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  • Entretien avec René Girard

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    Dans son nouveau livre, Achever Clausewitz, grand débat (avec Benoît Chantre) sur l’alternative de la violence et de la réconciliation, René Girard inscrit sa pensée au cœur du temps présent.

    Le sentiment que le mondeactuel n’a plus de sens ni de lois que celles du marché, la conscience du danger mortel que l’homme représente désormais pour lui-même et pour la planète, enfin le spectacle quotidien d’une violence aveugle et tournant à vide poussent les uns vers la seule jouissance immédiate et les autres à l’indifférence désenchantée. Or à ceux-là et à tous les autres, René Girard, au regard duquel la réalité est peut-être pire qu’ils ne l’imaginent, oppose une espérance intacte. A quoi celle–ci tient-elle ? A la conviction que ce qui nous pousse à la violence peut être dépassé. Comment cela ? C’est ce que nous sommes allé demander à ce franc-tireur farouche de la pensée contemporaine, radieux octogénaire, académicien peu académique et fondateur d’une « théorie mimétique » souvent controversée mais que la science rejoint aujourd’hui.
    - Qu’est-ce que le mimétisme ?
    - C’est la relation triangulaire qui fait que je désire ce que désire l’autre. J’en ai eu la première intuition lorsque j’ai commencé d’enseigner la littérature française à mes étudiants américains, au lendemain de la guerre. Cela m’est apparu à travers le snobisme des héros de Balzac, Stendhal et Proust, autant que dans la rivalité exacerbée des personnages de Cervantès ou des romans de Dostoïevski. Le sujet archétypal, que la littérature universelle illustre, c’est la rivalité de deux hommes devant une femme. Les hommes désirent la même chose. S’ils sont des rivaux proches, ils vont se battre. La question anthropologique est alors de savoir comment les hommes ont réussi à s’entendre dans ces conditions et à constituer des sociétés. Ma solution passe par l’analyse des crises dans les sociétés archaïques et par la fondation des mythes. Ceux-ci mentent. Ils font un dieu de l’individu sacrifié par une communauté à la suite d’une crise, alors qu’il est, selon moi, un bouc émissaire. Confrontée à une crise majeure, la société archaïque trouve pâture à son ressentiment dans ce personnage qu’on élimine et qui devient un dieu. Le sacrifice rituel, institution majeure des sociétés humaines, évacue ainsi la violence sur l’extérieur.
    - Tout commence avec Caïn et Abel…
    - Dans la Bible, le serpent de la Genèse est la première manifestation du mimétisme, mais le meurtre de Caïn marque en effet la naissance de la culture. Et qu’est-ce que le christianisme ? C’est une foule qui se porte contre une victime et qui fait d’elle son bouc émissaire. L’anthropologie moderne dit alors : christianisme et religion archaïque, pas de différence. Ce n’est pas vrai du tout. mais la différence est tellement simple que personne ne la voit : une religion archaïque créé un dieu à la fois coupable et salvateur, parce que coupable. Le christianisme, le premier, affirme l’innocence de la victime. C’est une révolution profonde, la seule qui puisse nous faire sortir du mimétisme par une imitation qui libère l’individu.
    - Et Clausewitz là-dedans ?
    - On m’a toujours reproché de m’intéresser à la littérature, supposée « fantaisistes », non fiable du point de vue scientifique. Je réponds que les écrivains sont les meilleurs observateurs de ce qui tisse les rapports humains. Lorsque je suis tombé, il y a cinq ans, sur des extraits de De la guerre de Clausewitz, stratège prussien fasciné par son ennemi Napoléon, j’ai découvert la notion de « montée aux extrêmes » qui préfigure ce qu’on appelle l’escalade. Rappelez-vous la scène du dictateur de Chaplin où les rivaux sont sur des sièges de coiffeur qu’ils font monter alternativement. Il y a là une image formidable de cette « montée aux extrêmes ». Clausewitz pressent la guerre totale du XXe siècle, les conflits idéologiques et les moyens de destruction massifs, tout en cherchant à se rassurer. Dans sa foulée, alors qu’il pense à la bombe atomique, Raymond Aron interprète la phrase fameuse de Clausewitz, « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », avec la conviction que la politique sera toujours supérieure à la guerre. L’un et l’autre pèchent par manque de réalisme ! Les guerres du XXe siècle et le terrorisme illustreront la montée aux extrêmes comme, aujourd’hui, la réponse de Bush à Ben Laden, relevant du pur mimétisme.
    - Un poète apparaît alors, et une femme de lettres suisse…
    - Hölderlin d’abord, oui. Lorsque j’ai relu les poèmes de Hölderlin, j’ai découvert que son attitude par rapport au christianisme n’était pas du tout ce qu’on en dit dans la foulée de Heidegger. Avec Hölderlin, il me semble avoir trouvé un merveilleux contrepoint à Hegel et Clausewitz. Nul doute que ce soit un maniaco-dépressif caractérisé, hyper-mimétique. Mais on s’aperçoit, en lisant ses grands poèmes, que le Christ surplombe les dieux grecs. Pour Hölderlin, le Christ est manifestement la source de toute stabilité, par rapport à cette influence, poétiquement très fertile mais chaotique de la Grèce. Quant à Madame de Staël, qu’on juge trop souvent très mal, alors qu’elle a inventé la littérature comparée et décrit, dans De la littérature, des phénomènes mimétiques avec une acuité prodigieuse, elle intervient également au cœur de la relation entre la France et l’Allemagne, qu’il faut repenser pour comprendre la montée aux extrêmes et l’effondrement de l’Europe au XXe siècle, dans une perspective contemporaine de reconstruction européenne, précisément…
    - Comment l’espérance peut-elle cohabiter avec le sentiment apocalyptique ?
    - Je pense que les hommes veulent retrouver le sens. Ils ont conscience qu’ils sont en grand danger. L’Occident s’épuise actuellement dans le conflit contre le terrorisme islamiste, que son arrogance a incontestablement attisé. Mais comprendre l’islam passe aussi par l’analyse du ressentiment qui nourrit l’islamisme radical. Les fondamentalistes chrétiens pensent que Dieu est à l’origine de la violence, et c’est ce qui m’en sépare. Il nous faut reconnaître notre nature mimétique si nous voulons nous en libérer. La repentance de Jean Paul II est un moment inouï à cet égard. Si les hommes ne se réconcilient pas, tout est foutu. L’offre du « royaume de Dieu » n’est pas une option : c’est la réconciliation. Or ce moment de la réconciliation, c’est tous les jours...
    René Girard. Après Clausewitz. Entretiens avec Benoît Chantre. Carnets Nord, 363p.

  • Des anges dans la ville

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    De l’amitié et de la passion partagée

    Le goliath David F. s’est engouffré dans le taxi et celui-ci a disparu, nous nous sommes adressés encore des gestes de vague regret mais nous étions aux anges : nous venions de nous faire un nouvel ami, avec mon frère d’adoption, dans l’atelier de l’Artiste polonais dont nous avions partagé la liqueur de vodka au miel en parlant des livres et des films et des lieux et des gens que nous aimons.
    Un nouvel ami est une grâce, et c’est dans cette grâce que j’ai parcouru ces jours le labyrinthe de la grande ville d’un ange à l’autre. Car l’autre soir c’était le poète Hubert H. que je voyais disparaître au coin d’une autre rue, noire et gracile, et puissante silhouette baudelairienne vacillante-ailée dont les mots que nous avions échangés deux heures durant me restaient comme une musique cernée de vertiges, et ce début de fluide amical; et le soir, passés trois barrages de flics armés en surnombre, ce fut sous les toits, dans la cuisine au minuscule oiseau, que je retrouvai la fine-fine et douce-douce, incisivement intelligente et sensible Nancy H. avec laquelle on est toujours en confiance à se raconter tous les livres et les films et les lieux et les gens que nous aimons, et Sacha nous rejoignit, l’angélique fils de Tzvetan T. diffusant son aura d’adolescent renaissant, puis mon frère d’adoption s’associa au repas qui fut d’amicale communion, avec l’hostie finale des chocolats québecois…
    Et voici que me revient, sous l’oeil sans paupière de la lune, ces mots de l’ange de Wim Wenders : «C’est extraordinaire, murmure-t-il, de n’être qu’un esprit et de témoigner pour l’éternité de tout ce qui a trait à la spiritualité de chaque mortel »…
    Cet après-midi je me trouvais assis en face du vieux penseur angélique René G. qui me parlait de ce qui fait monter la guerre aux extrêmes de l’individu et des nations, et toute la spiritualité d’une vie affluait dans ce regard souriant et ce sourire plein de bonté, et l’ange de Wenders continue à l’instant : « Mais parfois je me sens fatigué de n’être qu’un esprit, j’aimerais que ce survol éternel se termine enfin. J’aimerais sentir en moi un poids. Sentir que cette densité abolit l’illimité, me rattache au monde terrestre. J’aimerais à chaque pas, à chaque coup de vent, pouvoir dire « maintenant », et « maintenant », et « maintenant », au lieu de dire « depuis toujours » ou « à jamais ». S’asseoir à une table où des personnes jouent aux cartes, pour être salué d’un simple geste amical »…

  • Calvin & Co à Sin City

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    Avec La Vie mécène, Jean-Michel Olivier brosse un superbe portrait de mécène aventurier, généreux et canaille, sur fond de fresque genevoise drolatique où se bousculent affairistes, artistes, gens de médias et politiciens plus ou moins identifiables.

    A ceux, écrivains ou cinéastes, qui prétendent que la réalité helvétique n’est pas un bon sujet de roman, Jean-Michel Olivier inflige un joyeux démenti avec son dernier livre, régal d’humour et riche de pénétrantes observations sur notre société et ses drôles d’animaux, nos frères humains.
    - Comment ce roman a-t-il germé ?
    - Je rêvais depuis longtemps d’écrire un roman sur les rapports entre l’art et l’argent, en ayant à l’esprit quelques grandes figures de mécènes : les Médicis, Catherine II de Russie, les Guggenheim. Et plus
    près de nous des gens comme Beyeler ou Metin Arditi. Pourquoi cette passion de l’art ? Pourquoi ce don ? Pour racheter quel crime ? Je tournais autour de ce thème sans savoir comment l’agripper, quand le
    personnage d’Élias s’est imposé à moi. Je ne voulais pas qu’il parle directement. Mais qu’il soit raconté par tous ceux qui l’ont connu. Et dont il changé la vie. À partir de là, le roman s’est construit tout seul.
    - Son ancrage à Genève est-il significatif ?
    — Comme chacun, j’entretiens des rapports ambigus avec la ville où je vis. J’adore Genève, je crois la connaître assez bien. À chaque livre, j’essaie de percer un peu plus ses secrets. Car c’est la ville la plus
    secrète du monde. Les grands politiques s’y rencontrent sans tapage. On y brasse des fortunes colossales. Les grands malades qui nous gouvernent viennent s’y faire soigner. Le secret — entre autres bancaire — est la clé de son lustre…
    - Votre intention première était-elle de vous livrer à une charge satirique ?
    - Je voulais écrire un roman noir qui attaque les Grandes-Têtes-Molles de l’époque (avocats à succès, astrologues, hommes politiques, stars de la TV). Mais très vite les personnages se sont incarnés. Ils ont acquis
    leur propre autonomie. Et la satire, alors, est passée au second plan.
    - Dans quelle mesure La Vie mécène est-elle un roman à clefs ?
    — Il n’y a pas de clefs dans mon livre. Ou alors elles sont tellement évidentes qu’elles n’ouvrent rien ! Ce sont plutôt des clins d’œil à des personnages publics. Mais aucun des personnages principaux (sauf le peintre Mathieu Jour qui ressemble beaucoup à mon ami Marc Jurt, trop tôt décédé) n’a son modèle dans la vie réelle. Ce sont des extrapolations imaginaires.
    - Qu’est-ce pour vous que le comique ?
    - Le rire est une dimension essentielle des livres que j’aime et que j’admire (de Voltaire à Kundera, d’Albert Cohen à John Irving et tant d’autres). Par la distance qu’il établit entre le texte et le lecteur. Grâce au comique, ce dernier acquiert une liberté souveraine.
    - L’enfant enlevé et sacrifié marque un changement de ton dans le roman. L’aviez-vous prémédité ?
    - Non. Il n’était pas dans le plan de départ ! Il s’est imposé au fil des pages jusqu’à devenir le « centre névralgique » du roman. En lien avec la passion de son père pour le football (et celle de sa mère
    pour le shopping !). Il a acquis peu à peu un visage. Il s’est mis à jouer, à courir, à faire entendre sa voix. Ce qui lui arrive est la hantise de tous les parents.
    - Votre roman aborde des thèmes liés à l’argent (spéculation, trafics de toute sorte) et à ses incidences sur l’art et le sport, très présents dans la société qui nous entoure mais très absents du roman romand…
    — La littérature (romande en particulier) reste très pudibonde. On y parle peu d’argent. Or je voulais donner un ancrage très matériel à la vie de mes personnages. Car tout a un prix dans notre société. Un beau tableau comme le transfert d’un joueur de football. Une voiture de sport comme une heure passée avec une escort girl. Je voulais montrer le prix des choses, le prix de la passion. Le prix d’une vie d’enfant…
    - Hugo Loetscher affirme que le meilleur du roman contemporain, en Suisse, est essentiellement citadin. Qu’en pensez-vous ?
    - Oui, c’est dans les villes, aujourd’hui, que se trament les destins les plus étonnants. La ville est un théâtre extraordinairement riche et vivant. Si Ramuz vivait aujourd’hui, je suis sûr qu’il écrirait sur la mythologie urbaine…
    - Que signifie le titre de La Vie mécène ?
    - C’est à la fois la vie (et la mort) d’un mécène genevois et la vie elle-même qui reste un présent obscur, miraculeux. Tout le livre tourne autour de ça : le présent, l’offrande, le plaisir, le sacrifice.

    4ed494543fb84ac8e760ee1d9a875367.jpgUne très humaine comédie noire
    C’est une comédie cernée d’ombre que La vie mécène, une satire carabinée mais sans aigreur, un tableau de notre époque qui se déploie en galerie de portraits incisifs et généreux à la fois. La figure centrale, Elias S., dont le corps lesté de lingots d’or est retrouvé par un pêcheur au large de Nyon en 1993, est un personnage richissime à la mémoire duquel, 10 ans plus tard, un musée d’art moderne révélera ses fabuleuses collections. Né tout nu au Maroc, il a fait fortune à l’avènement de Mitterrand en trafiquant entre France et Suisse. De très juteuses affaires frisant parfois le code calviniste (notamment son réseau d’escort girls recruté à l’université) permettent à cet amateur (instinctif) d’art, de musique et de football – passions de l’auteur lui-même, qui en parle avec un formidable brio - de jouer un rôle majeur à Genève. Or la saga d’Elias, et son portrait à facettes, sont constitués par les récits alternés d’une dizaine de personnages (sa femme, son double crapuleux, un peintre dont il raffole, une lettreuse fouettant les messieurs dans son alcôve, un coach de foot, une pianiste de jazz, un journaliste tatoué en maori, etc.), dans lesquels le romancier se coule en médium. Il en résulte un roman mené à la cravache où l’on éclate de rire à tout moment, jusqu’à l’événement tragique (l’enlèvement et l’assassinat de Jonah, fils du mécène) qui lui donne sa touche de gravité, avant une conclusion grinçante à souhait.

    Jean-Michel Olivier. La Vie mécène. L’Age d’Homme, coll. Contemporains, 271p.

    Cet entretien a paru dans l’édition de 24 Heures du mardi 20 novembre 2007.

  • Au pays de l'humain

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    Passions d'Annie Leclerc, par Nancy Huston 

    A La Désirade, ce jeudi 15 novembre. – « Les livres ont été pour moi le pays de l’humain. Les livres, les œuvres d’art franchissent l’enfermement du nous, et tous, quand ils sont forts, s’adressent à nous tous en tant qu’humains. En eux circule vraiment le sang de vie et non de mort »… Voilà ce qu’écrivait Annie Leclerc en avril 2005 à Nancy Huston son amie, qui consacre un livre entier à dire ce que fut cette amitié et les passions d’Annie Leclerc qui ont nourri sa vie et ses livres.
    Nancy Huston a été l’amie d’Annie Leclerc et lui offre et nous offre de nos rencontrer : à Annie Leclerc, morte du cancer en 2006, de continuer de vivre et à nous, lecteurs, de vivre une part de ce qu’elle, Nancy, a vécu et échangé avec cette femme dont elle s’est sentie aussitôt proche, la connaissant déjà par ses livres et désirant la rencontrer.
    Nancy Huston a écrit ceci que je reconnais immédiatement comme une expérience faite maintes fois avec tant d’autres auteurs disparus : « Dire qu’une partie d’elle continue de vivre en moi, ce n’est ni une fadaise, ni une fausse et facile consolation post mortem, c’est la vérité littérale. Je ne pense pas de la même manière qu’avant de lire et connaître Annie Leclerc ; cette lecture et cette amitié ont changé ma façon de voir le monde ; or nous sommes (entre autres choses) notre façon de voir le monde. Annie Leclerc ne m’a pas simplement marquée ou influencée, elle m’a faite ce que je suis. Sans sa pensée et sans son amitié, je n’aurais pas écrit mes livres ; ç’aurait été un autre je, et des livres différents. »
    Je ne connais pas Annie Leclerc, dont je n’ai lu aucun livre, je sens à lire Nancy Huston que je vais lire un de ces jours un ou l’autre livre de cette Annie Leclerc qui m’est déjà plus proche, par ce qu’en écrit Nancy Huston, que maints vivants qui m’entourent, et voici justement ce qu’écrit Nancy Huston à propos de ce qu’on croit la vie et la mort et de ce qu’on croit le mur séparant la vie de la mort : « Ca lui fait une belle jambe de survivre dans la mémoire des autres, me répliqueront certains en ricanant alors qu’elle n’est pas là pour en profiter ! Ah, leur répondrai-je, mais Annie m’a appris qu’il n’y a pas de rupture radicale entre les morts et les vivants, qu’être vivant c’est justement être tissé corps et âme de la vie de ceux qui nous ont précédés »…

    Nancy Huston Passions d'Annie Leclerc. Actes Sud, 349p.

    Vient également de paraitre chez Actes Sud: L'amour selon Mme de Rênal, d'Annie Leclerc, préfacé par N.H.

  • Chacun mes Prix

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    Mon palmarès 2007

    Rompant un long silence qui a donné lieu à toutes les supputations et autres rumeurs contradictoires les plus folles, j’ai résolu de livrer enfin, aux médias et autres instances de consécration, les résultats des délibérations au terme desquelles j’ai attribué, aux ouvrages qui ont été soumis à mon jugement notoirement impartial et pertinent, les grands prix de cet automne littéraire 2007.

    5ec683e57e383c25e2d1643474e83758.jpgMon Prix Goncourt : à M. François Emmanuel, pour Regarde la vague, au Seuil ; M. Hubert Haddad, pour Palestine, chez Zulma ; M. Philippe Claudel, pour Le Rapport de Brodeck, chez Stock. Non pas ex-aequo, mais : à choix.
    Mon Prix Goncourt des lycéens à l’unanimité
    : à M. Marius Daniel Popescu, pour La symphonie du loup, chez José Corti.
    8d53df0817b4a12e7ea4235396ab68ee.jpgMon Prix Goncourt étranger à l’unanimité: à M. Mikhaïl Chichkine, pour Le Cheveu de Vénus, chez Fayard.
    Mon Prix Renaudot: à Mlle Amélie Nothomb, pour Ni d'Eve ni d'Adam, chez Abin Michel; Mme Alina Reyes, pour Forêt profonde, au Rocher; M. Olivier Adam, pour A l’abri de rien. A L’Olivier.
    01d71a10e704a8cbb4612c3072f3d06f.jpgMon Prix Médicis : à M. Marius Daniel Popescu, pour La symphonie du loup, chez Corti ; M. Alain Dugrand, pour Insurgés, chez Fayard ; M. Vassilis Alexakis, pour Av. J.-C, chez Stock.
    Mon Prix Médicis étranger : à M. Mikhaïl Chichkine, pour Le cheveu de Vénus, chez Fayard; M. Philip Roth, pour Un homme, chez Gallimard ; M. W.G. Sebald, pour D’après nature, chez Actes Sud.
    Mon Prix Médicis de l’essai : à M. Jean Hatzfeld, pour La stratégie des antilopes, au Seuil ; M. Georges Nivat, pour Vivre en Russe, à L’Age d’Homme ; M. François Bon, pour Bob Dylan, chez Fayard.
    c6a5a37fe4fdfd0b407a3b4d4c335d09.jpgMon Prix Femina : à Mme Marie Darrieussecq, pour Tom est mort, chez P.O.L.; Mme Linda Lê, pour In memoriam, chez Bourgois; Mme Michèle Lesbre, pour Le canapé rouge, chez Sabine Weispieser.
    Mon Prix Femina étranger : à M. Mikhaïl Chichkine, pour Le cheveu de Vénus, chez Fayard ; M. Philip Roth, pour Un homme, chez Gallimard : M. W.G. Sebald, pour Vertiges, chez Actes Sud.
    Mon Prix Femina de l’essai : à MM. René Girard et Benoît Chantre, pour Achever Clausewitz, chez CarnetsNord ; M. Pietro Citati, pour La mort du papillon, chez Gallimard ; M. Gilles Lapouge, pour L’encre du voyageur, chez Albin Michel.
    94ec5659d529b0929cebf6247bb1ad6f.jpgMon Prix Décembre à l’unanimité : M.Philippe Sollers, pour Un vrai roman, chez Plon.

  • Des voix contre l’oubli

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    PRIX LITTERAIRES La deuxième volée (avec le Médicis à Jean Hatzfeld et le Goncourt des lycéens à Philippe Claudel) efface la très mauvaise impression de la première. Au contraire du Femina à Eric Fottorino…

    Les lycéens ont tout juste, et ce n’est pas la première fois que « leur » Goncourt est plus avisé que celui de leurs aînés, bien rassis cette année. De fait, le Goncourt à lire en priorité cette année est bel et bien Le rapport de Brodeck, roman certes moins « glamoureux » et « facile » qu’ Alabama Song de Gilles Leroy, mais qui s’impose au premier rang des romans francophones parus cet automne, autant par sa substance humaine que par la dimension éthique et poétique de la sombre fable qu’il raconte dans une écriture limpide et très suggestive à la fois, mélange d’expressionnisme et de réalisme magique.
    Les académiciens Goncourt ont-ils eu peur, après Les Bienveillantes, de consacrer cette nouvelle traversée des ténèbres du XXe siècle, dont le protagoniste devient le greffier « pour mémoire » d’un lynchage collectif qui se répète indéfiniment d’une génération à l’autre, ou les pressions pro-Gallimard ont-elles prévalu contre le poulain de Stock ? Peu importe aujourd’hui, puisque aussi bien l’on sait que le Goncourt des lycéens est des rares prix réellement prescripteurs, et que Le Rapport de Brodeck se « mérite » plus qu’il ne se consomme en trois bouchées distraites.
    Témoin et médium
    Cette dernière observation vaut tout autant pour La Stratégie des antilopes de Jean Hatzfeld, qui a passé, après avoir failli y laisser sa vie, du travail de grand reporter (en ex-Yougoslavie, puis au Rwanda) à celui de scribe de la réalité génocidaire, et cela depuis des années déjà. Rien de sensationnaliste ou de morbide dans son œuvre, qui est d’un écrivain plus que d’un journaliste, à l’écoute des gens et des microdrames significatifs qu’il ressaisit dans les grandes tragédies : à la recherche de l’humain dont il capte les mots.
    Après La guerre au bord du fleuve (inspiré par son expérience en ex-Yougoslavie) et Dans le nu de la vie (récits des marais rwandais), La Stratégie des antilopes bouleverse le lecteur par le fait que c’est dans la paix des cimetières que l’écrivain recueille les voix de celles et ceux qui ont fui droit devant eux (comme l’antilope) avant de revenir au milieu de leurs bourreaux d’hier, aujourd’hui blancs comme neige...
    Des baisers « volés »
    Quant au Prix Femina à Baisers de cinéma d’Eric Fottorino, très au-dessous de celui de l’an dernier (échu à Nancy Huston pour ses magnifiques Lignes de faille), il nous ramène à un parisianisme convenu, certes pas désagréable mais ne pesant pas lourd à côté d’autres papables de cet automne, d’Olivier Adam à Linda Lê ou Michèle Lesbre. Or il est évidemment plus chic de primer le directeur éditorial du Monde, publié chez Gallimard… Certes bien écrit, ménageant un agréable mélange de romanesque sentimental sur fond de quête de l’origine, entre promenades cultivées à travers Paris et fascinations cinématographiques, ce récit ne démérite pas au milieu des 277 romans français de l’automne, mais en quoi s’en distingue-t-il au point de devenir le chéri de ces dames ? Baisers volés ?

    A l’écoute du monde

    ccc69b41bdd06560a036dc8e4f22b777.jpgIl en va des prix littéraires parisiens comme de l’état actuel de la littérature française dans le monde : le grand air, les grandes entreprises, voire les grandes œuvres  viennent souvent d’ailleurs, en traduction. Ainsi l’attribution du Prix Médicis étranger à l’auteur américain Daniel Mendelsohn, pour Les disparus, paru chez Flammarion, relève-t-elle de la reconnaissance la plus légitime, s’agissant d’une vaste enquête historico-familiale menée en Europe par le petit-neveu d’un Juif polonais écrivant, en 1939, des appels au secours à son frère installé aux Etats-Unis. Sans être un chef-d’œuvre littéraire, ce livre est plus qu’un document historique : la plongée, déterminée par un  premier élan intime et affectif intense, d’un jeune Américain dans la mémoire tragique de ses aïeux, ensuite nourrie par une investigation sur les lieux et au milieu des gens. Il en résulte un tableau « pour mémoire » grouillant de personnages et de situations où l’émotion le dispute au grand intérêt du témoignage.

    1e388452928ef51fc8598ac4bc4d21b6.jpgCurieusement, les prix littéraire confondent de plus en plus les genres, où l’appellation « roman » n’a plus guère de sens. Les trois Médicis sont ainsi tous, en réalité, des « essais », même si L’année de la pensée magique de Joan Didion, publié chez Grasset et gratifié du Médicis de l’essai, précisément, relève à la fois du récit-exorcisme de deuil  infiniment attachant, voire bouleversant. Dans les mêmes marges mouvantes, c’est un roman-récit existentiel, Le goût de la mère, du Britannique Edward Saint Aubyn,  paru chez Christian Bourgeois, que récompense cette année le Femina étranger, où il est question des tribulations d’une famille et de la façon dont elle les surmonte. Enfin hissons le plus joli pavois pour le Femina de l’essai à Gilles Lapouge, dont L’encre du voyageur, paru chez Albin Michel, invite à la partance à tous les sens du terme, avec le fruit des mots à la bouche...   

    Ces articles ont paru dans l'édition de 24Heures du 13 novembre 2007.

  • Maison de l’écriture

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    Le grand projet de Vera Michalski
    Vera Michalski voit grand. Les mesquins et autres médiocres qui « freinent à la montée », selon l’expression bien de chez nous, diront qu’elle en a « les moyens » en tant qu’héritière d’une fortune colossale, mais voilà : tous les riches ne sont pas généreux, à tous les sens du terme. Or depuis plus de vingt ans, Vera Michalski n’a cessé, avec son mari Jan Michalski trop tôt disparu (en août 2003), de travailler à une œuvre dont le profit n’est pas la finalité première, basée sur le désir initial de défendre et d’illustrer la littérature polonaise survivant sous la chape communiste (d’où la fondation des éditions Noir sur Blanc, en 1986), ensuite sur une exploration élargie des littératures de la ci-devant Autre Europe, pour s’étendre aujourd’hui à des échanges internationaux entre la Suisse, Paris et Varsovie, à l’enseigne du petit empire éditorial que constitue le groupe Libella (Noir sur Blanc, Buchet-Chastel, Phébus, notamment).
    Or voici que, pour honorer la mémoire de son conjoint de façon non moins constructive, Vera Michalski a décidé de créer, sur la base d’une Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature, une Maison de l’écriture dont l’architecte Vincent Mangeat a présenté récemment l’impressionnante maquette.
    A Montricher, sur les hauts de la Côte lémanique, au pied boisé du Jura, face au lac et aux Alpes, la Maison de l’écriture intégrera deux bâtiments existants (l’ancienne colonie de vacances d’En Bois désert, de fameuse mémoire pour beaucoup d’enfants vaudois, et sa chapelle attenante), autour desquels essaimera tout un système de « cabanes » suspendues, virtuellement extensible.
    Dans un premier temps, c’est par la création d’un prix littéraire d’envergure internationale que la Fondation Jan Michalski va se manifester, qui sera décerné en octobre 2008 pour la première fois. Les modalités, le jury (tournant) et la dotation de ce prix seront précisés en janvier prochain. Par ailleurs, une série de bourses d’aide à la création littéraire sera lancée l’an prochain à la même enseigne. Quant à la Maison de l’écriture, élément central de ce formidable projet, ce n’est qu’au tournant de 2009-2010 qu’elle ouvrira ses portes, sous la direction de Marc Roelandt.
    A relever, selon l’expression de Vincent Mangeat et les vœux de Vera Michalski, que cette Maison de l’écriture n’aura rien du cloître pour gens de lettres, comme le sont certaines résidences d’écrivains, mais devrait constituer, dans les dimensions d'une cité miniature,  un lieu d’échanges ouvert autant qu’une retraite propice à la création. Deux bibliothèques (dont une publique), un auditorium et une salle d’exposition compléteront la structure d’accueil envisagée pour cinq résidents simultanés et un couple.
    Interrogée sur l’insertion de cette Maison de l’écriture dans le tissu culturel extrêmement dense de la Suisse romande, Vera Michalski insiste sur son parti pris d’indépendance sans exclure des collaborations avec les institutions diverses de nos régions. Remarquable projet, dont on suivra le développement avec toute l’attention requise…

  • Norman Mailer ou le rêve fracassé

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    HOMMAGE Mort d’un des derniers monstres sacrés du roman américain.
    C’est un écrivain tantôt formidable et tantôt affligeant, un romancier surpuissant quoique fort inégal, un intellectuel courageux et parfois égaré, un égomane effréné portant sur lui la superbe des States, mais aussi leurs névroses, jusqu’à la folie meurtrière, qui vient de disparaître en la personne de Norman Mailer, mort samedi dernier des suites d’une insuffisance rénale, à l’âge de 84 ans.
    On a parlé de « trublion » à l’annonce de sa disparition, et l’amnésie galopante de l’époque aidera ceux qui ne l’ont pas « fréquenté » à grimacer l’air entendu après avoir lu quelques descentes en flammes de son dernier roman (Un château en forêt) évoquant la destinée d’Adolf Hitler; or s’il est vrai que ce trente-neuvième roman fait assez pataude et confuse figure mystico-psychanalytique, en dépit de forces créatrices toujours impressionnantes, l’œuvre antérieure de Norman Mailer aura marqué son temps avec cinq ou six grands livres, dans le sillage de Dos Passos et Hemingway, ses maîtres, aux côtés de Saul Bellow et de son vieux frère ennemi Gore Vidal, notamment.
    Sans préjuger des arrêts de la postérité, qui oubliera les frasques de l’histrion mégalomane au « conservatisme de gauche », chantre de l’orgasme cosmique (disciple de Wilhelm Reich), phallocrate marié six fois et candidat à la mairie de New York, entre autres titres de gloire plus spécifiquement littéraires, tels deux prix Pulitzer et une mention récurrente au Nobel, quelques romans majeurs devraient « rester » comme des stèles de la mémoire du XXe siècle et du rêve américain mis à mal.
    263bb55a898c9ed88dad7f99337eab37.jpgLes nus et les morts (1948) est le plus "évident" qui, sous couvert d’un roman de guerre, est une première approche de l’homme américain sous quatre aspects opposés (le général autocrate, son aide de camp gauchisant, un prolétaire anarchiste et un sergent bestial) avec lequel le tout jeune Mailer (né en 1923 dans une famille juive du New Jersey), diplômé d’Harvard et pilote dans le Pacifique, est aussitôt propulsé au premier rang de la scène littéraire.
    A travers les années 60-70, Norman Mailer sera acteur, témoin, sismographe vivant des secousses qui vont ébranler son pays, dont l’observation polémique donne lieu à des expériences d’écriture non moins « en phase » où le pop art, la parodie des nouveaux médias (dans Pourquoi nous sommes au Vietnam, en 1967, où nous sommes essentiellement… au Texas du futur Bush!), le roman-reportage (Les Armées de la nuit, autre grand livre relatant la manifestation de 1969 devant le Pentagone), le pamphlet, la biographie (Hemingway, Marylin, Picasso) alternent jusqu’à cet autre pic de l’œuvre que représente Le Chant du bourreau (1979), roman-vérité qui, à partir de la trajectoire d’un condamné à mort – le double meurtrier Gary Gilmore suivi de sa naissance à son exécution par lui-même exigée -, brosse la fresque d’un monde impitoyable, rappelant à l’évidence le mythique De sang-froid (1966) de Truman Capote, plus « en pleine pâte » et dans la tonalité de cette nouvelle décennie et de ses traumatismes collectifs annonciateurs d’autres lendemains qui déchantent.
    Or de ceux-ci, Norman Mailer fut le prophète diversement inspiré, et plus encore le médium passionné, avouant enfin, récemment encore, qu’il n’aura jamais été « qu’un écrivain » - mais pas des moindres !


    Cet hommage a paru dans l'édition de 24Heures du 12 novembre 2007.

  • Le cercle des niaiseux

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    Cercle de Yannick Haenel ou la quadrature du vide. Le Prix Décembre 2007 conforte les Gallimardeux. Mais JLK persiste et signe, le blaireau... 

    Il est divertissant de suivre, de loin, les ronds-de-jambes ou les coups d’épée dans l’eau que provoque, depuis sa parution, le livre le plus niais de la rentrée littéraire, je veux parler évidemment de Cercle d’Yannick Haenel. Qu’on le porte aux nues en faisant de ce pavé de vent un « roman total », comme Sébastien Lapaque dans le Figaro littéraire, ou qu’on en fasse le vortex de l’abjection plagiaire ainsi que s’y emploie Alina Reyes dans une polémique aussi bécassine que son bécasson d'objet, celui-ci reste évidemment ce qu’il est à nos yeux éberlués : une espèce de course du rat chic dans un dédale toc.

    Si l’auteur de Cercle avait dix-sept ans et qu’il déboulât avec son air crâne et sa jolie plume dansante, ses références en veux-tu en voilà et ses pastiches d’un peu tout, dès la première scène du pont sur la Seine d’où le protagoniste jette son ancienne vie à l’instant, hop, de sauter dans la nouvelle et de s’écrier : chic c’est la joie, je revis, enfin je vais pouvoir mettre le doigt au cul de Clarine et me palucher en lisant Moby Dick, si tout cela était le fait d’un paluchon ludique et que son premier bouquin eût trois cent pages de moins, oui certes, oui-da, nous marcherions plus volontiers, comme nous marchons le pied-léger à travers les cinq premières pages, qui en deviennent hélas cinq cents. Mais Yannick Haenel a quarante balais et n'est plus ingénu que de posture en sémillant émule du pape Sollers.

    Et cinq cents pages pour dire quoi ? Rien que de convenu, rien que de pseudo-rimbaldien, rien que de sous-sollersien dans la conjonction d’un hédonisme de pacotille et d’un usage germanopratin de la semi-culture. Cela se veut alerte, ouvert, oui-disant et dansant, mais sans quitter la manière du petit marquis, et ensuite non moins affecté dans le simulacre de gravité puisque du cul de Clarine il faut bien passer au trou noir de l’Histoire. Or tout cela est lourd quand cela se veut ludique, et léger devant le tragique.

    Enfin quel roman total ? Du total chiqué sans doute. Et cela vaut-il la moindre polémique ? Qu’on lui colle plutôt un prix (c'est fait !) et le cercle se bouclera comme on l'espère du piapia niaiseux qui en a émané à grosses bubulles…

    Yannick Haenel. Cercle. Gallimard, L’Infini.

  • Freud et Dieu causent grave

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    Le visiteur d’Eric Emmanuel Schmitt, mis en scène par Gildas Bourdet

    Mais qu’est-ce que ce truc ringard ? Voilà ce qu’on pourrait se demander d’abord en découvrant le décor brunâtre représentant un intérieur viennois fleurant le vieux rat savantasse, où apparaissent d’abord un octogénaire chenu et sa fille quadra plus vraiment bimbo... Ensuite le thème, mes aïeux : Sigmund Freud qui reçoit, en 1938, la visite d’un drôle de type, qui est peut-être un dingue échappé de l’asile ou Dieu déguisé en dandy magicien, avec lequel il va « causer grave » pendant qu’Anna, sa fille, se fait interroger par les brutes de la Gestapo ! Autant dire : la totale.
    Et c’est exactement ça, près de quinze ans après la création du Visiteur, qui a glané 3 Molière dans la foulée et fut représenté dans le monde entier, alors que le texte a été vendu à plus de 40.000 exemplaires: la totale non moins que tardive (!) surprise d’une pièce grave et belle, qui n’a pas pris une ride alors qu’elle relève d’un genre remontant à l’époque de Sartre et Camus, servie par des interprètes également remarquables, à commencer par Benoît Verehaert dans le rôle adorablement méphistophélique de Dieu, face auquel Alexandre von Sivers campe un Freud en héros de la Raison poignant d’humanité.
    Gildas Bourdet signe la mise en scène de cette version qui accentue magnifiquement le dessin de chaque personnage, pour mieux détailler et éclairer le grand débat qui s’y joue.

    Lausanne. Espace culturel des Terreaux, dernière le 11 novembre à 17h.

  • Sollers l'enfant bleu

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    Des aléas de la lecture panoptique
    Sollers exagère : il prend toute la place. J’ai sept livres en lecture suivie, à part Proust évidemment tout le temps, j’ai le Bob Dylan de François Bon, j’ai La Nuit du destin de mon amie arabo-proustienne Asa Lanova, j’ai le formidable Achever Clausewitz de René Girard et Benoît Chantre, j’ai l’épatant Juste un jour de mon ami Antonin Moeri, j’ai la non moins épatante Vie mécène de mon non moins cher compère Jean-Michel Olivier, j'ai le superbe Insurgés de mon camarade Alain Dugrand, enfin j’ai Nullarbor de David Fauquemberg, ça fait sept et il y en a d’autres encore (j’avais juste besoin du chiffre sept), mais Sollers se campe au milieu de la photo avec ses Mémoires qui n’en sont pas (ou disons qu’il réinvente le genre) et m’impose en somme, autant par sa présence poétique personnelle que par ses admirations, le partage de sa passion.
    « La passion, c’est l’impératif de présence », écrit Philippe Sollers à propos d’une de ses première amantes d’adolescent, mais on pourrait étendre la définition à tous les aspects de sa présence au monde, cristallisée en poésie.
    Un vrai roman est-il un vrai roman ? Ce qui est sûr c’est que c’est un impératif de présence qui aimante formidablement, on pourrait dire qu’il touche « direct au système nerveux », comme Sollers le disait de la peinture de Bacon, à cela près que Sollers peint avec des mots, et que ces mots sont à tout le monde et viennent de loin.
    Il faut se le représenter en enfant demeuré, petit roi, tyranneau, vélocipédiste ailé qui découvre le monde entre les bibliothèques des siens et les seins des boniches des siens.
    Philippe Joyaux a décidé tout enfant d’être invisible en tant que Sollers, et il tient bon, le crack. Tout ce qu’on dit de lui est à côté, sauf ce qui est dit par ceux qui ont comme lui l’art de marcher la nuit sur des fils de funambule, car il va de soi que Sollers est de l’aréopage ailé des enfants somnambules.
    J’avais rendez-vous ce matin à Sauternes avec Sollers, puis j’ai pensé qu’un crochet par SinCity s’imposait au préalable pour évoquer la lecture croisée extraordinairement tonique et pénétrante de La Divine Comédie de Dante que module un entretien éponyme de 700 pages qu'ont mené Benoît Chantre et Philippe Sollers, mais ça n’ira plus ce matin : trop tard : j’ai rencard avec Rita la coiffeuse. Donc je fais faux bond à mes 900 lectrices et lecteurs occultes de ces jours, salut les enfants bleus…

  • Gallimard gallimarde

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    Le Goncourt à Gilles Leroy pour Alabama Song, et le Renaudot à Daniel Pennac pour Chagrin d'école

    C'est finalement à l'un des moins «attendus» des cinq derniers papables du Goncourt qu'est revenu hier le plus convoité des prix littéraires français avec la désignation, après 14 tours et par 4 voix contre 2 à Olivier Adam, d'Alabama Song, du journaliste écrivain Gilles Leroy, paru au Mercure de France. Evoquant à la première personne la vie passionnée de Zelda Fitzgerald, épouse d'un des plus grands écrivains américains du XXe siècle, l'auteur reprend la thèse de certains biographes estimant que Zelda fut la victime, à bien des égards, du vampirisme de son génial conjoint. A l'évidence, Gilles Leroy a fait plus que s'imprégner de la riche documentation (notamment la correspondance très significative) existant à propos du couple le plus brillant de la bohème artistique de l'entre-deux-guerres américain: il s'est véritablement coulé dans le personnage dont il module la voix en faisant alterner les inflexions de la brillantissime fille à papa de Montgomery, celle de l'artiste inaccomplie (elle rêvait de devenir la plus grande danseuse de son temps, comme Scott avait résolu d'être le plus grand romancier de tous les temps...) et celles de la femme vieillissante, souffrant de schizophrénie et promise à une mort atroce dans les flammes...
    En décernant le Goncourt à Gilles Leroy, les jurés de l'Académie «offrent» au grand public un roman joliment ficelé sur une destinée aventureuse et glamour à souhait. A ce thème rebattu, l'essayiste Pietro Citati vient pourtant de donner, dans La mort du papillon, paru chez Gallimard (!) un nouvel éclairage plus incisif et profond, où justice est rendue aux deux parties... Ce qu'on peut regretter, surtout, c'est que l'élément «anecdotique» ait prévalu une fois de plus dans un choix dont ont été écartés des écrivains plus engagés ou originaux, tels Michèle Lesbre ou Olivier Adam, sans parler de moult «oubliés» des premières sélections, tels François Emmanuel ou Hubert Haddad...
    Si le Goncourt à Gilles Leroy a étonné, le Renaudot attribué à Daniel Pennac a plus encore surpris du seul fait... qu'il ne figurait pas sur la sélection. Son Chagrin d'école, plaisant autoportrait d'un cancre en lequel on ne saurait deviner un futur auteur à la faconde stylée et aux succès répétés, intéresse à la fois par son propos autobiographique et par le regard que l'ex-enseignant, venu au roman par les sentiers buissonniers du polar gouailleur, jette sur les affres de l'école. Le livre rend aussi un bel hommage à certains profs «éveilleurs» autant qu'à sa mère centenaire, qui continue de s'inquiéter de son avenir (!), faisant écho à la variation pédagogique de Comme un roman.
    Quant au Prix Renaudot de l'essai, il a été décerné à Olivier Germain-Thomas pour Le Bénarès-Kyoto, récit d'un périple évoquant, avec moult péripéties, la traversée asiatique d'un «étonnant voyageur» à la joyeuse érudition.
    Gilles Leroy. Alabama Song. Mercure de France. Daniel Pennac. Chagrin d'école. Gallimard. Olivier Germain-Thomas. Le Bénarès-Kyoto, Le Rocher.

    Des jurés sous influence ? 

    Et c’est ça que vous appelez le meilleur de la littérature française en train de se faire? Voilà la question que le lecteur attentif serait enclin à lancer aux jurés respectifs de l’Académie Goncourt et du Prix Renaudot au vu des deux romans qui viennent d’obtenir les deux distinctions les plus cotées de l’automne littéraire. Un tant soit peu au fait des dessous de l’édition parisienne et de ses réseaux d’influence, l’impudent poussera le bouchon plus loin: plutôt que Gilles Leroy et Daniel Pennac, n’est-ce pas la seule maison Gallimard que vous avez primée par deux fois?, étant entendu que le Mercure de France où paraît le Goncourt est une filiale de la puissante maison, déjà triomphante l’an dernier avec Les Bienveillantes de Jonathan Littell, préalablement consacré par le public et l’Académie française… Ce qui frappe en tout cas, c’est que les deux lauréats de cette année apparaissent comme les bénéficiaires chanceux de tractations tordues: 14 tours (!) au final du Goncourt après l’éviction de «favoris» dont le handicap tenait au nom de l’éditeur: P.O.L. pour Marie Darrieussecq, Sabine Weispieser pour Michèle Lesbre, Stock pour Philippe Claudel et L’Olivier pour Olivier Adam (finaliste «à la Poulidor»). Souvent controversés pour la dépendance directe liant les jurés aux trois principales enseignes littéraires parisiennes (Gallimard, Grasset et Le Seuil, alias Galligrasseuil), les deux premiers grands prix de cette année trahissent une fois de plus un malaise évident. On ne dira pas pour autant que le Goncourt et le Renaudot 2007 sont sans intérêt ou promis à l’insuccès. Au contraire. Mais que penser d’une «course» privilégiant a priori les concurrents en fonction de leur appartenance à telle ou telle écurie?

    Ces articles ont paru dans l'édition de 24Heures du 6 novembre 2007

     

  • La question humaine

    0dc1351ecae6aaa2e59d2cc14394a954.jpgRetour sur un roman de François Emmanuel, adapté au cinéma
    On se rappelle l’effroi que suscitèrent les attitudes et les propos d’Eichmann lors de son procès : au lieu de la bête immonde présumée, le personnage apparut sous les traits d’un blême bureaucrate qui affirmait n’avoir jamais fait qu’obéir aux autres et aux consignes techniques de rigueur. Celles-ci dirigent également le psychologue spécialisé en ressources humaines qui raconte, dans La question humaine, comment il a été amené à enquêter sur la dégradation des facultés mentales du directeur de la firme d’origine allemande qui l’emploie. Sous prétexte de « restructuration », il travaille lui aussi dans la « sélection » et l’ « évacuation », et le fait est que le vocabulaire de son investigation entre en consonance de plus en plus troublante avec celui des exécuteurs de la Solution finale.
    Sans comparer l’incomparable, François Emmanuel n’en montre pas moins que certains termes « propres » du langage technique illustrent la même façon expéditive de résoudre liquidation de masse ou gestion du personnel… Or, loin de s’en tenir à une démonstration, le romancier incarne ses observations de telle façon que l’on se sent piégé au même titre que ses personnages.

    François Emmanuel, La question humaine. Stock, 2000. Réédité en poche. Adapté au cinéma en 2007 par Nicolas Klotz.

  • Nietzsche au matin

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    C’est le matin et je suis plein de joie de vivre. On aurait des raisons de désespérer (trop de souffrance pour trop de gens) mais on se sent cependant l'élan de faire quelque chose, au moins aussi bien sinon mieux qu’un singe. Nietzsche appelait de ses vœux un surhomme qui fît mieux que le singe, mais il sentait aussi, par son intuition de la faiblesse, que son appel à la sélection (même au sens spirituel) était une pensée dangereuse. Lui qui a tout fait pour que l’homme cesse de se leurrer s’est lui-même leurré par manque (je crois) de réalisme. Lui qui a si bien pressenti l’avènement du dernier homme (l’homme encarté du Bancomat) aurait sûrement rejeté Hitler au premier regard, car il restait une âme sensible en dépit de son génie surpuissant (donc très exposé) et il aurait trouvé Mussolini, et Goebbels, et Lénine, et Staline, et Ceausescu non moins repoussants, je présume… N'empêche qu'il n'a pas compris le réalisme du Christ.

    Image: Nietzsche, par Edvard Munch

  • La famille coco-facho

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    Après un immense succès en Italie, Mon frère est fils unique de Daniele Luchetti prélude aux coups de rétroviseurs du 40e anniversaire de mai 68.
    Ceux qui ont aimé Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana, chronique attachante des années 1966 à 2003 en Italie, devraient être également touché par Mon frère est fils unique, qui brasse une matière sociale et politique proche en s’attachant à une situation particulière intéressante: à savoir la cohabitation, dans une même famille, de deux frères aux positions politiques diamétralement opposées.
    Sur la base d’un roman d’Antonio Pennacchi qui avait 18 ans en 1968 et a lui-même adhéré très jeune au parti néofasciste MSI, dont il a été expulsé avant de passer par diverses factions d’extrême-gauche, le film scénarisé par Daniele Luchetti assisté de Sandro Petraglia et Stefano Rulli (cosignataires de Nos meilleures années) nous transporte dans une famille populaire de Latina désespérant d’être relogée dans un immeuble moins insalubre. Le fils aîné, Manrico (Riccardo Scamarcio), est un beau jeune homme qui fait craquer les nanas et s’impose en leader syndicaliste du PCI avant de dériver vers l’action violente. Brillant et charmeur, le révolutionnaire ne manque d’agacer son frère cadet, le teigneux et boutonneux Accio, qui a renoncé au séminaire avant de se laisser entraîner par un marchand ambulant fort en gueule dans les réunions et les opérations de commando des néofascistes. Du genre rebelle « au carré », impatient de s’opposer aux brimades des siens, Accio n’est « fasciste » que par esprit de contradiction, et son évolution témoignera d’une ouverture généreuse dont son frère aîné terroriste sera le premier bénéficiaire.
    Les dogmes et la vie
    Du personnage à la fois gouailleur et attachant du roman picaresque de Pennacchi, contrastant pour le moins avec le cliché du « facho » bas de plafond, Daniele Luchetti a fixé le portait cinématographique en choisissant un acteur vif à souhait en la personne d’Elio Germano. Entre les deux frères oscille en outre la belle et incisive Francesca (Diane Fleri) dont l’évolution marquera elle aussi une distance croissante par rapport aux dogmes idéologiques.
    Déclaré pompeusement « d’intérêt culturel national » par les instances officielles de la péninsule, Mon frère est fils unique a certes valeur de témoignage substantiel et souvent truculent « à l’italienne », sur une époque souvent réduite à des clichés enjolivés ou dramatisés à outrance. La charge portée sur les débats où tout le monde pérore en même temps, ou la caricature du chœur de camarades chantant un Hymne à la joie aux paroles révisées style agit-prop, n’en font pas pour autant une satire « révisionniste » trop complaisante. Si la forme du film reste finalement assez sage, dans le genre du feuilleton sensible et intelligent à la manière de Nos meilleures années, nul doute qu’il « sonne » juste et rend bien, sans démagogie, le climat d’une époque où souvent, entre familles à l’ancienne et tribus hirsutes, la jeunesse ne faisait que se chercher un lien ou une communauté.
    • Sur les écrans romands
    • Antonio Pennacchi. Mon frère est fils unique ou la vie déréglée d’Accio Benassi. Traduit de l’italien par Jean Baisnée. Le Dilettante 2007,448p.

    878f575ac7957974f92760702916ea9d.jpgUn quarantième rugissant ?

    De quoi sera faite la vague annoncée de publications, romans, essais, films et autres documents qui devrait déferler en 2008 pour commémorer le quarantième anniversaire de mai 68 ? Les « anciens combattants » vont-ils y aller de leur air de la nostalgie désenchantée, ou verra-t-on se développer de nouveaux récits sur une époque qui a diffusé, presque en temps réel, ses mythes plus ou moins narcissiques et ses légendes, par « icônes » et autres figures « cultes », voire « cultissimes », interposées ?

    Le film de Daniele Luchetti, à l’image du livre d’Antonio Pennacchi dont il s’inspire, séduit par la distance prise par rapport à la terrible rhétorique d’époque, masquant souvent la volonté de puissance ou le ressentiment des contestataires des deux bords sous de beaux discours. Mais verra-t-on jamais une nouvelle Education sentimentale, en littérature ou au cinéma, cristalliser la « substantifique moelle » de ces années ?

    58efa2747451c00f7607cb136f686a8d.jpgCe qui semble à l’heure qu’il est, et notamment au vu des agréables et non moins excellents « feuilletons » que représentant Nos meilleures années ou Mon frère est fils unique, c’est qu’on en reste à une vision certes plus nuancée que naguère mais jamais en rupture avec certain consensus, qu’un Pasolini (notamment dans ses Lettres luthériennes)  fut des seuls à rompre dans l’Italie des années de plomb.

    Le quarantième sera-t-il rugissant ou ronronnant ?

     

     

  • Une amitié salvatrice

    3b93e7b8a20243e84fa826f5e7677e4e.jpg Serge Merlin porte Le neveu de Wittgenstein de Thomas Bernhard avec une intensité sensible prodigieuse.
    L’extraordinaire émotion théâtrale que nous vaut ces jours la représentation du Neveu de Wittgenstein de Thomas Bernhard dans l’interprétation tantôt désopilante et tantôt bouleversante de Serge Merlin, touche, à partir de la perception tragi-comique de notre chère et putain de condition humaine, à tous les registres de l’expression, de la douceur délicate à l’invective explosive, en passant par les nuances pathétiques ou grotesques d’un récit que la pudeur de l’écrivain fait avancer masqué.
    On réduit souvent Thomas Bernhard à sa posture (indéniable) d’imprécateur, alors que c’est aussi un inégalable chroniqueur de sa vie et de son époque fracassées, dont les récits « autobiographiques » récemment réunis en un volume (notamment L’Origine, La Cave, Le Souffle, Le Froid, Un Enfant *) cristallisent la substance douloureusement compulsive et la formidable musique.
    Le neveu de Wittgenstein, sous-intitulé Une amitié, se rattache à cette confession d’un enfant du XXe siècle marquée par les relents du nazisme et le désastre de l’après-guerre autrichien, la tuberculose et la rage folle d’échapper à la mouise et à le crétinerie récurrente des philistins ; surtout : par l’émotion partagée avec quelques «êtres vitaux » dont le grand-père, une femme jamais nommée et, ici, un rejeton rejeté de la milliardaire clique des Wittgenstein, passionné de musique et de littérature, d’art et de philosophie. Si ce récit, publié en 1982 et dont le déclencheur remonte à 1967 dans un hôpital viennois où l’auteur séjournait pour l’ablation d’une tumeur au thorax, n’est pas explicitement destiné au théâtre, sa tournure de monologue à vrilles plus ou moins frénétiques en fait un objet vocal et dramatique aux ressources exceptionnelles, ainsi que le prouve Serge Merlin de toute l’âme de son corps dans la version scénique que lui ont finement retaillée Bernard Levy, par ailleurs metteur en scène, et Jean-Luc Vincent, dans une scénographie et des lumières magnifiquement accordées de Giulio Lichtner et Jean-Luc Chanonat.
    abdb0e5e1bb6bdfda8f7bc65bb41d244.jpgDès la première évocation des retrouvailles de Thomas Bernhard et de son ami Paul Wittgenstein, respectivement encagés au Pavillon Hermann du service de pneumo-phtisiologie de la Baumgartnerhöhe, et dans le Pavillon Ludwig de l’asile psychiatrique du Steinhof, séparés par un grillage plein de trous, le rire se mêle à l’effroi et à l’émotion plus tendre. De la même façon, le comique, parfois énorme (la charge contre les promenades à la campagne et la nature en général, ou le morceau d’anthologie sur les prix littéraires qui sont autant d’occasion pour les philistins de « chier » sur la tête des artistes), l’effroi (la solitude de Paul le paria, ou le désespoir de Thomas le suicidaire) et l’émotion (la fin déchirante où Thomas se reproche sa lâcheté devant la mort annoncée de Paul) se fondent en unité dans la musique de cet hymne joyeusement funèbre à l’amitié et à ce qui nous sauve de tout ce qui pèse sur le corps de nos âmes...
    Lausanne, Théâtre de Vidy, Le neveu de Wittgenstein. Coproduction Chaillot/Vidy. Salle de répétition, jusqu’au 18 novembre.Tlj à 19h30, dimanche à 18h30. Lundi relâche. Durée 1h3o. Loc : Payot librairie et 021 619 45 45
    (*) Thomas Bernhard. Gallimard, coll. Biblos, 505p.

    2169e3f05b6ec2af29fdeab7e41e5a80.jpgImages: Mario del Curto