manipulation des haines et des peurs...la rue me semblait hostile à la raison, à mille lieux de toute expression de compassion, occupée à alimenter encore et encore la haine intercommunautaire...

    Pour finir, quelques-uns ont brûlé des véhicules, cassés des vitrines, pillés des boutiques de chaussures et de matériels électroniques...et Paris s'est endormi.

    Panopticon712.jpgVive l'art, la poésie et la littérature, remparts indispensables aux fanatismes et à la haine.

    Chaleureusement.
    P.

    Images: Philip Seelen

  • Progrès

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    … L’Apparition se manifeste depuis sept ans, chiffre sacré, toujours à gauche des trois feux rouges, chiffre sacré, de la place de l’Horloge, entre le sixième (deux fois trois, chiffre sacré) et le douzième (quatre fois trois, chiffre sacré) coups marquant le passage d’un an à l’autre, puis le phénomène disparaît comme vont disparaître ces trois damnés feux rouges, enfin remplacés par un giratoire aux normes…
    Image : Philippe Seelen

  • Le Grand Imagier

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    … Chez nous on ne l’appelle plus le Grand Horloger, vu ce qui se passe dans la Mécanique Générale ou dans la bande de Gaza – même s’il n’y est pour rien -, mais en tant que Chef Op nous lui gardons tout notre crédit de romantiques attardés : vraiment il assure, et puis il a passé de l’argentique et du celluloïd au numérique, voire à l’image virtuelle, avec une flexibilité digne de son génie artiste, et du matin au soir, jusqu’au Vallon de Villard où nous créchons, il nous en met encore plein la vue…
    Image : Philip Seelen

  • Sarko

    Panopticon757.jpg…Force m’est de constater, chères concitoyennes et concitoyens, amis de la France d’en haut, sœurs et frères de la France d’en bas, que je me suis senti depuis toujours un enfant, puis un jeune homme – un homme jeune et enfin un homme fait, littéralement porté et poussé par vous, femmes et hommes de France dont les mains ont été, en toute simplicité, les ailes de ma Destinée, corroborant enfin le sentiment dont je me flatte que ce n'est pas avec vos pieds que vous avez voté pour Moi…
    Image : Philip Seelen

  • Question d’âge

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    … Môme on y va cracra: haut les mains, bas les culottes ! puis on a quinze ans, on se la joue romantique, on s’exalte: haut les cœurs ! et comme on se fait plus insistant: bas les pattes ! ensuite on croit tout savoir, on a vingt ans, des anges passent et à la question de savoir à quoi rime à la fin tout ça : je donne ma langue au chat…
    Image : Philip Seelen

  • Débat occulte

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    Sur un message posthume de Samuel P. Huntington à JLK. Par manière d’hommage malicieux…

    Dans ma dernière lettre à mon ami Pascal Janovjak, à Ramallah, parue le 1er janvier 2009 et intitulée Pour un année d’embellie, je hasardai l’opinion selon laquelle la notion de Choc de civilisations, dont on nous a rebattu les oreilles au lendemain du 11 septembre 2001, ne serait qu’une de ces formules à la fois vagues et péremptoires qui servent à conforter une idéologie, en l’occurrence celle de l’Axe du Bien chère au président Bush et à ses inspirateurs néolibéraux. Comme chacun sait, cette notion émane d’un livre du professeur américain Samuel Huntington, Le choc des civilisations, lui-même développé à partur  d’un article paru en 1993 dans la revue Foreign Affairs. Or Samuel Huntington, décédé le 24 décembre dernier à New York d’une crise cardiaque, a trouvé la vigueur posthume de répondre à ma pique dans un commentaire daté du 1er janvier et que je reproduis texto.
    « Je n'ai vraiment pas de chance. Personne ne m'a lu en Europe, mais ca fait toujours bien, pour l'intellectuel et/ou le journaliste du vieux continent, de me ringardiser au détour d'une petite phrase, en introduction, en phrase d'accroche ou que sais-je encore... »
    Je regrette, sincèrement, d’avoir vexé un défunt que mon intention n'a jamais été de ringardiser, dont je comprends cependant le dépit. Si le cher prof est injuste en affirmant que «personne» ne l’a lu en Europe, voire dans les 39 pays du monde dont les lecteurs ont eu connaissance des traductions de son livre, il est vraisemblable que la plupart des mortels qui se réfèrent à sa formule le font sans avoir lu ni l’article de Foreign Affaire ni son fameux ouvrage, dont les thèses sont à vrai dire si connues qu’on en peut faire l’économie. Ainsi n’ai-je fait, pour ma part, que citer tel ou tel intellectuel et/ou journaliste qui avait entendu parler de ce que prétendait telle journaliste et/ou intellectuelle laquelle aura plus ou moins lu tel résumé des thèses de l’excellent idéologue américain, lequel se cite lui-même dans le message qu’il m’a adressé :
    Huntington2.jpg« Le monde d’après la guerre froide comporte sept ou huit grandes civilisations », m’écrit-il d’abord en supposant que je l’ignore - puisque aussi bien je ne l'ai pas lu...
    Mais là, je suis obligé de préciser pour la lectrice et le lecteur de ce blog qui l’ignoreraient crassement: qu'Huntington définit les civilisations par rapport à leur religion de référence (le christianisme, l'islam, le bouddhisme, etc.), et leur culture. Il définit sept civilisations et potentiellement une huitième : Occidentale (l'Europe de l'Ouest et les Etats-Unis), latino-américaine, islamique, slavo-orthodoxe (autour de la Russie), hindoue, japonaise, confucéenne (sino-vietnamo-coréenne) et africaine.
    Puis il continue : « Les affinités et les différences culturelles déterminent les intérêts, les antagonismes et les associations entre Etats. Les pays les plus importants dans le monde sont surtout issus de civilisations différentes. Les conflits locaux qui ont le plus de chance de provoquer des guerres élargies ont lieu entre groupes et Etats issus de différentes civilisations. La forme fondamentale que prend le développement économique et politique diffère dans chaque civilisation. Les problèmes internationaux les plus importants tiennent aux différences entre civilisations. L’Occident n’est plus désormais le seul à être puissant. La politique internationale est devenue multipolaire et multicivilisationnelle. »
    Bien entendu, le résumé des ses propres thèses est lacunaire, mais on sent encore la vivacité de Mr. Huntington, et son indéniable originalité, dans ce qui suit : « L’expansion de l’Occident a été facilitée par la supériorité de son organisation, de sa discipline, de l’entraînement de ses troupes, de ses armes, de ses moyens de transport, de sa logistique, de ses soins médicaux, tout cela étant la résultante de son leadership dans la révolution industrielle. L’Occident a vaincu le monde non parce que ses idées, ses valeurs, sa religion étaient supérieures mais plutôt par sa supériorité à utiliser la violence organisée. Les Occidentaux l’oublient souvent, mais les non-Occidentaux jamais.
    « Seule l’arrogance incite les Occidentaux à considérer que les non-Occidentaux s’occidentaliseront en consommant plus de produits occidentaux. Le fait que les Occidentaux identifient leur culture à des liquides vaisselle, des pantalons décolorés et des aliments trop riches, voilà qui est révélateur de l’Occident. Le lien entre puissance et culture a presque toujours été négligé par ceux qui pensent qu’apparaît et doit apparaître une civilisation universelle comme par ceux pour qui l’occidentalisation est une condition nécessaire de la modernisation. Ils refusent de reconnaître que la logique de ces raisonnements les incline à soutenir l’expansion et la consolidation de la domination de l’Occident sur le monde et que si les autres sociétés étaient libres de façonner leur propre destin, elles revigoreraient leurs croyances, leurs habitudes et leurs pratiques, ce qui, selon les universalistes, est contraire au progrès. Que d'arguments pour les bellicistes de l'axe du bien en effet... »
    Que répondre, alors, au cher Professeur sans l’avoir lu – ce qui est désormais notoire ?
    En ce qui me concerne je me contenterai de hasarder quelques éléments de réponses piqués à gauche et à droite, voire à hue et à dia, en reconnaissant au préalable qu’il y a du vrai dans pas mal d’observations de S.P. Huntington.
    Huntington3.jpgEn résumé de résumé, Huntington rappelle que la longue maturation des civilisations donne plus de consistance à leurs entités que les idéologies. N’est-ce pas évident ? Secundo, que leur rapprochement aboutit à l’exacerbation des tensions entre civilisations différentes. Cela, en revanche, se discute. Que l’effacement du sentiment national, sous l’effet de la mondialisation, favorise les replis identitaires ou religieux. Probablement, n’est-ce pas, mais est-ce une règle universelle  ? Que l’affaiblissement de l’Occident encourage un tropisme de rivalité. Tropisme signifierait automatisme organique, et vérifié comment ? Que les rivalités identitaires ont un caractère irréductible et non négociable. Alors là, Huntington a beau se dire démocrate : un pseudo intellectuel et/ou journaliste suisse ne peut que se rappeler sa propre histoire et parier encore pour d’autres fédérations et confédérations - optimiste invétéré qu’il est en matière d'inventions et de reformulations culturelles et/ou politiques…
    D’aucuns ont relevé le caractère sombre, voire apocalyptique des thèses de S.P. Huntington, rappelant celles de l’auteur du Déclin de l’Occident. Selon lui, le sentiment de la différence aboutirait forcément à la violence. Mais est-ce si sûr ? Au contraire d’un Fernand Braudel, qui insistait sur la fluidité évolution des civilisations, Huntington y voit des unités encloses sur elles-mêmes, sans inter-dépendances. Mais celles-ci ne sont-elles pas au contraire constantes à travers l'Histoire et aujourd'hui plus que jamais, et ne voit-il pas que la plupart des conflits actuels ne se déchaînent pas entre civilisations mais à l’intérieur de certaines d’entre elles ?
    Bref, la notion de choc des cultures a cela de discutable, à mes yeux, qu’elle nie le processus complexe et progressif des échanges entre cultures et civilisations dont celles-ci se sont toujours nourries, et la vision de Huntington pèche en cela qu’elle oppose un Occident compact, même hautement affaibli et critiquable, à de nouveaux barbares qui l’assiégeraient de toute part.
    Mais qu’en pense aujourd’hui le cher homme de son nouveau poste d’observation ? RSVP…

    S.P. Huntington. Le choc des civilisations. Odile Jacob.

    A lire aussi: Jean-Claude Guillebaud, Le commencement d'un monde, Seuil, 2008.

    René Girard, Celui par qui le scandale arrive. Desclée de Brouwer, 2001.

    Marcel Gauchet, La Condition politique, Gallimard, 2005. 

  • Vanité des vanités

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    …J’te jure qu’y a aussi des cons chez les arbres, des qui se la jouent marioles, des qui se montent la tige, des qui te persiflent en te taxant de résidu de futaie alors qu’eux s’écoutent pousser et se donnent du jabot dans les nids de corneille que ça fait fuir les pies, non mais t’en fais pas noisetier, y a une justice: tu verras qu’y tomberont de plus haut que nous, les cons dont on fait du bois de poteaux piteux…
    Image : Philip Seelen

  • Cette flamme dans le froid

    Lucia44.jpgA La Désirade, ce 1er janvier 2009. - C'était hier, le dernier jour de l'année, et le feu de la cheminée se reflétait dans la fenêtre donnant sur l'arbre enneigé. L. en a capté l'image et a noté:

    Au milieu de nulle part, la flamme vive de mon coeur emporte la froidure! Mon coeur c'est toi et moi et nous ! La flamme elle rayonne comme une dentelle enserrant la vie!

     

    On entre donc dans la nouvelle année en douceur, malgré les sombres nouvelles qui nous arrivent de Gaza. A croire que l’espoir porté par chaque recommencement doive se trouver entaché par quelque guerre ou quelque autre désastre qui nous rappelle que le chant du monde ne va jamais sans le poids du monde.  

     

    Image: Lucienne K.

  • L’innocente

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    … Enfin tu connais Maryjane, elle n’a aucune idée, ils lui disent : après tout ce n’est qu’une bouche, on vous demande rien de plus, donc on vous donne 300 euros, et elle marche, la souris blanche, tu te rends compte, avec ce qu’ils vont faire de cette bouche, le dinar qu’ils vont faire pisser avec cette bouche affichée partout jusque dans le métro, mais j’ai beau lui dire : ta bouche c’était minimum 3000 euros et ça nous faisait une semaine à Djerba -  tu connais Maryjane…
    Image : Philip Seelen

  • A celui qui, à celle qui, à ceux qui...

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      À Sophie et Julie et leurs Jules / à Philip et Philippe et Filou et mon doux Phil de verre et ses anges gardiennes / à tous les K et aux F et aux L de La Casona / à notre chère BA / à Luna qui vient de naître et à ses jeunes vieux / à Michèle et Aurial / à Niki et sa bande de voyous et de voyelles / à Jean-Michel et Corine et Sarah et la chtite dernière / à Dimitri / à Marius Daniel et à ses belles / à Pascal et Serena / à noss deux Hélène et à Léo / alla Professorella ed al Gentiuluomo ed a Thea ed ai sette gatti con sei code / a Fabio Ciaralli nel carcere di Marina Massa / à Nicolas et Battuta et Jalel / à François et sa tribu tourangelle / à Jean-François du Feuilly / à René et son Annemarie / à D et à D /  à Christiane de Saint-Ouen / aux ondines Soulef et Oceania / aux ondins Heurtebise et Matthieu de Berlin /  à Fred au cheval bleu / à Bertrand en Polska / à Mirek de Brno / à Gilles-Marie au miel de fiel / à Alina et son auréole de papier / à Jacqueline et son Antonin et leurs Félix et Lou / à Jean et son Isabelle / à Eric le curieux / à Myriam / à Sarah du Théâtre au bord de l'eau / à René qui est rené de son crabe  /à Rodrigue / à Nathalie et Frédéric et leur Anatole / à Maya / à Alain et à Marie-Joséphine / à l'autre Alain du Sud-Est et à sa compagne / à David le boxeur et à son club / à l'autre Alain du Sud-Est profond /  à Bill Adelman / à Marie de Tahiti et à Marie sur Loire / à l'Anne-Marie et sa copine Anne / à Frère Maximilien-Marie / à Alain et son dragon / à Clopine / à Raymond et son vieux Paul / à Bona des Couleurs / à Pascal / à Bruno / à Nadia du Canada / à Bernard et sa Joëlle / à Denis et sa Mireille et à Mireille et son Jean-Marc / à Fabien et ses pinceaux / à Pascal et Gilbert revenus de l'enfer / aux camés et aux pédés et aux gens ordinaires ou extraordinaires / à Maritou et Pierre et Yvan nos voisins d'alpage / à Maria et à Damien des îles / aux commères et compères de 24Heures sur 24 / au gang de la rubrique culturelle et à Michel qui va nous manquer durant son trip californien / à Louis-Philippe et Sylvie en nos Lectures croisées / à Claude et à Sylviane et à Karine mes libraires préférés / à Pascale de L'Implacable brutalité du réveil / à Charles le bon génie de Comme il vous plaira / à tous les autres souriants ou fulminants / à Jacques des insomnies / à Etienne et Alain de la Ligne de coeur / à ceux qui crèvent la faim et à ceux qui croûtent / aux Méchants et aux Gentils, très bel et bon An 9.

     

     

     Papier découpé: Lucienne

  • A tu et à toit

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    Pour Lady L.

     

    …L’important c’est que je t’ai, toi, parce que sans toi je t’aurais pas, et ça j’aimerais pas, je sais bien que j’ai un toit et que c’est déjà ça, mais un toit sans toi, je te le dis rien qu’à toi: franchement j’aimerais pas trop ça, j’aurais froid, sans toi ce serait pareil que sans toit…

    Image : Philip Seelen

  • L’esprit d’escalier

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    …J’ai pas su lui parler, j’ai pas osé lui offrir un verre, j’ai pas trouvé les mots, c’est pourtant pas compliqué de dire à quelqu’un qu’on sent qu’on est fait l’un pour l’autre et que ce sera pour la vie, mais je suis tellement nul, je sais pas, j’aurais pu lui dire : vous êtes Schweppes ! Ou bien, je sais pas : vous êtes Naturellement  Pulpeuse! mais voilà : même ça j’ai pas pu tellement je suis mal barré…

    Image : Philippe Seelen  

  • Femme-objet

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    …La c’est vraiment limite insupportable, on peut pas laisser passer ce genre de représentation, on s’est quand même pas bagarrées comme des furies pendant les années 60-70 pour en arriver là, non mais je rêve : c’est quoi cette régression, et je te parie que c’est en résine même pas biodégradable, enfin t’imagines ce que peuvent ressentir là-devant des camarades pas trop gâtées par la nature…
    Image : Philip Seelen

  • Dantec genre road story

    LireDantec.JPGUn roman qui se la joue polar paramystique genre Sailor et Lula de SF: Comme le fantôme d’un jazzman dans la station Mir en déroute. 
     Cela commence par un braquage dans une vieille poste de la région parisienne et la ligne de fuite de la narration suit la cavale d’un couple « speedé », porteur d’un neurovirus dangereux qui a cela de particulier de rendre plus «performant». Lui, fils de gauchiste rejetant son paternel, informaticien de formation et se rêvant flic-mercenaire, s’est retrouvé braqueur avec Karen, journaliste lausannoise (!) issue d'une famille de Tchèques victimes du nazisme-et-du-communisme et fan du saxophoniste déjanté Albert Ayler, massacré en 1970 à New York. La motivation finale de ce couple d’enfer semble de se retirer sur une île lointaine. Un cliché de plus. Et même fastidieux si l’on compte les paragraphes consacrés aux ruses des protagonsites pour échapper à leurs poursuivants et planquer leur butin. Quelques épisodes violents relanceront l’intérêt du lecteur friand d’arts martiaux divers, mais c’est sur un autre plan qu’on retrouve (un peu) Dantec, même s’il n’a plus l’air d’y croire tellement lui-même.
    Le « plan » en question recoupe, on s’en doute, les composantes spatio-temporelles de la réalité, les interférences entre matière et musique, science et mystique. Au passage, on aura appris que le neurovirus, dit de Schiron-Aldiss, déclenche «une appréhension nouvelle des phénomènes quantiques, probabilistes et relativistes». Sic. Et dans la foulée, Dantec nous rappelle les travaux de l’anthropologue Jeremy Narby sur le serpent cosmique, grâce auxquels nous savons désormais comment le chaman qui est en nous peut connecter son ADN personnel à la grande hélice cosmique...
    Quant à l’angéologie version Dantec, elle joue  ici sur quelques motifs narratifs  resucés, avec la mission révélée à Karen, via les «états augmentés» du neurovirus, de sortir Albert Ayler de ses limbes pour le réintégrer dans sa «forme infinie». En quelque sorte : le salut par le saxo et l’intercession féminine. Albert lui-même, avec son instrument, est chargé de sauver l’équipage de la station Mir en train de se crasher. Mais rien ne se fera sans le couple «élu». Trop sérieux s'abstenir... Or, comme il s'agit  de faire un peu sérieux quand même, il est précisé que le braqueur camé qui nous a embarqués a lu quelques livres édifiants durant sa période d’isolement médico-sécuritaire: un peu de Jung-Freud-Reich, mais aussi de l’ethnologie aborigène, la Bible et le Pères de l’Eglise en multipack.
    Ainsi cette bédé pour ados «augmentés» débouche-t-elle finalement sur cette révélation: La Révélation, justement, autrement dit l’Apocalypse, vers laquelle on se dirige à pas chaloupés dans les «blue suede shoes» d’Elvis sur lesquels il est recommandé de ne pas marcher, sinon gare à la tatane -  destination finale :  Armageddon…
    Maurice G. Dantec. Comme le fantôme d’un jazzman dans la station Mir en déroute. Albin Michel, 210p. En librairie le 8 janvier 2009.

     Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 30 décembre 2008.

  • Nanni cantabile

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    …J’attendais de retourner sur le lieu de tournage ou je devais jouer un père qui vient de perdre sa femme adorée et se met à attendre tous les jours son enfant à la sortie de l’école, quand je me suis dit qu’attendre sur ce banc serait plus cool, donc j’ai attendu, et la neige s’est mise à tomber, et là je me suis dit que ça mettrait un peu de poésie à ce film censé se passer en été…
    Image : Philip Seelen

  • Cette flamme

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    Cette flamme qui brûle au fond des êtres est belle et pure. Ce n'est pas une déflagration qui calcine. C'est une action obstinée et réfléchie, une combustion continue. C'est la force de l'irréductible.

    C'est une flamme qu'on ne remarque pas tout d'abord, parce qu'on est souvent distrait par toutes les étincelles et tous les éclats qui tourbillonnent sans cesse : la brillance, le luxe, miroirs partout tendus, phares aveuglants braqués sur les yeux, grandes plages de couleur, de blancheur.

    Mais lorsque tout devient gris de fatigue et d'usure, lorsque la plupart des êtres se sont éteints et se sont effacés, alors on remarque cette lueur étrange qui brille par endroits, comme des feux de braise. Quelle est cette lueur? Que veut-elle? Est-ce le désir? Le plus simple désir alors, la force de la vie, la force de la vérité.

    Ceux qui refusent les mensonges, ceux qui ne sont pas compromis dans les affaires louches du monde, ceux qui ne se sont pas avilis, qui n'ont pas été vaincus, ceux qui ont continué à vibrer quand tous les autres se sont endormis : la lumière n'a pas quitté leurs yeux. Elle continue à sortir de leur peau, de leur âme, la lumière pure qui ne cherche pas à vaincre ou à détruire.

    La lumière pour cette seule action : voir, aimer.
    Je cherche ceux et celles qui brûlent. Ce sont les seuls immortels.

    J.M.G Le Clézio

    (Cité par Océania, alias Danielle D. en courriel amical, ce matin, par manière de voeux. Bonne vie à elle, et à tous réitérés, pour l'An 9)

    Image: Philip Seelen

  • L'enfant mystérieux

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    Avec Arnaud Rykner dans le silence blanc. Reading Rando (5)

    «Le plus favorable moment, pour parler de l’été qui vient, c’est quand la neige tombe », écrit Jacques Audiberti, et c’est sans cesser de penser à un été désert, silencieux et blanc, au fond des chambres duquel on entendrait de cristallines voix d’enfants, que je marchais cet après-midi limpide en me remémorant les premières pages d’Enfants perdus, cinquième livre d’Arnaud Rykner dont l’image de couverture, signée Bernard Faucon, et la même limpidité des phrases développent une lente et lancinante rêverie dont le protagoniste muet est un garçon qui se sent muer, au sens profond du terme, comme si son corps donnait naissance à un autre corps confusément ressenti comme inhabitable, vers une vie pressentie invivable.

    Panopticon764.jpgD’emblée on entre dans une sorte de paix anxieuse au seuil de la grande maison vide, en bord de mer, entourée par un grand jardin, où arrivent d’abord l’homme et la femme ensemble, réunie une fois par année deux mois durant pour entourer les enfants et les écouter – ce sont de bonnes personnes à l’évidence -, puis le premier garçon arrive, qu’angoisse immédiatement « trop de joie » et dont le récit retrace le parcours d’enfant sensible et solitaire, qu’on remarque.
    Le silence de la neige et le silence de la mer sont comparables par le sentiment d’infini qu’ils dégagent, mais c’est par une cabane dans un arbre que, marchant le long de la forêt, m’ont surpris tant de souvenirs au moment où il est question, dans le roman d’une cabane toute semblable, où le garçon secret a établi son royaume que nul ne lui dispute d’ailleurs: « L’arbre, il le connaît bien. C’est le sien, celui où il habite quand il sent qu’il ne peut plus habiter en bas, avec eux, les autres ». Le silence de la neige, plus que celui de la mer, sauf à l’aube immobile, creuse une sorte de temps songeur dans le temps, et c’est précisément « loin de l’année » que les enfants se retrouvent pour jouer : jouer aux aveugles dans le brouillard d’une entrée maritime, jouer à la mort pour voir comment c’est, jouer à la guerre le temps de lancer quelques pétards, joués à être perdus en s’impatientant, S.O.S. venez-me-délivrer, que des sauveteurs surviennent.
    Panopticon736.jpgLe thème du livre – qu’on pourrait dire l’enfant et les sortilèges de la mort – n’est guère original, mais le ton, le rythme intérieur, la façon de restituer sans peser « la tristesse toujours possible des enfants », le développement des séquences dans une sorte de torpeur douce frangée de peur diffuse, mais sans peser une fois encore, où l’extrême clarté de l’expression file une sorte de rêverie amniotique, n’a laissé de me toucher par sa gravité et la lumière de ses mots, la puissance d’évocation de ses scènes ou de ses images – cette chaude baguette de pain que les gosses vont recevoir après la messe, ou la magie profonde d’un grenier où l’enfant va découvrir divers vestiges d’autres temps empoussiérés, dont un exemplaire de L’Enfant maudit de Balzac.
    Rien ici de la suavité factice d’une enfance idéalisée autour du mythe de l’innocence, mais le récit d’une sorte de fatal arrachement à la vie de l’enfant mystérieux, évoque par Ruysbroeck l’Admirable et qui m’a rappelé, dans le jour déclinant, ces mots de Juan Carlos Onetti : « Je me déplaçais parmi des corps et des voix sans perturber le chemin qu’ils s’étaient imposés, tenaces involontairement, oublieux de l’heure de leur mort et ignorant en outre que le temps n’existe pas. Mais je le savais, moi, depuis l’enfance, et je protégeais mon secret comme une maladie »…
    Or le garçon d’Enfants perdus ne pourra jamais dire «depuis l’enfance», puisqu’il choisit de faire exister le temps en s'immolant – et je voyais là-bas, sur la neige, comme une tache de sang bientôt évaporée…
    LireRykner.JPGArnaud Rykner. Enfants perdus. Le Rouergue, coll. la brune, 92p. Disponible en librairie dès janvier 2009.

    Images: Philip Seelen.

  • Ce que PEUR veut dire

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    Avec François Bon en partage. Reading Rando (4)

     

    Les verticale des anciennes pluies, scrutées de derrière la vitre dans l’impatience  de nos enfances, avant de partir loin, relaient dans Peur  les verticales des cordes urbaines entre lesquelles zigzaguent un saxo tâtonnant et un violon titubant, et quel rapport avec les verticales de roc et de glace ?

    Je dirai : paysage mental, murs de New York ou de l’Aiguille du Fou, souvenir des villes, paysages où transi d’angoisse  on lève la tête dans le matin glacial, Manhattan ou l’Aiguille du Trident  – ma seule PEUR panique un matin de roche rouge et de glace il y a juste vingt ans avec mon ami R. fracassé vingt jours après au Mont Dolent -, et voici :

    Que je repars ce matin avant l’aube, par grand beau se levant, avec  Peur de François Bon et de ses musiciens au walkman, prêt à gravir ce couloir d’effroi, un pas sur l’autre, entre les hauts piliers comme de gratte-ciels – On avait traversé des villes sans personne -, et la neige glacée crisse comme les instruments de Peur,  mais les crampons s’accrochent comme les tampons aux parois de verre des villes de fer et de béton :

    On progresse,  le couloir est à la fois paroi trouée de fenêtres comme les buildings hallucinés de Buzzati, et cela:

    Quand on ferme les yeux pour souffler, les verticales basculent et voici les ravines bleutées devenues allées de cimetière - Tu marchais dans la maison des Morts -, tout devient Labyrinthe aux yeux fermés un instant, tes morts te pèsent et te soupèsent puis tu entends une voix pure, peut-être le jeune poète de Rilke – Nous manquons d’invocations sorcières –, enfin tes yeux clairs se rouvrent  et retrouvent les horizons de plus en plus larges à mesure que tu montes vers le ciel grand ouvert, la PEUR aiguise les marches mais de la surmonter te sort de l’impasse et de là-haut tu vois mieux ce qui te manque et qui te manque, à qui tu manques  – Et comment on est venu on sait pas, et où tu vas t’en sais rien ? – mais  de moins en moins de PEUR tout en haut du couloir d’angoisse, à monter on surmonte la PEUR, et voici :

    Rando15.jpgL’arête atteinte, l’équilibre entre deux vertiges, étroite rue où danser – Là-bas murs et seringues, voilà pour manger, trajets tracés, tous les bruits du monde -, ici l’ouvert par delà l’obscur et l’indistinct :

    Vaincue la PEUR à  l’instant, dis-tu, au jour partagé, songeant à eux, mais qui t'attendent demain là-bas - l'angoisse et l'effroi retrouvés tôt l'aube…

     

    LirePeur.JPGCette divagation de rando suit les séquences lues (François Bon en diseur d’extrême sensibilité) de Peur, sur ses textes (cités ici en italiques)  et des compositions de Dominique Pifarély (au violon, sur de magnifiques variations), avec François Corneloup (sax baryton), Eric Groleau (batterie) et Thierry Balasse (électro-acoustique).

    Peur. 1 CD chez Poros éditions, 2008.

    Le texte intégral de Peur peut se télécharger sur internet : http//www.publie.net/peur/

    Image: peinture de Buzzati ainsi légendée: Quando la grande montagna all'improvviso diventa la nostra vita, la nostra città, la nostra vecchia casa, l'antica nostra tomba.

  • In petto

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    … C’est vrai que tu fais vieille peau et que t’es seule, mais si je te regarde bien je dirais que t’es pas pire que les cheffes de projet liftées, je te vois les traits d’un caractère de sanglier mais ça reste un caractère, et puis être seule je préfère, dans le TGV, et je n’ai de comptes rendre à personne, surtout pas au sieur photographe, là, qui se figure que je n’ai pas remarqué son manège - ce que je vois ça me regarde et l’image qu’il me vole n’a rien à voir…
    Image : Philip Seelen

  • Harold Pinter le résistant


    Le Prix Nobel de littérature 2005 avait consacré le plus grand dramaturge anglais vivant, dont le théâtre est marqué par uPinter.jpgn rire panique. Pinter vient de nous tirer sa dernière révérence.

    C’est un écrivain de théâtre et un personnage public unanimement respecté, en dépit de ses légendaires coups de gueule, qui fut consacré par l’Académie de Stockholm en la personne du dramaturge anglais Harold Pinter. Après le choix controversé de l’Autrichienne Elfriede Jelinek qui avait provoqué la démission bruyante d’un des leurs, les académiciens suédois ont soigné leur crédibilité en consacrant une œuvre théâtrale à la fois novatrice et mondialement reconnue, dont l’exigence éthique de l’auteur s’est également manifestée sans relâche sur le devant de la scène publique. Encore marqué par les stigmates d’une chimiothérapie, Sir Harold prit en effet la parole à Hyde Park, en février 2003, lors de la manifestation monstre contre la participation de l’Angleterre à l’intervention en Irak, déclarant par ailleurs dans un entretien : « Je craindrais fort, si je me tenais en face de Tony Blair, de lui cracher dans l’oeil ». Cela pour le style du personnage, qui a exorcisé son cancer en composant des poèmes empreints de la même rage… Mais Pinter, citoyen non aligné qui fut objecteur de conscience à dix-huit ans, et dramaturge aux thèmes explicitement politiques dans les années 80, est également un artiste accompli et l’inventeur d’une sorte d’infra-langage (ce qui se dit sous les mots, derrière les silences ou dans les formules les plus creuses en apparence) caractérisant ses « comédies de menace ».
    D’abord comédien sous le nom de David Daron, ce fils de tailleur juif vit sa première pièce montée en 1957, et c’est en 1960 que le succès lui vint avec Le gardien, Suivi par La collection (1961) et Le retour (1965), notamment. Depuis lors, Le gardien a fait le tour du monde. Par ailleurs, les cinéphiles se rappellent les trois films de Joseph Losey dont Pinter composa les scénarios : The Servant, Accident et Le messager. Pour le même Losey, Pinter conçut également une adaptation d’ A la recherche du temps perdu de Marcel Proust, qui ne fut jamais tournée mais que Gallimard a publiée l’an dernier sous le titre Le Scénario Proust, parallèlement à l’édition conjointe de la première (La chambre) et de la dernière (Célébration) de ses pièces, séparées par quatre décennies mais restituant leur époque (la dèche matérielle et morale d’après 45, et le cynisme des yuppies d’aujourd’hui) avec la même acuité, le « vieux » Pinter étant peut-être plus radical que jamais quant à l’économie du langage.
    Souvent apparenté au théâtre de l’absurde, Harold Pinter apparaît plutôt, aujourd’hui, comme l’inventeur subtilement réaliste (saisissant aussi bien l’absurde de péripéties réelles) d’une dramaturgie tragi-comique déterminée par les conditions de la vie actuelle, où se trouve accentuée la terrible solitude de l’individu tendant « délibérément à esquiver la communication », selon les propres termes de l’écrivain. Moins porté au lyrisme métaphysique qu’un Samuel Beckett, et moins ouvertement violent qu’un Edward Bond, Pinter fait figure de résistant aussi sensible à la condition humaine qu’il paraît mal embouché. « Je ne cherche certainement pas l’universalité », conclut-il ainsi à sa façon : j’ai assez à faire pour écrire une foutue pièce »…

  • Le volcan et la rose

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    …Lucilius était tout à fait le genre amoureux transi, le passionné passionnel, l’exalté, le pulsionnel, mais à la fois romantique à ses heures, vraiment le type à faire des ravages dans les lycées de jeunes filles de Pompéi, et là vous voyez ce qu’il en reste: littéralement aplati et décapité - mais voyez la rose à peine déclose pour la mignonne qu’il s’en venait voir à la vesprée…
    Image : Philip Seelen

  • La mère et l'enfant

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    Avec Hafid Aggoune au bord du ciel. Lecture de rando (3)

    L’air avait une limpidité de cristal pur, cette fin de journée sur les hauts de Saint-Maurice en Agaune, et c’est avec émotion que je me suis rappelé l’évocation cruelle et douce à la fois, de l’épisode le plus marquant de son ( ?) enfance, que détaille Hafid Aggoune dans son dernier livre, Rêve 78, bref et dense récit des retrouvailles d’un gosse de 5 ans, longtemps séparé de sa mère, et de celle-ci, maltraitée par la vie et par ses hommes (son père et son conjoint), et qui revit positivement après qu'il lui a été permis de rejoindre son petit garçon.
    « Ma mère a quitté sa famille l’année de ses quinze ans. Elle était battue par son père, détestée de sa belle-mère. Au fil des années elle était devenue la bonne à tout faire de neuf demi-frères et demi-soeurs..."
    DSCN1523.JPGCe que j’aime bien, dans le processus de la lecture de rando, c’est qu’elle remet en somme un livre à distance et dans sa juste proportion avec l’univers environnant. Les hauts de Morcles, en dessus de Saint-Maurice, à peu près à 1600 mètres d’altitude, au debouché d’une longue route forestière sinueuse et très étroite bordée de fortifications militaires datant de la dernière guerre (toute la montagne est truffée de forts et de casernes souterraines) s’ouvrent soudain sur un paysage d’une grande majesté, dominé d’un côté par la Dent de Morcles et de l’autre par la Cime de l’Est avec, en arrière-fond, l’Aiguille verte et les Drus. Rando12.jpgCe décor contraste pour le moins avec le climat du récit d’Aggoune, mais après avoir chaussé mes raquettes et gravi une longue pente, jusque sur un promontoire, j’ai lu les phrases suivantes dans une disposition particulière qui en accentuait le relief.
    « Si mon enfance n’a pas été précisément heureuse, elle m’aura donné cette capacité essentielle de savoir me confronter au vide. Savoir rester seul à ce pont me fait penser à cet océan immense, pacifique en apparence, mais couvrant la moitié de la surface de la terre, profond et sombre comme les entrailles de Saint-Etienne »...
    Et cela aussi qui retentissait dans l’immense solitude de la montagne : « Certaines choses d’une vie s’écrivent avec les mots du silence. On ne les entend pas. Le monde les étouffe. On cherche éperdument. On écoute autre chose. Mais ces choses-là restent, attendent. Elles pourraient attendre une éternité et une nuit de plus ».
    Le petit garçon, fils d’ouvrier trop pauvre pour lui offrir des livres, est devenu écrivain comme l’auteur, et l’écriture compte dans sa résilience autant que ce qu’il a vécu avec sa mère dès ces retrouvailles, qu’il évoque aujourd’hui à trente ans de distance, à la veille de devenir père lui-même. Hervé Babel, protagoniste du récit est-il le double de Hafid Aggoune ? Peu importe à vrai dire... 
    Ce qui est sûr en revanche, c'est que Hafid Aggoune est un écrivain pour qui les mots ont une charge vitale, ceux des autres (« Chaque mot lu de certains écrivains a été cette main qui m’a éloigné du bord des gouffres ») autant que les siens. On s’en était avisé en lisant ses premiers livres, tel notamment Quelle nuit sommes-nous ?, paru en 2005. C'est aussi évident en l'occurrence.
    « L’écriture m’apprend à croire en nous », note encore Babel-Aggoune après avoir constaté que la littérature est comme une femme, comme une amante ou comme une mère, et ceci qui est sans doute frappé au sceau de l’expérience personnelle. « Seuls, les livres consolent de l’inconsolable ».
    Il aura fallu trente ans à Hervé Babel, protagoniste du récit, pour comprendre son père, lequel n’a jamais cru en lui, et lui pardonner. Cela me rappelle mon père en montagne, et ce jour de mes quatorze ans où, à un passage délicat d’une ascension, il me dit soudain : « Allez, maintenant, passe devant… »
    DSCN1522.JPGHeureux celui qui a été adoubé par son père. Mais heureux aussi celui qui retrouve son père manquant.
    Vers dix-sept heures, un 24 décembre en montagne, l’air fraîchit soudain et le jour décline. J’ai lu encore ces mots que j’avais souligné avant la descente, et j’ai fait un signe amical à l’écrivain, là-bas, je ne sais où - ciao compère, heureux Noël: « Quand je manque de courage, je pense toujours à ma mère marchant droit devant elle, vivante, née là sous la lueur d’un jour froid de ciel bleu miroir, l’une de ces journées d’hiver où cette couleur suffit à effacer du corps tous les martyres »…
    LireAggoune.JPGHafid Aggoune, Rêve 78. Joëlle Losfeld, 63p.
    Images JLK : 1) Cime de l’Est, 2) Dent de Morcles, 3) Canon à l’hibernation… 4) L'Aiguille verte et les Drus.

  • Bondage

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    …Je l’avais tellement dans la peau, vous pouvez pas imaginer Monsieur le Juge, avec cet air glamour qu’elle avait, ce côté petite fille fragile modèle ancien, tout ça tellement Tentation et tout le toutim, que forcément fallait que je l’exprime et c’est comme ça que j’ai commencé à la ligoter, et comme elle en redemandait de plus en plus j’ai serré de plus en plus, Monsieur le Juge, c’est comme ça l’amour – mais forcément ça vous échappe…
    Image : Philip Seelen

  • Le Crash

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    …LE problème ce n’est pas toi, Marie-Laure, tu nous fais une accidentée à peu près crédible, et la route voilée du vélo, passe encore, mais le reste : vous sentez le Drame, vous autres, avec ce cadrage de pub moite et ce deuxième plan qui somnole, non mais c’est quoi ces Pros ? Vous croyez que vous allez prendre les gens aux tripes avec ce genre de sieste ? Vous vous figurez que la Ministre va se contenter de ça pour sa campagne de sensibilisation à l'Hécatombe dans la Ville ? Vous croyez pas que ça craint pour le Bilan Mérite ? Alors on se bouge, on se fait un debriefing dans un quart d’heure avec toute l’équipe et je veux des idées qui crachent le sang...

    Image: Philip Seelen

  • Top Secret

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    …C’est en effet la dernière sortie du Tsar Poutine Ier, Mesdames et Messieurs des médias occidentaux, et nous vous saurions gré de respecter les clauses de la confidentialité militaire, oui Monsieur : l’honneur de la flotte nucléaire russe emporte sa charge maximale vers son ultime destination, dans une zone du Pacifique où l’explosion se fera en toute discrétion, non Madame : l’équipage complet ne se dérobera pas à son Devoir, qui a choisi de rester à bord, mais inutile d’en faire de gros titres…

    Image : Philip Seelen         

  • Lectures de Rando (1)

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    Par les hauteurs avec Philippe Sollers et Charles Dantzig


    Rousseau disait quelque part que « seul celui qui marche est apte au réel », et cela vaut même en montagne et même avec des raquettes et deux livres dans son sac en peau de chamois, sur la neige encore bien portante de la matinée.
    Or donc me voici reparti, pour une première mise en jambes que je m’étais promis d’assortir de deux arrêts, selon le principe de la Lecture de rando que j’inaugure par la même occasion Il faisait ce matin un temps à lire le nouveau Sollers, intitulé Les Voyageurs du temps et dont les cinquante premières pages s’inscrivent dans le droit fil d'Une vie divine, avec un narrateur qui ne se distingue de l’auteur que par un faufil de fiction (et encore) pour se concentrer sur des variations littéraires et philosophiques dans une langue fluide et rythmée à la fois. Le zeste de fiction nous transporte initialement dans un stand de tir parisien, tout près de son bureau de la NRF, où son chemin croise une agréable Viva, garde du corps aux divers sens du terme.
    J’avais fait un quart d’heure de raquettes, depuis le Parking des Lynx, lorsque je me suis trouvé face à une pancarte ordonnant, en cas d’avalanche,de prendre le chemin du bas. L’état des pentes me semblant plus mollissant que menaçant, j’ai pris le chemin des hauts jusqu’à un promontoire où j’ai repris ma lecture.
    Rando1.jpgDans les cent premières pages des Voyageurs du temps, Sollers parle de son corps, comme d’une espèce de double n’en faisant parfois qu’à sa tête (de nœud), puis il consacre de belles pages à l’antagonisme de la Bête (on dira pour faire court : le génie) et du Parasite, avant de bifurquer vers les irréguliers, de Kafka et Nietzsche à Rimbaud et Lautréamont via T.E. Lawrence. Dans la foulée, le roman s’est déjà transformé en soliloque tissé de phrases fringantes, mais c’est le moment de reprendre la rando.
    Rando2.jpgL’air est cristallin comme une page du grand Paon, l’azur cingle et le lac là-bas, immense fleuve immobile dans sa gaze de soie bleutée, a l'air de penser comme le dieu danse (mauvaise influence de Zarathoustra...) et comme Dantzig fait ses listes en dents de scie.
    J’ai naguère accablé les lecteurs de ce blog de citations des milles pages du Dictionnaire égoïste de la littérature française, paru en 2006. Je vais remettre ça avec les 700 pages de l’  Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, somme de listes dont la première (liste des cadeaux à réclamer au père Noël) devrait inclure le titre de ce livre-mulet enfilant perles sur trouvailles, avec des hauts et des bas certes, mais c'est le propre du livre où grappiller une foison d’observations-sensations-émotions que le lecteur prolonge avec les siennes propres.
    Listes des lieux, des villes, des « caressants ailleurs », Listes du beau & du chic ou du corps & du sexe, Listes des femmes comme on en voudrait dans sa famille ou des chansons de variétés tragiques, et cent et mille autres qui font de ce seul livre une épatante lecture de rando. J'y reviendrai plus souvent qu'à mon tour...
    Philipe Sollers, Les voyageurs du temps. Gallimard, 243p.
    Charles Dantzig. Encyclopédie capricieuse du tout et du rien. Grasset, 790p.
    Les deux ouvrages seront en librairie en janvier 2009.

  • Liberticide

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    …ça la fiche mal, tout se rétrécit, même si c’est pas d’hier ça commence à bien faire : tout s’étiole et s’étrique, la liberté ça se peau de chagrine grave, tu pourrais même pas rouler une pelle à Lola dans ce jardin public, illico t’aurais les mères qui te fonceraient dessus pour te flinguer pédophile, c’est vrai que Lol a l’air d’avoir douze ans alors qu’elle en a treize comme toi, mais même en quoi ça les regarde, les mères, tu trouves pas que ça la fiche mal ?...
    Image : Philip Seelen

  • Un anarchisme fraternel

    Melgar22.jpgMelgar10.jpg
    Fernand Melgar, auteur de La Forteresse, Léopard d'or 2008 à Locarno, personnalité culturelle de l'année à 24 Heures.  
    L’émotion que Fernand Melgar a récemment suscitée à Vallorbe, lors de la première projection publique offerte aux gens du lieu de La forteresse, son film consacré aux requérants d’asile du centre local vivement contesté par les Vallorbiers à sa création, a été, pour le réalisateur lausannois d’origine espagnole, un signe de reconnaissance inappréciable.

    «Moi qui ai toujours rêvé de m’intégrer dans ce pays, j’ai vécu la xénophobie des années Schwarzenbach comme une trahison. Je revois, aujourd’hui encore, cette valise que des mains inconnues avaient déposée devant notre porte, à Chavannes, pour nous signifier qu’il valait mieux nous en aller. Mon père, magasinier-chef chez Payot, était alors tout prêt à rentrer en Espagne. A l’école, un camarade m’avait lancé, sans le penser sans doute: «Rentre chez toi, sale étranger!» Et voici que, trente ans plus tard, mon film touche des gens d’ici, se sentant soudain proches des requérants à cause de ce que ceux-ci vivent dans leur chair, comme ils pourraient le vivre eux-mêmes…»

    Le respect humain, la liberté, le souci de la justice et de la dignité de toute personne: ces valeurs élémentaires, Fernand Melgar les tient de son père et de ses deux grands-pères, syndicalistes.

    «Tous deux étaient anarchistes», précise-t-il alors: «L’un était du genre tribun charismatique, et l’autre, spécialiste de la désinformation. Il me semble que mon travail relève de ces deux sources…»

    S’il n’a pas connu lui-même ses aïeux, Fernand Melgar n’en est pas moins né en milieu révolutionnaire, dans le quartier de la «petite Russie», à Tanger, où s’étaient réfugiés nombre d’opposants au franquisme. «L’un de mes grands-pères a disparu au cours de la guerre d’Espagne. L’autre, avant de rendre son dernier soupir, s’est exclamé en voyant un curé s’approcher de lui pour lui administrer les derniers sacrements: «Faites-le sortir immédiatement de cette chambre !»

    De ce creuset d’anticléricalisme libertaire, le père de Fernandino gardera la passion de l’acte citoyen: «Chez Payot, il traquait littéralement les employés pour les faire voter, et bien voter comme il l’entendait, alors que lui-même n’avait aucun droit civique…» Nul droit, non plus, de faire venir sa famille en Suisse, qui vécut donc en clandestinité les premiers temps de son établissement.

    Melgar9.jpg«Un enseignement décisif que m’ont transmis mon père et mes grands-pères, inspirés par un anarchisme qui n’exclut pas la plus grande rigueur morale, c’est le refus du dogmatisme», explique encore Fernand Melgar. «Dans mes films, ainsi, j’expose les faits et laisse ensuite chacun se faire une opinion.»

    Rien en effet de l’intellectuel donneur de leçons chez lui, qui n’a jamais aimé l’école et s’est bricolé une culture personnelle entre télévision et mouvement punk. «La télé a été ma mère adoptive. J’étais accro, entre autres, des reportages et des documentaires de Temps présent ou des Dossiers de l’écran.»

    S’il a cherché l’intégration dès son adolescence, au collège de Morges, en fréquentant de préférence ses camarades de bonne famille, c’est dans le creuset de Lôzane bouge que Melgar s’est rapproché des milieux «créatifs», à l’enseigne du cabaret Orwell et de la Dolce Vita, où il s’est initié à la vidéo expérimentale. Fils d’un grand lecteur, il se dit lui-même peu cultivé au sens classique.

    «Le premier film qui m’ait vraiment marqué, c’est Stalker d’Andreï Tarkovski, découvert au ciné-club du Corso, à Renens. Par ailleurs, la vidéo a été l’une de mes passions de l’époque, que j’ai partagée ensuite avec le groupe Climage, aux côtés d’Alex Mayenfisch et Stéphane Goël, notamment. Cette aventure collective de Climage a été, et continue d’être, une expérience fondamentale. Actuellement, je collabore à un projet de Stéphane Goël consacré aux tribunaux de prud’hommes: c’est la première fois qu’on peut entrer dans cet univers très révélateur de ce qui se passe dans notre société.»

    Et Fernand Melgar, là-dedans ? L’individu ? Le père blessé par la perte accidentelle d’un enfant en bas âge ? L’homme d’aujourd’hui ? «En fait, je préfère me livrer en parlant des autres. C’est ce qui m’intéresse dans le documentaire, qui représente à mes yeux les hautes plaines du cinéma, alors que la fiction est essentiellement urbaine et intimiste. Dans La forteresse , les thèmes de l’arrachement affectif ou culturel lié à l’exil, du fils manquant, des drames individuels en relation avec des désastres humanitaires, m’impliquent très personnellement. J’ai l’air de ne pas y être alors que je m’y investis profondément et à de multiples égards.»

    Portrait de Fernand Melgar: Christian Bozon

    Ce portrait a paru dans l'édition de 24Heures du 22 décembre.

  • Dimitri quinze ans après

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    Sur une alliance indestructible. Postface à la réédition de Personne déplacée, en Poche Suisse.


    Lorsque Jean-Michel Olivier, directeur de la collection Poche Suisse, m’a demandé, à l’automne 2007, quel livre j’aurais à cœur de voir figurer au sommaire de ce panorama référentiel de la littérature helvétique, l’idée de lui proposer la réédition de Personne déplacée m’est venue tout naturellement, tant il me semblait souhaitable qu’un nouveau public, aujourd’hui et demain, découvre ce livre qui fait date, je crois, dans l’histoire de l’édition et de la littérature romandes, et bien au-delà.
    La vie de Dimitri, et ce qu’on peut dire l’œuvre de Dimitri, auxquelles se confondent pour ainsi dire l’histoire et la vie de L’Age d’Homme, relèvent en effet d’une aventure qui dépasse les tribulations d’un individu particulier ou les anecdotes de la chronique littéraire. Comme aura pu le constater le lecteur de ces pages, une sorte d’aura poétique nimbe la parole même de Dimitri, comme d’un personnage de légende, et celle-ci relève de la littérature au sens le plus large, autant que de la vie de tous.
    Dans l’exemplaire de Personne déplacée que Dimitri m’a dédicacé au soir du 8 novembre 1986, jour de la saint Dimitri, notre ami m’écrivait notamment « Mon père portait sa main de sa poitrine vers moi et me disait faiblement : veliki savez (grande alliance). Je vous le renvoie ».
    Cette « grande alliance » signifie une filiation qui ne se manifeste pas que par le sang. On peut la concevoir en termes religieux, par la notion de « communion des saints » chère aux catholiques. Dans le sillage de Baudelaire, Georges Haldas parle de « société des êtres ». En ce qui concerne mes liens avec Dimitri et avec L’Age d’Homme, dont je me suis tenu éloigné pendant quinze ans, je la rapporte à ce lien indestructible, aussi indestructible à mes yeux que l’amitié vraie, qui court entre les âmes et les livres et constitue cette chaîne de questions et de réponses, de vœux et d’aveux, de culture et de civilisation que décrit John Cowper Powys dans ses Plaisirs de la littérature, traduits par Gérard Joulié à L’Age d’Homme. « Un homme peut réussir dans la vie sans avoir jamais feuilleté un livre, écrit encore John Cowper Powys, il peut s’enrichir, il peut tyranniser ses semblables, mais il ne pourra jamais « voir Dieu », il ne pourra jamais vivre dans un présent qui est le fils du passé et le père de l’avenir sans une certaine connaissance du journal de bord que tient la race humaine depuis l’origine des temps et qui s’appelle la Littérature ».
    En relisant Personne déplacée, je me suis demandé si ce livre serait encore possible aujourd’hui sous cette forme, et force m’a été de constater que non. J’ai relevé, dans mon préambule, que je partageais et contresignais, pour l’essentiel, les positions de mon interlocuteur, dans une sorte de symbiose. J’ajoutais ceci : « Question politique, je crois sa réflexion toute bonne, dont on découvrira d’ailleurs les fondements, liés plutôt à la métaphysique qu’aux certitudes partisanes ». Or les années qui ont suivi la publication de Personne déplacée ont marqué, pour Dimitri, le passage de la réflexion « platonique » à un engagement personnel obéissant bel et bien aux « certitudes partisanes ». Par la décision de son directeur, qui n’a pas disjoint son travail d’éditeur littéraire d’une activité militante à caractère politique, à l’enseigne de l’Institut serbe, L’Age d’Homme s’est trouvé impliqué dans une mêlée qui lui a valu bien des avanies. Or Dimitri a-t-il eu raison, lui qui m’expliquait, au fil de nos conversations, que la particularité des auteurs de L’Age d’Homme était de se trouver tous «à côté» de telle ou telle cause ou conviction ? N’aurait-il pas fait mieux de se tenir «à côté» de la cause serbe au lieu de la servir au premier rang ? Le lecteur se rappellera le chapitre Petite tête serbe avant de lui jeter la pierre…
    J’ai raconté jour après jour, dans mes carnets de L’Ambassade du papillon (1993-1999), ce qui m’a progressivement éloigné de Dimitri, non sans un constant sentiment de déchirement. Dès le début des années 1990, l’impression de replonger dans Le Temps du mal, grand roman de guerre où Dobritsa Tchossitch décrit l’empoisonnement mental qu’a constitué la politique dans la société yougoslave, entre nazisme et communisme, avec cette espèce de passion furieuse qu’il dit le propre de sa nation - ce sentiment de croissante intoxication a fait que j’ai commencé de me sentir étranger auprès du plus cher de mes amis, dont les vitupérations se multipliaient tous azimuts. J’ai tenté de parler avec Dimitri, vainement, je lui ai écrits maintes lettres, toutes restées sans réponse : je ne lui en veux pas le moins du monde. Ma position d’ami très proche, et en même temps de journaliste dans un grand quotidien, ne facilitait pas non plus nos rapports. Ayant défendu la cause serbe tant que je le pouvais, il m’est apparu à un moment donné, après que le président Dobritsa Tchossitch (auteur de L’Age d’Homme) eut été écarté par Milosevic, que défendre Milos413123094.JPGevic, et demain Karadzic, par seule fidélité à Dimitri, m’obligerait à trahir ce que je ressentais au fond de moi. Qui avait raison ? Qui avait tort ? Ce qui est sûr est que je n’aimais plus nos rencontres de plus en plus brèves, et moins encore nos veillées de plus en plus lourdes. Je suis donc parti et ne le regrette pas. Pas un instant je n’estime avoir trahi Dimitri. J’ai souvent repensé à la brouille « à mort » des frères Issakovitch, dans Migrations, cet inoubliable roman de Milos Tsernianski que nous sommes allés présenter en Serbie en compagnie de Dimitri, en 1987. Dans mon exemplaire de Personne déplacée, j’ai conservé comme une relique la photo de Dimitri sur les rives de la Drina, qui a comme on sait « les plus beaux cailloux du monde ». Cher chauvin de petite tête serbe. Cher barbare avéré. Personne déplacée, décidément.
    Dimitri ne m’a pas envoyé un mot quand ma mère est décédée. Pas bien. Je n’ai pas envoyé un mot à Dimitri quand j’ai appris son terrible accident. Pas bien non plus. Dimitri ne m’as fait un signe après les livres que je lui ai envoyés le supposant le premier à les devoir aimer. Mauvais point. Je n’ai plus défendu L’Age d’Homme avec la même passion que naguère. Autre mauvais point. Chacun de nous est probablement convaincu que ses griefs pèsent plus que ceux de l’autre, comme il en va de nous tous quand nous jouons les Issakovitch. C’est ainsi, puis un seul geste et tout est oublié : ce geste serait un livre. Le voici.
    Lorsque, quinze ans après m’être détourné de lui, je suis allé serrer la main de Dimitri, la joie de son regard, la lumière de son sourire, la reconnaissance qu’il éprouvait à l’idée de rééditer Personne déplacée, m’ont tenu lieu de nouvelle dédicace. Je vous la renvoie…

    A La Désirade, ce jeudi 10 avril 2008.

    Vladimir Dimitrijevic. Personne déplacée - entretiens avec Jean-Louis Kuffer. L'Age d'Homme, coll. Poche suisse.