Celui qui se lave le visage à l’eau de source / Celle qui salue l’astre du jour d’une incantation imitée du chaman Wagadu / Ceux qui restent fans de la première heure même touchant à leurs derniers instants / Celui qui affiche son optimisme matinal sur une pub format Univers lui ayant rapporté l’équivalent du centuple du salaire annuel d’une caissière de la COOP / Celle qui spécule dès l’aube sur son laptop dernier cri /Ceux qui attendent que le petit matin devienne grand pour se lever en forme géante / Celui qui sent que ce jour sera marqué gagnant sans se douter comment / Celle qui repart du 36e dessous et rencontre au 33e son voisin de palier rescapé de sa dernière tentative / Ceux qui ont connu Léautaud au cachot et Léotard au mitard / Celui qui se fait appeler Jean Nouveau alors qu’il est fils de Jacques Deuil / Celle qu’on dit perdue pour la société et qui s’en trouve bien dans le carré aux topinambours du couvent des Clarisses / Ceux qui se disent de mélancoliques mammifères point barre / Celui qui reste ce qu’il est au milieu des mutants / Celle qui se prépare à la méditation collective dans l’Ashram géant où ça commence de transpirer grave / Ceux qui n’aiment plus que via Facebook et même Twitter à la rigueur / Celui qui s’est tellement éloigné de lui-même qu’il ne ne sait plus où se retrouver / Celle qui se contente de son état de modeste modiste abonnée au Bibliobus / Ceux qui n’en reviennent pas de ne point être revenus de tout / Celui qui modélise la formule informatique de la petite madeleine de Proust pour en faire un objet d’exploitation fiable du point de vue de l’alimentation durable / Celle qui se présente en tant que nouvelle Cézanne des cantons de l’Est sans trop jouer sur son état de transsexuelle au niveau marketing médiatique / Ceux qui n’ont pas encore arrêté le sujet de leur prochain best seller entre Kafka et Houellebecq / Celui qui se lance dans un roman américain à la Tom Wolfe ou à la Bret Easton Ellis ou à la Thomas Pynchon mais d’une totale originalité enfin tu vois le genre / Celle qui soupçonne sa mère de regretter sa période trotzkyste et autres postures vintages / Ceux qui se reposent sur leurs enfants et petits-enfants tous plus ou moins formatés Bologne et non fumeurs / Celui qui n’a plus d’amis que pour affaires / Celle qui a fait le vide autour d’elle en se gardant une ou deux poires pour sa soif d’euros / Ceux qui désespèrent de leur bilan globalement positif, etc.
Image : Philip Seelen
Carnets de JLK - Page 142
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Ceux qui se lèvent tôt (ou tard)
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Top Folk
…Notre recherche de concepts authentiques est à la base de l’opération Montée à l’Alpage, dont raffolent nos visiteurs indiens et nippons, l’offre de notre agence prévoit jusqu’à sept séquences par jour en décor naturel, l’enfant et les vaches sont d’origine, de même que les costumes des figurants kosovars…
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La petite chauve
…Vous ne pouvez vous imaginer combien ma vie était morose et désespérée, cet hiver-là si terrible et noir, avant que je ne reçoive sa première lettre où il m’appelait son ange puceron sans m’avoir jamais rencontrée, on avait dû lui parler de moi comme de sa vague cousine malade de Paris au teint de lys flétri et au cœur esseulé, on l'a poussé à m'écrire pour le sortir de son propre cafard, mais que le petit Chose ait pu me deviner telle que je suis dès son premier message de passion, comme il appelait ça, là ça m’a pour ainsi dire donné ma première envie de guérir…
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Les Justes
…Et comme il y a une Trinité, nous sommes là, les Préférées du Seigneur, face à Lui, en pleine Lumière, tandis que les autres, celles qui Le regardent de biais, ou qui Lui tournent carrément le dos, ne sont encore que de pauvres chaises cannées qui se cherchent, ma foi…
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Human Touch
…Enfin le message que j’aimerais faire passer à la fin de ce week-end de coaching, amies et amis collaborateurs, c’est que toute cette réflexion sur le vécu de notre senti, y compris l’échange collectif sur le cri primal que certains d’entre nous, n’est-ce pas Mademoiselle Lepoil, ont vécu comme une révélation, ne trouvera son plein sens que par un réinvestissement de chacune et chacun dans le Corps revitalisé de l’Entreprise, et cela dès la reprise en mains de lundi…
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Briefing
...Il est donc stratégiquement important, en ces temps de crise, et par rapport à notre public-cible, de redéfinir les priorités du magazine en comptant à la fois sur la montée en puissance des nouveaux libertins de la classe mezzo, capucins compris, et sur le must que demeure une façade intellectuelle clairement affichée – tout cela restant à chiffrer scientifiquement selon notre Copy-Test…
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Au seuil
…Ce que je veux dire c’est que c’est un passage et que c’est tous les jours, c’est un passage qui suppose que tu fasses un pas de plus, vers qui ou quoi je n’en sais rien, mais tu vois cette porte et tu vois cette lumière - tu peux passer ou pas, le passage est là…
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Note d'espoir
…Quant à l’avenir de la jeune garde, dont certains esprits chagrins vont prétendant qu’il n’est rien moins que radieux, notre Parti a choisi de parier pour l’encouragement positif en donnant, sur fond de grisaille indéniable, un signe clair à couleur d’espérance…
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Les âmes vives
…Le quartier c’était nos vingt ans, ce qu’on peut dire la bohème, juste à droite y avait le Barbare où on passait toutes nos journées, en dessous y avait la librairie anar, et là, entre deux, le magasin d’âmes où t’en trouvais de toutes les sortes, des blanches, des à feu et même à répétition, c’était le beau temps de Boris Vian, y avait pas d’armes damnées à l’époque…
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L'un dans l'autre
… Tu me diras ce que tu veux mais le corps de ce chien est celui d’une femme, de même que la façon du chien de regarder son Maître est celui de la femme qui regarde le maître de leur chien, et l’âme de la femme a la même douceur de la pierre dont émane l’âme du chien qui regarde le Maître de la femme…
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Réminiscence
…Et pourquoi, je t’en prie, le petit pan de mur jaune de Proust ne pourrait-il pas être un grand pan de mur orange, regarde-ça, essaie d’expliquer ça à tes kids qui n’ont aucune idée de qui est Vermeer mais qui savent très bien ce que c’est qu’un souvenir perso ou l’impression que tu peux tout retrouver de telle ou telle année à travers tel ou tel détail, j’sais pas, Radiohead sur fond de ciel rouge la nuit où t’as rencontré la fille de tes rêves, des trucs comme ça…
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L'Unique
… Ya plein de femmes dans le monde, c’est prouvé par les statistiques, mais cette femme que ce doigt désigne, même si c’est pas bien de montrer du doigt comme ça, cette femme est unique, comme toute femme d’ailleurs est unique, mais celle-ci est particulièrement unique puisqu’un homme unique, du nom de Duplomb, a pu dire de son vivant que c’était SA femme…
Image: Philip Seelen
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Les deux écoles
…Freud a prétendu, dans son analyse du rêve dit de L'enchaîné, que la transformation du piège en couronne, au front du Fils, illustre in-dis-cu-ta-ble-ment une forme patente de sublimation dont la mère castratrice (la Reine invisible) est évidemment l’Objet, mais Lacan revisite la thématique de l’arène invisible où se joue le drame du pied que le Prince coiffé des dents de la mère ne peut prendre…
Image : Philip Seelen -
Incognito
… L’agréable dans le quartier c’est que tu passes complètement inaperçu, même si tu viens de tuer quelqu’un ou de ressusciter quelqu’une, de faire danser un quatuor d’hippocampes dans l’aquarium de Maître Lin aux longues oreilles, ou d’extraire un cœur de rainette de son corps gracieux pour le voir battre sous le ciel mauve d’une tapisserie Song - moi dont le père était griot à Barbès, et qui maîtrise aujourd’hui l’Oud yéménite et les Essais de Montaigne, je traverse le quartier sans être plus remarqué que le djinn dans la médina ou au front de guerre, quand le danger rend plus belles les invectives matricides d’une dune à l’autre…
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Ceci est mon cor
… A la différence de la trompette coudée ou du gyrophone ordinaire, notre instrument s’abouche à tous les vents de la Rose, de la plus frêle brise aux rugissants à grain noir, dont le souffle devient musique par la modulation du convertisseur de fluide éthéré - et c’est ainsi qu’un alizé rivalise avec le plus pur Fauré tandis qu’un vent d'orage te relance un Verdi du tonnerre de cuivres...
Image : Philip Seelen
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Le pour et le contre
…Nostalgie, nostalgie, je ne sais pas, ah certes je ne saurais décrier le temps des fiacres, lorsque nous faisions cattleya sous la capote, pourtant gardons-nous d’idéaliser cette époque qu’on a dit Belle et qui fut celle aussi du gaz ypérite et de l’influenza, tandis qu’à présent, même sous les pluies acides ou les retombées de volcans vous sortez couvert et vous êtes tranquille…
Image : Philip Seelen -
Michel Tournier voyageur
L’auteur du Roi des Aulnes à travers la géographie du monde, des idées et des mots. Un nouveau titre de la collection Voyager avec... que dirige Maurice Nadeau.
À en croire le grand éditeur et critique Maurice Nadeau, qui incarne « le » découvreur des littératures contemporaines en France, de Malcolm Lowry à Michel Houellebecq, en passant par J.M. Coetze et tant d’autres, l’écrivain voyagerait autrement que le commun des mortels, touriste conditionné ou bourlingueur à tout va. Parce qu’il serait supérieur à ses semblables ? Nullement. « Par vocation, par habitude, par métier, il regarde. Il ressent, il rêve, il médite. Il se réjouit ou il regrette, il approuve ou il dénonce, comme nous tous ». Nuance pourtant : « À la différence de nous tous, il exprime. »
C’est ainsi pour ce qu’expriment les écrivains en voyage, parfois sur commande, comme un Cendrars ou un Simenon en reportage, parfois pour raison de santé ou d’exil, parfois encore simplement pour voir le monde que la très remarquable collection « Voyager avec… » a été conçue par Maurice Nadeau à la double enseigne de Louis Vuitton et de la Quinzaine littéraire.
Le vingt-deuxième titre de ladite collection est consacré aux voyages de Michel Tournier aux quatre coins de la planète. L’Auteur du Roi des Aulnes rejoint donc la liste des écrivains accueillis jusque-là, qui représente à elle seule un formidable programme de lecture-exploration à travers la littérature du XXe siècle. On y croise ainsi, pour citer deux grands classiques anglo-saxons, les routes au long cours d’un Joseph revenu de toutes les tempêtes avec un esprit d’analyse d’une pénétration sans pareille, ou d’un Henry James jetant des passerelles entre Europe et Amérique. Dans la foulée, nous voyons à quel point ces « vieilles barbes » ont pressenti, devant l’effondrement des empires, les mutations que nous vivons aujourd’hui. De la même façon, c’est à travers ses voyages à Berlin, à Paris, en Amérique ou au Mexique, que nous comprenons le rapprochement prémonitoire que le poète soviétique Vladimir Maïakovski établit entre le gigantisme des puissances technologiques rivales, tout en vivant un déchirement qui le conduira au suicide.
Trois grands écrivains femmes, dans la même collection « Voyager avec… », à savoir Virginia Woolf, Marguerite Yourcenar et Simone de Beauvoir, illustrent, chacune à sa façon, une façon de voyager où le thème de l’émancipation se trouve modulé, qu’il soit à caractère affectif et existentiel ou fondé sur des composantes sociales ou politiques. Dans les trois cas, en tout cas, l’élément sensuel traluit avec plus d’intensité au fil de journaux intimes ou d’écrits épistolaires. La correspondance est d’ailleurs, pour tous les écrivains en voyage, une base littéraire récurrente, comme l’illustrent évidemment les Lettre à une compagne de voyage de Rilke. Quant à l’écrivain de science fiction Philip K. Dick, présenté comme un « zappeur de mondes », il rebondit pour sa part dans un voyage initiatique et psychédélique où « dérailler est peut-être la meilleure façon d’arriver ».
Et chacun, de Le Corbusier à François Maspero, ou de Walter Banjamin à D.H. Lawrence, de parcourir et d’exprimer un labyrinthe à sa ressemblance. Ainsi, décriant toute vie intérieure, Michel Tournier célébrera-t-il le voyage « extime »…
Tournier le géophile
Michel Tournier a beaucoup voyagé au cours de sa longue vie. Or, c’est un autre voyage à travers la vie et l’œuvre de l’écrivain que nous propose ce très substantiel recueil de textes choisis et commentés par Arlette Boulaumié, spécialiste de l’auteur.
Convaincu qu’un écrivain est marqué à vie par les lieux d’élection de son enfance, comme il le fut lui-même par ses vacances en Bourgogne, Tournier consacre de belles pages à cette terre première, puis à l’Ouest normand, à sa bohème parisienne en lÎle Saint-Louis et à la Provence, avant de s’attarder à l’Allemagne dont il parle, germaniste distingué, avec une connaissance approfondie.
Pour le reste du monde, d’Afrique en Israël ou d’Islande au Japon – où il dit qu’il pourrait vivre -, via le Canada, l’Inde ou le Brésil, l’écrivain affirme qu’il a aimé tous ses pays en préférant, toutefois, le « repaysement » au dépaysement…
Au fil des évocations, la constante mise en relation des observations de l’écrivain en voyage et de leur impact dans son œuvre de romancier, ou dans ses essais, double l’intérêt de l’ouvrage, encore enrichi par le contrepoint des photographie d’Edouard Boubat, complie ce longue date.
Il en résulte un livre des plus éclairants pour qui s’intéresse à Michel Tournier et à son œuvre, illustrant son goût pour la géographie en tous ses états.
Ces articles ont paru dans l’édition de 24Heures du 3 juillet 2010.
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Les Invisibles
En vérité je vous le dis : notre secte est la seule au monde qui n’exige aucune espèce de présence repérable selon les normes visibles, et même si son influence s’accroît chaque jour de manière exponentielle à tous les niveaux de tous les pouvoirs, nul ne peut dire qui en est ou croit en être puisque nul n’accède jamais aux comptes du Chiffre Rouge…
Image : Philip Seelen -
Fierté de l'Agent
…C’est vrai que passer d’agent de la circulation à gérant des flux demande une certaine pratique et surtout du sang-froid, en fait tout est dans la maîtrise modulée des interconnexions et plus encore dans l’évaluation anticipée des dysfonctionnements aléatoires, mais tu verras que c’est plus difficile à dire qu’à faire, camarade policier, et qu’on n’a pas fait tout ce chemin pour se contenter de presser le bouton rouge…
Image : Philip Seelen -
Contamination
…T’as besoin d’une traduction, t’as besoin d’un dessin, t’as besoin d’un rappel des faits, t’as besoin d’un tableau statistique des conséquences de l’événement et de ses retombées à long terme, ah bon ça ne te rappelle vraiment rien, tu dis que personne ne vous a jamais parlé de ça, et tu penses que ça ne concerne plus les gens de ton âge, et tu estimes qu’il vaut mieux tourner la page ?...
Image : Philip Seelen -
Panopticon mode d'emploi
Sur 20 mois d'exercice de contrepoint avec Philip Seelen (photos) et JLK (textes)
Il y aura vingt moi, ces jours, que nous avons entrepris, avec Philip Seelen, grand connaisseur de l'art photographique et imagier lui-même, un jeu de contrepoint que nous avons intitulé Panopticon et qui compte, aujourd’hui, près de 300 unités, dont on retrouve une partie classée sous cette mention sur la page d'accueil du blog littéraire de JLK : http://www.hautetfort.com. Mais de quoi s’agit-il plus exactement ?
Il s’agit d’une brève séquence de texte accolée à une image. Le processus est inamovible. Philip, le plus souvent établi à Paris, m’envoie des séries d’images (il doit y en avoir plus de 2000 en tout), desquelles je retiens celles qui me parlent illico ou m’évoquent quelque chose. En regardant l'image d’un œil, je compose sous l’autre une phrase dont la seule ponctuation est faite de virgules, à la rigueur de points-virgules, entre deux couples de points de suspension. Si le procédé relève du système, voire de la contrainte, le ton et la manière de chaque texte sont absolument aléatoires, entre délire lyrique et pointes satiriques, observation du passant ou note méditative du flâneur. À ce propos, le hasard des parutions m’a fait recroiser en chemin celui de Walter Benjamin, maître flâneur et cueilleur de signes s’il en fût. Une sensibilité proche et le même goût de la ville autant que de la nature plus ou moins sauvage va de pair, chez Philip et moi, avec un goût prononcé pour le second degré, ce qui ne manque parfois de troubler certains lecteurs, voire de les déstabiliser. Nous en sommes désolés mais craignons, étant ce que nous sommes, d’avoir à persévérer dans ce mauvais esprit. À préciser enfin que l’ exercice du Panopticon se fait, entre nous, sans la moindre concertation. Philip n’a jamais conçu une image à partir de mes écrits ; il découvre ce que j’écris sur ce qu’il nous a fait voir sans jamais le retoucher – telle étant la règle du Jeu.
La Désirade, ce 4 juillet 2010.
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Par delà la haine
La régate, un très beau film, violent et tendre, de Bernard Bellefroid.
Alexandre, quinze ans et un potentiel de champion d’aviron, ne prend d’abord que des coups. Son père le tabasse, sa petite amie lui bat froid et son coach lui reproche ses absences. Au fil des épreuves, il comprend cependant qu’il ne s’en tirera qu’en surmontant sa rage orgueilleuse, avec l’aide de son entraîneur, de son amie bienveillante et d’un rival qu’il finit par accepter comme coéquipier au fil d’une épreuve partagée en mer...
Si la victoire sportive finale lui échappe après que son père lui a brisé une main, le garçon sort grandi de ses tribulations. Le dernier regard qu’il adresse à son vieil ado de père en dit long à cet égard.
Marqué par autant de violence que de tendresse, et réellement bouleversant dans les séquences finales, La régate de Bernard Bellefroid rappelle à la fois le réalisme social des frères Dardenne et le mémorable docu-fiction d’Ursula Meier, Des épaules solides. Si le thème central est le conflit entre un père loser et son fils s’acharnant à se sortir de la dèche par l’auto-affirmation exaltée du sport de pointe, le film en impose autant par sa tension radicale que par ses nuances affectueuses.
De toute évidence, Bernard Bellefroid aime ses personnages, jusqu’à l’abjection du père, dont il travaille la pâte humaine en plein accord sensible avec ses comédiens. Tous sont remarquables de présence et de vérité, à commencer par la paire explosive du fils (le jeune Joffrey Verbruggen, d’une intensité incisive) et de son paternel délabré (Thierry Hancisse, formidable de veulerie émouvante), avec lequel contraste l’entraîneur (Sergi Lopez, tout de justesse lui aussi). Le mot justesse caractérise d’ailleurs ce film à tous égards…Sur les écrans romands dès le 7 juillet.
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Tentation
…Votre sagesse cherche le sens du mot écrit tandis que vous tendez la main vers la lumière que celui-ci diffuse, puis votre main est saisie par votre folie qui la pousse à toucher le mot à quatre lettres, comme DIEU, mais votre sagesse rappelle à votre main que le mot DIEU dans cette langue se dit GOD, alors votre main, follement, tremble…
Image : Philip Seelen
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Ceux qui tiennent bon
Celui qui console la veuve dont l’orphelin n’est plus / Celle qui badigeonne les costauds de mercurochrome / Ceux qui chantent en chœur sous les fenêtres de la maîtresse de piano en fin de vie / Celui qui porte la paralytique jusqu’à la rivière aux creux revigorants / Celle que L’Annonciation de Fra Angelico réjouit toujours autant même à l’état de repro minable / Ceux que le seul souvenir de leur mère apaise / Celui qui remonte la pente en se récitant divers poèmes / Celle qui se calme en se rappelant que c’est jour de visite / Ceux qui se font du bien au parloir / Celui qui fait des patiences avec la dame russe / Celle qui remonte la pendule des esseulés de la barre Saint-Ex aux escaliers délabrés / Ceux qui s’en tirent finalement sans tirer / Celui que revigore le spectacle de la rue en liesse / Celle qui ne pleure plus que pour les autres / Ceux qui se reconnaissent à la salle de lecture de la prison en dépit de tant d’années / Celui dont le seul timbre de la voix rend confiance aux accros de la Ligne de cœur / Celle qui se rend au bal des éclopés d’un bon pas quoique boitant bas / Ceux qui se satisfont de mieux faute de mieux / Celui que les lettres de sa marraine belge font tenir le coup au pavillon des cancéreux / Celle qui échappe à son voisin moitié chapon moitié hyène / Ceux qui trouvent en la poésie tout ce qui les dépasse / Celui qui reste debout quand il s’agenouille / Celle qui trouve son bonheur dans les sorties du Groupe Spirituel / Ceux qui ne se fient qu’aux poètes / Celui qui n’est à l’aise que dans l’énoncé des contradictions par l’Image / Celle qui estime que parole et parabole vont de pair / Ceux qui savent que biens de cendres ne leurrent que doigts de fumée / Celui qui se dirige aux étoiles même par temps dans sa cellule aux relents d’urine / Celle qui voit à son tour « les méduses du rêve aux robes dénouées » / Ceux que leur pessimisme rend encore plus gais / Celui que déprime la frime positive / Celle qui se purge de toute vanité en se trouvant si vaine qu’elle en sourit d’indulgence plénière ou quéchose comme ça / Ceux qui savent que la poésie est un art de l’être mais n’en font pas un plat, etc.
Image : Philip Seelen -
Ceux qui invectivent le ciel
Celui dont la voix n'exprime plus que la violence de la détresse / Celle qui s'arrache le coeur à la porte du tribunal / Ceux qui explosent en silence / Celui qui flingue la télégraphiste porteuse de mauvaises nouvelles / Celle qui affirme que la claveciniste a massacré Scarlatti / Ceux qui ne trouvent plus la sortie du champ de ruines / Celui qui écoute aux portes de l'enfer / Celle qui appelle son amie Léonie sa vieille Tare / Ceux qui sanglotent devant 700 millions de téléspectateurs / Celui qui n’a pas de cimetière à regarder, selon l’expression d’Adrienne devant les portraits de la famille des Mesurat et alliés / Celle qui enlève la poussière du salon de la Villa Louis avec tant de concentration qu’elle ne s’aperçoit pas qu’elle continue de passer sa patte humide sur les automobiles de la rue et sur les statues du square / Ceux qui ne savent plus le prénom de celles qu’ils ont réglementairement épousées ils ne se rappellent plus quand ni où / Celui qui rampe devant le commissaire homophile mais albanophobe / Celle qui décide qu’on mettra dans le salon des rideaux grenats à chardons violets sans laisser à son récent époux le temps de réagir vu qu’elle lui laisse la haute main sur la partie mécanique / Ceux qui ne feront plus émonder les tilleuls de la propriété pour faire chier les voisins / Celui qui aime le brouillard et s’y fondre en fumant des clous de cercueil / Celle qui met du rouge à lèvres couleur lèvres / Ceux qui ne s’expriment plus qu’au moyen de phrases courtes du genre « Où vas-tu ? » - « Changer l’eau des fleurs », etc.
Image: Philip Seelen
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Dilemme
…Je comprends ton ultime Désir, Aïcha, mais après le modèle exclusif Nuage ardent d’Yves Saint-Laurent et la lingerie assortie, je me demande si le string pièce unique à diamants incrustés de Sonia Rykiel ne constituerait pas une dérogation à l’injonction d’humilité du Miséricordieux - enfin just a Minut, je fais vite un SMS à l’Imam…
Image : Philip Seelen
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Sic Transit au bord du vide
D’un pèlerinage à la vertigineuse Chapelle du Scex. D’une inscription en grandes lettres blanches proclamant VIVE CHAPPAZ, en voie d’effacement, et d'une nouvelle inscription flambant neuve annonçant: DIEU EST MORT...Certaine jeune Anglaise qui ne manque ni de candeur ni de grâce dans la silhouette, n’ayant rien à envier en cela à une Kate Moss, en nettement plus frais en revanche, a cru devoir rosir, l’autre soir qu’elle me consultait dans un refuge, en découvrant les toponymes alpins de nos régions où nombre de pics et autres pitons rocheux sont affublés du nom de Scex. Identifiant sur la carte un Scex rouge puis un Scex penché, notre amie semblait toute pensive, jusqu’au moment où je crus de mon devoir de la décevoir en lui apprenant que Scex signifie simplement rocher en langue archaïque…
Ainsi la Chapelle du Scex n’est-elle pas un oratoire phallique mais un édifice religieux encastré dans la roche, au-dessus de Saint-Maurice d’Agaune où précisément j’ai pèleriné ce matin après avoir longé l’amont du Rhône qui a l’air en ces lieux d’une sauvage rivière d’Amérique.
Le sentier de la Chapelle du Scex s’amorce derrière la basilique de l’Abbaye de Saint-Maurice où toute Anglaise même jeune sait que se trouve déposé l’un des plus précieux trésors de la chrétienté, dont le coffret mérovingien de Teudéric et le reliquaire de la Sainte Epine. On ne cesse d’ailleurs de penser au martyre du Nazaréen en gravissant l’imitation de son chemin de croix, qui serpente dans la falaise abrupte de quelque cent mètres dominant Saint-Maurice, sur la roche de laquelle des lycéens ont inscrit naguère en lettres blanches : VIVE CHAPPAZ.
Il faut alors préciser que Marice Chappaz, grand écrivain valaisan, fut conspué dans ces années par les notables et autres bourgeois du pays pour ses virulentes positions affirmées contre les promoteurs et autres prédateurs immobiliers, dans un pamphlet intitulé Les Maquereaux des cimes blanches. Hélas, l’inscription tend à disparaître, mais les lycéens de Saint-Maurice continuent de lire Chappaz avec le même entrain montré par la jeune Portugaise chargée par le curé de balayer ce matin les 444 marches conduisant à la Chapelle du Scex.
J’ai gravi ces 444 marches avec la satisfaction de ne pas en compter 666. Le triplement du 4, composé d’un mixte de trinité et du symbole de l’UN, est un bon chiffre, que je salue même si je ne pratique la numérologie qu’avec un grain de sel. Je n’ai pas la tripe ésotérique. Mon christianisme composite de fils de huguenots et de vieux-catholiques serait plutôt du genre chestertonien, surtout les jours de beau, avec une nuance évhémériste qui me fait intégrer plus qu’exclure, et sourire même si l’on dit que le Christ ne sourit pas, ce qui n’a pas été prouvé par A + B et ce que G.K. Chesterton, précisément, réfute de toute sa panse.
N’empêche qu’on ne sourit pas en remontant un Chemin de Croix. Celui de la Chapelle du Scex commence avec Pilate et finit au Tombeau. Jusqu’à la 200e marche, le Christ porte sa croix. Toute l’humanité en est affligée avec Lui. Ensuite c’est le supplice affreux, la croix, la mort et le retournement qu’on sait, ou plutôt qu’on ne sait pas : on est seulement prié de croire et voilà tout…
Ce qui est sûr est que la foi continue de s’agripper aux montagnes, comme le prouve la Chapelle du Scex à laquelle on parvient par une dernière volée de marches, les quarante les plus sévères, et qui repose sur une corniche étroite dominant Saint-Maurice.Et que se passe-t-il là dans le minuscule sanctuaire ? Il se passe qu’une messe s’y achève pour une vingtaine de personnes de tous les âges dont un tout petit garçon turbulent. Le curé ne montre aucune impatience. A cette hauteur on est forcément détaché, semble-t-il. Il sait en outre que tout passe, sauf Dieu. A côté de la chapelle, ainsi, une vieille guérite tombe en ruine, qui servait jadis à la vente de cartes postales, du temps où la chapelle se visitait comme une curiosité, sous un autre pape. On croit que tout se perd, mais non : à la Chapelle du Scex, le tourisme a passé, tandis que la messe repique visiblement. Pour combien de temps ?
Pour ma part, je reste sur le seuil comme je me rappelle que Simone Weil et Léon Chestov sont restés sur le seuil, ces presque chrétiens sûrement mieux vus par Dieu, qui ne passe pas, que la plupart de ceux qui se flattent d’être du Bon Côté - mais il va de soi que je ne me compare en rien à ces deux anges de la pensée. Je ne suis capable quant à moi, à cet instant, que de ruminations moyennes. La preuve : voici que je me demande si j’ai mis assez de pièces dans le parcmètre de la Grand-Rue pour le temps de monter et redescendre les 888 marches du pèlerinage à la Vierge du Scex.
Post Scriptum: aux dernières information, il était question l'autre jour d'une nouvelle inscription peinte à grandes lettres sur les falaises surmontant l'abbatiale de Saint-Maurice: DIEU EST MORT. Après VIVE CHAPPAZ, la pauvre humanité y gagne-t-elle vraiment ?
A signaler enfin: que cette balade figure dans les 24 Itinéraires spirituels parcourus par Slobodan Despot dans son Valais mystique, publié en 2009 aux éditions Xénia.
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Harmonie conjugale
…La condition sine qua non de notre contrat stipulait qu’elle pût me laver mon linge tous les soirs au lavoir industriel à l’ancienne installé dans les souterrains du château, que je l’appelasse Ma Lavandière, et qu’ensuite nous fissions l’amour dans les draps immaculés du trousseau de sa mère l’Abbesse défroquée, à part quoi Lolotte n’était pas la fille compliquée, me laissant la vaisselle, le cirage de pompes et l’entretien des latrines du fond de la cour…
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Propre en ordre
…Non mais t’as vu ça, y marquent plus que des Noirs... eh mais y se croient où la Municipalité... eh mais y veulent nous faire croire que c’est ça le socialisme à visage humain... eh mais t’a déjà vu des Noirs manger des pommes, toi, et t’as déjà vu des Noirs boire leur bière dans des bouteilles de pet - non mais c’est quoi ce bazar ? et tu crois pas qu’avec ça Le Pen y va pas rappliquer avec ses containers, là ?...
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Mise au point
…Ce que j’aimerais juste savoir avant de vous engager à l’essai, Monsieur Sérieux, c’est en quoi je vous semble particulier, cela m’intrigue tout de même: vous avez fait de hautes études à Melbourne, vous avez renoncé à votre poste de chercheur éthologue à l’île aux Crabes, vous débarquez à Paris je ne sais pourquoi, vous me proposez de faire mon ménage, de vous occuper de mes cactées et de mes caniches, vous allez faire à peu près tout à ma place pour un salaire de misère dont vous-même avez fixé le montant, et là c’est moi qui serais particulier…
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